La Douceur mosane/Liens

La bibliothèque libre.
Georges Thone (p. 27-28).
À ma femme.


Liens


Voici l’heure où déjà la lumière décroît
adoucie en sa force, affinée et plus chère,
l’heure où croulent les feux mortels qui me brûlèrent,
où me semble moins lourde, à l’épaule, ma croix.

Où je vous vois au loin sombrer, folles nuées,
hier, nuages bas qui pesiez sur mon front,
Où je vous ressaisis, souvenirs qui vivront
resurgis, purs et forts, des cendres remuées.

Où je noue, à nouveau, ma vie à des liens sûrs,
où je reprends ma place à ma rive mosane,
heureux d’une eau qui fuit, d’une fleur qui se fane,
d’un rayon de soleil dansant sur de vieux murs.

Ma femme, viens t’asseoir, sous ces épines roses
Vers le lointain, tendons nos âmes, sans parler
Comme des ailes au ciel bleu de gris perlé.

En silence, écoutons ce que disent les choses.

Sans doute, comme moi, là-bas, sur le coteau
Cherches-tu la maison que bordait la glycine.
Elle se cache, dans un creux de la colline,
derrière l’humble église et les toits du château.

L’air s’embaume des fleurs que nous cueillions ensemble
dans le fossé, près de la haie, aux jours d’avril.
Sur nos vieilles amours se dresse puéril
Et divin,
Et divin, le moment où dans ma main qui tremble

tremblait ton cœur farouche en ta petite main.

Je te revois un soir, par la porte entr’ouverte
Dans ton étroit lit blanc jusqu’au menton couverte,
Tout l’être chaviré d’un amour surhumain.

J’avais treize ans. — J’étais, nous étions, la jeunesse,
Le monde en son avril candide et triomphant.

Revenez nos printemps, nos yeux vous reconnaissent

Et je t’aime à jamais avec un cœur d’enfant.