La Douleur (Blanc de Saint-Bonnet)/Chapitre II

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Texte établi par Maison de la bonne presse,  (p. 7-12).
CHAPITRE II




la douleur au point de vue de l’homme

Toute faute chez l’homme étant composée de deux éléments, l’égoïsme et la volupté, il faudra que le remède se compose de deux éléments, pour atteindre le vice qui s’attaque à l’esprit et celui qui s’attaque à la chair.

L’esprit a péché en se laissant trop remplir de lui-même : il faudra que l’esprit se répande hors de lui-même. C’est ce qui s’opère au moyen de l’aveu. La confession rétablira peu à peu, dans l’âme, l’équilibre entre le moi et l’humilité.

Le corps a péché en cédant à tous ses penchants : il faudra que le corps se refuse tout entier à lui-même. C’est ce qui aura lieu au moyen de la privation. La pénitence rétablira peu à peu, dans le corps, l’équilibre entre les sens et la volonté.

Il se produit alors un résultat complet. Le corps, rappelé à la privation, se sent délivré des mouvements désordonnés qu’entraînait sa prédominance et rentre avec satisfaction sous l’hygiénique empire de la vertu. L’âme, se sentant initiée à l’humilité, rentre dans sa propre possession spirituelle, et reprend avec joie les douces résolutions de l’innocence.

Cette révolution opérée tout à coup dans le corps et dans l’âme est l’œuvre de la douleur. L’homme a-t-il perdu toute force morale ? est-il tombé au fond de l’inertie et de la corruption ? en un mot, est-il incapable de s’élever au bien par les actes de sa liberté ? confiez-le à la douleur, elle l’amènera peu à peu vers les niveaux de la vertu.

Quel est donc ce mystérieux agent ? Quoi, la douleur ! N’est-elle pas l’opposé de l’état éternel ? N’est-elle pas contradictoire à l’être ? La fin absolue étant le bonheur, se pourrait-il que l’être s’y élevât par le moyen de la douleur ?

Cherchons ce que c’est que la douleur. Mais d’abord, la douleur n’est pas de l’être ; on la voit placée à côté du mal pour l’extirper de l’être. Sans le mal, la douleur ne serait pas née, elle ne serait point entrée dans le temps. Mais, à cette heure, elle trempe l’être dans ses flammes pour le purifier ; on voit ainsi le métal en fusion rejeter une écume de sa substance embrasée.


L’homme est fait pour l’Infini. S’il avait montré, premièrement, assez de volonté pour s’imposer de lui-même les efforts nécessaires à la formation de sa personnalité, et, secondement, assez de cœur pour s’imposer de lui-même les sacrifices nécessaires à la formation de son amour, la douleur n’eût pas existé. La douleur est un remplaçant du travail et un suppléant de l’amour.

Ayant été créé dans l’état de justice et d’innocence, l’homme se trouvait placé, en tant qu’être, immédiatement au-dessus de la douleur. Il était formé, il lui restait à se développer : le soin en était remis à ses œuvres. En cet état, l’action suffisait à l’éducation de sa volonté, et l’obéissance à celle de son cœur ; la peine n’était pas devenue un supplément nécessaire à la formation de la première, ni le sacrifice un supplément nécessaire à celle du second. Mais, tombant au-dessous de cet état, l’homme s’est trouvé de suite en proie au douloureux travail de l’être aux prises avec le non-être.

La création, faisant franchir à l’homme tous les abîmes du néant, l’avait en quelque sorte amené à la surface de l’être. Il ne restait à l’homme qu’à s’élever selon sa loi ; il n’avait pas à remonter tous ces degrés inférieurs où il est descendu et où il a rencontré la douleur, indispensable désormais au régime de son être.

La volonté et le cœur, ces deux pôles de l’homme, s’étant amollis, la douleur n’est qu’un travail plus profond imposé à l’exercice du cœur. Elle vient comme un feu âpre ranimer une liberté expirante et rallumer un amour qui s’éteint. L’homme désespéré s’enfonce dans le mal, s’abandonne lui-même, perd de vue sa destinée : il voudrait retomber dans l’oubli éternel. La douleur est l’instrument qui va de nouveau l’arracher au néant.

Rien n’est plus habile que la douleur. Elle rétablira la vie dans la nature humaine précisément par ses deux grands organes.

La volonté se couche-t-elle dans la paresse ? la douleur pèsera sur elle de tout son poids, l’obligeant à soutenir un fardeau que cette fois elle ne peut rejeter. Le cœur se ferme-t-il dans l’orgueil ? la douleur saura le rouvrir jusqu’au fond, et en faire couler des sources abondantes de pleurs.

La douleur martèlera la volonté jusqu’à ce que celle-ci revienne prendre d’elle-même l’exercice de sa loi ; et elle brisera le cœur jusqu’à ce que celui-ci tombe de lui-même dans l’attendrissement que demande l’amour. La douleur courbe l’être, mais en réveillant son énergie de réaction. Il semble que la vie ait besoin de se voir comprimée comme un ressort pour retrouver sa force !

Enfin, la douleur amènera la patience ; or, la patience est le triomphe de la volonté. La douleur amènera le renoncement ; or, le renoncement est le triomphe de l’amour. Par le moyen de la douleur, la liberté et l’amour rentrent en l’homme avec toutes leurs racines, avec toutes leurs branches ; le cœur et la personnalité reprennent leur élan vers la vie absolue. Et celui qui laissait tomber dans le mal le pouvoir de se développer est comme forgé de nouveau sur l’enclume divine ! L’âme, démoralisée, voudrait abdiquer sa loi et sa liberté, renoncer au mérite ; elle voudrait, perdue dans la nuit, se démettre de l’existence même ; et la douleur va la chercher sur les bords du néant pour la ramener au combat de la vie. Le plus ancien écrivain de la terre, Job, l’a dit : Militia est vita hominis super terram. Quel admirable chose que la douleur ! Quel instrument précieux est entré dans le temps !


Auxiliaire de la création après le malheur de la chute, la douleur est le levier de l’amour, le second bras de Dieu.