La Douleur (Blanc de Saint-Bonnet)/Chapitre VII

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CHAPITRE VII




l’homme pleure en venant au monde ; plus tard, il saura pourquoi !

La vie est venue construire et épurer la personnalité. L’homme ne devait pas croître dans le sol trop hâtif des anges. La liberté naît de la lutte ; or, la douleur n’est que l’intensité de la lutte et l’accroissement de l’obstacle. Ne vous le dissimulez plus, toute la vie est disposée pour la douleur.

Descendez dans le cœur, vous trouverez la place faite d’avance. Poursuivre sans cesse un bien, le seul qu’on ne puisse saisir, tel est l’âpre sentier qu’ici-bas tout désir gravit. Sentir au sein des richesses ce qui lui manque, tel est l’oreille où, chaque jour, l’homme opulent s’éveille et s’endort.

Ce qu’on n’a pas, voilà justement ce dont on a besoin ; le reste nous est donné pour émerveiller les sots. Le bien que souhaite constamment l’âme ne viendra pas. Toujours une place reste vide au fond du cœur ; une larme, toujours, tombe dans le vase de l’existence.

Vous possédez un bien, tremblez ! à moins que, d’autre part, vous ne fassiez de grands sacrifices. Mais c’est un bien ! tremblez, vous dis-je, c’est pour cela qu’il vous sera repris. Les biens ne sont pas ici-bas pour que vous les possédiez, mais pour que vous les obteniez.

Cherchez la paix où elle doit être ; dans l’amour, vous ne la trouverez pas. Cherchez la paix où elle ne saurait être, dans la douleur, vous l’y rencontrerez. Eh ! qu’est-ce que l’amour, sinon une douleur ? On ne vit pas sans elle dans l’amour. Le bonheur sème son propre chagrin ; toute joie se brise elle-même.

L’espoir est pour s’évanouir, l’illusion pour disparaître, la jeunesse pour se flétrir. Aimes-tu ? un cœur te sera refusé. Fus-tu aimé ? ceux qui t’aimaient ne sont plus. Tout grand soupir reste ignoré, la vraie larme n’est jamais vue..... le cœur, le cœur est toujours seul.

Du cœur, revenez au dehors ; vous trouverez autour de l’homme une embuscade toute prête. Il marche suivi de quatre Ombres : la Détresse, le Souci, la Nécessité et l’Ennui. Comptez-les, elles forment les points cardinaux de la douleur. Celui qui mange boit la détresse, celui qui gagne prend le souci, celui qui tient saisit l’ennui, celui qui veut se heurte à la nécessité !

Et les quatre fantômes tracent leur ronde autour de lui. L’homme s’échappera-t-il du cercle ? c’est lui qui en porte le centre. Car, selon que la vie lui arrive du matin ou du soir, du sud ou du septentrion, tous partent comme l’ombre que projette son corps !

Les peuples marchent aussi accompagnés de quatre sombres satellites : la Famine, la Peste, la Guerre et la Sujétion. Car, depuis le jour fatal du péché, il n’est pas un des fils d’Adam qui ne porte la marque des fers.

Que la famine, que la peste soient vomies des entrailles de la terre ; mais que la mort sorte furieuse des propres entrailles de l’homme..... Oh ! la guerre ! Et tant de plaines ont été laissées fumantes de carnage que les nuages seraient teints de sang s’ils n’étaient retrempés dans la mer.

Allez, hommes et peuples, roulez avec le globe emporté dans l’espace ; bondissez comme lui sur le chemin des mondes ; parcourez les sentiers mystérieux des choses ; échappez au chaos où dorment les germes des êtres ; traversez les plaines ardentes du travail, celles plus arides de la tristesse et des alarmes ; frayez-vous un passage à travers les déserts de la désolation et les flammes de la douleur ; bravez celles du désespoir, du deuil et de la mort ! Âmes sans nombre, franchissez toutes l’antique nuit par le vol du mérite, dépassez la région des ombres ; ne comptez ni les sueurs ni les larmes, et gravissez jusqu’en haut les parois de l’abîme : êtres libres, remontez le néant !.... Atteignez vous-mêmes le doux rivage de la lumière ; pénétrez dans les champs de l’immortalité : c’est là qu’on vous attend.....


Ne conservons aucun doute sur le travail qui s’accomplit dans le temps. La volonté se pose en s’opposant son obstacle ; sa nature est de croître avec l’effort. Ceux qui ont traversé la vie vous le diront : à chaque pas, la source des joies diminue et le torrent de l’amertume se grossit ; un cœur toujours plus blessé pour porter un fardeau plus lourd !

Cultivez toute la vie une vertu, ce sera celle qu’on y verra sans récompense..... parce qu’elle n’en a plus besoin. L’homme transformera toutes les énergies de son corps en un seul organe, et cet organe sera blessé. Il transformera toutes les tendances de son esprit en une pensée, et cette pensée sera détruite ; tous les désirs de son cœur en un désir, et ce désir lui sera ravi. Comme le peuple romain dans le vœu de Néron, notre âme n’aura qu’une tête pour que le sacrifice la puisse offrir. La mort vient sur le couronnement de la vie.

Pourquoi la jeunesse est-elle comme un ciel toujours présent autour de nous, et la vieillesse comme un néant qui commence ? Ah ! pourquoi tous les dons au commencement, lorsque nous ne méritons pas ; pourquoi l’abandon et les infirmités à la fin, lorsque nous sommes déjà soumis ? Aux yeux de celui qui sait voir, comment pourrait être plus clairement posé le problème ? L’homme entr’ouvre joyeux les portes de la vie ; la jeunesse pourvoit à tout. L’imagination comble l’esprit, des ailes portent la volonté et le cœur. Peu à peu, les encouragements s’éloignent. La poésie, l’espérance, la santé, l’une après l’autre se retirent. Bientôt, l’homme marche seul ; il ne soutient sa vie que par son propre amour.

Une à une se perdent les facultés ; un à un se ferment les yeux de l’espérance, pour que les Cieux invisibles montrent tout à coup leurs étoiles. La Grâce achève ici son œuvre ; à mesure que le monde s’éteint, le cœur de l’homme se réveille. La jeunesse, la joie, l’amitié, la grâce sensible, s’éloignent, n’est-il pas vrai ? À mesure que s’attendrit ton cœur. Être libre, réjouis-toi : Dieu, ému, voit sa tendre graine germer sur un sol aride et désert ! Il suspend sa rosée..... elle germe encore ! elle croît et verdit comme d’elle-même. Dieu est ravi en son amour de ce que l’homme se devra quelque chose de plus !

Ceux qui n’ont point compris ces choses sentiront leur cœur se troubler, et la logique se briser dans leurs mains. La plainte jaillit naturellement du cœur qui considère la vie au point de vue de cette vie. Mettez-vous à la place de l’homme qui prend cette existence pour une existence réelle ! L’immortelle création pourra-t-elle trouver grâce devant lui ?

Souffrir ! Alors la vie, au lieu de s’enivrer du sentiment de l’existence, s’enfoncerait dans la douleur ? Qu’est-ce donc que la substance, si elle ne s’aperçoit d’elle-même que par le sentiment de ses maux ? Si la douleur résultait de l’être, ou si elle avait échappé à la création, il faudrait nier l’Infini. Si la douleur est un mal, la vie est un mal, la substance un effrayant malheur. Mais l’Infini justifie l’existence, et la légitimité de l’existence établit celle de la douleur.

De cette question dépend alors le problème de l’Infini. Si le mal est le mal, il descendrait de Dieu ; si la mort est une mort, elle entacherait la source des choses. Tout serait à contre-sens dans ce monde. Toi, être spirituel, pourquoi es-tu embarrassé d’un corps ? Être libre, pourquoi es-tu contraint d’obéir ? Être immortel, dis-le, pourquoi es-tu condamné à mourir ?

Jeunes, pour vieillir ? être, pour souffrir ? créés, pour mourir ? Mourir ! ce mot n’a point de sens. Finir ? parole stupide, s’écria Gœthe un jour : pourquoi finir ? fini et rien, c’est la même chose. Que signifie la glorieuse création, si ce qui est doit finir ?.....

C’est que ce qui est doit finir pour commencer son immortalité. La volonté ira pliée sous un corps dont chaque jour le poids augmente ; le cœur se verra lié à des êtres qu’à toute heure la mort lui reprend ; l’âme sera plongée dans une vie dont chaque flot est plus amer, marchant ainsi régulièrement jusqu’à la vertu qui contient à la fois l’excellence de la volonté et la beauté du cœur. Le globe même est de tous points conformé pour que l’homme arrive à la patience. Un jour on saura la quantité d’amour et de force que contient la patience. Le temps est un songe où l’homme s’agite jusqu’à ce qu’il y ait pris des forces pour l’Éternité.

Va ! va ! aux ardeurs du soleil, à l’âpreté du froid, dans les malaises du cœur et dans l’épuisement du corps : ce globe est là pour être pétri de tes mains et baigné de tes larmes ! Laboure à la sueur de ton front, et la terre souvent refusera de produire. Tu viendras ramasser le seul épi qu’elle ait donné, et tu en fais à Dieu l’offrande. Tout à coup, il te ravit tes nouveau-nés..... tu les lui tends d’un cœur doux et obéissant. Oh ! tu sens bien alors que le Ciel est pour toi ! L’homme a remonté les épreuves de l’être ; son cœur est entré dans l’amour qui ne se détruit plus. Il est patient et doux, il est prêt à être immortel !

Souffrir..... souffrir..... Il fallait à ce fait une explication aussi profonde que l’Infini.