La Famille de Rubens

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La Famille de Rubens
Revue des Deux Mondes4e période, tome 130 (p. 830-850).
LA FAMILLE DE RUBENS

Sur la pierre tombale du père de Rubens, décédé à Cologne en 1587 et inhumé dans l’église Saint-Pierre de cette ville, on lisait une inscription portant qu’il « avait habité Cologne pendant dix-neuf ans et qu’il avait vécu avec sa femme durant vingt-six années dans une étroite union. » Sauf ce qui concerne la durée de cette union, il faut bien reconnaître qu’il y avait là autant d’inexactitudes que de mots. Le lieu de naissance de Rubens lui-même n’était pas d’ailleurs donné d’une manière plus véridique dans la notice que son propre neveu Philippe avait consacrée à son oncle — probablement d’après des notes laissées par Albert Rubens, le fils aîné du grand peintre — notice à laquelle de Piles emprunta les élémens de la biographie de ce dernier. À en croire les uns et les autres, Rubens serait né à Cologne en 1577. Peu de temps avant la publication de de Piles, dans quelques lignes placées par C. de Bie au-dessous du portrait de l’artiste (1649), la ville d’Anvers était, au contraire, indiquée comme lui ayant donné le jour, et après de Bie, Bellori, qui tenait aussi ses renseignemens de la famille de Rubens, Moreri dans son grand Dictionnaire historique (1674), Sandrart dans son Académie (1675) et Baldinucci dans ses Notizie (1686) disent également Rubens originaire d’Anvers. Ces deux courans d’affirmations contradictoires ont persisté presque jusqu’à nos jours, et avec cette manie de légendes absolument gratuites qui régnait dans la littérature artistique de la première moitié de ce siècle, des écrivains non seulement sont allés jusqu’à spécifier la maison de Cologne où Rubens serait né, mais sans s’arrêter en si beau chemin, d’autres ont imaginé que c’était précisément dans cette maison que Marie de Médicis avait aussi fini ses jours. A leur instigation, une plaque commémorative fut même posée sur cette demeure doublement célèbre, afin de perpétuer le souvenir d’une si merveilleuse coïncidence.

Il n’y a pas lieu d’ailleurs de s’étonner de tant d’informations erronées. A l’origine ces erreurs avaient été propagées par ceux-là mêmes qui se trouvaient le mieux placés pour connaître la vérité. Elles étaient volontaires et les motifs les plus nobles avaient inspiré le mensonge qui, pendant longtemps, devait trouver créance et provoquer parmi les biographes de Rubens de si nombreuses et si ardentes controverses. Pareille à ces grands fleuves dont la source est ignorée, la vie du maître, éclatante et glorieuse dans son cours, restait pleine d’obscurité à ses débuts. Au lieu d’éclairer la question de ses origines, les siens semblaient avoir pris à tâche d’égarer l’opinion.

En 1877, au moment où la ville d’Anvers s’apprêtait à célébrer le trois-centième anniversaire du plus illustre de ses enfans, la polémique engagée à cet égard entre elle et Cologne s’était ranimée de plus belle, quand un modeste bourg de la région rhénane, Siegen, intervint pour réclamer, avec des titres sérieux, un honneur aussi vivement disputé. L’heure était mal choisie pour vérifier ces titres avec l’impartialité qu’il aurait fallu. Les Anversois ne pouvaient se résigner à la pensée que celui dont ils allaient fêter la naissance avec tant de solennité fût né sur une terre étrangère. Si pénible que fût l’hypothèse qui se produisait ainsi, il fallut bien cependant l’examiner après les fêtes, et ce n’est qu’en défendant pied à pied leur terrain que les critiques anversois devaient céder. Aujourd’hui encore, en présence d’argumens qui nous paraissent irréfutables, quelques-uns de ces critiques ne peuvent se résoudre à accepter des conclusions qui, en dehors des Flandres, sont généralement admises.

En réalité, la naissance de Rubens avait été accompagnée de circonstances dramatiques, plus romanesques que toutes les inventions de ses biographes et qui expliquent assez le mystère dont sa famille avait pris soin de l’envelopper. Quel intérêt ses proches avaient-ils à dépister ainsi les recherches, en prodiguant comme à plaisir les renseignemens les plus mensongers ? C’est ce qui ressortira pour nos lecteurs du simple récit des faits, tel qu’il nous paraît se dégager des documens qui peu à peu ont été exhumés des archives. En même temps qu’il nous initie aux mœurs d’une époque singulièrement troublée, cet épisode de la vie des parens de Rubens met sous nos yeux des noms justement célèbres, et il nous apprend à bien connaître la femme héroïque qui fut la mère du grand artiste.

I

En dépit des prétentions nobiliaires affichées par les descendais immédiats de Rubens, sa famille appartenait à la bourgeoisie. Au lieu de ce gentilhomme styrien arrivé en Flandre à la suite de Charles-Quint et qu’ils revendiquaient pour ancêtre, nous ne trouvons parmi leurs ascendans que des tanneurs, des droguistes, toute une lignée de modestes commerçans établis depuis longtemps à Anvers. Tout au plus pourrait-on y relever quelque notaire ou quelque avocat, et c’est probablement l’un de ces derniers qui, suivant l’usage de ce temps, s’était confectionné un blason que plus tard le grand artiste devait, en le modifiant un peu, adopter pour ses armoiries. L’aïeul du peintre, Barthélemi Rubens, était apothicaire, et sa femme, Barbara Arents, devenue veuve, s’était remariée avec un épicier, Jean de Lantemeter, veuf lui-même. Bien que ce dernier eût déjà une fille et que trois autres enfans fussent nés de ce second mariage, il avait témoigné à son beau-fils, Jean Rubens, la plus grande sollicitude et lui avait fait donner une éducation très soignée. Celui-ci, né à Anvers le 13 mars 1530, avait d’abord été élève à l’Université de Louvain ; puis il avait complété ses études de droit à Padoue et à Rome, où il recevait, le 13 novembre 1554, le diplôme de docteur in utroque jure. Le jeune homme s’était montré plein de reconnaissance envers son beau-père et il ne cessa pas d’avoir pour lui la plus grande affection. De retour à Anvers, Jean Rubens y avait obtenu en 1562, la dignité d’échevin qu’il exerça pendant cinq ans. Vers 1561, il épousait une jeune fille nommée Maria Pypelincx, d’une famille originaire du village de Curingen, dans la Campine ; le père de celle-ci, d’abord tapissier, puis marchand, s’était fixé à Anvers et jouissait d’une modeste aisance.

Il semble que dès lors la vie de Jean Rubens dût s’écouler paisible et honorée parmi ses concitoyens ; mais à cette époque les existences qui semblaient le mieux assises étaient exposées aux disgrâces les plus imprévues. Vers ce moment, en effet, la ville d’Anvers allait traverser une période de cruelles et sanglantes dissensions. Jusque-là, sous le régime de la liberté commerciale et religieuse la plus absolue, elle était progressivement parvenue au comble de la prospérité. Son port était l’entrepôt du commerce de toute l’Europe septentrionale ; chaque nation y entretenait des comptoirs ; et les relations établies entre les divers élémens d’une population si mélangée avaient naturellement amené une tolérance mutuelle. Malgré les prescriptions émanées de la cour d’Espagne, la Réforme y comptait de bonne heure de nombreux prosélytes ; cependant ils avaient pu y vivre sans être trop inquiétés, grâce à la complaisance secrète des magistrats qui éludaient l’exécution des peines sévères édictées contre l’hérésie. Jean Rubens ne laissait pas d’être porté lui-même vers les nouvelles doctrines, mais il évitait de se compromettre trop ouvertement. En sa qualité d’échevin, il avait même été plus d’une fois chargé par les gouvernans d’instruire des affaires relatives à l’orthodoxie de certaines personnes qui paraissaient suspectes. C’est ainsi, notamment, qu’au mois de juillet 1564, il avait eu à interroger les luthériens Christophe Fabricius, qui devait payer de la vie ses opinions religieuses, et Olivier Bockius, impliqué avec lui dans cette poursuite. Epoque étrange, où le magistrat auquel était confiée l’instruction d’une pareille affaire se sentait lui-même suspect et passait pour l’un des chefs du parti calviniste ! Peu à peu, des deux côtés, la lutte était devenue de plus en plus vive ; des mémoires, des controverses et des pamphlets d’une violence extrême étaient échangés. Sentant l’intérêt qu’il y aurait pour eux à gagner à leurs idées un centre aussi important qu’Anvers, des ministres protestans étaient venus s’y installer d’Allemagne, de Suisse et de Hollande, et ils trouvaient en face d’eux des adversaires non moins résolus, parmi lesquels on remarquait au premier rang les membres du clergé régulier, entre autres le théologal de la cathédrale, Sébastien Baerts, et des étrangers accourus pour les assister comme le jésuite Classonius et le Français Jean Porthaise, archiprêtre de l’église de Poitiers.

Surveillé de près, signalé même comme « le plus docte calviniste », Rubens essayait de louvoyer ; mais à la fois très ardent et pas très brave, il se voyait souvent obligé, pour ne pas trop se compromettre, d’effacer l’effet de ses imprudences par ces capitulations de conscience auxquelles étaient alors exposés les esprits flottans et ballottés, comme le sien, entre les partis extrêmes. Cependant à la suite de la Destruction des Images (1566), s’avançant un peu plus qu’il n’aurait souhaité, il avait consenti, sur la requête du prince d’Orange, à servir d’intermédiaire entre le Magistrat et les réformés, et il avait même été préposé, avec d’autres de ses confrères, à la garde des portes de la ville.

De terribles représailles allaient bientôt suivre. Marguerite de Parme, nommée gouvernante des Pays-Bas, demandait, le 2 août 1567, au Magistrat une explication sur la conduite de ses membres pendant les troubles. Ceux-ci ayant tardé à répondre furent sommés de nouveau d’avoir à consigner dans un mémoire tout ce qu’ils pourraient alléguer pour leur justification. Ainsi mis en demeure, les bourgmestres et les échevins s’occupèrent de la rédaction de ce mémoire, qui fut remis, le 8 janvier 1568, à la cour de Bruxelles. Dans cet écrit très volumineux, auquel Jean Rubens avait collaboré, ils s’appliquaient de leur mieux à s’excuser et à montrer les efforts qu’ils avaient faits pour s’opposer à la propagation de l’hérésie. Mais, de son côté, le duc d’Albe, ajoutant ses cruautés propres à l’exécution des ordres qu’il avait reçus de la Couronne, inaugurait, par la création du Tribunal de Sang, une ère d’épouvantables persécutions. Il répondait au soulèvement des provinces du Nord, confédérées pour défendre leur indépendance, par la décapitation des comtes d’Egmont et de Hoorn sur la grande place de Bruxelles, le 5 juin 1568, et le 20 septembre suivant il faisait exécuter à Vilvorde le bourgmestre d’Anvers, Antoine van Straalen.

Un libelle qui circulait à ce moment accusait plusieurs autres magistrats d’avoir pactisé avec les révoltés. Jean Rubens y était spécialement dénoncé. Averti par plusieurs de ses amis bien placés pour être exactement renseignés, il prit le parti de quitter sans bruit le pays vers la fin de 1568. Il n’était que temps, car bientôt après, sur une liste de proscription dressée par le duc d’Albe, il figurait « comme s’étant déjà retiré à Cologne avec sa femme, ses enfans et toute sa maison. » En homme avisé, tout en protestant de son orthodoxie, Rubens s’était fait délivrer, par ses collègues du Magistrat d’Anvers, un certificat constatant « que dans l’exercice de ses fonctions d’échevin, il s’était toujours conduit de la façon la plus honorable et qu’il avait droit à un bon accueil partout où il se présenterait. » Muni de cette attestation, il se rendait à Cologne et il adressait à la municipalité ; de cette ville une requête afin d’être autorisé à s’y établir pour suivre des procès pendans et diverses affaires personnelles, ajoutant qu’il « avait quitté son pays, où il s’était toujours comporté avec honneur, non comme banni et fugitif, sans qu’on puisse le suspecter d’aucun acte illicite ou malhonnête. »

Entre toutes les villes qui recueillaient alors les réfugiés des Pays-Bas, Cologne était une de celles qui devaient en attirer le plus grand nombre. Son importance, la tranquillité dont on y jouissait, les ressources qu’elle pouvait offrir à Rubens pour l’éducation de ses jeunes enfans et pour l’exercice de sa profession avaient fixé son choix. Il fit donc venir d’Anvers son mobilier et s’installa dans une grande maison de la Weinstrasse, située entre cour et jardin. Mais si, en s’expatriant, il avait pu se dérober à la prison ou aux supplices, sa position ne restait pas moins assez difficile. Les biens des émigrés ayant été mis sous séquestre, il lui fallait, dans ce milieu nouveau, gagner de quoi subvenir à l’entretien de sa famille, sans qu’il trouvât beaucoup d’occasions d’utiliser son savoir. D’autre part, le Magistrat de Cologne n’était pas sans s’inquiéter de cette masse d’étrangers qui, de tous côtés, affluaient dans la ville et pouvaient, par leurs menées, lui créer des difficultés avec les États voisins : aussi les faisait-il surveiller d’assez près. Au bout de quelque temps Jean Rubens, signalé comme suspect parce qu’il ne fréquentait pas les églises, avait été obligé, à diverses reprises, de se disculper et de justifier de la régularité de sa conduite et de la droiture de ses intentions. Cependant une occasion s’offrit bientôt à lui de tirer parti de sa science juridique ; mais elle devait être pour lui et pour les siens la cause d’une suite incalculable de tristesses et de misères.

À ce moment vivait aussi à Cologne Anne de Saxe, la seconde femme du célèbre prince d’Orange, Guillaume le Taciturne. Un portrait du temps, gravé sans nom d’auteur, nous la représente avec son visage assez disgracieux et peu avenant, le nez écrasé, le front haut et bombé, le regard étrange, la bouche aux coins relevés. Son costume, riche et compliqué, indique plus de recherche que de goût[1]. Le mariage d’Anne de Saxe et de Guillaume n’avait pas été des plus heureux, et dans cette union mal assortie les torts des deux époux étaient réciproques. Le prince était loin de passer pour un modèle de vertu conjugale ; sa femme, de son côté, à la fois passionnée et légère, n’avait pas plus le sentiment de ses devoirs que de sa dignité. Elle s’était rendue insupportable à son mari en lui reprochant avec violence ses infidélités. Après les premiers revers subis dans la lutte ouverte contre les Espagnols, Guillaume avait instamment prié sa femme de venir le rejoindre dans le comté de Nassau, au château de Dillenburg, berceau de sa famille et où il était né lui-même. C’est dans cette forteresse, mise par ses ancêtres à l’abri d’un coup de main, qu’il aimait à se retirer pour prendre quelque repos ou pour se préparer à de nouvelles campagnes. Il aurait voulu décider Anne à l’accompagner dans les camps, afin de le soutenir par sa présence ; mais, après huit mois d’attente, la princesse avait répondu par un refus, disant qu’elle ne se sentait pas le courage d’affronter une semblable existence. Installée à Cologne, elle y poursuivait la levée du séquestre mis par le duc d’Albe aussi bien sur les propriétés affectées à la garantie de son douaire que sur celles de son mari. Elle avait été ainsi amenée à charger de la défense de ses intérêts deux juristes, réfugiés comme elle à Cologne, et qui lui servaient de conseils : Jean Rubens et un autre docteur en droit, Jean Bets de Malines, qui, compromis par ses opinions religieuses, avait dû également s’expatrier. Bets s’étant absenté pour aller soutenir auprès des cours étrangères la cause qui lui était confiée, Rubens était resté seul avec la princesse, et, à la suite d’une intimité croissante, des relations criminelles s’étaient nouées entre eux. Il était souvent le commensal d’Anne de Saxe et l’accompagnait dans ses voyages. En 1570, celle-ci trouvant qu’elle n’était plus en état de soutenir à Cologne le train qu’elle y menait, se retirait dans la petite ville de Siegen, qui faisait partie des domaines du comte Jean de Nassau, frère du Taciturne. C’est à Rubens el à sa femme qu’elle confiait la garde de ses deux enfans et des serviteurs attachés à leur personne.

Sous prétexte de consulter le docteur sur ses affaires, elle cherchait à l’attirer souvent à Siegen, et celui-ci lui faisait d’assez fréquentes visites dans sa nouvelle résidence. Avec le temps, tous deux s’étaient sans doute enhardis, comptant sur l’impunité. Mais peu à peu le mystère s’était découvert et le bruit de leurs relations était arrivé jusqu’aux oreilles du comte Jean. Un jour du commencement de mars 1571, comme Rubens se rendait de nouveau à Siegen pour y voir la princesse, le comte le lit enlever par ses trabans et incarcérer d’abord dans cette ville, puis au château de Dillenburg, en attendant qu’il fût statué sur son sort, car dans les lois allemandes de cette époque l’adultère était puni de la peine capitale. On avait également mis la main sur Anne de Saxe qui, interrogée sur les relations existant entre elle et Rubens, commençait par les nier résolument. Mais il est probable que des lettres interceptées avaient fourni une preuve suffisante de sa faute, et il eût été d’ailleurs difficile de la nier bien longtemps, l’épouse coupable étant enceinte d’une fille dont elle accouchait au mois d’août suivant. La torture finit, du reste, par arracher à son complice des aveux complets. Plus tard même, celui-ci, s’efforçant assez piteusement de se disculper, rejetait sur Anne le tort d’avoir fait les premières avances : « Je n’aurais jamais eu, ajoutait-il, l’audace de m’approcher d’elle si j’avais pu craindre d’être éconduit. » Mais sur l’heure, croyant sa fin prochaine, à plusieurs reprises il demandait la mort et « sans qu’on le fit trop languir. » La princesse, voyant qu’il était inutile de persister dans ses dénégations, se décidait alors à tout avouer (25 mars 1571), avec l’espoir qu’on laisserait Rubens retourner près de sa femme et de ses enfans, car elle confessait que « sa conscience n’était pas médiocrement chargée d’avoir donné à cette malheureuse épouse si mauvaise récompense pour tous les services qu’elle lui avait rendus. »

II

Le secret avait été bien gardé, et l’on conçoit les inquiétudes de Marie Pypelincx, qui non seulement ne voyait pas revenir son mari, mais demeurait sans nouvelles de lui pendant trois semaines. Après avoir écrit plusieurs fois à la princesse, étonnée de ne pas recevoir de réponse, elle se décidait à envoyer deux messagers pour essayer d’apprendre la vérité. Tout à coup, le 1er avril, arrivait enfin une lettre dans laquelle le prisonnier lui annonçait à la fois sa faute et son arrestation, et, dans les termes les plus humbles, lui demandait pardon de tous ses torts envers elle. Il n’est que trop facile de comprendre l’émotion de la malheureuse épouse qui, avec l’écroulement de son bonheur, pressentait déjà le triste avenir qui l’attendait, elle et les siens. Mais refoulant dans son cœur les sentimens que devait éveiller en elle la double trahison dont elle était victime, elle ne voulut songer qu’à la situation lamentable de son mari et aux dangers qui le menaçaient. Sa résolution est aussitôt prise. Avec toute l’abnégation et toute l’énergie dont elle est capable, elle se dévouera pour l’arracher à la mort, pour le défendre contre le ressentiment de ceux qui le tiennent entre leurs mains. Afin qu’il ne s’abandonne pas lui-même, elle commence par le réconforter ; elle lui accorde son pardon absolu et, avec une générosité admirable, elle ne veut même plus qu’il parle de ses torts.

Le sentiment qui l’inspire est si élevé, les termes qu’elle emploie sont si touchans et d’une charité si parfaitement chrétienne que nous ne saurions mieux faire que de lui laisser à elle-même la parole. « Comment pourrais-je, dit-elle, pousser la rigueur au point de vous affliger encore quand vous êtes dans de si grandes peines que je donnerais ma vie pour vous en tirer ? Lors même qu’une longue affection n’aurait pas précédé ces malheurs, devrais-je vous montrer tant de haine que je ne puisse vous pardonner une faute envers moi, faute petite en comparaison des erreurs où je tombe tous les jours et qui me font implorer la clémence céleste avec cette condition : pardonnez-moi mes offenses comme je pardonne à ceux qui m’ont offensée ! Soyez donc assuré que je vous ai complètement pardonné ; et plut au ciel que votre délivrance fut à ce prix, elle viendrait nous rendre le bonheur. Hélas ! ce n’est pas ce qu’annonce votre lettre. A peine pouvais-je la lire tant il me semblait que mon cœur allait se briser ! Je suis tellement troublée que je ne sais ce que j’écris. S’il n’y a plus de pitié en ce monde, à qui irai-je m’adresser ? J’implorerai le ciel avec des larmes et des gémissemens infinis et j’espère que Dieu m’exaucera en touchant le cœur de ces Messieurs, afin qu’ils nous épargnent et qu’ils aient compassion de nous ; autrement, ils me tueront en même temps que vous. Je crois que si ces bons seigneurs voyaient mes larmes, quand ils seraient de pierre, ils auraient pitié de moi ; aussi, lorsqu’il ne me restera plus d’autre moyen, j’emploierai celui-là, quoique vous m’écriviez de n’y point recourir. » Et pour que désormais le coupable ne revienne plus sur un sujet qui doit lui coûter, elle ajoute en finissant : « N’écrivez plus : votre indigne mari, car tout est oublié[2]. »

On aurait pu croire que, tenant en son pouvoir l’auteur de l’affront qui lui avait été fait, la famille de Nassau chercherait à s’en débarrasserait plus vite. Mais une politique plus avisée lui commandait de ne pas céder à ce désir de vengeance. Guillaume de Nassau, par sa propre conduite, avait donné prise à la critique, et comme au moment où il allait de nouveau recommencer la lutte contre les Espagnols il avait besoin de toute son autorité, il sentait le fâcheux effet que produirait la divulgation d’un scandale que ses ennemis ne manqueraient pas d’exploiter contre lui. D’accord avec ses frères, les comtes Jean, Louis et Henri, il résolut de faire le silence sur les événemens qui venaient de se passer et, en laissant la vie à celui qui l’avait offensé, de représenter son emprisonnement comme motivé par ses menées politiques. La menace faite par Maria Pypelincx de divulguer le secret si on ne respectait pas la vie de son mari contribua donc à le sauver. Mais ce résultat étant acquis, elle devait maintenant travailler à rendre moins dure son incarcération, en attendant qu’elle pût obtenir sa mise en liberté. Afin de ne pas indisposer contre elle la famille de Nassau, elle prit l’engagement de ne confier à aucun des siens ce secret qui l’oppressait. Elle était donc condamnée à montrer au dehors un visage tranquille, et dans ses entretiens avec ses proches ou dans les lettres qu’elle leur adressait, elle affectait la confiance certaine que son mari lui serait bientôt rendu. Au lieu d’alarmer ses parens, qui, malgré toutes les précautions prises, n’étaient pas sans soupçonner qu’il y eût sous roche quelque grave affaire, elle s’appliquait à les rassurer. « C’est un effort de tous les instans, écrit-elle au prisonnier, de paraître gaie avec la mort dans l’âme ; mais je fais le possible. » Dans sa détresse, elle cherche de tous côtés quel secours elle peut invoquer. Elle s’adresse à la princesse Juliane, la mère des Nassau, tâchant de faire naître dans son cœur quelque pitié pour elle. Elle fait plus encore, et sans s’arrêter aux répugnances qu’il lui faut vaincre, elle se résout à la démarche qui devait le plus lui coûter. Les enfans d’Anne de Saxe lui avaient été repris ; mais celle-ci lui avait encore laissé en dépôt ses bijoux, ses sceaux, sa correspondance ; elle s’adresse franchement à elle pour la prier d’intercéder en sa faveur près du comte Jean de Nassau, auquel était remise la garde de Jean Rubens, le château de Dillenburg se trouvant sur son domaine. Elle charge également un sien cousin, Rémond Ringolt, qui lui a témoigné une grande bonté dans son malheur, de remettre au comte une supplique « écrite sans art ni habileté », où elle s’efforçait de l’apitoyer sur sa situation.

Cependant les jours se passent et l’espoir qu’au début on lui avait laissé concevoir d’une prompte libération ne se réalise pas. Sans se rebuter, pensant qu’elle pourra elle-même plaider sa cause d’une manière plus efficace, elle se rend alors à Siegen, et par un billet adressé au comte Jean, le 24 avril, elle lui demande une audience. Mais il n’est pas davantage fait droit à sa demande. Désolée, car depuis trois semaines elle était sans nouvelles de son mari, craignant qu’il soit malade ou qu’on le traite avec plus de rigueur, elle se décide à partir pour Dillenburg, A peine arrivée, elle sollicite la grâce de voir le prisonnier et de lui parler. Celui-ci, informé de la venue de sa femme, joint ses prières aux siennes, faisant observer respectueusement au comte « qu’un exemple tant rare, l’ayant si grièvement offensée, mérite bien un peu de pitié. » Dans une autre lettre il revient à la charge. « J’ay mérité tous mes maux, dit-il, mais elle est innocente ; » et il supplie qu’elle puisse l’entretenir un moment, ne serait-ce que l’espace d’une minute et en présence de tel qu’il plairait au comte de désigner, afin qu’elle sache « ce qu’elle doit répondre à ceux qui tâchent à savoir la cause de la détention. Et s’il est encore impossible de lui accorder cette grâce, que pour le moins elle puisse venir par dehors les murailles et qu’il la puisse voir par la petite fenêtre. » Le comte resta sourd aux supplications des deux époux et, sur son ordre, Rubens dut même écrire à sa femme de ne pas insister davantage, cette insistance devenant importune et sa présence pouvant prêter à de fâcheux commentaires. Il fallut bien se résigner et retourner à Cologne pour y reprendre une vie misérable et désolée.

Les deux époux n’avaient d’autre ressource pour communiquer entre eux qu’une correspondance soumise, bien entendu, à l’examen du comte de Nassau. Quelques-unes des lettres qu’ils échangeaient ainsi nous ont été conservées. Le ton de tristesse qui y règne n’est que trop naturel ; mais tous deux cherchaient dans les livres saints les seules consolations qu’ils pussent s’offrir pour supporter l’épreuve commune. C’est ainsi que Jean Rubens recommande à sa femme la lecture des proches de Luther, notamment de ceux qui ont trait à l’évangile de saint Jean. Celle-ci, de son côté, lui signale les psaumes qui lui paraissent le mieux s’appliquer à leur malheureux sort.

Près de deux années se passèrent ainsi sans amener grand changement dans une situation qui, seulement vers l’automne de 1572, prit enfin meilleure tournure. C’est probablement à l’instigation du docteur Schwartz, conseiller du comte Jean, chargé spécialement de cette affaire, que, sur les instances réitérées de Maria Pypelincx, on commença à traiter de la libération du captif et des conditions auxquelles elle pourrait être obtenue. Au mois d’octobre tous les mandataires des princes d’Orange se trouvaient réunis à cet effet au château de Beilstein où, après son accouchement à Dietz, Anne de Saxe avait été transférée. C’est là que, pour la première fois depuis son arrestation, Maria Pypelincx put voir son mari qui lui parut très changé d’aspect, souffrant et prématurément vieilli. Mais l’espoir de sa prochaine délivrance adoucissait un peu le chagrin qu’elle éprouvait à le retrouver en cet état. Il fallut cependant attendre encore jusqu’au mois de mai de l’année suivante pour la conclusion des pourparlers engagés à cet effet. Le 9 de ce mois, Jean Rubens, après avoir renouvelé « l’aveu de son crime, hélas ! d’adultère commis au corps de Madame la princesse d’Orange », atteste que c’est sur les instances réitérées de sa femme et de lui-même qu’un accord a pu être conclu. Cet accord porte en substance que moyennant une caution de 6 000 thalers fournie par sa femme et dont les intérêts à cinq pour cent seront payés à celle-ci, le prisonnier sortira de son cachot pour être interné à Siegen. Non seulement il ne pourra quitter cette ville, mais il n’aura pas même « la liberté, à moins d’une permission spéciale du commis des princes, de pouvoir assister aux saintes assemblées de l’église, ou promener quelquefois aux champs pour sa santé, étant rempli de mauvaises humeurs que le sentiment de son péché, sa longue estroite prison et mélancolie lui ont causées. » Il sera d’ailleurs tenu de se présenter à première réquisition devant le prince et de se constituer son prisonnier dès que celui-ci le lui enjoindrait. En cas de mort ou de captivité nouvelle de Rubens, si les conditions consenties par lui ont été respectées, la caution versée par sa femme lui sera restituée dans un délai déterminé.

Dès le lendemain, Maria Pypelincx souscrit le contrat et s’engage sur l’honneur à s’y conformer. Elle se rend aussitôt à Cologne afin de réunir la somme stipulée, somme très considérable pour l’époque, et de s’occuper en même temps des préparatifs d’installation avec ses enfans et son mari dans une maison qu’elle se propose de louer à Siegen et qui appartient au bailli de Dietz. Rubens écrit plusieurs fois à ce sujet au comte Jean pour obtenir au plus tôt la réponse de ce bailli, car en attendant, sa femme est obligée de demeurer à l’auberge dans des conditions très onéreuses. Elle voudrait aussi pouvoir caser son petit mobilier et profiter du printemps pour semer quelques plantes destinées à leur nourriture, ainsi qu’elle a déjà fait « dans une pièce de champ qu’elle a louée près des murailles, pour y ensemencer toutes sortes de bonnes herbes qu’elle a fait venir des Pays-Bas. » Au cas où cette maison, située à l’écart et peu en vue, ne serait pas disponible, il prie le comte de leur en indiquer quelque autre dans un quartier à sa convenance, « où il pourrait bientôt tenir compaignie à sa femme, soulager sa solitude, enseigner ses enfans, être avec ses livres et passer ce mois de mai, qu’y est propre, à se faire guérir des grandes indispositions que la mélancolie de 26 mois lui a engendrées. » Le jour de la Pentecôte étant proche, il espère que le comte « voudra bénignement luy faire entendre son bon plaisir et le pleinement consoler pour ce temps que les chrétiens célèbrent la mémoire du vray consolateur, le Saint Esprit. »

Sa requête fut exaucée, et le 10 mai, de bon matin, Jean Rubens partit à cheval de Dillenburg pour être enfin, en ce jour de Pentecôte, réuni à l’épouse dévouée qui, par ses infatigables démarches, avait obtenu sa liberté. Ce que fut pour elle ce moment depuis si longtemps attendu, il est facile de le penser, et avec la noble simplicité de son langage elle aurait dû, en quelques mots partis du cœur, exprimer les sentimens dont son âme était remplie. Malheureusement c’est son mari qui tient la plume dans la lettre de remerciemens qu’il adresse au comte ce jour même. La première phrase, que nous transcrivons ici sera plus que suffisante pour en indiquer le ton : « Très Illustres Seigneurs, il est impossible que je puisse assez remercier Vos Excellences et Seigneuries pour la très grande et rare grâce que je reçoys par votre pitié et clémence, n’étant nulle de toutes les espèces d’actions de grâces dont l’homme se peut envers les hommes valoir, relevante et recevable en mon endroit ; car tant s’en faut-il que par paroles agencées et éloquence humaine l’on y puisse donner lustre, que même mon cœur ne peut comprendre le moyen par lequel la dévotion qu’il a pour le témoigner soit connu et (pour n’avoir des fenêtres par lesquelles le désir qu’il a pour s’y acquitter peut être vu) ce subside manque aussi… » Et la lettre continue, soutenant jusqu’au bout les promesses d’un tel début, dans ce galimatias qui rappelle un peu trop les complimens amphigouriques mis par Molière sur les lèvres de Thomas Diafoirus. Ni la captivité, ni les souffrances n’avaient pu, on le voit, affranchir le docteur de cette recherche du bel esprit et de ce tour subtil des « paroles agencées » qui sévissait alors, il faut le reconnaître, parmi les lettrés, en France aussi bien que dans les Pays-Bas. Combien avec son sens si net et sa sensibilité si vraie, le langage sans artifice de Maria Pypelincx eût été moins laborieux et plus éloquent !


III

La vie commune avait recommencé, humble et cachée comme il convenait à la situation du ménage et à l’obligation où il était de ne pas attirer sur lui l’attention. Jean Rubens s’était fait envoyer ses livres de droit ; il surveillait l’éducation de ses enfans et cherchait à s’occuper de son mieux. Mais, avec l’existence forcément solitaire à laquelle il était condamné, il ne fallait pas compter que son travail pût aider à l’entretien de la petite famille. Dans les premiers momens il n’avait pas trop senti la contrainte de la quasi réclusion dans laquelle il s’était lui-même engagé à vivre. Au prix des misères passées, cette demi-liberté était un bienfait. Comme sa femme, du reste, il était souvent obsédé par l’idée que ses jours étaient menacés et qu’on voulait lui tendre quelque piège pour l’enlever. Des avis, venus de Cologne ou de Heidelberg et que le comte leur avait communiqués, les entretenaient dans cette crainte. Peu à peu, cependant, ils avaient repris confiance, et comme cette vie claquemurée, sans offrir pour lui plus de sécurité, était contraire à sa santé, Rubens sollicitait, au mois d’août 1573, la grâce de se promener quelquefois hors de la ville en compagnie du précepteur des enfans du comte, maître Adrien Dammant, avec lequel il pouvait du moins s’entretenir des sujets qui l’intéressaient. Mais c’étaient là des bonnes fortunes bien rares et qui allaient bientôt exciter les soupçons.

Le 27 avril 1574, une joie en même temps qu’une charge nouvelle étaient survenues aux deux époux. Un fils leur était né qui fut nommé Philippe et qui, pendant sa trop courte vie, devait toujours rester le frère bien-aimé de Pierre-Paul, le grand artiste. La même année, sous la menace d’une épidémie qui régnait aux environs, Jean Rubens, inquiet pour sa famille, adressait au comte une nouvelle supplique (26 septembre), afin de pouvoir, en cas de nécessité, se réfugier avec les siens à Cologne, où une partie de la maison occupée par leur cousin Rémond serait à leur disposition. Ils y vivraient secrètement, en ménage, sans sortir, toujours prêts d’ailleurs, dès la première sommation, à revenir dans leur domicile de Siegen qui conserverait leur mobilier. Nous ignorons quelle réponse fut faite à cette requête ; mais il est peu probable qu’elle ait été favorablement accueillie, car on voyait avec défiance ces tentatives faites par l’interné pour élargir un peu le cercle où il était enserré. Les archives nous laissent ensuite sans nouvelles de la petite famille jusque vers la fin de 1575. A partir de celle date, les documens qui la concernent nous la montrent exposée à des dénonciations et des tourmens continuels dont le détail assez monotone n’offrirait pas grand intérêt à nos lecteurs. Mais ces inquiétudes et ces amertumes incessamment renouvelées ne font que plus vivement ressortir le courage et le dévouement opiniâtre de Maria Pypelincx. Au milieu des épreuves les plus cruelles, elle ne perd ni le sentiment de sa dignité, ni l’espoir. Forte de sa seule faiblesse et de son amour, elle résiste de son mieux à des ennemis tout-puissans. Dans ses lettres où l’on retrouve toujours le même sens pratique et le même tact, on est étonné parfois de rencontrer des digressions imprévues, semées de citations littéraires laborieusement amenées ou de textes juridiques qui contrastent avec la simplicité habituelle de celle qui tient la plume. C’est évidemment maître Rubens qui lui souffle ces belles choses que, par déférence pour lui, elle écrit sous sa dictée et, comme le dit M. Bakhuyzen[3], « le bout du bonnet doctoral perce à travers les élans sincères de son amour conjugal. » Quant aux Nassau, il faut bien convenir que les vexations incessantes auxquelles ils se livrent à l’égard de ce ménage exposé à leurs coups, ne les font point paraître sous un jour bien honorable. On comprend, au lendemain de l’injure qui leur a été faite, le souvenir cuisant qu’ils en gardent et le désir de vengeance qui les anime. Mais avec le temps, ces dispositions font place à des sentimens moins naturels et moins avouables. Leur trésor s’épuisait et, de plus en plus, leur gêne était grande, les frais de la guerre absorbant, et au-delà, toutes leurs ressources. Ils avaient vendu les objets précieux qu’ils possédaient, converti en monnaie leur vaisselle et engagé une grande partie de leurs domaines[4]. Pour faire face à ces embarras financiers, ils en étaient venus à exploiter la situation des Rubens et à tirer d’eux le plus d’argent possible. Réels ou imaginaires, les griefs qu’ils invoquent contre eux se traduisent à chaque instant par de nouvelles exigences pécuniaires. La crainte seule de pousser à une ruine complète ces pauvres gens qu’ils tiennent comme dans un étau, les arrête ; ils ne les ménagent que par intérêt personnel et n’échelonnent les réquisitions que pour leur laisser la possibilité d’y satisfaire. A l’insu de sa femme, le docteur leur fait concessions sur concessions. Il donne quittance de sommes qu’il n’a pas reçues et qu’on simule avoir remboursées sur la caution. Aussi les intérêts qui lui sont versés diminuent peu à peu et ils ne sont d’ailleurs que très irrégulièrement payés. Tant qu’elle le peut, la mère de Maria lui vient en aide ; mais ses biens étant confisqués ou pillés, elle est elle-même réduite à la misère. Sachant sa fille de nouveau enceinte, elle accourt à Siegen pour l’assister, et c’est là, dans le dénuement et l’incertitude du lendemain, que le 28 juin 1577 vient au monde l’enfant qui allait assurer au nom de Rubens, alors voué aux humiliations et à l’obscurité, la célébrité la plus haute. A raison de la fête des deux saints dont la solennité tombait le lendemain, il recevait au baptême les prénoms de Pierre-Paul ; mais sa naissance ne devait pas laisser plus de traces que celle de son frère Philippe, et ce silence volontaire fait autour de son berceau se rattachait, nous le verrons, à un ensemble de précautions destinées à laisser dans l’oubli tous les commencemens de cette glorieuse existence.

Peu de temps après, en 1578, sur les pressantes requêtes du ménage et moyennant de nouveaux sacrifices consentis par lui, Rubens obtenait l’autorisation d’aller s’établir avec ses enfans à Cologne. En dépit de la gêne extrême où elle se trouvait, la famille traversa alors une période de tranquillité relative. Le docteur arrivait peu à peu à utiliser son savoir comme juriste. Des personnes riches le consultaient, lui confiaient la conduite de leurs affaires ou de procès importans dans lesquels elles étaient engagées. Maria, on le pense bien, ne restait pas inactive. Outre les soins du ménage et des enfans, elle avait pris chez elle quelques pensionnaires ; et des dames charitables, touchées de l’ardeur avec laquelle elle se dévouait à sa tâche, lui avaient fait des avances pour monter un petit commerce. Les étrangers, les indifférens eux-mêmes témoignaient une sympathie croissante à cette femme courageuse qui, au prix d’efforts si méritans, cherchait à mener une existence honorable. Mais, dans cette vie au jour le jour, les deux époux parvenaient à grand’peine à se tirer d’affaire et même dans les meilleurs momens, il leur eût été difficile de réunir une centaine de thalers. Cependant l’estime qu’ils inspiraient était telle qu’un brave garçon venait de se fiancer à leur fille aînée, Blandine.

Ce bonheur, si précaire et si chèrement acquis, allait s’écrouler tout à coup, sur l’ordre très imprévu qui, au mois de septembre 1582, était signifié à Rubens d’avoir à quitter Cologne pour revenir au plus vite à Siegen. Qu’avait-il fait pour s’attirer cette nouvelle disgrâce ? Quelles dénonciations ou quels torts personnels l’avaient une fois de plus rendu suspect ? On l’ignore, mais ce coup laissa les deux époux atterrés ; la mesure était comble. Après plusieurs réclamations de son mari restées sans réponse, Maria, avec un sentiment de révolte bien naturel chez cette âme loyale, proteste contre la brutalité d’une mesure aussi odieuse qu’inattendue. Dans une lettre écrite au comte de Nassau le 10 octobre 1582, en regard de la patience et de la réserve dont ils ont tous deux donné tant de preuves, elle oppose toutes les tracasseries qu’ils ont subies, tous les retards, toutes les difficultés apportées au paiement des intérêts stipulés, alors que ces modiques sommes leur étaient si nécessaires. Puis, sentant bien qu’au fond il s’agit encore de leur soutirer quelque argent, elle aborde, non sans quelque habileté, ce point délicat.

Si l’on est décidé à passer outre, elle réclamera la caution qu’elle a versée. On ne peut garder son mari prisonnier et conserver en même temps l’argent destiné à lui servir de rançon. Il n’est plus besoin de caution si on le retient, et ce sont là, d’ailleurs, les conditions expresses des engagemens consentis. Ce n’est qu’à regret qu’elle parle ainsi, et elle prie instamment Sa Seigneurie de ne pas lui en vouloir à ce propos ; mais elle ne saurait perdre tout à la fois, par sa négligence, son mari, son honneur et ses biens. Elle supplie le comte de peser équitablement ses raisons et d’en user envers eux avec sa bonté ordinaire. Maintenant que le temps a pansé toutes les blessures et qu’une expiation légitime a dû amener l’oubli, il convient de les épargner. Qu’on relève donc son mari de l’obligation de revenir ; pour l’honneur même et l’intérêt des enfans princiers, il ne serait certainement pas convenable de rouvrir la bouche aux gens. « Aujourd’hui, ajoute-t-elle en terminant, il n’est plus tolérable qu’après tant de misères et de mortelles angoisses, sur le déclin de nos jours, alors que nos enfans ont grandi et que nous commençons à respirer un peu, on nous accable de nouveau sans que nous ayons failli ou donné le moindre prétexte de mécontentement. »

Le ton si net et si ferme de cette lettre, la valeur des argumens qu’elle contient, les cris de lassitude et de douleur qui çà et là y éclatent ne laissèrent pas de produire quelque effet sur l’esprit des Nassau. Dès le milieu d’octobre, grâce à l’entremise du comte Jean, un sursis était accordé à Rubens, et on l’informait qu’on lui ferait connaître en temps utile la décision prise à son égard. Celui-ci, sentant que sa femme avait frappé juste, change subitement d’attitude et de langage. Autant, au début, il avait été humble et coulant, autant il affecte de résolution et d’intrépidité. Il ne songe plus à se dérober à la sommation qui lui a été faite ; il demande même à comparaître à bref délai ; mais il est bien entendu que, s’il est retenu prisonnier, on devra rembourser à sa femme la caution qu’elle a fournie. Ce n’était pas là l’affaire des Nassau, et Rubens, encore enhardi par la façon dont ils accueillent cette mise en demeure, se résout à pousser plus à fond. Pour la première fois, il se hasarde à parler de sa libération définitive et des conditions qu’on y mettrait. Le moment était opportun, semble-t-il, car les débats s’étant engagés à ce propos, les conseillers des princes répondent que cette libération serait acquise moyennant un supplément de 400 thalers à verser par la famille. Là-dessus, nouvelles protestations du docteur qui déclare que ce nouveau sacrifice est absolument au-dessus de ses moyens. Puis reprenant un argument qui lui a déjà si bien réussi : « C’est moi qui ai failli, dit-il, c’est à moi d’expier… Les larmes que ma femme verse nuit et jour m’invitent à oublier mon propre danger et à trouver la prison et la mort, qui permettraient de récupérer ma rançon, préférables à la vie de misère qui l’attend, elle et ses sept enfans. » Cependant, si l’on pouvait se contenter de la moitié de la somme, peut-être qu’avec l’aide de sa belle-mère et de ses autres parens, on arriverait à s’accorder. Mais sa femme doit, en tout cas, ignorer la quittance de 1 400 thalers donnée par lui, car elle croit encore à l’intégralité de sa créance et, si elle découvrait avant le temps la vérité, tout serait perdu.

De fait, vers cette époque, ainsi que nous l’apprend M. Spiess[5], la situation du ménage était devenue de plus en plus difficile. On avait dû renvoyer les pensionnaires et prendre dans la Breitestrasse un logement encore plus modeste. Convaincus qu’il n’y avait plus rien à attendre des Rubens, dans les conditions auxquelles ils étaient réduits, les conseillers de Nassau se rendirent à Cologne pour terminer les arrangemens. Les termes de la transaction furent arrêtés et, au commencement de 1583, elle devint exécutoire, probablement grâce à l’abandon, consenti, moyennant 1 400 thalers seulement, de la créance de Maria Rubens. À la date du 10 janvier, un contrat en bonne forme assurait enfin les deux époux de leur pleine et entière liberté, sans aucun recours possible contre eux.

Quelle que pût être la gêne à laquelle ils étaient encore condamnés, ils se sentaient, du moins, déchargés des préoccupations qui, pendant si longtemps et si lourdement, avaient pesé sur eux. Assurés du lendemain, ils avaient repris leur vie obscure et retirée, car la prudence leur commandait toujours de ne pas trop attirer l’attention. Jean Rubens, d’ailleurs, n’avait plus longtemps à vivre. Sa santé, déjà ébranlée par tant de secousses, était gravement compromise et, le 1er mars 1587, il mourait à l’âge de cinquante-sept ans. Il était auparavant, ainsi que sa femme, revenu à la foi catholique, soit que cette nouvelle conversion fût sincère, soit qu’il voulût se mettre en règle vis-à-vis du Magistrat de Cologne. Lui mort, il n’y avait plus aucune raison pour sa veuve de prolonger son séjour à l’étranger, alors que tant d’intérêts la rappelaient à Anvers. Son parti fut bientôt pris, et, après avoir réglé ses affaires, à la fin du mois de juin de la même année, elle retournait dans sa patrie, munie d’une attestation du Magistrat portant que, depuis 1569 jusqu’au 7 juin 1587, date de ce certificat, elle avait eu avec son mari son domicile habituel à Cologne, qu’elle y demeurait encore et que, toujours, sa conduite et ses mœurs y avaient été excellentes.


IV

Dans cet exposé des faits, tels qu’ils résultent pour nous des documens que, peu à peu, les archives de la maison d’Orange et celles d’Anvers, de Cologne, de Siegen et d’Idstein ont rendus à la lumière, nous avons fait grâce à nos lecteurs des longues et très vives controverses suscitées par la détermination du lieu de naissance de Rubens. Sauf quelques écrivains engagés soit par leurs écrits antérieurs, soit par des considérations patriotiques, assurément très respectables, mais qui n’ont que faire en de pareilles recherches, il est permis de dire que les critiques qui, en ces derniers temps, ont étudié avec une entière impartialité ce problème délicat, l’ont résolu, comme nous croyons devoir le faire aujourd’hui, en faveur de Siegen. Ainsi que le remarque M. H. Riegel, qui nous paraît avoir le plus exactement résumé cette question[6], les difficultés dont elle était entourée s’expliquent assez d’elles-mêmes. La famille des Nassau, aussi bien que celle de Rubens, était intéressée à faire le silence autour des événemens que nous venons de raconter, et, par conséquent, à laisser dans l’ombre l’internement de Jean Rubens dans cette petite ville de Siegen dont le nom, jusqu’à ces derniers temps, n’avait pas même été prononcé. Aussitôt après l’arrestation du docteur, les princes de Nassau avaient cherché à étouffer le scandale. La politique autant que le sentiment bien légitime de la dignité de leur race les portaient à cacher ce déshonneur. En conséquence, toutes leurs prescriptions tendent à assurer le secret. Les deux coupables sont enfermés et lorsque, plus tard, Anne de Saxe est rendue à sa famille, celle-ci la croit ou, du moins, la dit innocente du crime dont on l’accuse, sa faute n’ayant pas été constatée juridiquement. Quant à son complice, s’il n’est pas sur-le-champ mis à mort, c’est pour éviter le bruit que causerait son exécution et l’effet d’un débat public. Après deux ans de rigoureuse captivité, lorsqu’il obtient d’être interné à Siegen, c’est sous la condition expresse qu’il ne se montrera jamais dans la ville et, qu’il évitera avec soin toutes les occasions de rappeler un souvenir néfaste.

Ces dispositions s’accordent naturellement avec celles du ménage Rubens. Dès la première lettre qu’écrit le prisonnier, il recommande de ne pas ébruiter l’affaire, de la tenir absolument cachée. Instruite par lui, sa noble femme non seulement lui pardonne du fond du cœur, mais elle le supplie de ne plus jamais parler de torts qu’elle veut oublier elle-même. Elle sent tout l’intérêt qu’il y a pour eux à ne pas indisposer les membres d’une famille puissante et justement irritée ; elle ne s’ouvre même pas à ses proches de la vérité ; pour eux, comme pour tout le monde, son mari est la victime des événemens politiques. Elle s’efforce de vivre ignorée et, comme elle le dit, « de nourrir les siens sans scandale. » Avec une persévérance stoïque, elle poursuit son projet de dérober à tous la faute de son indigne époux. Elle garde jusqu’au bout son secret et, par le seul mensonge qui n’ait pas coûté à sa nature loyale, c’est elle-même qui dans l’inscription de sa tombe à l’église Saint-Pierre parle du bonheur sans nuage qu’elle lui a dû ! Plus tard, elle soutient ce pieux mensonge et, pour ne pas nuire à l’honneur de son nom, ni à l’avenir de ses fils, elle continue à se taire sur cette triste aventure, sur les terribles conséquences qu’elle a eues pour elle. Afin de dépister les malveillans et les curieux, elle compose alors de toutes pièces la légende d’un séjour continu à Cologne où les enfans seraient nés, de la vie paisible et unie que le ménage y aurait menée. Ses deux fils, Philippe et Pierre-Paul, s’appliquent à confirmer cette légende. Eux seuls, d’ailleurs, étaient en situation de la prolonger, car, ainsi que M. Verachter l’a établi par ses consciencieuses recherches[7], Maria Rubens devait survivre à ses cinq autres enfans. Trois d’entre eux, Claire, Henri et Barthélemi, étaient morts avant le départ de Cologne ; Jean, l’aîné, à la date du 24 novembre 1581, se trouvait en Italie depuis plus de trois ans et demi, et il mourait à son tour[8] en 1600 ; enfin l’aînée des filles, Blandine, le suivait d’assez près, en 1606.

Il y a plus, nous le croyons du moins, ni Philippe, ni Pierre-Paul, nés tous deux à Siegen, n’ont connu toute la vérité. Le secret vis-à-vis d’eux était facile à garder. Quand la famille quitta Siegen, Philippe n’avait que quatre ans et son frère n’avait pas encore accompli sa première année. A raison de leur âge et de l’existence très accidentée qui les attendait tous deux, rien n’était plus aisé pour cette mère prévoyante que d’engourdir et d’éteindre des souvenirs qu’elle voulait effacer de leur esprit. L’hérésie momentanée de la famille, la faute de Jean Rubens et son incarcération, c’étaient là autant de taches qui pouvaient compromettre leur nom et leur avenir. Dans leur extrême enfance, leur mère n’avait pas de confidences à leur faire à ce sujet ; plus tard, elle ne voulut pas qu’ils eussent à rougir de leur père, et le meilleur moyen, le plus sûr et le plus noble de conserver ces secrets c’était de les garder vis-à-vis d’eux-mêmes. Elle pouvait d’autant mieux les leur dérober que seule elle en était dépositaire. Par la suite, à l’âge où Pierre-Paul aurait pu l’interroger, il était loin d’elle, en Italie, et il ne devait plus la revoir. C’est donc en toute sincérité que sur le déclin de sa vie, au moment où l’esprit se reporte avec complaisance vers les souvenirs de la jeunesse, le grand artiste pouvait parler, dans une lettre célèbre à Geldrop, de la grande affection qu’il avait gardée pour cette ville de Cologne où il était resté jusqu’à sa dixième année.

On sait que, dès son retour à Anvers, Maria Pypelincx, avec son intelligente sollicitude, avait fait donner à ses fils une instruction qui leur permît de se créer des positions honorables. Mais, malgré la vigilance avec laquelle elle s’appliquait à réunir les épaves de son modeste avoir, elle n’était point en état de continuer bien longtemps les sacrifices qu’exigeait l’éducation de ses enfans. De bonne heure, ils avaient dû apprendre à se tirer d’affaire en gagnant eux-mêmes leur vie. Philippe, l’aîné, tout en poursuivant ses études de droit, était devenu précepteur des fils du président Richardot dont il avait été d’abord secrétaire. Quant à Pierre-Paul, après avoir été attaché en qualité de page à la maison de la comtesse de Lalaing, sa mère, reconnaissant qu’il n’y avait pour lui aucune issue de ce côté, l’avait bientôt laissé libre de suivre la vocation qu’il montrait pour la peinture. Plus tard, quand le jeune homme, ayant épuisé les enseignemens qu’il pouvait trouver à Anvers, manifesta le désir de se perfectionner en Italie, Maria, malgré le chagrin que lui causait son départ, s’était résignée à sa solitude. Elle avait enduré les infirmités, la maladie, avec cet esprit d’abnégation dont pendant toute sa vie elle devait donner tant de preuves. Quand, enfin, vaincue par les souffrances, elle s’était décidée à rappeler Pierre-Paul, il était trop tard, et, malgré la hâte que celui-ci mil à revenir, elle était morte à son arrivée.

On peut imaginer ce qu’avait été la douleur de ce fils. Pendant longtemps il était demeuré tout à son chagrin dans la petite maison où sa mère avait fini ses jours. L’ordre, la simplicité, la stricte économie qui régnaient dans cette pauvre demeure, tout lui rappelait cette bonne mère. C’est pour consacrer d’une manière touchante le souvenir de son affection et de sa reconnaissance qu’après l’avoir retouchée, il plaçait au-dessus de sa tombe, la meilleure des peintures faites par lui en Italie, le Saint Ambroise (du musée de Grenoble), où, pour la première fois, sa pleine originalité s’était épanouie.

Mais, plus encore que par cet hommage respectueux des prémices de son talent, Rubens devait honorer sa mère par sa propre vie. Ce dévouement aux siens, ce bon sens si lumineux, cette activité courageuse, cette aménité envers tous, ce naturel parfait, ce stoïcisme dans la souffrance, tout ce que la personne et le caractère pouvaient ajouter de grâce à son génie, c’est aux exemples de sa mère qu’il le devait. Mais, avec ces qualités qu’il aimait en elle et qui justifiaient assez sa tendresse, il y avait tout un passé d’épreuves et de généreuses immolations qu’il ne pouvait pas soupçonner. Le soin même avec lequel elle s’attachait à en effacer la trace aurait achevé de grandir à ses yeux cette noble figure. Son fils la savait excellente, et elle était héroïque. Aujourd’hui, en dépit des obscurités accumulées de parti pris par Maria Rubens sur ces années d’exil et de cruels tourmens, la vérité s’est fait jour. Il n’est que juste qu’un peu de la gloire acquise à son nom par le grand artiste lui revienne. Elle avait tant été pour lui à la peine ; c’est bien le moins qu’elle soit avec lui à l’honneur.


EMILE MICHEL.

  1. Un autre portrait gravé par Houbraken, d’après une peinture d’Antonio Moro que nous n’avons pu retrouver, nous semble moins sincère et comme un peu embelli par le graveur. L’ovale du visage est plus correct, les traits plus réguliers et la physionomie moins personnelle.
  2. Bakhuysen van den Brink, Het Huwelyk van Willem van Oranje met Anna van Saxen, p. 164.
  3. Les Rubens à Siegen, p. 12.
  4. Cet état de gêne devait durer longtemps encore, car, en 1586, le comte Jean de Nassau était obligé de vendre pour 3 000 florins à son beau-fils le comte de Nassau-Sarrebruck des tapisseries de prix représentant des épisodes empruntés à l’histoire de sa famille.
  5. Eine Episode aus dem Leben der Ettern P. P. Rubens ; Dillenburg, 1873.
  6. H. Riegel, Rubens Geburtsort, dans les Beiträge zur niederländischen Kunstgeschichte, I, p. 165.
  7. Verachter, Généalogie de Pierre-Paul Rubens ; Anvers, 1840.
  8. Bulletin Rubens, I, p. 57.