La Fatigue intellectuelle/II

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Schleicher frères (p. 225-336).

DEUXIEME PARTIE
EFFETS PSYCHOLOGIQUES DU TRAVAIL INTELLECTUEL

CHAPITRE PREMIER
GENERALITES

Chacun sait qu’à la suite d’un travail intellectuel prolongé il se produit une diminution de l’activité mentale ; on ne peut plus aussi bien fixer son attention, on devient facilement distrait, on ne peut plus aussi facilement retenir de mémoire ce que l’on lit ou ce que l’on écoute, on commet des fautes en écrivant ou en faisant des calculs, enfin les associations deviennent difficiles, on ne sait plus bien écrire une composition ou résoudre un problème. Tels sont les effets psychologiques que chacun a pu observer sur lui-même. C’est de ces remarques générales que l’on se contente dans les traités de pédagogie ; on ne s’occupe pas de la question de savoir le degré et la durée de telle ou telle influence ; on ne soupçonne même pas la possibilité des méthodes expérimentales et pratiques permettant de déterminer le degré de fatigue intellectuelle. Il existe pourtant dans la psychologie expérimentale toute une série de recherches faites dans ces dix dernières années, qui ont pour but d’étudier la fatigue intellectuelle ; ces études ont été exécutées en partie dans des laboratoires de psychologie sur des personnes adultes qui se prêtent volontairement à ces expériences ; mais surtout on a fait des expériences dans les écoles sur des élèves de différentes classes, et on a ainsi cherché à déterminer le degré de fatigue intellectuelle qui succède à différentes leçons. Ce sont les recherches de ce dernier genre qui doivent surtout intéresser le pédagogue ; mais avant d’en faire l’analyse nous exposerons les résultats des études de laboratoire, qui se rapportent toujours à un nombre restreint de personnes.

Les études de laboratoire servent d’une part à résoudre des questions théoriques en vue de déterminer la nature intime des effets psychologiques du travail intellectuel ; d’autre part, c’est dans les laboratoires de psychologie que l’on étudie les différentes méthodes pouvant être appliquées dans les écoles sur des élèves. En faisant des expériences sur un nombre restreint d’individus de bonne volonté, on détermine si une certaine méthode peut donner quelques résultats satisfaisants ou non, on étudie de près les causes d’erreur et la manière de les éviter ; en somme on prépare au laboratoire tout un plan d’expériences à faire sur les élèves, avec la certitude que ces expériences donneront des résultats satisfaisants. C’est là un point très important, puisqu’on dispose en général d’un temps assez court pour faire les expériences dans les écoles ; il faut donc tirer le meilleur parti possible de ce temps ; de plus, une règle générale, quand on fait les expériences sur les élèves, est qu’à la première entrevue les élèves prêtent toute leur attention aux expériences, ils s’y intéressent et essaient de faire le mieux possible ; mais lorsque les expériences se multiplient et se répètent, l’ardeur des élèves disparaît ; ils savent déjà de quoi il s’agit, ils y font moins attention, ce qui peut fausser les résultats ; or il est évident qu’il faut profiter du moment où les élèves font les expériences avec intérêt et y prêtent leur attention ; il faut donc arriver à l’école avec un plan d’expériences dont on est sûr, qui a été préparé à la suite d’essais faits dans un laboratoire de psychologie.

Les recherches de laboratoire peuvent être divisées en deux groupes :

1o  On choisit un certain travail intellectuel, on le fait faire à quelqu’un pendant un temps assez long, une heure par exemple, et on observe si la vitesse et la qualité du travail changent pendant ce temps. Ce sont donc les effets produits par le travail intellectuel sur le travail même qui sont étudiés dans ce groupe de recherches.

2o  On choisit un certain travail intellectuel que l’on fait faire à une personne pendant un certain temps, et on étudie si à la suite de ce travail différentes facultés psychiques de l’individu n’ont pas été modifiées ; ainsi, par exemple, on cherche si la durée des temps de réaction change ou non, si la mémoire des chiffres est modifiée ou non, etc. Ce sont donc les influences produites par le travail intellectuel sur différents processus psychiques qui font partie de ce deuxième groupe de recherches.

Toutes ces études de laboratoire ont été faites en Allemagne, surtout dans le laboratoire de Kraepelin à Heidelberg. Ce psychologue se distingue par une grande originalité ; il a entrepris ces travaux dans le but d’arriver à des méthodes pratiques pour l’étude des différents effets du travail intellectuel, et il est à désirer que des études de ce genre soient entreprises dans d’autres laboratoires de psychologie. Les recherches faites au laboratoire de Kraepelin ont malheureusement un défaut : le nombre trop faible de sujets ; souvent les expériences n’ont été faites que sur une ou deux personnes, et c’est de résultats aussi partiels que les auteurs déduisent des conclusions générales, non seulement pour d’autres individus appartenant au même milieu, mais même pour tous les individus, y compris les malades et les élèves des écoles. Ce sont des conclusions complètement hypothétiques, dont il ne faut pas tenir compte. L’importance des recherches de Kraepelin et de ses élèves ne consiste pas dans les résultats partiels obtenus sur des individus isolés ; elles valent par les méthodes d’étude que Kraepelin a imaginées, elles valent aussi par la direction générale que Kraepelin a imposée à tous les travaux de ses élèves. Il est donc important de passer en revue les études faites au laboratoire de Kraepelin sur les influences du travail intellectuel.


CHAPITRE II
RECHERCHES DE LABORATOIRE
variations du travail intellectuel en fonction de la durée

La première recherche faite sur cette question est celle de Oehrn, parue en 1889 comme dissertation, à Dorpat, et reproduite en 1895 dans la revue de Kraepelin[1]. Ce travail est supérieur sur plusieurs points aux autres recherches que nous passerons en revue plus loin ; d’abord les expériences ont été faites sur dix personnes, les résultats ne peuvent donc pas être considérés comme aussi partiels que ceux des autres travaux ; un second mérite de l’auteur est d’avoir fait les expériences parallèlement sur six processus psychiques différents, tandis que dans les autres recherches on n’a expérimenté que sur un ou deux processus seulement.

Les travaux intellectuels que les sujets devaient faire et dont on étudiait les variations étaient très simples et choisis de telle manière qu’on a pu exprimer par des chiffres la quantité de travail exécuté. Voici en quoi consistaient ces différents travaux :

Compter les lettres d’un texte imprimé en caractères latins. — Le sujet devait compter aussi rapidement qu’il le pouvait les lettres d’un texte, il devait les compter une à une, et, quand il arrivait à 100, faire un trait avec un crayon à l’endroit correspondant du texte, puis il continuait à compter les lettres du texte en commençant la numération par un. De plus, toutes les cinq minutes retentissait dans le laboratoire un coup de sonnette, et à ce moment le sujet devait faire dans le texte une marque avec le crayon. Les expériences ayant montré que la prononciation des nombres prenait beaucoup de temps, l’auteur fit des expériences dans lesquelles les sujets devaient compter les lettres d’un texte pareil au précédent, mais par groupes de trois lettres.

Addition de nombres d’un chiffre. — L’auteur voulait étudier un acte d’association très simple, il choisit l’addition de nombres d’un chiffre ; le sujet avait devant lui un cahier dans lequel étaient imprimées sur chaque page dix colonnes de chiffres ; ces colonnes sont suffisamment espacées l’une de l’autre pour qu’on puisse facilement écrire des nombres entre deux colonnes voisines. Voici par exemple une partie de quatre colonnes voisines que nous reproduisons en grandeur naturelle :

5 4 3 6
7 7 4 9
9 8 2 8
3 5 6 5
2 7 5 7
6 6 7 6
8 5 8 8

Ce spécimen donne une idée exacte de la dimension des chiffres et de l’écartement des colonnes ; il reste à dire que les pages du cahier sur lesquelles ces colonnes sont imprimées ont une dimension de 21 sur 28 centimètres, le nombre de colonnes est de dix, et le nombre de chiffres par colonne est de 36. Nous donnons ici la reproduction d’une page entière réduite de moitié.

5 5 8 4 7 8 3 3 1 5
9 2 7 6 5 9 1 5 5 4
7 7 2 2 4 4 6 2 7 3
3 9 6 3 7 3 8 9 8 8
4 8 9 8 1 9 2 2 6 5
2 7 5 6 6 6 5 5 9 7
6 6 1 3 9 5 9 7 5 8
8 5 3 9 8 2 8 6 6 6
6 4 9 5 6 6 4 3 9 7
9 3 3 2 3 5 6 8 5 9
5 9 8 6 5 1 7 7 7 3
7 8 4 9 8 6 6 5 2 1
9 1 5 8 7 7 5 9 9 2
8 7 1 1 2 8 9 4 3 5
5 2 6 4 7 7 7 3 8 7
4 7 2 7 4 6 5 9 5 4
7 8 7 2 6 9 4 1 8 8
1 6 4 7 7 5 3 7 6 6
6 5 7 9 4 3 2 8 9 2
9 6 8 3 2 4 7 6 7 9
4 4 6 6 6 7 1 7 1 2
3 3 9 3 1 5 8 5 8 3
5 9 4 4 5 3 6 6 3 7
2 6 5 8 9 5 9 3 9 5
9 8 1 9 4 2 3 2 6 6
8 3 7 4 3 6 2 7 8 4
7 5 4 7 8 8 7 5 5 5
6 7 9 2 7 7 5 9 2 7
7 9 8 6 2 6 4 5 7 5
5 6 7 7 4 8 8 6 1 8
4 8 2 5 8 7 6 7 7 3
1 1 3 1 7 9 3 8 4 2
8 5 6 3 6 5 6 3 3 6
5 9 1 6 2 7 9 9 9 8
4 4 5 9 5 6 8 3 6 4
3 3 9 8 1 9 5 6 1 7

Le sujet doit faire la somme des deux premiers chiffres de la première colonne et écrire cette somme à côté du second chiffre de la première colonne ; ainsi dans l’exemple précédent il doit écrire 12 (5 + 7 = 12) à côté de 7, puis à cette somme il doit ajouter le troisième chiffre de la première colonne, qui est 9 dans le cas présent, il obtient donc 9 + 12 = 21, et ce 21 doit être écrit à côté de 9 ; il doit ensuite ajouter à cette somme (21) le quatrième chiffre de la colonne (qui est 3) et ainsi de suite ; lorsque la somme dépassera 100 il devra négliger les centaines. Le sujet doit faire les additions aussi rapidement qu’il le peut ; toutes les cinq minutes, au coup de sonnette, il doit faire une marque avec le crayon. On peut ainsi compter, quand tout est terminé, le nombre d’additions qui ont été faites toutes les cinq minutes, et de plus, on peut compter le nombre d’erreurs commises. Nous décrivons aussi longuement cette méthode, parce que c’est la même méthode qui est employée dans toutes les autres recherches faites au laboratoire de Kraepelin, et que cet auteur propose même d’employer cette méthode dans les écoles et sur des malades.

Elle présente un défaut grave : c’est qu’il faut écrire chaque fois le résultat de l’addition ; cette nécessité d’écrire prend un temps bien plus considérable qu’on ne le pense en général, — et, cause d’erreur importante, ce temps pris par l’écriture est souvent supérieur au temps nécessaire pour faire l’addition elle-même. Or les expériences de ce genre durent au moins une demi-heure et souvent leur durée dépasse une heure ; faire des calculs aussi monotones en se dépêchant toujours est assez fatigant, mais ce qui est bien plus fatigant encore, comme l’un de nous (V. Henri) a pu le constater sur lui-même et sur d’autres personnes en refaisant des expériences analogues à celles de Kraepelin, c’est d’écrire les résultats chaque fois. On arrive après un certain temps à un état d’énervement général, les mouvements de la main deviennent saccadés, on ressent de la fatigue dans la main et dans les doigts. Il est certain que cette fatigue motrice de la main doit influencer les résultats, et comme les variations que l’on observe en général par la méthode des additions sont très faibles, il est à craindre que ces variations ne soient souvent dues à des effets de fatigue motrice de la main.

C’est une cause d’erreur sur laquelle Kraepelin et ses élèves n’ont pas suffisamment porté leur attention et qui diminue de beaucoup la valeur des expériences faites par cette méthode. Mais nous croyons quand même que cette cause d’erreur ne suffit pas pour rejeter complètement la méthode des calculs ; il faut seulement la modifier pour les recherches que l’on voudra entreprendre par cette méthode, il faut surtout augmenter la durée de l’acte d’addition. Deux modifications peuvent être employées, comme des expériences préliminaires nous l’ont montré ; c’est soit de faire faire au sujet des multiplications mentales de nombres de deux chiffres par des nombres d’un chiffre, soit de faire faire des additions de nombres de deux chiffres à des nombres de deux chiffres. De cette manière la durée prise par l’écriture des résultats reste à peu près la même que précédemment, mais l’acte mental est allongé, par conséquent on a moins à craindre que les variations dans la vitesse d’écriture ne modifient d’une façon notable les résultats. Nous faisons cette critique de la méthode non seulement pour le travail de OEhrn, mais pour tous les travaux faits sous la direction de Kraepelin, et dont nous passerons en revue plus loin les plus importants.

Écriture sous dictée. — Dans ces expériences faites par OEhrn, l’auteur cherchait à déterminer la vitesse de l’écriture tracée sous une dictée aussi rapide que possible. On dictait au sujet un texte facile, il devait écrire aussi vite qu’il le pouvait, et toutes les cinq minutes il faisait une marque ; l’auteur n’a pas tenu compte des erreurs commises dans la dictée ; il n’a compté que le nombre de lettres écrites toutes les cinq minutes.

Lecture à haute voix. — Pour étudier une autre fonction motrice, l’auteur priait le sujet de lire à haute voix aussi rapidement qu’il le pouvait un texte facile. On notait le nombre de lettres lues toutes les cinq minutes.

Mémoire des chiffres. — On peut étudier la mémoire des chiffres de deux façons différentes : d’une part, on peut prononcer devant le sujet une série de quelques chiffres, sept par exemple, et le prier de répéter après cette unique audition les chiffres de la série dans le même ordre. On détermine ainsi le nombre maximum de chiffres qui peuvent être retenus exactement après une seule audition. D’autre part, on peut donner au sujet une série de chiffres assez longue pour qu’il ne puisse pas la répéter après une seule lecture : on dira au sujet de lire cette série de chiffres plusieurs fois de suite, jusqu’à ce qu’il puisse la dire de mémoire exactement ; on compte dans ce cas le nombre de répétitions nécessaires pour apprendre cette série de chiffres, et ce nombre de répétitions exprimera d’une manière relative l’état de la mémoire des chiffres chez l’individu sujet. Pour une même série de chiffres, celui qui a employé plus de répétitions a une mémoire d’acquisition moindre que celui qui en a employé moins.

L’auteur a employé cette deuxième méthode : le sujet avait devant lui des séries dont chacune se composait de 12 chiffres ; il devait lire la première série autant de fois de suite qu’il lui était nécessaire pour pouvoir la répéter exactement de mémoire ; ceci fait, il passait à la seconde série et ainsi de suite. Toutes les cinq minutes, au coup de la sonnette, le sujet traçait une marque au crayon ; on voyait ainsi combien de chiffres, par séries de 12, il avait appris par cœur toutes les cinq minutes.

Donnons un exemple d’une série de 12 chiffres :

6 5 9 4 3 8 7 2 8 5 9 4

Il faut en moyenne pour un individu une dizaine de répétitions pour apprendre cette série par cœur.

Mémoire des syllabes. — De même que pour les chiffres, on présentait au sujet des séries composées chacune de douze syllabes différentes n’ayant pas de sens. En voici un exemple :

Kal, rop, fech, tal, rur, til, dep, nov, veil, pev, bor, ciq.

Ce sont, on le voit, des syllabes composées avec une voyelle comprise entre deux consonnes. Le sujet doit lire une série analogue à la précédente, autant de fois qu’il est nécessaire pour pouvoir la répéter de mémoire. Ceci fait, il passe à la série suivante. On compte comme précédemment le nombre de syllabes apprises par cœur tous les cinq minutes.

Ces différentes expériences étaient faites pendant deux heures chacune sans interruption ; on notait, comme nous l’avons déjà dit, la quantité de travail fait toutes les cinq minutes.

Dix personnes de vingt et un à trente-trois ans, pour la plupart des médecins et des étudiants, ont servi comme sujets.

Examinons les résultats obtenus. Lorsqu’on fait un travail intellectuel continu, plusieurs facteurs différents entrent en jeu. En effet, on peut se mettre au travail avec plus ou moins d’énergie ; on peut en commençant ne pas bien savoir s’y prendre pour faire vite le travail exigé ; puis, au bout de quelque temps, on acquiert une certaine adaptation d’esprit qui permet de faire le travail plus rapidement ; enfin la fatigue peut intervenir et modifier la vitesse ; l’ennui, l’idée qu’il y a encore beaucoup de temps jusqu’à la fin, ou au contraire l’approche de la fin, toutes ces causes influent sur la vitesse du travail, et si on analyse l’état mental de celui qui fait l’expérience, on trouve que cet état est très complexe.

Kraepelin et ses élèves admettent que lorsqu’on fait un certain travail intellectuel, deux facteurs principaux influent sur la vitesse ; ces deux facteurs sont appelés par eux l’exercice et la fatigue. Une telle affirmation aurait besoin d’être prouvée, et surtout il serait nécessaire d’analyser exactement le sens de ces termes exercice et fatigue. Doit-on appeler exercice toute augmentation de la vitesse du travail ? Nous ne le croyons pas, puisqu’une émotion, une concentration extrême de l’attention peuvent augmenter la vitesse de travail. En somme, on ne peut pas admettre les explications de Kraepelin et de ses élèves sans faire des réserves.

D’après OEhrn, les deux facteurs principaux, qui sont l’exercice acquis et la fatigue, ont une influence opposée : le premier tend à augmenter la vitesse du travail, tandis que le deuxième la ralentit. Par conséquent, à chaque moment la quantité de travail se trouve réglée par l’intensité des deux facteurs. Si l’exercice à un moment donné est grand et si la fatigue est faible, c’est l’exercice qui prédominera, et la quantité de travail exécuté sera plus forte qu’au commencement ; si au contraire l’exercice acquis est faible, tandis que la fatigue est déjà assez forte, on fera moins de travail qu’au commencement. Donc si on prend les quantités de travail fait de cinq minutes en cinq minutes, on pourra voir comment varie la différence des deux facteurs ; toutes les fois que la vitesse de travail augmentera, on pourra en conclure que l’exercice acquis prédomine sur la fatigue, et au contraire, lorsque la vitesse du travail diminuera, on dira que c’est la fatigue qui prédomine. Mais dans aucun cas on n’obtient la valeur de l’influence produite par l’un des deux facteurs isolément ; l’influence de l’exercice masque celle de la fatigue, et réciproquement l’influence de la fatigue masque celle de l’exercice.

C’est là un fait général qu’il faut se rappeler, car il intervient non seulement dans les expériences de laboratoire, mais aussi dans les expériences faites sur des élèves des écoles, et il est souvent bien difficile de distinguer l’influence produite par la fatigue mentale puisque cette influence est masquée par celle de l’exercice. Nous en verrons plusieurs exemples dans la suite.

La vitesse moyenne des différents travaux intellectuels étudiés par l’auteur varie beaucoup suivant les individus et suivant les travaux. Nous donnons dans le tableau suivant la vitesse maximum, la vitesse minimum et enfin la vitesse moyenne pour différents actes psychiques qui font partie des travaux intellectuels étudiés par l’auteur.

  DURÉE minimum. DURÉE maximum. DURÉE moyenne.
Lecture d'une syllabe 
0,116 0,172 0,138
Acte de compter des lettres par groupe de trois lettres ; durée pour une lettre 
0,209 0,440 0,323
Acte de compter des lettres une par une ; durée pour une lettre 
0,317 0,530 0,406
Ecriture d’une lettre 
0,331 0,603 0,425
Addition de deux chiffres 
0,754 1,533 1,255
Séries de douze chiffres apprises par coeur ; durée pour un chiffre 
4,200 20,000 9,619
Séries de douze syllabes apprises par cœur ; durée pour une syllabe 
7,89 21,43 11,80

Les nombres du tableau précédent représentent des secondes ; on voit donc par exemple que, pour lire une syllabe, le sujet le plus rapide employait 0,116 seconde, le sujet le plus lent employait 0,172 secondes ; pour faire l’addition de deux chiffres le sujet le plus rapide mettait 0,754 seconde, tandis que le sujet le plus lent mettait 1,533 seconde, etc. On voit par le tableau précédent que plus la fonction psychique est compliquée et plus elle prend de temps, plus la différence entre la durée minimum et la durée maximum est grande, c’est-à-dire plus les différences individuelles sont grandes.

En étudiant les variations que subit la vitesse du travail pendant qu’on l’exécute, l’auteur trouve qu’en général cette vitesse augmente jusqu’à une certaine valeur maximum et puis diminue ; on peut donc distinguer, pour un travail de deux heures, deux phases différentes, la première allant depuis le commencement du travail jusqu’à la valeur maxima de la vitesse, c’est la phase où l’influence de l’exercice prédomine sur l’influence de la fatigue ; la deuxième phase va depuis le maximum jusqu’à la fin ; pendant cette période, c’est la fatigue qui prédomine sur l’exercice.

Il arrive quelquefois pour quelques sujets que l’une des phases manque : ou bien la vitesse augmente continuellement jusqu’à la fin, ou bien elle diminue depuis le commencement jusqu’à la fin.

Les variations dans la vitesse du travail ne sont pas très régulières ; il se produit des oscillations dans la vitesse ; ces oscillations sont dues, en général, à des oscillations de l’attention. Lorsqu’on fait un certain travail intellectuel continu avec le plus de vitesse possible, on commence à mettre beaucoup de volonté, on concentre très fortement son attention ; mais, au bout de quelques minutes, on perd peu à peu cette verve du commencement, on devient plus tranquille, et bien qu’on fasse le travail avec soin, on n’y met plus ce zèle que l’on a déployé au début ; il en résulte une légère diminution de la vitesse du travail. Les expériences de l’auteur ont montré, dans plus de la moitié des cas, un léger ralentissement pendant les cinq à dix premières minutes. Après cette phase de verve, comme on pourrait l’appeler, on travaille avec plus d’égalité, on acquiert un certain exercice, et par suite la vitesse augmente jusqu’au maximum ; puis la fatigue commence à se faire sentir, la vitesse diminue, et dans cette deuxième phase on remarque souvent des irrégularités ; voici comment ces irrégularités se produisent : le sujet fait un certain travail, des additions par exemple, il sent déjà une certaine fatigue, et il commence involontairement à travailler plus lentement ; lorsque ce ralentissement devient assez fort, le sujet s’en aperçoit, il se rappelle qu’il faut faire le travail aussi vite que possible, et il redouble de force pour regagner la vitesse initiale. Enfin, le sujet sait qu’on fait les expériences pendant deux heures, il sait donc toujours s’il lui reste encore beaucoup de temps ou non jusqu’à la fin, et lorsqu’il arrive aux cinq ou dix dernières minutes, il éprouve une certaine émotion ; sachant qu’il n’y a plus que quelques minutes à travailler, il veut bien les finir, il travaille donc avec une verve analogue à celle du commencement ; on remarque dans beaucoup de cas que la vitesse de travail augmente un peu pendant les dernières minutes.

Fig. 75. — Marche générale de la vitesse du travail intellectuel.

En somme, la marche générale du travail pendant deux heures est représentée par le tracé schématique de la figure 75 ; cette figure est obtenue en portant en abscisses la durée du travail et en ordonnées les quantités de travail de cinq minutes en cinq minutes. La courbe descend d’abord un peu ; c’est la phase de verve du commencement (AB) ; puis elle monte jusqu’à une certaine valeur maximum BC ; c’est la phase où l’exercice prédomine sur la fatigue ; puis elle descend de C en D ; c’est la phase où la fatigue prédomine ; enfin, elle remonte un peu vers la fin, DE, c’est la phase de verve de la fin. Telle est la marche générale qui s’observe chez la plupart des sujets pour les différents travaux intellectuels étudiés par l’auteur. Voyons maintenant les valeurs numériques pour chaque travail en particulier.

La position du maximum de vitesse varie beaucoup suivant les individus et suivant le travail intellectuel ; nous représentons ces positions du maximum dans le tableau suivant ; voici comment il est obtenu : le travail a été fait pendant deux heures, on a partagé ces deux heures en huit parties de quinze minutes chacune et on a calculé la quantité de travail fait dans chaque quart d’heure. Les chiffres du tableau suivant indiquent le quart d’heure pour lequel il y a eu le plus de travail fait. Exemple : relativement au premier sujet K, on voit que le maximum de travail a été fait pendant le quatrième quart d’heure pour l’acte de compter les lettres et pour les additions ; ce maximum a été atteint pendant le troisième quart d’heure pour l’écriture sous dictée ; pendant le sixième pour la lecture ; pendant le huitième pour la mémoire des chiffres, et enfin pendant le premier quart d’heure pour la mémoire des syllabes ; ajoutons que l’expérience de la mémoire des syllabes a été faite pendant six quarts d’heure, et non pas pendant huit, comme les autres expériences :

SUJETS ACTE de compter des lettres une par une. ACTE de compter des lettres trois par trois.
ADDITION
ÉCRITURE
LECTURE
MÉMOIRE des chiffres. MÉMOIRE des syllabes.
4 4 4 3 6 8 1
H. D 
6 8 2 1 6 1 1
5 4 1 1 8 7 1
1 4 2 1 1 5 1
5 7 4 4 1 8 1
3 2 5 4 3 6 6
7 8 1 6 1 1 1
E. D 
3 8 4 5 2 6 6
Frl. R 
1 1 2 1 6 1 3
1 3 4 1 1 7 3
Moyenne 
3,6 4,9 2,9 2,7 3,5 5,0 2,4

On voit, d’une part, que pour un même sujet la place du maximum varie suivant le travail ; ainsi, on peut atteindre le maximum de vitesse pour l’acte de compter des lettres seulement dans le huitième quart d’heure (HD), et pour les additions, l’atteindre déjà dans le deuxième quart d’heure, etc. D’autre part, la place du maximum pour le même travail varie beaucoup suivant les sujets : ainsi, quelques-uns l’atteignent au commencement ; d’autres au milieu, et d’autres, enfin, vers la fin des deux heures de travail.

Mais, en examinant de plus près les chiffres du tableau précédent, on voit qu’il y a des personnes pour lesquelles le maximum se trouve en général plus près du commencement du travail ; il y en a d’autres pour lesquelles il est en général vers la fin ; ainsi, pour les sujets B, Frl. R et O, le maximum est en général atteint bien plus rapidement que pour les sujets ED, K, F et W. Il semble qu’il y ait là un caractère général que l’on pourrait exprimer en disant que les premiers sujets s’exercent rapidement, mais la fatigue se produit vite chez eux et amène une diminution de la vitesse ; souvent même, pour ces individus, la quantité maximum de travail est produite au commencement, pendant le premier quart d’heure, et ensuite la vitesse diminue, car la fatigue prédomine dès le début sur l’exercice. Dans le deuxième groupe d’individus, l’exercice prédomine sur la fatigue pendant un temps plus long que pour les premiers, ce qui prouve, ou bien que l’exercice est considérable, ou bien que la fatigue est très faible.

Si maintenant on examine les places du maximum pour un même travail intellectuel chez les différents sujets, on voit qu’il y a des différences assez nettes, qui sont traduites par les valeurs de la moyenne qui se trouve au bas du tableau ; cette moyenne est la plus faible pour la mémoire des syllabes ; ce qui indique que, de tous les travaux intellectuels étudiés, le maximum est atteint le plus rapidement pour la mémoire des syllabes ; puis vient l’écriture, puis l’addition, la lecture, l’acte de compter des lettres une par une, l’acte de compter des lettres trois par trois, et en dernier lieu la mémoire des chiffres. L’auteur, en suivant le travail de cinq minutes en cinq minutes, a calculé, pour les dix sujets, la durée moyenne après laquelle on atteint le maximum de vitesse du travail. Voici ces chiffres exprimés en minutes :

  Maximum atteint après :
Mémoire des syllabes 
24 minutes.
Écriture 
26
Additions 
28
Lecture 
38
Acte de compter les lettres une par une 
39
Acte de compter les lettres trois par trois 
59
Mémoire des chiffres 
60

Ces chiffres montrent donc que la fatigue commence à prédominer sur l’exercice au bout de vingt-quatre minutes pour la mémoire des syllabes, au bout de vingt-six minutes pour l’écriture, etc.

L’auteur calcule le degré d’augmentation de la vitesse de travail dans la première phase et le degré de diminution de vitesse après le maximum. Pour faire ce calcul il prend la valeur minimum de la vitesse avant le maximum dans la première phase du travail, retranche cette valeur minimum de la vitesse maximum et prend le rapport de cette différence à la valeur maximum. Ceci revient donc, d’après le schéma de la page 239, à prendre la différence des ordonnées de C et de B et à calculer le rapport de cette différence à l’ordonnée de C. Le même procédé est employé pour calculer la diminution de la vitesse après le maximum.

Donnons un exemple : prenons la quantité de travail fait de quart d’heure en quart d’heure et supposons que ce travail consiste en additions ; le sujet a fait par exemple dans les huit quarts d’heure successifs : 220, 218, 230, 241, 252, 243, 228, 230 additions.

On voit que la quantité maximum de travail a été faite dans le cinquième quart d’heure, cette quantité maximum est égale à 252. Dans la première phase, avant le maximum, la quantité la plus petite de travail a été faite dans le deuxième quart d’heure et cette quantité est égale à 218 ; on calcule donc la différence 252 — 218 qui est égale à 34, et on prend le rapport = 0,13 ; par conséquent l’augmentation de la vitesse sous l’influence de l’exercice est égale à 13 p. 100 de la vitesse maximum. Après le maximum la vitesse diminue et atteint sa plus petite valeur pendant le septième quart d’heure, cette valeur est égale à 228 ; pour calculer la diminution de la vitesse due à la fatigue, on prend la différence 252 — 228 = 24, et on calcule le rapport = 0,09 ; la diminution de la vitesse est donc égale à 9 p. 100 de la vitesse maximum.

SUJETS AUGMENTATION DE LA VITESSE DE TRAVAIL
sous l’influence de l’exercice.
ACTE de compter des lettres une par une. ACTE de compter des lettres trois par trois.
ADDITION
ÉCRITURE
LECTURE
MÉMOIRE des chiffres. MÉMOIRE des syllabes.
MOYENNE
  P. 100. P. 100.            
15 12,1 14,2 1,8   5,9 54,5  0 14,8
H. D 
 3,4 13,2 11,0 0 14,6  0  0  6,0
 6,0 11,8  0 0 11,4 23,8  0  7,6
 0 14,4  1,6 0  0 47,8  0  9,1
 9,9 16,1  9,7 2,8  0 58,3  0 13,8
 3,8  0,1 13,0 3,4  2,6 22,6 14,8  8,6
22,2 17,7  3,5  6,0 0  0  0  6,2
E. D 
 8,4 22,8  9,2 4,2 12,1 48,9 27,6 19,0
Frl. R 
 0  0  2,4 0 10,5  0 11,5  3,6
 0  2,8  5,8 0  0 24,3  8,2  5,9
Moyenne 
 6,9 11,1  7,0 1,8  5,7 28,0  6,2  

Ces chiffres n’expriment pas le degré de l’influence produite par l’exercice tout seul ou par la fatigue toute seule, puisque ces deux facteurs influent simultanément sur le travail, et ce n’est que la différence de ces influences qui est exprimée par ces calculs.

Nous donnons dans le tableau précédent les valeurs de l’augmentation de la vitesse de travail pendant la première phase pour les différents travaux et les dix sujets ; les nombres du tableau sont calculés comme nous l’avons montré plus haut.

Dans le tableau précédent il y a un certain nombre de zéros ; ils signifient que la vitesse maximum était la vitesse initiale et que dès le commencement la vitesse de travail a diminué.

Avant de discuter les résultats contenus dans le tableau précédent, donnons encore les chiffres qui expriment de combien diminue la vitesse après le maximum lorsque la fatigue prédomine sur l’exercice.

SUJETS DIMINUTION DE LA VITESSE DE TRAVAIL
sous l’influence de la fatigue.
ACTE de compter des lettres une par une. ACTE de compter des lettres trois par trois.
ADDITION
ÉCRITURE
LECTURE
MÉMOIRE des chiffres. MÉMOIRE des syllabes.
MOYENNE
  P. 100. P. 100.            
 5,7  7,7 12,6  7,5  5,3  0 33,3 10,3
H. D 
 6,1  0 15,9  9,1  5,3 62,5 74,3 24,7
 3,4 14,0 13,2 10,4  0 16,6 37,1 13,5
12,2 11,4 11,7  6,2  7,6 26,0 50,0 17,9
 5,1  4,9 12,0  4,5  8,4  0 71,4 15,2
 3,2 10,2 20,7  4,9  4,6 11,3  0  7,8
 5,4  0 26,7  7,4 11,1 18,1 50,0 16,9
E. D 
 2,5  0 14,2  3,1  6,5 34,6  0  8,7
Frl. R 
12,6 16,0 14,9 19,8  2,5 32,3 33,4 18,8
 5,6  4,6 12,0 10,7  7,6 21,9 35,6 14,0
Moyenne 
 6,2  6,9 15,4  8,4  5,9 22,3 38,5  

Un coup d’œil sur les tableaux précédents montre qu’il y a des différences individuelles considérables ; mais avant d’examiner ces différences individuelles, portons notre attention sur les différents travaux intellectuels, examinons donc les chiffres moyens qui se trouvent dans la dernière ligne de chacun des deux tableaux précédents. On voit que l’augmentation de la vitesse de travail ainsi que sa diminution après le maximum présentent des degrés variables suivant les différents travaux. Ainsi cette augmentation est la plus faible pour l’écriture, elle est égale à 1,8 ; elle est un peu plus forte pour la lecture (5,7), puis viennent la mémoire des syllabes, l’acte de compter les lettres une à une, les additions, l’acte de compter les lettres trois par trois ; enfin cette augmentation est la plus forte pour la mémoire des chiffres.

L’ordre de ces travaux est différent pour la diminution de la vitesse après le maximum dans la phase où la fatigue prédomine sur l’exercice ; ainsi la diminution de la vitesse est la plus faible pour la lecture (5,9), puis viennent l’acte de compter les lettres une à une, l’acte de compter les lettres trois par trois, l’écriture, les additions, la mémoire des chiffres et en dernier lieu la mémoire des syllabes. Nous avons, dans un tableau précédent (p. 240), indiqué le temps à la suite duquel on atteignait la vitesse maximum, et nous avons rangé les différents travaux intellectuels par ordre en commençant par celui pour lequel la vitesse maximum était atteinte le plus rapidement et en terminant par celui pour lequel ce maximum était atteint après le temps le plus long. Construisons un tableau comparatif ; dans la première colonne nous inscrirons les différents travaux intellectuels dans l’ordre qui correspond à la durée nécessaire pour atteindre le maximum, et nous commencerons par le travail pour lequel cette durée est la plus petite ; c’est la mémoire des syllabes. Dans la seconde colonne nous inscrirons les mêmes travaux ordonnés suivant le degré d’augmentation de la vitesse sous l’influence de l’exercice ; nous commencerons par le travail pour lequel cette augmentation est la plus faible, c’est-à-dire par l’écriture. Enfin, dans la troisième colonne nous rangeons les différents travaux suivant le degré de diminution de la vitesse, et nous commençons ici par le travail pour lequel cette diminution est la plus forte, c’est-à-dire par la mémoire des syllabes.

Nous obtenons donc le tableau qui suit :

ORDONNÉS
suivant le temps nécessaire
pour atteindre le maximum de vitesse.
ORDONNÉS
suivant le degré
d'augmentation de la vitesse sous l'influence de l'exercice.
ORDONNÉS
suivant le degré
de diminution de la vitesse sous l’influence de la fatigue.
Mémoire des syllabes. Ecriture. Mémoire des syllabes.
Ecriture. Lecture. Mémoire des chiffres.
Lecture. Mémoire des syllabes. Additions.
Additions. Acte de compter des lettres une à une. Ecriture.
Acte de compter des lettres une à une. Additions. Acte de compter des lettres trois par trois.
Acte de compter des lettres trois par trois. Acte de compter des lettres trois par trois. Acte de compter des lettres une à une.
Mémoire des chiffres. Mémoire des chiffres. Lecture.

Si on compare ces trois séries entre elles, on voit qu’elles se ressemblent beaucoup, et cette ressemblance est surtout marquée pour les deux premières colonnes. Exprimons ces résultats plus clairement : on voit que, pour les travaux dans lesquels le maximum de vitesse est atteint rapidement, l’augmentation de la vitesse sous l’influence de l’exercice est faible, tandis que la diminution de la vitesse par suite de la fatigue est forte. On peut représenter graphiquement ce résultat. Portons en abscisses les durées en minutes et portons en ordonnées les quantités de travail. Nous supposons pour plus de clarté que la vitesse minimum au commencement est la vitesse de début ; prenons trois travaux intellectuels différents : la mémoire des syllabes, les additions et l’acte de compter des lettres trois par trois.

Fig. 76. — Cette figure schématique indique la marche générale de la vitesse de travail pour trois travaux différents. On remarque que le maximum de vitesse est atteint le plus rapidement pour la mémoire des syllabes, puis pour les additions et en troisième lieu pour l’acte de compter des lettres 3 par 3. La diminution de la vitesse au bout de 120 minutes est la plus forte pour la mémoire des syllabes, puis pour les additions, et enfin la moins forte pour l’acte de compter des lettres. C’est, on le voit, le même ordre dans les deux cas.

Nous commençons au même point pour les trois travaux, et nous marquons le point de vitesse maximum et le degré de descente de cette vitesse par suite de la fatigue. En joignant ces points on obtient les trois courbes suivantes (fig. 76). On voit que pour la mémoire des syllabes le maximum est atteint après vingt-quatre minutes, pour les additions ce maximum est atteint après vingt-huit minutes, enfin pour l’acte de compter des lettres il est atteint après cinquante-neuf minutes ; la place du maximum correspond à ces durées ; ainsi il est le plus bas pour la mémoire des syllabes et le plus haut pour l’acte de compter des lettres ; enfin la descente de la courbe est la plus forte pour la mémoire des syllabes et la plus faible pour l’acte de compter des lettres. Les lignes de descente pour les différents travaux ne sont pas parallèles entre elles, par conséquent le ralentissement de la vitesse de travail sous l’influence de la fatigue se fait le plus rapidement pour la mémoire des syllabes et le moins rapidement pour l’acte de compter des lettres.

Remarquons que de ces trois travaux intellectuels la mémoire des syllabes est le plus fatigant pour le sujet, l’acte de compter des lettres est le moins fatigant, tandis que les additions occupent le milieu. Les tracés précédents sont très caractéristiques et viennent en somme confirmer ce résultat donné par les remarques des sujets : le travail le plus fatigant augmente le moins en vitesse, le maximum est pour ce travail atteint plus vite que pour les autres travaux et sa vitesse diminue le plus sous l’influence de la fatigue ; le contraire a lieu pour le travail le plus facile, et enfin le travail de difficulté moyenne se trouve au milieu de ces deux extrêmes. Tel est le résultat général que nous apprend l’inspection des moyennes des tableaux précédents.

Examinons maintenant les différences individuelles, et à cette fin calculons la moyenne, pour chaque sujet, des résultats obtenus pour les sept travaux étudiés ; ces moyennes se trouvent indiquées dans les dernières colonnes des tableaux précédents (p. 243 et 244). Nous procéderons de la même manière que pour comparer les différents travaux intellectuels entre eux ; nous ordonnerons d’une part les sujets dans l’ordre correspondant au degré d’augmentation de la vitesse par suite de l’exercice, en commençant par le sujet pour lequel l’augmentation est la plus forte ; ce sujet est E. D., pour lequel l’augmentation moyenne est égale à 19. D’autre part, nous ordonnons les dix sujets suivant le degré de diminution de la vitesse par suite de la fatigue, et ici nous commencerons par le sujet pour lequel cette diminution est la plus faible (c’est W., pour lequel la diminution de vitesse est égale à 7, 8).

Enfin nous formons une troisième classification en ordonnant les sujets suivant le temps moyen nécessaire pour atteindre le maximum de vitesse ; ce temps moyen est calculé en se servant des chiffres du tableau de la page 240. Nous obtenons ainsi trois classifications que voici :

ORDONNÉS
suivant le temps nécessaire
pour atteindre le maximum de vitesse.
ORDONNÉS
suivant le degré
d'augmentation de la vitesse sous l'influence de l'exercice.
ORDONNÉS
suivant le degré
de diminution de la vitesse sous l’influence de la fatigue.
E D. E. D. W.
K. K. E. D.
F. F. K.
W. B. M.
M. W. O.
H. M. F.
H. D. H. H.
O. H. D. B.
Frl. R. O. Frl. R.
10° B. 10° Frl. R. 10° H. D.

En comparant ces trois classifications entre elles, on voit qu’elles se ressemblent beaucoup et cette ressemblance est surtout très nette pour les deux premières classifications. Ceci signifie que les sujets qui en travaillant atteignent rapidement le maximum de vitesse ont une faible augmentation de la vitesse par suite de l’exercice et une forte diminution de la vitesse sous l’influence de la fatigue. C’est en somme un résultat identique à celui que nous avons trouvé pour les différents travaux intellectuels pris isolément.

On peut, comme précédemment, représenter graphiquement ce résultat ; nous prendrons donc trois sujets, E. D., H. et Frl. R., et nous construirons pour chaque sujet une courbe qui représente la manière dont ce sujet se comporte lorsqu’il travaille.

Fig. 77. — Cette figure schématique indique les différences individuelles dans la marche de la vitesse du travail. Le sujet E. D. atteint le maximum de vitesse le dernier, l’augmentation de la vitesse est chez lui la plus forte et la diminution de la vitesse à la fin est la plus faible. Le sujet Frl. R. atteint le maximum le premier, l’augmentation de la vitesse est la plus faible et la diminution de la vitesse au bout de 120 minutes est la plus forte.

On voit que le premier sujet, E. D., travaille pendant un temps assez long, égal en moyenne à soixante-quinze minutes, avec une vitesse croissante ; l’augmentation par suite de l’exercice est chez lui plus considérable que chez les autres sujets ; après avoir dépassé le maximum, la vitesse diminue bien un peu, mais cette diminution est très faible.

Le dernier sujet, Frl. R., présente le contraire du précédent, il atteint vite (au bout de trente minutes) le maximum ; l’augmentation de vitesse par suite de l’exercice est chez lui faible, mais ensuite la vitesse diminue considérablement ; enfin le troisième sujet. H., représente un type intermédiaire.

Ce sont des différences individuelles très caractéristiques qui doivent probablement retentir sur d’autres phénomènes. Ces expériences montrent assez nettement qu’il faut distinguer les différents individus suivant la manière dont ils se fatiguent et s’exercent ; les uns, comme on voit, acquièrent peu par l’exercice pendant le travail et se fatiguent beaucoup, les autres au contraire font des progrès considérables et se fatiguent plus lentement. Il serait intéressant de poursuivre ces recherches avec d’autres travaux intellectuels ; on arriverait peut-être à des résultats d’une importance pratique.

Nous avons vu au commencement de l’analyse du travail de OEhrn que les différences individuelles pour la vitesse des différents travaux étaient très fortes ; on se demande naturellement si les sujets qui exécutent plus rapidement que les autres un certain travail sont aussi en avance pour d’autres travaux intellectuels et si la vitesse est une qualité générale. Nous allons examiner cette question ; elle présente une grande importance, car elle se trouve en relation directe avec une question plus générale, celle des rapports qui existent chez un individu entre différentes fonctions psychiques.

Donnons dans le tableau suivant les rangs que chaque sujet occupe dans chaque travail intellectuel ; nous représenterons par 1 le sujet qui a fait le travail plus vite que tous les autres sujets, par 10 celui qui l’a fait le plus lentement de tous.

On voit par exemple que le sujet K est le sixième en vitesse pour l’acte de compter des lettres ; il est le cinquième pour les additions et l’écriture, le sixième pour la lecture, enfin le deuxième pour la mémoire des chiffres et des syllabes.

SUJETS ORDRE DE CLASSEMENT DES SUJETS
pour chacun des travaux suivants :
ACTE de compter des lettres une par une. ACTE de compter des lettres trois par trois.
ADDITION
ÉCRITURE
LECTURE
MÉMOIRE des chiffres. MÉMOIRE des syllabes.
6 6 5 5 6 2 2
H. D 
3 2 4 1 3 9 7
5 5 1 2 2 5 5
9 10 6 10 9 10 9
1 3 2 3 8 8 10
7 4 9 9 10 3 3
8 8 10 7 5 4 6
E. D 
10 9 7 8 1 7 8
Frl. R 
4 7 8 6 4 6 4
2 1 3 4 7 1 1

Nous sommes donc en présence de sept classifications différentes ; comment déterminer s’il y a quelque rapport entre ces sept classifications ? Disons avant tout que la question n’a encore été étudiée jusqu’ici par aucun auteur ; on n’a pas encore proposé de méthode pour comparer deux ou plusieurs classifications différentes entre elles.

Nous allons proposer une méthode qui nous semble assez satisfaisante et qui peut être employée pour comparer un nombre aussi grand que l’on veut de classifications. Nous exposerons longuement cette méthode, puisque c’est pour la première fois que nous avons l’occasion d’en parler, et qu’elle peut rendre de grands services.

Penons un exemple et supposons qu’il s’agit de comparer entre elles seulement deux classifications, celle de l’addition et celle de l’écriture. Les deux classifications sont les suivantes, comme le montre le tableau précédent :

Additions 
 5, 4, 1, 6, 2, 9, 10, 7, 8, 3
Écriture 
 5, 1, 2, 10, 3, 9, 7, 8, 6, 4

Pour plus de clarté classons la première série dans l’ordre naturel de 1 à 10 et écrivons au-dessous l’ordre qui résulte après ce changement pour la classification d’après l’écriture :

Additions 
 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Écriture 
 2, 3, 4, 1, 5, 10, 8, 6, 9, 7

Ceci veut dire que le sujet qui est le premier pour les additions est le deuxième pour l’écriture ; celui qui est le dixième pour les additions est le septième pour l’écriture, etc. Un simple coup d’œil suffit pour montrer qu’il y a une ressemblance entre ces deux classifications ; ainsi les cinq premiers pour les additions se trouvent aussi parmi les cinq premiers pour l’écriture, et les cinq derniers pour les additions se trouvent parmi les cinq derniers pour l’écriture ; mais il peut arriver que cette ressemblance ne soit pas aussi nette que dans le cas présent, et enfin il est important de pouvoir exprimer le degré de ressemblance des deux séries par un nombre, pour être libre de l’appréciation subjective qui peut souvent amener des erreurs graves. Voici comment nous croyons qu’on peut procéder avec profit.

Calculons pour chaque sujet la place moyenne qu’il occupe si on tient également compte des deux classifications ; ceci revient à calculer la moyenne arithmétique des nombres qui se trouvent les uns au-dessous des autres ; nous obtenons de cette manière la série suivante :

1,5 ; 2,5 ; 3,5 ; 2,5 ; 5 ; 8 ; 7,5 ; 7 ; 9 ; 8,5

C’est un ordre moyen qui est donné par les deux classifications précédentes ; cette nouvelle classification ne correspond ni à celle de l’addition ni à celle de l’écriture. On peut donc se demander si on peut remplacer les deux classifications précédentes par cette classification unique ou non. Nous répondons à cette question en disant que si la différence entre cette nouvelle classification et chacune des deux précédente est forte, on ne peut pas remplacer les deux classifications précédentes par une seule. Si au contraire cette différence est faible, on pourra avantageusement remplacer les deux classifications par une seule classification moyenne, et de plus affirmer qu’il y a une relation entre la classification par rapport aux additions et celle de l’écriture. Tout revient donc à chercher en quoi diffère cette nouvelle classification moyenne des deux précédentes. Pour le faire, calculons de combien chaque nombre de chacune des classifications diffère du nombre correspondant de la classification moyenne ; nous obtenons les nombres suivants :

Additions 
 0,5 ; 0,5 ; 0,5 ; 1,5 ; 0 ; 2 ; 0,5 ; 1 ; 0 ; 1,5
Écriture 
 0,5 ; 0,5 ; 0,5 ; 1,5 ; 0 ; 2 ; 0,5 ; 1 ; 0 ; 1,5

On remarque que les différences sont les mêmes pour les deux séries ; cela tient à ce que nous n’avons pris que deux classifications ; s’il y en avait eu plus, il n’en aurait pas été ainsi.

Faisons la somme de toutes les différences précédentes, c’est-à-dire des 20 différences ; cette somme est égale à 16 ; par conséquent, la valeur moyenne de chaque différence est égale à 16 divisé par 20, c’est-à-dire à 0,8 ; nous désignons ce nombre par un nom spécial, puisque c’est ce nombre qui caractérise le degré de différence et par conséquent aussi le degré de ressemblance de deux ou plusieurs séries, nous l’appelons donc coefficient de différence des deux classifications étudiées.

Que signifie ce nombre 0,8 ? Nous apprend-il que la différence des deux classifications est grande, ou petite ? Voyons les cas qui peuvent se présenter lorsqu’on compare deux classifications entre elles. Ces classifications peuvent être d’abord identiques : dans ce cas, le coefficient de différence est égal à 0 ; d’autre part, ces classifications peuvent être complètement différentes l’une de l’autre, de sorte que l’une représente juste l’ordre renversé de l’autre ; dans le cas présent où il y a 10 sujets, on aurait donc les deux classifications suivantes :

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
10 9 8 7 6 5 4 3 2 1

Et si on calcule pour ces deux classifications le coefficient de différence, on trouve qu’il est égal à 2,5 ; c’est la valeur maximum de ce coefficient, et cette valeur maximum indique que les deux classifications sont l’inverse l’une de l’autre. Nous voilà donc en possession de deux termes de comparaison qui nous indiquent les valeurs du coefficient de différence dans deux cas extrêmes, celui de l’identité et celui de plus grande différence entre les deux classifications. Nous pouvons donc maintenant avoir une certaine idée de la signification du coefficient 0,8 ; il représente une ressemblance assez forte des deux classifications entre elles.

Mais on peut nous objecter que si la différence entre deux classifications est très forte, cette différence prouve aussi un certain rapport entre les deux classifications ; seulement, au lieu d’être un rapport direct, c’est un rapport inverse, c’est-à-dire ceux qui sont les premiers dans un cas sont les derniers dans l’autre, et réciproquement. On peut donc avoir affaire à deux classifications dont le coefficient de différence serait assez grand, égal à 1,8 par exemple, et ne pas savoir si ce coefficient signifie qu’il n’y a pas de rapport du tout entre les deux classifications ou qu’il y a un rapport inverse, La difficulté est facile à éviter ; prenons encore un exemple qui nous fera mieux comprendre la méthode à employer. Prenons la classification donnée par l’addition et celle donnée par la mémoire des chiffres :


Mémoire des chiffres 
 2, 9, 5, 10, 8, 3, 4, 7, 6, 1
Additions 
 5, 4, 1, 6, 2, 9, 10, 7, 8, 3

Le coefficient de différence pour ces deux classifications est égal à 1,9.

Dans la classification précédente on représente par 1 le sujet qui fait le plus vite les additions ou qui apprend le mieux les chiffres par cœur ; il semble que la relation entre les deux séries n’existe pas ou du moins est très faible ; on pourrait se demander s’il n’y a pas de relation inverse, c’est-à-dire si les sujets qui sont les derniers en addition ne seraient pas les premiers pour la mémoire des chiffres ; remplaçons la classification de l’addition par une classification inverse dans laquelle nous représentons par I le sujet qui fait le plus lentement les additions. Nous obtenons les deux séries suivantes :

Mémoire des chiffres 
 2, 9, 5, 10, 8, 3, 4, 7, 6, 1
Additions renversées 
 VI, VII, X, V, IX, II, I, IV, III, VIII

Calculons pour ces deux séries le coefficient de différence ; nous obtenons 1,7, c’est-à-dire un nombre peu différent de 1,9. Nous concluons donc qu’il n’y a pas de relation entre la classification donnée par les additions et celle donnée par la mémoire des chiffres ; les deux séries peuvent être considérées comme indépendantes l’une de l’autre.

C’est ainsi qu’on procédera toutes les fois qu’il y aura doute. La méthode que nous avons décrite plus haut est une méthode générale qui peut être appliquée simultanément à autant de classifications que l’on veut ; nous donnerons plus loin un exemple de l’application pour comparer entre elles quatre classifications simultanément. Lorsqu’on n’aura que deux classifications à comparer, on pourra employer une méthode de calcul plus rapide que celle que nous venons d’exposer, mais cette méthode abrégée ne s’applique qu’à deux classifications.

Prenons un exemple ; la classification donnée par la mémoire des chiffres et celle donnée par la mémoire des syllabes sont les suivantes :

Mémoire des chiffres 
 2, 9, 5, 10, 8, 3, 4, 7, 6, 1
Mémoire des syllabes 
 2, 7, 5, 9, 10, 3, 6, 8, 4, 1

Calculons les différences des nombres placés les uns au-dessous des autres ; on a :

0, 2, 0, 1, 2, 0, 2, 1, 2, 0

Faisons la somme de ces différences, on obtient 10, et divisons cette somme par 20, nous obtenons le coefficient de différence. On a ainsi 0,5 pour valeur de ce coefficient ; ce qui montre qu’il y a une grande ressemblance entre la classification donnée par la mémoire des chiffres et celle de la mémoire des syllabes.

CLASSIFICATIONS COMPARÉES ENTRE ELLES VALEURS du coefficient de différence.
Mémoire des chiffres 
Mémoire des syllabes 
0,5
Acte de compter des lettres une à une   
Acte de compter des lettres trois par trois 
0,6
Additions 
Écriture 
0,75
Acte de compter des lettres trois par trois. 
Écriture 
0,8
Acte de compter des lettres une à une
Additions 
1,1
Acte de compter trois par trois 
Additions 
1,2
Écriture 
Lecture 
1,2
Compter trois par trois 
Mémoire des chiffres 
1,2
Écriture 
Mémoire des chiffres 
1,5
Compter une à une 
Lecture 
1,5
Additions 
Lecture 
1,6
Compter trois par trois 
Lecture 
1,8
Mémoire des chiffres 
Lecture 
1,8
Mémoire des chiffres 
Additions 
1,9

Nous avons calculé les valeurs des coefficients de différences pour les différentes classifications, et nous rapportons dans la suite ces valeurs ; nous avons dans chaque cas comparé deux classifications entre elles et nous rangeons dans le tableau page 255 ces comparaisons par ordre de ressemblance, c’est-à-dire en commençant par celles qui ont le plus petit coefficient de différence.

La ressemblance est donc la plus forte entre la mémoire des chiffres et la mémoire des syllabes, entre l’acte de compter des lettres une à une et l’acte de les compter trois par trois, entre les additions et l’écriture, l’acte de compter des lettres trois par trois et l’écriture. Au contraire on peut dire qu’il n’y a pas de relation entre les classifications données par l’acte de compter des lettres trois par trois et la lecture, ou par la mémoire des chiffres et la lecture, ou enfin par la mémoire des chiffres et les additions.

On voit qu’au moyen de la méthode précédente nous pouvons non seulement dire s’il y a une ressemblance ou non, mais même exprimer le degré de cette ressemblance par un nombre indépendant de l’appréciation subjective.

Jusqu’ici nous n’avons comparé les différentes classifications que deux par deux ; faisons maintenant la comparaison entre plusieurs classifications simultanément. Le tableau précédent nous montre que l’on peut réunir les quatre travaux intellectuels suivants : 1° acte de compter les lettres une à une ; 2° acte de compter les lettres trois par trois ; 3° additions ; 4° écriture.

En effet, entre les classifications données par chacun de ces travaux intellectuels il existe une ressemblance assez forte lorsqu’on les compare deux à deux ; nous avons les coefficients de différence suivants :

0,6 ; 0,8 ; 0,75 ; 1,1 ; 1,2

Si à ce groupe de quatre travaux nous ajoutons encore la lecture, nous ajouterons alors les coefficients de différence suivants :

1,2 ; 1,5 ; 1,6 ; 1,8


qui sont bien supérieurs aux précédents et qui indiquent qu’il n’y a pas de relation entre la classification donnée par la lecture et celle donnée par les quatre fonctions précédentes.

Si nous ajoutons aux quatre travaux précédents la mémoire des chiffres, nous ajoutons par cela même les coefficients 1,9 ; 1,2 ; 1,5 qui indiquent de nouveau qu’il n’y a pas de relation entre la mémoire des chiffres et ces quatre travaux intellectuels.

Ces raisons suffisent pour montrer qu’il faut considérer ensemble les quatre travaux précédents, qui doivent ainsi former un groupe ; comme deuxième groupe on prendra la mémoire des chiffres et la mémoire des syllabes, et enfin, en troisième lieu on considère la lecture.

Les classifications données par les quatre travaux du premier groupe sont :

Acte de compter un à un 
 6 3 5 9 1 7 8 10 4 2
Acte de compter trois à trois 
 6 2 5 10 3 4 8 9 7 1
Additions 
 5 4 1 6 2 9 10 7 8 3
Écriture 
 5 1 2 10 3 9 7 8 6 4

Calculons la moyenne pour chaque sujet des quatre nombres correspondants, nous obtenons la classification moyenne suivante :

5,5 ; 2,5 ; 3,25 ; 8,75 ; 2,25 ; 7,25 ; 8,25 ; 8,5 ; 6,25 ; 2,5

Calculons la différence pour chaque nombre avec le nombre moyen correspondant et faisons la somme de toutes les différences, il y a 40 différences ; la somme est égale à 43, donc le coefficient de différence est égal à 43 divisé par 40, c’est-à-dire à 1.07.

Si au lieu de prendre ensemble les quatre travaux intellectuels, on avait encore ajouté la lecture, on aurait eu un coefficient de différence plus fort égal à 1,46, ce qui prouve encore une fois que la lecture ne peut pas être ajoutée au groupe des quatre travaux précédents.

Enfin pour le deuxième groupe composé de la mémoire des chiffres et de la mémoire des syllabes nous avons vu que le coefficient de différence était égal à 0,5.

En résumé, si nous considérons les sept travaux intellectuels précédents, nous pouvons les partager en trois groupes différents ; les classifications moyennes dans chacun de ces groupes sont les suivantes :

1er GROUPE
Compter un à un, compter trois à trois, additions, écriture.
2° GROUPE
Lecture.
3° GROUPE
Mémoire des chiffres et des syllabes.
F.   E. D. O.  
H. D.   égaux. M. K.
O. H. D. W.  
M.   Frl. R. M.   égaux.
K.   H. H.
Frl. R.   K. Frl. R.
W.   O. E. D.  
H.   F. H. D.  
E D.   B. F.  
10° B.   10° W. 10° B.  

Ces trois classifications sont différentes l’une de l’autre. Il ne faudrait certainement pas fonder sur ces résultats des conclusions générales, puisque les conditions dans lesquelles les expériences précédentes ont été faites sont très artificielles ; mais ce qui est important, c’est la méthode d’étude ; le travail d’OEhrn montre que sur des adultes les exercices choisis par lui permettent de voir des différences individuelles caractéristiques et pour la rapidité de travail et pour la manière de se fatiguer ou de s’exercer. La signification psychologique de ces différences psychologiques ne peut pas encore être donnée, il faut attendre d’autres recherches faites sur d’autres travaux intellectuels avec un nombre plus grand de personnes.

Nous nous sommes longuement arrêtés sur le travail de OEhrn, mais nous ne nous sommes pas contentés de présenter un résumé de son travail, nous avons cherché à étudier les chiffres rapportés en entrant dans plus de détails que l’auteur ne le fait lui-même ; bien des raisonnements et quelques-uns des résultats que nous avons présentés plus haut ne se trouvent pas dans le travail original.


CHAPITRE III
RECHERCHES DE LABORATOIRE
influence des pauses de repos sur le travail intellectuel

Nous avons vu précédemment que lorsqu’on fait un certain travail continu pendant un temps assez long, deux facteurs principaux influent sur la vitesse de travail, ce sont l’exercice acquis et la fatigue ; ces deux facteurs agissent en sens contraire sur la vitesse. Si après deux heures de travail on s’arrête et qu’on se repose quelques heures, la fatigue disparaît complètement, à moins qu’elle n’ait été extrêmement intense, ce qui, en général, n’arrive pas dans les cas étudiés ici ; mais l’exercice acquis ne disparaît pas, et si après ce repos de quelques heures on commence à travailler de nouveau, la vitesse avec laquelle on commence à travailler est supérieure à la vitesse de travail de la première séance. OEhrn a déjà dans quelques expériences isolées trouvé ce fait ; il était intéressant d’étudier la question de plus près, de voir combien de temps de repos il fallait pour supprimer la fatigue et de voir si l’exercice acquis persiste un temps indéfini, ou s’il se perd lorsqu’on cesse de travailler pendant un certain nombre d’heures ou de jours. Ce sont ces questions qui ont été étudiées par Amberg[2] en 1896.

Les expériences ont été faites sur deux sujets ; il y a seulement quelques expériences isolées qui ont été faites sur un plus grand nombre de personnes. Les travaux intellectuels choisis par l’auteur ont été les additions et la mémoire des chiffres ; nous avons vu plus haut comment ces expériences sur les additions et la mémoire des chiffres sont faites ; nous n’y revenons donc pas.

La première question était d’étudier quelle influence un repos court pouvait avoir sur la vitesse de travail. Voici comment l’auteur a fait les expériences : chaque série d’expériences se compose de huit jours successifs ; chaque jour, à la même heure, le sujet doit, soit faire des additions, soit apprendre par cœur des séries de douze chiffres. Les jours impairs (premier, troisième, cinquième, septième) le sujet doit faire le travail pendant une heure sans s’interrompre ; les jours pairs (deuxième, quatrième, sixième, huitième) il faisait le travail pendant un certain temps, puis se reposait pendant un temps déterminé, travaillait de nouveau, et ainsi de suite. On avait de cette manière la possibilité de contrôler les résultats obtenus les jours pairs par ceux que l’on obtenait les jours impairs, et aussi de déterminer plus exactement l’influence produite par le repos.

Cinq séries de huit jours chacune ont été faites ; pendant chaque série d’expériences, le sujet menait une vie aussi régulière que possible pour écarter les influences que pourraient produire des causes externes variables. Voici quelles étaient ces cinq séries :

Première série. — Les jours pairs, le sujet faisait des additions pendant une demi-heure, puis se reposait pendant cinq minutes et faisait encore des additions pendant une demi-heure.

Deuxième série. — Les jours pairs, le sujet faisait des additions pendant cinq minutes, puis se reposait cinq minutes, puis calculait de nouveau pendant cinq minutes, et ainsi de suite pendant deux heures en faisant toujours suivre cinq minutes de travail par cinq minutes de repos.

Troisième série. — Les jours pairs, le sujet faisait des additions pendant une demi-heure, puis se reposait quinze minutes et puis calculait de nouveau pendant une demi-heure.

Quatrième série. — Les jours pairs, le sujet faisait des additions pendant une heure, puis se reposait pendant quinze minutes et calculait encore pendant une heure.

Cinquième série. — Les jours pairs, le sujet apprenait des séries de chiffres par cœur pendant une demi-heure, puis se reposait pendant quinze minutes et travaillait encore pendant une demi-heure.

Voyons les résultats obtenus. Un résultat très net est que la vitesse de travail augmente continuellement de jour en jour ; l’exercice que l’on acquiert pendant une heure de travail se conserve jusqu’au lendemain, et même après trente-huit heures d’intervalle il ne diminue pas ; ce n’est qu’après des repos de quarante-sept et de soixante-douze heures que l’auteur a observé une perte de l’exercice acquis.

Les influences produites par les pauses courtes ne sont pas très nettes ; il semble qu’un repos de cinq minutes après une demi-heure d’additions est favorable, c’est-à-dire on calculait un peu plus vite dans la seconde demi-heure les jours où il y avait repos, que les jours de contrôle où il n’y en avait pas.

Cette influence est très faible ; pour le montrer nous la représentons sur le graphique suivant, sur lequel sont portés en abscisses les différents jours de travail et en ordonnées les quantités de travail fait pendant une demi-heure. Nous avons d’abord tracé la courbe qui représente les quantités de travail pendant la première demi-heure de tous les jours, c’est le trait plein. Ensuite nous représenterons par une petite croix les quantités de travail fait dans la deuxième demi-heure des jours sans repos, et par un petit cercle les quantités de travail dans la deuxième demi-heure des jours avec repos de cinq minutes.

Fig. 78. — Expériences d’Amberg sur l’influence produite par les pauses de repos sur la vitesse des additions.


Nous réunissons entre elles les croix par un pointillé et les cercles par une ligne interrompue ( — . — . — .). Pour voir l’influence produite par le repos il faut comparer ces deux lignes entre elles ; on voit que la ligne interrompue est au-dessus de la ligne pointillée, ce qui veut dire que les jours avec repos on a mieux travaillé dans la deuxième demi-heure que les jours sans repos.

Si on examine la marche de la ligne pleine, on voit qu’elle monte continuellement, c’est une preuve que l’exercice acquis pendant une heure de travail ne se perd pas après vingt-quatre heures de repos.

Les expériences de la troisième série ont montré que après une demi-heure d’additions une pause de quinze minutes n’a ni une influence favorable ni une influence défavorable. Cette série d’expériences a été faite juste un an après la première, il est bien difficile de comparer les résultats de ces deux séries entre elles ; une chose peut être certaine, c’est que s’il y a une influence produite par une pause de quinze minutes, cette influence n’est pas nette.

Lorsqu’au lieu de mettre la pause de repos après une demi-heure, on la place après une heure d’additions (quatrième série), on remarque une influence favorable produite par ce repos.

Si le travail consiste à apprendre par cœur des séries de chiffres, un repos de quinze minutes après une demi-heure de travail est favorable.

Enfin, si après cinq minutes de travail on se repose cinq minutes et qu’on travaille ensuite de nouveau cinq minutes et ainsi de suite pendant deux heures, le repos de cinq minutes a une influence défavorable au commencement du travail et influe au contraire dans un sens favorable vers la fin.

Donnons quelques chiffres pour montrer jusqu’à quel point les résultats précédents sont nets et pour montrer comment ont été calculés les résultats ; cette dernière question n’est pas simple. Prenons un exemple dans les chiffres d’Amberg : le sujet fait des additions pendant une heure sans interruption les jours impairs, et il se repose quinze minutes après la première demi-heure des jours pairs. Voici les nombres d’additions faites pendant les deux demi-heures des huit jours de travail :

  Sans repos. Avec repos. Sans repos. Avec repos. Sans repos. Avec repos. Sans repos. Avec repos.
1re demi-heure. 1 021 1 426 1 526 1 435 1 451 1 617 1 805 2 096
2e 1 265 1 442 1 499 1 461 1 464 1 677 1 947 2 044

On voit d’abord que les nombres d’additions augmentent considérablement du premier au huitième jour ; de plus, toujours, sauf le troisième jour, qu’il y ait un repos de quinze minutes ou qu’il n’y en ait pas, dans la deuxième demi-heure on a calculé plus que dans la première ; si on examine les différences entre les deux demi-heures, on ne voit pas se dégager de régularité ; en effet, ces différences sont :

Les jours sans repos 
 + 244 ; — 27 ; + 13 ; + 142
Les jours avec repos 
 + 16 ; + 26 ; + 60 ; + 38

L’auteur porte l’attention sur les augmentations dans les nombres d’additions d’un jour à l’autre ; ces augmentations sont dues à l’exercice acquis pendant une heure de calcul ; il cherche à déterminer l’augmentation moyenne par jour due à l’exercice. Montrons sur un exemple plus simple comment cette augmentation moyenne est calculée ; supposons qu’on fasse pendant quatre jours les nombres d’additions suivants : 100, 105, 112, 120. Les augmentations de jour en jour sont 5, 7, 8 ; les augmentations de deux jours en deux jours sont 12 et 15 ; enfin, l’augmentation de trois jours est 20 ; on calcule l’augmentation moyenne par jour en se servant de toutes ces différences : ainsi de l’augmentation de deux jours en deux jours on déduit en divisant par 2 l’augmentation de jour en jour, et de même en divisant l’augmentation de trois jours par 3 ; on a donc les valeurs suivantes pour les augmentations de jour en jour :  ; on prend la moyenne arithmétique de tous ces nombres, elle est égale à 6,7 ; c’est cette grandeur qui est appelée par l’auteur « l’augmentation moyenne » par jour ; connaissant cette augmentation moyenne, on peut calculer pour chaque jour combien on devrait obtenir de nombres de calculs ; ainsi, le deuxième jour, on devrait avoir 106 additions ; le troisième, 113 ; le quatrième, 120, etc.

L’auteur calcule cette augmentation moyenne d’abord pour les jours de contrôle (sans repos) ; se servant de cette grandeur calculée, il peut calculer le nombre d’additions qu’il faudrait s’attendre à obtenir les jours avec repos ; puis il compare ces nombres calculés aux nombres obtenus en réalité. Voici ces nombres pour le cas présent :

  JOURS de contrôle. JOURS AVEC REPOS
Calculés. Obtenus.
1re demi-heure 5 803 6 407 6 484 (101,2 p. 100)
2e 6 175 6 638 6 624 (99,8          )

Dans le tableau précédent, tous les jours de contrôle et tous les jours avec repos sont réunis ; on voit que les nombres d’additions faites en réalité diffèrent peu des nombres calculés ; il semble qu’on devrait en conclure que le repos de quinze minutes n’a pas d’influence ; l’auteur se contente de différences aussi faibles, qui n’atteignent même pas 1 p. 100, pour en déduire que le repos de quinze minutes a une influence nuisible. Nous ne croyons pas que l’auteur soit en droit de faire des conclusions pareilles fondées sur des chiffres aussi faibles et aussi artificiels ! Il oublie la règle générale enseignée par le calcul des probabilités, qu’il faut prendre des nombres de détermination aussi grands que possible et qu’il existe une limite pour toute précision : pourquoi n’a-t-il pas calculé l’erreur probable dans chaque cas et n’a-t-il pas étudié de plus près si les écarts observés dépassent l’écart probable ou ne le dépassent pas ? Si on se sert du calcul de probabilité dans le calcul de la moyenne, il faut aussi mener les calculs à bout et voir la valeur de la précision ; on n’a pas besoin de faire de calculs pour voir que l’erreur probable dépassera de beaucoup les écarts observés. C’est un manque de méthode grave, qui se rencontre dans tout le travail d’Amberg et aussi dans celui de Rivers et Kræpelin.

La plupart des résultats énoncés plus haut sont déduits de différences très faibles, ne dépassant qu’exceptionnellement 8 p. 100 ; le nombre d’expériences est trop faible pour permettre d’appliquer avec autant de précision le calcul des probabilités. En somme, les résultats énoncés plus haut peuvent peut-être être considérés comme probables ; mais dans aucun cas ils ne peuvent être considérés comme sûrs ; il faudrait, pour les démontrer, calculer dans tous les cas les valeurs des erreurs probables et voir si les écarts obtenus les dépassent.

Nous avons calculé pour le cas précédent la valeur de l’erreur probable pour l’augmentation moyenne des premières demi-heures dans les jours de contrôle (sans repos) ; la valeur de l’augmentation moyenne pour les premières demi-heures est pour les jours de contrôle égale à 101, ce sont les 10 p. 100 du nombre d’additions faites la première demi-heure (= 1 021). La valeur de l’erreur probable calculée est égale à 50, ce sont les 5 p. 100 du nombre d’additions faites la première demi-heure ; par conséquent, lorsque les augmentations observées de jour en jour sont comprises entre 10 ± 5 p. 100, c’est-à-dire entre 15 p. 100 et 5 p. 100 du nombre d’additions du premier jour, il y a une plus forte probabilité que ces écarts sont dus au hasard qu’à une cause quelconque. En se servant de la valeur de l’augmentation moyenne, on trouve comme nombre d’additions qu’on devrait s’attendre à obtenir dans les premières demi-heures des jours avec repos 6 407 additions, et l’erreur probable est égale à ± 290 ; c’est-à-dire que, si on trouve en réalité un nombre d’additions compris entre 6 117 et 6 697, on pourra, avec une probabilité supérieure à , affirmer que ce nombre est dû au hasard ; or, l’auteur trouve un nombre d’additions égal à 6 484.

La critique précédente s’applique aussi au travail de Rivers et Kræpelin ; ces auteurs ont aussi calculé les nombres d’additions qu’il faudrait s’attendre à obtenir et de la divergence entre ces nombres calculés et les nombres observés en réalité ; ils ont déduit des conclusions très générales sur la fatigue et le repos ; or, ils n’ont pas calculé les erreurs probables ; par conséquent, les résultats ne peuvent pas être considérés comme démontrés ; il est vrai que les écarts observés dépassent en général ceux d’Amberg, mais les auteurs déduisent leurs conclusions aussi bien des écarts grands que des écarts faibles ; c’est une erreur grave qui diminue de beaucoup la valeur de leur travail.

Amberg explique ses résultats en admettant qu’indépendamment de l’exercice et de la fatigue il existe un troisième facteur que l’on peut appeler l’entraînement ; c’est l’état dans lequel on se trouve lorsqu’on fait quelque travail pendant un temps assez long avec beaucoup d’énergie ; il faut un certain temps pour acquérir cet entraînement ; ce temps est probablement dans le cas présent supérieur à cinq minutes, voilà pourquoi dans la deuxième série un repos de cinq minutes intercalé après chaque cinq minutes de travail est défavorable. D’un autre côté, cet état émotif est intimement lié au travail même, et si on interrompt le travail pendant un temps assez long, l’entraînement acquis disparaît ; c’est ainsi que l’auteur explique pourquoi un repos de quinze minutes après une demi-heure de travail a une influence défavorable.

Cet entraînement subsiste tant que la fatigue n’est pas très développée, mais à mesure que la fatigue augmente l’entraînement disparaît, et à ce moment un repos de quelques minutes sert à faire diminuer l’état de fatigue ; c’est ainsi qu’un repos de quinze minutes après une heure de travail est favorable.

Tels sont les résultats obtenus par Amberg ; l’explication précédente que l’auteur donne est intéressante et mérite d’être notée ; mais répétons encore une fois qu’il y a eu trop peu de sujets, on a fait trop peu d’expériences, de sorte que les résultats énumérés plus haut ne doivent servir que comme l’indication d’une direction à suivre pour des recherches ultérieures.

Un travail analogue au précédent a été fait par Rivers et Kræpelin[3] ; seulement, au lieu d’étudier l’influence des pauses courtes de repos, ils ont cherché à déterminer l’influence produite par un repos d’une demi-heure ou d’une heure entière après un travail d’une demi-heure. Dans la première série, se composant de huit jours successifs, le sujet devait, les jours impairs (premier, troisième, cinquième, septième), faire des additions pendant une demi-heure, puis se reposer une demi-heure, puis calculer de nouveau pendant une demi-heure, se reposer encore, puis calculer encore pendant trente minutes, se reposer et enfin calculer pour la dernière fois pendant une demi-heure. Les jours pairs (deuxième, quatrième, sixième, huitième) servaient de contrôle ; le sujet ne devait ces jours-là faire des additions que pendant une demi-heure.

Dans la deuxième série, qui se composait de six jours, les pauses de repos étaient de une heure entière, le reste était identique à la disposition de la première série.

Les résultats obtenus sur un seul sujet sont assez nets : lorsqu’on compte les quantités d’additions faites par quart d’heure, on remarque d’abord que dans le deuxième quart d’heure on a fait plus d’additions que dans le premier ; puis vient un repos de trente minutes ; après ce repos le travail fait pendant le quart d’heure qui suit le repos est supérieur au travail fait dans le quart d’heure avant le repos ; le repos de trente minutes a donc eu une influence favorable ; par conséquent on a fait plus de travail dans le troisième quart d’heure que dans le deuxième. Pour plus de clarté nous donnons un schéma de la durée de l’expérience avec division en quarts d’heure :

Fig.79. — Expériences de Rivers et Kræpelin montrant l’influence des pauses de repos de 30 minutes sur la vitesse des additions.

Premier quart d’heure, deuxième quart d’heure, repos de trente minutes, troisième quart d’heure, quatrième quart d’heure, repos de trente minutes, cinquième quart d’heure, sixième quart d’heure, repos de trente minutes, septième quart d’heure, huitième quart d’heure.

Fig. 80. — Expériences de Rivers et Kræpelin montrant l’influence des pauses de repos de 1 heure sur la vitesse des additions.

Pendant le quatrième quart d’heure on a fait moins de calculs que pendant le troisième, par conséquent il y a eu une influence de fatigue pendant la deuxième demi-heure de travail.

Après le deuxième repos pendant le cinquième quart d’heure on a une fois sur trois gagné un peu sur la quantité de travail faite pendant le quatrième quart d’heure. La deuxième demi-heure n’a pas suffi pour faire disparaître la fatigue ; enfin le dernier repos ne suffit pas non plus puisque pendant le septième quart d’heure on a fait moins de calculs que pendant le sixième.

Ces résultats sont représentés sur le graphique 79, dans lequel les lignes verticales indiquent les moments de repos.

Des résultats un peu différents ont été obtenus dans la deuxième série avec des pauses de repos d’une heure. Ces résultats sont représentés sur le graphique 80.

La différence essentielle est que lorsque après une heure de repos on calcule pendant une demi-heure, la quantité de travail fait pendant les premières quinze minutes est moindre que la quantité de travail fait pendant les dernières quinze minutes, par conséquent la fatigue ne prédomine pas sur l’exercice vers la fin de la demi-heure de travail. Nous avons vu que lorsque le repos n’était que de trente minutes, la fatigue prédominait vers la fin de la demi-heure. On peut facilement constater ce résultat sur le graphique 80 ; toujours, à une exception près, il y a eu plus de travail fait pendant les quarts d’heure d’ordre pair que pendant les quarts d’heure impairs ; tandis que dans le graphique de la figure 79, si on ne compte pas les deux premiers quarts d’heure qui sont au commencement, sept fois dans les quarts d’heure pairs on a fait moins de travail que dans les quarts d’heure impairs, et seulement deux fois l’inverse a eu lieu.

Si on examine les courbes du graphique 80 on voit que le maximum de travail est atteint dans le quatrième quart d’heure, tandis que dans le graphique de la première série (fig. 79) le maximum était atteint dans le troisième quart d’heure.

Ces résultats indiquent assez nettement qu’il y a une différence entre un repos de trente minutes et un repos d’une heure ; que la première fois, après trente minutes de calcul, le repos suffit pour rétablir les effets de fatigue, mais après deux demi-heures de calcul ou plus ce repos ne suffit déjà plus.

Ces expériences de Kræpelin et de ses élèves nous montrent qu’il se produit pendant un travail intellectuel des modifications assez fortes de la vitesse de travail ; ces modifications peuvent nous indiquer si l’individu est plus ou moins fatigué, enfin elles peuvent servir en quelque sorte de caractéristique pour un individu, puisqu’elles nous montrent s’il se fatigue vite ou non et s’il gagne beaucoup ou peu par l’exercice. Tous ces points sont loin d’être élucidés complètement par les recherches précédentes ; elles constituent simplement des indications pour d’autres recherches nouvelles qu’il faut entreprendre sur un grand nombre de sujets en variant autant que possible la nature des travaux intellectuels.


CHAPITRE IV
RECHERCHES DE LABORATOIRE
influence du travail intellectuel sur les temps de réaction, sur la vitesse des additions et sur la mémoire des chiffres

Parmi les recherches de laboratoire, l’une des plus méthodiques est celle de Bettmann[4] ; cet auteur a étudié comparativement les effets psychiques produits par un travail intellectuel (une heure d’additions) et ceux produits par une marche de deux heures.

Pour déterminer les effets psychiques il a choisi la durée des réactions de choix et des réactions verbales, la vitesse de la lecture, la vitesse des calculs et la vitesse avec laquelle on peut apprendre par cœur des séries de chiffres.

Voici comment il prend les réactions de choix et les réactions verbales. On dit à la personne qui est soumise aux expériences que l’on prononcera l’une des deux voyelles o ou e ; dès qu’elle entendra o elle devra faire un mouvement avec la main droite, et dès qu’elle entendra e un mouvement avec la main gauche ; un dispositif spécial permet de mesurer le temps qui s’écoule entre la prononciation de la voyelle et le mouvement exécuté par la personne ; ce temps, qui est appelé durée de la réaction de choix, est mesuré avec une précision d’un millième de seconde. On prend un certain nombre de ces réactions et puis on calcule la moyenne de ces nombres ; de cette façon on évite l’influence des causes d’erreur fortuites qui peuvent soit augmenter soit diminuer la durée d’une réaction, et on obtient la durée moyenne des réactions de choix.

Pour les réactions verbales les conditions sont un peu différentes : on prononce un mot quelconque, et la personne doit répéter ce mot aussi vite qu’elle le peut ; on mesure comme précédemment le temps qui s’écoule entre la prononciation du mot et sa répétition.

L’auteur prenait 300 réactions de choix, ce qui exigeait environ une demi-heure de temps ; ces 300 réactions étaient prises à certains jours sans être précédées par un travail psychique ou physique, puis à d’autres jours on prenait ces réactions à la même heure après une heure de calculs, et enfin à d’autres jours encore après deux heures de marche ; de cette façon on calculait des durées de réactions normales obtenues les jours de repos et on pouvait par comparaison connaître l’influence produite par le travail intellectuel et par la marche de deux heures. On pouvait supposer que la durée des réactions ne serait pas la même au commencement de la série, au milieu et à la fin ; pour éviter ce soupçon, l’auteur a divisé chaque série de 300 réactions en cinq groupes de 60 réactions chacun, et a calculé la moyenne pour chaque groupe.

Nous donnons dans le graphique 81 les résultats obtenus ; nous avons marqué par des points les réactions de choix au repos, par des croix celles après le travail intellectuel, et enfin par des petits cercles les réactions après une marche de deux heures.

Fig. 81. — Ce graphique représente l’influence du travail intellectuel et du travail musculaire sur la durée des réactions de choix. Après un travail intellectuel d’une heure les réactions deviennent plus longues qu’à l’état normal ; après une marche de deux heures elles sont plus courtes.

Les ordonnées indiquent les durées moyennes des réactions exprimées en millièmes de seconde ; chaque point indique la durée moyenne d’un groupe de 60 réactions de choix. Ainsi par exemple le graphique montre que pour le jour de repos la moyenne des 60 premières réactions de choix est égale à 308 millièmes de secondes, la moyenne des 60 suivantes à 270, celle des 60 suivantes à 275, etc. Le jour où on a fait des calculs pendant une heure et où on a pris ensuite les 300 réactions de choix, la moyenne des 60 premières est égale à 372 millièmes de seconde, celle des 60 réactions suivantes est égale à 405, etc. Enfin le jour où on a pris les réactions après deux heures de marche la moyenne des 60 premières réactions est égale à 310, celle des 60 suivantes à 248, etc.

Il a été fait en tout trois séries de trois jours chacune ; on voit nettement par le graphique précédent que la ligne en pointillé qui réunit les moyennes des réactions après le travail intellectuel, est toujours au-dessus de la courbe normale, c’est-à-dire que les réactions de choix deviennent plus longues sous l’influence du travail intellectuel, qui a consisté dans des calculs faits pendant une heure.
Fig. 82. — Influence du travail intellectuel et musculaire sur la durée des réactions verbales. Après un travail intellectuel d’une heure la durée des réactions est augmentée ; elle l’est aussi après une marche de deux heures, mais moins.
Tout au contraire, à la suite d’une marche de deux heures les réactions de choix sont devenues plus courtes ; il semblerait donc qu’une marche améliore les conditions pour les processus psychiques aussi simples que ceux qui entrent dans une réaction de choix. En réalité il n’en est pas ainsi ; en effet l’auteur a observé que le sujet faisait souvent des erreurs à la suite de la marche de deux heures, il faisait le mouvement avec une main trop tôt, ou bien il faisait le mouvement avec la main droite au lieu de le faire avec la main gauche ; en somme le sujet se trouvait dans un état d’énervement musculaire qui amenait une incoordination dans les mouvements.

Pour les réactions verbales on prenait 50 réactions et on calculait la moyenne de ces 50 réactions. Le graphique 82, analogue au précédent, indique les résultats obtenus pour cinq jours de repos, pour quatre jours avec travail intellectuel et pour quatre jours avec marche de deux heures. Ce graphique montre que le premier jour de repos la moyenne des réactions verbales était égale à 288 millièmes de seconde, le deuxième jour de repos elle est de 320, etc. ; le premier jour avec travail intellectuel elle est égale à 358 millièmes de seconde, le deuxième jour avec travail elle est de 425, etc. ; enfin, pour le premier jour avec marche elle est de 357, pour le deuxième jour avec marche de 383, etc.

On voit que sous l’influence du travail intellectuel la durée des réactions verbales augmente ; sous l’influence de la marche de deux heures cette durée augmente aussi, mais moins.

Ces recherches ont une importance considérable au point de vue des méthodes, elles indiquent que la méthode des réactions est assez sensible pour traduire l’influence produite par un travail intellectuel ou physique ; il resterait à voir si cette méthode des réactions ne pourrait pas être appliquée dans les écoles ; c’est une des questions dont on s’occupe en ce moment.

Pour étudier l’influence produite par le travail intellectuel ou physique sur la facilité avec laquelle on apprend par cœur, l’auteur s’est servi de la mémoire des chiffres. Le sujet devait apprendre par cœur des séries de douze chiffres chacune ; il devait lire une série jusqu’à ce qu’il pût la répéter de mémoire, puis il passait à une deuxième série, et ainsi de suite pendant une demi-heure. On faisait ces expériences à des jours de repos, puis à des jours où on avait fait des calculs pendant une heure, enfin à d’autres jours après une marche de deux heures.

Le graphique suivant représente les résultats obtenus. Chaque point indique le nombre de chiffres appris par cœur en une demi-heure ; ainsi, on voit que le premier jour, avec repos, on a appris 465 chiffres, le deuxième jour 565, le troisième jour 615 chiffres, etc. ; de même, le premier jour, avec travail intellectuel, on a appris 475 chiffres, le deuxième jour 415, etc. ; enfin, le premier jour, avec marche de deux heures, on a appris 405 chiffres, le deuxième jour 405 chiffres aussi, etc.

En examinant le graphique 83, on voit que la ligne qui correspond aux jours de repos monte continuellement ; ceci indique une influence considérable produite par l’exercice ; ainsi, le premier jour de repos, on n’apprenait que 465 chiffres en une demi-heure, et le dernier jour de repos on en a appris 655. Il faut tenir compte de ce que les jours de repos alternent avec des jours de travail intellectuel et des jours de marche de deux heures, de sorte que ce gain dans la vitesse d’acquisition des chiffres est acquis après onze jours d’expériences.

Fig. 83. — Influence du travail intellectuel et du travail musculaire sur la mémoire des chiffres. On apprend moins vite qu’à l’état normal après un travail intellectuel d’une heure, et encore moins vite après deux heures de marche.

La ligne pointillée, qui correspond aux jours où, avant d’apprendre les chiffres, on avait fait des calculs pendant une heure, se trouve au-dessous de la ligne normale ; c’est-à-dire que, sous l’influence du travail intellectuel, on perd un peu la facilité d’apprendre par cœur ; enfin, la courbe qui correspond aux jours avec marche est encore au-dessous de la précédente, l’influence produite par une marche de deux heures sur la faculté d’acquisition est plus forte que celle produite par un travail intellectuel d’une heure consistant dans des calculs faciles.

Fig. 84. — Influence du travail intellectuel et du travail musculaire sur la vitesse des additions.

L’auteur a étudié aussi l’influence produite par le travail intellectuel et physique sur des opérations mentales simples, telles que des additions de nombres d’un chiffre à des nombres de deux chiffres, et puis la lecture à haute voix de passages faciles. On déterminait le nombre d’additions que l’on pouvait faire pendant une demi-heure, soit un jour de repos, soit après une heure de travail intellectuel, soit enfin après deux heures de marche. Le graphique 84 représente comme précédemment les résultats obtenus ; on voit, par exemple, que le premier jour de repos, on a fait pendant une demi-heure 1 660 additions, le deuxième jour de repos on en a fait 1 780, etc. ; de même le premier jour avec travail intellectuel on a fait 1 460 additions, etc., enfin, le premier jour avec marche, on en a fait 1 500, etc.

On voit nettement sur le graphique que le travail intellectuel diminue le nombre d’additions faites en une demi-heure, et la marche de deux heures le diminue encore davantage. On calcule donc moins facilement après un travail intellectuel ou après une marche ; c’est un résultat auquel on pouvait certainement s’attendre ; mais il est important au point de vue de la méthode, puisqu’il montre que la méthode des additions peut servir pour constater les effets produits par un travail intellectuel ou physique. Nous verrons, dans la suite, que cette méthode a été employée avec profit dans les écoles par plusieurs auteurs.

Enfin, pour étudier l’influence produite par le travail intellectuel ou physique sur la lecture à haute voix, on faisait lire à haute voix, pendant un quart d’heure, et on notait le nombre de syllabes lues un jour de repos, un jour avec un travail intellectuel et un jour avec marche. Les résultats sont représentés sur le graphique 85. On voit nettement que, sous l’influence du travail intellectuel, qui a consisté à faire des calculs faciles pendant une heure, la vitesse de lecture diminue considérablement ; ainsi, au lieu de lire 8 500 syllabes comme en un jour de repos, le sujet n’a lu que 7 250 syllabes. Une marche de deux heures influe bien moins sur la vitesse de lecture ; l’influence existe bien, mais elle est très faible.

Ce travail est intéressant à différents points de vue : 1° il montre qu’un travail physique, tel qu’une marche de deux heures, influe sur différents processus psychiques, quelquefois même plus qu’un travail intellectuel facile d’une heure ; c’est un résultat qui indique nettement l’inexactitude des affirmations que l’on trouve dans la plupart des traités de pédagogie, que les efforts physiques et la gymnastique peuvent servir de repos après ou avant un travail intellectuel.
Fig. 85. — Influence du travail intellectuel et du travail musculaire sur la vitesse de lecture.
Ce n’est pas exact, on ne peut pas considérer l’individu comme formé de deux parties distinctes, l’une ayant rapport à l’activité physique et l’autre à l’activité mentale ; il existe entre l’activité mentale et l’activité physique une relation très étroite, de sorte que tout changement d’état dans l’une produit un retentissement dans l’autre.

2° Le travail précédent montre ensuite qu’un travail intellectuel modéré, qui ne fatigue pas beaucoup une personne adulte, produit cependant des effets sensibles, et ces influences sont produites non pas sur des processus psychiques compliqués qui nécessitent une forte concentration d’esprit, mais aussi sur des processus très simples, élémentaires pour ainsi dire, tels que la lecture à haute voix, les réactions verbales ou de choix, et les additions. Or, il est bien plus facile de faire des expériences quantitatives sur ces processus simples que sur des processus complexes ; c’est donc un résultat important au point de vue pratique, puisqu’il montre que l’on peut employer avec profit des méthodes d’expérimentation simples pareilles à celles que nous avons décrites plus haut ; ces méthodes pourront indiquer le degré de fatigue intellectuelle produit par telle cause spéciale.

CHAPITRE V
EXPÉRIENCES DANS LES ÉCOLES
méthode des dictées

Nous passons maintenant aux recherches faites dans des écoles pour mesurer la fatigue intellectuelle produite par différentes leçons. Pour étudier la fatigue intellectuelle des élèves on choisit un certain exercice, par exemple une dictée, un calcul, un problème, etc., et on fait exécuter cet exercice avant les classes et après les classes ; les variations dans la vitesse d’exécution et dans le nombre de fautes commises indiquent le degré de fatigue intellectuelle des élèves.

Ces expériences sont en général faciles à faire, puisqu’on peut les faire collectivement ; par exemple on fait une dictée à toute une classe, on donne des calculs à faire à toute la classe, on obtient de cette façon une trentaine de copies en très peu de temps.

En examinant les résultats on peut procéder de différentes manières ; la plus simple est de calculer le nombre de fautes commises dans toutes les copies, on obtient ainsi une moyenne, et lorsque après une certaine leçon cette moyenne change, on peut dire que les élèves de cette classe ont été plus ou moins fatigués suivant que le changement est plus ou moins fort. Dans cette moyenne les résultats individuels sont effacés ; mais il se peut très bien qu’il y ait des élèves qui, après la leçon, ont fait l’exercice aussi bien qu’avant, qui n’ont par conséquent pas été fatigués ; ces exceptions disparaissent dans cette manière de calculer les résultats.

Cette méthode indique le degré de fatigue intellectuelle pour toute la classe en général ; c’est cette méthode qui doit être d’abord employée, puisqu’il importe avant tout de connaître comment la plupart des élèves d’une classe se fatiguent.

Pour l’examen individuel, on procède autrement : on examine la copie de chaque élève, faite avant la leçon, et celle après, et on peut répartir les élèves d’une classe en plusieurs groupes : ceux qui après la leçon ont exécuté l’exercice mieux qu’avant, ceux qui l’ont exécuté de la même manière dans les deux cas, et enfin ceux qui l’ont fait moins bien après la leçon qu’avant. On peut ensuite examiner de plus près quels sont les élèves de chacun de ces groupes, s’il n’y a pas quelque rapport entre la place dans la classe des élèves et le groupe auquel l’élève appartient, etc. ; c’est en somme un examen tout spécial qui indique les différences individuelles dans le degré de fatigue produite par une leçon déterminée.

Lorsqu’on choisit l’exercice qui devra servir d’épreuve pour le degré de fatigue intellectuelle, il faut prendre quelques précautions. Il faut d’abord autant que possible que cet exercice présente une difficulté presque égale pour les différents élèves ; ainsi on peut bien admettre qu’une dictée présentera pour tous les élèves d’une classe une difficulté peu variable d’un élève à l’autre, mais cette même dictée sera bien plus difficile à faire pour les élèves des classes inférieures que pour ceux des classes supérieures. Or il est probable qu’une même fatigue intellectuelle influe plus sur un exercice difficile que sur un exercice facile.

Par conséquent, si on trouve qu’après une certaine leçon le nombre de fautes dans la dictée a augmenté plus chez les jeunes élèves que chez les plus âgés, on ne peut pas en conclure que les jeunes élèves ont été plus fatigués que les autres ; la différence peut tenir simplement à ce fait que l’exercice présente plus de difficulté pour les premiers que pour les derniers ; la fatigue intellectuelle peut être la même chez les élèves jeunes et âgés, seulement cette fatigue a une influence plus forte sur un exercice difficile que sur un exercice facile. Nous insistons sur ce point parce qu’aucun auteur n’a remarqué cette cause d’erreur ; on a commis cette erreur un grand nombre de fois et on en a déduit que les élèves jeunes se fatiguent plus que les élèves plus âgés ; c’est une conclusion qui n’est pas encore prouvée.

Il faut que l’exercice que l’on choisit puisse être fait sans trop de difficulté technique, et surtout qu’on puisse facilement compter le nombre de fautes et apprécier la valeur de chaque copie. Si l’exercice est très compliqué, par exemple si c’est une composition à écrire sur un sujet quelconque, il est très difficile et souvent impossible d’exprimer par des nombres la valeur d’une copie ; l’appréciation de la valeur de la composition est très subjective et deux personnes différentes ne classeraient pas de la même façon une série de copies pareilles.

D’un autre côté, il faut que l’exercice présente une certaine difficulté pour l’élève, puisque, s’il est trop facile, on ne fait de faute ni avant la leçon ni après.

Les épreuves que différents auteurs ont choisies sont les suivantes : des dictées faites à toute une classe ; des calculs d’arithmétique tels que des additions et des multiplications que l’on fait faire à des élèves d’une classe ; la mémoire des chiffres ; la méthode de composition d’Ebbinghaus, consistant à faire remplir les lacunes d’un texte ; enfin la sensibilité tactile ; nous passerons successivement en revue les différentes méthodes en indiquant les résultats obtenus.


La méthode des dictées a été employée la première pour l’étude de l’épuisement des élèves ; l’initiative appartient à Sikorsky[5] ; cet auteur faisait faire à des élèves de différents âges des dictées pendant un quart d’heure le matin, avant les classes, et puis à 3 heures de l’après-midi, après les classes. Les expériences étaient faites en Russie, où les classes ont lieu de 9 heures du matin à midi et de 1 heure à 3 heures de l’après-midi. L’âge des enfants de la première classe est de neuf à dix ans et celui des enfants de la sixième classe de quinze à dix-sept ans.

Quinze cents dictées ont été faites ; en les corrigeant l’auteur ne tenait pas compte des fautes dues à l’ignorance des élèves, il ne marquait que les fautes « involontaires ou inévitables qui sont les méprises du langage et de l’écriture ».

Nous reproduisons dans le tableau suivant les nombres de ces fautes commises par les élèves le matin, avant les classes, et ensuite après les classes, à 3 heures de l’après-midi :

  AVANT LES CLASSES APRÈS LES CLASSES DIFFÉRENCE
1re classe 123,5 156,7 + 33,2
2e 121,5 145,3 + 23,8
3e 72,4 102,8 + 30,4
4e 66,5 94,2 + 27,7
5e 61,4 81    + 19,6
6e 45,7 80    + 34,3

On voit d’abord que le nombre de fautes est plus considérable dans la première classe que dans la sixième ; cela tient à ce qu’une dictée est, pour les élèves de la première classe, bien plus difficile à faire que pour ceux de la sixième classe.

Le nombre d’erreurs augmente considérablement après les classes ; c’est un effet produit par le travail intellectuel que l’on exige des enfants à l’école.


Fig. 86. — Expériences de Sikorsky. Nombre de fautes commises dans les dictées par les élèves de différentes classes avant et après les classes.


Il était intéressant de voir de plus près la nature des fautes commises ; l’auteur classe les fautes en quatre groupes :

1° Les erreurs phonétiques ou d’articulation ; par exemple « aisi » au lieu de « ainsi » ; « chabre » au lieu de « chambre » ; « quetion » pour « question » ; « pointrine » pour « poitrine », etc.

2" Les erreurs graphiques ; exemple : « conme » pour « comme » ; « angétique » au lieu de « angélique ».

3° Les erreurs psychiques, dans lesquelles l’élève omet des mots entiers ou les remplace par d’autres ; exemple : « Vous ne la trouverez pas, lui répondis-je » : au lieu de « Vous ne la trouverez pas, lui dis-je ».

4° Les erreurs indéterminées, dont le caractère n’a pu être reconnu par suite des ratures.

Voici d’abord les nombres relatifs de ces différentes fautes rapportés à 100. On voit que ce sont les erreurs phonétiques, comprenant surtout des omissions et des substitutions de lettres, qui prédominent sur les autres genres d’erreurs.

ERREURS AVANT LES CLASSES APRÈS LES CLASSES
Phonétiques 
62,6 p. 100 77,3 p. 100
Graphiques 
8,9 11,3
Psychiques 
4,5 8,9
Indéterminées 
6    11,9

En étudiant la nature des omissions commises, l’auteur trouve qu’elles tombent le plus souvent sur les lettres suivantes : m, c, n, v, l, o, k, d ; les voyelles sont omises bien plus rarement que les consonnes. Les substitutions les plus nombreuses sont les suivantes : r-l, p-b, d-n, t-n, b-v, d-t, g-k. On voit que des sons en apparence très différents l’un de l’autre, comme d et n, peuvent être substitués l’un à l’autre. Mais en analysant la manière dont se produit l’articulation de ces différents sons on voit que ce sont des sons dont les mouvements d’articulation sont très ressemblants qui sont confondus. C’est un résultat intéressant qui montre d’après l’auteur que sous l’influence du travail intellectuel l’attention s’émousse, et cette diminution dans la force d’attention entraîne une confusion entre des mouvements peu différents l’un de l’autre.

Ce travail montre que la méthode des dictées est assez sensible pour étudier l’influence produite sur l’attention par un travail intellectuel ; une analyse minutieuse des erreurs peut même indiquer la nature de cette influence. Bien que ce travail ait été fait en 1879 il est resté complètement oublié pendant douze années, et ce n’est qu’en 1891 qu’on a repris la question de l’étude expérimentale de la fatigue intellectuelle des élèves.

C’est Höpfner[6] qui a le premier, après Sikorski, repris la méthode des dictées ; seulement, au lieu d’étudier l’influence produite par une certaine leçon, il a voulu examiner comment progresse la fatigue intellectuelle des élèves pendant deux heures d’occupation ; il a fait une longue dictée qui a duré près de deux heures. La dictée était faite à une classe de 50 élèves de neuf ans en moyenne ; elle se composait de 19 propositions dont chacune avait 30 lettres.

Fig. 87. — Expériences de Höpfner. Nombres d’erreurs par phrase pendant une dictée de 13 phrases ayant duré deux heures.

Le graphique 87 représente les nombres d’erreurs par phrase, les nombres sont rapportés à 100 lettres ; on voit par exemple que dans la première phrase il y a eu 0,9 erreur sur 100 lettres, dans la dix-neuvième phrase il y en a eu 6,4.

La courbe monte considérablement depuis la première phrase jusqu’à la dernière. Il y a bien quelques irrégularités dans la courbe, mais il faut tenir compte de ce que toutes les phrases ne pouvaient pas être choisies absolument équivalentes entre elles. On voit que jusqu’à la cinquième phrase les fautes n’augmentent pas, et que la courbe monte brusquement de la cinquième à la sixième phrase ; cela tient probablement à ce que la dictée des cinq premières phrases a pris une demi-heure, et les élèves de cette classe étaient habitués à faire des dictées de cette longueur qui ne prenaient pas plus d’une demi-heure.

L’auteur a étudié en détail les erreurs ; seulement, au lieu de les classer comme Sikorski, d’après l’origine psychologique des erreurs, il les a classées en se fondant sur leurs caractères externes. Notre parole se compose de phrases, les phrases de mots, les mots de syllabes, et les syllabes de lettres ; sur chacun de ces éléments on peut commettre les erreurs suivantes : lacune de l’un des éléments : changement de place ; emploi de nouveaux éléments ; substitution d’un élément à la place d’un autre, et enfin une lettre double employée au lieu d’une lettre simple, ou réciproquement.

Les nombres de ces différentes erreurs rapportés à 100 lettres sont les suivants :

PHRASES LACUNES EMPLOI de nouvelles lettres. SUBSTITUTIONS LETTRES doubles ou simples. CHANGEMENTS de place.
1-4 0,04 0,02 0,25 0,25 0
5-8 0,09 0,02 0,27 0,90 1
9-12 0,28 0,12 0,54 1,04 0
13-16 0,25 0,14 0,36 1,89 1
17-19 0,59 0,21 0,30 1,69 1
Total. 1,25 0,51 1,72 5,77 3

On voit que chacun des genres d’erreur augmente vers la fin. L’auteur examine en détail les lacunes. Il y a eu un total de 69 lacunes qui se composent de :

  DANS LES PHRASES 1-10 DANS LES PHRASES 11-19
Huit mots 
2 6
Une syllabe 
1 »
Cinquante lettres 
6 44  
Quatre parties de lettre 
2 2
Six points à la fin de la phrase 
2 4
Total 
13   56  

Les chiffres précédents montrent que les mots entiers sont plus souvent oubliés que des syllabes, les lettres plus souvent que des parties de lettre. La plupart des lacunes portent surtout sur des lettre, il y en a eu 50. Parmi ces 50 lacunes il y en avait 26 au milieu des mots et 24 à la fin ; pas une seule lettre n’a été oubliée au commencement des mots ; or les lettres terminales des mots sont bien moins nombreuses que les lettres du milieu, par conséquent on peut conclure qu’il y a une tendance à oublier les lettres de la fin : c’est le premier signe de l’affaiblissement de l’attention.

Sur les 26 lettres oubliées au milieu des mots il y a 23 consonnes et seulement 3 voyelles ; c’est une observation qui a aussi été faite par Sikorski. En étudiant les lettres oubliées, l’auteur trouve que ce sont les lettres qui ne sont pas bien prononcées par les enfants dans leur langage familier qui sont le plus souvent oubliées ; par exemple is au lieu de ist, nich au lieu de nicht, etc. L’enfant, en écrivant la phrase que le maître vient de lui dire, la prononce à voix basse lui-même, et en la prononçant à voix basse il commet des erreurs de prononciation ; lorsque l’attention de l’enfant est encore éveillée, il se rend bien compte que ce qu’il écrit diffère un peu de ce qu’il prononce, mais lorsqu’il est fatigué et que son attention ne peut plus être fixée avec autant d’énergie qu’au commencement il écrit involontairement les mots tels qu’il les prononce ; il y a donc une tendance à assimiler les mots et les sons employés par le maître à ceux que l’enfant est habitué à employer lui-même.

En somme, le travail de Höpfner confirme les conclusions trouvées par Sikorski et montre que la méthode des dictées peut être employée dans les écoles avec profit.

L’étude la plus méthodique de toutes qui ait été faite par la méthode des dictées est celle de Friedrich[7], parue en 1896. L’auteur a fait des dictées à des élèves d’une classe de 51 élèves, dont l’âge était de dix ans en moyenne ; chaque dictée se composait de 12 propositions, et chaque proposition de 25 lettres, la durée d’une dictée était de trente minutes. Les dictées étaient faites aux heures suivantes :

1° Le matin, à 8 heures, avant les classes ;

2° Après une heure de classe le matin ;

3° Après deux heures de classe, avec une récréation de huit minutes entre les deux heures ;

4° Après deux heures de classe sans récréation ;

5° Après trois heures de classe le matin, avec deux récréations de quinze minutes chacune entre la première et la deuxième et entre la deuxième et la troisième classe ;

6° Après trois heures de classe, avec une seule récréation de quinze minutes entre la deuxième et la troisième heure ;

7° Après trois heures de classe sans récréation ;

8° À 2 heures, avant les classes de l’après-midi ; les classes du matin se terminaient à 11 heures, et le jour où on faisait les expériences les élèves n’avaient pas de devoirs à faire pour les classes de l’après-midi, de sorte qu’ils avaient trois heures de récréation (de 11 à 2 heures) ;

9° Après une heure de gymnastique, l’après-midi ;

10° Après deux heures de classe, l’après-midi, avec une récréation de quinze minutes entre les deux heures ;

11° Après deux heures de classe, l’après-midi, sans récréation entre les classes.

Le même jour on ne faisait jamais deux épreuves, et toute l’étude embrasse une durée de six semaines.

Fig. 88. Expériences de Friedrich. Nombres d’erreurs dans les dictées faites à différentes heures de la journée dans une classe de 51 élèves.

Les résultats obtenus sont représentés par le graphique 88 : on voit par exemple qu’avant les classes le matin on a fait 47 fautes dans toute la classe de 51 élèves, après une heure de classe on en a fait 70. etc.

Il y a eu d’autant plus de fautes que le travail intellectuel a été plus long, et surtout on remarque une augmentation du nombre de fautes lorsque entre les classes il n’y avait pas de récréation : ainsi par exemple, après deux heures de classe avec récréation entre la première et la deuxième heure, il y a eu 122 fautes ; après deux heures sans récréation, il y en a eu 158 ; après trois heures de classe avec deux récréations, il y a eu 112 erreurs ; après trois heures de classe avec une récréation entre la deuxième et la troisième heure, il y en a eu 172, et enfin après trois heures de classe sans interruption il y en a eu 183. Les récréations ont donc une influence considérable qui se fait sentir même une ou deux heures après.

L’un des résultats les plus intéressants est celui qui ressort de l’examen de la courbe de l’après-midi. On voit d’abord qu’à 2 heures de l’après-midi, lorsque les élèves n’ont pas eu de classe de 11 heures à 2 heures, c’est-à-dire après trois heures de repos, le nombre de fautes était égal à 62, tandis que le matin avant les classes il n’était que de 47 ; par conséquent les élèves n’étaient pas aussi reposés à 2 heures que le matin, un repos de trois heures n’a pas suffi pour rétablir complètement leur activité mentale ; c’est un résultat important au point de vue de la question du surmenage intellectuel ; en effet, on considère en général comme nécessaire, pour éviter les effets de surmenage, que le repos de quelques heures ramène l’activité mentale à son état normal ; dans le cas présent cette condition n’est pas remplie ; nous y reviendrons plus loin en parlant du surmenage mental.

Un autre fait important, qui ressort de l’examen de la courbe de l’après-midi, est l’influence produite par une heure de gymnastique ; en général on considère la gymnastique comme un repos pour l’esprit, l’expérience présente prouve nettement le contraire ; avant la classe de gymnastique le nombre de fautes était de 62, et il est monté à 152 après une heure de gymnastique ; c’est une augmentation plus considérable que celle produite par une heure de classe ordinaire. Ce fait vient confirmer avec beaucoup de force le résultat obtenu dans les laboratoires par Mosso et Bettmann ; on aurait pu peut-être croire que les expériences de laboratoire sont faites dans des conditions artificielles qui ne peuvent jamais se présenter à l’école, et que chez les élèves les effets seraient différents ; mais, dans le cas présent, d’abord on a une classe de gymnastique ordinaire telle qu’on la fait toujours ; en outre, pour éprouver la fatigue intellectuelle, on fait faire aux élèves un exercice qui leur est bien habituel, c’est une simple dictée d’une demi-heure, et sur cet exercice habituel on remarque une influence très forte. Il serait temps que les pédagogues et les instituteurs fissent attention à ce fait important ; qu’ils se rappellent bien ce résultat démontré maintenant, et dans les laboratoires et sur des élèves à l’école, que tout effort physique prolongé diminue l’activité mentale de l’individu et peut même amener une fatigue intellectuelle, que pour se reposer après un travail intellectuel il ne faut jamais faire de grands efforts physiques, comme on le fait encore souvent en vertu d’une tradition bien ancienne ; cette tradition, il faut la combattre continuellement.

0 faute.
1 faute.
2 fautes.
3 fautes.
4 fautes.
5 fautes.
6 fautes.
7 fautes.
8 fautes.
9 fautes.
10 fautes.
11 fautes.
12 fautes.
13 fautes.
14 fautes.
15 fautes.
                               
ÉPOQUE DE LA DICTÉE
Avant les classes le matin 
37 7 2 2 1 » 2 » » » » » » » » »
Après 1 heure de classe. 
31 1 7 6 5 1 » » » » » » » » » »
  —  2 heures sans récréation 
18 2 13 6 5 5 2 » » » » » » » » »
  —  2 heures sans récréation 
14 4 9 8 5 5 2 2 2 » 2 » » » » »
  —  3 heures avec 2 récréations 
18 11 10 1 6 1 1 1 » » » » » » » »
  —  3 heures avec 1 récréation 
12 2 9 11 2 7 3 3 1 1 » » » » » »
  —  3 heures sans récréation 
10 3 8 8 6 6 7 1 2 » » » » » » »
Avant les classes de l’après-midi 
33 8 6 2 1 1 » » » » » » » » » »
Après 1 heure de gymnastique 
15 5 11 5 6 2 3 » 3 1 » » » » » »
  —  2 heures de classe avec récréation 
23 11 6 4 » 2 2 » » 2 » » 1 » » »
  —  2 heures sans récréation 
10 8 7 11 3 1 4 2 1 1 » 1 » 1 » 1


Friedrich a aussi fait l’examen individuel des copies, il a compté le nombre d’élèves qui ont écrit la dictée sans fautes, puis le nombre de ceux qui ont commis une erreur, et ainsi de suite ; le tableau ci-dessus indique ces différents nombres pour les différentes dictées :

Le nombre d’élèves est toujours égal à 51 ; on voit par exemple que le matin avant les classes il y a eu 37 élèves qui n’ont fait aucune erreur, 7 élèves en ont fait une, 2 élèves ont commis chacun deux fautes, 2 en ont commis chacun trois, enfin un élève a fait quatre fautes et 2 élèves en ont fait chacun six. Si on examine le tableau on remarque qu’après le travail intellectuel le nombre d’élèves sans fautes diminue, et il diminue d’autant plus que le travail a été plus long ; en somme, les mêmes résultats sont obtenus qu’avec la première méthode dans laquelle on compte le nombre total d’erreurs commises par toute la classe.

Mais il est intéressant de voir que non seulement après un travail intellectuel le nombre d’élèves qui n’ont pas fait de faute diminue, et le nombre de ceux qui ont fait des erreurs augmente, mais encore que la qualité de la dictée diminue aussi de valeur ; ainsi avant les classes le nombre maximum d’erreurs qui a été commis est égal à 6 et après deux heures de classe le nombre maximum d’erreurs dans une dictée est de 8, ce qui indique qu’il y a une baisse générale dans la valeur des copies : ceux qui ont mal fait avant les classes font encore plus mal après les classes. L’influence produite par la gymnastique est aussi très marquée. En somme, cette méthode de calcul confirme complètement les résultats obtenus par la première méthode.

Nous avons terminé l’exposition des recherches faites par la méthode des dictées ; nous y reviendrons encore une fois lorsque nous aurons passé les autres méthodes en revue.



CHAPITRE VI
EXPÉRIENCES DANS LES ÉCOLES
méthode des calculs

Quelques auteurs qui se sont occupés de la question de la fatigue intellectuelle des enfants à l’école ont trouvé la méthode des dictées insuffisante, et ils ont remplacé l’exercice de dictée par un autre exercice, celui des calculs. On a surtout choisi des calculs arithmétiques simples consistant dans des additions et des multiplications ; tout dernièrement on a aussi fait faire aux élèves des exercices d’algèbre.

La méthode des calculs a été employée pour la première fois par Burgerstein[8], qui l’a appliquée pour étudier la marche de la fatigue intellectuelle des enfants pendant une heure de travail. Il donnait à faire à des élèves des additions de nombres de 20 chiffres et des multiplications d’un nombre de 20 chiffres par un nombre d’un chiffre compris entre 2 et 6 ; voici par exemple deux problèmes :

  28703428951692408159
+ 35894261708215976043

et :

54692831493579206214 3

Les élèves recevaient des feuilles de papier sur lesquelles étaient imprimées les additions et les multiplications à faire, ils faisaient les calculs pendant dix minutes, on ramassait les copies et on en distribuait de nouvelles, ce qui prenait cinq minutes ; puis ils calculaient de nouveau pendant dix minutes et on répétait la même chose encore deux fois ; ils avaient donc pendant une heure consacré quatre fois au calcul des périodes de dix minutes chacune.

Les expériences étaient faites sur 162 élèves de 4 classes : 68 filles de onze à douze ans et 94 garçons de douze à treize ans. En corrigeant les épreuves, l’auteur comptait comme erreur tout chiffre du résultat écrit inexactement ; ainsi par exemple si l’élève, en calculant la somme 6 893 + 3 108, écrivait 9 991 au lieu de 10 001, l’auteur comptait trois erreurs, puisqu’il y avait 3 chiffres inexacts. C’est là un défaut de la méthode ; en effet l’élève n’a en réalité commis qu’une seule erreur, puisqu’il a oublié d’ajouter l’unité des dizaines résultant de l’addition de 8 avec 3. Ce défaut de la méthode a dû influer un peu sur les résultats, mais on peut bien admettre que cette influence est faible et n’a pas d’importance pratique ; il faudrait seulement, dans le cas où on voudrait reprendre cette méthode, tenir compte de la critique que nous venons de formuler. C’est du reste ce qui a été fait dans un travail de Holmes, paru en Amérique. Passons aux résultats obtenus par l’auteur.

SÉRIES DE CALCUL NOMBRE de chiffres calculés. NOMBRE de fautes. NOMBRE de corrections.
I 28 267   851 370
II 32 477 1 293 577
III 35 443 2 011 743
IV 39 450 2 360 968

D’abord la plupart des élèves progressent dans la vitesse des calculs ; le nombre de chiffres calculés augmente du premier intervalle au quatrième, ainsi que le montre le tableau suivant qui donne les résultats totaux pour tous les 164 élèves. Le nombre de fautes et de corrections augmente aussi du premier intervalle au quatrième ; seulement, tandis que la vitesse des calculs augmente de 40 p. 100 de la vitesse initiale, le nombre de fautes devient presque trois fois plus grand.

Fig. 89. — Expériences de Burgerstein. Le premier graphique représente le nombre de chiffres calculés par tous les élèves pendant les quatre intervalles de dix minutes. Le deuxième graphique indique les nombres de fautes commises dans ces calculs, et le troisième indique les nombres de corrections. On voit que les deux derniers graphiques montent bien plus vite que le premier, c’est-à-dire que le nombre de fautes augmente bien plus vite que le nombre de chiffres calculés.

Représentons ces résultats graphiquement. Il se présente une certaine difficulté ; en effet, comment choisir les différentes échelles pour les nombres de chiffres calculés, les nombres de fautes et les nombres de corrections ? Il faut que l’échelle soit comparable pour ces trois graphiques ; par conséquent nous construisons trois échelles telles que dans chacune l’augmentation du double soit représentée par le même nombre de divisions. Ainsi nous voyons que pour l’échelle correspondant aux nombres de chiffres calculés chaque division de l’ordonnée correspond à 2 000 chiffres calculés ; pour l’échelle correspondant aux nombres de fautes chaque division correspond à 50, enfin pour les corrections chaque division de l’échelle correspond à 25 ; de cette manière nous rendons les trois courbes comparables entre elles.

On voit nettement que le nombre de fautes croît bien plus rapidement que le nombre de chiffres calculés.

L’augmentation des fautes la plus forte a lieu pour le troisième intervalle ; l’auteur en déduit qu’il faut réduire les leçons d’une heure à des leçons de trente minutes. C’est une conclusion bien hardie et qui n’est guère prouvée ; en effet, l’occupation pareille à celle que l’auteur faisait faire aux élèves ne leur est pas habituelle ; les conditions étaient très artificielles, de sorte que l’on ne peut pas conclure de ces expériences qu’en général les enfants se fatiguent plus rapidement après une demi-heure de travail intellectuel qu’avant. La fatigue produite par une leçon est un fait normal, elle doit se produire si les élèves ont été attentifs, puisque tout effort est accompagné d’une certaine fatigue ; l’essentiel est donc de ne pas constater simplement cette fatigue, mais d’observer si l’individu revient à l’état initial après un repos plus ou moins long, de se demander si la fatigue produite ne passe pas à l’état chronique, au lieu d’être passagère comme toute fatigue normale qui ne nuit pas à l’organisme, mais qui ne fait qu’entretenir ses forces et activer son énergie. On pourrait même prononcer cette affirmation paradoxale que ce n’est qu’en se fatiguant qu’on arrive à se développer aussi bien au point de vue physique qu’intellectuellement ; c’est la fatigue poussée à outrance qui nuit, ce n’est pas la fatigue normale ; on pourrait même écrire un livre intitulé : Nécessité de la fatigue pour l’hygiène physique et intellectuelle.

Le travail de Burgerstein peut servir d’exemple pour la plupart des travaux de ce genre ; il semble que les auteurs oublient complètement la nécessité de la fatigue et cherchent à rendre l’enseignement tel qu’il n’y ait aucune fatigue pour les élèves et qu’ils apprennent quand même quelque chose ; cela revient à chercher le mouvement perpétuel.

Des expériences absolument identiques à celles de Burgerstein ont été faites ensuite par deux auteurs. Laser[9] en Allemagne, et Holmes[10] en Amérique. Passons rapidement en revue ces deux recherches.

Laser a fait les expériences sur 226 élèves dont l’âge variait de neuf à treize ans. Il faisait les expériences pareilles à celles de Burgerstein pendant dix minutes après chaque classe du matin. Il y avait cinq classes le matin, de 8 heures à 1 heure, on a donc cinq épreuves différentes.

Les résultats obtenus ne sont pas nets ; on remarque bien, en prenant toutes les classes ensemble, que les nombres de chiffres calculés augmentent du commencement à la fin, ce qui doit être attribué à l’exercice des élèves, et non, comme le veut l’auteur, à une plus grande énergie intellectuelle des élèves après les classes. Le nombre de fautes augmente aussi, et cette augmentation est un peu plus rapide que celle de la vitesse des calculs ; il semble donc qu’il y a un effet très faible produit par les classes.

Voici du reste les chiffres obtenus : par I, II, III, IV, V nous représentons les époques de calcul ; ainsi I représente les calculs faits après la première classe du matin, II ceux après la deuxième leçon, etc.

ÉPOQUES DE CALCUL NOMBRE de chiffres calculés. NOMBRE de fautes. RAPPORT du nombre de fautes au nombre de chiffres calculés.
I 34 900 1 147 3,28 p. 100
II 40 661 1 460 3,59
III 43 124 1 713 3,79
IV 43 999 1 796 4,08
V 45 890 1 668 3,63

Holmes a fait des expériences presque identiques à celles de Burgerstein ; les élèves devaient faire des additions pendant neuf minutes, puis se reposer quatre minutes, puis de nouveau calculer pendant neuf minutes, et ainsi de suite quatre fois ; ceci prenait quarante-huit minutes ; les douze premières minutes de l’heure étaient employées à distribuer aux élèves les feuilles et à leur expliquer ce qu’ils avaient à faire. Sur une feuille étaient imprimées 16 séries d’additions de nombres de 20 chiffres ; l’élève devait faire les additions et puis copier les résultats sur le côté droit de la feuille ; il y avait donc deux genres de processus : les calculs et la copie des séries de chiffres.

Les expériences ont été faites dans 6 classes sur 150 enfants, dont 70 garçons et 80 filles. L’âge des garçons variait de neuf à quinze ans, celui des filles de neuf à dix-huit ans.

Nous rapportons dans le tableau suivant les résultats obtenus :

SÉRIES NOMBRE de chiffres calculés.
NOMBRE d’erreurs.
NOMBRE de corrections.
Garçons. Filles. Garçons. Filles. Garçons. Filles.
I 10 362 13 351 210 243 185 152
II 12 151 15 590 262 283 314 264
III 13 161 16 648 471 380 436 396
IV 13 564 17 421 529 465 448 466

On voit que la vitesse des calculs augmente continuellement depuis le commencement jusqu’à la fin de l’heure ; l’augmentation relative la plus forte est au commencement de l’heure.

Les nombres de fautes et de corrections augmentent bien plus que la vitesse des calculs, il y a donc un effet très marqué produit par la fatigue intellectuelle. Ce sont en somme les mêmes résultats que ceux obtenus par Burgerstein, ils montrent que la méthode des calculs peut être employée à l’école pour déterminer le degré de fatigue intellectuelle.

  NOMBRE de chiffres calculés. NOMBRE d’erreurs. RAPPORT du nombre d’erreurs au nombre de chiffres calculés. NOMBRE d’élèves sans fautes
Matin.     P. 100.  
Avant les classes 
9 112 162 1,67 11
Après 1 heure de classe 
10 326 243 2,26 10
 — 2 heures avec récréation 
10 258 277 2,69 5
 — 2 —  sans récréation. 
10 215 300 2,94 6
 — 3 —  avec deux récréations 
10 378 275 2,65 7
 — 3 —  avec une récréation 
10 326 331 3,31 1
 — 3 —  sans récréation. 
10 366 326 3,14 4
Après-midi.        
Avant les classes 
10 380 283 2,82 10
Après 1 heure de gymnastique. 
9 669 315 3,23 1
 — 2 heures de classes avec récréation 
10 327 316 3,03 6
 — 2 —  sans récréation 
10 428 358 3,43 4

Friedrich a fait des expériences avec la méthode des calculs dans les mêmes conditions qu’avec la méthode des dictées ; seulement les calculs, au lieu de durer trente minutes comme les dictées, ne prenaient que vingt minutes.

Les résultats obtenus ressemblent beaucoup à ceux obtenus par la méthode des dictées, c’est-à-dire les fautes sont d’autant plus nombreuse qu’il y a eu plus de travail intellectuel avant les calculs. L’influence de l’heure de gymnastique est tout aussi nette ici qu’elle l’était d’après la méthode précédente.

Nous présentons dans le tableau ci-dessus les résultats numériques ; ils sont relatifs à une classe de 51 élèves :

Fig. 90. — Expériences de Friedrich par la méthode des calculs. En ordonnées sont portés les rapports du nombre d’erreurs au nombre de chiffres calculés.

Pour avoir un graphique comparable à celui que nous avons donné pour la méthode des dictées, nous avons porté en ordonnées les rapports du nombre d’erreurs au nombre de chiffres calculés.

Le graphique de la figure 90 ressemble beaucoup à celui que nous avons donné plus haut (fig. 88) ; on voit qu’il y a relativement plus de fautes commises après deux heures de classe qu’après une heure, et plus lorsqu’il n’y a pas de récréation entre les classes que lorsqu’il y en a. L’après-midi, à 2 heures, après trois heures de repos, les élèves n’étaient pas arrivés au même état qu’avant les classes du matin.

Enfin, si on examine le nombre d’élèves qui ont fait les calculs sans faute, on voit que ce nombre est le plus fort le matin avant les classes, et il diminue d’autant plus qu’il y a plus de travail intellectuel.

Un autre genre de calculs a été proposé en 1895 par Richter[11], c’est de donner aux élèves des problèmes d’algèbre et de compter le nombre de fautes avant ou après les classes. L’auteur a fait lui-même un certain nombre d’expériences par cette méthode ; nous les rapportons ici. Les expériences ont été faites au lycée d’Iéna en 1894.

Première série. — Expériences faites le 3 septembre 1894, après la fin des vacances, dans la classe Untertertia, qui correspond environ à la troisième classe des lycées en France (âge moyen : treize à quatorze ans).

Le nombre d’élèves était de 21. Les expériences étaient faites avant la première leçon du matin, pendant 44 minutes. On donne aux élèves d’abord 10 problèmes d’algèbre, puis lorsqu’ils ont terminé on ramasse les copies et on donne 10 nouveaux problèmes, et ensuite encore 10 problèmes, ce qui fait en tout 30 problèmes.

Les problèmes étaient dans le genre de ceux-ci :

(1)               13a — 4b — (5c + 2a) — (6a — 4b) — 2c =
(2)               14a — 6b — (6c + 3a) — (7a — 5b) — 3c =
(3)               18a + 10a — [8a— (13a + 5b)] =

Les 10 premiers problèmes étaient terminés au bout de 17 minutes, deux élèves sur vingt et un n’ont pas tout fini. La deuxième série de 10 problèmes a été terminée après 13 minutes trois quarts, tous les élèves avaient fini.

La troisième série a été terminée en 13 minutes.

Par conséquent la vitesse des calculs a augmenté vers la fin de l’heure.

Les nombres de fautes commises étaient égaux à 19,7 p. 100 de calculs faits : ces 19,7 p. 100 se partagent entre les trois séries de la manière suivante :

Ire 
série 
 7,8 p. 100
IIe 
série 
 5,24  — 
IIIe 
série 
 6,58  — 

Le nombre de fautes a donc diminué dans la deuxième série et un peu augmenté dans la troisième série. Les chiffres varient si peu qu’on ne peut en tirer aucune conclusion.

Deuxième série. — Des expériences analogues aux précédentes ont été faites dans la même classe le jour suivant, pendant la quatrième leçon du matin.

La vitesse des calculs est indiquée par le nombre de minutes au bout desquelles les calculs ont été terminés :

Ire 
série 
 13 minutes.
IIe 
série 
 14  —  
IIIe 
série 
 12  —  

Les nombres de fautes sont les suivants :

Ire 
série 
 3,9 p. 100
IIe 
série 
 5,4  — 
IIIe 
série 
 5,8  — 

On voit que les fautes augmentent vers la fin de l’heure ; il semble donc que les élèves ont été fatigués pendant cette deuxième série d’expériences.

Des résultats analogues ont été obtenus par cette même méthode dans une autre classe.

Le défaut que cette méthode de Richter a en commun avec celle des calculs arithmétiques est de faire une trop grande place à l’exercice qui est acquis au bout de quelque temps et qui peut facilement masquer les influences de la fatigue. On devrait chercher à faire les expériences avec des méthodes dans lesquelles l’exercice n’aurait pas une influence aussi forte, par conséquent, en employant des exercices auxquels les élèves sont déjà habitués ; cette condition est réalisée par la méthode des dictées.



CHAPITRE VII
EXPÉRIENCES DANS LES ÉCOLES
méthode de la mémoire des chiffres
méthode d’ebbinghaus


Nous arrivons maintenant à un travail d’ensemble paru il y a quelques mois, qui a été fait parallèlement par trois méthodes différentes : les calculs, la mémoire des chiffres et la méthode de combinaison ; c’est le travail le plus complet qui ait été fait jusqu’ici sur la question[12] ; nous nous arrêterons avec plus de détails sur cette recherche, car elle a été entreprise pour un but complètement pratique, celui de déterminer si la méthode d’enseignement allemande n’amène pas une fatigue trop forte chez les élèves.

Le magistrat de la ville de Breslau adressa en juillet 1895 une lettre à la Société d’hygiène, en priant cette société d’examiner si le système d’enseignement allemand, qui consiste à faire le matin, de 8 heures à 1 heure, cinq classes de suite, et à laisser l’après-midi complètement libre, ne fatigue pas les élèves. Une commission formée de médecins, de pédagogues et du psychologue Ebbinghaus discuta les méthodes employées jusqu’alors pour déterminer expérimentalement la fatigue des élèves, et accepta après ces discussions la proposition faite par Ebbinghaus ; cet auteur proposait de faire exécuter par les élèves des calculs analogues à ceux de Burgerstein, puis de faire des expériences sur la mémoire des chiffres et enfin de faire remplir les lacunes d’un texte incomplet.

La commission avait toutes les facilités de travail, elle pouvait faire des expériences dans toutes les classes du lycée de garçons et du collège de jeunes filles de Breslau ; mais au lieu de profiter de cette occasion excellente et de faire des expériences très variées pour arriver à des conclusions importantes sur la fatigue des enfants, elle arrêta d’avance un plan précis sans savoir si ce plan pouvait donner quelque chose ou non, et elle rassembla douze mille copies, qui furent étudiées ensuite. Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder, et nous insistons sur cette critique pour que, si l’occasion se présente encore une fois, on ne recommence pas la même erreur ; il faut, avant d’entreprendre des milliers d’expériences, voir d’avance si ces expériences peuvent donner quelque chose ou non ; il faut, comme on le fait dans toutes les sciences expérimentales, faire des essais, prendre une classe par exemple et faire toutes les expériences sur cette classe, puis examiner ces résultats partiels, et seulement dans le cas où ces résultats sont satisfaisants se décider à faire les expériences sur une vaste échelle. Ce n’est qu’en procédant de cette façon que l’on peut espérer arriver à des résultats importants ; la commission ne l’a pas fait et elle n’a pas obtenu de résultats nets sur la fatigue des élèves. C’est une faute de méthode très grave qu’il faut d’autant plus regretter que c’est pour la première fois que les autorités s’adressent à une commission spéciale en la priant d’étudier l’état de fatigue des élèves et en autorisant des expériences dans un lycée. Le premier échec est toujours le plus sensible ; la réponse que la commission a pu donner au magistrat ne contient que des résultats très vagues sur l’effet produit par l’enseignement du matin, et il est à craindre que cet échec ne produise un mauvais effet sur les autorités.

Passons aux expériences faites par la commission sous l’initiative d’Ebbinghaus.

La première méthode employée est celle des calculs ; les élèves devaient, après chaque classe, faire pendant dix minutes des additions et des multiplications ; on comptait le nombre de chiffres calculés et le nombre d’erreurs.

La deuxième méthode est celle de la mémoire des chiffres. On disait devant une classe une série de 6 à 10 chiffres en prononçant les chiffres avec une vitesse constante d’une demi-seconde par chiffre, et les élèves devaient écrire ensuite la série de mémoire. On faisait ainsi l’expérience avec deux séries de 6, 7, 8, 9 et de 10 chiffres, et on comptait les nombres de fautes commises. On comptait comme une faute tout chiffre oublié ou inexact, et comme demi-faute toute transposition d’un chiffre de la série à une place voisine ; par exemple, si l’élève, au lieu d’écrire 259 417, écrivait 254 917, on comptait une demi-faute ; s’il écrivait 259 617, on comptait une faute entière.

Cette manière de calculer les erreurs est très arbitraire ; on aurait peut-être pu l’admettre si l’auteur avait donné les nombres des différents genres de fautes ; mais il se contente d’indiquer les sommes qu’il a obtenues en ajoutant les fautes entières aux demi-fautes. C’est un défaut qui ne permet pas de vérifier si l’auteur a eu raison de procéder comme nous l’avons indiqué plus haut.

Une erreur bien plus grave que la précédente a été commise par l’auteur dans le choix des chiffres. Il dit qu’on prononçait devant les élèves des séries de noms de nombres monosyllabiques ; or en allemand les nombres de 0 à 12 sont des noms monosyllabiques, il y avait donc dans ces séries les nombres 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 ; c’est une erreur évidente d’avoir pris aussi les nombres 10, 11 et 12, puisque ces nombres se composent de 2 chiffres chacun et doivent embrouiller les résultats. Cette erreur provient de l’idée préconçue que pour se rappeler une série de nombres on se souvient des noms de ces nombres, et que par conséquent il suffit que ces noms soient monosyllabiques ; ce n’est pas exact, beaucoup de personnes se rappellent les chiffres en se les représentant visuellement sans faire attention au nom de ces chiffres ; pour ces personnes un nombre de deux chiffres tel que 12 par exemple n’est pas du tout équivalent à un nombre d’un chiffre comme 5. L’auteur ne dit pas comment ses séries étaient formées des 13 nombres indiqués plus haut ; on a le droit de supposer que parmi les séries de six nombres il y en avait qui contenaient 7 ou 8 chiffres, et que parmi les séries de sept nombres il y en avait qui ne contenaient que 7 chiffres. En somme, cette erreur de méthode compromet beaucoup la valeur du travail, puisqu’on ne peut pas être sûr que des séries indiquées comme étant plus longues que d’autres l’étaient en réalité au point de vue du nombre de chiffres ; cette erreur n’aurait pas pu être commise par une personne familière avec les expériences qui ont été faites sur la mémoire en Amérique et en France.

Enfin la troisième méthode employée par la commission est la méthode des combinaisons ; on présente aux élèves un texte imprimé dans lequel certains mots manquent ou ne sont pas achevés, des traits indiquent le nombre de syllabes qui manquent ; l’élève doit remplir les lacunes aussi rapidement que possible, il doit tenir compte du nombre de syllabes qui manquent dans chaque lacune et puis les remplir de façon à ce que le sens général du passage ne soit pas altéré. Nous donnons ci-après un exemple analogue à ceux qui ont été présentés aux élèves :

« Depuis plus — mois la santé — mini —, touj — chancel —, était profon — — al ; c’était de — lit — mala —, en proie — — cru — doul —, qu’il diri — à la — les armées et — pro — de Cinq-Mars. »

Les calculs faits pour représenter les résultats obtenus par cette méthode sont complètement arbitraires ; on comptait d’abord le nombre de syllabes remplies par les élèves, ensuite on comptait le nombre de lacunes passées par l’élève sans être remplies, ces lacunes non remplies étaient considérées comme des demi-fautes ; ensuite on comptait le nombre de lacunes remplies inexactement, soit par suite du nombre inexact de syllabes, soit par suite d’une erreur de sens ; ces erreurs étaient considérées comme des fautes entières. On ajoutait le nombre de demi-fautes au nombre de fautes entières et on retranchait cette somme du nombre total de lacunes remplies. Donnons un exemple : un élève remplissait par exemple en dix minutes 80 lacunes, il en avait omis 10 et il en avait rempli inexactement 20 ; l’auteur représente la quantité de travail que cet élève a fait par le nombre , c’est-à-dire par 55. La qualité du travail est représentée par le rapport du nombre de fautes au nombre total de syllabes remplies, c’est-à-dire par le rapport ou 25 à 80, ou bien  ; on représente ce rapport en ramenant le dénominateur à 100, il devient égal à 31,3 sur 100. C’est par le nombre 31,2 que l’auteur représente la valeur qualitative de cette copie.

Cette méthode de calcul est complètement arbitraire, l’auteur ne donne que les nombres définitifs ; on se demande si les résultats ne seraient pas différents avec une méthode de calcul différente.

Nous ne rapportons ici que les résultats relatifs à la fatigue intellectuelle des élèves.

La méthode des calculs a donné des résultats analogues à ceux obtenus par les auteurs précédents : le nombre de fautes augmente d’autant plus qu’il y a plus de travail intellectuel ; donnons les résultats moyens pour toutes les classes.

  Avant les classes. Après 1 heure. Après 2 heures. Après 3 heures. Après 4 heures. Après 5 heures.
Nombre de chiffres calculés par l’élève 
183 248 268 272 254 259
Pourcentage de fautes par élève 
1,1 1,5 1,6 1,8 1,9 1,9

La méthode de la mémoire des chiffres a donné un résultat inattendu ; on commet moins de fautes après les classes qu’avant. Ce résultat n’indique pas du tout que la mémoire devient meilleure, il indique seulement que l’exercice joue un rôle très important dans ces expériences de mémoire, et cette influence de l’exercice masque les influences produites par la fatigue intellectuelle ; la méthode est donc défectueuse pour déterminer le degré de fatigue intellectuelle. On aurait pu le voir déjà en faisant les expériences sur une ou deux classes, et éviter ainsi une perte de temps inutile ; nous donnons quelques chiffres pour les deux classes extrêmes du lycée de garçons.

  AGE

MOYEN
NOMBRE DE FAUTES dans toutes les séries par élève.
Avant la 1re leçon. Après la 1re leçon. Après la 4e leçon. Après la 5e leçon.
Classe supérieure 
18 ans. 8,5 6,3 5,1 4,7
  —   inférieure 
10,7 22,6 21,0 10,3 15,5

On voit bien que dans la classe inférieure les élèves ont commis plus d’erreurs que dans la classe supérieure ; seulement, après cinq heures de classe le matin, les élèves des deux classes commettent moins d’erreurs qu’avant les classes. C’est bien probablement un effet de la répétition de l’épreuve qui amène une adaptation meilleure de l’élève pour l’expérience et lui permet ainsi de l’exécuter mieux qu’au commencement, malgré la fatigue produite par les cinq classes du matin.

La méthode de combinaison a donné des résultats très vagues, les variations produites par la différence des textes présentés après chaque leçon sont trop considérables et il est impossible de savoir quelle est la part de la variation produite par la fatigue intellectuelle et quelle est celle qu’on doit rapporter à la différence des textes.

Nous donnons ici les chiffres seulement pour sept classes du lycée ; dans ces classes on a employé les mêmes textes ; on faisait l’expérience avant les classes, le matin, et puis après chacune des cinq classes du matin ; le tableau suivant contient les résultats pour chaque classe ; dans chaque cas sont indiqués deux nombres, celui qui représente la quantité du travail et puis celui qui représente le nombre de fautes commises ; ces nombres sont calculés comme nous l’avons indiqué plus haut.

NOMBRE D’ÉLÈVES
AGES MOYENS
Nombre de syllabes.
Fautes.
Nombre de syllabes.
Fautes.
Nombre de syllabes.
Fautes.
Nombre de syllabes.
Fautes.
Nombre de syllabes.
Fautes.
Nombre de syllabes.
Fautes.
    AVANT
les classes
APRÈS
1 heure.

APRÈS
2 heures.

APRÈS
3 heures.

APRÈS
4 heures.

APRÈS
5 heures.

CLASSES
                       
Untertertia 1re division 24 14,4 70 5 62 8 66 12 67 12 70 10 67 13
Untertertia 2e division 18 14 55 8 45 16 58 14 56 17 67 14 70 11
Quarta 1re division 35 13,2 48 9 41 11 53 17 46 28 46 24 59 20
 —  2e division. 27 12,4 41 18 38 22 39 32 53 26 50 34 51 20
Quinta 1re division 27 12,1 47 16 42 22 51 30 46 28 41 35 » »
 —  2e division 16 11,5 48 18 33 28 47 32 34 33 37 38 » »
Sexta 25 10,7 43 15 28 37 32 42 36 28 27 34 28 39

Les chiffres qui indiquent les nombres de syllabes remplies, c’est-à-dire qui indiquent la vitesse avec laquelle l’élève a fait le travail de combinaison, varient d’une manière bien irrégulière, suivant les textes employés ; il est difficile de tirer quelque résultat net de ces chiffres. L’auteur croit remarquer que dans les classes supérieures la quantité de lacunes remplies augmente vers la fin des classes, et dans les classes inférieures elle diminue ; c’est une conclusion qui ne ressort pas nettement des chiffres précédents, elle n’est nullement prouvée.

L’auteur conclut de ces résultats que les jeunes élèves se fatiguent bien plus vite que les élèves plus âgés ; cette conclusion est encore incertaine ; il est en effet difficile de supposer que le même texte soit aussi facile à remplir pour les élèves de quatorze ans que pour ceux de onze ans, et si l’épreuve que l’on fait exécuter est plus difficile pour les élèves jeunes que pour les élèves âgés, il est bien probable que pour une même fatigue intellectuelle l’influence sera plus forte chez les premiers que chez les derniers.

Fig. 91. — Méthode d’Ebbinghaus. Nombre de fautes commises en remplissant les lacunes pour trois classes différentes. On voit que le nombre de fautes augmente après les classes.


En somme l’influence de la fatigue n’est nullement éclaircie par les chiffres qui indiquent la quantité du travail fait par chaque élève.

Les nombres de fautes indiquent au contraire une influence de la fatigue, ils augmentent vers la fin des classes. Nous représentons sur le graphique 91 les nombres de fautes pour trois classes : l’untertertia, première division, la quarta, première division, et la quinta, première division.

Le nombre de fautes est d’abord plus grand dans les classes inférieures ; de plus, il augmente continuellement à partir de la première leçon jusqu’à la cinquième ; on peut bien en conclure qu’il y a une certaine fatigue intellectuelle chez les enfants et que la méthode d’Ebbinghaus peut servir pour constater cette fatigue, à condition que l’on compte le nombre d’erreurs.

Fig. 92. — Méthode d’Ebbinghaus. Nombre de lacunes remplies en dix minutes par les premiers élèves, les élèves moyens et les derniers de chaque classe.

Il est à regretter que l’auteur n’ait pas fait l’analyse psychologique des erreurs commises par les élèves ; cet examen aurait peut-être appris quelque résultat nouveau.

Nous indiquons encore brièvement les résultats que l’auteur a obtenus par sa méthode pour comparer l’intelligence des élèves d’une même classe. Dans chaque classe les élèves étaient partagés en trois groupes suivant le degré de leur développement intellectuel ; en calculant les résultats l’auteur a additionné le nombre de lacunes remplies par chacun de ces groupes. Nous représentons ces résultats par le graphique 92, dans lequel la ligne pleine (——) indique les résultats des meilleurs élèves, la ligne pointillée (……) ceux des élèves moyens, enfin la ligne interrompue (—.—.—) ceux des derniers élèves de chaque classe. On voit que la ligne qui indique le nombre de lacunes remplies par les meilleurs élèves est la plus haute, c’est-à-dire que ces élèves ont fait le plus de travail, tandis que les derniers élèves ont fait le moins de travail.

Ces résultats sont très importants, d’autant plus que ni la méthode de calculs ni celle de la mémoire des chiffres ne donnent rien de pareil.

En somme, la méthode d’Ebbinghaus doit être étudiée encore de plus près ; il est possible qu’elle donne des résultats pratiques importants.


CHAPITRE VIII
MÉTHODE DE LA SENSIBILITÉ TACTILE

Lorsqu’on touche la peau avec deux pointes écartées d’un compas, la personne touchée sent bien le contact, mais souvent elle croit percevoir une seule pointe au lieu de deux ; il faut que l’écart des pointes dépasse une certaine valeur limite pour que l’on perçoive nettement deux pointes. Cet écart limite s’appelle seuil du sens du lieu de la partie de la peau que l’on étudie. Ce seuil varie beaucoup suivant les endroits de la peau, il est de quelques millimètres (2 à 4) sur la pulpe des doigts, le bout du nez, la pointe de la langue et les lèvres ; il est plus grand (7 à 15 millimètres) sur le front, les joues, le dos de la main, la face dorsale des doigts, etc., enfin il est le plus grand (40 à 60 millimètres) sur l’avant-bras, le bras, le dos, la jambe et la cuisse.

Pour déterminer la valeur du seuil on touche d’abord la peau avec deux pointes très rapprochées ; le sujet sent en général un point ; puis on touche avec deux pointes plus écartées, et on continue ainsi jusqu’au moment où le sujet sent déjà nettement deux pointes ; on note la distance limite, et on recommence la détermination encore trois ou quatre fois. On prend ensuite la moyenne arithmétique entre ces différentes déterminations.

Il faut, en faisant ces expériences, surveiller quelques causes d’erreur : le sujet ne doit pas savoir avec quel écart on le touche, il ne doit pas savoir que les écarts successifs vont en croissant. Il faut placer les deux pointes simultanément, ne pas presser l’une plus que l’autre ; exercer une pression moyenne toujours la même dans les différentes expériences ; entre deux expériences successives laisser écouler vingt à trente secondes ; noter sur une feuille de papier toutes les réponses données par le sujet ; ne pas le suggestionner, ce qui est très facile dans ces expériences, une simple remarque de la part de l’expérimentateur, un air de surprise, suffisent quelquefois pour suggestionner le sujet.

Lorsqu’on fait ces expériences, on observe que, pour distinguer si le contact est produit avec une ou deux pointes, le sujet doit fortement concentrer son attention sur la sensation tactile perçue ; si on ne peut pas concentrer assez fortement son attention, on ne distinguera pas aussi facilement les deux pointes que si on la concentre fortement. Un auteur allemand, Griessbach[13] a eu l’idée de faite ces expériences sur des élèves pour voir si la force de concentration de l’attention ne variait pas après les classes, vu que toute diminution dans la force de concentration de l’attention se traduit par une augmentation de la valeur du seuil. Il a fait les expériences sur des élèves d’un lycée, sur des professeurs et sur des apprentis mécaniciens.

Les expériences étaient faites sur chaque individu séparément avant les classes, puis après chaque classe, ensuite après quelques heures de repos, et enfin le dimanche à midi. Les résultats obtenus sont très nets.

L’auteur a choisi pour les déterminations du seuil ces six endroits de la peau : le front, le bout du nez, la lèvre inférieure, la pommette, la pulpe du pouce et la pulpe de l’index.

Nous donnons dans le tableau suivant les valeurs numériques pour un lycéen de seize ans :

PLAN D’ÉTUDES              
7 à 8 heures.
Mathématiques.

8 à 9 heures. Latin.
9 à 10 heures. Grec.
10 à 11 heures. Religion.
11 à 12 heures. Physique.
12 à 2 heures. Repos.


Dimanche.
Heures de détermination 
7 h. 8 h. 9 h. 10 h. 11 h. Midi   2 h. Midi
Front 
11 12 14 17 11 15 » 7,5 3,5
Bout du nez 
3 3,5 5 5 4 5 » 2,5 1,5
Lèvre inférieure 
2 3 3,2 4 3 3,5 » 1,8 1
Pommette 
11 17 22 23 15 22 » 10 5
Pulpe du pouce 
6 10 13,5 13,5 9 11 » 5 4
Pulpe de l’index 
2,2 2,5 2,5 2,5 2 2,5 » 1,2 1

Ces chiffres donnent des valeurs du seuil en millimètres ; on voit par exemple que sur le front l’élève distinguait, à 7 heures du matin, les deux pointes pour une distance de 11 millimètres ; après une heure de mathématiques il les distinguait pour 12 millimètres, etc.

On voit nettement que les valeurs du seuil augmentent d’autant plus que le travail intellectuel précédent a été plus intense ; cette augmentation se fait sur toutes les six parties de la peau étudiées ; elle est plus forte sur les parties les moins sensibles, c’est-à-dire celles dont le seuil est plus grand ; ainsi elle est plus forte sur le front et la pommette que sur la pulpe de l’index et sur le bout du nez. Un repos de deux heures ramène la valeur du seuil à la valeur normale. Enfin, le dimanche, les valeurs du seuil sont plus faibles que les jours de semaine avec les classes.

Nous représentons sur le graphique suivant (fig. 93) les résultats compris dans le tableau précédent ; nous avons porté en ordonnées les valeurs du seuil pour le bout du nez, pour le front et pour la pommette. On voit que les trois courbes ont une direction presque parallèle, ce qui indique que les variations dans les valeurs du seuil s’observent sur les trois endroits de la peau de la même manière ; les valeurs du seuil obtenues le dimanche sont bien inférieures à celles des jours de classe ; enfin, après un repos de deux heures, les valeurs sont même un peu inférieures à celles obtenues le matin à 7 heures ; cette différence peut tenir à l’exercice acquis pendant les expériences faites après chaque classe.

Fig. 93. — Méthode de la sensibilité tactile. Valeurs du seuil pour le front, la pommette et le bout du nez chez un élève aux différentes heures de la journée de travail.

Des expériences qui ont eu lieu après les examens écrits indiquent une augmentation du seuil très considérable ; l’examen écrit durait de 7 heures à midi ; même après cinq heures de repos, la valeur du seuil n’était pas revenue à sa valeur normale, ce qui indique un effet de fatigue très considérable.

Enfin des expériences sur des apprentis mécaniciens obligés de faire beaucoup d’exercice physique ont montré que la valeur du seuil variait à peine sous l’influence d’un travail physique.

Ces expériences ont été refaites dans des conditions analogues, sur une trentaine d’élèves, par un autre auteur, Vannod[14], qui est arrivé à des résultats identiques aux précédents.

On voit par conséquent que la méthode de détermination du seuil du sens du lieu de la peau peut servir avec profit pour constater une fatigue intellectuelle chez des élèves.



CHAPITRE IX
COMPARAISON DES DIFFÉRENTES MÉTHODES PSYCHOLOGIQUES
pour étudier la fatigue
RÉSUMÉ ET CONCLUSION

Nous croyons utile de donner ici un résumé court des effets psychologiques produits par le travail intellectuel, et d’indiquer quelques conclusions pratiques relativement à la valeur des méthodes.

Les expériences faites dans des laboratoires sur des personnes adultes ont montré qu’à la suite d’un travail d’une heure consistant dans des calculs il se produit un certain nombre d’effets psychologiques élémentaires ; ce sont des modifications dans plusieurs processus psychiques simples qu’il est facile de mesurer expérimentalement. Ainsi la durée des réactions de choix et des réactions verbales augmente ; le sujet ne peut plus lire avec la même vitesse qu’avant le travail intellectuel ; il ne peut plus faire des additions aussi vite ; enfin la mémoire des chiffres est diminuée.

Des expériences nombreuses faites dans les écoles ont montré que la fatigue était d’autant plus forte que le travail intellectuel est plus intense ; c’est un résultat auquel il fallait s’attendre, et le mérite des recherches précédentes ne consiste pas à avoir montré qu’il y a de la fatigue après une ou plusieurs classes, mais à avoir indiqué des méthodes pratiques qui sont assez sensibles pour révéler ces effets de fatigue ; ces méthodes peuvent être employées avec profit dans des cas où on ne saura pas d’avance si les enfants sont fatigués ou non.

Parmi les différentes méthodes employées, c’est surtout celle des dictées qui doit être préférée aux autres : d’une part, les élèves sont habitués à faire des dictées, il n’y a donc pas à craindre qu’il se produise des effets d’exercice comme cela arrive pour la méthode des calculs, celle de la mémoire, et probablement aussi pour la méthode de combinaison et la sensibilité tactile ; d’autre part, il est facile de compter le nombre de fautes commises dans une dictée ; il ne se présente pas ici d’équivoque comme pour quelques-unes des autres méthodes ; enfin on peut faire une analyse psychologique des erreurs commises par les enfants et déduire de cette analyse la nature psychologique de l’effet de fatigue ; ainsi, par exemple, il est bien probable qu’après une heure de gymnastique les erreurs commises seront d’une nature différente de celles commises après une heure de mathématiques ; il y a là tout un champ d’études complètement inexploré.

La méthode des calculs est moins bonne que celle des dictées : d’une part, l’influence de l’exercice est très forte, de sorte que l’on est réduit à comparer l’augmentation du nombre d’erreurs à l’augmentation du nombre de chiffres calculés ; d’autre part, il est à craindre que les élèves ne prêtent pas également leur attention aux différentes épreuves ; comme ils ne sont pas habitués à faire des calculs aussi longs que ceux que l’on exige d’eux, il est tout naturel qu’ils fassent la première fois les calculs avec beaucoup de zèle, mais la seconde fois ce zèle doit diminuer, et les fois suivantes ce zèle est remplacé par de l’ennui ; il est possible que l’augmentation du nombre de fautes après les classes soit due non à la fatigue intellectuelle, mais à l’influence de l’ennui ; c’est une cause d’erreur difficile à éviter, qui pourtant ne se produit pas aussi fortement dans la méthode des dictées. Enfin on ne peut pas analyser la nature des erreurs commises dans les calculs, c’est encore un désavantage de cette méthode par rapport à celle des dictées.

La méthode de la mémoire des chiffres a donné jusqu’ici des résultats défavorables, puisque l’influence de l’exercice masque les effets produits par la fatigue intellectuelle ; il est vrai que cette méthode n’a été employée jusqu’ici qu’une seule fois, et nous avons vu que les auteurs avaient commis plusieurs erreurs graves de méthode. Peut-être en reprenant cette étude, en faisant les expériences avec beaucoup de soin, arriverait-on à des résultats meilleurs que les précédents.

La méthode de combinaison, dans laquelle on fait remplir les lacunes d’un texte incomplet, présente beaucoup de difficultés pratiques ; il est en effet difficile de préparer plusieurs textes équivalents ; il y en aura toujours quelques-uns qui seront plus difficiles à compléter que d’autres ; de plus, il faut faire des hypothèses arbitraires pour compter le nombre de fautes ; on court ainsi le risque de compter inexactement le nombre d’erreurs ; enfin il est probable que l’influence de l’exercice est considérable. Il faudra donc, en appliquant cette méthode, ne tenir compte que des écarts considérables ; nous en avons vu un exemple pour le nombre d’erreurs avant et après les classes du matin.

Enfin les résultats obtenus avec la méthode de détermination du sens du lieu de la peau sont très nets ; on peut donc employer cette méthode parallèlement avec d’autres pour constater une fatigue intellectuelle. La difficulté de cette méthode est qu’il n’y a pas de proportionnalité entre le degré de fatigue et la grandeur du seuil ; ainsi, par exemple, si après une heure de classe le seuil d’une partie de la peau est égal à 8 millimètres, et après deux heures à 12 millimètres, on ne peut pas en conclure que la fatigue après deux heures a été une fois et demie plus forte qu’après une heure de classe. Une autre difficulté de cette méthode est la suivante : si le seuil est augmenté, on peut bien dire qu’il y a une fatigue intellectuelle, mais il n’en résulte pas du tout que toute fatigue intellectuelle produise une augmentation du seuil, la réciproque n’est pas démontrée ; il peut très bien arriver que l’élève soit fatigué et que cette fatigue ne se remarque pas nettement sur la valeur du seuil.

En somme, cette méthode présente quelques points incertains, et il ne faudra jamais l’employer seule.

Résumons maintenant dans ce dernier chapitre les résultats principaux qui ressortent des différentes études physiologiques et psychologiques que nous avons décrites longuement dans le courant du livre.

1° Nous avons vu, dans la première partie du livre, que sous l’influence du travail intellectuel il se produit des modifications plus ou moins fortes dans les fonctions physiologiques les plus importantes de l’organisme, telles que la circulation du sang, la respiration, la température du corps, les échanges nutritifs de l’organisme et la force musculaire ; un certain nombre de ces modifications se produisent déjà pour un travail intellectuel très court, d’autres n’ont été observées jusqu’ici qu’après un travail prolongé et intense. Dans tous les cas on peut affirmer ce résultat d’une grande importance qu’aucun travail intellectuel ne peut être exécuté sans retentir sur l’organisme ; la durée et l’intensité de ce retentissement varient suivant le travail intellectuel et suivant la fonction physiologique étudiée.

2° Si on examine pour chaque fonction physiologique ou psychologique les effets produits par le travail intellectuel, on remarque une certaine analogie de ces effets ; ainsi, par exemple, après un travail court le cœur s’accélère ; si le travail dure assez longtemps, le cœur se ralentit ; de même la forme du pouls devient parfois accentuée pendant un travail court, et lorsque le travail dure plusieurs minutes le dicrotisme s’atténue ; il en est de même pour l’état des vaisseaux sanguins de la main ; au début du travail on a une vaso-constriction, et après quelques minutes une vaso-dilatation ; pour la fonction respiratoire le même phénomène se produit, il se produit d’abord une accélération des mouvements respiratoires, et après quelques minutes un ralentissement ; enfin la force musculaire semble aussi être augmentée après un travail intellectuel court, et au contraire diminuée après un travail intellectuel d’une heure. Il semble donc que pour un certain nombre de fonctions physiologiques un travail intellectuel court produit certaines modifications, et un travail intellectuel prolongé produit des modifications opposées aux précédentes.

Pour les effets psychologiques du travail intellectuel, nous avons vu que, lorsqu’on fait un travail continu pendant deux heures, dans les premières trente à soixante minutes la vitesse de travail augmente, et dans le reste des deux heures elle diminue ; cette marche croissante de la vitesse ne se produit pourtant pas dès le début ; en effet, dans les premières cinq à dix minutes la vitesse est supérieure à celle des cinq minutes suivantes, c’est-à-dire la courbe qui représente la marche de la vitesse baisse d’abord un peu, puis monte pendant un certain temps (vingt-cinq à soixante minutes), et enfin, après avoir atteint un maximum, descend continuellement jusqu’à la fin. La petite descente de la courbe au début a été attribuée à cet état d’excitation dans lequel on se trouve lorsqu’on se met à travailler, et que nous avons désigné par le nom de verve ; la montée de la courbe a été attribuée à l’excès de l’exercice acquis sur la fatigue, et la descente de la courbe après le maximum à l’excès de la fatigue sur l’exercice. Ce sont des explications hypothétiques qu’il faudrait encore prouver par de nouvelles expériences. Mais ce qui est certain, c’est que lorsque le travail dure environ une demi-heure, la vitesse de travail augmente continuellement, et lorsque le travail a une durée plus longue, elle diminue. Il y a donc ici aussi deux effets opposés.

On se demande naturellement si les effets physiologiques du travail intellectuel ne sont pas dans une certaine relation avec les effets psychologiques, si l’augmentation du nombre de battements de cœur, l’accélération de la respiration, l’augmentation de la force musculaire, ne sont pas en rapport avec la période de verve ou avec la période d’exercice du travail intellectuel, et si le ralentissement du cœur et de la respiration, la diminution de la force musculaire, ne sont pas en relation avec la période de fatigue du travail intellectuel.

C’est là une question qu’il est impossible de résoudre à l’heure présente puisqu’on n’a pas encore fait de recherches sur les influences physiologiques et psychologiques parallèlement sur les mêmes individus. Il faudrait faire des expériences méthodiques dans lesquelles on observerait simultanément les différents effets psychologiques et physiologiques ; ce n’est que de cette manière que l’on pourra arriver à connaître la signification des différents effets.

Pour mieux se rendre compte de ce qui est fait jusqu’ici nous donnons le tableau suivant, qui peut servir de résumé à tout notre livre.

DURÉES DU TRAVAIL INTELLECTUEL
moins d'une minute
5 minutes
15 minutes
30 minutes
60 minutes
90 minutes
120 minutes
plusieurs heures
plusieurs jours
plusieurs mois
                 
EFFETS PHYSIOLOGIQUES
Circulation :                    
Nombre de pulsations augm. augm. augm. dimin. dimin. dimin. dimin. dimin.
Volume du cerveau augm. augm.
Volume de la main dimin. augm.
Dicrotisme du pouls attén. attén. attén. attén. attén. attén. attén.
Pression du sang augm. augm.
                     
Respiration :                    
Nombre de respirations augm. augm. dimin.
Amplitude des respirations dimin. dimin. augm.
Acide carbonique expiré augm. augm.
Oxygène absorbé augm. augm.
Température du corps augm. augm.
                     
Système musculaire :                    
Muscles des yeux relâchés relâchés relâchés
Force musculaire maximum au dynamomètre augm. augm.
Efforts musculaires répétés à l’ergographe dimin. dimin. dimin. dimin.
                     
Échanges nutritifs :                    
Quantité d’urine augm. augm.
Azote de l’urine dimin. dimin.
Acide phosphorique uni aux terres augm. augm.
Acide phosphorique alcalin dimin. dimin.
Consommation du pain dimin.
Poids du corps dimin.
EFFETS PSYCHOLOGIQUES
Vitesse du travail intellectuel continu, additions dimin. augm. augm. augm. dimin. dimin.
Vitesse du travail intellectuel continu, séries de chiffres par cœur dimin. augm. augm. dimin. dimin. dimin.
Durée des réactions de choix augm.
Réactions verbales augm.
Mémoire des chiffres dimin.
Vitesse de lecture dimin.
Nombres d’erreurs dans les dictées des élèves augm. augm. augm. augm. augm. augm.
Nombres d’erreurs dans les calculs des élèves augm. augm. augm. augm. augm. augm.
Nombres de fautes en remplissant les lacunes augm. augm. augm. augm.
Seuil du sens du lieu de la peau augm. augm. augm. augm. augm.

Il nous reste à conclure.

Nous avons, au cours de ce livre, insisté trop souvent sur les lacunes des études que nous avons exposées pour qu’on s’étonne de l’aveu qu’il nous reste à faire à cette place. Cet aveu, c’est que les recherches sur les effets du travail intellectuel ne sont pas encore assez avancées pour qu’on puisse en tirer une conclusion pratique qui soit directement applicable aux écoles. Après avoir dit ce qui a été fait, nous allons déterminer, avec autant de précision que possible, ce qui reste à faire.

D’abord, il faut étudier plus méthodiquement et plus profondément les effets du travail intellectuel sur les différentes fonctions du corps et de l’esprit. Beaucoup de points n’ont encore été qu’effleurés. Pour des fonctions très importantes, comme la pression du sang, la thermométrie, la respiration, on n’a examiné que les effets d’un travail d’esprit très court, durant quelques minutes, et on ignore les conséquences d’un travail intellectuel prolongé pendant plusieurs heures. Pour d’autres recherches, comme celle de la fonction musculaire, on n’a pas d’observations méthodiques et répétées, mais seulement quelques documents isolés. Enfin, les expériences les plus longues de travail intellectuel ne dépassent pas une après-midi ou au plus quelques jours, et on reste dans l’ignorance de ce qui se produit dans le corps et l’esprit des jeunes gens au cours d’une année complète de travail intellectuel assidu. Ajoutons encore que certaines recherches techniques, comme celles de la sécrétion urinaire et du chimisme respiratoire, ne sont encore qu’ébauchées.

Le second desideratum que nous avons à signaler porte sur la coordination et les rapports réciproques de toutes ces études. Chacune d’elles a été faite jusqu’ici par un auteur différent, qui après avoir choisi son sujet s’y est cantonné avec le plus grand soin, et n’a étudié par conséquent les effets du travail intellectuel que sur une seule fonction et avec une seule méthode ; tel n’a examiné que la sensibilité tactile, tel autre n’a employé que la méthode des dictées, un troisième n’a fait que de la thermométrie, ce qui n’a pas empêché les auteurs de ces études partielles et incomplètes d’en tirer des conclusions tout à fait générales sur l’hygiène de l’esprit. C’est être bien pressé et bien imprudent. Il reste donc, pour compléter toutes ces ébauches, à reprendre la question depuis l’origine, en faisant marcher de front, dans une étude commune, toutes les méthodes qui ont été éprouvées ; cette étude d’ensemble s’impose, malgré les difficultés pratiques qu’elle peut présenter ; il faut non seulement connaître tous les signes physiques et mentaux de la fatigue intellectuelle ; il faut encore savoir à quel moment chacun d’eux se manifeste et quelle est sa valeur ; il faut déterminer si le ralentissement du cœur précède les changements de la pression sanguine, si la diminution de la sensibilité tactile coïncide avec une diminution de l’attention, si les erreurs de mémoire qui sont révélées par les dictées se produisent longtemps après la baisse de la force musculaire. Connaître la valeur de chaque signe de fatigue, c’est savoir quel degré de fatigue il indique, c’est mesurer la fatigue ; or, on ne peut connaître la valeur de ces signes qu’à la condition de connaître leur ordre chronologique. Il y aura donc lieu de suivre sur un même groupe d’individus tous les effets du travail intellectuel, en notant pour chaque effet son mode et sa date de production.

Allons plus loin, et puisque nous sommes en train de tracer un programme d’avenir, supposons que la première partie de ce programme a été réalisée, que nous possédons à l’heure actuelle l’étude d’ensemble dont nous venons de faire comprendre la nécessité. Tout sera-t-il terminé ? Pourra-t-on alors traiter pratiquement la question du surmenage intellectuel ? Nous ne le pensons pas.

Qu’est-ce que le surmenage ? On s’est assez bien entendu sur le sens de cette expression empruntée à la médecine vétérinaire. Le surmenage est une fatigue spéciale, d’une gravité exceptionnelle, un état de fatigue chronique, une fatigue pathologique. Il est facile de présenter des définitions de ce genre ; bien qu’elles soient exactes, en ce sens qu’elles reposent sur une distinction très légitime entre la fatigue normale et saine, qu’on doit rechercher, et la fatigue malsaine, qu’il faut éviter autant que possible, ces définitions sont trop vagues pour qu’on puisse s’en satisfaire, car elles laissent en suspens la question de savoir à quoi l’on reconnaît le surmenage intellectuel, et ce qu’il faut de désordres physiques et moraux pour le constituer, question pratique au premier chef. Jamais, à l’Académie de médecine ni ailleurs, pensons-nous, on n’a discuté sérieusement sur ce point. Il mérite cependant d’être discuté, et même il faut absolument le discuter, avant d’entreprendre des recherches expérimentales. Voici, à notre avis, quelle est la conclusion provisoire qu’on devrait admettre.

La distinction entre la fatigue ordinaire et le surmenage ne doit pas être cherchée dans des symptômes pathologiques, comme le mal à la tête ; car ce symptôme peut manquer chez certains surmenés et exister chez d’autres qui ne le sont pas. Le caractère distinctif du surmenage est dans le mode de réparation de la fatigue. Une fatigue normale est celle qui se répare d’elle-même, sans qu’on y songe, sans qu’on prenne de précautions spéciales, sans qu’on change la moindre partie de son hygiène. Au contraire, il y a surmenage toutes les fois que la fatigue qu’on éprouve exige pour sa réparation des conditions exceptionnelles. Ainsi, pour prendre un exemple qui nous fera bien comprendre, il est démontré par beaucoup d’expériences qu’après les classes du soir, les enfants de beaucoup d’écoles sont plus fatigués que le matin avant les classes ; et, soit dit en passant, les pédagogues qui ont fait cette constatation ont eu le tort d’en conclure que les enfants sont surmenés ; à ce compte on ne devrait plus faire travailler les enfants, car tout travail sérieux produit nécessairement un peu de fatigue ; mais la fatigue n’est pas le surmenage. Pour qu’on puisse affirmer que des enfants d’école sont surmenés, il faudrait montrer que la fatigue du soir ne se dissipe pas après le repos du soir et après le repos de la nuit, et que par exemple le lendemain matin les enfants qui se remettent au travail sont encore fatigués du travail de la veille, de sorte que la fatigue de la veille s’ajoute à la fatigue du moment et l’aggrave. Voilà un degré de fatigue qui nous semble pouvoir être considéré comme anormal, puisqu’il ne se dissipe pas de lui-même, et que pour le dissiper il faudrait donner aux enfants un repos supplémentaire, par conséquent modifier spécialement leur hygiène. Si des changements doivent en outre être apportés dans la nourriture, ou si des moyens thérapeutiques spéciaux doivent être employés pour réparer la fatigue, on peut encore dire qu’il y a surmenage. Mais nous ne voulons rien écrire là-dessus de définitif, parce que ce sont des problèmes qui ne se résolvent pas en théorie. C’est l’existence du problème que nous nous bornons à signaler.

Pour le résoudre expérimentalement, il faut le subdiviser en deux parties distinctes : une première recherche devra être faite sur les élèves des écoles et lycées pour rechercher quelle est chez eux la rapidité de réparation de la fatigue, ou en d’autres termes, au bout de quel temps les signes de fatigue qu’on a relevés chez eux disparaissent, comment ces élèves se reposent, quelles sont les circonstances qui favorisent ou qui entravent ce repos. Une seconde recherche devra se proposer de déterminer quelle est la vitesse de réparation qui, d’après l’âge des élèves, doit être considérée comme normale, et à partir de quel point il y a réparation anormale, c’est-à-dire pathologique, et par conséquent surmenage.

Nous sommes encore loin, on le comprend maintenant, du moment où il sera possible de traiter scientifiquement le surmenage intellectuel. La question, qui paraissait facile à résoudre, est au contraire hors de notre portée actuelle ; le but auquel nous tendons paraît s’éloigner au lieu de se rapprocher. En réalité, nous nous en sommes rapprochés, puisque nous avons dissipé les illusions et montré quel est l’état exact de la question. Surtout, nous avons aujourd’hui le grand avantage de savoir ce qu’il faut faire. Nous possédons la plupart des méthodes qu’on devra employer ; ces méthodes ont été éprouvées, on en connaît les causes d’erreur et aussi les avantages. La voie est ouverte.

Nous terminons ce livre par le vœu que l’administration française, trop éclairée pour ne pas comprendre l’intérêt supérieur de ces études, se persuade bien qu’on ne résoudra aucun problème pédagogique par des discussions, des discours et des joutes oratoires, et favorise de tout son pouvoir les recherches de psychologie expérimentale dans les écoles !


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