La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 1/XIII

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CHAPITRE XIII.




Les attentions que madame de Simiane avait pour M. de Lamerville, lui inspirèrent pour elle une vive reconnaissance. Quoiqu’il fût infirme et octogénaire, il était d’une société agréable ; son esprit s’était conservé dans toute sa force ; il avait de la gaîté, et semait sa conversation d’anecdotes piquantes, qu’il racontait avec grâce. Rien n’est plus intéressant que l’entretien d’un vieillard aimable et disert, qui a beaucoup vu, beaucoup entendu, beaucoup observé, et qui vous met dans toutes ses confidences : vous apprenez souvent plus de choses avec lui en quelques heures, que la lecture et les réflexions ne vous en apprennent en quelques mois. Madame de Simiane se plaisait d’autant plus avec M. de Lamerville, qu’il avait du goût pour la poésie ; il se souvenait, avec un plaisir mêlé d’un peu de vanité, qu’il avait fait agréer plus d’une fois son amoureux hommage, à la faveur d’un couplet ou d’un madrigal ingénieux. Il chantait ou récitait à la marquise les vers légers qu’il avait faits ; il mettait alors dans son regard et dans sa voix une expression qui ne lui laissait de la vieillesse que ces nobles traces qui commandent le respect.

Un soir qu’il était dans l’enchantement des attentions de la marquise, et de sa complaisance à l’écouter, il s’écria : Ô pourquoi mon neveu, mon cher Amador est-il absent ! Que ne donnerais-je pas pour qu’il vous vît, qu’il vous aimât, qu’il fût aimé de vous ! Quelle serait ma joie, s’il devenait l’époux de la seule femme selon mon cœur ! Mais, hélas ! chaque jour pour moi est maintenant un jour de grâce ; peut-être suis-je appelé à descendre dans la tombe avant d’avoir embrassé encore une fois ce neveu qui m’a causé tant de sollicitudes. En prononçant ces mots, le duc laissa tomber des larmes sur ses joues vénérables. Anaïs se hâta de les essuyer, et, lui serrant doucement la main, lui dit : Dieu vous conservera long-temps, je le lui demanderai avec tant de ferveur ! vous presserez de nouveau, sur votre sein, ce neveu, l’objet de votre tendresse. Mais pourquoi n’est-il pas auprès de vous ? pourquoi ne m’aviez-vous pas, jusqu’à présent, parlé de lui ? — Je craignais que vous n’en eussiez conçu une idée défavorable. Vous m’êtes devenue tout d’un coup si chère, que je ne voulais pas risquer de me brouiller avec vous, et je ne pourrais entendre tranquillement, même de vous, un seul mot contre mon neveu. — Comment pourrais-je en dire ou en penser du mal ? je ne le connais pas. — Il a embrassé un parti qui semblait ne devoir pas être le sien ; mais l’étranger était à nos portes, il allait profiter de nos cruelles divisions, pour ravager notre patrie. Mon neveu a fait des actions d’éclat, en prodiguant son sang pour la défendre. — Vous êtes l’oncle du général de Lamerville ? — Oui, je suis l’oncle de l’homme le plus parfait qui ait encore existé. Amador de Lamerville a reçu de la nature tout ce qu’il faut pour séduire les yeux, pour enchaîner le cœur : il joint à la beauté d’Apollon, le courage d’Achille. La générosité du caractère de mon neveu, la douceur de ses mœurs, la profondeur et la multiplicité de ses connaissances en font un héros accompli ; objet de l’amour passionné de plusieurs femmes, je ne sache pas qu’il en ait aimé aucune : il s’est fait une image idéale de celle qu’il veut choisir pour sa compagne. Je croyais qu’il ne trouverait nulle part son modèle. Je ne vous connaissais pas. ( Anaïs rougit et garda le silence.) Ce portrait vous étonne, observa le duc ? — Je le crois un peu flatté. — Nullement, je puis vous en donner des preuves. — Il tira de son secrétaire une miniature et un paquet de lettres, en ajoutant : Regardez, lisez et jugez. — Anaïs ne put refuser de payer le tribut de sa timide admiration, à la figure la plus noble et la plus gracieuse qu’elle eût encore vue. Elle lut ensuite tout haut, à la prière du duc, quelques fragmens de lettres qu’il lui avait remises entre les mains ; sa voix était fort émue, et son œil se tournait, à la dérobée, sur la précieuse miniature qui lui avait fait éprouver une sensation aussi agréable que nouvelle. Mr. D. entra. Anaïs, cédant à un instinct du cœur, s’empressa de serrer le portrait et les lettres, comme si déjà elle avait un secret.