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La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 1/XV

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CHAPITRE XV.




Il y avait une grande heure que celle du déjeûner était passée. Le duc et Mr. D. attendaient avec impatience madame de Simiane, qui avait l’habitude de prendre ce repas avec eux : ils ne savaient à quoi attribuer son retard. Le domestique qu’ils avaient envoyé à sa rencontre dans la forêt, venait de les instruire de ses recherches inutiles, quand elle entra dans la salle à manger, tenant encore sous le bras le respectable Ambroise. Je vous amène, dit-elle au duc, un hôte dont la présence vous sera agréable : il a des récits intéressans à vous faire : le général de Lamerville a cueilli de nouveaux lauriers qui, grâces au ciel, ne sont pas arrosés de son sang.

Madame de Simiane, tout en faisant l’histoire de sa rencontre avec Ambroise, lui approchait elle-même un siége et le faisait asseoir à table. Tandis qu’il entretenait le duc de différens combats que son neveu avait soutenus si glorieusement, elle servait aux deux vieillards d’un excellent pâté, leur coupait du pain, leur versait à boire. Le récit du soldat, quoique long et diffus, n’ennuya ni le duc ni la marquise ; l’un et l’autre prêtaient une vive attention à l’écouter. Anaïs frissonnait de terreur à l’image de chaque danger que le général avait couru ; elle tressaillait de plaisir au récit de chaque victoire qu’il avait remportée, et présentait en réjouissance, au vieux conteur, un verre de vin de Madère exquis. Quand il eut pris un repas solide, et quelques heures de repos, elle le fit conduire à Aulnay.

Les marques extraordinaires de bienveillance qu’Ambroise avait reçues de madame de Simiane, cette sorte d’ivresse où elle était du résultat de sa promenade, frappèrent Mr. D. ; il réfléchit à quelques mots échappés au duc, et ne douta plus que l’aimable veuve n’aimât, sans le savoir, le jeune de Lamerville : toutefois, il se garda bien de lui laisser voir ses conjectures ; il savait qu’on ne guérit que difficilement d’un amour qu’on s’est avoué ; il espérait qu’en n’éclairant point Anaïs sur le sien, cet amour ne serait que le rêve d’une imagination ardente, et qu’il s’évanouirait sans laisser de traces douloureuses.