La Femme affranchie/Deuxième partie/Chapitre III/V

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anarchie : le Droit dévorerait le Droit. Le bon sens exige qu’une réforme ne soit appliquée qu’à des éléments préparés à s’y soumettre.

V

FONCTIONS PUBLIQUES

L’auteur. Le principe posé par l’idéal nouveau est que tous les membres du corps social sont aptes à briguer les fonctions publiques. Comparons ce principe aux décisions de la loi française.

La femme est déclarée incapable de remplir aucune fonction publique.

Il lui est interdit d’être témoin dans les actes de l’État civil, dans les testaments, et tout autre acte reçu par officier public.

À l’exception de la mère et des ascendantes, elle est exclue de la tutelle et du conseil de famille.

Par une magnifique inconséquence, ces lois gouvernent le pays où la plus haute des fonctions, la Régence, peut échoir à une femme.

Remarquez, Madame, que si nous sommes incapables à tant de points de vue, nous devenons tout à coup très capables, quand il s’agit de répondre de nos actes au criminel et au correctionnel ; très croyables quand il s’agit d’envoyer, par notre témoignage, un homme aux galères ou à la mort ; très capables y très responsables dans les transactions que nous fesons et signons comme filles majeures ou veuves.

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Des gens qui se sont donné la difficile tâche de nous dorer cette amère pilule qu’on nomme le Code Civil, nous disent : mais, Mesdames, le législateur savait, qu’étant mères et ménagères, vous ne pouviez remplir des fonctions publiques : Vous conviendrez vous-mêmes qu’une femme enceinte ou nourrice, une femme retenue par les soins de l’intérieur, ne peut être ni ministre, ni juré, ni député, ni… etc.

La jeune femme. Mais, Messieurs leur répondrons-nous, les femmes ne sont pas constamment enceintes, perpétuellement nourrices, puisque beaucoup n’ont pas d’enfants, restent filles, et ne s’occupent pas plus que vous des soins de l’intérieur.

L’âge où vous entrez dans les fonctions publiques, est celui où, nos fonctions maternelles étant remplies, nous n’avons plus qu’à nous ennuyer prodigieusement, si notre fortune nous en laisse le loisir.

L’auteur. Ces Messieurs prétendent que la maternité nous a pris trop de temps pour que nous ayons pu cultiver les facultés nécessaires aux fonctions publiques : ils prétendent aussi que cette maternité arrête l’essor de nos hautes facultés.

La jeune femme. À ceci nous leur répondrons que l’amour et le libertinage leur font perdre bien plus de temps qu’à nous la maternité et arrêtent bien autrement l’essor de leurs hautes facultés.

Quoi ! il faut que les filles, les veuves, les femmes de quarante ans ne puissent remplir aucune fonction publique, parce que la majorité des femmes est occupée de vingt à trente cinq ans, à renouveler la population ! En vérité, c’est plaisant !

Les hommes conviennent qu’il n’y a qu’un petit nombre d’entre eux qui remplissent les fonctions publiques ; puis, quand il s’agit des femmes il semble aussitôt que toutes prétendent les remplir, et qu’il n’y en a pas une qui n’en soit empêchée par la maternité et le mariage.

On dit que le peuple français est spirituel, que, né malin, il inventa le Vaudeville ; je n’y contredis pas ; mais serais-je indiscrète de m’informer s’il a inventé le sens commun et la logique ?

Ah ! qu’ils se taisent ces malheureux interprètes du Code ; nous n’avons pas besoin de leurs gloses, pour que les auteurs de leurs lois aient le contraire de notre amour.

VI

LA FEMME DANS LE MARIAGE

L’auteur. Voyons comment la société, qui doit veiller à ce que chacun de ses membres n’aliène ni sa personne, ni sa liberté ni sa dignité, remplit ce devoir envers la femme mariée. Nous savons que la fille majeure et la veuve sont capables de tous les actes de propriété ; qu’elles sont libres, et ne doivent obéissance qu’à la loi.

La femme se marie-t-elle ? Tout change : ce n’est plus proprement une femme libre, c’est une serve.

La loi, en déclarant qu’elle suit la condition de son mari, c’est à dire qu’elle est réputée de la même nation que lui, dénationalise la femme française qui se marie avec un étranger.