La Femme affranchie/Deuxième partie/Chapitre IV

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CHAPITRE IV.

(Suite du précédent.)

VII

CONTRAT DE MARIAGE


L’auteur. On peut faire un contrat de mariage sous l’un de ces quatre régimes : Communauté, Dotal, Sans séparation de biens, Séparation de biens.

Suivez avec la plus grande attention le sommaire que je vais vous donner de chacun d’eux.

Sous le régime de la Communauté, le mari administre seul les biens communs.

Ces biens se composent du mobilier, même de celui qui échoit par succession ou donation, à moins que le donataire n’ait exprimé une volonté contraire ;

Deuxièmement : de tous les fruits, intérêts de quelque nature qu’ils soient ;

Troisièmement : de tous les immeubles acquis pendant le mariage.

Le mari peut vendre, aliéner, hypothéquer toutes ces choses, sans le concours de la femme ; il a même la faculté de disposer par don des effets mobiliers.

Il administre encore les biens personnels de la femme et peut, avec son consentement, aliéner ses immeubles.

La femme a-t-elle une dette antérieure sans titre authentique ou date certaine ? Ce n’est pas sur les biens de la communauté que cette dette est payée, mais sur l’immeuble propre à la femme ; si cette dette provient d’une succession immobilière, l’on n’en poursuit le recouvrement que sur les immeubles de la succession ; si la dette est celle du mari, l’on peut s’adresser aux biens de la communauté.

Les amendes encourues par le mari peuvent se poursuivre contre les biens de la communauté ; celles de la femme ne le sont que sur la nue propriété de ses biens personnels.

Tous les actes faits par l’homme engagent la communauté, mais ceux de la femme, même autorisée par justice, n’engagent pas les biens communs, si ce n’est pour le commerce qu’elle exerce avec l’autorisation du mari.

Enfin, en l’absence du mari, c’est à dire quand on ne sait s’il est vivant ou mort, la femme ne peut ni s’obliger, ni engager les biens communs.

Voilà, Madame le droit commun de la France, le régime sous lequel on est réputé marié quand on n’a pas fait de contrat.

La jeune femme. Je vois que sous votre droit commun de la France, la femme est une nullité, une exploitée, une paria ;

Que son mari peut faire don du mobilier commun à sa maîtresse et mettre l’épouse sur la paille ;

Que le mari peut lui ôter ses vêtements de rechange, ses bijoux, pour en parer sa maîtresse ;

Et comme on lui ordonne l’obéissance, et qu’on la met sous le pouvoir de l’homme qui peut être brutal, il est clair qu’elle ne s’avisera pas de refuser l’engagement, l’aliénation, la vente de ses biens personnels, et exposera de la sorte elle et ses enfants à manquer de tout.

Et comme la femme n’est pas la nullité que suppose la loi ; qu'au contraire, elle travaille et augmente l’avoir commun ; que c’est souvent à elle qu’il est dû, le mari peut disposer du fruit de ce travail pour payer ses dettes, ses amendes, entretenir des femmes et se livrer à tous les désordres.

Parmi le peuple, on ne fait guère de contrat : donc un mari brutal et mauvais sujet peut vendre le petit ménage et les modestes ornements de la femme, autant de fois que celle-ci aura pu s’en procurer de nouveaux par son labeur personnel.

L’auteur. Je ne le nie pas ; mais ne pourrait-on dire que le législateur n’a pu supposer un mari capable d’abuser de son pouvoir légal ?

La jeune femme. Nous ne pouvons admettre une aussi pitoyable raison.

Les lois sont faites pour prévenir le mal : elles supposent donc la possibilité de le commettre : on n’en ferait pas pour des saints.

Quand une loi autorise la tyrannie et l’exploitation du faible, c’est une loi détestable ; car elle démoralise le fort, en l’exposant à devenir despote et cruel ; elle démoralise le faible, en le forçant à l’hypocrisie, en lui ôtant le sentiment de sa valeur et en brisant en lui tout ressort.

Elle éteint chez tous les deux la notion du droit et de la corrélation du droit et du devoir dans les rapports entre semblables.

L’auteur. Vous avez parfaitement raison.

Pour finir ce que nous avons à dire du régime de la communauté, ajoutons qu’il est permis à la femme de stipuler dans son contrat qu’en cas de dissolution de la communauté, elle pourra reprendre non seulement ses biens réservés propres, mais encore tout ou partie de ceux qu’elle à mis en commun, déduction faite de ses dettes personnelles.

Lorsque cette stipulation n’existe pas au contrat, la femme, lors de la dissolution de la communauté, a le droit d’y renoncer, et, si elle l’a imprudemment acceptée, elle n’est tenue de payer les dettes que jusqu’à concurrence de la portion du bien qu’elle en retirerait.


La jeune femme. Cette lueur de justice n’est qu’une illusion puisque, en cas de dettes faites par le mari, la femme peut perdre tout ou partie de ce qui lui reviendrait ; puisque, d’autre part, elle peut perdre son avoir personnel en signant l’aliénation de ses biens pour aider son mari.

Renonçons à ce régime, Madame ; dans la communauté entre époux, telle que l’entend la loi, la femme est livrée pieds et poings liés à l’homme quel qu’il soit. Marions-nous sans communauté.

L’auteur. Entendons-nous : si le contrat porte que les époux se marient sans communauté, voici ce qui a lieu.

Le mari administre seul les biens meubles et immeubles de sa femme, absolument comme sous le régime de la communauté ;

Les revenus de ces biens sont affectés aux dépenses du ménage ;

Les immeubles de la femme peuvent être aliénés avec l’autorisation du mari ou de la justice, comme sous le régime de la communauté.

La seule compensation est que la femme peut statuer qu’elle pourra, sur ses seules quittances, recevoir annuellement une certaine portion de ses revenus pour ses besoins personnels.

Si elle ne participe point aux dettes, elle ne participe point aux gains que ses revenus ont pu mettre son mari en état de réaliser. Avec ces revenus, il peut s’enrichir et se faire une fortune à part, à laquelle sa femme n’aura jamais aucun droit. Convenez que c’est payer un peu cher l’avantage d’avoir quelque somme en propre, et de ne pas s’humilier à tendre la main au détenteur de votre fortune, comme on est obligée de le faire sous le régime de la communauté où la femme peut manquer de tout au milieu d’une fortune qui est la sienne propre.

La jeune femme. Ce régime ne vaut rien. Passons à celui de la séparation de biens. N’est-il pas meilleur ?

L’auteur. En effet ; car, sous ce régime, la femme administre seule ses biens meubles et immeubles, dispose de ses revenus, à moins de stipulations contraires, et en donne un tiers pour soutenir les frais du ménage.

Mais elle ne peut ni aliéner, ni hypothéquer ses immeubles sans l’autorisation de son mari ou de la justice.

Si, d’autre part, c’est le mari qui administre ses biens, ce qu’il serait fort difficile d’empêcher, lorsqu’il le voudrait, il n’est comptable envers elle que des fruits présents.

La jeune femme. Est-ce que le régime dotal vaut mieux pour nous que celui de la séparation de biens ?

L’auteur. Vous allez en juger vous-même.

Quand on déclare, et il faut le déclarer, qu’on se marie sous le régime dotal, il n’y a de dotal que le bien déclaré tel ; les autres sont dits paraphernaux ou extra-dotaux.

En principe, et à moins qu’il ne soit autrement convenu, les biens dotaux sont inaliénables ; le mari seul les administre, et, comme dans le contrat sans communauté, la femme peut toucher certaines sommes sur ses seules quittances.

Les biens paraphernaux sont, comme dans le contrat sous le régime de la séparation de biens, administrés par la femme, qui en touche seule les revenus, et ils peuvent être aliénés avec l’autorisation du mari ou de la justice.

Si le mari administre ces biens sur une procuration de sa femme, il est tenu envers elle comme tout autre mandataire ;

S’il administre sans mandat et sans opposition, il n’est tenu de représenter, quand il en est requis, que les fruits existants ;

S’il administre, malgré l’opposition de la femme, il doit compte de tous les fruits depuis l’époque de sa gestion usurpée.

Les époux peuvent stipuler une société d’acquêts, c’est à dire une association pour choses acquises pendant la durée du mariage. Je n’ai pas besoin de vous dire que cette communauté est administrée par le mari seul.

La jeune femme. Mais pour se marier sous le régime de la séparation de biens ou sous le régime dotal, ne faut-il pas des immeubles ?

L’auteur. Non ; le bien dotal et le bien séparé peuvent être de l’argent.

La jeune femme. Les femmes, traitées en serves sous le régime de la communauté, le sont en mineures sous le régime dotal avec paraphernaux et sous celui de la séparation de biens.

Si un mari était assez raisonnable pour rougir à la pensée de flétrir sa compagne du stigmate de la servitude, n’y aurait-il pas moyen de faire d’autres stipulations ?

L’auteur. L’homme ne peut réhabiliter sa compagne ; la loi le lui interdit par l’article 1388, qui déclare que les époux ne peuvent déroger aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, on qui appartiennent au mari comme chef.

Aussi un notaire qui rédigerait le contrat suivant :

Art. ler. Les époux se reconnaissent une dignité égale, parce qu’ils sont au même titre des créatures humaines.

Art. 2. Ils se reconnaissent mutuellement les mêmes droits sur les enfants qui naîtront d’eux et, dans leurs différends, prendront des arbitres.

Art. 3. Chacun des époux se réserve une partie de ses biens dont il disposera sans l’autorisation de l’autre ;

Art. 4. Les époux mettent en commun telle part déterminée de leur apport pour soutenir les frais du ménage, pourvoir à l’éducation des enfants et aux nécessités du travail commun ;

Art. 5. Ce bien commun ne peut être engagé sans le consentement des époux ;

Art. 6. Convaincus en leur âme et conscience qu’on ne peut aliéner sa personne, sa dignité, son libre arbitre, les époux ne se reconnaissent aucune puissance l’un sur l’autre ; ils confient la durée et le respect du lien qui les unit à l’affection qui peut seule le légitimer.

Un notaire, dis-je, qui aurait rédigé ce contrat, serait dépouillé de sa charge, puis confié aux aliénistes, et le contrat serait nul comme contraire à la loi, aux bonnes mœurs et à l’ordre public.

Comprenez-vous, Madame, pourquoi les femmes, beaucoup plus intelligentes et indépendantes qu’autrefois, se marient beaucoup moins ?

Comprenez-vous pourquoi les filles du peuple, qui ont vu si souvent leurs mères malheureuses et dépouillées de leur pauvre avoir, se soucient beaucoup moins de se marier ?

On blâme les femmes !… C’est la loi qu’il faut blâmer et réformer.

Car les mauvaises lois produisent les mauvaises mœurs.

La jeune femme. Ce que vous dites là est bien vrai : sur vingt ménages, il n’y en a quelquefois pas un où l’on n’entende dire à la femme : Ah ! si j’avais su !

Si l’on nous mariait moins jeunes et que nous connussions la loi, assurément les mariages deviendraient de moins en moins nombreux.

Pour en finir avec cet examen de la loi, encore une question, Madame. Est-ce que l’apport de la femme n’a pas hypothèque sur les biens du mari ?

L’auteur. Sur quels biens la femme ouvrière reprendra-t-elle son ménage vendu ?

Sur quels biens les femmes de négociants dont la dot a servi à payer le fonds du mari, reprendront-elles cette dot en cas de mauvaises affaires ?

Demandez aux femmes légalement séparées la valeur de cette hypothèque, ou plutôt de cette disposition de la loi : elles vous en diront de belles !

La jeune femme. J’ai connu des femmes de commerçants en faillite : elles se plaignent que la loi les traite plus rigoureusement que les autres.

L’auteur. Le Mariage étant donné ce qu’il est, le législateur a parfaitement fait d’empêcher qu’il ne se transformât en une ligue contre l’intérêt de tous.

La jeune femme. Jusqu’à ce que la loi qui régit le contrat de mariage soit réformée, sous lequel de ces deux régimes : le dotal ou celui de la séparation de biens, conseillez-vous aux femmes de se marier ?

L’auteur. Si les conjoints ne sont pas dans les affaires et que la femme apporte des biens-fonds considérables, le mieux peut-être serait qu’elle se mariât sous le régime dotal avec autorisation de recevoir une forte somme annuelle ; si les parents lui connaissaient de la fermeté, ils pourraient lui constituer en outre des paraphernaux, et stipuler toujours une société d’acquêts.

Dans tout autre situation, je conseille aux femmes de se marier sous le régime de la séparation de biens. La femme, maîtresse de ses fonds, peut les confier à son mari et s’associer avec lui comme avec tout autre. J’ai connu une jeune femme commerçante qui s’y est prise ainsi : elle s’est constitué son apport en argent comme bien propre, puis, quand elle a été mariée, elle a prêté cette somme à son mari qui s’est engagé à payer tant d’intérêts. Comme elle avait en outre un emploi dans la maison, elle reçut des émoluments proportionnes.

La jeune femme. Mais si la femme est ouvrière ?

L’auteur. Il n’y a pas de différence. C’est presque toujours la femme qui apporte le petit ménage, et elle y tient d’autant. plus qu’il lui a coûté bien des jours et des nuits de labeur ; il est donc très important que le mari ne puisse ni le vendre, ni le donner ; comme il est important qu’il ne puisse la contraindre à lui donner l’argent qu’elle a confié franc à franc à la caisse d’épargne. Il faut donc qu’elle ne se marie pas, comme elle le fait, sans contrat ; car elle serait à la merci de son conjoint, étant réputée mariée sous le régime de la communauté.

Des notaires se permettent de résister ; quand on déclare vouloir se marier sous tout autre régime que celui de la communauté : ils n’en ont pas le droit ; vous pouvez les forcer ; officiers de la loi, ils ne sont pas là pour la critiquer.

Mesdames, riches et pauvres, il est de votre intérêt et de celui de vos enfants de connaître les affaires ; de rester maîtresses de votre avoir ; votre dignité l’exige. Votre devoir est d’instruire vos filles de la situation que leur fait la loi dans le mariage, afin qu’elles évitent leur ruine, et qu’elles travaillent à la réforme qui doit mettre la femme à la place qu’elle a le droit d’occuper.

VIII
la femme mère et tutrice.


L’auteur. Examinons maintenant comment la loi comprend les droits de la mère et de la tutrice.

L’article 372 met l’enfant sous l’autorité des parents jusqu’à sa majorité ou à son émancipation ; mais comme la femme est absorbée dans le mari, l’article 373 réduit le mot parents à signifier le père, qui seul exerce l’autorité paternelle pendant le mariage. La mère tutrice n’exerce pas, remarquez-le, l’autorité maternelle, la loi n’en reconnaît pas.

Ainsi la femme qui, seule dans la reproduction, peut dire : je sais est effacée devant l’homme qui ne peut dire que : je crois.

Pourquoi cela ? Parce que c’est un moyen d’assouplir la femme, d’assurer l’autorité du mari sur elle. Une femme, trop malheureuse, peut encourir le scandale d’une séparation publique pour échapper à son bourreau ; mais on sait qu’elle se résout rarement à quitter ses enfants : elle restera donc, épuisera le calice amer jusqu’à la lie pour demeurer auprès d’eux. Elle ira même jusqu’à subir l’outrage de les voir élever dans sa propre maison par l’indigne favorite de son mari. Souffrez, cédez, humiliez-vous, signez ce contrat d’aliénation de vos biens, ou je vous enlève vos enfants : voilà ce que le mari a le droit de dire à sa femme.

La femme exaspérée se résout-elle à demander la séparation ? Pendant le procès, c’est le mari qui garde l’administration des enfants, à moins que, sur la demande de la famille, le juge ne trouve des motifs sérieux pour les adjuger à la mère.

Ce n’est pas tout : l’enfant peut donner de graves sujets de plainte à ses parents. S’il n’a pas seize ans, le père peut le faire détenir, sans que le président ait le droit de refuser : il n’a ce droit, que lorsque l’enfant a des biens personnels ou a plus de seize années.

Remarquez que, dans ce cas si grave, la mère n’est pas même consultée.

La puissance paternelle de la mère sera-t-elle égale, sur ce point, à celle du père, si elle reste veuve et tutrice ? Non, la mère, pour faire enfermer l’enfant, est toujours tenue de présenter au président une requête appuyée par deux proches parents du défunt.

Le père remarié garde, de droit, la tutelle de ses enfants ; la la mère la perd si elle se remarie sans s’être préalablement fait continuer la tutelle par le conseil de famille.

La jeune femme. Ainsi donc, Madame, aux yeux du législateur, l’enfant appartient plus à son père qu’à sa mère ; il est moins cher à la famille maternelle qu’à la paternelle ; la mère est réputée moins tendre, moins sage que le père ; l’homme est présumé si bon, si juste, si raisonnable, qu’une marâtre même ne saurait l’influencer… En vérité, tout cela est odieux et absurde.

L’auteur. Je ne dis pas non.

Vous savez que le consentement des parents est nécessaire pour le mariage de leurs enfants mineurs ; vous savez encore qu’en cas de dissidence entre le père et la mère ou l’aïeul et l’aïeule, si les premiers sont morts, les articles 148 et 150 déclarent que le consentement du père ou de l’aïeul suffit.

La jeune femme. Je connais cette leçon légale d’ingratitude donnée aux enfants. Mais revenons sur la tutelle, Madame.

L’auteur. Volontiers. La loi dit bien que la tutelle des enfants appartient de droit à l’époux qui survit ; que le père ou la mère exerce l’autorité paternelle ; que l’un comme l’autre a le droit d’administrer les biens du pupille et de s’en attribuer les revenus jusqu’à ce qu’il ait dix-huit ans : mais voyez la différence. Vous savez déjà que les formalités pour faire enfermer l’enfant ne sont pas les mêmes pour la mère tutrice que pour le père tuteur ; vous savez que le père qui se remarie n’a pas besoin de se faire continuer la tutelle par le conseil de famille, tandis que la mère la perd par l’omission de cette formalité.

De plus, le père a le droit de nommer à sa femme survivante un conseil de tutelle pour ses enfants mineurs ; la femme n’a pas ce droit.

L’époux survivant peut nommer un tuteur dans la prévision de son décès avant la majorité des pupilles : la nomination faite par le père est valable ; celle qui est faite par la mère ne l’est que lorsqu’elle est confirmée par le conseil de famille.

La famille maternelle participe du dédain de la loi pour la femme : ainsi l’enfant doublement orphelin tombe de droit sous la tutelle de son aïeul paternel et, à son défaut, sous celle du maternel et ainsi en remontant, dit l’article 402, de manière que l’ascendant paternel soit toujours préféré à l’ascendant maternel du même degré.

Pendant que nous parlons de tutelle, ajoutons que le mari est tuteur de droit de sa femme interdite, mais que la femme d’un interdit n’a que la faculté d’être tutrice et, si elle est nommée, le conseil de famille règle la forme et les conditions de son administration.

La jeune femme. Enfin, Madame, je vois que la loi nous considère et nous traite comme des êtres inférieurs ; qu’elle sacrifie à l’homme non seulement notre dignité de créatures humaines, nos intérêts de travailleuses et de propriétaires, mais encore notre dignité maternelle.

Un fils, suffisamment imbu de la religion du Code civil, doit nécessairement considérer son père comme plus raisonnable, plus sage, plus capable que sa mère. Je ne vois pas trop ce que celle-ci aurait à lui répondre, s’il lui disait : il est vrai que vous avez risqué votre vie pour me mettre au jour, que vous avez passé bien des nuits près de mon berceau, que vous m’avez enveloppé de votre tendresse, appris ce qui est bien et aidé à le pratiquer ; il est vrai que je suis votre bonheur et votre joie ; mais mon père est vivant ; il a seul autorité sur moi ; je n’ai donc pas à vous consulter ; d’ailleurs à quoi bon ? Des hommes sages, des législateurs qui ont bien étudié votre imparfaite, votre débile nature, ont porté des lois qui me prouvent que vous n’êtes propre qu’à mettre au monde des enfants, et à vous occuper des soins du pot au feu.

On vous a toutes jugées si peu sages, si peu prudentes, si peu capables, qu’on vous refuse le droit de rien régir ; qu’on vous soumet eu tout à la volonté de l’homme et que, quand le mari n’est pas là, le juge et la famille interviennent.

Un tel discours, quelque révoltant qu’il paraisse, ne serait-il pas conforme aux sentiments que doit inspirer l’étude du Code civil ?

L’auteur. Parfaitement, Madame : et si, en général, le cœur humain ne valait pas mieux que ce code, les femmes, pour être respectées de leurs enfants, n’auraient qu’un parti à prendre : celui de ne mettre au monde que des bâtards. N’est-il pas surprenant, dites-moi, que des lois faites pour moraliser et contenir, tendent à produire tout le contraire ?

La jeune femme. Et l’on fait si grand bruit de notre Code Civil ! Que sont donc ceux des autres nations ?


IX
RUPTURE DE l’ASSOCIATION CONJUGALE.


L’auteur. On a reconnu de tout temps qu’il y a des cas où les époux doivent être séparés. La révolution établit le divorce ; le premier empire le maintint en le restreignant ; la Restauration, déterminée par l’Église que cela ne regarde pas, l’abolit le 8 mai 1816.

L’expérience prouve surabondamment que l’indissolubilité du mariage est la source permanente de désordres sans nombre ; le plus actif dissolvant de la famille ; et que la séparation du corps, loin de remédier à quelque chose, contribue à la destruction des mœurs. Toutes les phrases creuses, tous les raisonnements sonores, ne peuvent détruire la signification des faits.

Nous ne répéterons pas ce qu’ont dit les nombreux écrivains qui ont demandé le rétablissement du divorce ; nous nous contentons de nous joindre à eux ici, nous réservant de revenir plus loin sur ce grave sujet.

Il s’agit pour nous, en ce moment, de constater la différence mise par la loi entre le mari et la femme qui plaident en séparation.

Les époux peuvent demander la séparation si l’un d’eux est condamné à une peine infamante, pour cause d’injures graves, de sévices et d’adultère de la femme. Arrêtons-nous sur ce dernier délit.

Vous croyez sans doute que l’adultère est le manque de fidélité d’un époux envers l’autre, et que la punition est semblable pour un délit semblable, chez l’homme et chez la femme ? Vous vous trompez.

La femme commet le délit d’adultère partout ; on peut en fournir la preuve par lettres et témoins, et ce délit est puni de trois mois à deux ans de réclusion, que le mari peut faire cesser en reprenant sa femme.

Dans le flagrant délit, le mari est excusable de tuer l’adultère et son complice.

L’homme n’est adultère nulle part. Qu’il loue dans sa maison un appartement à sa maîtresse ; qu’il passe ses journées chez elle ; que de nombreuses lettres prouvent son infidélité ; que mille témoins attestent ces choses, cet honnête mari n’est point adultère.

S’il poussait l’impudence jusqu’à entretenir sa maîtresse dans le domicile commun, serait-il adultère ? Non : il y aurait injure grave envers sa femme qui pourrait l’attaquer en justice, et il serait prié de payer une amende de quelques centaines de francs.

En réalité l’homme n’est puni de l’adultère que comme complice d’une femme mariée.

Pour justifier la différence qu’on établit entre l’infidélité du mari et celle de la femme, on attribue plus de gravité à la faute de cette dernière…

La jeune femme. Permettez-moi de vous arrêter ici. Il est facile de démontrer que l’infidélité du mari est plus grave que celle de la femme.

La femme, ne pouvant disposer de son avoir sans l’autorisation du mari, ne peut guère compromettre sa fortune pour un amant.

Au contraire, le mari peut vendre et dissiper tout ce qu’il possède ; employer même l’avoir de la communauté, le fruit du travail et de la bonne administration de sa femme, à entretenir sa maîtresse : je connais plusieurs cas de cette espèce. Donc l’adultère du mari est plus nuisible aux intérêts de la famille que celui de la femme.

La femme adultère peut introduire de faux héritiers dans la famille du mari : c’est mal, j’en conviens ; ce n’est pas moi qui la justifierai ; mais en définitive, ces enfants adultérins ont une famille, de la tendresse, des soins.

Si le mari a des enfants hors du mariage, ils sont ou d’une femme mariée ou d’une femme libre. Dans le premier cas, en introduisant de faux héritiers chez son voisin, il agit comme réponse adultère. Dans le second, il soigne ses enfants ou les abandonne. S’il les soigne, il nuit aux intérêts de l’épouse et des enfants légitimes ; s’il les laisse à la charge de la mère, il met une femme dans l’embarras, brise souvent sa vie ; l’enfant placé à l’hospice, est sans famille, sans tendresse et va grossir la population des prisons, des bagnes et des lupanars.

Dans tout cela, d’ailleurs, n’y a-t-il qu’une question de filiation et d’héritage ? Et le cœur d’une femme, et sa dignité, et son bonheur, qu’en fait-on ? Songe-t-on à ce que nous devons souffrir de l’infidélité, du dédain, de l’abandon de notre mari ?

Songe-t-on que cet abandon, joint au besoin d’aimer et au fatal exemple qui nous est donné, nous pousse à payer de retour l’amour qu’on nous témoigne ; et qu’ainsi l’adultère toléré dans le mari produit l’adultère de la femme ?

L’adultère des deux sexes est un grand mal. Au point de vue moral, la faute est la même ; mais au point de vue social et familial, mais au point de vue de la position des enfants, elle est évidemment beaucoup plus grave commise par l’homme que par la femme, parce que le premier a tout pouvoir pour ruiner la famille, mettre avec impunité le trouble et la douleur dans sa maison et créer une population malheureuse, vouée à l’abandon, le plus souvent au vice.

Voilà ce que nous pensons aujourd’hui, nous, jeunes femmes, qui réfléchissons ; et tous les dithyrambes intéressés des hommes ne peuvent plus nous faire prendre le change.

Ils disent : mais souvent ce n’est-pas le mari de la femme adultère qui est adultère. Nous répondons : la société ne se soucie pas des individualités ; il suffit que l’adultère de l’homme ait des fruits plus amers que celui de la femme, pour qu’il soit sévèrement et non moins sévèrement puni que celui de cette dernière.

Ils disent : c’est une chose indigne et cruelle que de mettre la douleur dans le cœur d’un honnête homme. Nous répondons : c’est une chose tout aussi indigne que de mettre la douleur dans le cœur d’une honnête femme.

Ils disent : c’est un vol que de forcer un homme à travailler pour des enfants qui ne sont pas siens. Nous répondons : C’est on vol d’employer les revenus ou le fruit du travail de sa femme à nourrir des enfants qui lui sont étrangers, et à soutenir la femme qui la désole ; c’est un vol que de détourner sa propre fortune ou le fruit de son propre travail de la maison qu’ils doivent soutenir, pour les porter à une femme étrangère.

Et vous êtes non seulement plus coupables que nous, Messieurs, parce que le résultat de votre adultère est pire que le résultat du nôtre ; mais parce que, vous posant en chefs et en modèles, vous nous devez l’exemple.

Et vous êtes à la fois iniques et stupides d’exiger, de celles que vous nommez vos inférieures en raison, en sagesse, en prudence, en justice, qu’elles soient plus raisonnables, plus sages, plus prudentes et plus justes que vous.

Voilà, Madame, ce que nous pensons et disons.

L’auteur. Vous parlez d’or ; ce n’est pas moi qui vous contredirai ; j’aime à voir la jeunesse se dresser résolument contre les préjugés, et protester contre eux au nom de l’unité de la morale.

Mais nous voilà, je crois, bien loin de notre sujet, le procès en séparation de corps. Revenons-y donc, s’il vous plaît.

La demande en séparation étant admise, le juge autorise la femme à quitter le domicile conjugal ; et elle va résider dans la maison désignée par ce magistrat qui fixe la provision alimentaire que devra fournir le mari. Presque prisonnière sur parole, elle est tenue de justifier de sa résidence dans la maison choisie, sous peine d’être privée de sa pension, et d’être déclarée, même demanderesse, non recevable à continuer ses poursuites.

La jeune femme. Mais pourquoi cet esclavage et cette menace d’un refus de justice ?

L’auteur. Parce que le mari, réputé père de l’enfant qu’elle peut concevoir pendant le procès, doit avoir la possibilité de la surveiller. Comme l’a si bien dit M. de Girardin, la paternité légale est la source principale du servage de la femme mariée.

Pendant le procès, le mari reste détenteur des biens de la femme, qu’il soit demandeur ou défendeur ; il a l’administration des enfants, sauf décision contraire du juge. Si, dans le cas de communauté, la femme a fait faire inventaire du mobilier, c’est le mari qui en est gardien.

Enfin la séparation est prononcée ; la femme rentre comme elle peut, à force de papier timbré, dans ce qui lui reste. Croyez-vous qu’elle soit libre pour cela ? Point du tout : le mari a toujours droit de surveillance sur elle à cause des enfants qui peuvent survenir, et elle ne peut se passer de l’autorisation du mari ou de la justice pour disposer de ses biens, les hypothéquer, etc. Il n’y a de rompu que l’obligation de vivre ensemble et la communauté d’intérêts.

La jeune femme. Je comprends aujourd’hui comment l’indissolubilité du mariage, n’ayant pour palliatif que le triste remède de la séparation, met le concubinage en honneur et produit des crimes odieux. Certaines consciences faibles ne peuvent-elles en effet faire naufrage à la vue d’une chaîne qui doit durer autant que leur vie, et ne pas être tentées de la rompre par le fer et par le poison ? Il est probable que, si les maris ne laissaient pas la liberté à leurs épouses séparées, les crimes contre les personnes se multiplieraient.

Et si l’on se sépare jeune, est-il de la nature humaine de rester dans l’isolement ? Faut-il être puni toute sa vie de ce qu’on s’est trompé ?

Dans de tels cas, quelle autre ressource que le concubinage, et qui oserait le blâmer ?

Et l’on appelle la séparation un remède !

Tout à l’heure vous m’avez laissé entrevoir que le mari peut, en certains cas, désavouer l’enfant de sa femme. Je croyais qu’il n’y a pas de bâtards dans le mariage.

L’auteur. Vous êtes dans l’erreur. Si le mari ou ses héritiers prouvent que depuis le trois centième au cent quatre-vingtième jour, c’est à dire depuis le dixième ou sixième mois avant la naissance de l’enfant, le mari était absent ou empêché par quelqu’accident physique d’en être le père ; ou bien si la naissance a été cachée, la paternité peut être désavouée. Elle peut encore l’être pour l’enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage, à moins que le mari n’ait eu connaissance de la grossesse, n’ait assisté à l’acte de naissance, ne l’ait signé ou si l’enfant est déclaré non viable.

La jeune femme. Comment se fait ce désaveu ?

L’auteur. Le mari ou ses héritiers attaquent la légitimité de l’enfant dans un délai déterminé ; et le tribunal statue d’après les preuves administrées.

La jeune femme. Ainsi l’honneur de la femme et l’avenir de l’enfant sont offerts en holocauste à une question d’héritage ?

L’auteur. Parfaitement. Quant à ce que vous nommez l’honneur de la femme, la loi ne s’en soucie guère, elle qui interdit la recherche de la paternité, excepté dans le cas d’enlèvement de la mère mineure ; elle qui permet la recherche de la maternité, pourvu que l’enfant prouve qu’il est le même que celui dont la femme est accouchée, et qu’il apporte un commencement de preuves par écrit.

La jeune femme. Il me paraît peu probable qu’on puisse constater la maternité au bout de quinze ou vingt ans. D’autre part, si les preuves par écrit suffisent pour la recherche de la maternité, pourquoi ne suffiraient-elles pas à celle de la paternité ?

Dites-moi, est-il permis à l’enfant de rechercher sa mère si elle est mariée ?

L’auteur. Certainement : et cette recherche n’est interdite qu’aux enfants adultérins et incestueux.

La jeune femme. Ainsi donc on peut troubler à tout jamais l’avenir d’une femme par la recherche de la maternité ?

L’auteur. Oui : mais vous ne le déplorerez pas en songeant que l’honneur d’une femme n’est pas de ne pas faire d’enfant, mais bien de les élever et de les guider dans la vie. Les enfants nés hors mariage ont une situation légale très malheureuse ; le législateur, imbu de la croyance au péché originel, les rend responsables de la faute de leurs parents. Or, Madame, devant l’humanité et devant la conscience, il n’y a point de bâtards ; donc il ne doit pas y en avoir devant la société. Lorsque la femme y aura sa place, elle poursuivra la réforme des lois qui portent l’empreinte de dogmes surannés ; en attendant, combattons celles qui rappellent l’anathème lancé sur nous en conséquence du mythe d’Ève.

X
RÉSUMÉ ET CONSEILS.


La jeune femme. Avant d’aller plus loin, récapitulons ce que nous avons dit jusqu’ici.

Devant l’idéal du Droit, nous devons être libres, égales aux hommes ; donc nous avons droit comme eux à tous les moyens de développement, droit comme eux à faire de nos facultés l’emploi qui nous convient, droit comme eux à tout ce qui constitue la dignité du citoyen.

Or, dans l’état actuel, la femme est serve, sacrifiée à l’homme ;

Elle n’a pas de droits politiques ;

Elle est infériorisée dans la cité, bannie de l’exercice des fonctions publiques ;

Elle est moins rétribuée que l’homme à égalité de travail ;

Dans le mariage, elle est absorbée, humiliée, mise à la merci de son conjoint, dépouillée de ses droits maternels ; Dans la famille, elle est mineure ; ses droits de tutelle sont inférieurs à ceux de l’homme ;

Au point de vue des mœurs elle est presque abandonnée aux passions de l’autre sexe : elle en porte seule les conséquences.

Jugée faible, inintelligente, incapable, quand il s’agit de droits et de fonctions, elle est, par une contradiction flagrante, réputée forte, intelligente, capable, lorsqu’il s’agit de morale, lorsqu’il s’agit d’être punie quand, fille majeure ou veuve, il est question de se gouverner et de régir sa fortune. Et des gens, dont le cerveau s’est crétinisé dans la vase du moyen âge, en présence de notre situation, osent s’écrier : Les femmes ! Mais elles sont libres ! Elles sont heureuses !

Que signifient donc les réclamations des plus braves d’entre elles ?

Ces Messieurs sont maîtres de notre fortune, de notre dignité, de nos enfants ; ils peuvent nous ôter notre nationalité, dissiper notre bien, le produit de notre travail et de notre bonne administration avec des maîtresses ; nous torturer sans témoins, nous faire mourir de douleur et de honte ; nous conduire sous le canon ou sur le bord d’un marais dont l’air nous tuera ; nous contraindre à subir mille affronts, à leur livrer les biens que notre contrat nous avait réservés, soit en nous intimidant, soit en nous menaçant d’éloigner nos enfants ; ils ne nous laissent d’emplois que ceux qui les ennuient ou ne leur semblent pas assez lucratifs, et puis, après cela, ils sont étonnés de nos plaintes, de nos protestations, de notre révolte !

L’auteur. Ne vous passionnez pas contre eux : riez-en, Madame ; ce sont les mêmes hommes qui veulent être libres ce sont les mêmes hommes qui blâment les planteurs et trouvent légitimes les réclamations des esclaves ; ce sont les mêmes hommes qui ont trouvé fort juste que leurs pères serfs et bourgeois prissent les droits que leur refusaient la noblesse et le clergé. Plaignez leur inintelligence, leur manque de cœur, leur défaut de justice : ils ne comprennent pas qu’ils jouent à l’égard de la femme le rôle des planteurs, des seigneurs et des prêtres.

Quand les femmes le voudront fortement, la loi sera transformée. Toute mère doit d’abord instruire sa fille de la position qui lui est faite dans le mariage ; des risques terribles et nombreux qu’elle court dans l’amour.

La jeune femme. Un certain nombre d’entre nous, effrayées du servage que subit la femme mariée, ne voulant point passer sous les fourches caudines du mariage, introduisent de plus en plus dans nos mœurs une forme d’union durable et honnête qu’on peut nommer mariage libre ; Maison qu’il n’est pas permis de confondre avec ces rapprochements passagers si déshonorants pour les deux sexes.

L’auteur. Beaucoup d’inconvénients sont attachés au mariage libre. D’abord les mœurs ne blâmeront pas l’homme qui abandonnera sa compagne, même après vingt ans d’union, même avec des enfants. Il y a mieux : cette action indigne ne l’empêchera pas de trouver des mères qui n’hésiteront pas à l’accepter pour gendre. D’autre part, la femme, quelle que soit la chasteté de sa conduite, rencontrera constamment sur sa route des collets montés ou d’hypocrites adultères qui lui témoigneront du dédain, qui lui fermeront leur porte, quoiqu’elles l’ouvrent à son conjoint. Souvent elle verra l’homme auquel elle fait le sacrifice de sa réputation oublier de la faire respecter, consentir à fréquenter les personnes chez lesquelles elle n’est pas admise.

Cependant la répugnance pour le mariage légal est si grande chez certaines femmes dignes et réfléchies, qu’elles préfèrent encourir toutes les mauvaises chances que de s’enchaîner. Qu’elles rendent alors leur situation le moins périlleuse possible : elles peuvent y réussir par un contrat d’association qui assure leurs droits dans le travail commun, et garantisse l’avenir des enfants. L’homme les respectera davantage, quand il aura des obligations à remplir envers elles comme associées : S’il refusait de signer un tel contrat, la femme serait une insensée d’accepter sa compagnie, car il serait certain qu’il n’est qu’un égoïste et conserve une arrière-pensée d’exploitation et d’abandon.

La jeune femme. Une autre classe de femmes, n’ayant pas moins de répugnance pour la cérémonie légale que les précédentes, mais qui la subissent parce qu’elles craignent l’opinion, n’osent déplaire à leur famille et n’ont pas foi en la constance de l’homme, s’inquiètent comment elles pourraient concilier leur dignité avec la situation que leur fait la loi.

L’auteur. Deux faits identiques, qui se sont passés il y a quelques années aux États-Unis, diront à ces femmes-là ce qu’elles ont à faire.

Miss Lucy Stone et Miss Antoinette Brown, deux femmes du parti de l’émancipation qui parcourent l’Amérique du Nord en faisant des lectures, étaient recherchées par deux frères, les Messieurs Blackwell. En Amérique, comme partout, la loi subordonne la femme mariée. La position était difficile pour les émancipatrices : se marier sous la loi d’infériorité c’était violer leurs principes ; s’unir librement, c’était nuire à leur considération et s’ôter le pouvoir d’agir. Elle s’en tirèrent fort habilement. Chacune d’elles, de concert avec son fiancé, rédigea une protestation contre la loi qui régit le mariage ; protestation suivie de conventions par lesquelles les futurs conjoints se reconnaissaient mutuellement égaux et libres, déclarant ne se marier devant le magistrat que par respect pour l’opinion. Puis, après la cérémonie légale, les époux publièrent dans les journaux cet engageraient réciproque.

Que les femmes qui ont le sentiment de leur dignité fassent signer et signent un tel acte. Devant la loi, il est nul ; mais il ne le sera pas devant la conscience des témoins qui y auront assisté. Si la femme est ce qu’elle doit être, honnête et sérieuse, et que le mari viole ses promesses, il sera réputé un malhonnête homme. Du reste, le respect de sa signature lui sera facilité, si la femme se marie, comme nous le conseillons, sous le régime dotal avec paraphernaux et société d’acquêts, ou sous celui de la séparation de biens.

La jeune femme. Ainsi dans le mariage libre, contrat d’association enregistré ; dans le mariage légal, protestation devant témoins contre la loi qui subalternise la femme, contrat sous le régime dotal avec paraphernaux ou sous celui de la séparation de biens, tels sont les moyens par lesquels vous jugez que la femme française peut protester contre la loi du mariage actuel, en attendant que le législateur la réforme.

L’auteur. Oui, Madame ; si cette forme de protestation est insuffisante, elle n’est pas immorale comme celle qui se produit aujourd’hui par l’adultère, la profanation du mariage devenu un ignoble marché où l’on se vend à une femme pour tant de dot. La mesure que nous proposons aux femmes fera réfléchir le législateur ; la forme de protestation qu’on se permet aujourd’hui détruit la famille, les mœurs et la santé publique.

En attendant que les réformes légales soient obtenues, nous ferions bien aussi de venir en aide aux femmes ouvrières, malheureuses en ménage, et qui ne peuvent plaider en séparation parce qu’elles n’ont pas d’argent.

Il est temps d’apprendre aux maris ouvriers qu’on n’est pas maître, comme ils le croient et le disent, de battre sa femme, de la mettre sur la paille avec ses enfants. N’oublions pas, Madame, que, dans tous les rangs, il y a de détestables maris, et que notre œuvre, à nous, est de défendre contre eux leurs femmes, surtout lorsqu’elles manquent des moyens nécessaires pour le faire elles-mêmes convenablement.