La Femme et la démocratie de nos temps/18

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CHAPITRE XVIII.


Avec la civilisation, la supériorité change de caractère, mais c’est plus en apparence qu’en réalité. L’homme qui triomphait par le glaive, qui entraînait les Germains ou les Francs à sa suite, avait l’habilité, la bravoure, l’observation, le goût des affaires : cet homme aujourd’hui n’a plus de glaive, mais les affaires sont encore à celui qui a les mêmes qualités. Des hommes, que leur santé et leur faiblesse physique eussent éloignés de l’action, prennent rang aujourd’hui par leurs écrits.

Qu’est-il arrivé dès l’origine du monde ? Les priviléges avec la science se sont rangés d’un côté ; au sein de la barbarie, quelques hommes, maîtres des richesses, ont marché plus vite que le reste des hommes qu’ils entraînaient à leur suite, fondant la science du gouvernement et de la philosophie. Maintenez l’égalité, tenez ces hommes tous rustres et pasteurs, et la civilisation n’est pas née. Les Anciens ravirent à une partie des hommes non pas seulement l’égalité, mais la liberté ; ils eurent des esclaves et ne connurent pour eux-mêmes que des occupations civiles. Le territoire des républiques était petit, le partage, fut des plus inégaux et le progrès, des plus rapides. Nous nous éloignons tous les jours davantage de ces moyens malheureux. Si l’on dit qu’il en pouvait, même dans les temps passés, exister de meilleurs, nous ne discuterons pas ici cette question. Dans l’univers, il arriva en général ce qui arrive aujourd’hui en Angleterre : la richesse compta par dessus tout, mais l’esprit la dirigea. Le principe était au rebours. Le talent doit dominer le monde matériel ; alors, le monde matériel domina le talent sans pouvoir s’en passer.