La Femme et la démocratie de nos temps/20

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CHAPITRE XX.


La supériorité forme une petite race à part, en présence d’une race nombreuse dont elle diffère entièrement : ce qui fait du bien à l’une fait mal à l’autre ; elles se plaisent aux choses opposées ; tranquilles, elles s’évitent ou se détestent ; animées, l’une triomphe, l’autre est entraînée ; l’une voit les choses de leur sommet et dans leur ensemble, l’autre n’en voit qu’une partie et d’en bas ; l’une crée les opinions, l’autre les adopte ; l’une est subjuguée par les petites choses, l’autre par les grandes ; l’une cherche le beau, l’autre s’en ennuie comme du vide ; l’une se compose des dominateurs, des maîtres, éprouve les impressions royales qui font la force, l’autre a les impressions vulgaires de la foule ; l’une est couronnée dans l’univers invisible et moral ou Dieu règne, l’autre se pare dans l’univers visible et frivole où l’homme s’égare. Pour savoir combien les périls et les difficultés enchantent la première, contemplons l’empereur Napoléon un jour de bataille : la victoire paraît certaine ; l’Empereur est brusque, commande impérieusement, et fait trembler autour de lui ses officiers, qui s’élancent au danger. Soudain le combat change ; l’ennemi désespéré a fait plier d’un côté l’armée française ; la victoire tout à coup semble vouloir échapper à nos mains : l’Empereur alors trouve un calme qu’il n’avait pas ; son humeur tombe, sa voix s’adoucit, un sourire aimable suit chaque ordre rapide qu’il donne autour de lui ; les officiers se tranquillisent ; tout est d’accord ; l’Empereur, qui va rétablir la victoire, est plus léger en portant de grandes affaires.

Il y a sans doute des différences de peuples qui font qu’une nation entière est grave, une autre, légère ; mais la gravité des gens bornés ne les mène pas plus loin que la légèreté des gens gais. Si nous prenons les hommes distingués des deux peuples, alors nous voyons chez chacun les études, la méditation, les qualités de la pensée, jointes aux traits différens qu’ils empruntent à leur pays.

Si les deux espèces d’hommes sont séparées par tant de traits, quelques autres traits aussi les lient : une élégance exquise ou une ardente ambition suivent souvent les facultés bornées. Cette femme, sans intelligence, a le langage, les manières d’une reine : elle en a les goûts et les instincts. Celui-ci souffrira des tourmens pour sa foi proscrite, aimera comme un héros, et ces hommes, inégaux par la pensée, forment enfin une seule famille sous les lois de la nature.

Nous dirons plus, et comme nous avons signalé le danger de la supériorité quand elle n’a pas d’éducation ou de vertu, ainsi nous dirons qu’une médiocrité disciplinée peut l’emporter sur le génie sans culture et sans discipline : cet homme médiocre, mais qui sent son honneur et sa fierté, refusera de baisser la tête devant ce jeune homme qui, s’annonçant pour la domination, n’a encore prouvé son énergie que par des folies. La médiocrité vertueuse est respectable ; les livres religieux ont souvent formé des hommes médiocres plus forts par leurs principes que les grands hommes. Jugeons donc ce que peuvent les grands hommes avec la discipline ! Si le génie dans la jeunesse s’égare plus que la médiocrité, c’est justement que la médiocrité tient ferme et résiste ; elle représente les idées de quelque autre chef antécédent et garde un dépôt qu’elle cède lentement. Ce fut très sagement que la nature mit cette lenteur dans les masses et préserva le monde des égaremens du génie, flamme qui doit éclairer le monde et non le consumer.