La Femme et la démocratie de nos temps/37

La bibliothèque libre.

CHAPITRE XXXVII.


La vie rurale a tant de charme et convient surtout si bien à l’enfance et à la jeunesse, que peu de talens sortent du village ; l’enfant, séduit même par l’étude, s’en distrait par les fleurs, les fruits, les travaux agricoles, le grand air, sans prévoir ce que lui vaudrait un triomphe sur ces séductions champêtres.

Les hommes, en foule, ne peuvent pas avancer ; on arrive un à un. Aujourd’hui il n’y a nul moyen au village de sortir de sa chaumière un enfant qui annoncerait du génie ; le curé seul peut le faire entrer au séminaire ; de sorte que l’enfant doit payer l’éducation au prix de sa liberté, de son bonheur, de sa vertu, dans une religion dégradée que personne ne respecte. Ne pourrait-on, rétablissant les bourses créées par l’Empereur, dont le nombre va toujours diminuant, en laisser quelques unes à la disposition du conseil de la commune pour les enfans pauvres et intelligens ? Et dès qu’un jeune homme s’est distingué au collége, dès qu’un talent a paru, n’y saurait-on attacher certains honneurs ? Ne pouvant élever tous les caractères, jadis on avait élevé les conditions ; l’ancienne société ayant dû autant aux maximes qu’au talent, ne pourrait-on former la jeunesse à des idées civiles ?

À Constantinople, il y a au sérail un collége de 600 garçons esclaves élevés pour le gouvernement, entre lesquels le sultan choisit les plus capables quand ils ont trente ans. Ils sont élevés par des eunuques et des muets, et frappés comme des esclaves ; mais dans un État libre on pourrait élever, aux frais de l’État et pour le gouvernement, tous les garçons qui se seraient distingués dans le pays. Les odalisques, filles esclaves enlevées, sont élevées de même au sérail au nombre de 600, entre lesquelles l’empereur choisit ses sultanes ; les autres se marient à la cour et aux garçons du sérail. Plus soignées que ceux-ci, elles étudient les arts, le grec, le persan, l’arabe, l’histoire, et elles ont plus d’une fois gouverné l’empire, malgré les nombreuses difficultés qu’elles trouvent en Turquie. Les filles, en France, qui se seraient distinguées dans les écoles pourraient de même être élevées pour un autre but aux frais de l’État.