La Femme et la démocratie de nos temps/5

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CHAPITRE V.


Si nous contemplons la vie des hommes, que de difficultés pour eux-mêmes ! Quel accord heureux il fallut du leur talent et de leur position ! Les temps favorables voient seuls naître les hommes. Pour les uns il eût fallu de plus prompts succès ; d’autres n’ont pas eu, comme Molière, pour les seconder, cour aimable, roi plein de goût, vices ridicules et hypocrites, position plébéienne, habitudes de la scène et des coulisses ; ou, comme Napoléon et Cromwel, un pays en révolution, la guerre, des institutions renversées, le besoin d’ordre et d’autorité. À voir le talent sans doute, son allure, son indépendance, on le croirait fils de Dieu seul ; mais l’histoire nous prouve qu’il dépend beaucoup des circonstances : un certain horizon a développé le talent d’un paysagiste, la foule des peintres et l’amitié de Raphaël fait Jules Romain ; Machiavel s’instruit dans les intérêts compliqués des républiques italiennes ; et les sciences, à Paris cultivées, produisent Cuvier. De ce concours de travaux, d’amitiés, de succès, s’aide l’homme ; mais quand la femme a tout contre elle, il faudrait qu’elle fût supérieure à l’homme même, pour aller aussi loin que lui. On peut rencontrer sur sa route quelque homme de génie qui a obtenu le respect et la foi de ses amis, mais qui restera obscur et mourra ignoré.