La Femme qui a raison

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Œuvres complètes de Voltaire, Texte établi par Condorcet, Garniertome 4 - Théâtre (3) (p. 574-614).
PERSONNAGES

M. Duru. Mad. Duru, Le Marquis d’Outremont. Damis, fils de M. Duru. Erise, fille de M. Duru. M. Gripon, correspondant de M. Duru. Marthe, suivante de Mad. Duru.

La scène est chez Madame Duru 9 dans la rué Thévenot à Paris.


ACTE I



Scène I

.
MADAME DURU, LE MARQUIS.
Mad. Duru.

ACTE PREMIERS



Scène I

MADAME DURU, LE MARQUIS


Mad. Duru.

Mais, mon très-cher Marquis, comment, en conscience.

Puis — je accorder ma fille à votre impatience, Sans l’aveu d’un époux ? Le cas est inouï.

Le Marquis.

Comment ? Avec trois mots ? un bon contrat, un oui ; Rien de plus agréable & rien de plus facile.

A vos commandemens votre fille est docile ; Vos bontés m’ont permis de lui faire ma cour ; Elle a quelque indulgence, & moi beaucoup d’amour : Pour votre intime ami dès longtems je m’affiche ; Je me crois honnête homme, & je fuis assez riche.

Nous vivons fort gaîment, nous vivrons encor mieux ; Et nos jours, croyez-moi, feront délicieux.

Mad. Duru.

D’accord, mais mon mari ?

Le Marquis.

Votre mari m’assomme.

Quel besoin avons — nous de conseils d’un tel homme ?
Mad. Duru.

Quoi ! pendant son absence ?.

Le Marquis.

Ah ! les absens ont tort.

Absent depuis douze ans, c’est comme à-peu-près mort.

Si dans le fond de l’Inde il prétend être en vie, C’est pour vous amasser, avec sa ladrerie, Un bien que vous savez dépenser noblement, Je consens qu’à ce prix il foit encor vivant ; Mais je le tiens pour mort aussi — tôt qu’il s’avise De vouloir disposer de la charmante
Erise

Celle qui la forma doit en prendre le foin ; Et l’on n’arrange pas les filles de si loin.

Pardonnez.

Mad. Duru.

Je fuis bonne, & vous devez connaître Que pour Monsieur Duru, mon Seigneur & mon maître Je n’ai pas un amour aveugle & violent.

Je l’aime comme il faut. pas trop fort. sensément ; Mais je lui dois respect & quelque obéïssance.

Le Marquis.

Eh ! mon Dieu, point du tout ; vous vous moquez, je pense.

Qui, vous ? Vous, du respect pour un Monsieur Duru ?

Fort bien. Nous vous verrions, si nous l’en avions cru, Dans un habit de serge, en un fecond étage, Tenir, sans domestique, un fort plaisant ménage.

Vous Vous êtes Demoiselle ; & quand l’adversité, Malgré votre mérite & votre qualité, Avec Monsieur Duru vous fit en biens commune, Alors qu’il commençait à bâtir sa fortune C’était à ce Monsieur faire beaucoup d’honneur ; Et vous aviez, je crois, un peu trop de douceur, De souffrir qu’il joignît avec rude manière A vos tendres appas sa personne grossière.

Voulez — vous pas encor aller sacrifier Votre charmante Erise au fils d’un usurier ?

De ce Monsieur Gripon, son très — digne compère ?

Monsieur Duru, je pense, a voulu cette affaire : Il l’avait fort à cœur, & par respect pour lui, Vous devriez, ma foi, la conclure aujourd’hui.

Mad. Duru.

Ne plaisantez pas tant, il m’en écrit encore, Et de son plein pouvoir dans sa lettre il m’honore.

Le Marquis.

Eh ! de ce plein pouvoir que ne vous servez — vous Pour faire un heureux choix d’un plus honnête époux ?

Mad. Duru.

Hélas ! à vos desirs je voudrais condescendre ; Ce ferait mon bonheur de vous avoir pour gendre : J’avais, dans cette idée, écrit plus d’une fois J’ai prié mon mari de laisser à mon choix Cet établissement de deux enfans que j’aime.

Monsieur Gripon me cause une frayeur extrême ; Mais, tout Gripon qu’il est, il le faut ménager, Ecrire encor dans l’Inde, examiner, son ger.

Le Marquis.

Oui, voilà des raisons, des mesures commodes, Envoyer publier des bans aux Antipodes, Pour avoir dans trois ans un refus clair & net.

De votre cher mari je ne fuis pas le fait.

Du seul nom de Marquis sa grosse ame étonnée, Croirait voir sa maison au pillage donnée.

Il aime fort l’argent, il connaît peu l’amour.

Au nom du cher objet qui de vous tient le jour t. De la vive amitié qui m’attache à sa mère, De cet amour ardent qu’elle voit sans colère, Daignez former, Madame, un si tendre lien Ordonnez mon bonheur, j’ose dire le sien.

Qu’à jamais à vos pieds je passe ici ma vie.

Mad. Duru.

Oh çà, vous aimez donc ma fille à la folie ?

Le Marquis.

Si je l’adore, ô ciel ! Pour croître mon bonheur >, Je compte à votre fils donner aussi ma fœur.

Vous aurez quatre enfans, qui d’une ame soumise, D’un cœur toujours à vous.




Scène II

MAD. DURU, LE MARQUIS, ERISE.
Le Marquis.

Ah ! venez belle Erise, fléchissez votre mère, & daignez la toucher. Je ne la connais plus c’est un cœur de rocher..

Mad. Duru.

Quel rocher ! Vous voyez, un homme ici ma fille., Qui veut obstinément être de la famille.

Il est pressant ; je crains que l’ardeur de ce feu, Le rendant importun, ne vous déplaise un peu.

Erise

Oh ! non, ne craignez rien ; s’il n’a pû vous déplaire, Croyez que contre lui je n’ai point de colère : J’aime à vous obéir. Comment ne pas vouloir Ce que vous commandez, ce qui fait mon devoir, Ce qui de mon respect est la preuve si claire ?

Mad. Duru.

Je ne commande point.

Erise

Pardonnez — moi, ma mère ; Vous l’avez commandé, mon cœur en est témoin.

Le Marquis.

De me justifier elle-même prend foin.

Nous sommes deux ici contre vous. Ah ! Madame, Soyez sensible aux feux d’une si pure flamme ; Vous l’avez allumée, & vous ne voudrez point Voir mourir sans s’unir ce que vous avez joint.

à Erise

Parlez donc, aidez — moi. Qu’avez — vous à sourire ?

Erise

Mais vous parlez si bien que je n’ai rien à dire 5 J’aurais peur d’être trop de votre sentiment, Et j’en ai dit, me semble, assez honnêtement.


Mad. Duru.

Je vois, mes chers enfans, qu’il est fort nécessaire De conclurre au plutôt cette importante affaire.

C’est pitié de vous voir ainsi sécher tous deux ; Et mon bonheur dépend du succès de vos vœux.

Mais mon mari !

Le Marquis.

Toûjours son mari ! sa faiblesse De cet épouvantail s’inquiète sans cesse.

Erise

Il est mon père.


Scène III

MAD. DURU, LE MARQUIS, ERISE, DAMIS.
Damis

Ah ! l’on parle donc ici D’hyménée & d’amour ? Je veux m’y joindre aussi.

Votre bonté pour moi ne s’est point démentie ; Ma mère me mettra, je crois, de la partie.

Monsieur a la bonté de m’accorder sa fœur, Je compte absolument jouïr de cet honneur, Non point par vanité mais par tendresse pure ; Je l’aime éperdument, & mon cœur vous conjure De voir avec pitié ma vive passion.

Voyez-vous, je fuis homme à perdre la raison. Enfin, c’est un parti qu’on ne peut plus combattre.

Une noce après tout suffira pour nous quatre.

Il n’est pas trop commun de savoir en un jour Rendre deux cœurs heureux par les mains de l’amour.

Mais faire quatre heureux par un seul coup de plume, Par un seul mot, ma mère, & contre la coutume, C’est un plaisir divin qui n’appartient qu’à vous et vous ferez, ma mère heureuse autant que nous.

Le Marquis.

Je réponds de ma fœur, je réponds de moi-même. Mais Madame balance, & c’est en vain qu’on aime.

Erise

Ah ! vous êtes si bonne ! auriez — vous la rigueur De maltraiter un fils si cher à votre cœur ?

Son amour est si vrai, si pur, si raisonnable !

Vous l’aimez, voulez — vous le rendre misérable ?

Damis

Desespérerez — vous par tant de cruautés, Une fille toûjours souple à vos volontés ?

Elle aime tout de bon, & je me persuade Que le moindre refus va la rendre malade.

Erise

Je connais bien mon frère, & j’ai lû dans Son cœur : Un refus le ferait expirer de douleur.

Pour moi, j’obéirai sans réplique à ma mère.
Damis

Je parle pour ma fœur.

Erise

Je parle pour mon frère.

Le Marquis.

Moi, je parle pour tous.

Mad. Duru.

Ecoutez donc tous trois.

Vos amours font charmans, & vos goûts font mon choix : Je sens combien m’honore une telle alliance ; Mon cœur à vos plaisirs se livre par avance.

Nous ferons tous contens, ou bien je ne pourrai : J’ai donné ma parole, & je vous la tiendrai.

Damis
, erise, le marquis,

ensemble.


Ah !

Mad. Duru.

Mais.


Le Marquis.

Toûjours des mais ? vous allez encor dire, Mais mon mari.

Mad. Duru.

Sans doute.

Erise

Ah ! quels coups !

Damis

Quel martire !

Mad. Duru.

Oh ! laissez-moi parler. Vous saurez, mes enfans Que quand on m’épousa j’avais près de quinze ans.

Je dois tout aux bons foins de votre honoré père : Sa fortune déja commençait à se faire ; Il eut l’art d’amasser & de garder du bien, En travaillant beaucoup & ne dépensant rien.

Il me recommanda, quand il quitta la France, De fuir toûjours le monde, & sur-tout la dépense.

J’ai dépensé beaucoup à vous bien élever ; Malgré moi le beau monde est venu me trouver.

Au fond d’un galetas il réléguait ma vie, Et plus honnêtement je me fuis établie.

Il voulait que son fils, en bonnet, en rabat, Traînât dans le palais la robe d’Avocat : Au Régiment du Roi je le fis Capitaine.

Il prétend aujourd’hui, fous peine de sa haine, Que de Monsieur Gripon, & la fille & le fils, — Par un beau mariage avec nous soient unis.

Je l’empêcherai bien, j’y fuis fort résolue.

Damis

Et nous aussi.

Mad. Duru.
Je crains quelque déconvenue, Je crains de mon mari le couroux véhément
Le Marquis.

Ne craignez rien de loin.

Mad. Duru.

Son cher correspondante Maître Isaac Gripon, d’une ame fort rebourse, Ferme depuis un an les cordons de sa bourse.

Damis

Il vous en reste assez.

Mad. Duru.

Oui, mais j’ai consulté.

Le Marquis.

Hélas ! consultez — nous.

Mad. Duru.

Sur la validité D’une telle démarche ; & l’on dit qu’à votre âge On ne peut sûrement contracter mariage Contre la volonté d’un propre père.


Damis

Non, Lorsque ce propre père, étant dans la maison ; Sur son droit de présence obstinément se fonde : Mais quand ce propre père est dans un bout du monde.

On peut à l’autre bout se marier sans lui.

Le Marquis.

Oui, c’est ce qu’il faut faire, & quand ? Dès aujourd’hui.

{{

Scène VI

{acteurs|MAD. DURU, LE MARQUIS, ERISE, DAMIS, MARTHE.}}

Marthe.

Voilà Monsieur Gripon qui veut forcer la porte ; Il vient pour un grand cas, dit-il, qui vous importe.

Ce font ses propres mots, faut — il qu’il entre ?

Mad. Duru.

Hélas !

Il le faut bien souffrir. Voyons quel est ce cas.



Scène V

MAD. DURU, LE MARQUIS, ERISE, DAMIS, M. GRIPON, MARTHE.


Mad. Duru.

Si tard, Monsieur Gripon, quel sujet vous attire ?

M. Gripon.

Un bon sujet.

Mad. Duru.

Comment ?

M. Gripon.

Je m’en vais vous le dire.

Damis

Quelque présent de l’Inde ?

M. Gripon.

Oh ! vraiment oui. Voici L’or’. L’ordre de votre père, & je le porte ici.

Ma fille est votre bru, mon fils est votre gendre ; Ils le feront du moins, & sans beaucoup attendre.

Lirez. Il lui donne une lettre.

Mad. Duru.
L’ordre est très net, que faire ?
M. Gripon.

A votre chef Obéir sans replique, & tout bâcler en bref.

Il reviendra bientôt ; & même, par avance, Son commis vient régler des comptes d’importance.

J’ai peu de tems à perdre ; ayez la charité De dépêcher la chose avec célérité.

Mad. Duru.

La proposition, mes enfans, doit vous plaire.

Comment la trouvez — vous ?

Damis, Erise

Ensemble.

Tout comme vous, ma mère.

Le Marquis.

à Mr. Gripon.

De nos communs desirs il faut presser l’effet.

Ah ! que de cet hymen mon cœur est satisfait !

M. Gripon.

Que ça vous satisfasse, ou que ça vous déplaise, Ça doit importer peu.

Le Marquis.

Je ne me sens pas d’aise.


M. Gripon.

Pourquoi tant d’aise ?

Le Marquis.

Mais t’ai cette affaire à cœur.

M. Gripon.

Vous, à cœur mon affaire ?

Le Marquis.

Oui, je fuis serviteur De votre ami Duru, de toute la famille, De Madame sa femme, & surtout de sa fille.

Cet hymen est si cher, si précieux pour moi !..

Je fuis le bon ami du logis.

M. Gripon.

Par ma foi, Ces amis du logis font de mauvais augure.

Madame, sans amis, hâtons — nous de conclure.

Erise

Quoi, si — tôt ?

Mad. Duru.

Sans donner le tems de consulter, De voir ma bru, mon gendre, & sans les présenter ?

C’est pouffer avec nous vivement votre pointe.
M. Gripon.

Pour se bien marier il faut que la conjointe N’ait jamais entrevû son conjoint.

Mad. Duru.

Oui, d’accord, On s’en aime bien mieux ; mais je voudrais d’abord, Moi, mère, Se qui dois voir le parti qu’il faut prendre, Embrasser votre fille & voir un peu mon gendre.

M. Gripon.

Vous les voyez en moi, corps pour corps, trait pour trait Et ma fille Phlipotte est en tout mon portrait.

Mad. Duru.

Les aimables enfans !

Damis

Oh ! Monsieur, je vous jure Qu’on ne sentit jamais une flamme plus pure.

M. Gripon.
.

Pour ma Phlipotte ?

Damis

Hélas ! pour cet objet vainqueur Qui règne sur mes sens, & m’a donné son cœur.

M. Gripon.

On ne t’a rien donné : je ne puis te comprendre ; Ma fille, ainsi que moi, n’a point l’ame si tendre.

à Erise.

Et vous, qui souriez, vous ne me dites rien ?

Erise

Je dis la même chose, & je vous promets bien De placer les devoirs, les plaisirs de ma vie, A plaire au tendre amant à qui mon cœur me lie.

M. Gripon.

Il n’est point tendre amant, vous répondez fort mal.

Le Marquis.

Je vous jure qu’il l’est.

M. Gripon.

Oh ! quel original !

L’ami de la maison, mêlez — vous, je vous prie, Un peu moins de la fête & des gens qu’on marie
Le Marquis.
lui fait de grandes révérences.

à Mad. Duru.

Or çà, j’ai réussi dans ma commission.

Je vois pour votre époux votre soumission ; Il ne faut à présent qu’un peu de signature.

J’amènerai demain le futur, la future.

Vous aurez des enfans, souples, respectueux, Grands ménagers, enfin on fera content d’eux.

Il est vrai qu’ils n’ont pas les grands airs du beau monde.

Mad. Duru.

C’est une bagatelle ? & mon espoir se fonde Sur les leçons d’un père, & sur leurs sentimens, Qui valent cent fois mieux que ces dehors charmans.

Damis

J’aime déja leur grace & simple & naturelle.

Erise

Leur bon sens dont leur père est le parfait modèle.

Le Marquis.

Je leur crois bien du goût.

M. Gripon.

Ils n’ont rien de cela.

Que diable ici fait — on de ce beau Monsieur là ?

à Mad. Duru.

A demain donc, Madame ; une noce frugale Préparera sans bruit l’union conjugale.

Il est tard, & le soir jamais nous ne sortons.

Damis

Eh ! que faites — vous donc vers le foir ?

M. Gripon.

Nous dormons.

On se lève avant jour ; ainsi fait votre père.

Imitez-le dans tout pour vivre heureux sur terre.

Soyez sobre, attentif à placer votre argent ; Ne donnez jamais rien, & prêtez rarement.

Demain de grand matin, je reviendrai, Madame.

Mad. Duru.

Pas si matin.

Le Marquis.

Allez, vous nous ravissez l’ame.

M. Gripon.

Cet homme me déplaît. Dès demain je prétens Que l’ami du logis déniche de céans.

Adieu.

Marthe.

L’arrêtant par le bras.

Monsieur, un mot.
M. Gripon

Eh quoi ?

Marthe.

Sans vous déplaire, Peut-on vous proposer une excellente affaire ?

M. Gripon.

Proposez.

Marthe.

Vous donnez aux enfans du logis Phlipotte votre fille, & Phlipot votre fils ?

M. Gripon.

Oui.

Marthe.

L’on donne une dot en pareille avanture ?

M. Gripon.

Pas toûjours.

Marthe.

Vous pourriez, & je vous en conjure, Partager par moitié vos généreux présens.

M. Gripon.

Comment ?

Marthe.

Payez la dot & gardez vos enfans.

M. Gripon.

à Mad. Duru

Madame, il nous faudra chasser cette donzelle ; Et l’ami du logis ne me plait pas plus qu’elle.

Il s’en va & tout le monde lui fait la révérence






Scène VI

MAD. DURU, ERISE, DAMIS, LE MARQUIS, MARTHE.
Marthe.

Eh bien ! vous laissez-vous tous les quatre effrayer Par le malheureux cas de ce maître usurier ?

Damis

Madame, vous voyez qu’il est indispensable De prévenir soudain ce marché détestable.

Le Marquis.

Contre nos ennemis formons vite un traité, Qui mette pour jamais nos droits en fûreté.

Madame, on vous y force, & tout vous autorise, Et c’est le sentiment de la charmante Erise.

Erise

Je me flatte toûjours d’être de votre avis.

Damis

Hélas ! de vos bienfaits mon cœur s’est tout promis.

Il faut que le vilain, qui tous nous inquiète, En revenant demain trouve la noce faite.

Mad. Duru.

Mais.

Le Marquis.

Les mais à présent deviennent superflus.

Résolvez — vous, Madame, ou nous sommes perdus.

Mad. Duru.

Le péril est pressant, & je fuis bonne mère Mais à qui pourrons — nous recourir ?

Marthe.

Au Notaire, A la noce, à l’hymen. Je prens sur moi le foin D’amener à l’infant le Notaire du coin, D’ordonner le souper, de mander la musique : S’il est quelqu’autre usage admis dans la pratique, Je ne m’en mêle pas.

Damis

Elle a grande raison, Et je veux que demain Maître Isaac Gripon Trouve en venant ici peu de choses à faire.

Erise

J’admire vos conseils & celui de mon frère.

Mad. Duru.

C’est votre avis à tous ?

D amis, Erise, le Marquis, ensemble.

Oui, ma mère.

Mad. Duru.

Fort bien.

Je peux vous affurer que c’est aussi le mien.

Fin du premier acte.

{

ACTE II

{scène|I}}

M. GRIPON, DAMIS.
M. Gripon.

Comment ! dans ce logis est-on fou, mon garçon ?

Quel tapage a-t-on fait la nuit dans la maison ?

Quoi ! deux tables encor impudemment dressées !

Des débris d’un festin, des chaises renversées, Des laquais étendus ronflans sur le plancher ; Et quatre violons, qui ne pouvant marcher, S’en vont en fredonnant à tâtons dans la ruë !

N’es-tu pas tout honteux ?

Damis

Non ; mon ame est émuë D’un sentiment si doux, d’un si charmant plaisir, Que devant vous encor je n’en saurais rougir.

M. Gripon.

D’un sentiment si doux ! que diable veux — tu dire ?

Damis

Je dis que notre hymen à la famille inspire Un délire de joye, un transport inouï.

A peine hier au foir sortites — vous d’ici, Que livrés par avance au lien qui nous presse, Après un long souper, la joye & la tendresse, Préparant à l’envi le lien conjugal, Nous Nous avons cette nuit ici donné le bal.

M. Gripon.

Voilà trop de fracas avec trop de dépense.

Je n’aime point qu’on ait du plaisir par avance.

Cette vie à ton père à coup sûr déplaira.

Et que feras — tu donc quand on te mariera ?
Damis

Ah ! si vous connaissiez cette ardeur vive & pure, Ces traits, ces feux sacrés, l’ame de la nature Cette délicatesse & ces ravissemens, Qui ne sont bien connus que des heureux amans !

Si vous saviez.

M. Gripon.

Je fais que je ne puis comprendre Rien de ce que tu dis.

Damis

Votre cœur n’est point tendre.

Vous ignorez les feux dont je fuis consumé.

Mon cher Monsieur Gripon, vous n’avez point aimé.

M. Gripon.

Sifait, sifait.

Damis

Comment ? Vous aussi, vous ?

M. Gripon.

Moi — même.

Damis

Vous concevez donc bien l’emportement extrême, Les douceurs.

M. Gripon.

Et oui, oui, j’ai fait, à ma façon, L’amour un jour ou deux à Madame Gripon : Mais cela n’était pas comme ta belle flamme, Ni tes discours de fou que tu tiens sur ta femme.

Damis

Je le crois bien ; enfin, vous me le pardonnez

M. Gripon.

Ouida, quand les contrats feront faits & signés.

Allons, avec ta mère il faut que je m’abouche ; Finissons tout.

Damis

Ma mère en ce moment se couche.

M. Gripon.

Quoi ? Ta mère ?

Damis

Approuvant le goût qui nous conduit, Elle a dans notre bal dansé toute la nuit.

M. Gripon.
Ta mère est folle.
Damis

Non, elle est très respectable, Magnifique avec goût, douce, tendre, adorable.

M. Gripon.

Ecoute ; il faut ici te parler clairement.

Nous attendons ton père, il viendra promptement ; Et déja son commis arrive en diligence, Pour régler sa recette, ainsi que la dépense.

Il fera très fâché du train qu’on fait ici, Et tu comprens fort bien que je le fuis aussi.

C’est dans un autre esprit que Phlipotte est nourrie ; Elle a trente-sept ans, fille honnête, accomplie, Qui, feule avec mon fils, compose ma maison ; L’été sans éventail, & l’hyver sans manchon ; Blanchit, repasse, coud, compte comme Barême, Et fait manquer de tout aussi — bien que moi — même.

f Prens exemple sur elle, afin de vivre heureux.

Je reviendrai ce soir vous marier tous deux.

Tu parais bon enfant, & ma fille est bien née.

Mais, croi — moi, ta cervelle eii un peu mal tournée.

Il faut que la maison foit sur un autre pié.

Di — moi. Ce grand flandrin, qui m’a tant ennuyé, Qui toûjours de côté me fait la révérence, Vient — il ici souvent ?

Damis

Oh ! fort souvent.

M. Gripon.

Je pense que pour cause il est bon qu’il n’y revienne plus.

Damis

Nous suivrons sur cela vos ordres absolus.

M. Gripon.

C’est très bien dit. Mon gendre a du bon, & j’espère Moriginer bientôt cette tête légère ; Mais surtout plus de bal : je ne prétens plus voir Changer la nuit en jour, & le matin en soir.

Damis

Ne craignez rien.

M. Gripon.
Eh bien, où vas — tu ?
Damis

Satisfaire Le plus doux des devoirs & l’ardeur la plus chère.

M. Gripon.

Il brûle pour Phlipotte.

Damis

Après avoir dansé, Plein des traits amoureux dont mon cœur est blessé, Je vais, Monsieur, je vais me coucher. Je me flatte Que ma passion vive, autant que délicate, Me fera peu dormir en ce fortuné jour, Et je ferai longtems éveillé par l’amour.

Ils s’embrassent.




Scène II

M. GRIPON.

seul. Les romans’l’ont gâté, sa tête est attaquée ; Il veut incognito rentrer dans sa maison. Quel profit à cela ? quel projet sans raison Ce n’est qu’en fait d’argent que j’aime le mystère ; Mais je fais ce qu’il veut ; ma soi, c’est son affaire. Mari qui veut surprendre est souvent fort surpris, Et mais voici Monsieur qui vient dans son logis.


{scène|III}}

M. DURU, M. GRIPON


M. Duru.

Quelle réception ! après douze ans d’absence !

Comme tout se corrompt, comme tout change en France !

M. Gripon.


Bon jour, compère.

M. Duru.

0 ciel !

M. Gripon.

Il ne me répond point.

Il rêve.

M. Duru.

Quoi ! ma femme infidelle à ce point !

A quel horrible luxe elle s’est emportée !

Cette maison, je crois, du Diable est habitée ; Et j’y mettrais le feu, sans les dépens maudits Qu’à brûler les maisons il en coûte à Paris.

M. Gripon.

Il parle longtems seul, c’est figne de démence.

M. Duru.

Je l’ai bien mérité par ma fotte imprudence.

A votre femme un mois confiez votre bien, Au bout de trente jours vous ne retrouvez rien.

Je m’étais noblement privé du nécessaire : M’en voilà bien payé : que résoudre, que faire ?

Je fuis assassiné, confondu, ruiné.

M. Gripon.

Bon jour, compère. Eh bien, vous avez terminé Assez heureusement un assez long voyage.

Je vous trouve un peu vieux.

M. Duru.

Je vous dis que j’enrage.

M. Gripon.

Oui, je le crois, il est fort trisse de vieillir ; On a bien moins de tems pour pouvoir s’enrichir.

M. Duru.

Plus d’honneur, plus de régle, & les loix violées !..

M. Gripon.

Je n’ai violé rien, les choses sont réglées.

J’ai pour vous dans mes mains, en beaux & bons papiers Trois cent deux mille francs, dix — huit fols neuf deniers.

Revenez — vous bien riche ?

M. Duru.

Oui.

M. Gripon.

Moquez-vous du monde.

M. Duru.

Oh ! j’ai le cœur navré d’une douleur profonde.

J’apporte un million tout au plus ; le voila.

Il montre son porte — feuille.

Je fuis outré, perdu.

M. Gripon.
.

Quoi ! n’est — ce que cela ?

Il faut se consoler.
M. Duru.

Ma femme me ruine.

Vous voyez quel logis & quel train. La coquine !.

M. Gripon.

Sois le maître chez toi, mets — la dans un couvent.

M. Duru.

Je n’y manquerai pas. Je trouve en arrivant Des laquais de six pieds, tous yvres de la veille, Un portier à moustache, armé d’une bouteille, Qui, me voyant paffer, m’invite en bégayant, A venir déjeuner dans son appartement.

M. Gripon.

Chasse tous ces coquins.

M. Duru.

C’est ce que je veux faire.

M. Gripon.

C’est un profit tout clair. Tous ces gens là, compère ; Sont nos vrais ennemis, dévorent notre bien ; Et pour vivre à son aise, il faut vivre de rien.

M. Duru.

Ils m’auront ruïné ; cela me perce l’ame.

Me conseillerais — tu de surprendre ma femme ?

M. Gripon.

Tout comme tu voudras.

M. Duru.

Me conseillerais — tu D’attendre encor un peu, de rester inconnu ?

M. Gripon.

Selon ta fantaisie.

M. Duru.

Ah, le maudit ménage !


Comment a — t — on reçu l’offre du mariage ?

M. Gripon.

Oh ! fort bien : sur ce point nous ferons tous contens ; On aime avec transport déjà mes deux enfans.

M. Duru.

Passe. On n’a donc point eu de peine à satisfaire A mes ordres précis ?

M. Gripon.

De la peine, au contraire ; Ils ont avec plaisir conclu soudainement.

Ton fils a pour ma fille un amour véhément ; Et ta fille déjà brûle, sur ma parole, Pour mon petit Gripon.

M. Duru.

Du moins cela console.

Nous mettrons ordre au reste.

M. Gripon.

Oh ! tout est résolu, Et cet après-midi l’hymen fera conclu.

M. Duru.

Mais, ma femme ?

M. Gripon.

Oh ! parbleu, ta femme est ton affaire.

Je te donne une bru charmante & ménagère J’ai toûjours à ton fils destiné ce bijou ; Et nous les marierons sans leur donner un fou.

M. Duru.

Fort bien.

M. Gripon.

L’argent corrompt la jeunesse volage.

Point d’argent : c’est un point capital en ménage.

M. Duru.

Mais ma femme ?

M. Gripon.

Fais-en tout ce qu’il te plaira.

M. Duru.

Je voudrais voir un peu comme on me recevra, Quel air aura ma femme.

M. Gripon.

Et pourquoi ? que t’importe ?

M. Duru.

Voir là si la nature est au moins assez forte, Si le fang parle assez dans ma fille & mon fils, Pour reconnaître en moi le maître du logis.

M. Gripon.

Quand tu te nommeras, tu te feras connaître.

Est-ce que le fang parle ? Et ne dois-tu pas être Honnêtement content, quand, pour comble de biens, Tes dociles enfans vont époufer les miens ?

Adieu : j’ai quelque dette active & d’importance, Qui devers le midi demande ma présence ; Et je reviens, compère, après un court dîner, Moi, ma fille & mon fils, pour conclure & signer.


Scène IV

M. DURU.

Seul.

Les affaires vont bien ; quant à ce mariage J’en fuis fort satisfait ; mais quant à mon ménage C’est un scandale affreux, & qui me pouffe à bout.

Il faut tout observer, découvrir tout, voir tout.

On sonne.

J’entens une sonnette & du bruit ; on appelle.



Scène V

M. DURU, MARTHE.

à la porte.

M. Duru.

Oh ! quelle est cette jeune & belle Demoiselle Qui va vers cette porte ? Elle a l’air bien coquet.

Est — ce ma fille ? Mais. j’en ai peur : en effet, Elle est bien faite au moins, passablement jolie, Et cela fait plaisir. Ecoutez, je vous prie ; Où courez-vous si vite, aimable & chère enfant ?

Marthe.

Je vais chez ma maîtresse, en son appartement.

M. Duru.

Quoi ! vous êtes suivante ? Et de qui, ma mignonne ?

Marthe.

De Madame Duru.

M. Duru.

à part.

Je veux de la friponne Tirer quelque parti, m’instruire, si je puis.

Ecoutez.

Marthe.

Quoi ! Monsieur ?

M. Duru.

Savez-vous qui je suis ?

Marthe.
Non ; mais je vois assez ce que vous pouvez être.
M. Duru.

Je fuis l’intime ami de Monsieur votre maître, Et de Monsieur Gripon. Je peux très-aisément Vous faire ici du bien, même en argent comptant.

Marthe.

Vous me ferez plaisir. Mais, Monsieur, le tems presse ; Et voici le moment de coucher ma maîtresse.

M. Duru.

Se coucher quand il est neuf heures du matin ?

Marthe.

Oui, Monsieur.

M. Duru.

Quelle vie & quel horrible train !

Marthe.

C’est un train fort honnête. Après souper on jouë j Après le jeu l’on danse ; & puis on dort.

M. Duru.

J’avoue que vous me surprenez ; je ne m’attendais pas Que Madame Duru fît un si beau fracas.

Marthe.

Quoi ! cela vous surprend, vous bon-homme, à votre âge ?

Mais rien n’est plus commun. Madame fait usage Des grands biens amassés par son ladre mari ; Et quand on tient maison, chacun en use ainsi.

M. Duru.

Mignonne, ces discours me font peine à comprendra Qu’est — ce tenir maison ?

Marthe.

Faut-il tout vous apprendre ?

D’où diable venez — vous ?

M. Duru.

D’un peu loin.

Marthe.

Je le voi Vous me paraissez neuf, quoiqu’antique.

M. Duru.

Ma foi, Tout est neuf à mes yeux. Ma petite maîtresse Vous tenez donc maison ?

Marthe.
Oui.
M. Duru.

Mais de quelle espèce ?

Et dans cette maison que fait — on, s’il vous plaît ?

Marthe.

De quoi vous mêlez-vous ?

M. Duru.

J’y prens quelque intérêt.

Marthe.

Vous, Monsieur ?

M. Duru.

Oui, moi —même. Il faut que je hazarde Un peu d’or de ma poche avec cette égrillarde ; Ce n’est pas sans regret ; mais essayons enfin.

Monsieur Duru vous fait ce présent par ma main.

Marthe.

Grand merci.

M. Duru.

Méritez un tel effort, ma belle ; C’est à vous de montrer l’excès de votre zèle Pour le patron d’ici, le bon Monsieur Duru, Que, par malheur pour vous, vous n’avez jamais vu.

Quelqu’amant, entre nous, a, pendant son absence, Produit tous ces excès avec cette dépense !

Marthe.

Quelque amant ! vous osez attaquer notre honneur ?

Quelque Amant ! A ce trait, qui blesse ma pudeur, Je ne fais qui me tient, que mes mains appliquées Ne soient sur votre face avec cinq doigts marquées.

Quelque amant, dites — vous ?

M. Duru.

Eh ! pardon.

Marthe.
.

Apprenez : Que ce n’est pas à vous à fourrer votre nez.

Dans ce que fait Madame.

M. Duru.

, Eh ! mais.

Marthe.

Elle est trop bonne, Trop fage, trop honnête, & : trop douce personne ; Et vous êtes un sot avec vos questions.

On sonne.

J’y vais. Un impudent, un rodeur de maisons.

On sonne.

Tout — à —l’heure. Un benêt qui pense que les filles Iront lui confier les secrets des familles On sonne.

Eh ! j’y cours. Un vieux fou que la main que voila On sonne.

Devrait punir cent fois. L’on y va, l’on y va.



Scène VI

M. DURU.

seul.

Je ne fais si je dois en croire sa colère ; Tout ici m’est suspect ; & sur ce grand mystère Les femmes ont juré de ne parler jamais ; On n’en peut rien tirer par force ou par bienfaits ; Et toutes se liguant pour nous en faire accroire, S’entendent contre nous comme larrons en foire.

Non, je n’entrerai point ; je veux examiner Jusqu’où du bon chemin l’on peut se détourner.

Que vois— je ? Un beau Monsieur sortant de chez ma femme !

Ah ! voilà comme on tient maison



Scène VII

M. DURU, LE MARQUIS sortant de l’appartement de MAD. DURU en lui parlant tout haut.
Le Marquis.

Adieu, Madame.

Ah ! que je fuis heureux !

M. Duru.

Et beaucoup trop. J’en tien.

Le Marquis.

Adieu, jusqu’à ce soir.

M. Duru.

Ce foir encor ? Fort bien.

Comme de la maison je vois ici deux maîtres, L’un des deux pourrait bien sortir par les fenêtres On ne me connaît pas ; gardons-nous d’éclater.

Le Marquis.

Quelqu’un parle, je crois.

M. Duru.

Je n’en saurais douter.

Volets fermés, au lit ; rendez-vous ; porte close ; La suivante à mon nez complice de la chose !

Le Marquis.

Quel est cet homme —là qui jure entre ses dents

M. Duru.

Mon fait est net & clair.

Le Marquis.

Il paraît hors de feus,.

M. Duru.

J’aurais mieux fait, ma foi, de rester à Surate t Avec tout mon argent. Ah traître ! ah scélérate !

Le Marquis.

Qu’avez — vous donc, Monsieur, qui parlez seul ainsi ?

M. Duru.

Mais j’étais étonné que vous fussiez ici.

Le Marquis.

Et pourquoi, mon ami ?

M. Duru.

Monsieur Duru, peut — être Ne ferait pas content de vous y voir paraître.

Le Marquis.

Lui mécontent de moi ? Qui vous a dit cela ?

M. Duru.

Des gens bien informés. Ce Monsieur Duru — là, Chez qui vous avez pris des façons si commodes, Le connaissez-vous ?

Le Marquis.

Non : il est aux Antipodes, Dans les Indes, je crois, cousu d’or & d’argent.

M. Duru.

Mais vous connaissez fort Madame ?

Le Marquis.

Apparemment : Sa bonté m’est toûjours précieuse & nouvelle, Et je fais mon bonheur de vivre ici près d’elle.

Si vous avez besoin de sa protection, Parlez, j’ai du crédit, je crois, dans la maison.

M. Duru.

Je le vois. De Monsieur je fuis l’homme d’affaires.

Le Marquis.

Ma foi, de ces gens-là je ne me mêle guères.

Soyez le bien venu ; prenez surtout le foin D’apporter quelqu’argent dont nous avons besoin.

Bon foir.

M. Duru.

à part.

J’enfermerai dans peu ma chère femme.

Au Marquis.

Que l’enfer. Mais, Monsieur, qui gouvernez Madame, La chambre de sa fille est-elle près d’ici ?

Le Marquis.

Tout auprès, & j’y vais. Oui, l’ami, la voici.

Il entre chez Erise & ferme la porte.

M. Duru.

Cet homme est nécessaire à toute ma famille : Il fort de chez ma femme, & s’en va chez ma fille.

Je n’y puis plus tenir, & je succombe enfin.

Justice ! je fuis mort.



Scène VIII

M. DURU, LE MARQUIS revenant avec ERISE.
Erise

EH ! mon Dieu, quel lutin, Quand on va se coucher, tempête à cette porte ?

Qui peut crier ainsi de cette étrange forte ?

Le Marquis.

Faites donc moins de bruit, ne vous a-t-on pas dit, Qu’a— Qu’après qu’on a dansé l’on va se mettre au lit.

Jurez plus bas tout seul.

M. Duru.

Je ne peux plus rien dire.

Je suffoque.

Erise
Quoi donc ?
M. Duru.

Est-ce un rêve, un délire ?

Je vengerai l’affront fait avec tant d’éclat.

Juste ciel ! & comment son frère l’Avocat Peut — il souffrir céans cette honte inouïe, Sans plaider ?

Erise

Quel est donc cet homme, je vous prie ?

Le Marquis.

Je ne sais ; il paraît qu’il eil : extravagant ; Votre père, dit-il, l’a pris pour son agent.

Erise

D’où vient que cet agent fait tant de tintamarre ?

Le Marquis.

Ma foi, je n’en fais rien ; cet homme est si bizarre !

Erise

Est-ce que mon mari, Monsieur, vous a fâché ?

M. Duru.

Son mari !.. J’en fuis quitte encor à bon marché.

Cest là votre mari ?

Erise

Sans doute, c’est lui — même.

M. Duru.

Lui, le fils de Gripon ?

Erise

C’est mon mari, que j’aime.

A mon père, Monsieur, lorsque vous écrirez, Peignez — lui bien les nœuds dont nous sommes ferrés.

M. Duru.

Que la fiévre le serre !

Le Marquis.

Ah ! daignez condescendre !.

M. Duru.

Maître Isaac Gripon m’avait bien fait entendre Qu’à votre mariage on pensait en effet ; Mais il ne m’a pas dit que tout cela fût fait.

Le Marquis.

Eh bien, je vous en fais la confidence entière.

M. Duru.

Mariés ?

Erise
Oui, Monsieur.
M. Duru.

De quand ?

Le Marquis.

La nuit dernière.

M. Duru.
regardant
Le Marquis.

Votre époux, je l’avouë, est un fort beau garçon ; Mais il ne m’a point l’air d’être fils de Gripon.

Le Marquis.

Monsieur fait qu’en la vie il est fort ordinaire De voir beaucoup d’enfans tenir peu de leur père.

Par exemple, le fils de ce Monsieur Duru En est tout différent, n’en a rien.

M. Duru.

— Qui l’eût cru ?

Serait — il point aussi marié lui ?

Erise

Sans doute.

M. Duru.


Lui ?

Le Marquis.

Ma fœur dans ses bras en ce moment — ci goute Les premières douceurs du conjugal lien.

M. Duru.

Votre fœur ?

Le Marquis.

Oui, Monsieur.

M. Duru.

Je n’y conçois plus rien.

Le compère Gripon m’eût dit cette nouvelle.

Le Marquis.

Il regarde cela comme une bagatelle.

C’est un homme occupé toûjours du denier dix, Noyé dans le calcul, fort distrait.

M. Duru.

Mais jadis Il avait l’esprit net.


Le Marquis.

Les grands travaux & l’âge Altèrent la mémoire ainsi que le visage.

M. Duru.
Ce double mariage est donc fait ?
Erise

Oui, Monsieur.

Le Marquis.

Je vous en donne ici ma parole d’honneur, N’avez — vous donc pas vû les débris de la noce ?

M. Duru.

Vous m’avez tous bien l’air d’aimer le fruit précoce, D’anticiper l’hymen qu’on avait projetté.

Le Marquis.

Ne nous soupçonnez pas de cette indignité, Cela ferait criant.

M. Duru.

Oh ! la faute est légère.

Pourvu qu’on n’ait pas fait une trop forte chère, Que la noce n’ait pas horriblement coûté, On peut vous pardonner cette vivacité.

Vous paraissez d’ailleurs un homme assez aimable.

Erise

Oh ! très fort.

M. Duru.

Votre fœur est-elle aussi passable ?

Le Marquis.

Elle vaut cent fois mieux.

M. Duru.

Si la chose est ainsi, Monsieur Duru pourrait excuser tout ceci.

Je vais enfin parler à sa mère, & pour cause.

Erise

Ah ! gardez — vous — en bien, Monsieur ; elle repose.

Elle est trop fatiguée ; elle a pris tant de foins.

M. Duru.

Je m’en vais donc parler à son fils.

Erise
Erise

Encor moins.

Le Marquis.

Il est trop occupé.

M. Duru.

L’avanture est fort bonne.

Ainsi, dans ce logis, je ne peux voir personne ?

Le Marquis.

Il est de certains cas où des hommes de sens Se garderont toûjours d’interrompre les gens.

Vous voilà bien au fait ; je vais avec Madame, Me rendre aux doux transports de la plus pure flamme,..

Ecrivez à son père un détail si charmant.

Erise

Marquez-lui mon respect & mon contentement.

M. Duru.
Et son contentement ! Je ne fais si ce père Doit être aussi content d’une si prompte affaire.

Quelle éveillée !

Le Marquis.

Adieu. Revenez vers le soir, Et soupez avec nous.

Erise

Bon jour, jusqu’au revoir.

Le Marquis.

Serviteur.

Erise

Toute à vous.




Scène IX

M. DURU, MARTHE.
M. Duru.

seul.

Mais Gripon.le compère S’est bien pressé, sans moi, de finir cette affaire.

Quelle fureur de noce a saisi tous nos gens !

Tous quatre à s’arranger font un peu diligens.

De tant d’événemens j’ai la vuë ébahie.

J’arrive ; & tout le monde à l’instant se marie.

Il reste en vérité, pour compléter ceci, Que ma femme à quelqu’un soit mariée aussi.

Entrons, sans plus tarder. Ma femme ! hola, qu’on m’ouvre.

Il heurte. Ouvrez, vous dis — je il faut qu’enfin tout se découvre.

Marthe.

derrière la porte.

Paix, paix, l’on n’entre point.

M. Duru.

Oh ! ton maître entrera, Suivante impertinente, & l’on m’obéïra.

Fin du second acte.

ACTE III


Scène I

M. DURU, seul.


J’ai beau frapper, crier, courir dans ce logis, De ma femme à mon gendre, & du gendre à mon fils, On répond en ronflant. Les valets ? les servantes Ont tout barricadé. Ces manœuvres plaisantes Me déplaisent beaucoup. Ces quatre extravagans, Si vite mariés, font au lit trop longtems.

Et ma femme, ma femme ! oh ! je perds patience.

Ouvrez, morbleu.



Scène II

M.DURU, M. GRIPON ; } {didascalie
M. Gripon.

Je viens signer notre alliance.

M. Duru.

Comment signer !

M. Gripon.

Sans doute, & vous l’avez voulu.

Il faut conclurre tout.

M. Duru.

Tout est assez conclu.

Vous radottez.

M. Gripon.

Je viens pour consommer la chose.,

M. Duru.
La chose est consommée.
M. Gripon.

Oh ! oui : je me propose De produire au grand jour ma Phlipotte & Phlipot.

Ils viennent.

M. Duru.

Quels discours !

M. Gripon.

Tout est prêt en un mot.

M. Duru.

Morbleu ? vous vous moquez ; tout est fait.

M. Gripon.

, Çà, compère, Votre femme est instruite, Se prépare l’affaire.

M. Duru.

Je n’ai point vû ma femme ; elle dort, & mon fils Dort avec votre fille ; & mon gendre au logis Avec ma fille dort, & tout dort. Quelle rage Vous a fait cette nuit presser ce mariage ?

M. Gripon.

Es-tu devenu fou ?

M. Duru.

Quoi ! mon fils ne tient pas A présent dans son lit Phlipotte & ses appas ?

Les noces ? cette nuit, n’auraient pas été faites ?

M. Gripon.

Ma fille a cette nuit repassé ses cornettes, Elle s’habille en hâte ; & mon fils son cadet, Pour épargner les fraix, met le contrat au net.

M. Duru.

Juste ciel ! quoi ! ton fils n’est pas avec ma fille ?

M. Gripon.

Non, sans doute.

M. Duru.

Le Diable est donc dans ma famille.

M. Gripon.

Je le crois.

M. Duru.

Ah ! fripons ! femme indigne du jour, Vous payerez bien cher ce détestable tour !

Lâches, vous apprendrez que c’est moi qui fuis maître.

Approfondissons tout ; je prétens tout connaître Fai descendre mon fils ; va, compère, di — lui Qu’un ami de son père, arrivé d’aujourd’hui, Vient lui parler d’affaire, Se ne saurait attendre.

M. Gripon.

Je vais te l’amener. Il faut punir mon gendre.

Il faut un Commissaire, il faut verbaliser, Il faut venger Phlipotte.

M. Duru.

Eh ! cours sans tant jaser.

M. Gripon

revenant.

Cela pourra coûter quelqu’argent, mais n’importe.

M. Duru.

Eh ! va donc.

M. Gripon

revenant.

Il faudra faire amener main forte.

M. Duru.

Va, te dis — je.

M. Gripon.

J’y cours.



Scène III

seul.

O Voyage cruel !

0 pouvoir marital, & pouvoir paternel !

0 luxe ! maudit luxe ! invention du Diable !

C’est toi qui corromps tout, perds tout, monstre exécrable !

Ma femme, mes enfans, de toi font insectés.

J’entrevois là dessous un tas d’iniquités, Un amas de noirceurs, & surtout de dépenses, Qui me glacent le fang & redoublent mes transes.

Epouse, fille, fils, m’ont tous perdu d’honneur ; Je ne fais si je dois en mourir de douleur ; Et quoique de me pendre il me prenne une envie, L’argent qu’on a gagné fait qu’on aime la vie.

Ah ! j’apperçois, je crois, mon traître d’Avocat.

Quel habit ! pourquoi donc n’a-t-il point de rabat ?


Scène IV

M.. DURU, M. GRIPON, DAMIS.
Damis

à M. Gripon

Quel est cet homme ? Il a l’air bien atrabilaire.

M. Gripon.

C’est le meilleur ami qu’ait Monsieur votre père.

Damis
.

Prête — t — il de l’argent ?

M. Gripon.

En aucune façon, Car il en a beaucoup. En aucune sa ç on,

M. Duru.

Etes — vous Avocat ? Répondez, beau garçon,

Damis
.

Point du tout.

M. Duru.

Ah ! le traître ! Etes — vous marié ?


Damis
.

J’ai le bonheur de l’être.

M. Duru.

Et votre sœur ?

Damis
.

Nous avons cette nuit Goûté d’un double hymen le tendre & premier fruit.

M. Gripon.

Maries !

M. Duru.

Scélérat !

M. Gripon.

A qui donc ?

Damis
.

A ma femme.

M. Gripon.

A ma Phlipotte ?

Damis
Non.
M. Duru.

Je me sens percer l’ame.

Quelle est —elle ? En un mot, vîte, répondez-moi.

Damis
.

Vous êtes curieux & poli, je le voie

M. Duru.

Je veux savoir de vous celle qui, par surprise ?

Pour braver votre père, ici s’impatronise,

Damis
.

Quelle est ma femme ?

M. Duru.

Oui, oui.

Damis
.

C’est la lœur de celui A qui ma propre sœur est unie aujourd’hui.

M. Gripon.

Quel galimatias !

Damis
,

La choie est toute claire.

Vous savez, cher Gripon, qu’un ordre de mon père Enjoignait à ma mère, en terme très précis, D’établir au plutôt & sa fille, & son fils.

M. Duru.

Eh bien ? traître

Damis
.

A cet ordre elle s’est asservie Non pas absolument, mais du moins en partie.

Il veut un prompt hymen, il s’est fait promptemento. Il est vrai qu’on n’a pas conclu précisément Avec ceux que sa lettre a nommés par sa clause y Mais le plus fort est fait, le reste eil : peu de chose.

Le Marquis.
d’Outremont, l’un de nos bons ami,.

Est un homme.

M. Gripon.

Ah ! c’est là cet ami du logis.

On s’est moqué de nous ; je m’en doutais, compères

M. Duru.

Allons, faites venir vîte le Commissaire, Vingt huissiers.


Damis
.

Et qui donc êtes-vous, s’il vous plaît, Qui daignez prendre à nous un si grand intérêt ?

Cher ami de mon père, apprenez que peut — être, , Sans mon respect pour lui, cette large fenêtre Serait— votre chemin pour vuider la maison.

Dénichez de chez moi.

Mad. Duru

Comment, maître fripon, Toi me chasser d’ici ! Toi scélérat, faussaire, Aigrefin, débauché, l’opprobre de ton père qui n’es point Avocat.


Fin de la cinquième scène.


Scène V

MAD. DURU, sortant d’un côté avec MARTHE ; LE MARQUIS, sortant de l’autre avec ERISE ; m. DURU, M. GRIPON, DAMIS
Mad. Duru

dans le fond Mon carrosse est-il prêt ?

D’où vient donc tout ce bruit ?

Le Marquis.

Ah ! je vois ce que c’est.

Marthe.

C’est mon questionneur.

Le Marquis.

Oui, c’est ce vieux visage, Qui semblait si surpris de notre mariage.

Mad. Duru.

Qui donc ?

Le Marquis.

De votre époux il dit qu’il est agent.

M. Duru.

en colère se retournant.

Oui, c’est moi.

Marthe.

Cet agent paraît peu patient.

Mad. Duru.

avançant.

Ah, que vois-je ! quels traits ! c’est lui-même, & mon ame.,

M. Duru.

Voilà donc à la fin ma coquine de femme !

Oh ! comme elle est changée ! elle, n’a plus, ma foi, De quoi raccommoder ses fautes près de moi.


Mad. Duru.

Quoi ! c’est vous, mon mari, mon cher époux ?.

Damis, Erise, Le Marquis.

ensemble.

Mon père !

Mad. Duru.

Daignez jetter, Monsieur, un regard moins sévère Sur moi, sur mes enfans, qui font à vos genoux.

Le Marquis.

Oh ! pardon ; j’ignorais que vous fussiez chez vous.

M. Duru.

Ce matin.

Le Marquis.

Excusez, j’en fuis honteux dans l’ame.

Marthe.

Et qui vous aurait cru le mari de Madame ?

Damis
.

A vos pieds.


M. Duru.

Fils indigne, apostat du Barreau, Malheureux marié, qui fais ici le beau, Fripon ; c’est donc ainsi que ton père lui-même S’est vû reçu de toi ? C’est ainsi que l’on m’aime.

M. Gripon.

C’est la force du fang.

Damis
.

Je ne fuis pas devin.

Mad. Duru.

Pourquoi tant de couroux dans notre heureux dessin ?

Vous retrouvez ici toute votre famille ; Un gendre, un fils bien-né, votre épouse, une fille.

Que voulez-vous de plus ? Faut-il après douze ans, Voir d’un œil de travers sa femme & ses enfans ?

M. Duru.

Vous n’êtes point ma femme ; elle était ménagère ; Elle cousait, filait, faisait très maigre chère ;

Et n’eût point à mon bien porté le coup mortel, Par la main d’un filou, nommé maître — d’hôtel ; N’eût point joué, n’eût point ruiné ma famille, Ni d’un maudit Marquis ensorcelé ma nlle ; N’aurait pas à mon fils fait perdre son latin, Et fait d’un Avocat un pimpant aigrefin. j.l") Perfide, voilà donc la belle récompense D’un travail de douze ans & de ma confiance.

Des soupers dans la nuit, à midi petit jour !

Auprès de votre lit un oisif de la cour !

Et portant en public le honteux étalage Du rouge enluminé qui peint votre visage !  !

C’efl:ainsi qu’à profit vous placiez mon argent ?

Allons, de cet hôtel qu’on déniche à l’instant, Et qu’on aille m’attendre à son second étage.

Damis
.

Quel père !’

Le Marquis.

Quel beau-père !

Erise

Eh ! bon Dieu quel langage !

Mad. Duru.

Je puis avoir des torts, vous quelques préjugés.

Modérez — vous de grace, écoutez & jugez.

Alors que la misère à tous deux fut commune, Je me fis des vertus propres à ma fortune ; D’élever vos enfans je pris sur moi les soins ; Je me refusai tout pour leur laisser, du moins, , Une Une éducation qui tînt lieu d’héritage.

Quand vous eûtes acquis, dans votre heureux voyage, Un peu de bien commis à ma fidélité, J’en fus placer le fonds, il est en fûreté.

M. Duru.

Oui

Mad. Duru.

Votre bien s’accrut ; il servit, en partie, A nous donner à tous une plus douce vie.

Je voulus dans la robe élever votre fils; Il n’y parut pas propre, & je changeai d’avis : Il falait cultiver, non forcer la nature.

Il est né valeureux, vif, mais plein de droiture.

J’ai fait, à ses talens habile à me plier, D’un mauvais Avocat, un très bon Officier.

Avantageusement j’ai marié ma fille : La paix & : les plaisirs régnent dans ma famille ; Nous avons des amis : des Seigneurs sans fracas, Sans vanité, sans airs, & qui n’empruntent pas, Soupent chez nous gaîment & passent la soirée.

La chère est délicate Se toûjours modérée.

Le jeu n’est pas trop fort ; & jamais nos plaisirs Ne nous ont, grace au ciel, causé de repentirs.

De mon premier état je soutins l’indigence ; Avec le même esprit j’use de l’abondance.

On doit compte au public de l’usage du bien, Et qui l’ensevelit est mauvais citoyen ; Il fait tort à l’Etat, il s’en fait à foi — même.

Faut — il, sur son comptoir, l’œil trouble & le teint blême, Manquer du nécessaire, auprès d’un coffre — fort, Pour avoir de quoi vivre un jour après sa mort ?

Ah ! vivez avec nous dans une honnête aisance.

Le prix de nos travaux est dans la jouïssance.

Faites votre bonheur en remplissant nos vœux.

Etre riche n’est rien : le tout est d’être heureux.

M. Duru.

Le beau sermon du luxe & de l’intempérance !

Gripon, je souffrirais que pendant mon absence On dispose de tout, de mes biens, de mon fils, De ma fille !

Mad. Duru.

Monsieur, je vous en écrivis.

Cette union est fage, & doit vous le paraître.

Vos enfans font heureux, leur père devrait l’être.

M. Duru.

Non ; je ferais outré d’être heureux malgré moi.

C’est être heureux en sot de souffrir que chez soi, Femme, fils, gendre, fille ainsi se réj ouïssent.

Mad. Duru.

Ah ! qu’à cette union tous vos vœux applaudissent !

M. Duru.

Non, non, non, non ; il faut être maître chez soi.

Mad. Duru.

Vous le ferez toûjours.


Erise

Ah ! disposez de moi.

Mad. Duru.

Nous sommes à vos pieds.

Damis
.

Tout ici doit vous plaire, Serez — vous inflexible ?

Mad. Duru.

Ah ! mon époux !

Damis, Erise

ensemble.

Mon père !

M. Duru.

Gripon, m’attendrirai — je ?

M. Gripon.

Ecoutez, entre nous Ça demande du tems.

Marthe.

Vîte, attendrissez —vous : Tous ces gens —là, Monsieur, s’aiment à la folie ; Croyez — moi, mettez — vous aussi de la partie.

Personne n’attendait que vous vinssiez ici.

La maison va fort bien, vous voilà, refiez — y.

Soyez gai comme nous, ou que Dieu vous renvoye.

Nous vous promettons tous de vous tenir en joye.

Rien n’est plus douloureux, comme plus inhumain, Que de gronder tout seul des plaisirs du prochain.

M. Duru.

L’impertinente ! Eh bien, qu’en penses — tu, compère ?

M. Gripon.

J’ai le cœur un peu dur ; mais après tout que faire ?

La chose est sans remède, & ma Phlipotte aura Cent Avocats pour un si-tôt qu’elle voudra.

Mad. Duru.

Eh bien, vous rendez — vous ?’

M. Duru.

Çà, mes enfans, ma femme, Je n’ai pas, dans le fond, une si vilaine ame.

Mes enfans font pourvus. Et puisque de son bien, Alors que l’on est mort, on ne peut garder rien, Il faut en dépenser un peu pendant sa vie ; Mais ne mangez pas tout, Madame, je vous prie.

Mad. Duru.

Ne craignez rien, vivez, possédez, jouïssez.

M. Duru.

Dix fois cent mille francs par vous sont-ils placés ?

Mad. Duru.

En contrats, en effets, de la meilleure forte.

M. Duru.

En voici donc autant qu’avec moi je rapporte.’{ Il veut lui donner son porte — feuille, & le remet dans sa poche.)

Mad. Duru.

Rapportez — nous un cœur doux, tendre, généreux : Voilà les millions qui font chers à nos vœux.

M. Duru.

Allons donc ; je vois bien qu’il faut, avec confiance ; Prendre enfin mon bonheur du moins en patience.