La Figure de proue/Retour dépaysé

La bibliothèque libre.
Eugène Fasquelle (p. 131-134).

Retour dépaysé

I

C’est partir, revenir et repartir encor.
C’est Paris, c’est la Seine et tout l’Ouest humide
Où l’on avait souvent médité sur la mort.
On n’aura plus son front à la vitre viride,
On ne s’assoira plus devant les beaux grands feux
Normands, comme autrefois, par les soirs sérieux,
Quand les siècles pesaient au front de quinze années.

Maintenant, plus de vitre et plus de cheminées
Quotidiennes d’un passé désenchanté.
J’ai pris la grande route et ne puis m’arrêter.
Ayant connu la joie et le mal du voyage,
Je ne puis jamais plus être que de passage…


Chère âme, ne prends donc aux fleurs que leur parfum.
Sache quitter toujours quelque chose ou quelqu’un,
Et, d’étape en étape et d’envie en envie,
Chevauche ! Sois un bon cavalier de la vie !
Romps tes muscles, mon âme, ô voyageur en feu,
Et ne veuille qu’un mot joyeux et dur : Adieu !

II

Tu es là, le Louvre, avec ta façade,
Ta base dans ta Seine fade,
Tes clochetons dans ton ciel gris.
Tu es ma France, mon Paris,
Tu es ce que j’aimais et tu es ce que j’aime,
Tu es moi-même…

Et pourtant j’ai le cœur serré
D’un souvenir d’Afrique et de sable doré,
D’Afrique où je retournerai,
De sable où je sens que, peut-être, je mourrai ;
D’Afrique si mélancolique,
Où tant j’ai regretté ta façade historique,
Où je t’ai regretté, mon Louvre, mon enfance,
Où je te regrettais, ma France.


Pourquoi mon cœur sent-il qu’on a brisé son nid ?
Qu’y a-t-il donc en moi de tellement fini
Pour que mes yeux te voient face à face, ma France,
Avec plus de regret qu’au temps de mon absence ?