La Fille aux voluptés défendues/6

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(pseudonyme, auteur inconnu)
Éditions du Vert-Logis (p. 121-138).


VI


Sarah éprouvait une sincère émotion à l’idée de se présenter devant l’épouse légitimé de son mi-amant. Elle conservait ainsi encore quelques principes de morale que l’ambiance moderne n’avait point ternis.

Lorsque Louis lui avoua qu’il avait parlé de leurs relations à sa femme, elle en avait été stupéfaite ; mais sa jeunesse l’empêcha de reconnaître franchement son étonnement et elle s’enveloppa de cynisme pour bien paraître à la page.

Ce fut pourquoi elle accepta cette visite qui, en réalité, ne lui procurait aucune joie. D’après ce que le jeune homme lui avait dit, elle s’attendait à voir une personne guindée, dépourvue de sensualité et, par surcroît, revêche.

Cet émoi la harcela depuis le commencement de la semaine et elle essaya habilement, à diverses reprises, de remettre cette visite aux calendes grecques.

Fontaine avait tenu bon, confiant en l’habileté de son épouse pour lui fournir la clé mystérieuse lui permettant d’ouvrir la retraite cachée de la vierge.

Il s’attachait, en effet, de plus en plus à la jeune fille, justement parce qu’elle ne lui donnait rien et réclamait de sa faiblesse les pires turpitudes.

Il se pliait sans dégoût aux manifestations les plus extraordinaires de son imagination en délire.

D’ailleurs, l’audace de Sarah s’accroissait avec les facilités ; elle se figurait désormais que tout lui était dû parce qu’elle appartenait par hasard, au sexe féminin.

Louis ignorait évidemment ce qu’il ferait lorsque la jeune fille lui aurait appartenu, probablement il s’en détacherait comme de ses précédentes maîtresses.

Yvonne, sa femme, qui n’était point dépourvue d’intelligence, avait parfaitement compris que tant qu’il demeurerait ainsi en suspens, la liaison ne ferait que s’affermir. Elle souhaitait donc en son for intérieur que la situation se liquidât au plus tôt, pour sa propre tranquillité.

Cette idée, jointe aux désirs d’étonner la jeune fille, devait en faire une complice fidèle de l’époux. Elle espérait naturellement voir clair très vite en l’âme ingénue d’une vierge ; ce en quoi elle se trompait avec Sarah.

Le jeudi donc, Louis fut exact place de la Concorde. En revanche, Sarah, qui se sentait un peu intimidée, arriva en retard.

De loin, elle l’aperçut qui lui adressait des signaux de ses deux bras levés. Elle sourit et activa le pas.

Dès qu’elle fut près de lui, il la serra dans ses bras :

— Ma petite Sarah, à chaque fois que je [te] vois, je t’aime un peu plus !

Elle se dégagea sans brusquerie, et remit de l’ordre dans ses boucles brunes.

— Ta femme va dire que je suis coiffée comme un chien fou.

Il la poussa à l’intérieur de la voiture.

— Elle te trouvera charmante, elle a de la jugeotte… ce qui lui manque, évidemment, c’est du tempérament.

La voiture roulait doucement, avec des arrêts brusques. Louis profita de l’inaction obligée pour glisser une main dans les propriétés privées de sa compagne.

Elle lui montra ses dents en signe de contentement et murmura :

— Au bout du compte, ça va être une après-midi de perdue. Ta femme ne nous donnera pas un coup de main.

Il fronça un sourcil songeur.

— Je verrai ça, on tâchera de cavaler de bonne heure !

La voiture stoppa et ils mirent pied à terre. Sarah regardait autour d’elle, d’un air étonné, comme si elle ne fût jamais venue en ce quartier.

Il la prit par le bras et l’entraîna, dans la pénombre de l’escalier il s’arrêta pour embrasser, seulement aux lèvres, la jeune fille à demi pâmée.

Ils atteignirent le troisième étage et Louis fouilla dans sa poche, à la recherche de sa clé.

Sarah, auprès de lui, sentait son émotion grandir. Elle se disait que dans un instant, elle allait se trouver en présence d’une dame qui avait joué le grand jeu avec Louis bien qu’il fût un chimpanzé. Il lui semblait très drôle également qu’elles tirassent l’une et l’autre des arpèges du même instrument.

La porte s’ouvrit sans rébellion et le couple pénétra dans un vestibule sombre où flottait des parfums divers.

On entendit un jappement bref, puis un murmure.

— C’est Floc, le berger allemand ! expliqua Louis.

Sarah ne répondit pas, elle ménageait son souffle.

— Yvonne doit être au salon, dit le jeune homme à mi-voix.

Il s’enfonça dans l’obscurité, Sarah vit sa silhouette qui s’amenuisait vers la pénombre. Doucement, il ouvrait une porte et se lamenta :

— Oh !

Il pénétra dans la pièce ; Sarah ne bougeait pas, une angoisse lui embarrassait soudain le cerveau. Cependant, elle


Elle distinguait un corps de femme entièrement nue… (page 127)

entendit un chuchotement, puis une voix harmonieuse l’encouragea :

— Entrez donc, Mademoiselle !

La porte s’ouvrit complètement. Louis apparut à moitié dans le carré de lumière :

— Entre ! gronda-t-il, comme s’il lui eut lancé une injure.

Elle fit quelques pas et s’arrêta suffoquée. Louis tenait l’huis ouvert, mais plus loin, sur le tapis, allongé en une pose gracieuse, elle distinguait un corps de femme entièrement nu. Tout près, un berger allemand dressait les oreilles en guignant l’intruse.

À la mine ahurie de Sarah, Yvonne se retint de rire :

— Mais entrez donc ! répéta-t-elle avec une sorte d’impatience. Je prends un bain de lumière, ça ne vous dérange pas ?

Déjà la jeune fille s’était remise, elle avança d’un pas décidé, un flot de pensées se bousculaient dans son cerveau en délire.

Yvonne lui tendit languissamment une main soignée :

— Je suis contente de faire votre connaissance. Léon m’a tant parlé de vous.

Elle attira un pouf sur le tapis et offrit :

— Asseyez-vous là.

Sans embarras, Sarah se débarrassa de son feutre et de son manteau qu’elle tendit à l’amant, puis s’écroula sur le coussin. Elle riait, maintenant amusée par l’imprévu de la situation. Elle regardait Yvonne, sans se troubler et essayait de se livrer à un calcul mental de dimensions. Elle pensa :

— Louis est un chimpanzé, mais elle n’a pas l’air d’en souffrir.

Le jeune homme était revenu et tendait aux jeunes femmes son étui à cigarettes. Elles en allumèrent chacune une, lentement, comme avec précaution.

Yvonne se trémoussait habilement, relevant tantôt un genou, tantôt un autre, se déplaçant graduellement afin que Sarah se trouvât devant elle.

En revanche, elle se montrait peu loquace et Louis faisait tous les frais de la conversation. À cheval sur une chaise, il s’efforçait d’avoir de l’esprit, mais le démon de la chair le tourmentait.

Yvonne souriait à la jeune fille, elle l’examinait aussi, la jaugeait, mesurait son degré de perversité. Elle devinait en elle, un tempérament mou, pas ardent, mais sensuel, aimant à être dorloté, caressé, mais nullement impatient d’accouplement. Elle s’étonnait de la différence qui existait entre elles deux. Pour sa part, elle méprisait les préliminaires, allant droit au but dès que le désir se manifestait, mais ensuite, elle se sentait libérée pour un certain temps, l’esprit plus léger, le corps plus agile.

Quand elle se décida à parler, ce fut pour dire brièvement à son mari :

— Laisse-nous, mon chéri, nous avons un tas de confidences à nous faire !

Il se leva pour obéir, Sarah dissimula une grimace, ne prisant guère ce tête-à-tête avec une femme nue.

Force lui fut d’accepter la situation et aussitôt la porte refermée sur Louis, Yvonne attira la jeune femme dans ses bras.

Immédiatement, elle constata que celle-ci ne portait point de pantalon et en conclut que les choses en seraient simplifiées.

D’ailleurs, elle n’avait aucune idée arrêtée, l’imprévu lui suffisait, elle souhaitait que se produisit un nouvel incident sortant de la normale, mais manquait de l’imagination nécessaire pour le créer.

En souriant, ne tentant rien pour s’aider, ni pour se défendre, Sarah se laissait dévêtir.

Sa compagne remarqua :

— Comme vous êtes grassouillette !

Elle ne répondit pas, l’esprit occupé soudain par une idée fixe : le désir de mesurer le gabarit d’Yvonne pour le comparer au sien propre. Ainsi, supposait-elle, une base solide lui permettrait de prendre une résolution dans l’avenir prochain.

Yvonne l’attirait contre elle et, câline, essayait de la confesser. Naïvement, Sarah lui affirma qu’elle ignorait pour quelle raison, elle se refusait à se donner :

— C’est comme ça et voilà tout !

La jeune femme ne comprit pas, elle sentit cependant qu’il n’était pas en son pouvoir de faire changer d’idée la petite amie.

Un moment, elles s’occupaient au mieux, puis le chien, dressé sur ses pattes, jappa furieusement

— Il est jaloux, expliqua Yvonne avec un sourire mourant.

Sarah, nullement tranquille, regardait la bête d’un œil inquiet. L’animal, avec audace, la flairait, paraissant hésiter sur la conduite à faire.

— Il va me mordre ! gémit Sarah, tremblante.

Yvonne la serra un peu plus fort :

— Mais non, il a l’habitude…

Le chien, la queue en trompette, l’allure résolue trottinait autour d’elles ; parfois, il faisait entendre un grognement de mauvaise augure.

Sarah se rejeta légèrement en arrière :

— En voilà une drôle d’idée d’avoir une sale bête comme ça auprès de soi !

— Une sale bête ! susurra Yvonne, si tu savais comme il est doux avec moi !

Elle reprit contre elle la jeune fille et celle-ci, une minute, oublia le chien, tout tourbillonnait autour d’elle, son corps charnu et blanc était secoué de tressaillements rapides.

La porte s’ouvrit, Louis entra subrepticement, contemplant le couple. Sa femme s’étonna :

— Pourquoi reviens-tu ?

— Vous n’avez pas besoin de moi ? demanda-t-il ingénuement.

Sarah se redressa sur son séant :

— Mais si, reste donc !

Elle espérait ainsi faire cesser ce tête-à-tête qui, au bout du compte, lui déplaisait. En outre, elle se croyait maintenant suffisamment renseignée.

— Quelle jolie vierge ! assura Yvonne, afin de tranquilliser son époux qui, malgré sa science, conservait encore un doute.

Il s’assit à terre, et Sarah lui demanda une cigarette qu’elle alluma gaillardement.

Ils demeurèrent ainsi à bavarder aimablement, comme s’ils eussent été dans le dernier salon où l’on cause. Les deux femmes ne paraissaient nullement gênées par leur extrême nudité, bien au contraire

Louis parlait peu, il dévorait Sarah des yeux ; sa passion aurait été visible même pour le témoin le moins averti. Yvonne ne tarda pas à s’en apercevoir ; ce ne fut point la jalousie, sentiment excessif dont elle était incapable, qui la tourmenta un moment, ce fut la crainte que l’homme, lui assurant le pain quotidien entouré de confiture, lui manquât.

Elle connaissait suffisamment l’époux pour le croire dépourvu de logique autant que de bon sens. N’était-ce point d’ailleurs le but secret de la jolie vierge qui se refusait avec tant de persévérance.

Tout cela réuni incita l’originale épouse à agir avec énergie et promptitude.

Elle ignorait encore ce qu’elle ferait mais certainement elle agirait.

En attendant, elle intima :

— Mon chéri, fais-nous du thé. Tu sais que je n’ai pas de boniche aujourd’hui.

Il s’éloigna à regret, mais revint bientôt chargé d’un plateau. Il y avait du thé et des biscuits pour les dames, mais pour lui un vieux porto.

Le tapis leur servit de table et ils eurent l’air de se trouver en pique-nique sur une pelouse verdoyante. Ce fut d’ailleurs l’occasion de multiples jeux innocents.

Lorsqu’il s’agissait de Sarah, Louis apportait quelques variantes charmantes à ses recherches ; pour sa femme, il opérait avec rapidité.

Sarah s’amusait fort, elle riait avec des éclats cristallins, tandis que son joli corps charnu se roulait sur la carpette.

Sarah, cependant, qui ne perdait jamais complètement son sang-froid, consulta sa montre de poignet. Elle se redressa ensuite d’un bond :

— Il me faut rentrer, sinon comment je me ferais arranger par mon dab !

On la prit au sérieux, et chacun s’empressa à l’aider à se rhabiller. Ce fut d’ailleurs rapide, le nombre réduit des vêtements rendait la tâche facile.

En son simple appareil, Yvonne la reconduisit jusqu’au palier. En lui serrant la main, elle pria :

— Tu reviendras me voir, ma jolie Sarah ?

La jeune fille promit, à condition naturellement que Louis fût là.

Celui-ci prétendit l’accompagner. En bas, ils trouvèrent un taxi aisément et ils se blottirent l’un contre l’autre sur la banquette.

— Tu t’es bien amusée ? s’inquiéta le jeune homme.

Elle esquissa une moue désabusée :

— Bien moins que quand nous sommes tous les deux.

Il fut flatté et l’étreignit avec frénésie, l’embrassant sur la bouche avec l’ardeur d’un fiancé chaste.

Elle mit pied à terre non loin du logis et poursuivit sa route calmement.

Si elle avait prétendu être en retard, c’était uniquement afin de mettre un terme à une distraction qui ne l’amusait plus. Ce contact perpétuel d’une femme nue ne lui plaisait guère, elle n’avait plus la sensation précieuse de dominer comme lorsqu’elle se trouvait auprès d’un homme.

Quand elle pénétra au salon où son père et sa mère étaient encore réunis, Clarizet lui fit un compliment sur sa bonne mine.

Elle sourit innocemment :

— Je me suis bien promenée, ça m’a reposée.

— Elle travaille trop, cette enfant ! gémit Madame Clarizet.

À table, elle fit honneur au dîner et, plus tard, dans sa chambre, elle s’endormit au milieu d’un rêve charmant.