La Fille aux voluptés défendues/Texte entier

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(pseudonyme, auteur inconnu)
Éditions du Vert-Logis (p. 7-249).


CHAPITRE PREMIER


Elle s’appelait Sarah, non point qu’elle fût israélite, mais parce que son père aimait les noms bibliques. Dès sa naissance, elle marqua un penchant certain pour une sorte de sensualité languide, profonde. Elle aimait ses aises et se roulait sur un édredon de plumes avec des mouvements de jeune chatte.

À six ans, elle suçait encore son pouce, manifestant pour cette succion un plaisir nullement dissimulé, sans doute envisageait-elle déjà l’avenir !

Ses goûts pour la nourriture n’avaient rien de bizarres et pourtant restaient particulier autant que précis.

Les ailes de son nez, élégamment dessinées, palpitaient lorsque flottaient des odeurs fortes, quoi qu’elle évitait plutôt les parfums habituels dont les coiffeurs sont si généreux.

En somme, elle formait déjà un petit être parfaitement établi, sachant ce qu’elle aimait, ce qu’elle souhaitait, bien qu’une honnête timidité l’empêchât de le divulguer au prochain.

Ce fut la lecture des classiques qui parut fixer définitivement ses penchants. Rabelais l’incita à abandonner momentanément le papier, pour le remplacer par la fourrure de sa maman : un renard de l’Alaska.

Elle éprouvait une joie profonde à se promener sur l’arrière-train cette toison abondante et douce.

Ce fut à cette époque que sa mère, Madame Clarizet, trouva que sa fourrure sentait le fauve. Elle la donna à sa voisine qui en fit ses dimanches.

Sarah ressentit sa première satisfaction unique en voyant le renard de l’Alaska au cou de Madame Petitmangin, la voisine.

N’ayant plus de toison pour cet usage intime, elle essaya divers procédés, ainsi que le recommandait Rabelais. Aucun ne lui plut d’une façon particulière.

Elle avait alors quatorze ans et, de caractère plutôt timide, elle demeurait en une apparente sagesse. Nous entendons par là qu’elle ne se promenait point en compagnie de garçons de son âge, ainsi que le pratiquaient ses compagnes de lycée. En revanche, elle aimait les longues solitudes, au cours desquelles, d’un doigt agile autant qu’expert, elle effeuillait la rose inépuisable des désirs.

Ainsi, son imagination puérile s’habituait doucement aux extravagances, tandis que l’ordinaire nature lui apparaissait déjà comme un plat sans saveur.

À quoi devait-elle ce tempérament ? demanderont de doctes savants. Mon Dieu ! à une enfance très douce, croyons-nous, enfance suivie d’une adolescence plus douce encore, dans un intérieur paisible aux habitudes régulières.

Monsieur Clarizet, qui n’aurait jamais inventé la poudre, se constitua cependant une fortune rapide durant la guerre. Trois ans après l’armistice, il se retirait pour ne plus pratiquer que la belote et les plaisirs honnêtes.

Sarah avait alors seize ans, et si elle prisa ce changement dans l’existence, elle n’en dit rien à personne et s’accoutuma vite au demi-luxe nouveau.

Madame Clarizet, en effet, n’avait rien de pervers, elle était grasse, peu portée à l’effort physique. Par contre, d’un heureux caractère, elle souriait à la vie, à son mari, à sa fille ; en résumé, elle ne cessait de sourire.

Cette sérénité de vache laitière ne la portait point aux grandes dépenses de la vie mondaine. Elle préférait un intérieur douillet, une table soignée et une aimable paresse.

Si Sarah allait au lycée, c’était beaucoup parce que l’on ne savait trop que faire d’elle pendant le cours du jour. Elle apprenait cahin, caha, une multitude de choses, mais n’y attachait une réelle importance.

À cette époque, le rêve chez elle avait été élevé à la hauteur d’une habitude d’hygiène. Tandis que sa mère somnolait dans la salle à manger, et que son père caressait la dame de pique, elle s’enfermait en sa chambre virginale de jeune fille et, dans un retroussis élégant, elle faisait vibrer ce que nous pourrions appeler la corde sensible de son âme puérile.

Cependant, les conversations de ses compagnes, ses lectures, lui donnaient lentement une relative curiosité ; en réalité, plus de curiosité que de désirs, ceux-ci trouvant leur exutoire dans les vibrations de sa harpe personnelle.

Malheureusement, cette curiosité ne pouvait se satisfaire, à cause de la timidité qui la retenait. Elle avait, certes, pour les hommes rencontrés dans la rue des regards audacieux, des rires moqueurs, mais elle s’éloignait à la moindre tentative.

Il ne faut pas oublier qu’elle vivait en une réelle solitude, auprès des parents satisfaits. La mollesse de Madame Clarizet l’empêchait de fréquenter de nombreuses relations et les hommes qui venaient au logis auraient craint d’être honnis par leurs concitoyens s’ils avaient seulement essayé de troubler l’âme limpide d’une jeune fille par un simple propos égrillard.

Sarah, en son for intérieur, les traitait tous de vieilles pantoufles, et n’attachait à leur présence qu’une importance fort réduite.

Mais, comme il se doit, Sarah avait un cousin, et qui s’appelait Léon. Ce nom fut d’abord pour la jeune fille un sujet de facile moquerie. Puis, un jour, elle constata que Léon avait autant de timidité qu’elle-même et que, de surcroît, il possédait près de deux années de moins qu’elle.

Cette situation l’enhardit ; elle commença par tyranniser le benêt qui aimait à se trouver auprès de sa jolie cousine.

Au début, elle le pinça, le secoua, ensuite, elle passa aux calottes qu’elle lui administra au hasard. Enfin, elle se livra à des essais de lutte qui, malgré les contacts, ne lui apprirent rien de ce qu’elle voulait savoir.

Madame Clarizet assistait à ces ébats et, en sa sérénité, ne s’en émouvait point ; elle répétait avec son rire bonasse :

— Sont-ils enfants !

Naturellement, Léon éprouvait un plaisir terrible à ces jeux ; il en parlait à un camarade intime et, ensemble, ils essayaient à mi-voix, de détailler l’anatomie de Sarah. En leur innocence, ils ne parvenaient qu’à des à peu près, bien loin de les contenter.

Léon vint d’abord tous les jeudis, puis il s’arrangea à se trouver sur le passage de Sarah lorsque celle-ci rentrait au logis. Avec un rire elle l’entraînait à l’appartement Clarizet et les bousculades commençaient immédiatement.

Peu à peu, elle domptait ainsi le garçon, s’habituait à lui et gagnait chaque jour plus d’audace. Ils riaient aussi parfois de mots égrillards prononcés à voix basse, et cela créait entre eux une aimable complicité.

Un jeudi, que Sarah n’avait pu caresser son rêve quotidien par suite d’un incident imprévu, Léon arriva.

La jeune fille, l’âme troublée, n’eut pas envie de se livrer à des plaisanteries gymniques. Elle préféra ouvrir sagement un livre sur la table, tandis que Madame Clarizet, qui tricotait devant la fenêtre, leur tournait le dos.

Ils s’assirent côte à côte, fort près ma foi, et échangèrent à voix basse des propos légers. De temps à autre fusait un rire étouffé.

Décidément, Sarah sentait que sa séance de rêve lui manquait, une gêne indécise se cachait en son corps nubile. Ce fut sans doute ce qui lui donna de la hardiesse.

Sa main quitta la table et tout d’abord pinça la cuisse de Léon.

Celui-ci esquissa une grimace qui voulait être un rire ; mais la main de la jouvencelle avançait avec une prudence de serpent.

Léon, crispé, attendait, il n’osait esquisser un mouvement, de crainte de rompre le charme.

La table avait un somptueux tapis à l’ancienne mode et qui masquait la vue de l’autre côté de la pièce. Sarah jugea que ce paravent était suffisant pour protéger la pudeur maternelle.

Maintenant, Léon tremblait, parce que l’astucieuse cousine avait fait jaillir du tréfonds de son être des désirs jusqu’alors insoupçonnés.

Patiente, elle se livrait à des investigations minutieuses et, malheureusement, pour satisfaire sa curiosité, ne pouvait user que de ses mains.

Léon se mordait les lèvres, une bouffée de chaleur lui montait au visage, ses yeux brillaient, ses joues rougeoyaient.

Sarah le considéra avec un sourire interrogateur, mais il ne dit rien, n’apportant aucune précision aux investigations de la jeune fille. Celle-ci, sans méfiance, continua.

Une catastrophe était inévitable, elle ne tarda pas à se produire, catastrophe dont les complices s’effrayèrent.

Léon eut bien un sursaut, un faible appel ; trop tard, hélas !

Sarah fut étonnée.

Jamais elle n’aurait prévu pareille solution.

— Les enfants sont-ils drôles ! murmura Madame Clarizet à demi assoupie.

Sarah étudiait toujours, puis elle fit de son mieux pour effacer les traces du trouble inattendu de son fidèle cousin.

Celui-ci, en hâte, avait remis de l’ordre en sa toilette, si bien que lorsqu’elle se redressa et que son visage fut au niveau des genoux du garçonnet, elle ne vit plus rien. Elle en éprouva du mécontentement et lui bourra les côtes d’un coup de poing.

— Pourquoi que tu fais comme ça ?

Riant bêtement, il souleva ses épaules juvéniles :

— Je ne sais pas, ça me gêne maintenant.

Il exhiba sa dentition saine.

— Tout à l’heure tu n’étais pas gêné !

Quatre heures sonnèrent, Madame Clarizet leur demanda s’ils souhaitaient goûter. Mais Léon ne désirait plus rien, sa jolie cousine ne l’intéressait plus. Il refusa et fila, la casquette sur l’oreille, l’air désinvolte.

Par la fenêtre, Sarah le vit s’éloigner et murmura :

— L’ingrat !

Elle n’eut pas de haine, mais une sourde volonté de vengeance. Elle s’étonnait qu’il n’eût pas autant de curiosité qu’elle-même, tandis qu’elle se sentait prête à lui dévoiler tous ses secrets.

Elle grinça des dents et se jura qu’il les examinerait quand même.

Après un goûter hâtif, elle s’enferma dans sa chambre et imagina les tourments qu’elle infligerait à l’égoïste lorsque l’occasion se présenterait.

Il n’en est pas moins vrai que la soirée entière elle fut troublée par ce souvenir de quelques minutes d’un jeu nouveau.

Son père, en rentrant de la belotte quotidienne, lui caressa la joue :

Un peu pâlotte, fifille, tu travailles trop à tes études.

Elle agita ses boucles brunes en signe de dénégation :

— Mais non, c’est le contre-jour qui me fait paraître pâle.

Madame Clarizet sourit, attira sa chaise vers la table et attendit placidement le dîner.

Sarah n’égaya point ce repas de ses propos joyeux, il y avait en son esprit un souci. Elle se remémorait les confidences de compagnes et cherchait à s’imaginer Léon jouant, auprès d’elle, le rôle d’ordinaire dévolu au monsieur.

Cette idée la fit rire : Léon était un petit cousin et non point un monsieur. Il ne serait jamais auprès d’elle qu’un ersatz nécessaire.

Elle fut se coucher plus tôt que d’habitude et s’endormit plus tard. Le résultat fut que le lendemain, en partant au lycée, elle avait les paupières lourdes et les reins brisés.

Cependant, elle souriait à la vie, ne s’émouvant point des légers excès que sa jeunesse robuste rendait supportables.

En classe, elle fit part à une voisine amie de ses connaissances nouvelles, fournit des précisions. L’autre, qui trompait ses impatiences en compagnie d’une camarade, se montra intéressée. Habilement, elle adressa des avances à Sarah, espérant conduire celle-ci aux plaisirs de Sapho.

Mais la jeune fille était instinctivement réfractaire à ce genre de distraction.

En réalité, sa sexualité venait à peine de s’éveiller, ce qu’il y avait en elle, auparavant, c’était une sensualité voluptueuse, un goût languide pour les sensations profondes, quelles qu’elles fussent. Le rêve appartenait à cette sensualité, à ce besoin inné de stimuler un tempérament empreint de la mollesse maternelle.

L’amie s’autorisa à son tour des confidences qui la rendirent songeuse.

L’après-midi, lorsqu’elle retourna au lycée, elle n’avait point de pantalon, éprouvant une satisfaction très douce au contact de ses cuisses tièdes, l’une contre l’autre.

À quatre heures, quand elle rentra, elle chercha Léon des yeux aux alentours. Mais Léon n’était point là retenu par les préparatifs d’une importante partie de rugby.

Elle fut déçue et mesura dès cet instant l’égoïsme masculin. Ce fut plus que de la rancœur qu’elle éprouva, plutôt une sorte de haine sourde, placide, qui s’accommodait avec son tempérament ennemi de l’effort physique.

Dans sa chambre, elle rêva, mais si dans ce rêve elle tenait la place de l’héroïne, Léon faisait figure de l’esclave tyrannisé. Tyrannisé, non par de la brutalité ou de la sauvagerie, mais par une sorte de malignité sournoise qui l’obligeait à mille turpitudes.

À ces images bizarres, elle goûta un plaisir nouveau qui se fixa dans son esprit, formant la base inconsciente de son érotisme futur.

Après le dîner, elle voulut répéter l’expérience, ignorant l’épuisement ou la fatigue physique. D’ailleurs, par une sorte de précaution instinctive, elle n’allait jamais jusqu’au bout du rêve, laissant la chair en suspens, réservant la solution pour la minute ultime où elle aurait enfin envie de dormir.

Le lendemain matin, elle se réveilla fort guillerette, certaine que la journée ne s’écoulerait pas sans qu’elle vit le charmant Léon.

La classe, les divagations d’un professeur en mal de pédagogie, la laissèrent indifférente, les joues dans les mains, elle contemplait le tableau noir et y voyait se dessiner progressivement l’emblème extravagant, attribut sacré de la force productrice dans la nature.



CHAPITRE II


Lorsque le soir de ce même jour, Sarah rentra au logis, elle aperçut Léon, confus et inquiet, qui l’attendait en une encoignure.

Comme ses plans étaient dûment préparés, elle n’eut aucune hésitation. À l’infidèle, elle ne manifesta aucune rancune, se contentant de lui recommander :

— Tu vas monter derrière moi, tu te cacheras sur le palier pour que la boniche ne te voie pas quand elle viendra m’ouvrir. Ensuite, lorsqu’elle aura regagné sa cuisine, je t’entrebâillerai l’huis et nous gagnerons ma chambre.

Il acquiesça d’un sourire polisson et tout se passa comme la jeune fille l’avait prévu.

Dans la chambre, en cette demi-solitude, ils eurent l’un et l’autre une courte hésitation. Ce fut Sarah, encore une fois, qui prit les devants, si l’on put s’exprimer ainsi.

Elle s’assit sur son lit, les genoux hauts, avec au coin des lèvres un rire moqueur.

Léon rit également, d’un air bête, ainsi qu’il est de coutume chez un garçon de quatorze ans.

— Tu n’as pas de pantalon, t’as peut-être trop chaud ?

Narquoise, elle affirma :

— Si, j’en ai un, regarde de plus près, tu t’en apercevras.

Il obéit, quoi qu’il eût déjà une certitude. Sarah ricanait, se prêtant bénévolement à ses investigations oculaires.

Elle l’aida même en se dépouillant d’une robe superflue et, dès cet instant, il lui fut possible de prendre l’objet en main.

Naïf, il se complaisait en ces recherches scientifiques, d’autant que Sarah le guidait et de la voix et du geste.

Évidemment, ils ne hasardèrent que des jeux puérils, ignorant encore les finesses des préparatifs et les douceurs des préceptes de Sapho.

Mais, à son tour, le garçon réclama que l’amie lui vint en aide.

Sérieuse, elle feignit de ne rien voir ; elle se rappelait qu’une fois déjà elle avait travaillé sans obtenir aucune récompense.

En désespoir de cause, il s’occupa d’elle encore et finalement elle connut toutes les extases qui s’accompagnaient de petits tressaillements convulsifs.

Puis, quand elle se jugea satisfaite, elle redressa un front hautain, revêtit sa robe et annonça :

— Maintenant, tu peux t’en aller !

Il demeura stupide, prouvant de son mieux qu’il restait en suspens.

Cynique, elle ricana et ne lui accorda qu’une pichenette dédaigneuse.

Fâché, il s’installa dans un fauteuil, tandis que la jeune fille allait et venait en fredonnant, coulant, cependant, parfois un coup d’œil curieux du côté du compagnon.

Celui-ci, également, la narguait d’un air goguenard semblant dire :

— En somme, je n’ai pas besoin de toi !

Cependant, elle fut complètement renseignée et, pour l’instant, ne désira pas autre chose.

Dès le lendemain, elle méprisa définitivement la classe, se contentant de faire acte de présence. En revanche, elle repassa en sa mémoire tous les incidents de la veille, et, par déduction, se constitua une théorie de l’amour bien personnelle.

À midi, elle mangea peu, un crabe mystérieux semblait lui étreindre l’estomac. Le père, toujours sagace, lui dit :

— Tu es pâlote, fifille !

Elle éclata de rire :

— Tu me dis tout le temps cela… ce doit être ma couleur naturelle.

— C’est la croissance, fit la mère placide, étalant sur son ventre rebondi une serviette.

Sarah fila à l’école cette après-midi là, avec l’idée unique du retour. Maintenant, elle éprouvait de l’impatience et probablement plus que son complice dont l’énervement restait plus fugitif.

Néanmoins, ayant suffisamment joué au foot-ball, il fut là à l’heure prescrite et ils opérèrent avec autant de précaution que la veille.

Sarah n’eut pas d’hésitation : une fois dans sa chambre, elle se dépouilla de sa robe et circula allègrement en une courte chemise qui découvrait ses genoux charnus.

Léon se montrait plus hésitant ; la jeune fille bonasse l’encouragea :

— Fais comme moi, mets-toi à ton aise.

Il hasarda :

— Et ta mère ?

Les poings sur les hanches, retroussant un peu plus haut sa chemise minuscule, elle railla :

— M’man, elle tricote, un bombardement aérien ne la ferait pas bouger !

Il la crut et se débarrassa d’une veste et d’une culotte encombrantes.

Ils demeurèrent étonnés, face à face, en ce simple appareil. Léon, qui s’était renseigné durant le jour auprès d’un camarade plus âgé, aurait bien voulu oser le geste décisif. Pourtant, il n’en fit rien et, encore une fois, ce fut Sarah qui s’assit sur le lit, lui indiquant d’un doigt autoritaire ce qu’elle désirait.

Espérant une récompense, il se plia à une première fantaisie, puis à une seconde, une troisième, lorsque la complice parut se lasser. Elle avait des rires brefs, convulsifs, se tortillait comme une couleuvre juvénile.

Enfin, elle donna des ordres plus précis, l’obligeant à lui procurer les suprêmes délices.

Certes, il opéra maladroitement, mais cette maladresse elle-même avait une saveur particulière pour la jeune fille.

Enfin, elle le repoussa et, comme la veille encore, l’avertit :

— Tu peux t’en aller, j’ai plus besoin de toi !

N’aurait été la crainte salutaire de la maman toute proche, il se serait livré à un esclandre, aurait fait du tapage.

Boudeur, il fut s’installer sur le fauteuil ainsi que le jour précédent.

Toutefois, les détails qu’il avait appris dans le cours de la journée, il tint à les rapporter à l’associée, espérant vaguement ranimer ses désirs. Il expliquait avec intelligence, comme à un cours pratique, indiquant la place respective des différents objets dans l’œuvre de la procréation, la gymnastique suédoise qui était nécessaire pour compléter l’illusion du parfait bonheur.

Sarah savait un peu tout cela, mais la précision n’était point pour lui déplaire, d’autant que Léon, en un noble emballement, croyait déjà y être.

Plantée devant lui, les mains aux hanches, elle écoutait d’une oreille attentive, se gardant cependant de prêter, ce que l’on pouvait appeler main-forte au jeune garçon. Elle lui gardait rancune de son égoïsme du premier jour et ne se voyait pas prête de lui pardonner.

Tout a une fin en ce monde, les explications de Léon se terminèrent par une explosion qui arracha à Sarah un rire cristallin.

Dédaigneuse, elle lui tendit une serviette en intimant :

— Mouche… ton nez, grand idiot !

Ce qualificatif acheva de le désemparer et il n’eut plus que la hâte de s’éloigner.

De nouveau seule, Sarah réfléchit longuement, et le lendemain, en classe, elle partagea sa science toute neuve avec une compagne.

Celle-ci, prudente, lui conseilla :

— T’avises pas à ça, malheureuse, on attrape des enfants comme rien…

Et sérieuse, pudique, elle ajouta :

— Moi, je me conserve pour mon mari !

Sarah frissonna de terreur, elle se vit en imagination procréant des enfants « comme rien ». Ces simples mots eurent une influence considérable sur le cours de sa vie future, elle allia toujours en son esprit l’idée de l’accouplement à celui de la procréation inéluctable. Mais, d’autre part, sa sensualité naturelle la tyrannisait et il résultait de ce mélange des bizarreries qui, de prime abord, paraissaient inexplicables.

Le soir de ce même jour, elle reçut encore Léon dans sa chambre, et dès qu’ils furent ensemble, elle l’avertit que désormais, il ne devait plus lui demander ce qu’il lui avait demandé la veille. Il n’entrait pas dans ses intentions de jouer à la fille-mère.

Il avait quatorze ans, cette décision ne pouvait l’émouvoir beaucoup, il se contenta des à peu près puérils que lui concédait sa cousine.

Chaque jour, ainsi, ils passèrent ensemble deux longues heures de béatitude. Cependant, pour que la jeune fille daignât lui rendre un ultime service, il lui fallait longuement se soumettre à de multiples fantaisies que Sarah imaginait avec une adresse diabolique. Le souvenir de la fourrure maternelle lui revenait continuellement en mémoire et c’était régulièrement Léon qui pâtissait de cette réminiscence. D’ailleurs, il s’habitua lui-même graduellement, et bientôt plus rien ne l’étonna.

Deux années s’écoulèrent en cette douce monotonie. La sexualité de Sarah ne se montrait toujours point tyrannique et les sensations passagères, souvent répétées, suffisaient à apaiser sa chair en évolution. Elle était de ces natures de formation lente qui laisse l’adolescence en une relative quiétude. En Léon, elle avait trouvé un exutoire à son besoin de sensations et s’en contentait.

Mais tandis qu’elle atteignait dix-huit ans, Léon arrivait à sa seizième année. La bête en lui se révolta contre la tyrannie de la cousine et, un jour, il lui posa la question de confiance : to be or not to be. Sûre de son pouvoir, Sarah lui rit au nez ; il ne revint plus, ayant rencontré au Quartier Latin une compagne plus accommodante.

Sarah se trouva subitement enfoncée en une morne solitude, la compagnie du petit cousin lui manqua bientôt. En raisonnant, elle se dit : celui-là ou un autre… Ce fut le point de départ du changement définitif de toute sa vie.

Elle fréquentait encore le lycée, par habitude, préparant un tardif bachot. Elle s’ouvrit de ses inquiétudes à une amie qui, au su de tous, avait vu le loup en compagnie d’un jeune professeur du lycée de garçons. L’autre se moqua de ses craintes :

— Peuh ! on s’arrange… s’il fallait pondre un salé à tout coup, la vie deviendrait intenable.

Cependant, elle se refusa à lui fournir de plus amples précisions, se contentant de lui conseiller :

— Toute la question se résume à ne pas avoir affaire à des gamins qui ne connaissent rien !

Cette réflexion rendit Sarah songeuse, elle entrevit la possibilité de connaître les douceurs de l’amour en s’adressant aux hommes mûrs.

Dès ce jour, elle se montra plus assidue aux réunions familiales qui rassemblaient quelques joueurs de belote émérites.

Quoi qu’elle ne se l’avouait point, elle avait déjà jeté son dévolu secrètement sur un quinquagénaire encore suffisamment vert pour tenir son rôle. Il s’appelait Laveline, était veuf et possédait une fille de l’âge de Sarah, et par surcroît une barbe en pointe. Cette barbe surtout intriguait Sarah, à cause justement de la rareté de la chose parmi les spécimens masculins des jeunes générations.

À la première rencontre au salon maternel, elle se montra souriante et sut par une admiration puérile attirer l’attention du brave homme. Elle joua la comédie avec tant de finesse qu’il la considéra aussitôt comme une fille fort intelligente. Il l’invita :

— Faudra venir voir Odette un de ces jours !

Elle promit avec empressement, voyant là un moyen de resserrer une amitié naissante.

Les Laveline demeuraient en un antique appartement avenue des Ternes. Odette y était née, Madame Laveline y était morte.

Dès le lendemain, Sarah y courut en sortant du lycée. Elle espérait vaguement rencontrer le quinquagénaire plutôt que sa fille.

Pour cette Odette, elle n’éprouvait en réalité qu’une sympathie relative ; elles s’étaient connues au cours de danse, mais peu fréquentées. Odette, se contentant d’un brevet, avait tôt versé dans la dactylographie, mais ne travaillait que par intermittence. Sarah la considérait comme une grande dessalée et en avait un peu peur.

Par extraordinaire, elle la rencontra sur le seuil de l’immeuble, elle rentrait de promenade.

Sarah fut frappée de son élégance, depuis les chaussures guère composées que de languettes de daim, jusqu’au bibi de feutre noir, en passant par l’ample et cossu manteau de fourrure.

Belle blonde, à la lèvre charnue, aux traits réguliers, Odette avait le sourire engageant et le rire perlé.

Elle reçut la représentante de la famille Clarizet avec de grands transports de joie.

— Papa m’avait dit que tu viendrais. Tu ne peux te figurer comme ça m’a fait plaisir.

Elle l’entraînait par le bras vers les étages supérieurs, tout en babillant étourdiment.

Sarah aurait fort souhaité demander :

— Ton père est là ?

Mais elle se retint, craignant que l’on ne devinât ses intentions.

Odette ouvrit la porte de l’appartement et poussa la visiteuse en avant. L’antichambre était sombre, une senteur vague de remugle flottait.

Odette éclata de rire :

— C’est pas gai, hein, viens chez moi, il y a plus de lumière.

Elles pénétrèrent, en effet, dans une pièce claire dont les doubles fenêtres donnaient sur l’avenue. Sur le chiffonnier la jeune fille saisit une boîte et l’ouvrit :

— Une cigarette ?

Elle en choisit une elle-même et cavalièrement l’alluma, tandis que Sarah manifestait plus d’embarras. Un peu plus, elle considéra Odette comme une grande dessalée.

Celle-ci, toujours riant, l’installa dans un fauteuil et de sa voix au timbre un tantinet aigu, annonça :

— Mande pardon, faut que je donne un coup de téléphone.

Il y avait, en effet, un appareil accroché près du lit, ce pourquoi, Sarah conçut une grande admiration.

Un bruit de ressort la détourna de sa songerie passagère. Odette avait décroché le récepteur et criait :

— Allo !… Allo !

Sarah regarda et une stupeur se marqua dans ses grands yeux noirs.

L’amie, assise sur le lit, les jambes haut croisées laissaient voir une cuisse charnue et la naissance d’un ventre blanc aux reflets d’or. Sous le manteau de fourrure, elle ne possédait qu’une modeste chemise, sans doute par économie.

À la vue de la mine étonnée, elle éclata de rire, tout en téléphonant, puis raccrocha le récepteur :

— Pourquoi que t’as l’air ahuri ? Mon petit, le nu, il n’y a que ça !


L’amie, assise sur le bord du lit, les jambes haut
croisées, laissait voir… (page 38)

Elle le prouva en retirant son manteau encombrant.

Sarah se tenait droite, immobile en son fauteuil, les idées tourbillonnaient en son esprit, tandis qu’un sang brûlant lui montait aux joues.

Odette s’amusait de ce qu’elle prenait pour de l’innocence, quand ce n’était que le fruit d’un juste émoi.

Narquoise, toujours assise sur le bord du lit, elle affirma :

— Moi, j’ai une amusette !

Cette fois, Sarah s’abandonna, ne voyant pourquoi elle ne profiterait pas de l’occasion.

Avec des mines de chatte, en une démarche serpentine, Odette alla vers elle. Doucement, de ses deux bras, elle lui entoura le col et se mit à cheval sur sa cuisse dénudée.

Leurs lèvres se joignirent en une caresse profonde, perverse, tandis que tout leur être frémissait.

Le silence, durant longtemps, ne fut plus troublé que par le bruit de leurs baisers.

Sarah, au vrai, ne manifestait aucune activité, elle laissait toute la peine à la compagne. Sa molle sensualité ne pouvait se prêter qu’à ce rôle.

Cependant, lorsque une heure plus tard, elle se retrouva dehors, il y avait en elle un vague mécontentement.

Ce n’était pas là ce qu’elle avait été chercher avenue des Ternes. Elle ressentait plutôt une désillusion de cette passe d’armes qui, en définitive, ne lui apprenait rien et ne lui apportait que des satisfactions illusoires. Une compagne, elle ne pouvait la tyranniser, comme elle avait coutume de tyranniser Léon. Il lui semblait qu’un homme serait beaucoup plus maniable.

Elle rentra au logis assez dépitée, et négligea même de s’enfermer dans sa chambre. Elle demeura auprès de Madame Clarizet qu’elle s’acharna à tourmenter, la troublant en sa molle quiétude.

Le père, en rentrant pour dîner, remarqua encore :

— Un peu pâlote, petite !

Elle haussa les épaules avec mauvaise humeur :

— Tu répètes toujours la même chose.

On s’installa à table, autour d’une soupière qui fumait bourgeoisement.

En dépliant sa serviette, Clarizet énonça :

— J’ai vu Laveline, il aimerait à ce que tu fréquentasses un peu plus sa fille !

Les yeux de Sarah brillèrent de malice, mais en même temps, une mauvaise humeur gonflait son cœur :

— Cette grande dévergondée ! Ma foi, non…

Madame Clarizet opina :

— Oui, je me suis laissé dire que cette enfant n’avait point une conduite exemplaire.

Clarizet fronça les sourcils :

— Alors, tu ne la fréquenteras pas… et cet idiot de Laveline qui ne s’aperçoit de rien.

— Il a beaucoup d’indulgence, hasarda Sarah, les paupières mi-closes.

Le dîner s’acheva dans la monotonie d’une conversation familiale. Sarah, chaque jour, perdait un peu de sa gaieté, ce soir-là, elle fut presque morne et, aussitôt après le dessert, se réfugia dans la solitude de sa chambre.

Là, elle n’éprouva aucun goût aux jeux habituels, une langueur l’étreignait, elle avait l’impression profonde qu’il lui manquait quelque chose.

Elle se rappela brusquement la réflexion d’Odette :

— Le nu, il n’y a que ça !

Lentement, avec des gestes mous, elle se dévêtit et, quand elle fut nue, elle erra à travers la pièce, roulant de la croupe, guignant dans la glace cette rotondité qui ne manquait point de charme.

Découragée, elle s’allongea sur son lit et y resta inerte, les jambes éloignées l’une de l’autre, les mains croisées sur la nuque.

Une tiédeur régnait dans la chambre, le parfum de son corps de brune flottait, mettant une volupté terrible dans l’atmosphère.

Les paupières closes, elle s’abandonnait à une songerie nouvelle, sa taille avait parfois des tressaillements brusques, un soupir gonflait sa poitrine.

Elle monologua :

— Ce Laveline est un idiot… et sa fille me dégoûte… Je n’ai vraiment pas besoin d’elle pour cela et c’était beaucoup plus drôle avec Léon qui se montrait tout de même adroit.

Sérieuse, elle conclut :

— Ce n’est qu’une affaire d’éducation.

Le jour suivant, à la sortie du lycée, elle chercha un dérivatif à son ennui, en une longue promenade, ses pas la ramenèrent inconsciemment sur l’avenue des Ternes. Mais devant la maison de Laveline elle passa très vite, afin de ne point tomber en tentation.

Elle consulta la montre de son poignet et calcula mentalement dans combien de temps Laveline rentrerait au logis. D’après ce que lui avait dit son père, elle n’aurait qu’une heure à patienter.

Résolue, elle descendit l’avenue et alla s’asseoir à la terrasse d’un bar. D’un geste dégoûté, elle jeta sa serviette sur une chaise auprès d’elle et, très crâne, alluma une cigarette.

Le garçon, sur son ordre, lui apporta un modeste quinquina.

Ce qui la menaçait se produisit, un quidam vint s’asseoir auprès d’elle et lui adressa un sourire.

Elle ignorait que les ménages temporaires et clandestins se concluaient d’ordinaire par ce moyen. Bonne fille, elle sourit aussi, afin de ne pas désappointer le monsieur.

Encouragé, il rapprocha sa chaise et affirma d’une voix troublée que la température était merveilleuse pour la saison.

Elle songea au manteau de fourrure d’Odette et une malice brilla dans ses yeux.

L’autre insista, régla sa consommation, lui demandant si elle acceptait de le suivre un instant.

Elle consulta encore sa montre et acquiesça.

— Oui, j’ai encore dix minutes !

Il crut qu’elle exagérait et l’entraîna.

À quelques pas de là, il lui offrit une chambre d’hôtel. Son rire sonna clair dans le brouhaha de l’avenue.

— Vous me prenez pour une poule de demi-luxe !

Ayant remarqué la serviette sous son bras, il déduisit qu’il s’était trompé. Toutefois, afin de n’avoir pas payé en vain une consommation, ne fut-ce qu’un quinquina, il la poussa dans une porte cochère largement ouverte, mais faiblement éclairée.

L’attirant à lui, il l’embrassa sur la bouche. Elle en frémit d’aise et ne se révolta pas. Pendant ce temps, la main de l’homme s’occupait. Comme décidément elle méprisait les culottes, il découvrit incontinent ce qu’il cherchait.

À son tour, il voulut faire preuve d’autant de libéralisme, sa propre culotte ne fut pas un obstacle.

Sarah frissonna, elle crut percevoir le contact tiède d’un monument public, le dôme des Invalides, par exemple.

Peureuse, elle prétendit qu’il exagérait. Il rétorqua que rien en lui n’atteignait les anomalies. Quoi qu’il dit, elle ne voulut point le croire et se sauva effrayée.

Vraiment, Léon ne l’avait pas habituée à rien de semblable et elle admettait qu’avec un garçonnet les accouplements fussent permis ; mais plus tard, les choses lui apparaissaient malaisées.

La vue de Laveline, qui s’en revenait au logis, fit changer le cours de ses idées. Elle s’affirma que celui-ci, homme posé, demeurait dans une juste modération.

Il la salua, le chapeau à la main, très régence, elle crut un instant qu’il allait lui baiser le bout des doigts.

— Vous venez voir Odette ? s’enquit-il.

Elle le regarda fixement, audacieusement :

— Non, je passais par ici…

Elle sut immédiatement qu’il ne répéterait rien à ses vénérés parents.

Il ne répondit point, circonspect, n’osant comprendre. Pourtant, il ne détestait point les fruits verts. D’ailleurs, celui-ci commençait à mûrir déjà.

Ils firent quelques pas côte à côte, bavardant comme de vieux amis. Mais, en face de la maison, Sarah s’arrêta, elle ne tenait point à revoir Odette en présence de son digne père.

— Je me sauve ! annonça-t-elle avec un soupir mélancolique.

Soucieux, il la suivit des yeux.

— Que fabrique-t-elle par ici ?… Ses parents sont de si braves gens… J’aurais honte d’abuser de leur confiance.

Il monta chez lui, pour trouver Odette en peignoir grenat, les pieds nus dans des babouches. Il lui parla de Sarah ; elle rit, montrant ses dents, mais ne répondit rien.

Cependant, celle-ci avait sauté dans un taxi pour être plus vite au logis. À son arrivée, sa mère s’inquiéta :

— Comme tu rentres tard !

— Ce sont les cours du soir !

Et elle se sauvant en ricanant. Madame Clarizet retomba en sa molle somnolence, admettant aisément qu’il y eût des cours du soir pour les jeunes filles.

Dans sa chambre, Sarah demeura un instant pensive ; dans sa main, elle caressait un mince flacon de parfum et répétait :

— Comme ça, comme ça !

Ce lui parut effrayant, et une minute elle se livra à des essais prudents. Après un moment, elle conclut :

— C’est impossible ! Ce type-là doit être un gorille !

Satisfaite par cette explication, elle n’y pensa plus et se jeta sur son lit en attendant le dîner. Elle aimait cette position horizontale dans laquelle tout son être se détendait.

Elle gardait les jupes hautes afin de s’aérer, prétendait-elle. Pour l’instant, elle ne souhaitait rien d’autre, elle éprouvait une volupté douce, à cette demi-nudité, tandis que ses mains, mollement, caressaient ses cuisses charnues.

Elle songeait aussi à Laveline, le quinquagénaire circonspect. Elle s’étonnait encore qu’il ne lui eût pas proposé une chambre d’hôtel.

— Il doit être timide comme Léon ! pensa-t-elle.

À cette idée, elle rit, se voyant conquérant le brave homme par le même procédé que celui employé pour le garçonnet, derrière la table de la salle à manger.

Elle entendit le pas de son père dans le vestibule et sauta vivement à bas de son lit.

Rapidement, elle eut mis de l’ordre en sa toilette et en sa chevelure. Elle souriait malicieusement tout en retrouvant ses parents déjà installés autour de la table familiale.

Durant le repas, elle bavarda assez étourdiment et ranima ainsi la gaieté ancienne. Elle sentait naître soudainement au fond de son cœur un espoir encore confus mais qui n’en réagissait pas moins sur son humeur.

Quand elle se retrouva dans sa chambre, son premier soin fut de se mettre nue et, en ce simple appareil, elle déambulait, s’autorisant des ronds de jambes et des effets de buste qu’elle lorgnait curieusement dans la glace.

Elle s’étonnait que le désir du petit jour ancien ne la tourmentait plus, au contraire elle en ressentait comme une sorte de lassitude, fruit normal de l’uniformité.

Encore, elle s’allongea sur son lit et se roula mollement en tous sens, goûtant un plaisir imprécis mais quand même existant, à frôler sa chair contre la couverture rugueuse, le drap froid.

Elle se palpait aussi avec une satisfaction enfantine, caressant d’une main légère ses seins qui s’arrondissaient, ses hanches qui se faisaient plus charnues, sa croupe ferme coupée par un sillon tiède.

Ce n’était pas le besoin de la volupté qui la tourmentait, mais le besoin d’une sensation prolongée qui, cependant, se rattachait à la sexualité.

Ces sensations ne devraient pas être brèves, brutales, au contraire, il leur fallait durer, la titiller longuement jusqu’au plus profond d’elle-même.

Ce fut ainsi qu’elle s’endormit et, au matin, lorsqu’elle se réveilla, elle conçut quelque étonnement de se voir toute nue, couchée sur son lit, les couvertures non tirées.

Elle s’empressa de se glisser à l’intérieur et se permit un nouveau somme qui la conduisit jusqu’à l’heure du lever.

Au lycée, elle s’était toujours montrée distante à l’égard des compagnes, préférant la solitude aux réunions bruyantes. Cette attitude s’accentua encore dans les jours qui suivirent. Chacune des lycéennes qu’elle côtoyait, représentait pour elle un double d’Odette Laveline, elle s’étonnait de ne point les savoir nues sous le tailleur ou la robe.

Elle riait de ces amitiés sentimentales qui liaient deux beautés juvéniles, elle se moquait de leurs étreintes furtives, de leurs baisers sournois dans la pénombre des couloirs.

Certainement, elle préférait la barbe en pointe de Laveline et son poil rugueux. Pour elle, à cause de son âge même, il représentait l’homme, la masculinité. Les jeunes gens ne l’attiraient point parce que trop semblables à elle avec leur visage glâbre, leurs cheveux longs et soyeux. C’étaient encore des Odette Laveline en plus corsé.

Pourtant Laveline n’avait rien du séducteur ; ayant fait fortune dans le commerce des bois et charbons, il s’était retiré pour jouer à la belotte tout son saoûl. L’éducation d’Odette ne lui occasionnait aucun souci et sa propre santé demeurait florissante. Il s’offrait à époques régulières des amours rétribuées et considérait que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais son manque de séduction le rendait justement plus mâle pour une ignorante de la vie ; il n’avait point de mièvreries, son parler était rude, ses bras noueux, son rire sonore et sain.

Sarah ne s’en toqua point follement, elle n’y rêva point le jour et la nuit ; elle se dit seulement qu’il serait un excellent éducateur. Instinctivement aussi, elle devinait la puissance de sa jeunesse sur un amant grisonnant et espérait en profiter.

Malheureusement, si elle s’ingénia à le rencontrer à plusieurs reprises, allant même jusqu’à manquer le lycée, il restait hésitant, circonspect, peu désireux de troubler la quiétude de son existence par de folles amours. D’ailleurs, modeste, il ne devinait pas encore le désir réel de la jeune fille.



CHAPITRE III


La réunion familiale et hebdomadaire avait lieu le jeudi. Sarah se garda d’y manquer. Comme une jeune fille de bonne famille, elle passa le thé et le sucrier.

Cette tâche terminée, elle ne sut plus que faire et fut crânement s’asseoir auprès de Laveline. Les hommes et les femmes, en effet, étaient en nombre égal, seul Laveline se trouvait en surplus. Aussi trouva-t-on le geste de la jeune fille charmant.

On plaisanta même le quinquagénaire sur sa conquête, et Sarah fut la première à rire.

Cependant, comme elle se jugeait à l’abri des regards indiscrets, elle ponctuait son rire de grands coups de genoux dans les cuisses de Laveline.

Celui-ci commençait à se sentir troublé ; il essayait assurément de raisonner, de se dire que des amours en compagnie d’une telle jouvencelle comportaient de gros risques.

Mais comme tous les hommes dans son cas, il se jurait de s’arrêter à temps, de se permettre uniquement quelques privautés voluptueuses.

Quand il partit, Sarah, tout en lui serrant la main, parvint à lui glisser :

— Demain soir, un peu plus tôt que l’autre jour.

Cette fois, il fut ébloui ; la vanité le gonfla jusqu’au craquement définitif. En descendant l’escalier, il titubait presque, croyant déjà étreindre dans ses bras le corps grassouillet de la jeune fille.

Dans la rue, il éprouva le besoin de marcher et s’éloigna à grands pas. Son imagination l’emportait, déjà il rêvait d’un délicieux petit nid à mi-chemin entre l’avenue des Ternes et la demeure des Clarizet, où, avec Sarah, il jouerait à des jeux innocents qui ne les compromettraient ni l’un ni l’autre.

Au logis, il ne tarit pas d’éloges sur la jeune fille et Odette, moqueuse, renchérit encore.

Dans sa chambre, Sarah se montrait beaucoup plus calme. Elle avait maintenant la conviction d’avoir poussé le rentier au pied du mur et escomptait d’excellentes choses de leur rencontre du lendemain.

Aussi, dès la sortie du lycée, elle sauta dans un taxi qui l’emmena avenue des Ternes.

Laveline l’attendait déjà, ayant, pour l’occasion, soigné sa toilette.

Un peu émue malgré tout, elle souriait, et incapable de se soutenir seule plus longtemps, elle prit le bras de l’homme. Son cœur battait une marche endiablée, une terreur nouvelle la bouleversait. Elle croyait que l’honnête quinquagénaire allait précipiter les choses, tandis que celui-ci supposait qu’il fallait agir avec ménagements, considérant la vierge comme une petite chose fragile.

D’ailleurs, avec une nuit de recul, il ne savait plus exactement ce qu’il désirait ; mais le contact tiède du bras de Sarah, alluma soudain en lui des instincts ancestraux d’ordinaire en sommeil.

Homme pondéré toutefois, il ne parla point d’hôtel à cette première rencontre et se contenta de traîner sa compagne en un grand café, où il lui fit prendre un thé bénin.

Sarah ne tarda pas à goûter à la saveur amère de la déception. Décidément, comme pour Léon, il lui faudrait elle-même prendre les choses en mains d’une façon énergique.

Le lendemain était un samedi, jour choisi par Madame Clarizet pour sa visite des grands magasins. C’était une habitude à laquelle jamais elle ne manquait. Sarah s’enhardit brusquement :

— Venez me voir demain, à la maison.

Elle ne précisa rien de plus, craignant de le mettre en méfiance, d’éveiller sa circonspection de paisible rentier.

Ensorcelé par le regard polisson de la vierge, il promit, jurant qu’il serait là à trois heures sonnant.

Sarah partit guillerette, le cœur rempli d’un doux espoir. Elle ignorait encore comment elle s’y prendrait pour réaliser ses désirs intimes, mais comptait beaucoup sur son esprit d’à-propos.

Au logis, elle retrouva la quiétude habituelle, sa mère ne se permit même pas de lui faire remarquer son retard. L’excuse du cours du soir était acceptée d’une manière définitive.

Sarah gagna sa chambre, jeta ses livres sur le lit et, sans même retirer son chapeau, releva ses jupes au-dessus de la taille. Souriante et mutine, elle se promena en cet accoutrement, jetant des regards amusés à son miroir qui lui renvoyait une image agréable.

Encore une fois, elle négligea les jeux frivoles du doigt agile, espérant des distractions plus consistantes. En revanche, cette promenade, jupes troussées, lui procura des sensations perverses, des frissons languides d’une volupté pénétrante.

À l’heure du dîner, elle fit à la salle à manger une entrée joviale, de la gaieté plein les yeux. Elle comparait son père au bienveillant Laveline et le jugeait aussi bien, regrettant qu’il fût son père.

Son bavardage léger entretint la bonne humeur générale pendant le repas, et les parents confiants se montrèrent charmés, ne cherchant point à deviner la cause secrète de cette exubérance.

Au lit cependant, Sarah ne put résister à la nécessité d’apaiser l’énervement qui la contractait. Aussi s’endormit-elle vers minuit, après avoir retardé à maintes reprises la solution obligatoire.

Comme elle partait au lycée avant que les Clarizet ne fussent levés, elle ne put leur faire constater sa mine chiffonnée et ses grands yeux noirs cernés de bistre. Elle se rattrapa heureusement en classe d’une mauvaise nuit en somnolant avec adresse.

À midi, elle rentra au logis, en annonçant qu’une migraine douloureuse lui casquait le crâne.

— Tu travailles trop à tes écoles, affirma Clarizet péremptoire.

Son épouse l’admira pour sa sagacité et conseilla à son enfant :

— Repose-toi, cette après-midi, mon petit.

— Oui… je me mettrai sur mon lit ! annonça Sarah, hypocrite, ne précisant point si elle s’y placerait seule ou accompagnée d’un acolyte bénévole.

D’ailleurs, le café absorbé, elle gagna sa chambre. Maintenant, l’impatience la tordait, elle aurait voulu pousser au dehors ses parents, afin qu’ils lui laissassent le champ libre. Assurément, il resterait encore la bonne, Célestine, mais elle savait comment s’en débarrasser, la soubrette aimant les promenades dans Paris.

Assise sur son lit, elle fumait une cigarette en écoutant douloureusement. Il lui semblait que son père était ce jour-là d’une lenteur décourageante, tandis que probablement les beloteurs ordinaires l’attendaient au café enfumé.

Enfin, elle perçut le bruit de son pas lourd dans le vestibule et une minute son cœur battit plus vite.

Elle alluma une deuxième cigarette afin de mieux dompter son émoi. Ce n’était pas exactement une nervosité naturelle qui la tourmentait, plutôt un besoin imprécis qui lui tordait les entrailles.

Pas une minute, elle ne songea à trouver l’apaisement au moyen du petit jeu de mains habituel. Elle attendait autre chose et cela d’un avenir prochain.

Enfin, le froufroutement du manteau de Madame Clarizet se fit entendre. Aussitôt, la jeune fille fut étalée sur le lit, les paupières mi-closes.

La porte s’entrebâilla, Madame Clarizet entra, élégante et parfumée.

— Tu dors, petite, tu as encore mal ?

Sarah gémit lamentablement :

— Je prendrai un cachet tout à l’heure.

Sa bonne mère l’embrassa sur le front :

— Repose-toi, mon enfant, ton père a raison, tu te fatigues trop avec tes études compliquées.

Elle soupira :

— De mon temps, on n’avait pas besoin de tant d’instruction pour réussir dans la vie !

Sarah, les traits grimaçants d’un sourire sarcastique écouta le bruit de ses pas qui s’éloignait. Elle l’entendit donner ses dernières instructions à Célestine pour le repas du soir, et enfin, la porte d’entrée claqua.

Aussitôt, la jeune fille fut debout, elle gambada avec légèreté et en trois bonds fut à la cuisine.

Célestine marqua quelque ahurissement :

— Je croyais que vous étiez malade, Mademoiselle.

Sarah ricana cyniquement :

— Je ne le suis plus… et je vous donne campos, Célestine. Si vous allez vous promener, personne ne le saura. Moi, je ne voulais pas aller à l’école, voilà tout !

Elles échangèrent un sourire complice, et la soubrette courut à sa chambre. Souvent, sa jeune maîtresse lui procurait de ces aubaines et jamais la conscience du devoir ne l’incitait à y résister.

En dix secondes, elle fut prête, poudrée, du rouge aux lèvres, son petit derrière rond drapé de crêpe de Chine.

Sarah ferma la porte derrière elle, et, certaine désormais de pouvoir jouir d’une honnête tranquillité, elle se déshabilla.

Tandis qu’elle retirait sa chemise, elle répétait l’aphorisme d’Odette :

— Le nu, il n’y a que ça !

C’était d’ailleurs tout ce qu’elle avait trouvé de mieux pour inciter Laveline au péché.

Mais lorsqu’elle n’eut plus rien pour se vêtir que sa virginité impolluée, elle se sentit fort embarrassée. D’un énergique mouvement des épaules, elle chassa ce souci.

— Bah ! on verra bien !

Elle consulta sa montre :

— Encore vingt minutes… il sera peut-être en avance, le pauvre !

Sur la pointe de ses pieds nus, elle traversa l’antichambre et fut entrebâiller la porte d’entrée.

— Comme ça, je n’aurai pas besoin de me déranger.

Pour une première visite, il lui semblait, en effet, difficile d’aller ouvrir sans autre voile qu’une chevelure bouclée.

À mesure que l’heure avançait, cependant, son cœur battait un peu fort. Comment le brave quinquagénaire prendrait-il la chose ? Et puis elle ne connaissait rien des particularités de son anatomie, s’il allait être aussi chimpanzé que l’autre homme rencontré par hasard au café ?

La sonnette de l’entrée tinta. Sarah sentit le frisson de la peur lui tordre l’échine. Cependant, un sang-froid relatif lui vint presque incontinent et d’une petite voix flûtée, cria :

— Fermez la porte derrière vous !

Heureusement que nous n’écrivons pas un vaudeville mais une histoire, sinon ce serait le livreur charbonnier qui se serait présenté en cet instant.

La bonne étoile de la jeune fille l’avait protégée. C’était bien Laveline et sa barbe en pointe qui approchait d’un pas furtif.

Sur le seuil de la chambre, il s’arrêta estomaqué. Homme probe, il aimait assurément les situations nettes, toutefois, celle-ci l’éberluait un tantinet. Par surcroît, le cochon qui sommeillait en son cœur, se réveillait soudain avec des bonds tumultueux.

Il voyait Sarah, toute nue, blottie sur un fauteuil, les genoux sous le menton et


Il voyait Sarah toute nue, blottie sur un fauteuil… (page 66)

cacha de ses deux mains mutines ce qu’elle souhaitait montrer le plus ardemment.

Elle souriait de toutes ses dents, de ses lèvres carminées, de ses grands yeux aux lueurs polissonnes.

— C’est moi, susurra-t-elle, entrez !

Le pauvre homme défaillait, non seulement il se rendait compte que toute circonspection devenait illusoire, mais un sang juvénile bouillait subitement en ses veines.

Il abandonna son feutre à terre et avança, les jambes flageolantes, les mains tendues. Il essayait de parler, mais bafouillait honorablement, une salive nerveuse embarrassait son verbe et s’amassait aux commissures de ses lèvres.

Enfin, il fut près de la jeune fille qui, toujours souriante, n’avait pas bougé.

En vrai galantin, il tomba à genoux. C’était le moment que Sarah attendait.

Un parfum violent s’échappait de son jeune corps, son épiderme blanc se ridait, tressaillait.

Elle cessa de sourire, laissant aller en arrière, le dossier du fauteuil, sa tête trop lourde, tandis qu’un soupir s’échappait de ses lèvres.

Laveline perdait peu à peu tout ce qu’il possédait de sang-froid. Avec la fébrilité d’un jouvenceau, il couvrait le corps charnu de la jeune fille de baisers fous, inventait des caresses perfides qui arrachaient à sa victime des soupirs de surprise.

Sur son fauteuil, maintenant, elle se tordait comme un jeune serpent, offrant tantôt sa poitrine, tantôt sa croupe ronde.

Cependant, Laveline n’était pas de bois, ayant accompli son devoir d’adorateur en des préparatifs savants, il réclama son dû à son tour.

Les yeux de Sarah s’agrandirent d’épouvante et, machinalement, elle répéta ce qu’elle avait dit du quidam rencontré au café :

— C’ t’ un chimpanzé !

Tout à son idée, Laveline n’écoutait pas, il avançait hardiment, sous les armes, prêt à pourfendre l’audacieuse qui l’avait imprudemment tenté.

Mais l’audacieuse exécuta un mouvement de repli stratégique, elle bondit hors du fauteuil et se massa sur son lit derrière un oreiller.

Malheureusement, comme les autruches, elle ne cachait que la tête, et sa croupe blanche et ronde émergeait derrière elle.

Laveline, persuadé que c’était là un goût personnel, sauta sur le lit et se permit des investigations minutieuses.

Sarah recommença à soupirer, mais ayant tourné la tête, elle prit peur encore une fois et dégringola sur le plancher.

À genoux sur le lit, la mine plaintive, Laveline implora :

— Voyons, ma petite fille, si tu te sauves toujours, nous n’y arriverons jamais.

Elle ne saisit point la profondeur de ces sages paroles et s’accroupit sur le plancher. Elle demeurait tentatrice, audacieuse, mais ne savait pas exactement ce qu’elle souhaitait. Son désir était tempéré par la crainte, sa curiosité se nuançait d’un trouble sadique.

— Elle n’est pas au point, se dit le quinquagénaire sagace.

Il savait que l’heure du berger ne sonne pas toujours après les mêmes expériences.

Afin d’être plus à l’aise, il retira sa culotte et ses bretelles, ayant déjà abandonné son veston et son gilet à terre.

Bravement, il revint à l’assaut, daignant même se traîner à quatre pattes sur le sol afin d’atteindre l’étourdie.

Elle se reprit à soupirer, lui disant entre deux rires que sa barbe en pointe la chatouillait à l’ombilic.

Il devenait passionné, ardent, se refusant à s’être donné en vain tant de mal. Il la voyait se pâmer langoureusement, ses yeux noirs se révulsaient délicieusement, son corps aux lignes gracieuses se tendait comme un arc.

Il émit que le tapis était l’endroit choisi, il prétendit terminer là le prologue et passer au premier acte.

Aussitôt, elle se recroquevilla sur elle-même, barricada de ses deux mains toutes les portes de la ville assiégée. Ingénue, elle demanda même :

— Mais, qu’est-ce que vous voulez donc ?

Il en resta ahuri, à genoux par terre, le pan retroussé et la barbe en bataille.

— Mais, ma petite fille ! bégaya-t-il.

Changeant de position, elle se blottit contre lui et chuchota, le prenant par… ce que nous pourrions appeler par les sentiments :

— Comme tout à l’heure, dis, mon chéri !

Il pensa :

— Elle est insatiable de préliminaires.

Et philosophe, il s’exécuta. De nouveau, elle se pâma avec des petits cris d’oiselle.

Cependant, jamais elle ne se lassait et le poussait à de multiples répétitions.

De nouveau talonné par l’énervement incoercible que lui occasionnaient ces passes magnétiques, il voulut tenter l’assaut.

Elle se redressa, feignant l’effroi le plus sincère :

— Oh ! non ! non !… maman !

Hypocrite, elle le saisit par la première protubérance venue, se rappelant soudain son premier essai avec Léon, sous la table de la salle à manger.

D’une emprise semblable, Laveline ne put se défendre ; il essaya bien de discuter, mais Sarah, les yeux brillants, la lèvre humide, le fixait d’un regard dominateur.

Ce fut la catastrophe, brutale, prévue cependant par le joli démon féminin.

Laveline, la tête basse, se recula, à son âge l’on ne possède pas continuellement des chevaux de rechange et il fallait attendre jusqu’au prochain relais.

Sarah souriait naïvement, elle voyait l’homme vaincu, sans réaction vigoureuse. Pour sa part, elle se jugeait satisfaite, certaine d’apaiser dans la solitude la fièvre que le complice avait mis dans son jeune sang.

Maternelle et souriante, elle l’aida à se revêtir, ayant pour le consoler des mignardises troubles, des caresses audacieuses, des baisers pitoyables.

— À demain, lui fit-elle, tandis qu’il se sauvait, peu désireux de se rencontrer avec l’aimable madame Clarizet.

Le sang-froid lui étant revenu, il songeait avec plaisir aux jeux divers qui avaient occupé ses heures précédentes.

Sage, il considérait que, quelle qu’eût été la finale, il n’avait point perdu son temps.

Cependant, il avait besoin temporairement de solitude et il se réfugia en un café des Champs-Élysées pour prendre un apéritif savoureux.

Il caressait sa barbe en pointe d’un geste orgueilleux. Évidemment, il n’avait pas obtenu tout ce qu’il souhaitait, mais la conquête d’une vierge de dix-huit ans ne lui semblait point un mince succès.

— Elle y viendra ! murmura-t-il d’un air entendu. Les enfants sont effrayés par le mystère de l’inconnu, c’est fort naturel.

Mentalement, il la compara encore à une fleur fragile et fut satisfait de cette métaphore.

Pendant ce temps, la fleur fragile se roulait sur son lit, l’être entier secoué de tressaillements convulsifs. Maintenant qu’elle ne craignait plus rien, elle regrettait presque de n’avoir pas poussé l’expérience jusqu’au bout.

Lorsque Madame Clarizet rentra, elle trouva sa fille sagement assise dans la salle à manger et feuilletant avec intérêt un cahier de cours. Ses joues étaient fleuries d’un rose charmant, sa bouche charnue conservait une humidité agréable, et dans ses grands yeux noirs brillait une flamme non encore éteinte.

— Te fatigues pas, mon petit, conseilla la bonne mère.

Sérieuse, Sarah rétorqua :

— Ça va mieux, j’ai pris un cachet !

En prononçant ces mots, elle pensait à Laveline et cela lui parut très drôle de le comparer à un cachet.

— Un gros cachet ! précisa-t-elle, narquoise.

La maman sourit de cette plaisanterie enfantine.

Clarizet survint ensuite, le visage enluminé par les multiples apéritifs.

Célestine vint mettre le couvert. Avec Sarah elle échangea un regard complice. De retour depuis peu, elle n’avait eu que le temps de faire brûler la soupe. Comme elle avait bon estomac et qu’elle n’était pas difficile, ce détail lui importait peu personnellement.

Madame Clarizet, en bonne femme d’intérieur, lui demanda des nouvelles de l’ouvrage en cours.

Sérieuse, elle affirma que tout était terminé. Il y avait en cette affirmation beaucoup d’exagération.



CHAPITRE IV


Le jour suivant, qui était un dimanche, Sarah rencontra Laveline sur les Champs-Élysées. Elle lui avait fixé un rendez-vous, mais avec la fougue d’un jouvenceau, il l’attendit bien longtemps à l’avance.

Habile, il avait su se débarrasser d’Odette et ainsi put emmener la jeune fille chez lui.

Il augurait beaucoup de bien de cette nouvelle réunion, aussi s’était-il offert, à midi, un déjeuner épicé.

Il se sentait gaillard, plein d’une ardeur débordante.

La tranquillité de Sarah facilitait toutes choses ; à peine dans l’appartement, elle demanda :

— Où est ta chambre ?

Cependant, avant qu’elle eut quitté le vestibule, il l’avait étreinte, serrée contre lui, la baisant aux lèvres. Elle frémit contre sa robuste poitrine et se pâma avec des soupirs languides.

Rassuré, il pensa :

— Aujourd’hui, ça y est !

La jeune fille, rieuse, se sauva dans la chambre et aussitôt, plantée fermement au milieu de la pièce, fit glisser sa robe, puis sa minuscule chemise. À peine avait-il eu le temps de la rejoindre que déjà elle s’offrait, audacieuse et tentatrice, en un sourire vainqueur de ses lèvres charnues.

Jugeant que la lenteur en ces sortes de choses était le meilleur procédé, il la prit doucement dans ses bras et, grâce à une science depuis longtemps acquise, la couvrit de caresses.

Elle palpitait et riait tour à tour, tordant son beau corps aux lignes arrondies.

Il ne se hâta pas, résolu cette fois à atteindre le but définitif, et lorsqu’il vit Sarah, tressaillante d’amour, sur le couvre-pied de satin, il tenta l’expérience.

Aussitôt, ce fut comme une huître qui se ferme, il n’y eut plus rien, la jeune fille fit entendre son rire perlé et guigna l’homme d’un œil narquois.

Il essaya de lui faire entendre raison, lui parla, expliqua les choses avec autant de patience que de précision. Elle riait toujours en agitant ses boucles brunes.

Désespéré, il reprit son mouvement enveloppant et Sarah redevint instantanément l’amoureuse ardente, passionnée.

Le jeu dura longtemps, deux heures peut-être, entrecoupé de tentatives vaines de Laveline.

Mais naturellement, elle se lassa la première, une douce fatigue la détendait, alors elle empoigna l’homme d’une main ferme.

Furieux, il prétendit se défendre, réclamer ses droits acquis, souhaitant la ramener à l’humaine nature.

Elle riait, ne lâchant pas prise, attendant la catastrophe qui devait être le résultat final.

Laveline voulut se fâcher. De son bras gauche elle l’attira près d’elle. Ce fut l’ultime incident, Laveline proféra un juron sonore et le rire de la jeune fille retentit, satisfait et moqueur.

Vive, elle sauta sur ses habits, se revêtit avec prestesse et offrit :

— Tu viens m’offrir l’apéritif ?

Boudeur, vautré dans un fauteuil, il secoua la tête :

— Non !

Elle haussa les épaules et, se penchant, lui embrassa la barbe :

— Alors, au revoir !

Et elle partit, froufroutante et heureuse.

Maussade, il regarda la porte se fermer et grommela :

— C’est une petite rouée, elle se f… de moi !

L’huis de l’entrée claqua ; il sut qu’il était seul, que la jolie conquête avait filé.

Sarah, en effet, dégringolait les escaliers, puis remontait l’avenue, le nez en l’air, les lèvres pleines d’un sourire. Elle se sentait très contente de son après-midi, ayant goûté à la saveur de multiples caresses, ayant épuisé la science totale de Laveline. Elle riait au souvenir de ses tentatives. Certainement, elle ne demandait pas mieux que d’essayer le grand jeu, mais elle avait peur, elle s’était à elle-même fixé une mesure qui ne pouvait être dépassée ; tant qu’elle ne rencontrerait point cette mesure, tout resterait en l’état.

Le retour à la maison, cependant, lui parut maussade, et quand elle vit l’appartement où régnait déjà une demi-obscurité elle esquissa une grimace d’ennui.

Son père et sa mère étaient de retour de la promenade dominicale. Elle les trouva au salon, en train de prendre un porto. C’était là une habitude établie depuis plusieurs années ; on n’allait au salon que le jeudi après-midi et le dimanche soir.

Clarizet, enfoncé dans un fauteuil, fumait sa pipe en lisant le journal. Visiblement, il s’embêtait, mais le sentiment du devoir l’obligeait à consacrer au moins une soirée par semaine à son épouse.

Celle-ci ne s’ennuyait ni ne s’amusait ; elle tricotait, ne remuant que les doigts, et en cette douce inactivité se résumait tout son bonheur.

Sarah fronça les sourcils et l’atmosphère familiale lui parut plus triste encore que de coutume.

— Il me faudrait une auto, je vadrouillerais toute seule, émit-elle à haute voix.

Madame Clarizet sursauta :

— Une auto !

Clarizet, égoïste et débonnaire, trancha :

— Quand tu seras mariée, ton mari t’en paiera une, mais ne compte pas sur moi pour cela.

Il se remit à son journal et le silence retomba.

Célestine, en annonçant le dîner, apporta un peu de mouvement. On passa dans la salle à manger et Clarizet s’autorisa à quelques plaisanteries.

Pour la première fois, Sarah constata que le home lui déplaisait et que, vraiment, elle se trouvait mieux au dehors. Elle avait hâte d’être au lendemain pour retrouver Laveline.

Mais Laveline ne se montra pas, dégoûté d’une liaison aussi compliquée, il lâchait pied avec cynisme.

Blessée en sa jeune vanité, elle lui tint rigueur et le jour suivant n’alla pas elle-même au rendez-vous. En revanche, elle se sentait peu de goût pour rentrer au morne logis.

Quoique le jour commençât à baisser et que la température fût fraîche, elle s’installa sur une chaise dans un coin retiré des Champs-Élysées. Les réverbères s’allumaient, un éblouissement de clarté coulait sur la chaussée, mais le coin de la jeune fille demeurait dans la pénombre. Elle n’aurait pu mieux choisir pour courir l’aventure. À peine était-elle là depuis cinq minutes qu’un gentleman élégant passa devant elle et la regarda.

Elle le regarda aussi, franchement, comme une personne que rien n’effrayait. Il n’avait point de barbe, mais une petite moustache grisonnante, une brosse à dents.

Il vint s’asseoir à côté d’elle et jura aussitôt que la soirée était charmante. Elle lui montra sa dentition saine, ce qui lui évita de chercher une réponse intelligente. Il s’en contenta d’ailleurs et poursuivit par des propos égrillards.

Cette fois, elle daigna rire et reconnut qu’il était un rigolo.

Tant de bonne de bonne volonté l’enhardit et ayant passé l’âge où l’on cause l’espérance, il voulut entrer immédiatement dans le présent.

Il n’eut pas de stupeur en constatant que Sarah ne portait point de culotte, et cette simplicité, encouragea la jeune fille à faciliter ses investigations.

Parfois, afin de corser la situation, elle se défendait légèrement avec un rire perlé, mais têtu, il revenait à la charge.

Il possédait aussi de l’habileté, mais une habileté un peu différente de celle de Laveline, pour cela, il intéressa immédiatement Sarah.

Persuadé d’avoir gagné la partie, il proposa de se réfugier en un hôtel, derrière des murs chastes et protecteurs.

Cette proposition ramena la jeune fille au bon sens, elle consulta sa montre et se dressa d’un bond :

— J’ai pas le temps, il me faut rentrer à la maison !

Pour la première fois, il remarqua la serviette bourrée de livres. Son cœur tressaillit ; il aimait cueillir les fleurs au bord du chemin de la vie. Le verbe gras, il demanda :

— Quand alors ?

Ses yeux brillaient dans la demi-obscurité, sa bouche se tordait en un rictus sauvage. Sarah n’eût point peur.

— Demain… ici, à quatre heures et demie.

Ayant dit, elle virevolta et partit d’un pas vif, il la suivit et au rond-point il la vit sauter dans un taxi.

Elle regagna le logis, l’âme gonflée d’espérance ; cet inconnu sans doute qui possédait des attaches fines, un corps svelte, devait remplir les conditions qu’elle s’était prescrites. Enfin, elle connaîtrait les délices du grand jeu.

Le soir, avant de s’endormir, elle caressa un rêve d’un doigt léger, elle se figurait voir l’inconnu, amoureux et passionné, mais fluet, fluet…

Le jour suivant, elle fut exacte au rendez-vous, elle arriva même haletante, tant elle avait couru. Mais l’homme n’était pas là encore et elle eut ainsi le temps de s’asseoir pour souffler.

Il parut enfin, élégant et souriant, soigné comme s’il fut sorti d’une boîte. Cette fois, il se promit de n’être point dupe et refusant de s’asseoir, offrit que l’on partit immédiatement pour un hôtel hospitalier.

Elle souleva sa serviette avec un han de découragement et le suivit, docile en apparence.

Déjà, il triomphait, portant haut la tête, le regard orgueilleux. Connaissant les alentours, il n’eut pas à chercher et quelques minutes plus tard, ils se trouvaient en une chambre somptueuse et bien close.

— Enfin seuls ! murmura-t-il.

De ses deux bras, il attira la jeune fille et la pressa sur son cœur, la baisant aux lèvres. Elle se cambrait, les yeux révulsés, tout l’être secoué de désirs.

D’une torsion du buste, elle se dégagea, et d’un geste bref fit tomber le manteau à terre. Ensuite, la robe glissa et, mutine, Sarah courut vers le lit où elle se pelotonna.

Aimant ses aises, le gentleman se dévêtait placidement, se disant avec juste raison qu’il aurait le temps de tout terminer en moins d’une heure.

Enfin, il s’avança, et Sarah s’étant retournée sentit son cœur se serrer de désappointement. Toutefois, un sourire engageant fleurit ses lèvres.

D’une voix douce, harmonieuse, elle lui adressa une petite prière. Il condescendit, n’étant point ennemi des lenteurs savantes.

Il fut immédiatement flatté par ses contorsions voluptueuses, ses soupirs à fendre du granit, ses appels ingénus, ses extases soudaines qui la raidissaient tout entière.

Cependant, il s’arrêta, certain maintenant d’avoir partie gagnée.

Comme un fauve il se jeta sur le lit, étreignant de ses deux bras la jeune fille encore palpitante.

Hélas ! les pétales de la rose se refermèrent, il n’eût plus devant lui que des jambes étroitement enlacées et tenant fermement l’une à l’autre.

Il implora, impatient et inquiet :

— Voyons, ma chérie !

Ses yeux se plissèrent en un sourire mutin, sa bouche s’ouvrit pour laisser passer une respiration saccadée. Elle haleta :

— Encore !

Il la considéra avec stupéfaction, à son avis, les préliminaires n’étaient qu’un début et ne pouvaient se prolonger indéfiniment.

Mais elle résistait, les traits crispés en une moue têtue :

— Encore !… comme tout à l’heure !

Il dut s’exécuter, et les passes magnétiques reprirent, ce n’étaient que folles caresses par le corps entier, baisers frôleurs, morsures sans danger et sans effusion de sang.

La courte chemise en bataille, Sarah roulait de ci, de là, au gré du flux et du reflux, offrant aux caresses tantôt un coin de sa chair, tantôt un autre.

Elle goûtait amoureusement à des sensations exquises, profondes, qui la ravissaient et, au vrai, pour l’instant, elle ne réclamait pas davantage.

La chevelure hérissée, les joues rougeoyantes, les yeux brillants, il se redressa sur le lit et fit mine de pousser l’assaut à fond.

La même manœuvre que précédemment se produisit, il n’eut plus devant lui qu’un mince échalas de chair, tout contracté, aux genoux se chevauchant.

La colère envahit son cerveau, il éructa :

— Tu te f… de moi !

Tendrement, elle lui sourit et d’une main vigoureuse le saisit. Elle sentait que sa bonne volonté était à bout, elle tenait donc à abattre cette colère au plus vite, afin de ne point en subir les effets.

Furieux, il se débattit, mais elle tomba sur lui, caressante, ensorceleuse,


Assise sur le bord du lit, une glace à la main… (page 91)

enveloppante. Elle riait avec des éclats légers, brefs.

La résistance ne fut pas longue en dépit d’une belle défense. Il s’écroula anéanti, en jurant comme un païen.

Sarah s’étira languissamment comme un jeune chat au soleil.

Le gentleman se remit debout et un instant arpenta la pièce d’un air méditatif. Rapidement, il se rendit compte qu’un second assaut ce soir là serait impossible. Il lui fallait accepter sa défaite.

Alors la fureur le souleva et montrant un poing vengeur à la jeune fille, il gronda des injures.

Elle n’en avait cure ; assise au bord du lit, une glace dans la main gauche, elle feignait d’arranger ses frisettes récalcitrantes. En réalité, elle s’amusait de cette tempête inoffensive. Elle outrait le charme de sa pose abandonnée.

Il la voyait là souriante, la fine chemise masquant à peine les seins fermes, découvrant un coin de ventre blanc, une cuisse charnue au galbe délicat.

Elle se mirait dans la glace et ses yeux avaient des lueurs malicieuses, sa dentition étincelait entre le carmin des lèvres.

Comprenant que toute colère serait un effort perdu, il s’apaisa et lui tourna le dos, se mettant à la recherche de ses bretelles.

Elle rejeta la glace sur le drap et contempla l’amoureux qui, avec des grognements, enfilait une culotte récalcitrante. Elle attendit qu’il eut terminé, puis une reconnaissance sincère gonfla son cœur. Elle courut à lui et l’enferma de ses deux bras tièdes.

— Comme t’es bête, mon chéri, je t’assure que je me suis bien amusée !

Il se retourna, lui lançant un regard de flamme :

— Et moi, je ne joue pas ?

Elle se mit à rire, montrant ses dents :

— Toi aussi, chéri, tout comme moi après tout, qu’est-ce que tu veux de plus ?

Il la considéra, stupide, se demandant si elle ne se moquait pas de lui. Son air candide le convainquit, il bafouilla :

— Tu es une petite bête !

Il ne poussa pas plus loin l’explication, ses espoirs étaient déçus et tout courage l’abandonnait.

Maugréant à mi-voix, il acheva sa toilette ; Sarah l’imita et fut prête la première.

Gamine, elle lui posa un bécot sur le cou et se sauva :

— À demain, au même endroit… à la même heure !

Il la regarda filer le long de l’escalier, froufroutante et joyeuse. La main indécise, il saisit son feutre et se coiffa.

La petite garce ! jura-t-il. Je parie que maintenant elle va se moquer de moi avec son gigolo.

Mélancolique, il descendit, et des yeux chercha la jeune fille. Mais déjà, elle avait disparu, emportée par un taxi rapide.

Il remonta vers les Champs-Élysées et, découragé, se laissa tomber sur une chaise de terrasse de café. Il avait besoin d’un mandarin-curaçao pour se remonter le moral.

Pendant ce temps, Sarah, l’âme en paix, regagnait le toit paternel. Enfoncée dans l’encoignure de la voiture, elle souriait aux anges, caressant en pensées d’agréables souvenirs.

Les lèvres pincées, elle murmura :

— Encore un chimpanzé ! Seraient-ils tous comme cela, par hasard ?

Paisiblement, elle gravit l’escalier et sourit à Célestine qui vint lui ouvrir.

Ayant abandonné chapeau et manteau aux mains de la soubrette, elle posa ses livres sur une banquette et entra, triomphante, dans la salle à manger.

Madame Clarizet leva, de dessus son tricot, un visage placide :

— Encore ce cours du soir, mon petit, tu vas te fatiguer !

— C’est pour le bac ! répliqua Sarah, pince-sans-rire.

Madame Clarizet se lamenta :

— Tu t’en seras fait du souci pour ce baccalauréat. J’espère qu’on pourra te donner une assez jolie dot qui te permettra de te dispenser de cette vaine gloriole !

Sarah pivota sur un talon.

— Je ne suis pas pressée de me marier !

Sa mère la contempla avec amour :

— Cette enfant sera comme moi, peu portée pour la chose. Ah ! mon Dieu ! ce n’est pas ça qui m’a jamais tracassée.

Clarizet parut à ce moment, les joues flamboyantes, répandant autour de lui un arôme d’alcools mêlés, véritable cocktail humain.

— T’as soif, p’pa ? fit Sarah, narquoise.

Il la menaça du doigt :

— Toi, mauvais sujet, respecte les vieillards !

Célestine apporta la soupière fumante, et Madame Clarizet soupira d’aise. Si elle était peu portée sur la chose, elle possédait une gourmandise jamais en défaut.

La sensualité de Sarah était toute différente ; si elle partageait avec sa mère cette tendance à l’inactivité physique, en revanche, la question de la table la laissait indifférente.

Après le dîner, elle resta un moment à feuilleter une revue auprès de ses parents. Madame Clarizet digérait et somnolait. Clarizet fumait une pipe en parcourant le journal du soir.

La jeune fille se lassa de cette tranquillité, elle lança un bonsoir à la cantonade et gagna sa chambre où, nue, elle se livra à des poses plastiques devant sa glace.



CHAPITRE V


Le gentleman élégant, qui s’appelait Trétoire Gaston, avait prétendu récidiver. Deux soirs de suite, il entraîna la jeune fille en un hôtel et en fut encore pour ses frais de chambre. Il n’obtenait rien que le droit d’adorer le corps juvénile de Sarah, de lui prodiguer des caresses sans nombre.

Comme Laveline, il se lassa, considérant sa conquête passagère pour une toquée.

Elle fut attristée de ce lâchage, ayant commencé à s’habituer à ces amusements puérils et délicats. Elle ne comprenait point que tous ces hommes s’entêtassent à ce point, à obtenir une conclusion différente.

Elle fut près d’une semaine à se promener mélancoliquement par les coins sombres dans l’espoir d’être accostée. Elle avait bien un sourire avenant, mais ne possédait point la pratique pour arrêter les chalands. En outre, la température fraîchissait et aux heures où elle se trouvait libre les promeneurs frileux rentraient chez eux.

Le jeudi, à la réunion familiale, elle rencontra Laveline qui la bouda. Un moment, elle avait espéré un raccommodement ; l’attitude du quinquagénaire la découragea.

Le lendemain, frileusement enveloppée d’un manteau de fourrure, elle se blottit sur un banc, priant tout bas ses dieux tutélaires de lui venir en aide. La compagnie d’un homme lui manquait maintenant, elle ne prenait plus qu’un plaisir relatif aux distractions de ses jeunes années. De même le contact des femmes ne lui causait que répugnance, elle gardait un souvenir désenchanté de sa rencontre avec Odette Laveline.

La chance, sans doute, la favorisa, un passant la considéra avec curiosité ; elle lui sourit avec tendresse. Il revint sur ses pas, la regarda encore et enfin fut s’asseoir auprès d’elle.

Dans la pénombre, il lui parut livide mais beau, d’une beauté presque tragique. En réalité, ce n’était là qu’un jeu de lumière.

Plus jeune que ses prédécesseurs, il pouvait avoir trente-cinq ans. Ses mains étaient fines, son buste svelte, son élégance bourgeoise et sobre. Sarah nota qu’il portait une alliance au médius gauche.

Ce qui lui donnait cette apparence de beauté étrange, c’étaient deux grands yeux noirs qui brillaient de fièvre.

Il regarda la jeune fille et elle frémit, baissant les yeux, subjuguée.

Cependant, ces sortes d’émotions chez elle, duraient peu, elle fit entendre un rire assourdi et l’autre l’imita inconsciemment. La glace était rompue, ils parlèrent de choses et d’autres, mais l’homme ne se décidait point à des propositions nettes.

Sarah consulta sa montre et constata avec un soupir que l’heure de rentrer approchait. Elle se leva et lui tendit la main.

— Il faut que je retourne à la maison, peut-être vous reverrai-je ici demain, à la même heure ?

Il s’inclina :

— Certainement, si j’ai le bonheur de ne pas vous ennuyer.

Ce soir-là, elle fut d’une exubérance extrême, elle se figurait enfin avoir découvert l’âme sœur, l’homme qui ne serait pas en même temps un chimpanzé. Évidemment, il ne possédait ni barbe ni moustache, mais elle commençait à s’habituer à l’absence de ces attributs de la virilité.

La journée du lendemain fut une longue suite d’heures d’impatience et de fièvre. En revanche, dès qu’elle arriva aux Champs-Élysées, elle aperçut l’élu effondré sur le banc.

Pitoyable, elle pensa :

— Il doit être malheureux, avoir des chagrins conjugaux.

Elle se trompait ; il était seulement torturé par une névrose indécise.

Quand il la vit, il se leva et lui tendit la main. Il avait la paume moite et les doigts frémissant, il souriait d’un air contraint.

À peine assise, Sarah se blottit contre lui et ne tarda pas à l’envelopper du fluide magnétique qui émanait d’elle.

Il manquait habituellement d’audace, aussi se montra-t-il brutal, profitant de ce qu’ils se trouvaient dans une demi-obscurité pour l’attirer contre lui en une étreinte osée.

Pâmée, les yeux blancs, elle bégaya :

— On ne va pas rester là, j’ai froid !

Il acquiesça et l’entraîna. Ce fut elle qui le conduisit en un hôtel que déjà elle avait repéré.

Dans la chambre tiède, elle se fit aussitôt amoureuse, se débarrassant rapidement de la robe et de la chemise encombrantes.

Lui manifestait moins d’ardeur, plutôt une sorte de timidité inquiète.

Cependant, les choses ne pouvaient traîner et le quidam, persuadé que pour réussir auprès des dames, il fallait faire acte de valeur, bouscula un tantinet la jeune fille.

Hautaine, elle le repoussa, lui insinuant que des préliminaires restaient le hors-d’œuvre nécessaire. Puis elle eut un hoquet de crainte : celui-là pouvait également être comparé à un chimpanzé. Décidément, elle n’avait pas de chance.

De tempérament ardent se cachant sous une apparence timide, il se montra réfractaire aux préparatifs.

Sarah fronça les sourcils et le repoussa. Comme il semblait dénué de toute science, elle se fit incontinent son institutrice.

Elle donnait des ordres d’une voix brève, et il obéissait, faisant de son mieux, mais revenant tout de suite à la charge.

Ce fut pour la vierge une lutte épique, il lui fallait veiller de tous les côtés à la fois.

Frémissant, il la prenait dans ses bras, prétendait la vaincre et se croyait sûr du succès au moment où elle lui échappait.

Affolé, il s’effondra sur un fauteuil et gronda :

— Mais que veux-tu donc ?

Elle lui sourit candidement et précisa ce qu’elle désirait tout d’abord.

Féroce, elle attisait sa passion par des baisers subits, des caresses fugitives, des enveloppements voluptueux, mais jamais elle ne se rendait.

Ce n’était point un combat amoureux, mais une guerre acharnée, l’homme râlait, le visage décomposé, la sueur au front, le cœur battant.

La fatigue la terrassa à son tour et, un instant, elle craignit d’être vaincue. Alors, elle le saisit d’une main ferme, lui causant une véritable souffrance.

Il s’abattit auprès d’elle, en bégayant des paroles confuses, mêlées de mots d’amour.

Preste, elle sauta du lit et commença à se revêtir ; souriante, elle l’examinait du coin de l’œil.

Il se leva à son tour et murmura :

— Tu es un vrai démon !

Quand elle eut remis sa robe, il la prit dans ses bras et la baisa aux lèvres.

— Je t’aime ! fit-il avec conviction.

Elle se cambra, la chair réveillée par cet aveu et ce baiser.

— Tu reviendras demain ? demanda-t-elle.

— Bien sûr ! promit-il. Quelle sera ma récompense ?

— On verra, suivant ton degré de sagesse !

Ils descendirent ensemble et, dehors, il héla un taxi.

— Je vais t’accompagner presque jusque chez toi… je serai ainsi plus longtemps en ta compagnie.

Cette simplicité lui arracha un rire clair, mais elle redevint aussitôt sérieuse, reprise par ce grain de romanesque qui gît dans le cœur de toute jeune fille.

— Tu as l’air malheureux ?

Un pli amer aux lèvres, il haussa les épaules :

— Je ne suis pas heureux.

— Ta femme ?

Il la considéra avec étonnement :

— Tu as deviné… oui et non… ce n’est pas elle qui me rend malheureux… elle est quelconque… c’est ce que je lui reproche, du reste. Bonne épouse, elle serait bonne mère si elle avait des enfants.

Elle fit arrêter le taxi et sauta à terre, tendant la main au compagnon d’un instant :

— Tu ne m’as pas dit ton nom ?

— Louis.

Elle inclina la tête, le brûlant de son regard ardent :

— Et moi, Sarah… Tu verras, nous serons heureux.

Sur ces mots, elle s’éloigna à grandes enjambées, la serviette sous le bras. Il la regardait pensivement, admirant sa gracieuse silhouette qui, peu à peu se perdait dans la demi-obscurité.

Au chauffeur, qui attendait, il ordonna de retourner en arrière. À la Concorde, il mit pied à terre et gagna un bar de la rue Saint-Roch où il rencontrait chaque soir le bienveillant bookmaker qui lui prenait ses paris.

Les yeux encore brillants de volupté, il confia à ce dernier :

— J’ai découvert une perle… une vierge !

L’autre railla, incrédule :

— Une vierge ! Ça n’existe plus, c’est comme les chevaux, on en voit un de temps à autre !

Il jura, convaincu :

— J’en suis certain, j’ai eu l’objet en mains…

— Alors, elle n’est plus vierge !

Il soupira avec regret :

— Hélas ! oui… un démon, mais elle n’a rien voulu savoir.

Satisfait d’avoir confié sa bonne fortune à une oreille bénévole, il partit vers d’autres cieux et, à huit heures, échouait au logis où l’attendait l’épouse devant la soupe fumante.

Louis Fontaine jouissait de quelques rentes, il s’occupait, en outre, de la vente d’automobiles et touchait parfois une forte commission. Ses relations nombreuses lui facilitaient ce genre de travail qui lui laissait comme on le pense beaucoup de liberté.

Yvonne Fontaine était une petite femme pondérée et sensible que son mari avait réussi à dévergonder à demi. Comme elle n’éprouvait que de vagues besoins, elle se livrait à des excentricités. Cependant, elle n’était jamais parvenue à satisfaire la soif d’imprévus d’un époux rongé par la névrose.

Lui, cherchait autour de lui, comme un fauve en quête d’une proie et ne découvrait que des femmes faciles qui, pour un billet de cent francs, devenaient des partenaires momentanées et impatientes surtout d’en avoir fini.

Sarah lui semblait donc un être à part ; tout d’abord, elle n’avait réclamé aucun petit cadeau, ensuite elle avait, avec ténacité, refusé le grand jeu, employant un subterfuge hardi pour le mettre hors de combat.

Décidément, elle l’intéressait ; il revint au rendez-vous le jour suivant.

Mais durant les heures qui précédèrent la rencontre, il éprouva toutes les ardeurs de la fièvre.

Par contre, Sarah demeurait relativement calme ; la somnolence qui régnait sous le toit paternel avait tôt fait d’éteindre ses ardeurs. Puis le matin, au lycée, elle avait encore interrogé une compagne assez savante pour la renseigner. Des renseignements obtenus, elle avait conclu que parmi les messieurs existait un gabarit à peu près uniforme, sauf quelques rares exceptions qu’il était impossible de reconnaître à priori sans la généralisation du nudisme intégral.

Cet état de choses la rendit songeuse et un instant elle se demanda si, parmi les dames, elle n’était pas elle-même une exception ?

Quoi qu’elle pratiquait la physique, elle admettait mal les phénomènes de distensions, malheureusement, elle n’osait avouer ses craintes aux compagnes qu’elle interrogeait. Elle gardait donc pour elle ses effrois et ses hésitations.

À quatre heures et demie, elle rejoignit donc Louis, résolue à défendre encore une virginité dont elle n’appréciait pourtant pas la valeur.

Il l’attendait avec impatience et l’entraîna immédiatement vers la tiédeur hospitalière d’une chambre d’hôtel.

Comme la veille, Sarah se montra aussitôt espiègle, envoyant par dessus sa tête et d’un geste large sa robe, puis la minuscule chemise. Décidément, combinaison et pantalon lui devenaient superflus, elle préférait les simples appareils qui laissaient plus de grâce à ses mouvements.

Quand elle fut nue, elle menaça Louis du doigt :

— Tu seras sage, sinon !

Bien qu’il fut débarrassé de son caleçon et se promenait en panais, il la dévorait des yeux, semblant se demander de quel côté il l’attaquerait afin de la surprendre sans défense.

Ce fut peine perdue ; elle s’accroupit sur le lit, en une pose qui lui était chère, les genoux à la hauteur des oreilles, chaque main tenant un pied. Et elle souriait langoureusement.

D’un doigt dominateur, elle lui indiqua ce qu’il avait à faire, et il se soumit, comprenant qu’il n’obtiendrait rien sans une docilité préalable.

Elle riait et avait des petits cris brefs qui ponctuaient les diverses phases de la sensation.

Puis elle le repoussa, le saisissant à pleines mains par sa chevelure noire et lui ordonna un autre exercice. Il obéit encore, heureux de la voir se pâmer d’aise, manifester une joie voluptueuse incontestable.

Pourtant, il se lassa et, d’un bond, fut sur le lit, la bousculant en arrière. Mais elle prévoyait toujours ces attaques brutales et il en fut pour ses frais, ne trouvant plus devant lui que des jambes étroitement liées, un ventre blanc et plat que nul tressaillement ne ridait.

Il recula, confus et se passa une main hésitante dans ses cheveux, comme pour en faire jaillir une idée. Il bafouilla seulement :

— Mais enfin…

Pour toute réponse, elle fronça les sourcils et s’allongea à plat ventre.

Cette croupe ronde et charnue semblait le narguer, les cuisses blanches rapprochées, s’étendaient rigides et d’un galbe parfait.

La voix étouffée par la couverture, elle lui cria un ordre qu’il comprit cependant et il s’exécuta, vaincu, dominé par ce sadisme étrange chez une jeune fille aussi peu experte.

Elle sauta du lit, exécuta une gambade joyeuse. L’attrapant au passage, il la serra férocement contre sa poitrine :

— Ma petite Sarah ! Je t’en prie, ne te moque pas de moi !

Elle frissonna, les paupières mi-closes, ce contact de leurs corps dénudés leur procurait une sensation voluptueuse indéfinissable. Elle sentait le désir de l’homme et savait en même temps que seule, elle était la dispensatrice de l’apaisement pour peu qu’elle le voulût. Mais elle ne le voulait pas, elle s’y refusait au contraire, commençant à trouver une satisfaction âpre dans cette exaspération masculine jamais calmée.

Elle le menaça du doigt :

— Il faut être gentil !

Une idée saugrenue lui traversa l’esprit et il dut l’exécuter immédiatement.

Elle le domptait absolument, rien que par son sourire et sa maîtrise d’elle-même. L’espoir sans cesse renaissant l’obligeait à obéir, mais ensuite, il ne recevait aucune récompense.

Enfin, elle fut secouée d’un ultime frémissement, son beau corps se crispa sur le lit.

Lui, la considérait stupéfait, ne parvenant pas à admettre qu’elle se moquait de lui. En réalité, il n’y avait en elle aucune idée de moquerie, elle agissait ainsi parce que ce procédé lui procurait la volupté et que, pour elle, nulle souffrance n’en résultait.

Les joues écarlates, les yeux embués d’une légère humidité, elle revint à lui. Il tenta de se défendre, ce fut en vain, elle ne lui rendit la liberté que lorsque tout fut terminé.

La tête basse, sans un reproche, il revint à ses vêtements et s’habilla. Elle fut prête avant lui et l’aida, maternelle et bienveillante.

Quand ils furent prêts, il l’attira contre lui et, encore une fois, murmura :

— Je t’aime ! Tu es pourtant bien cruelle !

Elle lui rendit son baiser :

— Moi aussi, je t’aime !

— Alors ?

Elle pirouetta sur les talons :

— Alors, il est l’heure de rentrer au bercail !

Comme la veille, il la reconduisit en taxi près de chez elle. Durant le trajet, ils n’échangèrent pas une parole. Sarah, enfoncée dans l’encoignure, s’abandonnait à une béatitude qui la détendait tout entière.

Lui réfléchissait ; il admettait que l’attitude de la jeune fille avait une raison logique. Vierge, elle prétendait le demeurer jusqu’au mariage, sans toutefois se priver totalement des plaisirs de la chair.

Il n’eût pas le temps de lui poser la question ce soir-là ; il ne le fit que le lendemain à leur nouvelle rencontre.

Elle fut étonnée, n’ayant jamais songé à cela ; elle affirma avec une sincérité visible que la virginité lui semblait un accessoire inutile. En revanche, elle ne put fournir aucune explication à sa rétivité lors de la minute suprême.

Ils se réunirent encore dans une chambre d’hôtel et Sarah fut encore ce qu’elle avait été jusque là. Bien mieux, ses exigences s’accroissaient, elle soumettait l’homme à un véritable esclavage sensuel, bien qu’il sût à l’avance que cette fois encore il n’obtiendrait rien.

Il acceptait cependant cette situation, perdant malgré tout un infime espoir. Il se disait avec apparence de raison qu’une heure sonnerait où la vierge serait vaincue par l’exaspération des sens.

Il ignorait que cette exaspération ne montait jamais au paroxysme chez Sarah, elle était seulement constituée par une suite de sensations juxtaposées.

Sa tendance à la domination se précisait en outre, il lui plaisait de voir le compagnon exécuter des actes qui auraient paru extraordinaires, sinon ridicules en dehors des murs discrets d’une chambre à coucher.

Les caresses, sous les formes les plus diverses, lui étaient nécessaires pour activer suffisamment la circulation de son sang et lui procurer une volupté profonde. Le moral jouait également un rôle important et elle espérait bien, avec le temps, réaliser tous les rêves extravagants qu’elle avait imaginés durant son adolescence et dans la solitude de sa chambrette.

Ce jour-là, ils se quittèrent comme la veille et se promirent de se revoir le lendemain. Ils furent tous deux exacts au rendez-vous. Louis se sentait lié par une chaîne invisible, sa soumission à l’égard des fantaisies de la gamine donnait plus de saveur à son propre plaisir.

Auprès d’elle, il oubliait le scrupule, le respect humain, voire l’hygiène ; il acceptait pourvu qu’il vit Sarah se tordre en des spasmes convulsifs et prolongés.

Ils coulèrent ainsi une semaine tumultueuse et paisible en même temps. Ils ne connaissaient le tumulte que pendant les deux heures où ils se trouvaient réunis, mais ensuite l’apaisement les détendait jusqu’au lendemain.

Lui n’avait rien de plus que le premier jour et il s’en contentait, heureux encore d’obtenir cela. Parfois, Sarah apportait une variante et le brûlait de ses lèvres ardentes. En ces sortes de choses, tout lui semblait naturel et elle ne reculait devant rien pourvu qu’on ne lui demandât point l’abandon suprême.

Aussi se montra-t-elle bientôt fort habile, écoutant les conseils de l’ami. Elle arrivait ainsi à faire vibrer à son extrême limite la lyre sensible des voluptés.

Évidemment, elle réclamait plus de services qu’elle n’en rendait, mais Louis admettait cette différence et ne se rebellait point.

Pourtant, quand il réfléchissait, après l’avoir quittée, il en revenait inconsciemment à sa première opinion :

— C’est une toquée !

Justement, ils s’entendaient parce qu’il l’était lui-même, bien qu’il l’ignorât.

Yvonne Fontaine était une épouse moderne, elle acceptait les infidélités de l’époux, à condition qu’il ne trouvât rien à redire à ses propres excentricités.

Louis se résolut donc de lui parler de Sarah, et la bonne épouse fut aussitôt intéressée. Elle réclama d’amples détails et se demanda un moment si la jeune fille ne jouissait pas, comme elle, d’un tempérament insensible aux voluptés violentes.

Cependant, les désirs de Sarah ne semblèrent pas concorder avec cette opinion et elle résolut de voir l’héroïne afin de mieux se rendre compte.

— Je te l’amènerai, promit Louis.

Ils fixèrent le jour, l’heure, afin qu’il n’y eut pas de surprise ni d’un côté ni de l’autre. Naturellement, ils choisirent un jeudi, Sarah possédant sa liberté pour une après-midi entière.

Quand Fontaine lui adressa cette proposition, Sarah éclata de rire. Cette rencontre ne la choquait pas, elle l’amusait seulement :

— Tu veux me donner une leçon… un modèle d’exercice pratique ? railla-t-elle.

Il n’y avait nullement songé.

— C’est ma femme qui désire te connaître… tu n’es presque pas une rivale pour elle !

Cette pointe acérée ne parvint même pas à la blesser.

— Du moment que cela me va ainsi, je ne vois pourquoi je changerais !

Ce fut entendu, le jeudi suivant, Louis l’attendrait, en taxi, à la place de la Concorde et la conduirait à son home.



VI


Sarah éprouvait une sincère émotion à l’idée de se présenter devant l’épouse légitimé de son mi-amant. Elle conservait ainsi encore quelques principes de morale que l’ambiance moderne n’avait point ternis.

Lorsque Louis lui avoua qu’il avait parlé de leurs relations à sa femme, elle en avait été stupéfaite ; mais sa jeunesse l’empêcha de reconnaître franchement son étonnement et elle s’enveloppa de cynisme pour bien paraître à la page.

Ce fut pourquoi elle accepta cette visite qui, en réalité, ne lui procurait aucune joie. D’après ce que le jeune homme lui avait dit, elle s’attendait à voir une personne guindée, dépourvue de sensualité et, par surcroît, revêche.

Cet émoi la harcela depuis le commencement de la semaine et elle essaya habilement, à diverses reprises, de remettre cette visite aux calendes grecques.

Fontaine avait tenu bon, confiant en l’habileté de son épouse pour lui fournir la clé mystérieuse lui permettant d’ouvrir la retraite cachée de la vierge.

Il s’attachait, en effet, de plus en plus à la jeune fille, justement parce qu’elle ne lui donnait rien et réclamait de sa faiblesse les pires turpitudes.

Il se pliait sans dégoût aux manifestations les plus extraordinaires de son imagination en délire.

D’ailleurs, l’audace de Sarah s’accroissait avec les facilités ; elle se figurait désormais que tout lui était dû parce qu’elle appartenait par hasard, au sexe féminin.

Louis ignorait évidemment ce qu’il ferait lorsque la jeune fille lui aurait appartenu, probablement il s’en détacherait comme de ses précédentes maîtresses.

Yvonne, sa femme, qui n’était point dépourvue d’intelligence, avait parfaitement compris que tant qu’il demeurerait ainsi en suspens, la liaison ne ferait que s’affermir. Elle souhaitait donc en son for intérieur que la situation se liquidât au plus tôt, pour sa propre tranquillité.

Cette idée, jointe aux désirs d’étonner la jeune fille, devait en faire une complice fidèle de l’époux. Elle espérait naturellement voir clair très vite en l’âme ingénue d’une vierge ; ce en quoi elle se trompait avec Sarah.

Le jeudi donc, Louis fut exact place de la Concorde. En revanche, Sarah, qui se sentait un peu intimidée, arriva en retard.

De loin, elle l’aperçut qui lui adressait des signaux de ses deux bras levés. Elle sourit et activa le pas.

Dès qu’elle fut près de lui, il la serra dans ses bras :

— Ma petite Sarah, à chaque fois que je [te] vois, je t’aime un peu plus !

Elle se dégagea sans brusquerie, et remit de l’ordre dans ses boucles brunes.

— Ta femme va dire que je suis coiffée comme un chien fou.

Il la poussa à l’intérieur de la voiture.

— Elle te trouvera charmante, elle a de la jugeotte… ce qui lui manque, évidemment, c’est du tempérament.

La voiture roulait doucement, avec des arrêts brusques. Louis profita de l’inaction obligée pour glisser une main dans les propriétés privées de sa compagne.

Elle lui montra ses dents en signe de contentement et murmura :

— Au bout du compte, ça va être une après-midi de perdue. Ta femme ne nous donnera pas un coup de main.

Il fronça un sourcil songeur.

— Je verrai ça, on tâchera de cavaler de bonne heure !

La voiture stoppa et ils mirent pied à terre. Sarah regardait autour d’elle, d’un air étonné, comme si elle ne fût jamais venue en ce quartier.

Il la prit par le bras et l’entraîna, dans la pénombre de l’escalier il s’arrêta pour embrasser, seulement aux lèvres, la jeune fille à demi pâmée.

Ils atteignirent le troisième étage et Louis fouilla dans sa poche, à la recherche de sa clé.

Sarah, auprès de lui, sentait son émotion grandir. Elle se disait que dans un instant, elle allait se trouver en présence d’une dame qui avait joué le grand jeu avec Louis bien qu’il fût un chimpanzé. Il lui semblait très drôle également qu’elles tirassent l’une et l’autre des arpèges du même instrument.

La porte s’ouvrit sans rébellion et le couple pénétra dans un vestibule sombre où flottait des parfums divers.

On entendit un jappement bref, puis un murmure.

— C’est Floc, le berger allemand ! expliqua Louis.

Sarah ne répondit pas, elle ménageait son souffle.

— Yvonne doit être au salon, dit le jeune homme à mi-voix.

Il s’enfonça dans l’obscurité, Sarah vit sa silhouette qui s’amenuisait vers la pénombre. Doucement, il ouvrait une porte et se lamenta :

— Oh !

Il pénétra dans la pièce ; Sarah ne bougeait pas, une angoisse lui embarrassait soudain le cerveau. Cependant, elle


Elle distinguait un corps de femme entièrement nue… (page 127)

entendit un chuchotement, puis une voix harmonieuse l’encouragea :

— Entrez donc, Mademoiselle !

La porte s’ouvrit complètement. Louis apparut à moitié dans le carré de lumière :

— Entre ! gronda-t-il, comme s’il lui eut lancé une injure.

Elle fit quelques pas et s’arrêta suffoquée. Louis tenait l’huis ouvert, mais plus loin, sur le tapis, allongé en une pose gracieuse, elle distinguait un corps de femme entièrement nu. Tout près, un berger allemand dressait les oreilles en guignant l’intruse.

À la mine ahurie de Sarah, Yvonne se retint de rire :

— Mais entrez donc ! répéta-t-elle avec une sorte d’impatience. Je prends un bain de lumière, ça ne vous dérange pas ?

Déjà la jeune fille s’était remise, elle avança d’un pas décidé, un flot de pensées se bousculaient dans son cerveau en délire.

Yvonne lui tendit languissamment une main soignée :

— Je suis contente de faire votre connaissance. Léon m’a tant parlé de vous.

Elle attira un pouf sur le tapis et offrit :

— Asseyez-vous là.

Sans embarras, Sarah se débarrassa de son feutre et de son manteau qu’elle tendit à l’amant, puis s’écroula sur le coussin. Elle riait, maintenant amusée par l’imprévu de la situation. Elle regardait Yvonne, sans se troubler et essayait de se livrer à un calcul mental de dimensions. Elle pensa :

— Louis est un chimpanzé, mais elle n’a pas l’air d’en souffrir.

Le jeune homme était revenu et tendait aux jeunes femmes son étui à cigarettes. Elles en allumèrent chacune une, lentement, comme avec précaution.

Yvonne se trémoussait habilement, relevant tantôt un genou, tantôt un autre, se déplaçant graduellement afin que Sarah se trouvât devant elle.

En revanche, elle se montrait peu loquace et Louis faisait tous les frais de la conversation. À cheval sur une chaise, il s’efforçait d’avoir de l’esprit, mais le démon de la chair le tourmentait.

Yvonne souriait à la jeune fille, elle l’examinait aussi, la jaugeait, mesurait son degré de perversité. Elle devinait en elle, un tempérament mou, pas ardent, mais sensuel, aimant à être dorloté, caressé, mais nullement impatient d’accouplement. Elle s’étonnait de la différence qui existait entre elles deux. Pour sa part, elle méprisait les préliminaires, allant droit au but dès que le désir se manifestait, mais ensuite, elle se sentait libérée pour un certain temps, l’esprit plus léger, le corps plus agile.

Quand elle se décida à parler, ce fut pour dire brièvement à son mari :

— Laisse-nous, mon chéri, nous avons un tas de confidences à nous faire !

Il se leva pour obéir, Sarah dissimula une grimace, ne prisant guère ce tête-à-tête avec une femme nue.

Force lui fut d’accepter la situation et aussitôt la porte refermée sur Louis, Yvonne attira la jeune femme dans ses bras.

Immédiatement, elle constata que celle-ci ne portait point de pantalon et en conclut que les choses en seraient simplifiées.

D’ailleurs, elle n’avait aucune idée arrêtée, l’imprévu lui suffisait, elle souhaitait que se produisit un nouvel incident sortant de la normale, mais manquait de l’imagination nécessaire pour le créer.

En souriant, ne tentant rien pour s’aider, ni pour se défendre, Sarah se laissait dévêtir.

Sa compagne remarqua :

— Comme vous êtes grassouillette !

Elle ne répondit pas, l’esprit occupé soudain par une idée fixe : le désir de mesurer le gabarit d’Yvonne pour le comparer au sien propre. Ainsi, supposait-elle, une base solide lui permettrait de prendre une résolution dans l’avenir prochain.

Yvonne l’attirait contre elle et, câline, essayait de la confesser. Naïvement, Sarah lui affirma qu’elle ignorait pour quelle raison, elle se refusait à se donner :

— C’est comme ça et voilà tout !

La jeune femme ne comprit pas, elle sentit cependant qu’il n’était pas en son pouvoir de faire changer d’idée la petite amie.

Un moment, elles s’occupaient au mieux, puis le chien, dressé sur ses pattes, jappa furieusement

— Il est jaloux, expliqua Yvonne avec un sourire mourant.

Sarah, nullement tranquille, regardait la bête d’un œil inquiet. L’animal, avec audace, la flairait, paraissant hésiter sur la conduite à faire.

— Il va me mordre ! gémit Sarah, tremblante.

Yvonne la serra un peu plus fort :

— Mais non, il a l’habitude…

Le chien, la queue en trompette, l’allure résolue trottinait autour d’elles ; parfois, il faisait entendre un grognement de mauvaise augure.

Sarah se rejeta légèrement en arrière :

— En voilà une drôle d’idée d’avoir une sale bête comme ça auprès de soi !

— Une sale bête ! susurra Yvonne, si tu savais comme il est doux avec moi !

Elle reprit contre elle la jeune fille et celle-ci, une minute, oublia le chien, tout tourbillonnait autour d’elle, son corps charnu et blanc était secoué de tressaillements rapides.

La porte s’ouvrit, Louis entra subrepticement, contemplant le couple. Sa femme s’étonna :

— Pourquoi reviens-tu ?

— Vous n’avez pas besoin de moi ? demanda-t-il ingénuement.

Sarah se redressa sur son séant :

— Mais si, reste donc !

Elle espérait ainsi faire cesser ce tête-à-tête qui, au bout du compte, lui déplaisait. En outre, elle se croyait maintenant suffisamment renseignée.

— Quelle jolie vierge ! assura Yvonne, afin de tranquilliser son époux qui, malgré sa science, conservait encore un doute.

Il s’assit à terre, et Sarah lui demanda une cigarette qu’elle alluma gaillardement.

Ils demeurèrent ainsi à bavarder aimablement, comme s’ils eussent été dans le dernier salon où l’on cause. Les deux femmes ne paraissaient nullement gênées par leur extrême nudité, bien au contraire

Louis parlait peu, il dévorait Sarah des yeux ; sa passion aurait été visible même pour le témoin le moins averti. Yvonne ne tarda pas à s’en apercevoir ; ce ne fut point la jalousie, sentiment excessif dont elle était incapable, qui la tourmenta un moment, ce fut la crainte que l’homme, lui assurant le pain quotidien entouré de confiture, lui manquât.

Elle connaissait suffisamment l’époux pour le croire dépourvu de logique autant que de bon sens. N’était-ce point d’ailleurs le but secret de la jolie vierge qui se refusait avec tant de persévérance.

Tout cela réuni incita l’originale épouse à agir avec énergie et promptitude.

Elle ignorait encore ce qu’elle ferait mais certainement elle agirait.

En attendant, elle intima :

— Mon chéri, fais-nous du thé. Tu sais que je n’ai pas de boniche aujourd’hui.

Il s’éloigna à regret, mais revint bientôt chargé d’un plateau. Il y avait du thé et des biscuits pour les dames, mais pour lui un vieux porto.

Le tapis leur servit de table et ils eurent l’air de se trouver en pique-nique sur une pelouse verdoyante. Ce fut d’ailleurs l’occasion de multiples jeux innocents.

Lorsqu’il s’agissait de Sarah, Louis apportait quelques variantes charmantes à ses recherches ; pour sa femme, il opérait avec rapidité.

Sarah s’amusait fort, elle riait avec des éclats cristallins, tandis que son joli corps charnu se roulait sur la carpette.

Sarah, cependant, qui ne perdait jamais complètement son sang-froid, consulta sa montre de poignet. Elle se redressa ensuite d’un bond :

— Il me faut rentrer, sinon comment je me ferais arranger par mon dab !

On la prit au sérieux, et chacun s’empressa à l’aider à se rhabiller. Ce fut d’ailleurs rapide, le nombre réduit des vêtements rendait la tâche facile.

En son simple appareil, Yvonne la reconduisit jusqu’au palier. En lui serrant la main, elle pria :

— Tu reviendras me voir, ma jolie Sarah ?

La jeune fille promit, à condition naturellement que Louis fût là.

Celui-ci prétendit l’accompagner. En bas, ils trouvèrent un taxi aisément et ils se blottirent l’un contre l’autre sur la banquette.

— Tu t’es bien amusée ? s’inquiéta le jeune homme.

Elle esquissa une moue désabusée :

— Bien moins que quand nous sommes tous les deux.

Il fut flatté et l’étreignit avec frénésie, l’embrassant sur la bouche avec l’ardeur d’un fiancé chaste.

Elle mit pied à terre non loin du logis et poursuivit sa route calmement.

Si elle avait prétendu être en retard, c’était uniquement afin de mettre un terme à une distraction qui ne l’amusait plus. Ce contact perpétuel d’une femme nue ne lui plaisait guère, elle n’avait plus la sensation précieuse de dominer comme lorsqu’elle se trouvait auprès d’un homme.

Quand elle pénétra au salon où son père et sa mère étaient encore réunis, Clarizet lui fit un compliment sur sa bonne mine.

Elle sourit innocemment :

— Je me suis bien promenée, ça m’a reposée.

— Elle travaille trop, cette enfant ! gémit Madame Clarizet.

À table, elle fit honneur au dîner et, plus tard, dans sa chambre, elle s’endormit au milieu d’un rêve charmant.



VII


Yvonne Fontaine avait des relations et elle possédait aussi de l’astuce.

La nuit suffit à son adresse pour savoir de Louis où il rencontrait d’ordinaire la belle Sarah. Ce lui fut un renseignement important, et dès le lendemain, elle se mit en campagne.

Une ami intime, Colette Hardoye, l’aiguilla aussitôt sur la bonne voie. Colette faisait de la dactylographie dans une compagnie d’assurances, mais comme elle possédait une croupe imposante et des seins fermes, elle ne réduisait point son activité à la dactylographie. Elle fréquentait les dancings, parfois les boîtes de Montmartre, avait un gigolo et des clients réguliers. Bref, c’était une jeune femme dans le dernier train.

Ce n’était point là assurément sa principale qualité, en ce qui concernait les projets d’Yvonne. Mais elle avait un frère, jeune éphèbe, qui tapait sa sœur quand il n’avait plus personne d’autre à taper. Il s’occupait de représentation, plaçait quelques vagues marchandises et entre deux courses se reposait aux terrasses de café.

Georges Hardoye, malingre et nerveux, aimait les femmes, ce penchant le perdrait peut-être un jour, en attendant il en retirait le maximum de jouissances. Nous devons à la vérité de reconnaître qu’il n’avait rien du gigolo et préférait rouler un client, voire un ami plutôt que de demander de l’argent à une compagne éphémère.

Dès que Yvonne eut confié ses ennuis à Colette, celle-ci songea à son frère :

— J’en parlerai à Georges, il t’aura vivement levé cette poulette, quant à la virginité, tu peux être tranquille, il en fera son affaire.

Yvonne fournit tous les renseignements et partit ensuite fort guillerette, certaine de tenir sa vengeance en même temps que sa tranquillité.

Ce fut la raison pour laquelle Louis et Sarah furent épiés le soir, tandis qu’ils se retrouvaient à la Concorde, par un jeune homme élégant, au teint blême et aux yeux fulgurants.

Georges Hardoye, les mains dans les poches, reconnut cyniquement :

— Pas mal, la poulette, j’en ferais bien mes dimanches !

Il les fila jusqu’à l’hôtel ; les attendit à la sortie, suivit Sarah jusque chez elle. Il était définitivement renseigné, et il rentra chez lui très gai, pendant que Louis, l’heureux vainqueur, roulait en son esprit des pensées amères. Son après-midi, encore une fois, avait été infructueuse, Sarah, s’était amusée comme une petite folle, avait goûté à des joies diverses, sans rien accorder d’elle-même.

Elle se disait, tout en regagnant le toit familial :

— Les hommes sont vraiment des idiots !

Cette conviction ne devait pas tarder à s’évanouir et la sagesse commença à lui venir dès le lendemain.

Comme elle se dirigeait vers le lieu de rendez-vous, un élégant jeune homme l’arrêta au passage. Il lui raconta une histoire abracadabrante, elle rit et la glace fut rompue entre eux.

Sans tergiverser, il la prit par le bras et l’entraîna dans une direction toute différente. Elle eut bien un faible souvenir pour Louis et pensa :

— Le pauvre !

Ce fut tout cependant. Docile et curieuse, elle suivit le nouveau conquérant.

Georges, célibataire et don Juan au petit pied, possédait une garçonnière bien agencée pour ce genre de rencontres. Il héla donc un taxi et avec Sarah à son côté se fit conduire chez lui.

C’était à un premier étage, avenue Kléber. Sarah, en dépit de son émotion, ne fut pas trop essoufflée en pénétrant dans une chambre à coucher art moderne qui faisait suite à un fumoir cubique, le tout flanqué d’une salle de bains.

Avec des rires légers, elle regarda, examina tout autour d’elle, palpa les bibelots, caressa d’une main experte le dessus de lit de satin.

Georges la suivait en ricanant ; si elle n’éprouvait qu’une relative curiosité sensuelle, lui, par contre, sentait l’impatience gronder en lui. Mais une vierge, n’est-ce pas, cela ne se bouscule pas comme une femme mariée sur le retour d’âge.

Il lui laissa donc un moment de répit, afin qu’elle s’habituât à l’atmosphère, puis brusquement, la prit dans ses bras, lui plaquant aux lèvres un baiser onctueux.

Aussitôt, elle s’abandonna, pâmée, tout l’être secoué de frissons. Narquois, il se dit :

— Ça y est, je la tiens !

Sa main gauche se hasarda en des explorations lointaines. Sarah ne réagit pas, bien au contraire, sa taille se cambrait, elle offrait quasiment sa chair en holocauste.

La jugeant à point, il l’aida à se dévêtir, mettant même quelques discrétions en ce concours. Il fut bientôt étonné de la facilité avec laquelle, en riant de toutes ses dents, elle se dénudait.

Comme il n’était pas ennemi de sagaces préparatifs, il la poussa vers le lit, lui octroyant des caresses subtiles, où les roses se mêlaient aux épines.

Elle riait et se pâmait, ne manifestant ni étonnement ni pudibonderie.

Il s’enhardissait de plus en plus, et elle l’encourageait par des propos gentils, empreints d’une puérilité charmante.

Son impatience ayant atteint le paroxysme, il se dévêtit à son tour. Sarah laissa échapper un soupir de découragement : celui-là ne serait pas encore l’élu, elle se voyait dans l’obligation de le ranger dans la catégorie des chimpanzés aux formes monstrueuses.

Elle n’en dit rien cependant et lui s’approcha crânement pour l’assaut suprême.

Il eut une surprise qu’il n’avait jamais connue à cet instant décisif. Sarah se referma comme une coquille, son regard se fit sombre, elle se mordit les lèvres.

Il voulut employer le raisonnement, les bonnes paroles. La jeune fille ne répondait rien, entendant à peine, peu disposée à se laisser convaincre.

Pas encore, il ne songea à se fâcher, mais il usa de toute sa vigueur qui était faite surtout de nervosité.

Sarah crispa les mâchoires et se défendit silencieusement. Il n’avait devant lui que des jambes nouées l’une à l’autre, des bras croisés fiévreusement.

Passive en sa défense, elle se fatiguait moins que lui, il dut battre en retraite, masquant sa fureur sous un sourire ironique.

Debout près du lit, il se pencha :

— Que veux-tu, en somme ?

Elle l’enveloppa d’un regard angélique :

— Comme t’à l’heure !

Il railla, sardonique et peu convaincu :

— Et moi, je ne joue pas ?

Paisible, elle se laissa glisser du lit :

— Je vais m’en aller, si tu le désires ?

Prompt comme l’éclair, il l’avait saisie avant qu’elle eut ses deux pieds à terre et la rejeta sur le matelas, les jambes en équerre, les mains agrippées à la couverture.

Mais sa ruse ne lui procura pas la victoire, elle se tordit comme un ressort et se transforma instantanément en chien de fusil.

Il essaya de lutter, mais ce fut en vain ; toujours elle lui échappait par un mouvement inattendu.

Ils ahanèrent tous les deux, la respiration saccadée, le corps ruisselant de sueur. Chacun d’eux ne voulait démordre de ses intentions et faisait de son mieux pour réussir.

À la fin, il se fâcha, ne possédant pas la longanimité des autres amants de la jeune fille.

— Si tu continues à te payer ma tête, je cogne !

Elle ne le crut point et minauda :

— Mais, je ne me moque pas…

D’une bourrade, il la bascula sur le lit, mais se relevant prestement fut se réfugier sur le fauteuil. Elle agissait comme d’habitude, cherchant à l’aguicher, espérant venir à bout de son entêtement par une ténacité plus grande encore.

Mais, pour une fois, elle devait trouver son maître.

Accroupie sur le fauteuil, elle le narguait de son rire ensorceleur.

Ce fut le comble, il vit rouge et, exaspéré, s’empara de sa ceinture de cuir.

— Ah ! tu rigoles ! éructa-t-il.


Accroupie sur le fauteuil, elle le narguait de son rire… (page 150)

La lanière s’abattit sur le dos offert avec un claquement sinistre.

Sarah sursauta. La surprise mêlée à la douleur l’anéantirent.

Il s’était rapproché et, le visage grimaçant, frappait avec fureur. Il grognait, exalté :

— Quand tu en auras assez, tu le diras !

Elle roula à terre, ahanant, le buste et la croupe meurtries. Pas encore, elle n’était revenue de son étonnement et ne songeait pas à se défendre.

Elle tenta de se redresser, mais d’une poigne furieuse, il la saisit aux cheveux et la rejeta sur le sol.

Brusquement, elle eut la sensation de sa défaite et éclata en sanglots.

Cela produisit immédiatement une réaction, il ricana :

— Ah ! tu chiales !

De ses deux bras, il la souleva et la porta sur le lit où elle s’écroula sans force.

Elle pleurait, avec des petits hoquets convulsifs, ne songeant plus à se défendre.

Sans hâte, maintenant, il la prit, l’écrasant de son poids.

Elle eut un sursaut douloureux, une plainte monta à ses lèvres, puis elle se tut, surprise par des sensations nouvelles.

Son être s’éveillait soudain à la volupté, elle s’abandonnait tout entière, sans pensées, bégayant des mots sans suite.

Quand il se recula, elle lui sourit, tendrement, n’osant bouger encore, espérant que tout n’était point terminé.

Narquois, il s’assit sur le bord du lit et alluma une cigarette. Elle vint se blottir auprès de lui et réclama également une cigarette.

Ils se taisaient, n’ayant subitement plus rien à se dire, ou plutôt, la jeune fille, si elle avait osé, aurait posé de nombreuses questions, mais la timidité l’arrêtait.

Sa cigarette écrasée dans le cendrier, il attira de nouveau sa maîtresse contre sa poitrine.

La tête rejetée en arrière, la gorge tendue, elle s’abandonna, espérant que le jeu allait reprendre. Mais, maintenant, l’homme n’éprouvait plus de hâte, il s’amusait en des mignardises savoureuses.

Alors, afin de l’inciter à bien faire, elle se rappela soudain tout ce qu’elle avait réclamé auparavant des amants dociles et l’exécuta elle-même avec autant d’adresse que de patience.

Georges ne tarda pas à monter au septième ciel, sa passion fut de nouveau exaspérée et il empoigna sa victime pour ne plus la lâcher.

Elle riait, ne se débattant plus, s’offrant au contraire avec une docilité digne d’éloges.

Ce ne fut que tard qu’ils se quittèrent. Sarah se sauva peureusement au logis, quoi qu’elle ne craignit pas beaucoup les remontrances maternelles ou les menaces de Clarizet.

Elle arriva d’ailleurs assez à temps, pour inculper encore une fois le cours du soir.

Si cela n’est pas exagéré, on pourrait dire qu’elle avait du bonheur plein le cœur, et il lui tardait de se retrouver dans la solitude de sa chambre pour s’assurer si l’amant, en sa brusquerie, n’avait point laissé de traces sur son corps juvénile.

Aussi, dès le repas fini, elle se sauva prétextant la fatigue. Et, une fois dans sa chambrette, elle se livra à une revue de détail circonspecte.

Très vite, elle constata qu’il existait en elle une différence entre hier et aujourd’hui, mais, en somme, cette différence était minime, et les choses s’étaient passées au mieux.

Alors, elle songea à Louis Fontaine et, avec un rire malicieux, reconnut qu’elle ne regrettait point de l’avoir manqué.



VIII


Dans la vie, l’on n’obtient jamais ce que l’on désire.

Le jour suivant, en sortant du lycée, Sarah aperçut Fontaine qui l’attendait au coin de la rue.

Une minute, elle eut l’intention de fuir, préférant rencontrer Gorges qui renouvellerait certainement le grand jeu de la veille.

Mais Louis l’avait vue, elle accepta la situation avec bonhomie.

L’explication de son absence de la veille ne lui occasionna pas des recherches prolongées.

— Mon chéri, maman était venue m’attendre pour m’emmener en visite.

C’était plausible, il la crut, mais afin de ne pas perdre un temps précieux, il l’entraîna vers un hôtel relativement proche.

Quand elle se vit en face de lui, entre les murs de la chambre, il se produisit en elle une évolution soudaine. Certes, elle ne pensait plus à se refuser comme auparavant, mais prétendit qu’il méritât son abandon.

Ce fut donc, au début, la même comédie que d’ordinaire, elle se roulait sur le lit en répétant :

— Non… non… entre deux rires brefs.

Puis elle lui échappa brusquement et, debout, les poings sur les hanches, posa ses conditions :

— Si tu es bien gentil…

Vaincu, secoué par le désir, il acquiesça et, dès cet instant, il fut un esclave caressant, obéissant aux fantaisies les plus extravagantes de la maîtresse. Il oubliait tout amour-propre, tout scrupule, le désir lui embrasait le cerveau. Enfin, il avait une promesse ferme.

Parfois, il revenait à la charge, mais le front serein, elle le repoussait :

— Encore ça…

Et il obéissait, éprouvant une joie sauvage à se sentir tyrannisé par la passion qui bouillonnait en lui.

Elle frissonnait, brisée par la volupté, tordue elle aussi par le désir intime ; elle résistait cependant, voulant atteindre le paroxysme de cette exaltation.

Ce fut à bout de forces qu’elle s’écroula sur le lit et, aussitôt, Louis fut près d’elle.

Il n’en croyait pas ses sens ; ainsi, il l’avait à lui, enfin, après des jours et des jours de lutte.

Elle apportait autant de frénésie que lui dans l’acte d’amour, ayant la veille goûté à la coupe enchantée.

L’apaisement soudain et simultané les étonna, ils ne se résignèrent point à se lâcher.

Comme il arrive toujours, le premier maître ayant eu les difficultés à vaincre n’avait pas procuré la même somme de plaisir que le second. Celui-ci avait eu en outre l’avantage d’un énervement préalable.

En sa simplicité, Sarah conclut que Louis était bien supérieur à Georges.

Lui, demeurait étonné de son succès, il contemplait l’amoureuse compagne avec une sorte de déception.

Elle lui cercla le cou de ses bras tièdes.

— Chéri ! chéri ! bégaya-t-elle.

Et les caresses reprirent, subtiles, persévérantes.

Ce soir-là, Sarah s’arracha avec peine des bras de l’amant.

En revanche, il ne l’accompagna point comme d’habitude, lui disant au revoir à quelques pas de l’hôtel.

Cet incident, quoique minime, la rendit songeuse, elle se dit que dès qu’un homme avait obtenu ce qu’il convoitait, il se détachait.

De cette constatation, elle se promit de faire son profit à l’avenir.

Assez maussade, elle rentra au logis et trouva celui-ci plus mélancolique encore que de coutume. Madame Clarizet lui parut d’une mollesse décourageante et elle nota que son père fleurait l’alcool à dix pas.

En résumé, elle se sentait mal disposée envers le genre humain tout entier.

Elle se coucha de bonne heure et, par extraordinaire, s’endormit aussitôt d’un sommeil d’enfant, et le lendemain matin, elle se vit reposée comme elle n’avait jamais été. Elle attribua tout naturellement ce changement à ses ébats de la veille.

Sans qu’elle se l’avouât implicitement, elle gardait une sourde rancune à l’égard de Louis et décida brusquement que, ce jour-là, elle verrait Georges.

Dès la sortie du lycée, elle sauta dans un taxi et se fit conduire à la garçonnière du jeune homme.

Celui-ci l’attendait, comme il l’avait attendu le soir précédent. L’excuse de sa mère venue la chercher à l’école fut encore une explication suffisante.

Georges prétendit immédiatement commencer des jeux ordinaires, elle réclama quelques préliminaires. S’il condescendit, ce fut de mauvaise grâce et ne tarda pas à gronder :

— Maintenant, voilà, j’en ai marre !

Comme il se montrait têtu, elle dut se plier à sa volonté. En revanche, il répéta le jeu à maintes reprises avec un brio qui surprit la jeune fille encore peu au courant.

Toutefois, cette répétition, ne compensa point chez elle l’absence de préparatifs. Le tempérament sensuel et languissant qu’elle tenait de sa mère ne se réveillait que très lentement. Il lui fallait l’accumulation de sensations diverses, de voluptés séparées pour faire naître réellement le désir.

C’était d’abord l’imagination qui se mettait en mouvement, puis venait progressivement, l’exaltation de la chair.

Elle quitta Georges assez dépitée, s’affirmant qu’au bout du compte, elle préférait Louis.

Ce fut donc ce dernier qu’elle rencontra le lendemain.

Ayant un précédent, il voulut commander en maître, son impatience le poussa lui aussi à réduire les préparatifs.

Mais, cette fois, Sarah se révolta, elle sauta sur sa chemise en hoquetant de fureur :

— Tu es une brute, tu ne m’aimes pas. Donc, tu n’auras rien du tout. Ça t’apprendra !

Apeuré, il se fit suppliant, et elle accepta enfin d’abandonner sa chemise en échange d’une promesse formelle qu’il se soumettrait à ses fantaisies.

Force lui fut d’accepter, et la comédie reprit, comme aux débuts de leurs amours. Sarah aimait la fantaisie, elle le lui montra bien. Il fut un esclave docile, soumis, qui ne recula jamais.

Ce ne fut qu’à bout de résistance, tout l’être tendu par le désir, qu’elle se jeta sur le lit, appelant l’amant au secours.

Cette fois, elle goûta pleinement la volupté ; ce fut un plaisir entier, profond, durable, qui la laissa ensuite toute frissonnante, pendant dix bonnes minutes, avec l’impression que des milliers de fourmis lui couraient à travers les entrailles.

Reconnaissante, elle embrassa le jeune homme :

— T’es un beau gosse, aussi je t’adore !

Il en fut convaincu, et l’aima lui-même un peu plus.

Néanmoins, il ne l’accompagna qu’un court chemin. L’apaisement charnel ranimait son égoïsme, il aspirait à d’autres distractions, en particulier à revoir son bookmaker, afin de savoir s’il avait gagné.

Il l’embrassa rapidement aux lèvres, sans grand transport.

Cette fois, pour la jeune femme, ce ne fut point de la rancune qui s’éleva dans son cœur, mais une tristesse.

Elle croyait aimer, se supposait aimée, et constatait que tout se résumait à ce que Rabelais appelle faire la bête à deux dos.

Elle n’en eut point de répugnance, reconnaissant avec sincérité qu’elle prenait grandement sa part de plaisir. Mais, à son tour, elle se dit que le plaisir était tout, le sentiment restant inexistant.

Ainsi, peu à peu, elle évoluait, son cœur se fermait à toute tendresse, par contre, sa chair prédominait.

Le lendemain, une vague lassitude l’empêcha de retourner à l’un ou l’autre rendez-vous. Elle avait soif de nouveauté et son amoralité grandissante la poussait à rechercher cette nouveauté plutôt que de toujours courir par des sentiers battus.

Ce fut ce qui la conduisît vers le quartier latin, où elle savait rencontrer Léon, son premier demi-amant.

Elle le vit à une terrasse de café, suçant avec orgueil, une courte pipe éteinte. Il était en compagnie d’un copain qu’il rêva aussitôt d’étonner.

Sans embarras, Sarah fut s’asseoir à leur table, et Léon prit aussitôt à son égard des allures de pacha.

Le camarade crut de bon goût de s’éloigner, il prit congé, laissant les deux cousins en tête-à-tête.

Sarah mena les choses rondement, elle rappela avec des rires perlés les souvenirs communs, si bien que Léon lui proposa crûment de renouer la chaîne rompue.

Comme elle n’était venue que pour cela, elle accepta d’emblée.

Quelques minutes plus tard, ils étaient dans la chambre du jeune homme.

Mais là, elle ne tarda pas à déchanter. Léon, avec toute la fougue de sa jeunesse, se refusa péremptoirement aux mignardises illusoires pour courir immédiatement au plat de résistance.

Sarah ne put lutter contre cette intransigeance, d’autant plus qu’il se montrait d’une maladresse déconcertante.

À l’instar de Louis, il galopa plusieurs postes, au point que la jeune fille n’eut pas le temps de s’en apercevoir. Elle le quitta brisée, inapaisée et désemparée.

Décidément, nulle part, elle ne découvrait ce à quoi elle espérait secrètement, et soudain, en un accès de colère, elle se résolut à revenir à la première méthode. Donnant, donnant, quiconque éveillerait par la patience sa sensualité posséderait son corps.

Mais, pour arriver à cela, il fallait faire table rase du passé.

Au préalable, néanmoins, elle devait se débarrasser des deux amoureux qui ne lâcheraient pas prise aisément.

Subitement, tout en revenant au logis, elle éclata de rire : elle avait trouvé le subterfuge.

À midi, le lendemain, elle téléphona à Louis qu’elle désirait le voir, immédiatement à la sortie du lycée.

Il fut exact au rendez-vous et fut confronté avec une Sarah livide, aux traits contractés, à la mine désespérée.

Elle le prit par le bras, l’entraîna et sans même le laisser souffler, murmura en un sanglot :

— Mon chéri… ça y est… je suis… enceinte !

Il s’arrêta, les jambes flageolantes :

— Tu es sûre ?

— Absolument !

Il ne réclama pas de détails et la crut sur parole.

Le front raviné de rides, elle gronda :

— Tu dois divorcer avec Yvonne et m’épouser, sinon mon père te tuera… C’est un homme violent, qui a toujours un browning dans sa poche.

Ahuri, il bafouilla :

— Oui, bien sûr !

Sarah marchait auprès de lui, feignant l’inquiétude et le chagrin. Lui, se sentait bouleversé. Il aurait voulu faire quelque chose et ne savait pas quoi. Avec horreur, il chassa de son esprit l’idée de prendre conseil de sa femme.

Sarah, hypocrite, insinua :

— On va à l’hôtel ?

Il parut sortir d’un rêve et se secoua :

— Non, non… pas aujourd’hui, tu comprends, il me faut réfléchir.

Tristement, elle lui tendit la main :

— Alors, à demain !

Il s’éloigna précipitamment, la conscience bourrelée de remords, mais son sens pratique, cependant, peu à peu prenait le dessus :

— Elle va me faire chanter, la petite garce ! Après tout, je ne la connais pas, elle a bien pu attraper ça ailleurs !

Pendant ce temps, la jeune fille avait sauté dans un taxi qui l’amena avenue Kléber.

Georges l’attendait en fumant des cigarettes américaines. Il fut lui ouvrir et aussitôt recula épouvanté : il voyait une amie au visage exsangue, aux traits crispés.

Dans le fumoir, elle se laissa tomber dans un fauteuil avec un grand soupir. Puis elle éclata en sanglots.

Il se pencha sur elle, assez de mauvaise humeur :

— Qu’est-ce qui t’arrive ? T’en fais une bouillotte !

Les lèvres tordues par les pleurs, elle bégaya :

— Je suis enceinte… tu m’as rendue enceinte… Je le devinais… c’est pour cela que je ne voulais pas…

— Tonnerre de Dieu !

Il recula, assommé par ce coup, mais il se redressa avec un air cynique :

— Tu me prends pour un autre… Tu veux me faire encaisser un lardon que ton gigolo t’a fabriqué !

Elle gémit :

— Mais non, je t’assure !

La sentant faible, il se fit plus courageux, plus énergique :

— Rien à faire, ma petite, si tu m’as pris pour une poire, tu t’es trompée !

Péniblement, elle se releva et s’essuyant les yeux d’un mouchoir trempé, se dirigea vers la porte.

— J’avouerai tout à papa, fit-elle entre deux sanglots.

Elle gagna le palier sans qu’il tenta de l’arrêter. Il s’était écroulé sur un siège et maussade gronda :

— Sale histoire… aurais-je pu penser ça ?… Pourvu que le père ne soit pas un matamore du diable !

Il frissonna d’une honnête terreur et ralluma sa cigarette.

Sarah, ayant séché ses larmes et souriant hypocritement, remontait vers l’Étoile :

— Si avec ça, je ne suis pas débarrassée de tous les deux, je ne sais plus ce qu’il leur faut.

Un taxi la ramena de bonne heure au logis. Après ces rudes assauts, elle avait besoin de réfléchir, de rassembler ses idées.

Sa mère la reçut avec son sourire bienveillant habituel :

— Pas long aujourd’hui le cours du soir.

— Le professeur était malade, répondit Sarah sans rougir.



IX


Sarah, en effet, prit plusieurs jours pour réfléchir. À la sortie du lycée, le soir, elle s’en allait bien par les rues à la recherche d’une proie, mais ne s’arrêtait à aucune décision.

Il y eut évidemment de nombreux accostages, mais si l’accosteur était jeune, elle le repoussait avec horreur, se souvenant des coups de ceinture de Georges, Si, au contraire, il était vieux, elle s’en éloignait avec dédain.

Des idées germaient en son esprit fertile, mais son ignorance de la vie ne lui permettait pas de se résoudre à bon escient.

Entre temps, dans la solitude de sa chambre, elle caressait de nombreux rêves qui achevaient d’enflammer son imagination.

Elle avait besoin d’un guide, le hasard se chargea de le lui fournir.

Un samedi, ayant négligé le lycée, elle rentra de bonne heure au logis, en l’absence de Madame Clarizet.

Comme elle pénétrait dans sa chambre, elle s’arrêta stupéfiée, puis éclata de rire.

Célestine, la boniche, dans le plus charmant déshabillé, était installée chez elle et écrivait une lettre, probablement à un amoureux.

Apeurée d’abord, la soubrette se redressa d’un bond, et ce qui lui restait de vêture dégringola à terre lamentablement.

Sarah la tranquillisa ; elle ne se voyait


Célestine, dans le plus charmant déshabillé, était installée
chez elle… (page 176)

pas mécontente de cet incident, d’autant plus que l’absence de mâle avait exaspéré sa chair.

Elle s’approcha et voulut se rendre compte si Célestine était bien blonde comme elle le paraissait.

Celle-ci se tordit de rire et s’aperçut aussitôt que sa jeune maîtresse se montrait experte en la matière.

Avec philosophie, elle s’abandonna à la situation et se fit une amie de sa jeune maîtresse.

Une heure plus tard, les seins mous, les yeux brillants, elles étaient allongées côte à côte sur le lit et devisaient insoucieusement.

Célestine avait eu des déboires, l’âme confiante, elle avait cru à l’amour et avait du rapidement déchanter. À son avis, pour les hommes, tout se résumait à une affaire de chiennerie et ne réussissaient avec eux que celles sachant leur tenir la dragée haute.

Elle se comportait justement ainsi actuellement à l’égard d’un rentier quinquagénaire et espérait retirer bientôt de cette tactique des bienfaits appréciables.

Pour la gouverne de Sarah, elle entra dans les détails, indiqua à quoi elle soumettait l’amoureux transi et le dominait peu à peu.

Ce fut là pour la jeune fille matière à réflexion. Elle comprit pourquoi avec Laveline elle avait échoué, aussi bien qu’avec Louis Fontaine. Elle se promit d’être plus habile à l’avenir.

Elle eut deux longues journées pour méditer et, le lundi, elle se mit en campagne, retournant aux Champs-Élysées, qui offraient, à son avis, le plus de chance de succès.

Vautrée sur un fauteuil métallique en la pénombre d’un recoin bordé de fusains, elle fuma une cigarette, la serviette sur les genoux, les yeux étincelants.

Il y eut devant elle des allées et venues. Lorsqu’il s’agissait d’un jeune, elle fronçait les sourcils farouchement et cela suffisait d’ordinaire pour mettre en fuite l’audacieux.

Selon les conseils de Célestine, les hommes entre deux âges l’intéressaient davantage ; elle finit même par sourire à l’un d’eux qui portait une barbe carrée, grisonnante. Il possédait une bonne face joviale et lippue d’amateur de Bourgogne.

Il n’hésita pas et fut s’asseoir auprès d’elle. Nullement bégueule, elle continua à sourire, ce qui facilita la conversation.

Cependant, comme malgré tout, elle parlait peu, laissant bénévolement le crachoir à l’autre, celui-ci ne tarda pas à s’exaspérer et passa des discours aux actes.

Sarah souriait toujours d’un air angélique, permettant toutes les audaces, sans un sursaut d’étonnement.

L’homme se leva :

— Viens, ne restons pas là !

Placide, elle ramassa sa serviette et la glissa sous son bras. La mine ingénue, elle prétexta :

— Maman me gronderait si je rentrais trop tard !

Il fut anéanti, ayant espéré profiter sur-le-champ d’une aubaine inespérée.

Haletant, bavant à demi, il s’inquiéta :

— On se reverra ?

— Bien sûr, demain, mais alors un peu plus tôt.

Il l’accompagna jusqu’à la Concorde où elle prit un taxi pour rentrer.

Certainement, il avait été déçu, d’autant plus que les attaques préliminaires avaient été fort loin. Mais une immense espérance gonflait son cœur et, joyeux, il se répétait :

— Demain ! Demain !

Sarah n’avait rien eu de plus pressé que de tout raconter à Célestine. Celle-ci l’encouragea :

— Ça va ! ça va ! tâche de tenir ferme.

La jeune fille ne fit qu’une courte apparition dans l’intimité familiale. La monotonie qui régnait sous le toit paternel commençait à la lasser. Elle aspirait à plus de vie, plus de gaieté, à une activité qui faisait absolument défaut dans l’entourage de Madame Clarizet.

Elle regagna donc très tôt sa chambre où Célestine vint la rejoindre. Elles bavardèrent longtemps, se prodiguant en outre mutuellement de multiples encouragements.

Le jour suivant, Sarah ne parut au lycée que le matin ; l’après-midi, elle profita d’un pâle soleil d’automne pour se promener sur les boulevards et se trouver à l’heure convenue aux Champs-Élysées.

L’inconnu, qui d’ailleurs s’appelait Fernand pour les dames et Chalard dans la vie courante, arriva peu après, soufflant, suant, la bedaine agitée, mais la face hilare.

Sarah lui tendit une main languide :

— Vous allez bien ?

Il trépigna sur place :

— On ne va pas moisir là ?

Elle acquiesça, feignant une mollesse :

— Si vous voulez !

Il l’entraîna éperdument et ils s’en furent échouer à l’hôtel où elle avait coutume de rencontrer Louis. La soubrette de l’étage lui adressa un petit sourire de reconnaissance sournoise.

La porte refermée, le quadragénaire se montra entreprenant, caressant et tendre.

Sarah se laissa dévêtir avec une jolie mine pudique, et lorsqu’elle n’eut plus rien, elle se voila le visage de ses deux mains, afin, sans doute, de ne pas se voir.

La comédie de jadis recommença, mais avec plus de raffinement et plus de pondération. Lorsque l’homme manifestait de l’impatience, elle lui prodiguait des caresses attendries.

Mais elle s’abandonna, sombrant aussitôt dans le délire.

Ensuite, elle jura au compagnon qu’il aurait pu faire mieux, ce dont il fut navré et confus.

Elle alluma une cigarette d’un air désinvolte et feignit de ne plus s’occuper du quadragénaire, comme si elle l’eut boudé.

Il revint à elle, repenti, tendre, amoureux. Un moment, elle le laissa souffler, puis, doucement, avec des petits rires aigrelets, elle tenta de ranimer en lui, la flamme du désir.

Elle avait des audaces savantes, des caresses perfides, des admirations naïves.

Lui, satisfait, jouait le rôle de pacha, comme si tout cela lui était dû.

Mais, brusquement, lorsqu’elle le vit incandescent, Sarah le laissa cyniquement en place et s’en fut revêtir sa petite chemise.

Il courut après elle, inquiet, les mains tendues, la barbe en broussailles :

— Qu’est-ce que tu fais ?

Il tentait de la ramener vers le lit, mais elle résistait :

— Je dois rentrer, tu comprends, maman me gronderait !

Prières, menaces, supplications, rien ne la fit céder ; elle souriait avec douceur et répétait :

— Demain, on se retrouvera !

Elle acheva sa toilette et lui tendit ses lèvres sanguines :

— Au revoir… à demain…

Il se trouvait encore en caleçon que déjà, elle sautait sur le trottoir, retenant un fou rire.

Quoi qu’elle en eut dit, il était encore de bonne heure pour rentrer à la maison ; elle flâna le long de la rue de Rivoli, faisant un choix anticipé aux vitrines des magasins, pour le jour où le pécune gonflerait son porte-monnaie.

Pendant ce temps, Chalard se désolait :

— Je n’ai pas su contenter cette petite, je suis un pâle mufle !

Il se promit de se montrer plus expert le lendemain et de prolonger les préliminaires, afin qu’elle ne désirât pas une récidive au grand jeu.

Et Sarah, souriant d’une malice satisfaite, rejoignait Ernestine à la cuisine.

Avec force détails, elle lui fit part de ses exploits et la soubrette approuva :

— De cet homme-là, tu en feras ce que tu voudras, si tu persévères. Ils veulent tout pour eux, tu leur donneras un peu, au compte-goutte, et ils attendront le reste.

Sarah fut satisfaite de cette approbation, se considérant dans la bonne voie.

Quand elle arriva à la salle à manger où Madame Clarizet tricotait pour les pauvres de l’arrondissement, elle sentit, plus encore que de coutume, la pesanteur de cette atmosphère.

Elle grandissait, avait des aspirations dont beaucoup restaient comme imprécises en son esprit et ses parents prétendaient qu’elle venait de leur petite existence monotone de braves gens fatigués par la vie.

Elle n’était pas encore à l’état de révolte, mais cet état se préparait lentement, mais avec une immuable régularité.

Son père, quand il rentra, lui parut ridicule avec ses plaisanteries toujours les mêmes, ses explications confuses de parties de belotte tumultueuses.

Madame Clarizet avait de la philosophie, elle n’écoutait que d’une oreille, et continuait à sourire. Il n’en était pas de même de Sarah qui possédait, malgré sa paresse naturelle, une certaine culture intellectuelle.

Elle ne se rappelait point quand cette sensation de petitesse et de mesquinerie l’avait frappée pour la première fois. Mais maintenant, chaque jour, elle s’en apercevait davantage.

Aussitôt après le dîner, elle se sauva dans sa chambre et essaya de réfléchir à l’avenir, tout au moins au mois prochain. C’était, au vrai, un effort au-dessus de ses forces et elle ne tarda pas à s’endormir.

Au matin, elle se réveilla maussade et se demanda pourquoi elle s’astreignait ainsi à se rendre au lycée chaque jour, tandis qu’il aurait été agréable de demeurer au lit ?

Néanmoins, son esprit en révolte ne lui suggéra pas encore la grève de la faim et elle se décida à se lever.



X


Cette mauvaise humeur qui tourmentait la jeune fille depuis le matin, ne s’apaisa pas au cours du jour et ce fut Chalard qui supporta le contre-coup.

Elle arriva au rendez-vous, les sourcils froncés, la bouche mauvaise, mais les yeux brillants de fièvre.

Il l’embrassa avec une tendresse quasiment paternelle, la serrant contre sa poitrine, lui chatouillant les joues de sa barbe.

Mais, tandis que la tenant par le bras, il l’entraînait vers l’hôtel, tout en lui murmurant des propos frivoles, elle laissait égarer son imagination en des régions extravagantes.

Elle se souvint brusquement de la fourrure maternelle qui, après usage, avait échu à Madame Petimangin. Machinalement, elle compara cette fourrure à la barbe de Fernand, et cela lui arracha un éclat de rire juvénile.

Cependant, elle résolut incontinent de tenter l’expérience.

Quand elle se trouva dans la chambre avec le quadragénaire, sa mauvaise humeur s’accrut, elle se déshabilla avec des mouvements brusques.

Chalard feignait de ne rien remarquer et s’occupait de ses propres affaires.

Mais la situation se transforma lorsqu’il prétendit réclamer ses droits.

Sarah ne l’autorisa tout d’abord qu’à de multiples mignardises qui, progressivement activaient la circulation de son sang.

La volupté pénétrait en elle, lentement, par tous les pores, l’imagination, en outre, jouant un rôle prépondérant.

Elle eut, cette fois, des exigences qu’elle n’avait jamais osées, afin de tâter profondément le terrain.

Fernand s’y plia avec docilité, ayant passé l’âge des répugnances.

Elle ne riait plus, mais ses yeux flambaient d’érotisme, des frissons la secouaient tout entière et entre ses genoux, elle serrait convulsivement la tête de l’amant.

Par sa patience et sa bonne volonté, il la conduisit au paroxysme du désir et ce fut elle-même, à bout de forces, qui réclama son étreinte.

Dans ses bras, elle eut des râles sourds, des tressaillements profonds qui lui secouaient les entrailles. Brusquement, elle se détendit tout entière avec un véritable cri.

Elle le griffait de ses ongles acérés, le mordait à l’épaule de ses dent aiguës, le retenant près d’elle, bien qu’il voulût s’éloigner.

Mais quand il se fut libéré, elle redevint indifférente et, lui tournant le dos, alluma une cigarette. Il lui fallait lutter contre elle-même pour agir ainsi ; elle n’aurait écouté que sa passion, qu’elle aurait couvert l’amant de baisers reconnaissants. Cependant, elle n’oubliait point qu’elle se livrait à un véritable dressage.

Timide, il se rapprocha et l’embrassa à l’épaule, puis de sa main saisit le sein rond et ferme.

Elle se mit à rire, lui caressant la barbe du bout des doigts.

Cependant, quand elle eut achevé sa cigarette, elle retourna à l’amant. À son tour, elle ne manifesta ni embarras, ni répugnance. Dans ses mains agiles et déjà expertes, il devenait un simple jouet que le désir gonflait lentement.

Il la prisait fort pour cette habileté à ranimer la flamme un moment éteinte, il la considérait comme le véritable philtre de jouvence.

Et, comme la veille, quand elle le vit bien exaspéré, prêt à une nouvelle étreinte, elle se dirigea vers ses vêtements.

Anxieuse, il la retint par le bras :

— Tu ne vas pas t’en aller, il est encore de bonne heure !

Elle leva un index rose :

— À une condition…

Cette condition, elle la précisa tout bas, avec un rire au coin des lèvres.

Il fut estomaqué et disposé à refuser. Mais déjà, elle le reprenait, l’enjôlait, le poussant aux limites extrêmes de la passion.

Il consentit, à bout de résistance, et elle s’éclipsa un instant, pour revenir, toute rose d’une malice contenue.

Dès lors, elle sut qu’il était dompté et le considéra comme son esclave.

L’étreinte qui suivit, cette fois, fut tumultueuse et farouche ; à son tour, il lui zébrait le dos de ses ongles aigus, tandis qu’elle le mordait à la gorge avec une sorte de frénésie.

Ce fut, les jambes flageolantes, le cerveau vidé, qu’une demi-heure plus tard, ils quittaient l’hôtel.

Il la regardait de biais, intrigué maintenant par cette perversité précoce. En réalité, il se trompait, la jeune fille cherchait un stimulant à la mollesse instinctive qu’elle avait hérité de sa mère ; sans ce stimulant continuellement renouvelé, elle n’aurait jamais désiré l’œuvre de chair ; au contraire, elle s’en serait éloignée par passion.

Il l’accompagna jusqu’à la Concorde et tout en marchant, ils bavardaient doucement. Sarah se plaignit d’être contrainte de se rendre ainsi en des hôtels, et il proposa de louer un petit pied-à-terre, ils étaient nombreux en ces parages.

Pour cette excellente idée, elle l’embrassa publiquement et il en fut flatté.

À la Concorde, elle refusa qu’il vînt plus loin et ils se séparèrent, en échangeant un regard chargé de malice.

Sarah rentra au logis plus guillerette que de coutume. À Célestine, elle raconta bien certains détails, mais passa pudiquement sur d’autres.

Il y avait en elle un tel apaisement que le lendemain, elle n’alla même pas au rendez-vous, préférant une lente flânerie au long des boulevards. Ce fut ce qui l’amena en présence de Laveline en quête de bonne fortune. Ils rirent en se voyant et le désir de se reprendre, les secoua tous les deux.

Prometteuse, Sarah lui chuchota :

— Tu sais… ça se peut maintenant !

Il n’en écouta pas davantage et l’entraîna vers le plus proche hôtel.

Avec sa naïveté de quinquagénaire, il se figurait que les choses allaient se passer tout uniment, que Sarah se donnerait en la spontanéité d’une professionnelle.

Il dut bientôt déchanter, un sourire malicieux au coin des lèvres, la jeune fille se promena devant lui, jouant des hanches et de la croupe :

— N’oublie pas tes bonnes habitudes, chéri, autrement tu n’auras rien !

Dupé à plusieurs reprises, il se montra méfiant :

— Tu m’as déjà raconté cela tant de fois !

Elle lui prit la main, afin de le convaincre :

— Les temps sont changés sitôt que de ce jour, une trompette sacrée…

Elle éclata d’un rire puéril.

Vexé, il s’inquiéta :

— Qui c’est qui t’a fait ça ?

Elle pirouetta galamment :

— Un monsieur ! En tout cas, tu te rends compte ? Paye d’avance, tu seras remboursé, seulement sois généreux, sinon rien !

Il dut s’incliner. Sarah, forte de sa puissance, se manifesta d’une exigence tyrannique. Plusieurs fois, il tenta d’obtenir la réalisation de la promesse de l’enfant mais, toujours, elle avait quelque chose d’autre à réclamer.

Astucieusement, de ses lèvres habiles, de ses doigts légers, elle le poussait à l’exaspération, puis battait en retraite pour lui donner un nouvel ordre.

Elle le soumit, tout comme Chalard, lui apprenant même des tours de passe-passe qu’il ignorait.

Peu à peu, sa chair se convulsait, sa sensualité vibrait profondément, son être entier s’éveillait au désir véritable. À bout de forces, elle s’abattit sur le lit, l’appelant cette fois à grands cris.

Il fut dignement récompensé, il connut les affres de la volupté exacerbée. Sarah, lorsqu’elle avait atteint le degré nécessaire d’exaltation devenait une amoureuse habile autant qu’ardente. Elle retournait instinctivement à la voie naturelle et sa passion ne connaissait plus de bornes.

Ils se quittèrent fort bons amis, se promettant de se revoir. Laveline voulut réclamer un rendez-vous précis, mais, la tête haute, elle rétorqua, cynique :

— Je ne peux pas te dire… tu comprends, j’ai un autre amant.

Devant une explication aussi convaincante, il dut s’incliner. Bonne fille, cependant, elle lui conseilla de l’attendre le surlendemain devant l’Opéra. Il promit, le cœur plein de joie et d’espérance.

En courant presque, Sarah retourna au logis afin de mettre Célestine au courant de ce nouvel exploit.

La boniche approuva hautement :

— T’as raison, plus on a d’hommes, plus on les domine. Un seul vous tyrannise, plusieurs sont des esclaves.

Ces sages paroles éveillèrent en l’esprit de la jeune fille un monde de réflexions.

Mais elle s’assombrit vite quand elle pénétra dans l’atmosphère mélancolique de la salle à manger. En résumé, elle considérait que dans le cours du jour, elle avait tout au plus trois heures agréables. Sa haine du toit familial s’accrut et se doubla du dégoût de l’école.

— Il faut que ça change ! grinça-t-elle entre ses dents, tandis que Madame Clarizet lui souriait béatement.

Elle se rappelait qu’à plusieurs reprises, elle avait demandé à ses parents de lui procurer quelques distractions, quelques soirées au cinéma, des promenades agréables.

Les braves gens n’y avaient rien compris. Des distractions ? Mais en prenaient-ils, eux ? La vie n’est point faite pour s’amuser.

— Une idée de gamine ! avait conclu Clarizet. Quand elle sera mariée, elle fera ce qu’elle voudra !

La timidité l’avait empêché de récidiver, elle s’enfermait en sa rancœur et rêvait de vengeance, de libertés diaboliques.

Ce soir-là, elle était arrivée au terme de la patience, son ennui débordait, en son imagination ardente elle chercha le moyen d’amener la catastrophe brutale qui la libérerait définitivement. Malheureusement, elle ne trouvait rien pour l’instant.



XI


Quand elle vit Chalard, le soir suivant, elle s’excusa aisément et sans rougir de son absence de la veille. Il y avait toujours l’excuse de sa mère pour la tirer d’embarras.

En revanche, il lui annonça qu’il avait découvert un charmant petit nid où ils pourraient, en liberté, se livrer à leurs amours.

Ils y coururent gaiement, comme deux jouvenceaux, et Sarah, à la vue de deux pièces coquettement meublées d’une façon extra-art nouveau, se montra satisfaite. Elle étrenna le local en gambadant à travers les deux pièces, dans le plus simple appareil. Mais elle revint vite à Fernand qu’elle soumit immédiatement à ses inventions les plus saugrenues.

Ce fut une après-midi tellement délicieuse qu’elle oublia, le jour suivant, de rencontrer Laveline qui patienta deux heures d’horloge devant l’Opéra. De cette absence, il ressentit un réel chagrin, désirant maintenant plus ardemment que jamais la jeune fille qui s’était donnée.

Celle-ci, pendant ce temps, courait vers le home nouveau. Elle y fut vers deux heures, ayant oublié le lycée qui lui devenait désormais un tourment.

Fernand avait eu la délicate attention de lui amener une ancienne amie, Jeanne Gevignez, pour pendre agréablement la crémaillère.

Jeanne était une belle brune, au corps charnu, qui avait versé dans la prostitution élégante. En d’autres termes, elle était entretenue par trois compères qui se connaissaient, et entretenait elle-même un gigolo que les autres ignoraient.

En se voyant en face de cette étrangère, Sarah fit la grimace, craignant d’être privée de son après-midi de distraction.

Chalard s’empressa de la tranquilliser en lui assurant que Jeanne ne serait point un trouble-fête, bien au contraire.

Dès lors, Sarah approuva, et afin de le montrer clairement, elle retira sa robe et sa minuscule chemise.

Très digne, Jeanne l’imita à demi, c’est-à-dire qu’elle enleva sa robe et sa combinaison, ne conservant qu’une chemise de dentelle noire qui marbrait sa chair de brune d’étrange façon.

Chalard voulut que l’on goûtât au préalable : il avait lui-même apporté les éléments d’une repas substantiel.

Gaiement, l’on passa dans la pièce qui tenait lieu de salon, de boudoir, de ritting-room.

Sarah s’extasia à la vue de la table bien garnie. Jeanne, d’ailleurs, avait aidé l’amant à sa disposition.

Tous trois se tassèrent sur le canapé et attaquèrent les victuailles comme s’ils eussent jeûné pendant quarante jours.

La jeune fille en profitait pour se livrer à ses charmantes imaginations, soumettant Fernand à de bizarres taquineries.

Jeanne l’encourageait, jugeant que toute passion était normale du moment qu’elle était sincère.

Entre ces deux femmes liguées par un secret instinct, le quadragénaire se voyait contraint de plier.

À mesure qu’il se soumettait, Sarah devenait plus exigeante.


Oh ! le portrait de Maurice… (page 207)

Avec des rires sonores, elle buvait coupe de champagne sur coupe de champagne, se barbouillant de mousse le bout du nez.

Quittant le canapé, Jeanne se livra à un pas de danse fantaisiste que lui suggérait l’ivresse naissante.

Elle tomba à genoux devant un aquarium contenant un innocent poisson rouge :

— Oh !… le portrait de Maurice ! s’exclama-t-elle joyeuse.

Chalard, qui était au courant, expliqua la chose à Sarah, étonnée, précisant que Maurice était le gigolo de la dame.

C’était là une nouvelle page de la vie qui s’ouvrait à l’étonnement de la jeune fille.

Momentanément, elle oublia ce détail, appelée par des soucis plus pressants.

Chalard, que le champagne avait émoustillé, ne demandait pas mieux que de liquider la situation, si l’on peut s’exprimer ainsi.

Jeanne, cependant, dut aider Sarah à le traîner dans la chambre à coucher, tant était grande son impatience.

La jeune fille avait trouvé dans la bruyante gaieté précédente le stimulant nécessaire à sa sensualité. De ses bras charnus, elle entoura le buste de l’amant et l’attira avec violence.

La volupté la transportait, elle avait des cris de bête blessée, des tressaillements d’agonisant, et ses ongles aigus s’enfonçaient durement dans les omoplates nues de l’homme.

Puis elle demeura anéantie, brisée par une fatigue délicieuse qui était aussi un apaisement. Les yeux embués de larmes, elle souriait à la cantonade et à Jeanne en particulier qui lui contenait la tête et riait de toutes ses dents laiteuses.

La nuit était venue, il fallut se revêtir, ce que les deux femmes exécutèrent sans entrain.

Sur le trottoir, Chalard qui, malgré tout, avait des occupations les quitta.

Se tenant par le bras, comme deux vieilles amies, elles s’acheminèrent vers la Concorde. Reprise par son ennui, Sarah parla de la monotonie de l’existence du logis paternel.

Jeanne, qui avait connu une mélancolie identique, mais dans une famille ouvrière, lui conseilla sincèrement de secouer le joug.

— Comment cela ? murmura Sarah, indécise.

— Tu es mieux placée que quiconque, rétorqua la belle brune. Moi, quand j’ai filé, je n’avais personne, il m’a fallu me débrouiller. Toi, tu as un protecteur, Chalard est riche, je le sais, il ne te laissera pas dans la débine. Va tout simplement t’installer dans votre pied-à-terre.

La jeune fille secoua la tête :

— Et les gendarmes ? Je suis mineure.

Jeanne éclata de rire :

— Penses-tu que tes parents voudront un scandale ? Ils composeront et tu auras gagné la partie !

Sarah ne fut pas convaincue immédiatement, mais de nouveau dans la salle à manger aux vieux meubles de chêne bruni, elle eut une explosion de fureur.

Elle jura qu’elle ne voulait plus travailler, quitter le lycée, puisqu’on lui refusait les plus minimes distractions.

Madame Clarizet en avait lâché son tricot et considérait sa fille sans répondre.

Lorsque Clarizet arriva, ce fut le comble. Sarah lui reprocha de fleurer l’alcool à quinze pas. Certes, elle ne lui reprochait point ses distractions, chacun étant libre en ce bas monde, mais elle prétendait l’être aussi.

Clarizet essaya de la grosse voix, menaça en bafouillant.

Sarah lui tourna le dos en haussant les épaules :

— Je n’en peux plus, vous n’êtes pas à la page… rien que deux vieux rabougris.

Elle claqua la porte derrière elle et se réfugia dans sa chambre. Célestine, qui avait naturellement tout entendu, vint la féliciter :

— Plaquez-les, gronda-t-elle, les yeux fulgurants. Vous avez au moins deux types au pèze qui ne vous laisseront pas dans la mouïse !

La jeune fille remarqua aussitôt que la soubrette parlait comme Jeanne. On sait que la sagesse se trouve toujours du côté de la majorité. Sarah devait donc en conclure que les deux femmes représentaient bien la sagesse.

Sa mère arriva pour la supplier de partager la soupe quotidienne et vespérale.

Sarah, qui avait parfaitement goûté, la nargua avec cruauté :

— Ta soupe qui sent le jus de pissenlit !

La bonne Madame Clarizet s’enfuya, épouvantée.

Ce fut ensuite le père, très digne, qui entra. Il regarda sa fille sévèrement et demanda :

— Mais enfin, que veux-tu au juste ? Sarah ricana :

— Rigoler ! Et chez vous on ne rigole vraiment pas !

Clarizet essaya de discuter :

— Tu as une vie agréable, tu ne manques de rien, ta garde-robe est suffisamment renouvelée, tu manges à ta faim et, à notre époque de crise, tout le monde ne peut en dire autant. Tu me parais donc très exigeante en réclamant davantage !

Assise sur le lit, les jambes croisées, une cigarette aux lèvres, la jeune fille l’écouta avec autant placidité que de mélancolie.

— Tout cela est très joli en apparence. Mais, vois-tu, j’aimerais mieux me priver un peu et n’avoir point cette existence unie de rentier. Je m’ennuie parce que aujourd’hui ressemble trop à hier et sera identique à demain. Notre époque pousse à l’activité ; je n’en trouve pas ici, donc, j’en cherche partout…

Et, plus bas, avec un rire sourd :

— Même j’en trouve !

Clarizet avait levé les bras au ciel en un geste de désespoir :

— Mais tu dis des insanités, ma pauvre enfant !

— Voire ? Je dis ce que je sens, et comme il y a plus de trente ans de différence entre toi et moi, nous ne sentons pas la même chose !

Il s’éloigna furieux, jurant que son enfant était folle, qu’elle raisonnait comme un pied de table. En claquant la porte, il cria, exaspéré :

— Si tu n’es pas bien chez ton père et ta mère, fiche le camp !

Sarah écrasa sa cigarette dans le cendrier et haussa les épaules avec dédain :

— J’y pense et je m’y prépare ! grommela-t-elle. Il faut une solution à une pareille situation.

Hélas ! tous deux avaient raison, mais il était impossible de rejoindre, comme à Genève, les deux points de vue par une formule diplomatique. Deux générations, séparées par un monde de progrès, se heurtaient sans se comprendre.

Sarah, tout d’abord, se mit en chemise. Une fois ainsi à l’aise, elle choisit parmi tout ce qu’elle possédait ce à quoi elle tenait le plus. Sa robe couleur olive verte, sa petite combinaison brune avec de la dentelle écarlate, ses souliers de daim de deux teintes, une série de pull-overs rayés de couleurs voyantes. Enfin, elle fit un paquet à part de quelques bibelots, souvenirs auxquels toute femme attache de l’importance.

Tout cela elle le rangea soigneusement en deux mallettes et cacha celles-ci sous un lit, au cas où Madame Clarizet prendrait fantaisie de venir la visiter encore une fois.

Ce fut d’ailleurs ce qui se produisit et la bonne mère ne sut que dire :

— Mange un peu de soupe, mon petit !

Sarah éclata de rire :

— Il n’y a pas que la soupe dans la vie !

— Hélas ! gémit Madame Clarizet en regagnant la salle à manger.

Au premier mot qu’elle tenta de prononcer, Clarizet lui coupa la parole :

Laisse-moi tranquille avec ta folle de fille. Si tu l’avais mieux élevée, elle ne serait pas ainsi. À partir de maintenant, je m’en désintéresse totalement, je me suis assez privé pour elle !

Cette profession de foi énergique devait clore l’incident, d’autant plus que Madame Clarizet n’avait point un tempérament de lutteur et estimait qu’en ce bas-monde tout s’arrange.



XII


Sarah dormit la nuit entière d’un sommeil paisible ; ses parents aussi d’ailleurs. Mais, au matin, comme elle était toujours la première levée, elle sortit de sa chambre ses deux petites valises.

Célestine lui servit son déjeuner, et elle mangea, n’ayant point de vanité mal placée. Ensuite, elle embrassa la boniche sur les deux joues, en jurant :

— T’en fais pas, on se reverra !

En bas, naturellement, elle négligea le chemin du lycée et prit un taxi. Cependant, en personne prudente, elle quitta le premier taxi aux Tuileries et marcha presque jusqu’à la Concorde pour en prendre un autre qui la conduisit au nid secret loué par Chalard.

Elle en possédait la clé et n’eut donc aucune difficulté à entrer. Immédiatement, en femme d’ordre, elle s’installa, arrangeant ses affaires.

Ensuite, ne sachant plus que faire, elle examina le contenu de son porte-monnaie et considéra que ses moyens lui permettaient d’aller prendre l’apéritif aux Champs-Élysées ; ce qu’elle fit incontinent.

Installée devant un madère de luxe qui sentait le vernis pour auto, elle songea à sa digne mère et sourit :

— Faut que je la tranquillise !

Au garçon, elle réclama du papier et d’un stylo léger écrivit une courte missive :

Ma chère Maman,

Ne prend pas d’indigestion par suite de mon départ, je ne suis pas loin, toujours à Paname. Je te donne ma part de soupe pour tous les jours qui vont suivre. Si vous essayez de vous prévaloir de vos droits paternels et maternels et que vous lanciez les flics à mes trousses, je ferai du scandale. Je dirai que papa est un satyre qui m’a violée et que tu étais consentante. Si, au contraire, vous êtes bien sages, j’irai vous voir gentiment. Ne croyez pas que je me destine à la haute noce, je ne suis pas née de la semaine dernière. Mais, je prétends rigoler et m’assurer mon avenir par des procédés modernes.

Ta fille respectueuse et attendrie,

Sarah la Vamp.

Évidemment, lorsque la douce Madame Clarizet lut cette lettre, elle fut un peu estomaquée ; et comme celle-ci arriva un peu avant déjeuner, elle la plaça sur la serviette de son mari.

Clarizet blêmit, devint écarlate et gémit :

— Elle serait capable de le dire que je l’ai violée !

Il soupira :

— Et on a payé un trimestre d’avance au lycée, c’est bien de l’argent perdu !

Ils demeurèrent silencieux jusqu’au dessert inclusivement, puis Madame Clarizet hasarda timidement :

— Le mieux est d’attendre qu’elle vienne nous voir… nous dirons que le médecin l’a envoyée à la campagne.

Clarizet, furieux, grogna :

— Elle te reviendra bientôt avec une bedaine comme une outre… Au fait, cela la regarde, j’ai fait assez de sacrifices pour son éducation.

— Ça lui servira, assura la bonne Madame Clarizet. Si j’avais eu autant de caractère, je serais peut-être maintenant une star de cinéma !

Cette fois, Clarizet ne voulut plus en entendre davantage, il partit à la belotte une heure plus tôt que de coutume.

Pendant ce temps, Sarah, libérée, déjeunait solitairement en une brasserie des boulevards. Son voisin de gauche lui souriait, celui de droite la dévorait d’un regard d’anthropophage. Elle les dédaigna l’un et l’autre parce que trop jeunes, ses moyens ne lui permettaient pas encore un gigolo.

En prenant le café, elle écrivit un mot à Laveline, lui fixant un rendez-vous pour le lendemain. Ensuite, avec une paisible nonchalance, elle remonta jusque chez elle à pied.

Chalard, amoureux, l’attendait, elle l’embrassa sur la barbe et, avant de lui rien avouer, se mit toute nue. Ce fut à son tour à lui de l’embrasser sur la bouche.

Astucieuse, elle le mit en forme pour entendre une confidence, puis tout à trac lui confia :

— J’ai plaqué la maison… Je m’installe ici !

Chalard blêmit :

— Ici… mais, le logement est à mon nom !

— Tu le mettras au mien et tu paieras la location.

Il ne put s’empêcher de sourire. Ce n’était point que la combinaison lui déplut mais il craignait les risques :

— Et tes parents ?

Sarah éclata de rire :

— T’en fais pas pour eux, s’ils bronchent, je les menace d’un scandale, et ils deviendront doux comme des agneaux !

— Comment vivras-tu ? insinua-t-il.

Fièrement, elle releva le front :

— Je prendrai un amant généreux !

Cette fois, il trembla sincèrement :

— Tu me quitterais ?

Elle plissa ses paupières en une mimique narquoise :

— Certainement, si tu n’es pas l’amant généreux.

Il l’étreignit de ses bras, farouchement :

— Je le serai… je le serai… mais tu promets qu’il n’arrivera pas d’histoires avec tes parents.

— J’en fais mon affaire… tu me connais assez !

Elle interrompit la conversation pour entreprendre des jeux innocents. Il ne tarda pas à être subjugué de nouveau et lui rendit de menus services que réclamait sa sensualité en éveil.

Naturellement, ils s’attardèrent plus que de coutume, mais lorsqu’il s’éloigna, Chalard lui fixa un rendez-vous à l’Opéra, afin qu’ils dinassent ensemble.

Ce fut un repas somptueux dans un restaurant où les dames étaient abondamment décolletées. Ensuite, les deux amoureux gagnèrent un théâtre afin d’achever agréablement la soirée.

Ce fut, pour Sarah, le commencement de la grande vie, mais Fernand n’en demeurait pas moins soucieux sur la suite de cette équipée.

De retour à son petit appartement, Sarah trouva son sac à main bourré de billets monnayables.

Elle n’eût plus d’inquiétude pour l’avenir.

Le lendemain, elle téléphona de bonne heure à Laveline, afin de changer le moment du rendez-vous. Elle tenait à le rencontrer le matin afin d’être chez elle à l’arrivée de Fernand.

Le quinquagénaire s’empressa d’accourir et, sans lui laisser le temps de souffler, elle l’entraîna dans un hôtel.

Audacieusement, elle sut l’exaspérer pendant quarante minutes, et à l’instant où il croyait qu’elle cédait, elle le repoussa pour lui avouer :

— J’ai plaqué ma famille, je vis seule, si tu tiens à moi tu m’aideras.

Toute son exaltation tomba, il ne resta en lui qu’un désir sourd, tyrannique. Il tenta de discuter, de la ramener dans le droit chemin.

Elle l’écouta d’un air narquois, puis balançant la croupe, s’en fut prendre sa chemise :

— Si c’est tout ça que tu as à me dire, autant que je m’en aille !

Il se précipita, affolé :

— Mais non, mon petit, compte sur moi.

Moqueuse, elle lui caressa l’épine dorsale :

— Sois tranquille, il n’y aura pas d’histoires ! Mes parents, je les mettrai à la raison. D’ailleurs, personne ne saura que tu es mon ami.

Ce fut arrangé ainsi et elle accorda ce qu’il souhaitait.

Ensuite, il éprouva un malin plaisir à l’emmener déjeuner dans une brasserie et, cynique, il se demandait quelle figure aurait Clarizet à la belotte de l’après-midi ?

Sarah rentra à son appartement et sa propriétaire ne tarda pas à faire son apparition pour lui tendre une quittance en son nom. Elle expliqua :

— C’est le monsieur qui m’a dit que vous vous installiez ici.

En même temps, elle la dévisageait, cherchant à deviner son âge, peu désireuse de s’attirer un scandale en hébergeant une mineure en rupture de tutelle paternelle.

Sarah, à cause de son embonpoint agréable paraissait plus que son âge ; la brave dame fut rassurée.

La jeune fille, une fois seule, se débarrassa de tout vain ornement et attendit l’amant, supputant à l’avance les tourments hypocrites qu’elle lui infligerait.

Mais Chalard ne vint pas. Prudent, il attendait de savoir comment tourneraient les choses.

Lorsque la nuit tomba, Sarah commença à s’inquiéter, elle soupçonnait la pusillanimité du quadragénaire et regrettait de n’avoir point incité Laveline à verser son obole.

Évidemment, elle aurait pu ensuite voguer sur les trottoirs à la recherche de Chalard, mais Célestine lui avait appris que c’était là un mauvais procédé. Dès que l’on arrive à se vendre, on ne parvient plus à se faire payer.

Néanmoins, comme la solitude lui répugnait, elle prit un taxi qui la conduisit au Quartier Latin.

Elle n’ignorait point où elle allait et, au café habituel, elle trouva bien Léon, mais quel que fut son désir de le ramener chez elle, le jeune homme s’y refusa craignant la colère paternelle. En revanche, ils s’arrangèrent pour se voir plus souvent durant le jour, ce serait pour la jeune fille un pis aller.



XIII


Sarah connut des jours, non pas de détresse, mais tout au moins de restrictions. Chalard semblait l’avoir définitivement lâchée, et Laveline se montrait peu généreux, bien qu’il tint à elle. Odette, en effet, puisait fréquemment au porte-monnaie paternel, ayant des besoins supérieurs à ses ressources.

Par contre, Laveline la tenait au courant des mouvements de ses parents. Il voyait chaque jour Clarizet au café, mais celui-ci parla nonchalamment d’un départ de sa fille à la campagne, mais ne fournit aucun détail supplémentaire. Peu à peu, il paraissait se remettre de cet accident et reprenait sa bonne humeur d’antan.

Cependant, Sarah traînait chaque jour aux Champs-Élysées dans l’espoir de découvrir la bonne fortune rêvée. Malheureusement, maintenant qu’elle la cherchait, l’occasion ne se présentait plus.

Assurément, des gentlemen élégants, voire des dames, essayaient d’entrer en conversation avec elle, mais aucun de ceux qui se présentaient ne l’intéressa. Elle possédait un flair spécial pour deviner la valeur d’un prétendant et, sans doute, elle ne se trompait point.

Au début des après-midi, elle recevait Léon qui devenait un hôte assidu et, avec une persévérance louable, elle le façonnait à son image, lui inculquant des goûts extrêmes, des penchants bizarres. Il en riait, mais s’y accoutumait avec une satisfaction grandissante.

Ce fut ainsi qu’un matin qu’elle débouchait sur la place de l’Opéra, elle se rencontra nez à nez avec Chalard.

Elle s’arrêta, la mine ironique :

— Alors, vieux froussard, tu t’es débiné !

Il bafouilla une excuse, honteux de sa couardise :

— Et tes parents ?

— Ils n’ont pas bougé… papa commence à s’habituer, paraît-il ; quant à maman, je ne l’ai pas encore revue. Je t’avais bien dit qu’ils ne broncheraient point, par crainte d’un scandale.

Il la détaillait de ses petits yeux gourmands, sentant brusquement une bouffée de passion lui monter au cerveau.

— Viens prendre l’apéritif !

Il l’entraîna à la terrasse du café de la Paix et tenta de la faire parler.

Plus fine que lui, elle sut se défendre, se contentant d’avouer avec hauteur :

— Ben quoi, j’ai un amant, tu ne penses pas que je t’ai attendu ?

Habilement, elle se refusa d’en dire plus long, laissant toutefois glisser au cours de la conversation qu’elle habitait toujours au même endroit.

Il ne la garda pas à déjeuner ayant d’autres occupations prévues, mais lui promit que ce n’était là que partie remise.

Elle le regarda s’éloigner d’un œil ironique, bien certaine qu’elle ne tarderait pas à le revoir.

En attendant, elle s’en fut dîner à un bouillon, par économie, et rentra chez elle prendre le café qu’elle préparait sur un samovar perfectionné.

Comme de coutume, Léon arriva frétillant et rieur. Le jeune homme n’ayant pas de temps à perdre, ils se mirent immédiatement en tenue d’Adamiste.

Or, ils étaient tout à leurs ébats, lorsque le timbre de l’entrée vibra. Sarah éclata de rire, elle prévoyait qui se trouvait déjà pendu à sa sonnette.

En son simple appareil, elle courut ouvrir, pour se voir confronté, comme elle le supposait d’ailleurs, avec Chalard, la face congestionnée. Elle se sauva en un bond de cabri, laissant le quadragénaire pénétrer chez elle à son aise.

Sur la nudité tremblante de Léon, elle tira un rideau de peluche et resta là, comme pour le protéger.

Lorsque Fernand entra, une grimace lui tordit les traits, il se rendait compte qu’il arrivait en retard.

La lippe pleurarde, les yeux brillants, il contemplait la jeune fille, dont il n’apercevait que la moitié du corps. Bientôt, le rideau fut agité de soubresauts surnaturels, tandis que Sarah, narquoise, riait.

Il dut patienter, ne sachant quelle contenance prendre et, finalement, se laissa tomber dans un fauteuil pour, ensuite, allumer un cigare.

Le rideau bougeait toujours, Sarah ne quittait point son poste, mais son joli visage se contractait.

Brusquement, elle abandonna la tenture avec un rire sonore et s’en fut prendre à pleins bras un paquet de vêtements gisant sur une chaise. Ce paquet, elle le jeta derrière le rideau, en intimant :

— Habille-toi, Léon !

Elle revint auprès de Chalard, dont elle


Le rideau fut agité de soubresauts… (page 236)

caressa les joues, gentiment, du bout de ses doigts agiles.

Léon parut bientôt, rouge et honteux ; il fila sans prononcer une parole et dégringola les escaliers.

— C’est ton gigolo ? fit Chalard, entre deux bouffées de fumée.

— Mais oui, reconnut Sarah ingénue, un petit cousin, tu comprends ?

Il bondit sur elle, comme un furieux, abandonnant son cigare qui roula sur le tapis :

— À mon tour, maintenant !

Elle le repoussa avec dignité :

— Tu oublies que tu m’as lâchée comme une vieille culotte.

Il trembla, craignant qu’elle ne le repoussât et le désir l’enflammait.

Posément, elle s’assit sur un coin de chaise :

— Tu saisis parfaitement que je ne veux pas que cela se reproduise… Tu me plais, c’est entendu, tu as été mon premier amoureux, mais ce n’est pas une raison.

Il buvait un lait aussi doux que nectar, se disant qu’il avait été le premier amour de cette belle jeune fille, à la chair fraîche, aux formes charnues, aux passions hétéroclites.

— Je te le jure ! bafouilla-t-il.

Elle se mit à rire, la tête rejetée en arrière :

— Tu me prends pour une dinde ?

Un index levé, elle le menaça :

— Primo, obéir ; ensuite, cracher… enfin… je verrai…

Il fouillait déjà ses poches, à la recherche du portefeuille. Elle l’arrêta d’une main ferme :

— J’ai dit : primo, obéir. Le pognon, je m’en fiche, je veux un amant délicat et attentionné, pas un sauvage qui me prenne pour une bête à plaisir !

Il promit tout ce qu’elle voulut, se trouvant au comble de l’exaspération.

Quelques secondes plus tard, elle l’avait à ses pieds, soumis et passionné, se prêtant à ses lubies les plus fantasques.

Il put, ce jour-là, mesurer jusqu’où allait l’imagination débordante d’une jeune fille moderne ayant de la culture. Sarah ne réfrénait plus ses désirs, mettait à exécution ses pensées les plus secrètes.

Elle fut prise à son propre piège d’ailleurs et, enflammée d’amour, tout l’être vibrant, elle entraîna l’amant.

La pièce résonnait de ses rugissements, les meubles eux-mêmes semblaient en trembler de frénésie.

Quand elle eut reconquis son calme, Chalard marqua un certain orgueil, supposant que ces élans de passion étaient dus à ses magnifiques qualités de mâle.

Sarah ne le détrompait point, sachant à l’occasion flatter la vanité de celui qu’elle souhaitait exploiter.

Aussi, profita-t-elle des excellentes dispositions du quadragénaire pour lui extorquer des promesses sérieuses.

Timidement, il hasarda ensuite :

— Et ton gigolo ?

Elle eut un bon sourire d’enfant :

— Mais je le garde mon petit… mon cousin, tu comprends, ça n’a pas d’importance.

Elle se rengorgea :

— D’ailleurs, je suis en train de le dresser et son éducation n’est pas encore terminée !

Il n’y avait pas à discuter en face d’un raisonnement si plein de logique ; Fernand s’inclina encore une fois, considérant qu’en somme, la présence de ce jouvenceau ne ferait que corser la situation d’une façon originale.

Chalard, une heure plus tard, la quitta, persuadé qu’il venait de remporter une remarquable victoire.

Derrière son dos, Sarah souriait d’aise en comptant les billets qu’il lui avait laissés et qui lui assuraient quelques jours de grande vie.

Ils se sentaient parfaitement heureux tous les deux ; mais le matin suivant, ce fut autre chose.

La jeune fille avait accoutumé de recevoir Laveline entre neuf heures et demie et onze heures et demie.

Ce fut le moment que choisit Chalard pour lui faire l’agréable surprise de l’emmener déjeuner à la Cascade.

En pénétrant dans le petit salon, il fut tout soudain confronté avec Laveline qui ne possédait que sa barbe en pointe comme tout vêtement ; Sarah n’avait même pas de barbe au menton.

Elle ne fut pas émue outre mesure et, avec des manières dignes, elle présenta l’un à l’autre les deux rivaux.

Pour Chalard, Laveline fut :

— Mon ami actuel… tu comprends, tu m’avais quittée… on ne peut rien brusquer !

Et pour Laveline, Chalard fut :

— Un ancien ami qui me revient… il n’y a pas de mal à ça… on se connaissait déjà avant !

Il y eut assurément un léger froid, les deux hommes furent un peu contraints pour se saluer, en particulier Laveline qui avait passé l’âge du conseil de révision.

Sarah, avec sa bonne humeur, arrangea les choses très rapidement, elle s’autorisa quelques gambades, plusieurs réflexions grivoises, des gestes gaillards et les deux messieurs furent également allumés.

Alors, elle se rhabilla et invita Laveline à l’imiter.

Chalard mâchonnait un cigare en silence, se demandant s’il lui fallait se fâcher. Puis il se rappela la somme versée la veille et ne voulut pas que le sacrifice devint inutile.

Lorsque les deux autres reparurent enfin vêtus décemment, il était tout miel, souriant à la ronde.

Laveline s’esquiva, d’ailleurs, sa fille l’attendait pour déjeuner.

Sarah sauta au cou de Fernand :

— Hein, mon gros, tu peux dire que ta petite femme a du succès… tu te rends compte ?

Il fut encore une fois convaincu, le partage n’usant point après tout la matière première.

La jeune fille malicieuse lui expliqua :

— Vois-tu, la femme, c’est comme le vieux cuivre, plus c’est astiqué, plus ça brille !

Ils descendirent et, comme il était trop tard maintenant pour monter jusqu’au bois, prirent le chemin de l’Opéra.

Chalard se sentait très fier d’avoir à son côté cette charmante jouvencelle à la croupe ronde, harmonieusement balancée et aux yeux qui brillaient sans cesse d’une concupiscence contenue. Il résolut même de la surprendre ainsi à diverses reprises afin de reconnaître peu à peu ses collaborateurs.

Noblesse oblige ; comme elle ne pouvait pas lui avouer que Laveline était le seul et encore venu par raccroc, force lui fut d’en chercher d’autres.

Dès ce jour, elle occupa donc ses après-midi à ce divertissement. Elle s’en allait flâner par les Champs-Élysées en sortant des bras de Fernand ; elle avait donc l’esprit clair et les sens en paix, ce qui lui permettait de choisir judicieusement.

Elle fut longue à se décider, mais enfin jeta son dévolu sur un maigre quadragénaire aux yeux de fièvre.

Dès le premier instant, elle le domina par son procédé habituel. Bien mieux, il semblait que les extravagances de la jeune amoureuse stimulaient particulièrement sa passion.

Il arrivait frigide, mais après une demi-heure de distractions diverses, il se trouvait dans un état d’exaltation égal à celui de Sarah. Le résultat immédiat fut qu’il se toqua absolument de la jeune fille et se montra généreux.

Sarah se vit donc en face de trois esclaves qui parvenaient tous ensemble à satisfaire sa sensualité. Du coup, son désir de grande vie s’opéra, elle alla au cinéma de temps à autre et se coucha régulièrement de bonne heure.

Ne pouvant s’adonner au tricotage comme sa mère, elle lisait de longues heures, vautrée sur un divan.

Il n’y avait plus en elle, cet ennui latent, cette exaspération sans raison apparente, elle demeurait d’une continuelle bonne humeur.

Parfois, elle recevait un amant à deux heures et un second à neuf heures du soir, mais dès qu’ils étaient là, sa mollesse naturelle s’évanouissait, elle reprenait son ardeur des premiers jours. Ensuite, elle les laissait partir, les accompagnant d’un sourire maternel, Ils lui assuraient une existence douce, apportaient le calme à sa chair : elle leur en était reconnaissante.

Sa trésorerie se trouvant en équilibre, elle remonta sagement sa garde-robe, se munit de bijoux qui lui devenaient un capital. En un mot, elle se conduisait avec la placidité d’une petite bourgeoise économe.

Ses amants rencontraient donc en elle une compagne amusante, dépourvue de scrupules moraux, mais, en même temps, exempte de vulgarité. Ils arrivaient dans un intérieur tiède, calme, ordonné. Ils s’y réunissaient parfois, toujours avec plaisir, Sarah servant le porto et passant les cigares, vêtue seulement d’un kimono de mousseline translucide.

Ce fut une fois sa situation bien établie qu’elle se résolut à rendre visite à sa mère. On était à la fin de l’hiver, sa fourrure cossue l’enveloppait harmonieusement, un pendentif de prix pendait entre ses seins fermes.

Quand elle la vit, Madame Clarizet eut un tressaillement d’orgueil :

— Mon enfant !

Et elle l’embrassa avec autant d’émotion que de tendresse.

Avec son rire clair, montrant ses dents saines, Sarah lui raconta sa vie, entra dans des détails avec une suave impudeur. Elle parla de ses revenus et Madame Clarizet compta mentalement combien elle pouvait économiser chaque mois.

La bonne mère conclut avec un soupir découragé :

— Et dire que tu es sortie de la bonne voie !

Elle se remit, tandis que Sarah riait cyniquement.

— Tu vas manger la soupe avec nous, ton père sera content de te voir !

— Bien sûr ! fit-elle avec sérénité.


FIN