La Fin de la Fronde à Paris/01

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LA FIN
DE
LA FRONDE A PARIS

SCÈNES HISTORIQUES.


PREMIERE PARTIE.
État des affaires de la fronde au commencement de l’année 1652. — Condé part de Bordeaux pour aller prendre le commandement de l’armée sur les bords de la Loire ; combat de Bleneau. — La fronde à Paris; intérieur du parti : le duc d’Orléans et Retz; Condé, La Rochefoucauld et le duc de Nemours, Mme de Châtillon; intrigues politiques et galantes. — Négociations inutiles; trahison du duc d’Orléans et de Retz, trahison du duc de Lorraine. — Combat du faubourg Saint-Antoine, noble conduite de Mademoiselle. — Excès de la fronde à Paris dans l’été de 1652; scène du 4 juillet à l’Hôtel de Ville; mesures violentes du parlement; misère du peuple. — Amnistie générale du 26 août; rentrée de Louis XIV à Paris le 21 octobre.


I.

Au commencement de l’année 1652, les affaires de la fronde se trouvaient dans un état critique. Mazarin, forcé de sortir de France en février 1651, avait rompu son ban à la fin de novembre, quitté sa retraite de Dinan, et avec une petite armée rassemblée par ses deux fidèles amis, le marquis de Navailles et le comte de Broglie, et conduite par le maréchal d’Hocquincourt, il était entré résolument en France, et presque sans rencontrer d’obstacles il avait, en janvier 1652, gagné Poitiers, où l’attendaient Anne d’Autriche et le jeune Louis XIV. Là, appuyé sur l’affection courageuse de la reine, disposant à son gré du jeune roi, son élève, bientôt délivré de Châteauneuf, trop fier et trop capable pour se résigner au second rang, secondé par des amis habiles et dévoués, le ferme et judicieux Servien, le conciliant Le Tellier, le pénétrant Lyonne, le premier président et garde des sceaux Mathieu Molé, le L’Hôpital du XVIIe siècle, Mazarin avait rendu au gouvernement royal de l’activité et de l’unité. De Poitiers, il s’était porté rapidement sur Angers, et avait enlevé toute la province au duc de Rohan-Chabot. Ensuite il était venu à Tours et s’approchait peu à peu de Paris. Il avait devant lui l’armée de la fronde, composée de deux corps distincts, l’un que conduisait le duc de Beaufort au nom du duc d’Orléans, l’autre, presque tout étranger, que le duc de Nemours avait amené des Pays-Bas. Ces deux corps formaient une armée assez considérable, mais ses généraux étaient plutôt de vaillans soldats que des capitaines, et, quoique beaux-frères, ils ne s’entendaient pas, tandis que l’armée royale avait deux chefs d’une capacité incontestée bien qu’inégale : le maréchal d’Hocquincourt, homme de guerre d’une rare vigueur, et Turenne, le meilleur lieutenant de Condé à Fribourg, à Nordlingen, à Stenay, jusqu’alors son disciple et bientôt son rival. Turenne, sans avoir le commandement suprême, avait pourtant l’autorité principale, et par sa propre supériorité et par le crédit de son frère, le duc de Bouillon, qui s’était définitivement accommodé avec Mazarin et l’assistait de ses conseils. Enfin le meilleur officier de toute l’armée de Nemours et de Beaufort, le baron Sirot, depuis longtemps lieutenant-gêné rai et l’un des héros de Rocroy, venait d’être mortellement blessé à l’attaque du pont de Gergeau[1].

D’autre part, à Paris, le faible duc d’Orléans, devenu comme le roi de la fronde, incapable de gouverner lui-même, était tombé de plus en plus entre les mains du cardinal de Retz, qu’il importe de bien faire connaître pour montrer tout le péril de la situation.

Né plus remuant encore qu’ambitieux, mauvais prêtre, impatient de son état et s’étant longtemps agité pour en sortir, Paul de Gondy s’était formé aux cabales en composant ou traduisant la vie d’un conspirateur célèbre; puis, passant vite de la théorie à la pratique, il était entré dans un des sinistres complots ourdis contre Richelieu, et pour son coup d’essai il avait fait la partie, lui jeune abbé, d’assassiner le cardinal à l’autel pendant les cérémonies du baptême de Mademoiselle[2]. En 1643, il n’eût pas manqué de se jeter parmi les importans ; mais le titre de coadjuteur de Paris, qu’on venait de lui accorder en récompense des services et des vertus de son père, l’arrêta. La fronde semblait faite tout exprès pour lui. Il en fut un des pères avec La Rochefoucauld. En vain dans ses mémoires il met en avant des considérations générales : il ne travaillait que pour lui-même ainsi que La Rochefoucauld, lequel du moins a la bonne foi d’en convenir, et confesse qu’il se proposait d’arracher de la reine par la crainte ce qu’il n’avait pu obtenir de sa faveur. Forcé de rester dans l’église, Retz voulait y monter le plus haut possible. L’ambition de La Rochefoucauld était à l’unisson de son caractère un peu timide; s’il était sans vertu, il n’était pas sans honneur, tandis que l’ambition de Retz était, comme son audace, sans borne et sans scrupule. Il venait enfin de surprendre ce chapeau de cardinal, l’objet de ses ardens désirs, grâce à d’incroyables manœuvres et par la connivence secrète de la reine, qui avait été bien aise de l’enlever au prince de Conti. De coadjuteur devenu cardinal, il aspirait maintenant au poste de premier ministre, et pour y parvenir, voici le double jeu qu’il imagina et qu’il joua jusqu’au bout. Voyant que Mazarin et Condé n’étaient pas des chefs de gouvernement qui pussent laisser à d’autres à côté d’eux une grande importance, il entreprit de les renverser l’un par l’autre, de faire sa route entre eux deux, et d’élever sur leur ruine le duc d’Orléans, sous le nom duquel il eût gouverné. C’est pourquoi il poussait incessamment et le duc d’Orléans et le parlement et le peuple à exiger, comme la première condition de tout accommodement avec la cour, le renvoi de Mazarin, et en même temps il se portait dans l’ombre comme un bienveillant conciliateur entre la royauté et la fronde, promettant à la reine, le sacrifice indispensable accompli, d’aplanir toutes les difficultés et de lui donner Monsieur, en le séparant de Condé, que la reine craignait et détestait par-dessus tout. Tel est le vrai ressort de tous les mouvemens de Retz en apparence les plus contraires : d’abord le cardinalat, puis le ministère sous les auspices du duc d’Orléans associé en quelque sorte à la royauté, sans Mazarin ni Condé. Il a beau envelopper son secret sous un voile de bien public, ce secret éclate par les efforts mêmes qu’il fait pour le cacher, et il n’a pas échappé à la pénétration de La Rochefoucauld, son complice au début de la fronde, puis son adversaire, qui l’a parfaitement connu et l’a peint de main de maître, comme aussi Retz a très bien connu et peint admirablement La Rochefoucauld. Retz a été le mauvais génie de la fronde : il l’a toujours empêchée d’aboutir soit avec Mazarin, soit avec Condé, parce qu’il ne voulait qu’un gouvernement faible où il pût dominer. Pour arriver à son but, il était capable de tout : intrigues souterraines, pamphlets anonymes, sermons hypocrites dans la chaire sacrée, discours étudiés au parlement, émeutes populaires et coups de main désespérés. Les amis de Condé le savaient si bien, qu’un jour l’un d’eux, frondeur intrépide et tout aussi résolu que Retz, le comte de Fiesque proposa de s’en défaire[3]. Voilà l’homme qui, sous Monsieur, en 1652, tenait les clés de Paris.

Cependant Condé était depuis plusieurs mois en Guienne, occupé à fortifier et à étendre l’insurrection à la tête de laquelle il était venu se mettre, et à repousser le plus loin possible dans le midi l’armée royale, commandée par l’habile et expérimenté comte d’Harcourt. Au milieu de succès assez mêlés, il apprit de divers côtés le mauvais tour que prenaient les affaires de la fronde dans le cœur du royaume, les intrigues de Retz à Paris et le fâcheux état de l’armée sur les bords de la Loire.

En recevant ces nouvelles à Bordeaux au mois de mars 1652, Condé vit nettement le double péril qui le menaçait, et sur-le-champ il y lit face à sa manière. Au lieu d’attendre les événemens qui allaient se passer au loin, il se décida à les prévenir, et prit une résolution extraordinaire, assez semblable à ses grandes manœuvres de guerre, qui au premier coup d’œil paraît extravagante, mais que la raison la plus sévère justifie, et où la témérité même n’est qu’une forte prudence. Il forma le dessein de s’échapper de Bordeaux, de traverser les lignes du comte d’Harcourt, de faire comme il pourrait les cent cinquante lieues qui le séparaient de la Loire et de Paris, d’y paraître tout à coup, et de se mettre lui-même à la tête de ses affaires.

Il laissait derrière lui en Guienne des forces imposantes qui permettaient d’y attendre avec sécurité les succès qu’il allait chercher. En s’emparant d’Agen, de Bergerac, de Périgueux, de Cognac, et même un moment de Saintes, et en poussant ses conquêtes dans la Haute-Guienne, du côté de Mont-de-Marsan, de Dax et de Pau, il avait fait de Bordeaux la capitale d’un petit royaume riche et populeux, entouré de tous côtés d’une ceinture de places fortes, communiquant avec la mer par la Gironde, et admirablement placé pour attaquer et pour se défendre. Ce royaume, comme adossé à l’Espagne, en pouvait recevoir de continuels secours par Santander et par Saint-Sébastien, et une flotte espagnole devait s’avancer vers la tour de Cordouan, amenant des subsides et des troupes, tandis que la flotte du comte du Dognon, partie des îles de Ré et d’Oleron, venant la rejoindre, pouvait aisément contenir et même battre la flotte royale, qui se formait à Brouage sous le duc de Vendôme. En 1650, pendant la prison des princes, Bordeaux s’était défendue plus de six mois contre une armée considérable où la reine avait conduit le jeune roi, et que Mazarin dirigeait en personne. Condé y était adoré, lui et toute sa famille, en raison de la haine qu’on portait à son prédécesseur, l’impérieux duc d’Épernon. Le parlement de Bordeaux était tout aussi engagé dans la fronde que celui de Paris, avec qui il s’était uni par une déclaration solennelle. Au-dessous du parlement était un peuple ardent et brave, qui fournissait une nombreuse milice. Condé avait nommé le prince de Conti son lieutenant-général : un prince du sang donnait du lustre à l’autorité, dominait toutes les rivalités, et devait rendre l’obéissance plus facile. Il connaissait la légèreté de Conti, mais il savait aussi qu’il ne manquait ni d’esprit ni de bravoure. Il croyait à l’ascendant que Mme de Longueville avait toujours exercé sur son jeune frère, et il espérait qu’elle le guiderait encore. Il avait confiance en cette sœur qu’autrefois il avait tant aimée, et quoique des intrigues et une triste influence, que bientôt nous ferons connaître, eussent diminué la haute admiration qu’il avait eue pour elle et à laquelle il revint plus tard, il comptait sur son esprit, sur sa fierté, sur ce courage dont elle avait donné tant de preuves à Stenay. A côté de sa sœur, il laissait sa femme, Claire Clémence de Maillé-Brézé, qui s’était si bien conduite dans la première guerre de Guienne. Il la laissait enceinte d’un second enfant, et avec elle il donnait à Bordeaux, et mettait pour ainsi dire en gage entre ses mains, pour lui tenir lieu de lui-même, le duc d’Enghien, l’espoir et le soutien de sa maison, l’objet particulier de toutes ses tendresses. C’était là un gouvernement qui avait bon air aux yeux de la France et de l’Europe; mais sa force réelle résidait en deux hommes, investis de toute la confiance du prince, et qui en secret tenaient de lui des pouvoirs absolus. Ces deux hommes étaient Lenet pour toutes les affaires civiles, et Marsin pour la guerre. Lenet, ancien conseiller au parlement de Dijon, depuis conseiller d’état, de tout temps l’homme d’affaires des Condé, était merveilleusement propre à son rôle : esprit solide et fin, rompu à toutes les intrigues, capable de conduire en même temps les négociations les plus diverses, avec l’Espagne, avec Mazarin, avec la fronde, jouant, au gré de son maître, tous les personnages, et, sous tous les masques, d’une fidélité à toute épreuve. Le comte de Marsin, né à Liège, était par-dessus tout un militaire, un officier de fortune, comme Sirot, Gassion, Rantzau, Fontaine, Merci. Il ne leur était guère inférieur. Il avait pris part aux plus grandes batailles de Condé, il avait été vice-roi en Catalogne, et Condé demandait pour lui depuis longtemps le bâton de maréchal de France. Il le demandait aussi pour Foucault, comte du Dognon, marin habile, qui avait servi de second à son beau-frère Armand de Brézé, et commandait à Ré et à Oleron. Il n’ignorait pas que Du Dognon n’avait d’autre règle que son intérêt et n’était pas d’une fidélité bien sûre; il la soutenait de son mieux par la promesse formelle de n’entendre à rien avec la cour qu’autant qu’on le ferait maréchal, et cette promesse, il la tint religieusement. Lenet était chargé de négocier en son nom avec l’Espagne, tantôt directement, en allant lui-même conférer avec don Luis de Haro à Madrid, tantôt par l’intermédiaire du comte de Fiesque[4], frondeur loyal et obstiné, qui déjà en 1643 avait été un des chefs des importans, et qui était resté fidèle à sa haine contre Mazarin. Marsin avait sous lui des officiers de mérite, tels que le comte de Maure[5], le frère cadet du marquis de Mortemart, et le célèbre colonel Balthazard, Allemand de naissance, passé au service de France avec les troupes du grand-duc Bernard[6]. Lenet et Marsin devaient reconnaître la suprématie du prince de Conti, ménager son amour-propre et lui prodiguer toutes les marques publiques de déférence; mais en réalité ils ne relevaient que de Condé, et toute l’autorité était entre leurs mains.

Ainsi ce n’était pas une illusion de penser qu’avec de telles forces de terre et de mer, avec l’assistance continuelle de l’Espagne, avec un prince du sang pour chef, que secondait l’héroïne de Stenay, avec l’habileté de Lenet, la bravoure et l’expérience de Marsin, Bordeaux pouvait tenir au moins une année, et donner à Condé le temps de frapper ailleurs des coups décisifs. La résolution qu’il prit était donc aussi raisonnable qu’elle était grande. Il eût été d’une souveraine imprudence de rester en Guienne pour livrer de petits combats à d’Harcourt et y prendre à grand’peine quelques bicoques, lorsqu’au cœur du royaume une trahison ou une défaite perdait tout sans ressource, et condamnait Bordeaux à partager le sort commun, après avoir plus ou moins prolongé la résistance. Dans l’ensemble des affaires, la Guienne était sans doute un accessoire considérable; mais le principal n’était pas là : c’était à Paris et sur les bords de la Loire que se jouaient évidemment la destinée de la fronde et celle de Condé: c’était donc là qu’il fallait courir. Chaque jour, on lui mandait que les jalousies, les divisions, les querelles, augmentaient dans l’armée, et il tremblait de recevoir un matin la nouvelle que Turenne et d’Hocquincourt avaient battu Nemours et Beaufort, et marchaient sur Paris. Il voulut prévenir à tout prix ce désastre irréparable, et il s’élança sur le point où était le péril suprême, où sa présence inattendue devait jeter la terreur dans l’âme de ses ennemis, relever le courage des siens, et faire passer la fortune de son côté. Quand César, arrivé en Grèce, apprit que la flotte qui le suivait et portait son armée avait été dispersée et détruite par celle de Pompée, il se jeta seul la nuit dans un bateau de pêcheur pour aller chercher en Asie, à travers la mer, les légions d’Antoine, et revenir avec elles gagner la bataille de Pharsale. Quand Napoléon connut en Égypte l’état de la France, les hontes du directoire, l’agitation des partis, et que déjà plus d’un général songeait à un dix-huit brumaire, il n’hésita pas, et quelque folie qu’il y eut en apparence à tenter de traverser la flotte anglaise sur une faible embarcation, au risque d’être pris ou coulé à fond, il affronta tous ces dangers, et à force d’adresse et d’audace parvint à gagner les côtes de France. Condé fit de même, et sur la fin de mars 1652 il entreprit de se faire jour des bords de la Gironde aux bords de la Loire, sans autre escorte qu’un petit nombre d’amis intrépides, la vive conscience de la nécessité de cette démarche aventureuse, l’habitude et le goût secret du danger, son incomparable présence d’esprit et sa gaieté accoutumée.


II.

Il sortit d’Agen le dimanche des Rameaux, en plein midi, faisant annoncer qu’il s’en allait pour quelques jours à Bordeaux. Il était accompagné de six personnes, La Rochefoucauld et son jeune fils le prince de Marsillac, le comte de Guitaut, le comte de Chavagnac, Gourville, et un valet de chambre nommé Rochefort. Ils suivirent quelque temps la route de Bordeaux, puis, arrivés à un certain endroit, ils la quittèrent, s’engagèrent à travers les lignes ennemies, et commencèrent ce voyage extraordinaire qui dura plus de huit jours avec mille incidens périlleux de toute espèce et d’incroyables fatigues, toujours sur les mêmes chevaux, ne s’arrêtant jamais plus de deux heures pour manger et pour dormir, évitant les villes, passant les rivières comme ils pouvaient, se jetant d’abord dans les montagnes de l’Auvergne, puis en descendant, et par le Bec-d’Allier, se dirigeant du côté de la Loire. Il faut lire dans les mémoires de La Rochefoucauld et de Gourville[7] l’histoire de ce voyage et tous les dangers qu’ils coururent. Dix fois ils manquèrent d’être pris et tués. Leurs chevaux épuisés ne les portaient plus. La Rochefoucauld était tourmenté par sa goutte, le jeune Marsillac tombait de sommeil. Condé seul était infatigable, dormant et s’éveillant à volonté, et toujours de bonne humeur.

Ils arrivèrent le samedi soir aux portes de La Charité. Là, Condé dépêcha Gourville à Paris pour avertir qu’il allait s’y rendre après avoir visité l’armée. Il ne savait où elle était, et tâcha de gagner Châtillon-sur-Loing pour en apprendre des nouvelles, et aussi pour se reposer au château, qui appartenait à la duchesse de Châtillon; mais la cour, qui était à Gien, avait eu vent de son voyage et savait la route qu’il avait suivie. On fit courir après lui vingt maîtres, comme on disait alors, c’est-à-dire vingt cavaliers bien montés et déterminés, avec ordre de le prendre mort ou vif. Condé n’échappa que par miracle; il avait envoyé son valet de chambre à Châtillon afin qu’on tînt la porte du parc ouverte. Guitaut et Chavagnac étaient en avant, à la découverte. Il n’avait avec lui que La Rochefoucauld et le jeune Marsillac ; celui-ci marchait cent pas devant le prince, et La Rochefoucauld allait après lui à la même distance, afin qu’en cas de malheur, averti par l’un ou par l’autre, il pût avoir le temps de se sauver. Ils n’avaient pas fait ainsi quelque chemin qu’ils virent paraître quatre cavaliers qui marchaient vers eux. Ils crurent que c’étaient les gens qui les cherchaient et se préparaient à les charger, résolus à se faire tuer plutôt qu’à se laisser prendre; mais c’étaient Guitaut et Chavagnac avec deux gentilshommes de leur connaissance. A Châtillon, Condé apprit que l’armée était à huit lieues de là; il y courut en toute hâte, et rencontra les avant-postes le 1er avril 1652.

Il trouva l’armée de la fronde aussi divisée que ses chefs. Il en prit sur-le-champ le commandement, ôtant ainsi la principale cause des jalousies de Nemours et de Beaufort; il la réunit, la fit reposer un jour, s’empara sans coup férir de Montargis et de Château-Renard, et se porta rapidement sur l’armée royale. Elle était dispersée dans des quartiers éloignés les uns des autres pour la commodité des fourrages, et à cause du peu de crainte qu’inspiraient Beaufort et Nemours. Le maréchal d’Hocquincourt était campé à Bleneau, et Turenne un peu plus loin, à Briare. Les deux maréchaux devaient réunir leurs troupes le lendemain. Condé ne leur en laissa pas le temps; le soir même, dans la nuit du au 7 avril 1652, il tomba sur le premier quartier du maréchal d’Hocquincourt, le culbuta, et parvint à faire plier tous les autres grâce à une de ces charges de flanc où il payait énergiquement de sa personne. D’Hocquincourt, après s’être battu en soldat, fut contraint de céder et de se retirer à quelques lieues du côté d’Auxerre, ayant perdu tout son bagage et trois mille chevaux. Cependant on était venu dire à Turenne ce qui se passait à Bleneau ; il crut d’abord que c’était une attaque du duc de Nemours, et il ne s’en mit pas fort en peine. Il vint au milieu de la nuit avec quelque infanterie pour soutenir son collègue et rétablir le combat; mais en voyant, à la lueur des villages en feu, avec quel ensemble l’attaque avait été conduite, il reconnut qu’il n’avait pas affaire à Nemours et s’écria : Ah! M. Le Prince est arrivé[8]. Il se garda bien de l’attendre, n’ayant ni cavalerie ni artillerie, et après avoir fait dire à d’Hocquincourt de se rallier à lui au plus vite, il marcha en bon ordre, pendant cette longue et obscure nuit, à la rencontre du gros de ses troupes, que Navailles et Palluau lui amenaient. Un moment il s’arrêta dans une plaine où il avait un assez grand bois à sa gauche et à sa droite des marais. Autour de Condé, on trouvait ce poste avantageux; Condé en jugea bien différemment. « Si M. de Turenne demeure là, dit-il, je m’en vais le tailler en pièces; mais il se gardera bien d’y demeurer[9]. » Il n’avait pas achevé qu’on vit Turenne se retirer, trop habile pour attendre Condé en plaine et s’exposer à ses redoutables manœuvres. Un peu plus loin, il trouva une position tout autrement favorable; là il fit ferme, résolu à combattre. En vain ses officiers le pressèrent-ils de n’en rien faire, de ne pas hasarder la dernière armée qui restât à la monarchie, et de se borner à couvrir Gien en attendant d’Hocquincourt: Non, répondit-il, il faut vaincre ou périr ici[10]. Turenne, il est vrai, était bien inférieur en cavalerie à Condé; mais il avait une artillerie puissante et bien servie. Il se plaça sur une hauteur qu’il couvrit d’infanterie et d’artillerie, mit au bas sa cavalerie dans une plaine trop étroite pour que Condé pût y déployer la sienne, et où l’on ne pouvait arriver qu’à travers un grand bois et par un seul défilé coupé de fossés et rempli de marécages. À cette forte position, Condé put reconnaître à son tour son illustre disciple. Il n’y avait pas là de grandes manœuvres à tenter; on n’avait pas le temps d’essayer de tourner Turenne : il fallait l’écraser sur-le-champ, s’il était possible, avant qu’il eût été rejoint par d’Hocquincourt. Le défilé était la clef de la situation; on s’y battit avec acharnement de part et d’autre. Turenne le défendit lui-même l’épée à la main, et aux six escadrons qu’y lança Condé il opposa une batterie d’un effet terrible, montrant un courage égal à celui de son héroïque adversaire, bien que dans un genre différent; car Turenne, on ne le sait pas assez, était aussi grenadier que général. Bussy, dans son admirable portrait de Turenne[11], qu’égale ou surpasse encore celui qu’il a laissé de Condé[12], a prétendu que Turenne avait commencé par être plus circonspect qu’entreprenant, que sur la fin de sa vie il ne se ménagea plus tant qu’il l’avait fait d’abord, sa prudence venant de son tempérament et sa hardiesse de son expérience. Un paradoxe si bien tourné ne pouvait manquer de faire fortune, et il a séduit Napoléon lui-même; mais il est démenti par les faits. De très bonne heure Turenne fit paraître un courage bien voisin de la témérité, et presque toutes ses fautes viennent d’un excès de hardiesse. A Mariendal, il pouvait, il devait battre en retraite et éviter de combattre, n’ayant pas toutes ses troupes réunies; à Réthel surtout, il aurait dû rompre devant Du Plessis et savoir fuir : la raison la plus vulgaire prescrivait cet unique moyen de salut; Turenne ne s’y put résigner, et il manqua d’être tué ou fait prisonnier en déployant une valeur inutile. A Bleneau, pour la première fois il faisait tête à Condé et se montra digne de lui et comme capitaine et comme soldat : on ne saurait à qui des deux donner le prix de la bravoure. Vers le soir, d’Hocquincourt rejoignit Turenne, et le duc de Bouillon amena de Gien quelques renforts à son frère. Les deux armées, sans avoir rien pu gagner l’une sur l’autre, se retirèrent l’une vers Gien, l’autre à Châtillon, et quelques jours après Condé remettait la sienne entre les mains du comte de Tavannes, et lui-même s’en allait à Paris[13].

Ici Napoléon[14], qui a raconté et apprécié cette courte campagne avec sa supériorité accoutumée, est également sévère envers Turenne et envers Condé. Il blâme la résolution que prit Turenne d’affronter toute l’armée de la fronde avec une seule division de l’armée royale, et il prétend qu’il aurait dû attendre le maréchal d’Hocquincourt et les renforts du duc de Bouillon, afin de combattre en nombre égal ou supérieur. En principe, rien de plus juste assurément; mais il est des situations où le comble de l’art est de se mettre au-dessus de l’art ordinaire. Si Turenne, selon les conseils de son état-major et l’avis de Napoléon, eut reculé davantage, il courait le risque de ne pas retrouver une position aussi avantageuse que celle qu’il avait rencontrée ; il donnait à Condé le temps de l’atteindre et de l’envelopper de sa nombreuse cavalerie ; il pouvait être contraint d’accepter la bataille en rase campagne, exposé aux manœuvres du grand stratégiste. Il lui était impossible de savoir à quelle heure précise d’Hocquincourt le rejoindrait, et l’illustre vaincu de Waterloo était payé, ce semble, pour ne pas trop faire fonds sur la promptitude des secours qu’on peut attendre d’une division éloignée.

Napoléon n’épargne pas davantage les critiques à Condé. Il les résume toutes par un mot piquant auquel il n’a pas pu résister, et qui le fait sourire lui-même : « Condé, dit-il, manqua cette fois d’audace. » L’épigramme est jolie, mais, nous en demandons pardon à Napoléon, elle n’est pas fondée, au moins militairement. Non, Condé n’a pas manqué d’audace dans cette campagne : loin de là, toute sa conduite est une suite de combinaisons et d’actions audacieuses. Quoi de plus audacieux que cette course de près de dix jours pendant cent cinquante lieues avec six personnes pour venir prendre le commandement de l’armée ? Quoi de plus audacieux que la résolution prise sur-le-champ de se jeter entre d’Hocquincourt et Turenne, de couper en deux l’armée royale et d’en disperser une partie avant d’attaquer l’autre ? Condé a-t-il perdu un moment pour marcher sur Turenne et le poursuivre l’épée dans les reins ? Est-ce sa faute s’il avait affaire à un grand capitaine, qui sut choisir une excellente position et s’y tenir avec une constance inébranlable ? Dans l’attaque de cette position. Napoléon reproche-t-il à Condé d’avoir manqué d’audace ? Turenne s’est couvert de gloire, car il a résisté heureusement à Condé ; mais Condé, pour n’avoir pas été victorieux, n’a pas été le moins du monde vaincu. Le militaire est donc ici à l’abri de tout reproche. Comme nous allons le voir, c’est le politique qui a failli. Condé a quitté l’armée fort mal à propos, selon nous, mais ç’a été par des considérations qui n’ont rien à voir avec l’art de la guerre.

Même avant le combat de Bleneau, Gourville était revenu de Paris, apportant à Condé des nouvelles et des lettres. Les amis du prince étaient fort partagés sur la conduite qu’il avait à tenir. Les uns étaient d’avis qu’il restât à l’armée et poursuivit ses succès ; les autres insistaient avec force pour qu’il se rendît immédiatement à Paris, afin d’y relever la fronde expirante. Cette dernière opinion était celle du duc de Rohan-Chabot, un des amis intimes de Condé, et aussi d’un autre personnage qui lui inspirait une confiance particulière, le comte de Chavigny, fils de M. Le Bouthillier, ancien surintendant des finances, et lui-même quelque temps ministre des affaires étrangères sous Richelieu. Formé à l’école du grand cardinal, ainsi que Mazarin, Chavigny avait vu d’assez mauvais œil, après la mort de leur commun maître, la subite élévation d’un collègue, qui même avait commencé par être un peu son protégé[15]. Dès 1643, la vanité l’avait détourné des grandes voies de l’ambition, et il s’était jeté dans des intrigues très compliquées. La Rochefoucauld[16] insinue qu’au fond Chavigny poursuivait alors le même but que Retz, et aspirait aussi à gouverner le duc d’Orléans. Il demandait avant tout un grand conseil, semblable à celui qu’il avait poussé Louis XIII à imposer à la régente, bien persuadé qu’avec ses liaisons et son crédit il ne pouvait manquer de faire partie d’un tel conseil, et qu’une fois là sa capacité ferait le reste. À ce point de vue, l’essentiel pour lui était d’arrêter les sourdes menées de Retz, toujours puissant dans le parlement et dans l’opinion, et qui le devenait de jour en jour davantage auprès du duc d’Orléans. Chavigny avait donc écrit à Condé que, s’il tardait un jour à se rendre à Paris, ses affaires étaient perdues sans ressource. Le duc d’Orléans, conduit par Retz, était tout près de s’accommoder avec la cour. Les partisans de Mazarin levaient partout la tête. Le parlement était à bout. Le peuple, n’ayant plus là son idole, le duc de Beaufort, pour le ranimer sans cesse, commençait à s’apaiser, et il était fort partagé. La bourgeoisie presque entière demandait le roi et la paix. Paris pouvait d’un moment à l’autre échapper à la fronde, et quelques avantages de plus du côté de la Loire étaient peu de chose devant la crainte d’un pareil désastre. L’avis de Chavigny entraîna Condé. Lui aussi il s’imagina qu’en arrivant à Paris le front ceint de la merveilleuse auréole que lui faisaient et cette course extraordinaire à travers la France et ses derniers exploits, il ressaisirait son ascendant sur le duc d’Orléans, déjouerait les intrigues de Retz, et, en ralliant tout ce qui restait de partisans accrédités à la fronde autour de sa propre gloire, il fonderait un grand gouvernement capable de se soutenir devant celui de la reine. Mais c’étaient là des espérances plus brillantes que solides. Le meilleur moyen de s’assurer de la fidélité du duc d’Orléans, de se mettre à l’abri de ses trahisons et de celles de son digne conseiller, c’était d’être le plus fort et le maître des événemens. Paris serait toujours le prix du vainqueur. On y pouvait envoyer des hommes mille fois plus en état que Condé de tenir tête au dangereux cardinal, La Rochefoucauld par exemple et le duc de Nemours, qui, réunis au duc de Rohan, à Chavigny et au président Viole, tout dévoué à Condé, pouvaient au moins lui garder le duc d’Orléans et Paris jusqu’à la fin de la campagne. Le comte de Tavannes, qu’il avait choisi pour le remplacer, était sans doute un excellent officier, l’un de ces vaillans petits-maîtres qui, sur les champs de bataille, servaient d’ailes à sa pensée, portaient partout ses ordres, exécutaient les manœuvres les plus périlleuses, tantôt chargeant avec une impétuosité irrésistible, tantôt soutenant les charges les plus terribles avec une constance et une solidité à toute épreuve. Mais si l’intrépide Tavannes pouvait fort bien conduire une division dans une grande armée, il n’était pas de force à commander en chef, et il n’avait pas d’autorité sur les troupes étrangères que le duc de Nemours avait amenées de Flandre, et qu’il remit, en se rendant à Paris avec Condé, entre les mains du comte de Clinchamp. L’armée, ainsi partagée, n’était capable de rien de grand. Condé seul pouvait achever ce qu’il avait commencé. Une fois engagé dans la formidable entreprise qu’il avait formée contre la reine et Mazarin, il n’y avait de salut pour lui qu’en la poussant jusqu’au bout. Il devait donc, s’il est permis de s’exprimer ainsi, s’acharner sur Turenne, périr ou le vaincre, et contraindre Mazarin à s’enfuir une dernière fois en Allemagne ou en Italie, et la reine à lui remettre le jeune roi. Pour cela, il aurait fallu à Condé une ambition fixe, un but bien déterminé; il aurait fallu qu’il se proposât nettement d’être régent ou du moins lieutenant-général du royaume à la place de Monsieur, de gré ou de force, qu’il concentrât tous les pouvoirs dans sa main, qu’il fût enfin Cromwell ou Guillaume III, et Condé n’était ni l’un ni l’autre. Depuis sa prison, son esprit avait été traversé par de mauvais rêves; mais il y avait dans son cœur un fonds invincible de loyauté. L’ambition était bien plus autour de lui qu’en lui-même. Il n’avait pas même songé à effacer les d’Orléans, à supprimer entre le trône et sa maison un intermédiaire qui depuis vingt années n’avait cessé d’être funeste à la monarchie et à la France. Au contraire, il avait contracté avec Monsieur des engagemens auxquels il entendait rester fidèle. Il exigeait impérieusement pour ses parens et pour ses amis des avantages considérables : pour lui-même, il ne savait trop ce qu’il voulait. Mais quoi qu’il voulût et dans toutes les hypothèses, car son secret est demeuré entre Dieu et lui, il eut tort de s’éloigner de la Loire en laissant Turenne debout. Voilà sa véritable faute, et non pas d’avoir manqué d’audace, comme le dit Napoléon. Ce n’est pas une faute militaire, c’est une faute politique immense, irréparable. Il pouvait écraser Turenne, il devait le tenter du moins; il le laissa échapper. L’occasion une fois manquée ne revint plus. Turenne jusque-là n’était qu’au second rang; par une résistance glorieuse, il eut dès ce moment et on s’appliqua à lui donner l’importance d’un rival de Condé. Mazarin s’enhardit de jour en jour davantage; la royauté, qui avait été à deux doigts de sa perte, se releva, et la cour se rapprocha de Paris, tandis que, poussé par son mauvais génie, quittant les champs de bataille où était sa véritable force, Condé s’en alla consumer un temps précieux dans un dédale d’intrigues pour lesquelles il n’était pas fait, et où il se perdit lui et la fronde.


III.

Il arriva à Paris le 11 avril, et trouva toutes choses dans la dernière confusion. Il s’appliqua à ménager et à caresser la vanité ombrageuse de Monsieur, lui prodiguant toute sorte de déférences et ayant bien soin de garder partout le second rang. Le lendemain, il se rendit au parlement, et quoique le président Bailleul, qui remplaçait Mathieu Mole, lui fût ouvertement contraire, loin de se laisser aller à ses emportemens ordinaires, il eut l’air d’approuver les sentimens de la compagnie pour le roi et pour la paix, et déclara qu’il n’avait d’autre prétention que de servir le parlement et de faire exécuter ses arrêts, c’est-à-dire d’obtenir la sortie de Mazarin du royaume. Sur ce point seul il se montra inflexible. Il tint le même langage à la cour des comptes et à la cour des aides. On lui témoignait les plus grands respects ; mais il ne lui était pas difficile de reconnaître que les temps étaient bien changés, qu’on était las de la guerre, et qu’on souhaitait la paix. Le président Bailleul avait exprimé sa douleur de voir un prince du sang royal les mains teintes du sang des sujets du roi[17]. À la cour des comptes, le premier président, Nicolaï, avait conjuré Monsieur de s’entremettre pour un accommodement pacifique[18]. À la cour des aides, le premier président, Amelot, s’était plaint hautement[19] qu’il semblât y avoir un traité avec l’Espagne, puisque c’était avec des deniers espagnols qu’on payait les nouvelles recrues. Condé faisait-il battre le tambour pour rassembler la milice bourgeoise, on demandait au nom de qui battait le tambour, et on se plaignait qu’on usurpât l’autorité royale. Évidemment il fallait prendre un parti, ou traiter avec la cour à des conditions acceptables, ou ranimer la fronde et pousser vivement Mazarin. Les perpétuelles hésitations de Monsieur étaient un obstacle à tout. Condé ne savait ni comment se servir du duc d’Orléans, ni comment s’en passer. À moins de se résoudre à se faire lui-même le chef du parti, il fallait bien, pour conserver une ombre de légalité, précisément parce qu’il tirait l’épée contre le roi, respecter le lieutenant-général du royaume. Il lui faisait donc une cour assidue, mais sans rien gagner sur ce prince égoïste, vain et pusillanime, qui, au lieu d’être touché de la fidélité de Condé et d’y répondre par la sienne, plus il était forcé de reconnaître ses grandes qualités, plus en secret il en était jaloux, et dans son dépit prêtait l’oreille aux perfides suggestions de Retz.

Condé, il est vrai, avait bien des appuis au Luxembourg. La duchesse d’Orléans, cette belle Marguerite de Lorraine que Gaston avait épousée à Bruxelles malgré Louis XIII, n’était pas sans pouvoir sur lui, et elle l’animait contre le successeur de Richelieu. Au mois de janvier 1652, elle avait réussi à faire conclure un traité entre Monsieur, Condé et le duc Charles de Lorraine : elle l’avait signé au nom de son frère, et le comte de Fiesque au nom de Condé. De son côté, Mademoiselle, un peu fantasque, mais loyale et courageuse, s’était jointe à sa belle-mère, et elle était déclarée pour la guerre, moitié par goût de l’éclat et du bruit, pour parader à la tête des troupes avec ses deux dames d’honneur, la comtesse de Frontenac et la comtesse de Fiesque, transformées en aides de camp, moitié par l’espoir secret que dans la défaite de Mazarin et dans le triomphe de son père elle parviendrait à épouser le jeune roi et à échanger le casque de la fronde pour la couronne de France[20]. Madame et Mademoiselle, fidèles à la parole donnée, parlaient à Monsieur le langage de l’honneur; mais Retz, s’adressant à ses mauvais instincts, était bien plus sûr d’être écouté. Il fomentait ses soupçons jaloux par le récit envenimé des traits de hauteur qui échappaient à Condé; il flattait le goût du repos qui renaissait bien vite dans le cœur de Monsieur après quelques agitations et à la vue du péril; il l’engageait à ne se pas sacrifier pour Condé, et à traiter sans lui avec la reine, puisque la reine repoussait absolument cet impérieux personnage. En même temps il lui faisait voir que Mazarin maintenu à la tête des affaires était un triomphe remporté sur lui et une humiliation insupportable. En un mot, il le poussait par où il penchait, marchant lui-même à ses propres fins sous le masque d’un faux dévouement. En vain La Rochefoucauld, Rohan, Nemours, et les autres amis de Condé le combattaient-ils de toutes leurs forces : Retz, en fait d’intrigues et de complots, leur était bien supérieur. Il était à Paris sur son vrai champ de bataille, manœuvrant avec un art consommé dans les sens les plus différens, et toujours vers le même but, la perte de Condé. Il excitait aisément contre lui le parti royaliste, et le minait chaque jour dans le parlement et dans les autres cours, en laissant entendre que Monsieur n’était pas si intimement uni qu’on le pouvait croire à M. Le Prince. Il avait aussi conservé ses vieilles intelligences dans le peuple : il y était presque aussi puissant que Beaufort, et pouvait lancer à son gré sur la place publique des gens apostés pour crier tour à tour, selon les occasions : A bas le Mazarin ! et vive la paix! c’est-à-dire : à bas M. Le Prince! Celui-ci, égaré dans la fronde comme dans un monde étranger, cherchait péniblement sa route à travers toutes ces intrigues, luttant sans cesse contre lui-même, s’efforçant de retenir son humeur bouillante, et se laissant volontiers conduire aux conseils de ses amis.

La plupart étaient d’avis de sortir de cette situation incertaine et de s’accommoder honorablement et sûrement avec la cour. Condé ne s’y refusa point, et se laissa entraîner, dit La Rochefoucauld, qui y fut bien pour quelque chose, « dans un abîme de négociations dont on n’a jamais vu le fond, et qui a toujours été le salut de Mazarin et la perte de ses ennemis. » De concert avec le duc d’Orléans, Condé autorisa une démarche auprès de la reine, et chargea Chavigny de ses propositions. Comme le duc d’Orléans, poussé par Retz, faisait une condition absolue du renvoi de Mazarin, Condé se joignit à lui sur ce point, et pour lui-même il demandait seulement qu’on acquittât les promesses qu’il avait faites à ses partisans, et qui étaient à ses yeux des engagemens d’honneur. Cependant, si nous en croyons La Rochefoucauld, Chavigny songea plus à ses propres intérêts qu’aux intérêts de celui qui l’avait envoyé. Il ne devait voir que le roi et la reine, et il vit aussi Mazarin; il traita même avec lui sans insister sur cette condition que Mazarin sortît du royaume, ce qui donnait à Condé envers le duc d’Orléans une apparence de déloyauté qui le mit dans le plus grand courroux.

Les choses en étaient là, et « tout ce qu’il y a de plus raffiné et de plus sérieux dans la politique, dit encore La Rochefoucauld, étoit exposé aux yeux de M. Le Prince pour prendre un de ces deux partis, de faire la paix ou de continuer la guerre, lorsque Mme de Châtillon lui fit naître le désir de la paix par des moyens plus agréables. Elle crut qu’un si grand bien devoit être l’ouvrage de sa beauté, et, mêlant de l’ambition avec le dessein de faire une nouvelle conquête, elle voulut en même temps triompher du cœur de M. Le Prince et tirer des avantages de la négociation. »

Ailleurs, en parlant des jeunes amies de Mme de Longueville, nous avons dit un mot de la duchesse de Châtillon[21]. Il est indispensable d’y insister pour l’entière intelligence de ce qui va suivre.

Isabelle-Angélique de Montmorency était l’une des deux filles de ce brave et infortuné comte de Montmorency-Bouteville, qui, victime d’un faux point d’honneur et de sa passion effrénée pour le duel, eut la tête tranchée en place de Grève le 21 juin 1627. Elle était sœur de François de Montmorency, comte de Bouteville, depuis l’illustre maréchal de Luxembourg. Née en 1626, elle avait été mariée en 1645 au dernier des Coligny, duc de Châtillon, l’un des héros de Lens, tué au combat de Charenton en 1649. Veuve à vingt-trois ans, sa rare beauté lui fit mille adorateurs ; elle fut une des reines de la galanterie pendant toute la fronde, et même, après bien des aventures, à trente-huit ans elle séduisit encore le duc de Mecklembourg, qui l’épousa en 1664. À la beauté, Mme de Châtillon joignait beaucoup d’esprit, mais de l’esprit tourné à l’intrigue. Elle était vaine et ambitieuse, en même temps fort intéressée, médiocrement scrupuleuse, et un peu de l’école de Mme de Montbazon. De bonne heure, elle avait frappé Condé ; mais il n’y avait plus songé, tout entier à sa passion pour Mlle Du Vigean. Depuis ces nobles amours, si tristement terminées, et après l’émotion passagère que lui donna encore un moment la belle et vertueuse Mlle de Toussy, Condé étouffa ses instincts chevaleresques et dit adieu à la haute galanterie de sa jeunesse et de l’hôtel de Rambouillet ; il n’a plus eu que des attachemens légers et vulgaires, dont on n’a pas gardé le souvenir. Mme de Châtillon seule est connue pour avoir une dernière fois captivé son cœur, et cette liaison a exercé sur Condé et sur ses affaires, à l’époque où nous en sommes arrivés, une assez grande influence pour que l’histoire s’en doive occuper, si elle ne veut pas se contenter de retracer la suite et comme la figure des événemens qui se passent sur la scène du monde sans les comprendre, sans en pénétrer les causes véritables, qui résident dans le caractère des hommes et dans leurs passions. Or, de toutes les passions, il n’en est pas une plus énergique à la fois et plus étendue que l’amour. Il tient une place immense dans la vie humaine, et dans les plus hautes comme dans les plus humbles conditions. De nos jours, nous l’avons vu faire et défaire des rois. Jadis, en retenant trop longtemps César à Alexandrie auprès de Cléopâtre, il amassa sur sa tête l’orage formidable qui pensa l’accabler à Munda. Il était pour beaucoup dans la guerre qu’Henri IV allait entreprendre, lorsque la mort le vint arrêter. On ne peut s’empêcher de sourire en voyant la plupart des historiens n’en tenir aucun compte, comme d’une chose trop frivole, et le reléguer dans la vie privée, comme si la vie privée n’était pas le fond même de la vie publique, comme si ce qui s’agite dans l’âme n’était pas le principe de ce qui éclate au dehors ! Non, l’empire de la beauté ne connaît pas de limites, et nulle part il n’est plus puissant que sur ces grands cœurs qu’on appelle Alexandre, César, Charlemagne, Henri IV. On peut bien mettre Condé dans cette illustre compagnie. Nous connaissons un gracieux monument du pouvoir de Mme de Châtillon sur Condé. A Châtillon-sur-Loing, dans ce qui subsiste de l’antique château des Coligny, qu’Isabelle de Montmorency tenait de son mari et qu’elle laissa à son frère, dans ce salon du noble héritier des Luxembourg, aussi précieux pour l’histoire que pour l’art, où l’on voit rassemblés, à côté de l’épée du connétable Anne, le portrait de Luxembourg à cheval avec sa mine si fine et si fière, ainsi que le portrait en pied de Charlotte Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, en habit de veuve, est un grand et magnifique tableau d’une main inconnue, mais qui doit être celle de Juste ou de Ferdinand, représentant une jeune femme d’une beauté ravissante, aux traits parfaitement réguliers, avec les plus jolis cheveux d’un châtain clair, et des yeux gris de l’éclat le plus doux, au cou de cygne, à la taille fine et légère, peinte de grandeur naturelle, et parée de tous les attraits de la jeunesse relevés par une exquise coquetterie. Elle est assise dans une molle attitude. Une de ses mains, nonchalamment étendue, tient un bouquet de fleurs; l’autre est posée sur la crinière d’un lion, dont la tête se montre de face, et dont les yeux flamboyans sont, à ne s’y pouvoir méprendre, les yeux terribles de Condé lorsqu’il avait les armes à la main. Voilà bien la belle duchesse de Châtillon à vingt-cinq ou vingt-six ans, et à peu près telle qu’elle a pris soin de se décrire elle-même dans les Divers Portraits de Mademoiselle[22]. La tête se détache merveilleusement[23]. On ne peut voir une figure plus gracieuse; mais elle manque un peu de caractère et de grandeur, et ce n’est pas là Mme de Longueville. Celle-ci n’était pas aussi régulièrement belle; mais elle avait un bien plus grand air, et une suprême distinction reluisait dans toute sa personne.

Mme de Châtillon et Mme de Longueville avaient été élevées ensemble, et fort liées pendant toute leur première jeunesse. Peu à peu il se mit entre elles quelque rivalité de beauté, et elles se brouillèrent tout à fait lorsque Mme de Longueville s’aperçut, après la mort de Châtillon, que la jeune et belle veuve, tout en accueillant fort bien les hommages du duc de Nemours, portait aussi ses vues sur Condé. Mme de Longueville avait ses raisons pour ne pas être alors très sévère, mais elle connaissait le cœur intéressé de la belle duchesse, et elle la redoutait pour son frère : elle craignait que Mme de Châtillon, ayant grand besoin des faveurs de la cour, ne retînt Condé dans les engagemens qu’il avait avec Mazarin, tandis qu’elle-même s’efforçait de l’entraîner dans la fronde. La querelle s’était renouvelée en 1651, quand Condé sortit de prison, et elle était dans toute sa force en 1652. Mme de Châtillon et Mme de Longueville se disputaient le cœur de Condé : l’une l’attirait vers la cour, espérant bien que la cour ne serait pas ingrate envers elle, l’autre le poussait de plus en plus dans le parti de la guerre. Mme de Longueville, sachant combien Condé avait d’amitié pour le duc de Nemours, qui était dans la main de la duchesse, pendant un court voyage qu’ils firent ensemble de Montrond à Bordeaux, mêla fort mal à propos la politique et la coquetterie, et essaya sur Nemours le pouvoir de ses charmes, afin de l’enlever à Mme de Châtillon et au parti de la paix. Le voyage n’avait pas duré deux jours en compagnie de la princesse de Condé, et après être resté bien peu de temps à Bordeaux, Nemours en était parti pour aller en Flandre prendre le commandement des troupes promises par l’Espagne, Nul ne sait jusqu’où avait été la faute de Mme de Longueville; mais la moindre apparence suffit à La Rochefoucauld. Comme il n’avait cherché que ses avantages dans la fronde, ne les y trouvant pas, il commençait à se lasser, et ne demandait pas mieux que de mettre fin à la vie errante et aventureuse qu’il menait depuis plusieurs années par un bon accommodement. La conduite de Mme de Longueville, en le blessant jusqu’au vif dans ce qui pouvait lui rester de tendres sentimens pour elle, et surtout dans la partie la plus sensible de son cœur, la vanité et l’amour-propre, lui fut une occasion, et, dit une contemporaine très bien informée, un prétexte[24] qu’il saisit avec empressement, de rompre une liaison devenue contraire à ses intérêts. Aussi en avril 1652, quand il revint à Paris avec Condé, et y trouva Mme de Châtillon, il entra dans toutes ses passions et dans tous ses desseins, comme lui-même l’avoua depuis à Mme de Motteville[25]; il mit à son service tout ce qu’il y avait en lui d’adresse et d’habileté, et descendit envers Mme de Longueville à des vengeances indignes d’un galant homme, et qui nous révoltent encore, au bout de deux siècles, comme elles ont fait les contemporains.

Mme de Châtillon ne se contenta pas d’arracher l’inconstant et léger duc de Nemours à sa nouvelle amie absente; elle exigea qu’il se tournât contre elle et lui en fît un public et outrageant sacrifice. Ce n’étaient encore là que les représailles de la vanité féminine : l’ambitieuse duchesse alla plus loin : elle entreprit de ruiner Mme de Longueville dans l’esprit de son frère. Pour cela, elle s’appliqua à la décrier de toute manière auprès de lui, et tâcha même de lui persuader que sa sœur ne lui était pas aussi attachée qu’elle le faisait paraître, qu’elle avait promis au duc de Nemours de le servir à ses dépens, et qu’elle en ferait autant pour un autre, si une passion semblable la prenait[26] : calomnie aussi absurde qu’odieuse, car Mme de Longueville n’avait pas songé le moins du monde à enlever le duc de Nemours à Condé, mais à Mme de Châtillon, précisément pour l’engager davantage dans les intérêts de Condé, tels qu’elle les entendait.

La politique de Mme de Longueville était fort simple, et c’était la vraie, la fronde une fois admise. Certes il eût bien mieux valu et pour Mme de Longueville et pour Condé et pour la France ne pas entrer dans cette voie fatale où la grandeur nationale fut arrêtée pendant dix années et où la maison de Condé pensa périr; mais après avoir embrassé ce funeste parti, il ne restait plus à un esprit conséquent et ferme qu’à en poursuivre résolument le triomphe. Or ce triomphe aux yeux de Mme de Longueville était dans le renversement de Mazarin, condition nécessaire de la domination de Condé. Voilà le but que lui avait montré La Rochefoucauld en l’engageant dans la fronde au commencement de 1648, et elle ne l’avait jamais perdu de vue. C’est pour l’atteindre qu’elle s’était jetée dans la guerre civile, et qu’elle avait fini par y entraîner son frère; que, vaincue à Paris en 1649, elle avait tenté en 1650 de soulever la Normandie; qu’elle avait risqué sa vie, bravé l’exil, fait alliance avec l’étranger et maintenu à Stenay le drapeau des princes. En 1651, elle avait été d’avis de reprendre les armes, et maintenant elle pensait qu’il ne fallait pas les quitter, et qu’au lieu de se perdre en négociations inutiles avec le rusé et habile cardinal, c’était sur son épée seule que Condé devait compter. Elle le savait incapable de se tirer à son avantage des intrigues qui l’environnaient, et elle le poussait sur les champs de bataille. Elle était ouvertement du parti de la guerre, et par là elle était d’intelligence avec tous les instincts de Condé. Elle avait toujours eu sur lui un assez grand empire, parce qu’il lui savait un cœur de la trempe du sien, et si l’amour ne l’eût aveuglé, il aurait repoussé avec mépris les indignes accusations qu’on osait élever contre elle, comme il avait fait en 1643 dans l’affaire des lettres que lui attribuait Mme  de Montbazon[27]. Jamais femme en effet ne fut naturellement moins portée à la galanterie qu’Anne de Bourbon ; elle aimait les hommages, mais les plaisirs des sens ne l’attiraient point[28]. Il est certain qu’elle ne fut pas le moins du monde touchée des agrémens du beau duc de Nemours[29], et La Rochefoucauld, qui l’avait bien étudiée, ne trouva pas de plus sûr moyen de la séduire que de flatter sa passion innée pour la gloire et pour la grandeur. Là étaient à la fois la faiblesse et la force de Mme  de Longueville, le principe de sa coquetterie parmi les amusemens de la paix comme de son intrépidité au milieu des plus tragiques aventures. Sa fierté nourrissait l’espérance de voir un jour les Condé remplacer les d’Orléans, et lorsqu’en 1650 Monsieur eut un fils, le petit duc de Valois, elle s’affligea d’un événement qui menaçait d’affermir et de perpétuer une maison qu’elle n’aimait point, et dans une lettre jusqu’à présent restée inédite elle laisse paraître les pensées qui s’étaient glissées dans son cœur. « Je pense, écrit-elle à Lenet le 22 août 1650, que la nouvelle de la naissance du fils de M. d’Orléans ne réjouira pas plus ma belle-sœur qu’elle m’a réjouie. C’est à mon neveu qu’il en faut faire des doléances[30]. » En un mot, on peut le dire avec la plus parfaite vérité, Mme  de Longueville avait pour Condé plus d’ambition qu’il n’en avait lui-même. De bonne heure le soupçonneux et pénétrant Mazarin en avait jugé ainsi, et dans les carnets où il dépose ses sentimens les plus intimes, il la représente en ennemi, mais en ennemi très bien informé. « Mme  de Longueville, dit-il, a tout pouvoir sur son frère. Elle fait vanité de dédaigner la cour, de haïr la faveur… Elle voudroit voir Condé dominer et disposer de toutes les grâces… Si elle aime la galanterie, ce n’est pas du tout qu’elle songe à mal, mais pour faire des serviteurs et des amis à son frère. Elle lui insinue des pensées ambitieuses auxquelles il n’est déjà que trop porté. » Mazarin avait raison, et son témoignage est bien autrement sûr que les accusations bassement intéressées de Mme  de Châtillon, de Nemours et de La Rochefoucauld, car tous les trois la noircissaient à l’envi auprès de Condé, comme une créature vulgaire toujours prête à le trahir pour le premier amant, dans le dessein manifeste et avoué de lui ôter toute influence sur son frère, de s’emparer de celui-ci, et de le faire servir à leurs vues particulières. Devant quel tribunal équitable de pareilles accusations seraient-elles admises? Nemours seul savait ce qui s’était passé entre Mme de Longueville et lui, et l’homme assez lâche pour se faire le dénonciateur d’une femme après l’avoir entourée d’hommages n’est pas fort digne d’être cru sur sa parole. D’ailleurs le duc de Nemours n’a pas parlé lui-même, c’est Mme de Châtillon, c’est La Rochefoucauld qui l’ont fait parler, et nous savons par quel motif.

Il est difficile d’imaginer une conspiration plus honteuse que celle qui s’était alors formée contre Mme de Longueville, et ce qu’il y a de plus honteux peut-être, c’est que La Rochefoucauld se vante lui-même d’avoir inventé et conduit cette machine, comme il l’appelle. Les trois conjurés étaient mus par des raisons différentes, mais également méprisables : Mme de Châtillon voulait seule gouverner Condé, et seule le représenter auprès de la cour, afin d’avoir les profits de la négociation ; Nemours voulait complaire à Mme de Châtillon, et prétendait aussi avoir sa part des grands avantages qu’on se promettait; enfin La Rochefoucauld agissait par un impitoyable esprit de vengeance et dans l’espoir d’un accommodement nécessaire à sa fortune

Mais il y avait ici un point délicat, si l’on peut parler de délicatesse en une pareille affaire : de toute la cabale, le moins mauvais était encore le duc de Nemours, plus frivole que perfide, et qui était sincèrement épris de Mme de Châtillon. Il l’aimait et il en était aimé. Le retour de M. Le Prince, avec ses prétentions bien déclarées, le faisait cruellement souffrir, et son dépit menaçait de troubler le plan si bien concerté. La belle dame elle-même ne laissait pas d’être quelquefois embarrassée entre un prince impérieux et un amant jaloux. Heureusement le futur auteur des Maximes était là. La Rochefoucauld, c’est lui-même qui nous l’apprend, se chargea d’arranger tout pour le mieux. Il ne lui fut pas très difficile d’enseigner à Mme de Châtillon à ménager à la fois Condé et Nemours, et à faire en sorte qu’elle les conservât tous les deux. Il fit comprendre à l’ombrageux duc de Nemours qu’en vérité il n’aurait pas raison de se fâcher d’une liaison inévitable, « qui ne lui devait pas être suspecte, puisqu’on voulait lui en rendre compte, et ne s’en servir que pour lui donner la principale part aux affaires. » En même temps « il porta M. Le Prince à s’engager avec Mme de Châtillon, et à lui donner en propre la terre de Merlou. » De cette façon, grâce à l’honnête entremise de La Rochefoucauld, l’accord se soutint, et la conspiration marcha doucement à son but. Condé ne se doutait de rien. On avait mis un voile sur ses yeux; on endormait son humeur martiale dans les plaisirs et les négociations; on le berçait de l’espoir d’une paix prochaine.


IV.

Pour donner aux nouvelles négociations qu’il entamait une base ferme et empêcher que ses vraies intentions pussent être altérées comme elles l’avaient été par Chavigny, Condé fit dresser sous ses yeux, devant Mme de Châtillon, Nemours et La Rochefoucauld, une instruction précise et détaillée qu’il chargea Gourville de porter à la cour. La Rochefoucauld nous en a conservé une copie[31]. Condé y déclare que ces propositions contiennent son dernier mot, qu’il agit sincèrement, et qu’il lui faut une réponse positive sur chacune d’elles. Il demeure fidèle à ses engagemens avec Monsieur, et il ne demande pour lui-même que l’honneur de travailler à la paix générale de concert avec le duc d’Orléans. Hors de là, il ne stipule qu’en faveur de ses amis. La liste de ces amis est un peu longue, il est vrai; mais en l’examinant avec soin, on reconnaît que tous ceux dont les noms s’y rencontrent y figurent à bon droit, et qu’on ne réclame pour eux rien d’excessif. Ainsi Condé demande pour son frère le gouvernement de Provence au lieu de celui de Champagne, des brevets de maréchaux de France pour Marsin et pour Du Dognon, le gouvernement de Bergerac pour M. de La Force, pour le président Viole la permission de traiter d’une charge de président à mortier ou de secrétaire d’état; qu’on rétablisse le duc de Rohan-Chabot dans son gouvernement d’Anjou; qu’on donne au duc de Nemours le gouvernement d’Auvergne; enfin qu’on accorde à La Rochefoucauld deux avantages d’un ordre différent : l’un pour sa vanité, à savoir le même rang et les mêmes honneurs que M. de Rouillon ; l’autre pour sa fortune, 120,000 écus, afin de traiter du gouvernement de Saintonge et d’Angoumois, ou de tout autre à son gré. On voit que La Rochefoucauld ne s’était pas maltraité. Pour Mme de Châtillon, elle ne pouvait être mentionnée dans l’acte officiel; mais, comme on le pense bien, elle n’avait pas été oubliée, et Mademoiselle nous apprend[32] qu’il était convenu que pour ses divers services elle toucherait la somme de 100,000 écus. Il n’est question de Mme de Longueville ni dans l’instruction, ni dans aucune clause patente ou secrète. Et pourtant que de sacrifices n’avait-elle point faits? Elle avait contracté des dettes énormes, elle avait vendu jusqu’à ses pierreries, et l’honneur de paraître en une façon quelconque dans un semblable traité lui eût été bien nécessaire pour la relever aux yeux de la France et à ceux de son mari. Après tout, n’ayant pas travaillé pour elle-même, on peut la féliciter d’avoir conservé jusqu’au bout le lustre incomparable, la gloire unique du désintéressement.

Toutes les conditions que nous venons d’énumérer pouvaient être acceptées sans danger: mais la partie épineuse de la transaction proposée était dans les articles relatifs à Mazarin. Ils étaient assez modérés, sans être pourtant bien rassurans. D’un côté, on souhaitait que le cardinal sortit présentement du royaume, et de l’autre on promettait de consentir de bonne foi à tout ce qui lui serait avantageux et même à son retour dans trois mois; il était même dit que M. Le Prince ne signerait la paix qu’après le retour du cardinal. Ainsi la condition préalable était dure, et les promesses un peu vagues. Mazarin croyait à la loyauté de Condé, mais il avait fait l’expérience de ses hauteurs, de ses exigences impérieuses et sans cesse renaissantes. Il craignait avec raison de se remettre entre les mains d’un homme qui n’avait pas toujours le gouvernement de lui-même, et dont il était difficile d’être bien sûr, parce que, ne poursuivant pas un objet bien déterminé, on n’était jamais certain de l’avoir définitivement satisfait. Mazarin ne se pressa donc pas de répondre, et, trop habile pour ne pas accepter la négociation, il s’appliqua à la tirer en longueur. Il en trouva une fort bonne raison. Le duc de Bouillon, si considérable et par lui-même et par son frère Turenne, élevait des prétentions sur le duché d’Albret, qui appartenait aux Condé. Il fallait avant tout résoudre cette difficulté. Cependant le voyage de Gourville n’avait pas été si secret qu’il ne fut venu aux oreilles de Retz. Celui-ci comprit sur-le-champ qu’il était perdu et tout son plan renversé, si Mazarin et Condé s’entendaient. Il se mit donc promptement à l’œuvre : il peignit au duc d’Orléans la négociation entamée comme une trahison envers lui et la ruine de toute son autorité; il lui persuada de parer le coup qui le menaçait en faisant à Mazarin de bien meilleures conditions que M. Le Prince, et le duc de Damville, intermédiaire ordinaire du duc d’Orléans et de la cour, fut envoyé en secret à la reine pour l’engager à ne rien conclure avec Condé, l’assurant que Monsieur souhaitait seulement avoir le mérite de la paix, qu’il était prêt à se rendre de sa personne auprès du roi, et à donner un exemple qui serait suivi par le parlement et par le peuple de Paris. Des propositions aussi flatteuses ne pouvaient manquer d’être prises en très grande considération, et elles devaient beaucoup refroidir pour celles qu’avait apportées Gourville. On n’en voulait pas davantage; on se réservait de voir ensuite jusqu’à quel point on tiendrait la parole donnée.

C’est ainsi que le palais d’Orléans répondait à l’hôtel de Condé, et Retz à La Rochefoucauld. De toutes parts des intrigues se croisant en sens contraire : mines et contre-mines, luttes intestines, inimitiés sourdes et violentes au sein des alliances les plus solennelles; le bien public compté pour rien; le parlement et le peuple servant d’instrumens et de jouets à l’ambition de quelques grands seigneurs; pas la moindre foi entre les chefs, tous se trahissant à l’envi. Une trahison plus éclatante et plus dangereuse que toutes les autres vint mettre encore plus à nu l’état misérable des affaires de la fronde.

Charles IV, duc de Lorraine, qui avait signé par la main de sa sœur, en janvier 1652, un traité avec le duc d’Orléans et Condé, après s’être fait longtemps attendre, avait enfin paru avec ses vieux régimens, moitié lorrains, moitié allemands, et en concertant ses mouvemens avec ceux de la division française du comte de Tavannes et de la division étrangère du comte de Clinchamp, il aurait pu aisément forcer l’armée royale, inférieure en nombre, à reculer et à regagner les bords de la Loire. Malheureusement les troupes de la fronde avaient ainsi trois chefs s’entendant très médiocrement, tandis que depuis l’affaire de Bleneau Turenne, bien plus en faveur auprès de la reine et de Mazarin, commandait à peu près seul, et avait dans sa main une armée peu nombreuse, il est vrai, mais unie sous des généraux dociles et intelligens. Il avait manœuvré avec habileté pour tenir séparés le plus possible Tavannes et Clinchamp; plus fort que chacun d’eux, il était parvenu à les pousser toujours devant lui, et en laissant à sa gauche Orléans, qu’occupait Mademoiselle, il s’était avancé vers Paris, et avait mis le siège devant Étampes. A l’approche du duc de Lorraine, craignant d’être enveloppé par ses trois adversaires, il avait levé le siège commencé, et sans donner le temps à Charles IV de faire sa jonction avec Clinchamp et Tavannes, il s’était porté à sa rencontre pour le battre séparément. Le duc était campé à Villeneuve-Saint-George. Il avait une bonne position qu’il venait de fortifier, cinq mille hommes de cavalerie, trois mille d’infanterie, avec une artillerie bien servie, placée sur une hauteur[33]. Il était d’une bravoure éprouvée, et savait fort bien la guerre; il avait même autrefois vaincu une armée française à Tudelingen, Il pouvait donc combattre Turenne avec avantage, ou du moins le contenir, pendant que Tavannes et Clinchamp, sortis d’Étampes, tomberaient sur ses derrières. Mais Charles IV, de faute en faute ayant perdu ses états, se trouvait depuis longtemps réduit au rôle d’aventurier, de condottiere ; il n’avait plus d’autre fortune que ses troupes: aussi les ménageait-il avec le plus grand soin. Il s’offrait et se vendait à peu près à tous les partis, sans se piquer de fidélité envers aucun d’eux. En même temps qu’il avait traité avec la fronde, le duc d’Orléans et Condé, il avait négocié aussi avec la cour, faisant son compte de se tirer d’affaire et de gagner son argent au moyen de quelques démonstrations, mais bien décidé à ne pas compromettre sa petite armée, sa suprême ressource. Quand donc il vit venir à lui Turenne, il crut pouvoir l’amuser avec ses artifices accoutumés, en lui représentant qu’il était un ami et un allié du roi de France. Turenne, n’entendant rien à toutes ces façons, lui déclara nettement qu’il allait le charger sur l’heure, s’il ne décampait et ne se retirait en Flandre. Le duc, qui n’en était pas à son coup d’essai en ce genre, prit bien vite son parti, et sauva ses troupes aux dépens de sa parole. Les Lorrains sortirent de leurs retranchemens, défilèrent devant l’armée royale en bataille, regagnèrent la frontière, et Charles IV, qui assaisonnait ses fourberies de badinages et de railleries, prétendit qu’il était parfaitement quitte avec l’Espagne et avec son beau-frère, puisqu’ayant été appelé au secours d’Étampes il en avait fait lever le siège. À cette nouvelle Madame, qui était de bonne foi, versa des larmes de honte et d’indignation, et le duc d’Orléans ne put faire moins que d’avoir l’air de partager les sentimens de sa femme. Condé, trahi de tous côtés, put enfin reconnaître quelle faute il avait faite de quitter l’armée pour venir se perdre en intrigues impuissantes, et d’avoir préféré les conseils vulgaires d’une maîtresse telle que Mme de Châtillon à ceux d’une sœur courageuse et dévouée telle que Mme de Longueville. Vers la fin de juin, il monta à cheval avec un petit nombre d’amis intrépides, et sortit de Paris pour tenter une dernière fois le sort des armes.

Il n’était plus temps. Le maréchal de La Ferté-Senneterre avait amené de Lorraine de puissans renforts à l’armée royale, qui comptait ainsi de dix à douze mille hommes. Celle de la fronde en avait à peine la moitié; elle était découragée, divisée, incapable de livrer une bataille, et elle ne tint quelques jours la campagne autour de Paris que grâce aux habiles manœuvres et à l’énergie partout présente de son chef. Il était évident qu’il ne restait à Condé d’autre alternative que de traiter avec la cour à tout prix, ou de se jeter entre les bras de l’Espagne, et le fameux combat de Saint-Antoine, sérieusement considéré, n’est qu’un acte de désespoir, une héroïque et vaine protestation du courage contre la fortune : le succès ne remédiait à rien, et on devait s’attendre à une défaite où Condé pouvait laisser sa gloire et sa vie. Ce n’était pas une moindre faute à Turenne de risquer un combat contre un tel adversaire sans disposer de toutes ses forces, et en ce moment La Ferté-Senneterre était encore avec l’artillerie devant la barrière Saint-Denis. Réunis, les deux généraux de la reine pouvaient accabler Condé; séparés, La Ferté-Senneterre demeurait inutile, et Turenne tout seul devait acheter bien cher la victoire. Aussi demandait-il qu’on pressât La Ferté de venir le rejoindre à marches forcées, et qu’on ne commençât pas l’attaque avant son arrivée[34]; mais les ordres de la cour n’admettaient aucun retard, et le duc de Bouillon lui-même fut d’avis d’attaquer sur-le-champ pour ne pas avoir l’air de ménager Condé[35]. De là ce fatal combat du 2 juillet 1652 où périrent inutilement tant de vaillans officiers, l’espoir de l’armée.

Les historiens ont raconté les détails de cette déplorable journée[36], quel courage et quel talent déploya Condé sur ce petit espace, dans cette espèce de patte d’oie qui s’étend depuis la barrière du Trône, par la grande rue du Faubourg-Saint-Antoine et par plusieurs rues latérales, coupées elles-mêmes de nombreuses rues de traverse, jusqu’à la grande place de la Porte-Saint-Antoine, devant la Bastille. Selon sa coutume, il avait formé un escadron d’élite avec lequel il se portait partout, conduisant lui-même les charges les plus périlleuses. Il s’était posté en face de Turenne, lui disputant pied à pied la grande rue Saint-Antoine, et dans les momens de relâche il s’échappait pour aller du côté de Picpus encourager Tavannes, qui résistait avec sa vigueur ordinaire à toutes les attaques de Saint-Mégrin, ou du côté de la Seine et de Charenton contenir Navailles, un des meilleurs lieutenans de Turenne. C’est dans la grande rue que se portèrent les plus rudes coups. Turenne et Condé y rivalisèrent de constance et d’audace, chargeant l’un et l’autre à la tête de leurs soldats, tous deux couverts de sang, et sans cesse exposés au feu de la mousqueterie. Turenne, bien supérieur en nombre, gagnait du terrain ; puis tout à coup Condé, l’épée à la main, à la tête de son escadron, le forçait de reculer, et l’affaire demeurait indécise, jusqu’à ce que Navailles, qui venait de recevoir du renfort et du canon, renversa toutes les barricades qui lui étaient opposées, et s’avança, menaçant d’envelopper Condé. Celui-ci, se portant rapidement sur ce point, vit à la dernière barricade ses deux amis, Nemours et La Rochefoucauld, l’un blessé en plusieurs endroits et ne se soutenant plus, l’autre atteint d’une balle qui, lui perçant le visage au-dessous des yeux, lui avait à l’instant fait perdre la vue ; ils allaient être pris. Tout épuisé qu’il était, Condé trouva dans son cœur la force de pousser une dernière charge qui les délivra, et on put les emmener dans la ville. Pendant ce temps, La Ferté-Senneterre était arrivé : dès lors tout plia, et le prince, mal secondé par ses soldats épouvantés, eut toutes les peines du monde à gagner la place de la Bastille. Là il trouva les portes de Paris fermées. En vain Beaufort pressa-t-il la milice bourgeoise d’aller au secours de cette poignée de braves près de succomber : fatiguée de trois ans de discordes et travaillée par Mazarin, elle ne répondait plus à la voix de son ancien chef. Retz et la peur avaient glacé le duc d’Orléans ; il allait laisser périr Condé, qui se battait en désespéré, et Mazarin, des hauteurs de Charonne où il s’était placé avec le jeune roi, put croire que c’en était fait de son dernier ennemi, lorsque Mademoiselle indignée[37] arracha à son père, à force de supplications et de larmes, un ordre avec lequel elle fit ouvrir à Condé et à ses troupes les portes de Paris, et tirer même sur l’armée royale le canon de la Bastille. « Voilà, dit Mazarin, un coup de canon qui a tué son mari, » faisant allusion à l’ambition qu’avait toujours eue Mademoiselle d’épouser le jeune Louis XIV. Oui, ce jour-là. Mademoiselle détruisit de sa propre main ses plus chères espérances ; mais ce trait de générosité et de grandeur d’âme l’honore à jamais, et protège sa mémoire contre bien des fautes et quelques ridicules. Après s’être solennellement engagée avec Condé, c’eût été le comble de l’opprobre pour la maison d’Orléans de laisser Condé tomber sous ses yeux : il valait mieux se perdre avec lui, et sauver du moins l’honneur.

Mademoiselle nous raconte en quel état elle trouva Condé, lorsque, s’étant rendue à une petite maison, près de la Bastille, pour voir passer les troupes qui entraient dans la ville, il vint l’y saluer. Il ne pensait ni à lui-même, qui était tout couvert de sang, ni même à sa cause, à peu près désespérée : il ne pensait qu’aux amis qu’il avait perdus. Il ne lui venait point à l’esprit que c’étaient eux qui l’avaient embarqué dans des négociations dont les résultats avaient été si funestes : il les croyait morts, et il éclatait en sanglots. « Il étoit, dit Mademoiselle[38], dans un état pitoyable ; il avoit deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout mêlés ; son collet et sa chemise étoient pleins de sang ; quoiqu’il n’eût pas été blessé, sa cuirasse étoit pleine de coups, et il tenoit son épée nue à la main, ayant perdu le fourreau. Il la donna à mon écuyer. Il me dit : « Vous voyez un homme au désespoir, j’ai perdu tous mes amis ; MM. de Nemours, La Rochefoucauld, Clinchamp, sont blessés à mort. » Je l’assurai qu’ils étoient en meilleur état qu’il ne croyoit, que les chirurgiens ne les croyoient pas blessés dangereusement, et que tout présentement je venois de savoir des nouvelles de Clinchamp, qu’il n’étoit en aucun danger. Cela le réjouit un peu, il étoit tout à fait affligé. Lorsqu’il entra, il se jeta sur un siège; il pleuroit, et me disoit : « Pardonnez à la douleur où je suis. » Et Mademoiselle ajoute : « Après cela, qu’on dise qu’il n’aime rien! Pour moi, je l’ai toujours connu tendre pour ses amis et pour ce qu’il aimoit. » Noble et sincère témoignage que l’histoire doit recueillir et opposer à des calomnies honteuses et intéressées, démenties par toute la conduite de Condé dans cette négociation même dont nous avons donné les principaux articles, et dans celle qu’il entreprit en 1659 pour son retour, où il recommande constamment à ses agens de sacrifier ses intérêts à ceux de ses amis et de la France[39].

Quelques jours après ce terrible combat, Condé revit le duc d’Orléans, «qui l’embrassa d’une mine aussi gaie que s’il ne lui eût manqué en rien[40]. » Condé ne lui adressa pas le moindre reproche par respect pour sa fille. Il ne se conduisit pas tout à fait de même avec Mme de Châtillon. Elle lui avait fait écrire un billet pour l’engager à venir. Elle montra ce billet à Mademoiselle, disant : «Il verra au moins par là l’inquiétude où l’on est pour lui. » Mais Condé était désabusé, et quand il rencontra celle qui l’avait perdu, « il lui fit les plus terribles yeux du monde, lui marquant par sa mine qu’il la méprisoit. » Heureux si bientôt après le petit-neveu de Henri IV n’eut pas de nouveau prêté l’oreille au chant de la sirène et repris d’indignes fers!


V.

Comment retracer les tristes scènes qui, après le combat de Saint-Antoine et pendant le reste du mois de juillet 1652, se passèrent à Paris? C’est ici qu’il faut se donner le spectacle de l’agonie et des suprêmes convulsions d’un parti vaincu, se débattant en vain pour échapper à son sort, et cherchant son salut dans des excès qui ne font que précipiter sa perte.

Condé, à peine rentré dans Paris, tint conseil avec ce qu’il lui restait d’amis sur l’état de leurs communes affaires. Les propositions d’accommodement qu’on avait précédemment adressées à Mazarin n’ayant pas eu de suites, on ne vit d’autre parti à prendre que de se lier plus étroitement que jamais avec l’Espagne, et, en attendant les secours qu’elle promettait, de ranimer le plus qu’il se pourrait le vieil esprit de la fronde. Pour cela, il fallait descendre assez bas dans le peuple, car tous les honnêtes gens soupiraient après la paix. On faisait mine de condescendre à ce vœu, et, comme on était sûr que Mazarin victorieux n’irait pas reprendre le chemin de l’exil, on se donnait un air de modération en envoyant à la reine des députations où l’on proposait de se rendre sans autre condition que celle-là, qui ne pouvait pas être acceptée. En même temps on pesait sur toutes les autorités municipales pour les entraîner de gré ou de force, et le 4 juillet eut lieu à l’Hôtel de Ville une scène révolutionnaire[41], digne des plus mauvais jours de la ligue, où la populace déchaînée, soutenue par une soldatesque mal déguisée, se porta aux derniers excès envers les magistrats assemblés, et, sans bien distinguer entre eux, les maltraita à tort et à travers, en blessant beaucoup et en massacrant quelques-uns. Un cri de douleur retentit dans toute la bourgeoisie parisienne. Par pudeur, il fallut bien arrêter un certain nombre de ces misérables, et deux même furent pendus ; mais l’horreur générale qu’excita cette sanglante émeute n’en fut pas diminuée.

Le 20 juillet, on fit un pas de plus : le parlement intimidé, et réduit à un petit nombre de membres déjà trop compromis pour avoir été rejoindre leurs collègues convoqués par le roi à Pontoise, rendit, sur la proposition du fameux président Broussel, un arrêt solennel par lequel le duc d’Orléans était déclaré lieutenant-général du royaume pour le service du roi « prisonnier du cardinal Mazarin,» le prince de Condé généralissime, et le duc de Beaufort gouverneur de Paris à la place du maréchal de L’Hôpital. Le même jour, ce bel arrêt était adressé à tous les parlemens de France ; le 23 juillet, le duc d’Orléans écrivait aux divers gouverneurs de province en la nouvelle qualité dont il venait d’être revêtu, et le 24 il venait au parlement avec M. Le Prince, demandant qu’on avisât aux moyens de trouver de l’argent pour faire de nouvelles levées, solder les gens de guerre, et compléter les 150,000 livres destinées à récompenser celui qui apporterait la tête du cardinal Mazarin. Immédiatement un arrêt était pris, enjoignant de procéder sans délai à la vente de ce qui restait des meubles, tableaux et statues du cardinal, de saisir tous ses revenus, et d’ajouter cet argent à celui qu’avait déjà produit la vente de sa riche bibliothèque jusqu’à concurrence des 150,000 livres affectées à payer sa tête[42], toutes mesures iniques et extravagantes qui décriaient de plus en plus la fronde. Au début des troubles, quand les imaginations enivrées s’élancent à la poursuite d’un objet mal défini, et qui par cela même émeut davantage, il est des hardiesses, des violences même qui, par un faux semblant d’énergie, répondant à l’état des esprits et des âmes, réussissent et accroissent le mouvement commencé; il en est tout autrement à la fin des discordes civiles, quand l’expérience a ôté les illusions et que la fièvre est tombée : les mêmes violences, qui d’abord avaient été applaudies, envisagées de sang-froid, révoltent, et redoublent le besoin du repos.

Le 30 juillet, l’indignation des cœurs honnêtes s’accrut encore par un événement odieux : le duc de Nemours périt dans un duel abominable de la main du duc de Beaufort, son beau-frère. Le duc de Nemours était le provocateur, et tous les torts étaient de son côté; mais, en qualité de victime, il fut pleuré de tous ceux qui ne savaient pas comment s’étaient passées les choses, et pendant quelque temps le nouveau gouverneur de Paris ne se put pas montrer en public[43].

Cependant les arrêts du parlement recevaient leur exécution. On mit sur la ville de Paris une imposition extraordinaire de 800,000 livres, et il fut résolu « qu’à cette fin chaque porte cochère paierait 75 livres, les portes carrées et les boutiques des marchands chacune 30 livres, et les petites 15[44]. » On rétablit aussi et on augmenta les droits sur les marchandises à l’entrée et au dedans de Paris. Tout le petit commerce et les pauvres gens murmurèrent. Le 1er août, le roi, en son conseil d’état, siégeant à Pontoise, cassa toutes ces taxes comme illégales, et fit défense de les acquitter. Le 9 août, un arrêt du parlement de Paris avait ordonné aux présidens et aux conseillers absens de revenir exercer leurs charges dans la huitaine, sous peine d’en être privés et de voir leurs noms rayés des registres du parlement. De son côté, le roi publia une déclaration enjoignant à ceux des membres du parlement qui étaient encore à Paris d’y cesser leurs fonctions, et de se transporter à Pontoise, ne reconnaissant d’autre parlement que celui de cette ville, qu’inaugura solennellement le garde des sceaux et premier président Mathieu Mole, assisté d’un bon nombre de présidens à mortier, de conseillers et de maîtres des requêtes, en sorte que les peuples ne savaient plus où étaient la justice, l’autorité et l’obéissance légitime. On avait renouvelé les magistrats de l’Hôtel de Ville comme trop mazarins, et à leur place on avait élu de nouveaux échevins : le vieux Broussel avait été nommé prévôt des marchands; mais le roi n’avait pas manqué de déclarer toutes ces nominations contraires « à la liberté publique, » et de frapper de nullité toutes les délibérations et les résolutions qui seraient prises à l’Hôtel de Ville jusqu’à ce que « le gouverneur de Paris, le prévôt des marchands légitime, et les autres magistrats qui ont été contraints d’en sortir, aient été remis en la fonction de leurs charges. » L’anarchie était à son comble dans le gouvernement et dans les esprits.

Pendant ce temps-là, l’Espagne, intéressée à nourrir parmi nous la guerre civile, avait renouvelé avec le duc de Lorraine une alliance qu’elle croyait plus solide que la première, et avait renvoyé le duc à la tête d’une armée considérable. Il arriva dans les premiers jours de septembre; mais Condé ne put se joindre à lui : il était tombé assez gravement malade, et son inaction forcée pendant tout le mois de septembre porta le dernier coup aux affaires du parti. Turenne contint le duc de Lorraine et le contraignit habilement de s’arrêter dans les environs de la capitale, où ses troupes ne pouvaient manquer de se livrer à des pillages et à des brigandages qui soulevèrent les paysans ruinés et Paris affamé. Les maladies vinrent à la suite de la famine. Bientôt il n’y eut plus qu’un seul sentiment, un seul besoin, un seul cri, la paix, la fin d’une guerre abhorrée.

Pour soutenir et accroître cette disposition, Mazarin conseilla au roi une amnistie générale qui rassurât tous ceux qui avaient pris quelque part aux événemens des dernières années. Quiconque accepterait l’amnistie et ferait sa soumission ne serait pas recherché; le passé était clos, l’avenir seul serait compté. Cet acte habile, promulgué le 26 août, en se répandant à Paris et dans toute la France, y fut le signal de la déroute de la fronde. L’altier Condé n’accepta point l’amnistie, et, au lieu de poser les armes, de licencier ses troupes et de rompre avec l’Espagne, comme le roi l’y invitait expressément dans l’édit du 26 août, par une erreur à jamais déplorable il s’enfonça de plus en plus dans son alliance avec l’Espagne et s’éloigna de Paris avec le duc de Lorraine, se jetant aveuglément dans une guerre plus affreuse encore et plus criminelle que la guerre civile, plus quam civilia bella. Son exemple ne fut pas suivi. Il garda ses propres régimens et les officiers les plus dévoués à sa fortune; mais plus d’un et des meilleurs, Tavannes par exemple, refusèrent de quitter la France et de passer au service de l’étranger. A Paris ce fut comme une émulation à qui profiterait le plus tôt de l’amnistie. On ne voyait que députations se dirigeant vers Compiégne, où était la cour. Le 24 septembre, l’Hôtel de Ville s’assembla pour délibérer sur l’ordre du roi qui interdisait de reconnaître les magistrats nommés depuis les derniers troubles, et Broussel donna sa démission de prévôt des marchands. Le 29, les six corps de marchands allèrent supplier le roi de donner la paix à son peuple. L’un de ces députés[45], «les larmes aux yeux et courbé jusqu’à terre, pressa leurs majestés de retourner à Paris en des termes que la véhémence de son affection ne rendit pas moins agréables et puissans que s’ils avoient été plus étudiés, puisqu’ils tirèrent aussi des larmes à l’assemblée. Deux autres députés parlèrent ensuite, dont le dernier représenta la misère des pauvres malades de l’Hôtel-Dieu de Paris, qu’il dit se monter à trois mille, lesquels on seroit obligé d’abandonner, si on ne mettoit bientôt fin à cette guerre, qui avoit fait perdre à cet hôpital la plus grande partie de son revenu. Et ces bons bourgeois, qui faisoient paroître plus de cœur que de langue, s’exprimèrent néanmoins si heureusement que leurs majestés en furent beaucoup touchées. » Les colonels et les officiers de la milice bourgeoise allèrent aussi protester de leur dévouement. Le jeune Louis XIV recevait toutes ces députations avec ce grand air qui lui était naturel, ces grâces et cette majesté précoce qui donnaient du charme et de l’autorité à toutes ses paroles. Inspiré par sa mère, qu’inspirait Mazarin, il répondait qu’il était impatient de revoir sa bonne ville de Paris, mais qu’il n’y voulait rencontrer que de fidèles sujets et non des gens qui se laissaient gouverner par ses ennemis et qui souffraient le joug de l’étranger. En revenant à Paris, les députés racontaient ce que le roi leur avait dit; on se rassemblait dans les différens quartiers pour aviser aux moyens de surmonter les obstacles qui s’opposaient encore au vœu général; on faisait choix de couleurs pour se reconnaître; le papier était le signe des amis de la paix, comme autrefois la paille l’avait été des amis de la fronde. Poussés et conduits par des chefs hardis qui s’entendaient ouvertement avec la cour, les bourgeois s’emparèrent des portes de la ville. Enfin le 21 octobre le jeune roi et sa mère Anne d’Autriche entrèrent dans Paris avec un cortège militaire imposant et aux joyeuses acclamations du peuple. Le lendemain, le)roi tint un lit de justice où furent convoqués tous les membres de l’un et de l’autre parlement, excepté quelques membres par trop compromis. L’amnistie promulguée le 26 août fut solennellement enregistrée. Il n’y eut plus qu’un seul parlement, une seule justice. Le maréchal de L’Hôpital reprit le gouvernement de Paris; les anciens échevins et prévôts des marchands revinrent à l’Hôtel de Ville, et tout rentra peu à peu dans l’ordre accoutumé.


VICTOR COUSIN.

  1. Mort à Orléans de ses blessures le 8 avril 1652. Sur le baron de Sirot, voyez la Jeunesse de Madame de Longueville, chap. III, p. 215, Appendice, Bataille de Rocroy.
  2. C’est ce que nous apprend Retz lui-même, t. Ier liv. Ier, p. 23, édit. d’Amsterdam, 1751.
  3. Mémoires de Lenet, édit. de M. Aimé Champollion, partie inédite, p. 555.
  4. Voyez dans la Société française au dix-septième siècle, t. Ier, chap. v, p. 233, un portrait de Fiesque sous le nom de Pisistrate.
  5. Sur le comte de Maure, voyez Madame de Sablé, 2e édit., chap. V, VI, etc.
  6. Balthazard est auteur d’une Histoire de la guerre de Guienne, Cologne 1694.
  7. Nous ne citons pas les Mémoires de Chavagnac, qui ne sont pas authentiques, et ont été vraisemblablement composés sur des notes et des ouï-dires par Catien de Courtils, le spirituel et fécond auteur de tant de mémoires apocryphes et romanesques, tels que ceux du comte de Rochefort et la vie de Turenne, attribuée à Du Buisson. Indiquons encore les Particularités de la route de M. Le prince de Condé, et le sujet de son retardement, avec le passage des troupes du cardinal Mazarin, Paris, 1652, in-4o.
  8. Ramsay tenait cette anecdote « de feu M. Le duc de La Rochefoucauld, alors prince de Marsillac. » Le jeune prince de Marsillac était en effet à Bleneau, et s’y distingua; il a donc très bien pu recueillir le mot de Turenne.
  9. C’est Tavannes qui nous a conservé ce précieux détail.
  10. Ramsay, l. III, p. 245.
  11. Mémoires, t. Ier, p. 477.
  12. Lettres de Bussy, édit. d’Amsterdam, 1751, t. V, p. 309.
  13. Nous avons cinq relations de l’affaire de Bleneau par des témoins plus ou moins importans : du côté de Condé, La Rochefoucauld, Tavannes et Gourville ; du côté de Turenne, Navailles et Turenne lui-même, sans parler des nombreuses mazarinades pour et contre, où la vérité est sacrifiée à l’esprit de parti. Chavagnac aussi prit part au combat, mais ce qu’il dit dans ses prétendus mémoires manque à la fois d’importance et de certitude. Le récit de Ramsay a pour base celui du duc d’York, qui n’était pas à Bleneau, et qui parle d’après Turenne. Napoléon n’a connu que Turenne, York et Ramsay.
  14. Mémoires, t. V, p. 63-67.
  15. Mémoires du jeune Brienne, gendre de Chavigny, publiés par M. Barrière, t. Ier, p. 288, etc.
  16. Mémoires de La Rochefoucauld, dans la collection de Petitot, t. LII, p. 145.
  17. Journal ou Histoire du temps présent, contenant toutes les déclarations du roi vérifiées en parlement et tous les arrêts rendus, les chambres assemblées, pour les affaires publiques, depuis le mois d’avril 1651 jusqu’en juin 1652. — Séance du 12 avril, p. 202.
  18. Ibid., p. 290.
  19. Conrart donne le discours même du premier président Amelot et toute la scène. Mémoires de Conrart dans la collection Petitot, t. XLVIII, p. 53 et suiv.
  20. Voyez le portrait de Mademoiselle en Pallas, le casque en tête, si admirablement gravé par Poilly.
  21. La Jeunesse de Madame de Longueville, chapitre II, p. 177-180.
  22. XLe portrait de madame de Châtillon fait par elle-même.
  23. Cette tête est évidemment l’original du charmant portrait gravé de Frosne, que Moncornet a si médiocrement reproduit. — A Châtillon-sur-Loing, il y avait autrefois une ancienne maison du Temple, dont l’amiral de Coligny avait fait une sorte de collège et d’académie pour y élever des gentilshommes protestans, et que Mme de Mecklembourg transforma en un couvent où elle venait faire de fréquentes retraites. Elle fit cadeau de son portrait aux religieuses. Le couvent est devenu un hôtel-Dieu encore desservi par des religieuses, qui ont conservé avec soin le portrait donné à leurs devancières. Ce portrait subsiste parfaitement intact. C’est bien Mme de Châtillon du salon de M. Le duc de Montmorency-Luxembourg. Elle est plus âgée, mais encore bien belle. Elle a plus d’embonpoint, et la bouche est déjà moins fine. Elle est peinte à demi-corps, un peu en Madeleine, et plus tard on lui a mis une croix entre les mains. Ce morceau est d’un coloris exquis, et on l’attribue avec toute vraisemblance à Mignard.
  24. Mémoires de la duchesse de Nemours, édit. d’Amsterdam, 1758, p. 154 : « M. de La Rochefoucauld, ayant envie de la quitter depuis longtemps, prit cette occasion avec joie. »
  25. Mme de Motteville, Mémoires, édition d’Amsterdam, 1750, t. V, p. 132 : « M. de La Rochefoucauld m’a dit que la jalousie et la vengeance le firent agir soigneusement, et qu’il fit tout ce que Mme de Châtillon voulut. »
  26. Mémoires de La Rochefoucauld, édition de 1662, p. 198.
  27. La Jeunesse de Madame de Longueville, chap. III.
  28. Confession de Madame de Longueville du 14 novembre 1661.
  29. Nous croyons volontiers à cet égard ce que dit une personne fort bien instruite et qui n’aimait pas du tout Mme  de Longueville, sa belle-fille, la duchesse de Nemours, Mémoires, page 149 : « M. de Nemours autrefois ne lui avoit pas trop plu, et malgré l’attachement qu’il paroissoit avoir pour elle, aussi bien que tout ce qu’il avoit de bonnes qualités et de grands airs, elle n’a rien su trouver en lui de charmant que le plaisir qu’il témoignoit lui vouloir faire de quitter Mme  de Châtillon pour elle, et celui qu’elle eut d’ôter à une femme qu’elle n’aimoit pas un ami de cette conséquence. »
  30. Bibliothèque impériale, papiers de Lenet, t. II.
  31. Mémoires, p. 150.
  32. Mémoires, édition d’Amsterdam, 1735, t. II, p. 129.
  33. Mémoires du duc d’York, livre Ier.
  34. Turenne l’insinue, et le duc d’York le dit très clairement.
  35. Duc d’York.
  36. Nous ne parlons que des historiens contemporains qui ont pris part à l’affaire, d’un côté Turenne, York et Navailles, de l’autre Tavannes et La Rochefoucauld. Le récit le plus clair est celui du duc d’York. La relation faite au nom de la fronde, et qu’on attribue à Marigny, est digne de ce triste bel-esprit et ne mérite aucune foi, si ce n’est pour le détail des régimens engagés, des blessés et des morts. C’est une mazarinade, et il ne faut se servir de ces sortes de pièces qu’avec une grande circonspection et beaucoup de critique.
  37. Mademoiselle, Mémoires, t. II, p. 133-145.
  38. Mémoires, p. 140.
  39. Voyez les Mémoires de Lenet, édition de M. Champollion, p. 627 : Instruction pour le sieur Caillet allant en Espagne.
  40. Mademoiselle, Mémoires, p. 148.
  41. Il y en a bien des relations. Voyez celles de Tavannes et de Conrart. La Rochefoucauld nous paraît avoir très bien vu le dessous des cartes de cette malheureuse affaire. « Pour moi, dit-il, je pense que Monsieur et M. Le Prince s’étoient servis de M. de Beaufort pour faire peur à ceux de l’assemblée qui n’étoient pas dans leurs intérêts, mais qu’en effet pas un d’eux n’eut dessein de faire mal à personne. Ils apaisèrent promptement le désordre, mais ils n’effacèrent pas l’impression qu’il avoit faite dans les esprits. »
  42. Relation contenant la suite et conclusion de tout ce qui s’est passé au parlement pour les affaires publiques, depuis Pasques 1652 jusqu’en janvier 1653, in-4o’, p. 70-71.
  43. Mémoires de Conrart, p. 172-179.
  44. Relation, etc.
  45. Gazette, n° 119, p. 946.