La Fin de la terre/00b

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Librairie d’Action Canadienne-Française Ltée (p. 1-im01).

AVANT-PROPOS

QUE SE PASSERAIT-IL ?



Que se passerait-il si un jour la foudroyante nouvelle se répandait que notre planète se désagrège ? Question bien embarrassante, semble-t-il.

Supposons pour un instant que tous les continents ressentent la menace d’une destruction certaine.

En Europe, la botte italienne submergée avec les îles de la Méditerranée : les Baléares, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, la Crète, les Cyclades, l’île de Rhodes ; les côtes de l’Asie Mineure, de Marmara aux Dardanelles et des Dardanelles à Scutari envahies par le raz-de-marée ; les méandres de la Grèce lavés par la mer démontée ; Suez élargi par un affreux courant, puis à l’extrémité opposée, l’Angleterre secouée par les tremblements de terre ; l’Atlantique, en furie, détruisant les falaises bretonnes, engloutissant le Finistère, les îles de Groix, la presqu’île de Quiberon, Belle-Île, Noirmoutier, Ré, Oléron, substituant son immensité mystérieuse au granit de Guernesey et de Jersey ; le fond crayeux de la Manche délayé, trituré, bouleversé et un flot blanc comme du lait balayant Land’s End et rongeant la côte sud de l’Irlande ; les monstres marins réfugiés dans le golfe de Biscaye, Biarritz désert, sa plage labourée par une marée tempétueuse ; enfin le nord du continent européen travaillé par l’incessante rumeur d’une mer antarctique en mouvement, de banquises croulantes, de vomitoires se creusant au sein des ondes glacées.

L’Asie visitée par le cataclysme. Le Japon perdant ses îles dans les abîmes insondables de la mer ; les îles Kouriles, Sakhalin jusqu’au Béring, ensevelies ; la Corée, Formose et presque toutes les terres au-dessous du 20° degré saccagées par la formidable bourrasque venant des mers chaudes ameutées ; les Philippines reposant dans les grands fonds après une affreuse nuit de désastre ; plus rien de l’Océanie que des mouettes craintives cherchant sur les flots agités l’épave où se reposer ; vers le sud, le Pacifique où naissent les typhons, assombri par des ténèbres apocalyptiques, tout cela couvert par des chuchotements dans les nues livides.

Le continent noir, là-bas, frémissant, avec ses peuples affolés ; les Simouns soulevant le Sahara, charroyant des montagnes de sable jusqu’au lac Tchad ; la forêt équatoriale couchée par l’ouragan, sa faune prise de panique, obstruant le Niger, se réunissant en hordes, ensanglantant la brousse où les serpents se tordent comme des lianes.

La Chine impassible malgré l’affaissement du plateau du Thibet et du désert de Gobi, malgré le chapelet de volcans que les monts Jablonoï, Altaï et la chaîne de Thian-Chan ont laissé poindre aux confins de la Mandchourie, de la Mongolie et du Turkestan chinois.

L’Inde priant Siva à l’orée de la jungle où la panthère hurle d’effroi ; la chair pantelante du fakir exposée aux pointes afin d’apaiser les éléments déchaînés.

Ce tableau fait frémir, mais qu’est-il en regard de celui que présentera la fin du monde ?

Que deviendrait la pauvre humanité à la vue d’aussi terribles calamités ? Les hommes pris de panique, en perdraient, semble-t-il, toute conscience.

Les prédictions de l’an 1,000 avaient tellement effrayé les peuples d’Europe qu’ils envahirent les temples, les abbayes, les prieurés et attendirent en ces lieux de prières la fin du monde… qui ne vint pas. Sur la foi de fausses prédictions, l’humanité civilisée d’alors se crut perdue.

Qu’adviendrait-il aujourd’hui si des signes étaient vus dans les astres, si la terre était secouée par quelque effroyable cataclysme ? Le monde serait-il terrifié, malgré la science des astronomes et des géologues, malgré le superbe optimisme qu’il professe, malgré ses institutions magnifiques qui établissent les lois physiques, fondent les théories scientifiques et créent des croyances nouvelles ?

L’ordre de la Nature peut être changé par son Créateur renversant ainsi les lois immuables de la mécanique céleste et forçant les savants sceptiques à convenir qu’un Être préside les destinées éternelles des mondes.

Voyez-vous les cieux rougis par l’incendie de l’immensité interstellaire, les nébuleuses se reformant au sein de l’espace, la pluie des météores embrasant notre atmosphère, le soleil sanglant, morne, désolé ?

Quand l’homme vint sur la terre, la planète était déjà vieille de plusieurs millénaires ; il la trouva usée par les siècles de cataclysme qui avaient succédé à l’époque chaotique pendant laquelle elle avait pris corps.

Que s’était-il donc passé au cours des millions d’années antérieures à la venue de l’homme sur la terre ?

La puissance de Dieu s’était manifestée dans toute sa force. Il avait remué les mondes, forgé les univers, établi les incommensurables immensités. C’est alors qu’ayant créé la lumière une parcelle de sa puissance devint sensible : la lumière, ce monde que les savants modernes commencent à peine à explorer.

La terre, détachée d’une nébuleuse, tomba dans l’espace et fut retenue par l’attraction de notre soleil. Sa masse en fusion fut longtemps, peut-être pendant un nombre fabuleux de siècles, une fournaise effroyable de laquelle devait naître notre globe.

Vinrent après, dans l’effroi des premiers âges, les bêtes fantastiques dont les pattes énormes enfonçaient dans le sol mou de la planète. La paléontologie nous a montré les fossiles de ces animaux de la préhistoire dont l’existence nous semble être d’un domaine plus improbable encore que la légende. Ils vivaient pourtant au cœur de cette humidité chaude qui saturait l’atmosphère du globe ; les uns, au sein des ondes tourmentées, traçaient d’énormes sillons à travers les flots puissants qui, cependant, se séparaient pour laisser passer les monstres affolés ; d’autres, lourdement, traînaient des corps géants semblables à des tours, la masse de leurs chairs devait rendre effroyable leur vision. D’autres encore, chauves-souris ceux-là, s’élevaient de grands bois de fougères et montaient vers le soleil allongé des premiers temps de la terre.

Ne vous semble-t-il pas que tout cela soit du domaine du rêve tant l’aveuglante traînée de siècles qui nous sépare du premier jour de notre globe semble se perdre dans la lointaine nuit des temps ? Nous pourrions croire sans les affirmations de la science, que la terre a toujours existé. Elle a pourtant connu sa période de transformation intense, aux premiers âges.

Ce n’est pas sans effroi que l’on force l’imagination à reconstituer les scènes titanesques qui ébranlèrent les bases mêmes de notre Univers. Le frisson nous gagne de penser au déchirement de la nébuleuse qui donna naissance à la terre, l’enfantement d’un monde dans les nues embrasées et la chute à travers les espaces où pullulait la matière cosmique.

Pourtant, pourtant ce n’était que la fuite éperdue d’un grain de sable soustrait, pour un moment, aux immuables lois de la mécanique céleste.

Souvent, quand la nuit n’était troublée que par le bruissement des feuilles qu’agitait la brise, j’errais dans les clairières. Je contemplais le fourmillement d’astres aux confins du firmament, paillettes perdues, miettes d’immensité, scintillant dans l’incalculable distance. Un mal ténébreux me prenait, me torturait, sorte de nostalgie atroce où il me semblait que mon pays n’était point de la terre, mais de ce monde sidéral que j’entrevoyais dans le lointain du ciel.

J’ai compris, depuis, que nous étions des dieux tombés et qu’un jour nous serons des astres plus brillants encore que les étoiles, dans le firmament éternel où brille l’unique Soleil.

Le grain de sable a vieilli, le temps de sa jeunesse est passé, et comme toutes les planètes, la nôtre ne sera pas exempte de la mort et de l’époque glaciaire ; ceci se produira au cours des millénaires à venir. Donc rien à craindre pour le moment du froid sibérien qui envahirait le globe advenant cette époque.

D’abord cela ne viendra pas instantanément ; il faudra que les siècles s’ajoutent aux siècles ; que les millénaires vieillissent davantage notre globe pour qu’alors, décrépit comme un vieillard, plein de spasmes et de terreur, il s’ensevelisse dans la lointaine nuit des temps.

Dieu qui est éternel n’a pas créé le monde seulement pour un jour. Que peuvent être les millions d’années d’existence de la terre en regard de l’infini de l’éternité ? Le cataclysme mondial n’est pas pour aujourd’hui. La terre vieillit, c’est vrai, mais ses années sont peut-être formées de millions des nôtres ; elle ne serait octogénaire que lorsque Véga sera notre étoile du soir, dans 20 millions d’années !

Avez-vous réfléchi un peu à cette période lointaine où notre globe se désagrégera ?

Au moyen de leurs lunettes puissantes, les astronomes assistent aujourd’hui, à l’agonie de mondes perdus dans les espaces interstellaires, presque aux confins de notre univers.

Notre terre en viendra là. C’est une loi de physique immuable : la transformation de la matière dans l’espace et dans le temps.

Maintenant, vous êtes-vous demandé quelle sera la population du globe dans quelque cinq ou six siècles ?

Avez-vous songé un instant aux problèmes économiques que devra envisager l’humanité alors que les peuples, devenus innombrables, auront envahi toutes les terres habitables du globe ?

Quel sera donc le sort du genre humain, alors que les siècles l’auront vieilli et peut-être pas assagi ?

L’organisation des nations sera-t-elle si parfaite que des milliards d’individus pourront vivre avec sécurité sur des continents surpeuplés et être assurés des choses les plus nécessaires à la vie ?

Il est entendu que notre planète peut nourrir plusieurs milliards de bouches, mais encore y a-t-il une limite à cette faculté. Maints pays d’Europe sont déjà peuplés à capacité et sont obligés de laisser essaimer le trop-plein de leur population vers des colonies ou pays étrangers.

La Belgique pourrait à peine contenir 10 millions d’habitants ; l’Allemagne aurait suffisamment de 70 millions d’âmes ; l’Italie, l’Angleterre sont surpeuplées ; l’Espagne, à cause de son sol peu productif, ne s’accommoderait pas facilement d’un surplus de 10 millions.

Du côté de l’Asie, des populations colossales pullulent et chaque année des millions de petits êtres viennent grossir ces peuples si prolifiques du Levant.

La Chine, le Japon, l’Inde, la Corée, constitueront peut-être avant quelques décades le plus formidable problème qu’ait eu à envisager l’humanité depuis son origine. Il faudra loger et nourrir ces masses jaunes qui déferleront, affamées, vers l’Occident, apportant avec elles un ferment de haine contre toute civilisation blanche.

Tôt ou tard, il faudra que la Russie s’ouvre et laisse entrer 200 ou 300 millions d’étrangers qui viendront s’ajouter au surplus de sa propre population. On se tassera au pays moscovite ; la culture se fera plus dense vers le nord ; les forêts abattues intelligemment, le blé suffira à peine à sustenter les hordes grandissantes.

L’Afrique verra sa partie méridionale jusqu’à l’équateur, habitée par la plus cosmopolite agglomération d’hommes.

Les deux Amériques déborderont ; pas une île des sept mers qui n’aura son compte.

Alors, alors que fera-t-on ?

Dans cinq siècles, l’homme aura fait beaucoup de progrès dans le domaine scientifique. Il aura sans doute, par la catalyse de l’eau, réussi à appliquer cet élément au fonctionnement des moteurs.

Il est à prévoir qu’un demi-millénaire suffira à épuiser la quasi totalité de la houille que notre sol contient présentement. Plus de houille, par conséquent plus d’essence minérale. C’est alors que le moteur catalytique sera indispensable. Mais il n’y aura pas que l’épuisement des ressources naturelles à craindre, qui seront d’ailleurs remplacées par de multiples applications de la chimie. Il faudra nourrir la multitude affamée. Les océans fourniront-ils le brouet qui empêchera de périr le genre humain ? Peut-être ! Les mers sont remplies de diatomées, sortes d’organismes microscopiques, qui forment à la surface de l’eau une épaisseur de quelques pieds. Il faudrait filtrer l’eau de mer pour recueillir ces diatomées, très riches en vitamines, iode et principes salins.

Le grand problème de la vie à travers les siècles à venir trouvera-t-il sa solution ? Pourra-t-on assurer à l’humanité la certitude de son existence ? Les savants découvriront-ils des aliments synthétiques qui remplaceront ce que la terre surpeuplée ne pourra qu’insuffisamment produire ?

Sera-ce alors le temps choisi par Dieu pour la destruction de l’Univers ? Autant de questions terribles et apparemment insolubles. Si nous essayons de les résoudre nous tombons dans l’hypothèse ; mais les savants ne se basent-ils pas d’abord sur l’hypothèse pour en arriver aux grandes découvertes ?

Nous ne serons plus, et notre poussière sera disséminée par les vents terrestres aux quatre coins du monde quand le prochain millénaire touchera à sa fin. N’amassons donc que ce que nous pourrons emporter lorsque nous ferons le grand voyage vers l’Infini.

Dans les pages qui suivront le lecteur verra l’humanité, vieillie de cinq siècles, aux prises avec le problème le plus angoissant de tous les temps : la destruction de la terre. Les nations lui apparaîtront enfin unies, et luttant par la science contre les éléments de la nature désordonnée et affolée. Il suivra l’homme de ce siècle que l’angoisse torture, il le plaindra, puis il l’admirera. Alors viendra le dénouement suprême, le grand triomphe de la science, l’apothéose de l’esprit de l’homme !

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Au delà de la Cave de la Mort, la grande ville cosmopolite étalait ses énormes constructions blanches que le couchant tout à l’heure avait dessiné comme un immense fusain aux ombres accentuées.