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La Fin de la terre/07

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Librairie d’Action Canadienne-Française Ltée (p. 81-87).

VII

LE DERNIER CONGRÈS
DE L’UNION DES PEUPLES


L’esprit plein de l’affreuse vision de la fin de l’Inde, Stinson réunit le Sénat mondial en octobre 2405. Malgré les possibilités scientifiques, c’est dans la plus grande crainte que fut ouverte cette réunion universelle. Montréal s’était préparée à recevoir les quelque mille membres délégués des différentes nations du globe. C’est en français que devaient se tenir les délibérations, car la vieille race canadienne-française avait résisté à l’envahissement des idiomes étrangers et conservait encore la langue pure des anciens trouvères du XXe siècle. Stinson, comme d’ailleurs tous les savants délégués parlaient le français que l’on avait voulu, à une certaine époque, mettre au rang des langues mortes mais qui était toujours restée vivante et combien inspiratrice.

Le onze octobre, la salle des débats débordait d’une foule presque ameutée.

Stinson gravit la tribune : Messieurs, dit-il, malgré les derniers événements, il n’y a pas lieu de s’alarmer. Voici le problème qui se pose :

La terre peut tenir encore quelque vingt-cinq ans. Nous sommes onze milliards d’habitants à l’occuper. Mars nous attend, nous y irons. Je dois vous instruire des conditions d’habitabilité de cette planète qui demain devra loger l’humanité. Vous êtes libres d’y venir ou de rester sur la terre à l’exemple des partisans du Dr Shnerr. Là-bas l’année compte 668 jours de 24 heures, 39 minutes, 35 secondes ; l’atmosphère y est moins dense, par conséquent les corps sont plus légers. C’est là où nous devrons nous rendre dans les vingt-cinq ans qui vont suivre. Je suis bref, très bref, le professeur Erzberger qui est de retour de Mars va vous entretenir immédiatement. »

Stinson se retira angoissé. Il avait parlé de vingt-cinq ans de survie tandis que la terre ne tenait plus que par miracle. Onze milliards d’individus à mettre en lieu sûr, tous les peuples de la terre à sauver du désastre. Un siècle n’y suffirait pas, pensa Stinson.

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Erzberger, mince, monocle de quartz à l’œil, gravit à son tour les degrés de la tribune.

Ce soir-là toutes les commissions devaient faire rapport du travail respectif accompli.

Erzberger, mince, monocle de quartz à l’œil, gravit à son tour les degrés de la tribune.

Le silence se fit.

Froid, aride, le savant commença :

— La commission Hermann Stack dont je fait partie est revenue de Mars. Nous sommes restée vingt jours dans l’unique cité martienne située sur l’île de Médée, populeuse de quelque trois cent millions d’habitants. On nous a fort bien reçus et assigné tout un hémisphère pour l’installation de l’humanité. On y peut convenablement vivre ; le climat y est salubre ; la faune et la flore abondent. À bord des aérobus de la Niagara Airways, chargée de la construction des avions de sauvetage par l’Union des peuples nous pouvons faire le voyage en trente-trois jours sans danger. Présentement soixante-cinq mille navires aériens sont prêts et demain trois cent quatre-vingt-dix millions d’hommes peuvent quitter la terre. »

Stinson sursauta. Son regard s’adoucit sensiblement. Le savant semblait s’être réveillé d’un long rêve douloureux. Sans doute il savait tout cela mais c’était pour lui un réconfort que de l’entendre dire par un autre.

L’assemblée continua silencieuse. Seule la grosse voix de Mathias Erzberger résonnait, débitant des chiffres aux savants délégués. La soirée se passa sans incident. Les nouvelles universelles n’avaient rien d’extraordinaires ; la terre semblait avoir maîtrisé sa colère pour un instant. Se préparait-elle à sauter ? Personne n’eut su le dire. On percevait comme une sorte de halètement sourd qui remplissait le monde ; demain peut-être entendrait-on le mugissement des volcans, le râle des bouches titanesques des montagnes, le roulement terrible d’un monde qui s’effondre.

À Dove Castle, Stinson invita Erzberger, Stack, et les membres du conseil exécutif de l’Union des peuples. Le matin brillait déjà à travers les nuages cendrés lorsque le K-1000 les déposa sur le sol de l’île.

Tous ces hommes, fatigués, se reposèrent quelque temps dans le dortoir commun de Dove Castle, puis vers midi, se rencontrèrent sur l’esplanade de l’île au Diable. Le rapide n’avait pas adouci sa voix ; on eut dit qu’il devait mugir encore pendant des siècles, sans arrêt. Le ciel était devenu d’une pureté surprenante. Rien maintenant ne trahissait la panique des éléments. Stinson en fut surpris et observa :

— Ne trouvez-vous pas étrange, Stack, ce jour ensoleillé, quand hier encore le firmament se couvrait de nuages chargés de cendres ?

— Et, à l’approche de la mort, Stinson, ne se produit-il pas toujours un calme, et ce jour bleu, plein de soleil, nous est un avertissement. La terre agonise, demain elle sera morte.

— En effet, vous avez raison, reprit le président de l’Union des peuples.

Les hommes de ce siècle, plus spécialement ceux qui avaient assumé les grandes responsabilités, ne déviaient guère en leur conversation du sujet ordinaire qui les préoccupait.

Le délégué de New-York Frank Jarvis, s’approchant de Stinson, lui adressa la parole :

— Le moral des seize millions d’habitants de New-York est présentement bon, dit-il au président, cependant il faudrait aviser au plus tôt. Il y a tout lieu de craindre qu’un jour la panique n’entraine ces gens à s’entretuer inconsciemment.

En effet là-bas, sur cette portion de côte atlantique, on voyait la mer se tordre au large. On sentait que l’effroi s’emparait de l’élément liquide. Des montagnes de brumes s’élevaient dans les trouées claires du ciel. Quelqu’un au-delà des abîmes semblait nerveusement secouer les mondes, les ameuter. Cependant, malgré la panique des nations, personne n’avait encore lancé le cri suprême de « Fin du monde ».

Personne n’y avait songé, personne n’y voulait songer. L’énorme cité débordait de plaisirs. C’était la Babylone moderne. Les hommes, légers depuis toujours, plus attentifs à leur plaisir qu’à la réalité du lendemain, attendaient passivement l’ordre d’embarquement pour la fuite vers Mars, ou ne s’en souciaient.

Stinson rassura Jarvis :

— Nous partirons bientôt, dit-il. Nous sommes au 13 octobre 2405. Niagara se prépare fébrilement. La fabrique d’aliments synthétiques de Stuttgart fonctionne nuit et jour avec un personnel de quatre millions d’hommes.

Erzberger qui s’était rapproché compléta :

— Sur Mars, il nous faudra organiser de toutes pièces une vie nouvelle. Le temps nous manque pour y aller préparer les voies. Cependant, de la ville de Médée, sept millions de Martiens sont partis pour l’hémisphère qui leur est opposé. Ils y travailleront à l’érection de vingt villes que nous pourrons occuper dès notre arrivée.

Le soir il y eut un grand bal auquel furent conviés des invités de toutes les parties du monde.

Ce geste avait été voulu par Stinson lui-même pour rassurer les pauvres humains qui, de leur nature même, s’attachant aux brimborions, se laissant éblouir par tous les faux-brillants parviennent aussi comme à éluder les affres toujours menaçantes de leur fin…