La Fin du monde/I/2

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Ernest Flammarion (p. 23-43).

CHAPITRE II

LA COMÈTE

Vapores qui ex caudis Cometarum oriuntur incidere possunt in atmospheras planetarum et ibi condensari et converti in aquam, et sales, et sulphura, et limum, et lutum, et lapides, et substantias alias terrestres migrare.
Newton, Principia, III, 671.

L’étrange visiteur était descendu lentement des profondeurs infinies. Au lieu d’apparaître brusquement, tout d’un coup, ce qui plus d’une fois a été observé pour les grandes comètes, soit lorsque ces astres arrivent subitement en vue de la Terre après leur passage au périhélie, soit lorsqu’une longue série de nuits nuageuses ou illuminées par la Lune a interdit l’observation du ciel aux chercheurs de comètes, la flottante vapeur sidérale était restée d’abord dans les espaces télescopiques, observée seulement par les astronomes. Dans les premiers jours qui suivirent sa découverte, elle n’était encore accessible qu’aux puissants équatoriaux des observatoires. Mais le public instruit n’avait pas tardé à la chercher lui-même. Toute maison moderne était couronnée par une terrasse supérieure, destinée, d’ailleurs, aux embarquements aériens. Un grand nombre étaient agrémentées de coupoles tournantes. On ne connaissait pas de famille aisée qui n’eût une, lunette à sa disposition, et nul appartement n’était complet sans une bibliothèque bien fournie de tous les livres de science. Au vingt-cinquième siècle, les habitants de la Terre commençaient à y penser.

La comète avait été observée par tout le monde, pour ainsi dire, dès le moment où elle était devenue accessible aux instruments de moyenne puissance. Quant aux classes laborieuses, pour lesquelles les loisirs sont toujours comptés, les lunettes postées sur les places publiques avaient été envahies par une foule impatiente dès la première soirée de visibilité, et tous les soirs les astronomes en plein vent avaient fait des recettes fantastiques et sans précédent. Un grand nombre d’ouvriers, toutefois, avaient leur lunette chez eux, surtout en province, et la justice aussi bien que la vérité nous forcent à reconnaître que le premier en France qui avait su découvrir la comète (en dehors des observatoires patentés) n’avait été ni un homme du monde, ni un académicien, mais un modeste ouvrier tailleur d’un faubourg de Soissons, qui passait la plus grande partie de ses nuits à la belle étoile et qui, sur ses économies laborieusement épargnées, avait réussi à s’acheter une excellente petite lunette à l’aide de laquelle il ne cessait d’étudier les curiosités du ciel. Remarque digne d’attention, jusqu’au vingt-quatrième siècle presque tous les habitants de la Terre avaient vécu sans savoir où ils étaient, sans même avoir la curiosité de se le demander, à peu près comme des aveugles uniquement préoccupés de leur appétit ; mais depuis cent ans environ la race humaine s’était mise à regarder l’univers et à raisonner.

Si l’on veut se rendre compte de la route suivie par la comète dans l’espace, il suffit d’examiner avec quelque attention le tracé publié ici. Il représente le plan de l’orbite de la comète et son intersection avec celui de l’orbite terrestre, la comète arrivant de l’infini, se dirigeant obliquement vers la Terre et continuant son cours en se rapprochant
Route de la comète
Route de la Comète et rencontre avec la Terre.
du Soleil, qui ne l’arrête et ne l’absorbe pas en son passage au périhélie. On n’a pas tenu compte de la perturbation apportée par l’attraction de la Terre : cette influence aurait pour effet de ramener la comète vers l’orbite terrestre après une révolution autour du Soleil, et de transformer l’orbite parabolique en ellipse.

Toutes les comètes qui gravitent autour du Soleil décrivent des orbites analogues, plus ooute de la comète et rencontre avec la Terre moins allongées, ellipses dont l’astre radieux occupe un des foyers. Elles sont nombreuses. Le dessin que l’on voit ensuite donne une idée des intersections qu’elles offrent avec l’orbite de la Terre autour du Soleil et les autres orbites
Route de la comète
Comment des comètes peuvent rencontrer la Terre et les autres planètes.
planétaires. En examinant ces intersections, on devine qu’une rencontre n’ait rien d’impossible ni même d’anormal.

La comète était arrivée en vue de la Terre. Une nuit de nouvelle lune, par un ciel admirablement pur, quelques vues particulièrement perçantes étaient parvenues à la distinguer à l’œil nu, non loin du zénith, vers les bords de la Voie lactée, au sud de l’étoile omicron d’Andromède, comme une pâle nébulosité, comme une très légère bouffée de fumée, toute petite, à peine allongée dans une direction opposée au Soleil, allongement gazeux dessinant une queue rudimentaire. C’est, du reste, sous cet aspect qu’elle se présentait au télescope depuis sa découverte. Personne n’eût pu soupçonner, à cet aspect inoffensif, le rôle si tragique que ce nouvel astre allait jouer dans l’histoire de l’humanité. Le calcul seul indiquait alors sa marche vers la Terre.

Mais l’astre mystérieux avançait vite. Le lendemain déjà, la moitié des chercheurs arrivait à l’apercevoir, et, le surlendemain, il n’y avait plus que les vues basses aux binocles insuffisants qui attendaient encore. En moins d’une semaine, tous les regards l’avaient reconnue. Sur toutes les places publiques, dans toutes les villes, dans tous les villages, on ne voyait que des groupes cherchant la comète ou la montrant.

Elle grandissait de jour en jour. Les instruments commencèrent à faire paraître en elle un noyau distinct assez lumineux, qui était l’objet de dissertations affolées. Puis la queue se partagea lentement en rayons divergeant du même noyau et prit insensiblement la forme d’un éventail. L’émotion envahissait déjà toutes les pensées, lorsque, après le premier quartier de la lune et pendant les jours de la pleine lune, la comète parut rester stationnaire et même perdre de son éclat. Comme on s’était attendu à la voir grandir rapidement, on espéra que quelque erreur s’était glissée dans le calcul, et il y eut un temps d’accalmie et de tranquillité. Après la pleine lune, le baromètre baissa tout à coup considérablement : le centre de dépression d’une forte tempête arrivait de l’Atlantique et passait au nord des îles Britanniques. Pendant douze jours le ciel resta entièrement couvert sur l’Europe presque entière.

Le soleil brilla de nouveau dans l’atmosphère purifiée, les nuages se dissipèrent, l’azur du ciel se montra pur et sans mélange, et ce n’est pas sans émotion que l’on attendit ce jour-là le coucher du soleil, d’autant plus que, plusieurs expéditions aériennes ayant réussi à traverser les couches de nuages, les aéronautes assuraient que la comète s’était considérablement développée. Les messages téléphoniques envoyés des montagnes d’Asie et d’Amérique annonçaient d’autre part son arrivée rapide. Mais, ô stupéfaction, lorsque, la nuit tombée, tous les regards étaient levés au ciel pour chercher l’astre flamboyant, ce n’est point une comète qu’ils eurent devant eux, une comète classique comme on a l’habitude de les voir : ce fut une aurore boréale d’un nouveau genre, une sorte d’éventail céleste prodigieux, à sept branches, lançant dans l’espace sept rayons verdâtres paraissant sortir d’un foyer caché au-dessous de l’horizon.

Pour tout le monde, il n’y avait aucun doute que cette aurore boréale fantastique ne fût la comète elle-même, d’autant plus qu’on ne pouvait apercevoir l’ancienne comète en aucun point du ciel étoilé. L’apparition différait singulièrement, il est vrai, des formes cométaires connues, et l’aspect

Comète dessinée à Lausanne par l’astronome Chéseaux en 1744.
rayonnant du mystérieux visiteur était ce qu’il y avait au monde de plus inattendu. Mais ces formations gazeuses sont si bizarres, si capricieuses, si multiples, que tout est possible. Et puis ce n’était pas absolument la première fois qu’une comète offrait un tel aspect. Les annales de l’astronomie mentionnaient entre autres une immense comète à six queues observée en 1744 et qui avait été à cette époque l’objet de nombreuses dissertations. Un dessin fort pittoresque fait de visu par l’astronome Chéseaux, à Lausanne, l’avait autrefois popularisée. La comète de 1861, avec sa queue en éventail, offrait un autre exemple de ce genre de visiteurs célestes, et l’on rapportait aussi que, le 30 juin de cette année-là, il y avait eu rencontre, bien inoffensive d’ailleurs, entre la Terre et l’extrémité de la queue. Mais, lors même qu’on n’en eût jamais vu auparavant, il fallait bien se rendre à l’évidence.

Sur ces entrefaites, les discussions allaient leur train, et une véritable joute astronomique s’était établie entre les revues scientifiques du monde entier, seuls journaux qui eussent, comme nous l’avons vu, gardé quelque crédit dans l’épidémie mercantile qui avait depuis longtemps envahi l’humanité. Le point capital, depuis qu’on savait à n’en pas pouvoir douter que l’astre marchait directement vers la Terre, était la distance à laquelle il se trouvait chaque jour, question corrélative de celle de sa vitesse. La jeune lauréate de l’Institut, nommée tout récemment chéfesse du bureau des Calculs de l’Observatoire, ne laissait plus passer un seul jour sans envoyer une note au Journal officiel des États-Unis d’Europe.

Une relation mathématique bien simple relie la vitesse de toute comète à sa distance au Soleil, et réciproquement. Connaissant l’une, on peut trouver l’autre en un instant. En effet, la vitesse d’une comète est tout simplement égale à la vitesse d’une planète, multipliée par la racine carrée de 2. Or la vitesse d’une planète, à quelque distance que ce soit, est réglée par la troisième loi de Kepler, en vertu de laquelle les carrés des temps des révolutions sont entre eux comme les cubes des distances. On le voit, rien n’est plus simple.

Ainsi, par exemple, à la distance de Jupiter, cette magnifique planète gravite autour du Soleil avec une vitesse de 13 000 mètres par seconde. Une comète qui se trouve à cette distance vogue donc avec la vitesse que nous venons d’inscrire, multipliée par la racine carrée de 2, c’est-à-dire par le nombre 1,4142. Cette vitesse est par conséquent de 18 380 mètres par seconde.

La planète Mars circule autour du Soleil avec une vitesse de 24 000 mètres par seconde. À cette distance, la vitesse de la comète est de 34 000 mètres.

La vitesse moyenne de la Terre sur son orbite est de 29 460 mètres par seconde, un peu plus lente en juin, un peu plus rapide en décembre. Dans le voisinage de la Terre, celle de la comète est donc de 41 660 mètres, indépendamment de l’accélération que l’attraction de la Terre pourrait d’autre part lui apporter.

Voilà ce que la lauréate de l’Institut prit soin de rappeler au public, d’ailleurs élémentairement initié à la théorie des mouvements célestes.

Lorsque l’astre menaçant arriva à la distance de Mars, les craintes populaires s’aggravèrent en cessant d’être vagues, en prenant une forme définie, fondée sur une appréciation exacte et facile de cette vitesse : 34 000 mètres par seconde, c’est 2 040 kilomètres par minute, c’est 122 400 kilomètres à l’heure !

Comme la distance de l’orbite de Mars à celle de la Terre n’est que de 76 millions de kilomètres, au
Route de la comète
Ce fut une aurore boréale d’un nouveau genre.
taux de 122 400 kilomètres à l’heure, cette distance serait franchie en six cent vingt et une heures, ou en vingt-six jours environ. Mais, à mesure qu’elle approche du Soleil, la comète va de plus en plus vite, puisque à la distance de la Terre sa vitesse est de 41 660 mètres par seconde. En raison de cet accroissement de vitesse, la distance entre les deux orbites serait franchie en cinq cent cinquante-huit heures ou en vingt-trois jours six heures.

Mais la Terre ne devant pas être, au moment de la rencontre, précisément sur le point de son orbite traversé par une ligne allant du Soleil à la comète, puisque la comète ne se précipitait pas sur le Soleil, la rencontre ne devait se produire que près d’une semaine plus tard, soit le vendredi 13 juillet, vers minuit. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que dans une telle occurrence tous les préparatifs habituels de la « fête nationale » du 14 juillet avaient été oubliés. Fête nationale ! On n’y songeait guère. Le 14 juillet ne devait-il pas plutôt marquer le deuil universel des hommes et des choses ? Il y avait, du reste, déjà plus de cinq siècles que cet anniversaire d’une date fameuse était — avec intermittences, il est vrai — célébré par les Français : chez les Romains eux-mêmes, les souvenirs fêtés aux « circenses » n’avaient jamais duré aussi longtemps. On entendait dire de toutes parts que le 14 juillet avait assez vécu. Il était déjà mort quinze fois, mais ne devait plus ressusciter.

Au moment où nous parlons, on était seulement au lundi 9 juillet. Depuis cinq jours le ciel restait parfaitement beau, et toutes les nuits l’éventail cométaire planait dans l’immensité du ciel, avec sa tête, ou son noyau, bien visible, pailleté de points lumineux qui pouvaient représenter des corps solides de plusieurs kilomètres de diamètre et qui, assuraient quelques calculateurs, devaient se précipiter les premiers sur la Terre, la queue étant toujours opposée au Soleil, et, dans le cas actuel, en arrière du mouvement et sensiblement oblique. L’astre flamboyait dans la constellation des Poissons ; l’observation de la veille, 8 juillet, donnait pour sa position précise : ascension droite = 23h 10m 32s ; déclinaison boréale = 7° 36′ 4″. La queue traversait tout le carré de Pégase. La comète se levait à 9h 49m et planait toute la nuit dans le ciel.

Pendant les jours d’accalmie dont il vient d’être question, une sorte de revirement s’était opéré dans l’opinion générale. Un astronome ayant fait une série de calculs rétrospectifs avait établi que déjà plusieurs fois la Terre avait rencontré des comètes, et que chaque fois la rencontre s’était traduite en une inoffensive pluie d’étoiles filantes. Mais l’un de ses collègues avait répliqué que la comète actuelle était loin d’être comparable à un essaim de météores, qu’elle était gazeuse, avec un noyau composé de concrétions solides, et il avait rappelé à ce propos les observations faites sur une fameuse comète historique, celle de 1811.

Cette comète de 1811 ne laisse pas, en effet, de justifier à certains égards des craintes non chimériques. On prit soin de rappeler ses dimensions. Sa longueur atteignait 180 millions de kilomètres, c’est-à-dire plus que la distance de la Terre au Soleil, et, à son extrémité, sa queue avait 24 millions de kilomètres de largeur. Sa tête mesurait 1 800 000 kilomètres de diamètre, soit cent quarante fois le diamètre de la Terre, et l’on remarquait dans cette tête nébuleuse elliptique, remarquablement
Route de la comète
La comète de 1811.
régulière, un noyau brillant comme une étoile, offrant à lui seul un diamètre de 200 000 kilomètres. Ce noyau paraissait extrêmement dense. Elle fut observée pendant seize mois et vingt-deux jours. Mais ce qu’il y eut peut-être de plus remarquable en elle, c’est que son immense développement fut atteint sans qu’elle s’approchât du Soleil, car elle n’en arriva pas à moins de 150 millions de kilomètres. Elle demeura toujours aussi à plus de 170 millions de kilomètres de la Terre. Si elle s’était approchée davantage du Soleil, comme la dimension des comètes augmente à mesure qu’elles subissent davantage l’action solaire, son aspect eût certainement été plus prodigieux encore et sans doute terrifiant pour tous les regards. Et comme sa masse était loin d’être insignifiante, si son vol l’avait conduite directement en plein cœur du Soleil, sa vitesse accélérée au taux de 500 et 600 000 mètres par seconde au moment de sa rencontre avec l’astre radieux aurait pu, par la seule transformation du mouvement en chaleur, élever subitement la radiation solaire à un tel degré que toute la vie végétale et animale terrestre aurait pu être consumée en quelques jours…

Un physicien avait même fait cette remarque assez curieuse qu’une comète, égale ou supérieure à celle de 1811, pourrait ainsi amener la fin du monde sans même toucher la Terre, par une sorte d’explosion de lumière et de chaleur solaires analogue à celle que les étoiles temporaires ont présentée à l’observation. Le choc donnerait, en effet, naissance à une quantité de chaleur égale à six mille fois celle qui serait engendrée par une composition d’une masse de houille égale à celle de la comète.

On avait fait ressortir que si, dans son vol, une telle comète, au lieu de se précipiter sur le Soleil, rencontrait notre planète, ce serait la fin du monde par le feu. Si elle rencontrait Jupiter, elle porterait ce globe à un degré de température assez élevé pour lui rendre sa lumière perdue et le ramener pour un temps à l’état de soleil, de sorte que la Terre se trouverait éclairée par deux soleils, Jupiter devenant une sorte de petit soleil nocturne beaucoup plus lumineux que la Lune et brillant de sa propre lumière… rouge, rubis ou grenat du ciel, circulant en douze ans autour de nous… Soleil nocturne ! C’est dire qu’il n’y aurait presque plus de nuits pour le globe terrestre.

Les traités astronomiques les plus classiques avaient été consultés ; on avait relu les chapitres cométaires écrits par Newton, Halley, Maupertuis, Lalande, Laplace, Arago, les Mémoires scientifiques de Faye, Tisserand, Bouquet de la Grye, Cruls, Holden et leurs successeurs. C’était encore l’opinion de Laplace qui avait le plus frappé, et l’on avait remis en lumière ses paroles textuelles :

L’axe et le mouvement de rotation de la Terre changés ; les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur ; une grande partie des hommes et des animaux noyés dans ce déluge universel ou détruits par la violente secousse imprimée au globe terrestre ; des espèces entières anéanties ; tous les monuments de l’industrie humaine renversés : tels sont les désastres que le choc d’une comète pourrait produire.

La constitution physique des noyaux cométaires était surtout l’objet des plus savantes controverses. On avait cherché dans les annales de l’astronomie les dessins qui indiquaient le mieux la variété de ces noyaux, leur activité lumineuse, les évolutions des aigrettes. On avait rappelé, entre autres, les

Tête de la Comète de 1861.
points lumineux observés autrefois, en 1868, dans la comète de Brorsen, et les radiations mouvementées observées dans la tête si curieuse de la grande comète de 1861, et l’on mettait en regard les hypothèses relatives à des condensations gazeuses, pulvérulentes ou solides même, et à des décharges électriques prodigieuses, transformant d’un jour à l’autre les têtes chevelues de ces étranges voyageuses.

Ainsi marchaient, couraient les discussions, les recherches rétrospectives, les calculs, les conjectures. Mais ce qui, en définitive, ne pouvait manquer de frapper tous les esprits, c’était le double fait constaté par l’observation que la comète actuelle présentait un noyau d’une densité considérable, et que l’oxyde de carbone dominait incontestablement dans sa constitution chimique. Les craintes, les terreurs étaient revenues. On ne pensait plus qu’a la comète, on ne parlait plus que d’elle.

Déjà des esprits ingénieux avaient cherché des moyens pratiques, plus ou moins réalisables, de se soustraire à son influence. Des chimistes prétendaient pouvoir sauver une partie de l’oxygène atmosphérique. On imaginait des méthodes pour isoler ce gaz de l’azote et l’emmagasiner en d’immenses vaisseaux de verre hermétiquement fermés. Un pharmacien habile en réclames assurait l’avoir condensé en pastilles et avait, en quinze jours, dépense huit millions d’annonces. Les commerçants savaient tirer parti de tout, même de la mort universelle. Il s’était même formé tout d’un coup des compagnies d’assurances s’engageant à boucher hermétiquement toutes les issues des caves et des sous-sols et à fournir pendant quatre jours et quatre nuits la quantité d’oxygène pur (et même parfumé) nécessaire à la

La Comète arrivait, grandissant de jour en jour.
consommation d’un nombre déterminé de poumons. Tout espoir n’était pas perdu, surtout pour les riches. On parlait aussi de préparer les tunnels pour le peuple. On discutait, on tremblait, on s’agitait, on frémissait, on mourait déjà…, mais on espérait encore.

Les dernières nouvelles annonçaient que la comète, s’étant développée à mesure qu’elle approchait de la chaleur et de l’électrisation solaires, aurait au moment de la rencontre un diamètre soixante-cinq fois plus grand que celui de la Terre, soit 828 000 kilomètres.

C’est au milieu de cet état d’agitation générale que s’ouvrit la séance de l’Institut, attendue comme la suprême décision des oracles.

Par sa situation même, le Directeur de l’Observatoire de Paris fut inscrit en tête des orateurs. Mais ce qui paraissait attirer le plus l’attention publique, c’était le diagnostic du Président de l’Académie de médecine, sur les effets probables de l’oxyde de carbone. D’autre part, le Président de la Société géologique de France devait aussi prendre la parole, et le but général de la séance était de passer en revue toutes les théories scientifiques sur les diverses manières dont notre monde devra fatalement finir. Mais, évidemment, la discussion de la rencontre cométaire devait y tenir le premier rang.

D’ailleurs, nous venons de le voir, l’astre menaçant était suspendu sur toutes les têtes ; tout le monde le voyait ; il grandissait de jour en jour ; il arrivait avec une vitesse croissante ; on savait qu’il n’était plus qu’à 17 992 000 kilomètres, et que cette distance serait parcourue en cinq jours. Chaque heure rapprochait de 149 000 kilomètres la main céleste prête à frapper. Dans cinq jours, l’humanité blêmie respirerait tranquillement… ou plus du tout.