La Flèche noire/2/4

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Traduction par E. La Chesnais.
Société du Mercure de France (p. 150-157).


CHAPITRE IV

LE PASSAGE


Le passage dans lequel Dick et Joanna se trouvèrent alors était étroit, sale et court. À l’autre bout, se trouvait une porte entr’ouverte, la porte, sans doute, qu’ils avaient entendu ouvrir par l’homme. De lourdes toiles d’araignées pendaient du plafond, et le sol pavé sonnait creux sous le pas le plus léger.

Au-delà de la porte, il y avait deux directions à angle droit. Dick en choisit une au hasard, et le couple se hâta avec des pas sonores le long de la cavité du toit de la chapelle. Le haut du plafond arqué se levait comme un dos de baleine, dans la faible clarté de la lampe. Çà et là, il y avait des judas, dissimulés de l’autre côté par les sculptures de la corniche ; et, regardant en bas par l’un d’eux, Dick vit le sol pavé de la chapelle, l’autel avec ses cierges allumés et, étendu devant, sur les marches, le corps de Sir Olivier, qui priait les mains levées.

À l’autre bout, ils descendirent quelques marches. Le passage se rétrécissait ; d’un côté, le mur était maintenant en bois ; les interstices laissaient passer un bruit de voix et un tremblotement de lumière ; et bientôt ils arrivèrent à un trou à peu près grand comme l’œil, et Dick, regardant en bas, aperçut l’intérieur du hall, et une demi douzaine d’hommes environ, en jaques, autour de la table, buvant ferme et démolissant un pâté de venaison. C’étaient certainement quelques-uns des derniers arrivés.

— Il n’y a pas moyen par ici, dit Dick. Essayons en arrière.

— Non, dit Joanna, peut-être le passage va plus loin.

Et elle avança. Mais, quelques mètres plus loin, le passage se terminait en haut de quelques marches, et il était clair que, tant que les soldats occuperaient le hall, la fuite était impossible de ce côté.

Ils revinrent sur leurs pas aussi vite que possible et se mirent à explorer l’autre direction. Le couloir était extrêmement étroit, à peine assez grand pour un homme large d’épaules ; et il montait et descendait sans cesse par des petits escaliers casse-cou, si bien que Dick finit par ne plus savoir où il était.

Enfin, il devint à la fois plus étroit et plus bas, les escaliers continuaient à descendre ; les murs de chaque côté devenaient humides et glissants sous la main ; et loin devant eux ils entendirent le cri aigu et le trottinement des rats.

— Nous devons être dans le donjon, dit Dick.

— Et toujours pas de sortie, ajouta Joanna.

— Non, mais il doit y en avoir une, répondit Dick.

Bientôt, en effet, ils arrivèrent à un angle aigu, et le passage aboutissait à un escalier. En haut une grande dalle de pierre servait de trappe ; ils essayèrent de la soulever en s’adossant tous deux contre elle. Impossible de la remuer.

— Quelqu’un la maintient, suggéra Joanna.

— Non pas, dit Dick, car un homme fût-il, fort comme dix, céderait quand même un peu. Mais ceci résiste comme un roc. Il y a un poids sur la trappe. Il n’y a pas d’issue ; et, par ma foi, mon bon Jack, nous sommes prisonniers ici, aussi bien que si nous avions des chaînes aux chevilles. Asseyons-nous donc et causons. Dans un moment nous retournerons, et peut-être ils seront moins sur leurs gardes ; et qui sait ? nous pouvons faire une sortie et courir une chance. Mais, à mon pauvre avis, nous sommes bien perdus.

— Dick ! s’écria-t-elle, quel jour de malheur pour vous que celui où m’avez vue ! Car c’est moi, pauvre fille très ingrate, qui vous ai mené là.

— Quelle plaisanterie ! répliqua Dick. C’était écrit et ce qui est écrit, bon gré, mal gré, arrive. Mais dites-moi un peu quelle espèce de fille vous êtes, et comment vous êtes tombée entre les mains de Sir Daniel ; cela vaudra mieux que de vous lamenter sur votre sort ou le mien.

— Je suis orpheline, comme vous, de père et de mère, dit Joanna, et pour mon malheur, et jusqu’ici pour le vôtre, je suis un riche parti. Lord Foxham était mon tuteur ; mais il paraît que Sir Daniel a acheté au roi le droit de me marier, il l’a payé un bon prix. Ainsi j’étais, pauvre jouet, entre deux riches et puissants seigneurs qui se battaient à qui me marierait, et j’étais encore en nourrice ! Bon ! le monde changea, et il y eut un nouveau chancelier, et Sir Daniel acheta ma tutelle par-dessus la tête de Lord Foxham. Et le monde changea de nouveau et Lord Foxham acheta mon mariage par-dessus celle de Sir Daniel ; et depuis jusqu’aujourd’hui, cela alla mal entre eux. Mais, malgré tout, Lord Foxham me garda entre ses mains et me fut un bon seigneur. Et enfin j’allais être mariée… ou vendue, si vous préférez. Cinq cents livres était le prix que devait recevoir Lord Foxham. Hamley était le nom du prétendant, et demain Dick, j’allais être fiancée. Si Sir Daniel ne l’avait appris, j’aurais été mariée, c’est sûr… et je ne t’aurais jamais vu, Dick… mon cher Dick !

Et elle lui prit la main et la baisa avec une grâce charmante ; et Dick lui prit la main, et fit de même.

— Bien, continua-t-elle, Sir Daniel me surprit dans le jardin et me fit habiller avec ces vêtements d’homme, ce qui est un péché mortel pour une femme ; et, de plus, ils ne me vont pas. Il galopa avec moi jusqu’à Kettley comme vous l’avez vu, me disant que je devais vous épouser ; mais en moi-même, je me promis d’épouser Hamley à son nez !

— Ah ! s’écria Dick, vous aimez donc ce Hamley ?

— Non, répliqua Joanna, pas du tout. Je haïssais seulement Sir Daniel. Et alors, Dick, vous m’avez aidée et vous avez été très bon et très hardi, et mon cœur se porta vers vous, malgré moi, et maintenant si nous trouvons moyen d’y arriver, je me marierai avec vous de mon plein gré. Et, si la destinée cruelle ne le veut pas, du moins, vous me serez toujours cher. Tant que mon cœur battra il vous sera fidèle.

— Et moi qui ne me suis jamais soucié d’aucune femme quelconque jusqu’à présent, je me suis attaché à vous lorsque je croyais que vous étiez un garçon. J’avais pitié de vous sans savoir pourquoi. Quand j’ai voulu vous battre, la main m’a manqué. Mais, quand vous avez avoué que vous étiez une fille, Jack… car je veux encore vous appeler Jack… je sentis que vous étiez celle qui me convenait. Écoutez ! dit-il en s’interrompant… on vient.

Et, en effet, un pas lourd était perceptible dans le passage sonore, et, de nouveau, les rats s’enfuirent par bandes.

Dick reconnut sa position. Le brusque tournant lui donnait l’avantage. Il pouvait ainsi tirer en sûreté à l’abri du mur. Mais il était clair que la lumière était trop près de lui, et courant un peu en avant, il posa la lampe par terre au milieu du passage, et revint à l’affût.

Bientôt, au bout du passage, parut Bennet. Il semblait être seul et portait à la main une torche allumée qui le rendait plus facile à viser.

— Arrêtez, Bennet ! cria Dick. Un pas de plus, et vous êtes mort.

— Vous êtes donc là, répliqua Hatch, fixant l’obscurité. Je ne vous vois pas. Ah ! vous avez prudemment agi, Dick ; vous avez mis votre lampe devant vous. Par ma foi, quoique ce soit fait pour viser mon pauvre corps, je me réjouis de voir que vous avez profité de mes leçons ! Et, à présent, que faites-vous ? Que cherchez-vous là ? Pourquoi voulez-vous tirer sur un vieil et bon ami ? Et avez-vous la jeune dame avec vous ?

— Non, Bennet, c’est moi qui dois questionner, et vous, répondre, répliqua Dick. Pourquoi suis-je en danger de mort ? Pourquoi ces hommes viennent-ils secrètement pour me frapper dans mon lit ? Pourquoi me faut-il fuir dans la forteresse de mon propre tuteur et loin des amis avec lesquels j’ai vécu et à qui je n’ai jamais fait de mal ?

— Maître Dick, maître Dick, dit Bennet, qu’est-ce que je vous ai dit ? Vous êtes brave, mais le garçon le plus maladroit que je connaisse.

— Bien, répliqua Dick, je vois que vous savez tout et que je suis condamné. C’est bien. Ici, où je suis, je reste. Que Sir Daniel m’en fasse sortir s’il le peut !

Hatch se tut un moment.

— Écoutez, dit-il, je retourne vers Sir Daniel pour lui dire où vous êtes et dans quelle position ; car c’est pour cela qu’il m’a envoyé. Mais vous, si vous n’êtes pas un sot, ferez mieux de partir avant que je revienne.

— Partir ! répéta Dick. Je serais parti déjà si je savais comment faire. Je ne peux remuer la trappe.

— Mettez-moi la main dans le coin et voyez ce que vous y trouvez, répliqua Bennet, la corde de Throgmorton est encore dans la chambre brune. Adieu.

Et Hatch, tournant sur ses talons, disparut de nouveau dans le corridor tortueux.

Dick alla aussitôt reprendre sa lampe, et se mit en devoir d’agir suivant l’avis. À un coin de la trappe il y avait dans le mur une profonde cavité. Mettant son bras dans l’ouverture, Dick rencontra une barre de fer qu’il poussa vigoureusement. Il y eut un bruit sec et la dalle de pierre immédiatement remua.

Le passage était libre. Un petit effort souleva aisément la trappe ; et ils arrivèrent dans une chambre voûtée, qui ouvrait d’un côté sur la cour, où un ou deux hommes, les bras nus, pansaient les chevaux des derniers arrivés. Une torche ou deux, chacune fichée dans un anneau de fer contre le mur, éclairait la scène de lueurs changeantes.