La Fleur d’Or/À E.

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La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 35-40).


À E.


I

Le jour naît : dans les prés et sous les taillis verts
Allons, allons cueillir et des fleurs et des vers,
Tandis que la ville repose ;
La fleur ouvre au matin plus de pourpre et d’azur,
Et le vers, autre fleur, s’épanouit plus pur
À l’aube humide qui l’arrose.

Que de fleurs ont passé qu’on n’a point su cueillir !
Sur sa tige oubliée, ah ! ne laissons vieillir
Aucune des fleurs de ce monde.
Allons cueillir des fleurs ! par un charme idéal.
Qu’avec l’encens des vers leur parfum matinal
Amoureusement se confonde.
 
Allons cueillir des vers ! sous la fleur du buisson
Entendez-vous l’oiseau qui chante sa chanson ?
Tout chante et fleurit, c’est l’aurore !
Je veux chanter aussi : blonde fille du ciel.
Ainsi de fleur en fleur va butinant son miel
L’abeille joyeuse et sonore.

Cueillons des fleurs ! Et puis, heureux de mon fardeau,
Je reviendrai m’asseoir prés du léger rideau
Qui voile cncor ma bien-aimée,
Et, du bruit de mes vers dissipant son sommeil,
Je ferai sur ses yeux et sur son front vermeil
Tomber une pluie embaumée.

Riante et mollement soulevée à demi,
Je veux que de mes fleurs sur son front endormi
Sa blanche main suive la trace ;
Et qu’en un doux silence admirant leurs couleurs,
Elle doute longtemps qui, des vers ou des fleurs,
Ont plus de fraîcheur et de grâce.

II

Mes rustiques habits étaient là dans la chambre,
Costume sauvage et brillant :
Je songeais en les déployant
Aux lieux qui m’ont vu jeune, aux retours en septembre.

Elle, toute au présent, riait de mes soucis ;
Ou sur mon passé, chose éteinte,
Revenant légère et sans crainte
(Mais s’abusant peut-être), écoutait mes récits.

Souvent les fruits lointains sont plus doux, bien qu’étrange
Au cœur d’un autre on aime à voir,
À doubler par lui son savoir :
Notre esprit curieux se plaît à ces échanges.

J’écoute, disait-elle ; allons, barde, chantez ! »
Et, le front penché sur la glace,
Elle rattachait avec grâce
Ses cheveux, noirs bandeaux sur ses tempes jetés.

III

En elle je n’aimai d’abord que la beauté,
La bouche humide et fraîche ouverte à la gaité,
Et l’or bruni de ses épaules,
Et les frêles contours de ce corps souple et fin
Qui plie à chaque pas, comme à l’air du matin
Le long des eaux tremblent les saules.

J’ai connu la beauté ! que m’importait alors
Si nulle âme, en parlant, n’animait ce beau corps,
Ces longues paupières d’Arabe ?
Heureux de respirer ce souffle virginal,
Ou d’écouter, rêveur, de sa voix de cristal
Tomber quelque molle syllabe.

Pardon, si tu le peux ! à tes genoux, pardon !
Lorsque, le cœur brisé, pâle et dans l’abandon,
Plus faible que toi, faible femme.
Je vins tout éploré te dire mes douleurs,
Ta secrète beauté s’éveilla sous mes pleurs.
Et tu me révélais ton âme.
 
O larmes ! ô soupirs ! ô mystères d’amour !
Femmes, pour nous charmer, vous avez tour à tour
La beauté visible et cachée ;

Êtres deux fois doués ! Êtres puissants et doux !
Vous domptez notre force ; elle marche après vous
D’un double lien attachée.

IV

Ah ! dis-moi, jeune femme, autour de ta demeure
N’entends-tu pas de voix qui pleure ?
Comme moi tu perdis le rire aux ailes d’or ;
Mais ton crédule espoir l’appelle-t-il encor ?
Heureuse d’espérer ! — Après un long silence,
Lorsqu’un hymne en secret de mon âme s’élance,
Ce n’est plus vers mes jours de printemps et de fleurs
C’est assez d’écarter de moi l’ange des pleurs,
Cet ange toujours pâle et toujours lamentable
Qui pleure à mon chevet et qui pleure à ma table.
Mais si le rire ailé rentre dans ma maison.
Si l’été qui fleurit sèche sous un rayon
Mes larmes, tu verras la chanteuse alouette
Envier dans le ciel ma voix qu’on dit muette,
Les bardes, s’cveillant, diront : « C’est lui ! c’est lui ! »
Et les tranquilles eaux du Leff… Mais aujourd’hui !
Ah ! dis-moi, jeune et douce femme,
N’cntends-tu pas des voix qui pleurent dans ton âme ?

V

Si je viens à passer, sur ton front, en tremblant.
Hélas ! n’abaisse pas ainsi ton voile blanc,
Toute pâle et toute troublée ;

 
Au bras qui te conduit n’attache plus ton bras ;
Comme pour m’évitcr, ne presse plus tes pas
Vers quelque solitaire allée.

Eh bien ! si ma rencontre importune tes yeux,
Parle avec confiance et décide en quels lieux
Il faut pour toi que je m’exile ;
Ton amour fut ma paix, mon bonheur, mon soutien,
Qu’aujourd’hui mon repos ne trouble plus le tien ;
Commande, je serai docile.

Alors tes yeux ternis reprendront leur azur,
Le jour comme autrefois naîtra limpide et pur,
La nuit s’écoulera sans fièvre ;
Tu t’abandonneras à ta sécurité.
Et l’innocence aimable et la douce gaîté
Souriront encor sur ta lèvre.

Dis un mot et je pars. — Sans trop d’ennuis pour toi,
Si je puis cependant demeurer, souffre-moi ;
Et, lorsque au détour d’une rue
Tout à coup devant toi m’offrira le hasard,
Passe libre et sans peur, ne crains pas mon regard ;
Je ne t’aurai pas reconnue.

Seulement (je t’en prie !), oh ! quand tu seras loin,
Quand je pourrai braver et soupçons et témoin,
Vers toi que je tourne la tête.
Pour observer encor ton pas modeste et lent,
El tout ce qu’à mon cœur ce marcher indolent
Rappelle de grâce secrète.


Alors, alors mon cœur bondira ! mille accords,
Mille vœux dans mon cœur retentiront alors.
Et se répandront sur ta route ;
Et mille illusions, mille prospérités,
Comme des anges purs iront à tes côtés.
Ce jour-là, si le ciel m’écoute !