La Fontaine de Vaucluse (Verdier)

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Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 48-51).



MME VERDIER.

LA FONTAINE DE VAUCLUSE.


Ce n’est pas seulement sur des rives fertiles
Que la nature plaît à notre œil enchanté ;
Dans les climats les plus stériles
Elle nous force encor d’admirer sa beauté.
Tempé nous attendrit ; Vaucluse nous étonne ;
Vaucluse, horrible asile, où Flore ni Pomone
N’ont jamais prodigué leurs touchantes faveurs,
Où jamais, de ses dons la terre ne couronne
L’espérance des laboureurs.
Ici de toutes parts elle n’offre à la vue
Que les monts escarpés qui bordent ses déserts,
Et qui, se cachant dans la nue,
Les séparent de l’Univers.
Sous la voûte d’un roc, dont la masse tranquille
Oppose à l’Aquilon un rempart immobile,
Dans un majestueux repos,
Habite de ces bords la Naïade sauvage :

Son front n’est point orné de flexibles roseaux,
Et la pureté de ses eaux
Est le seul ornement qui pare son visage.
J’ai vu ses flots tumultueux,
S’échapper de son urne en torrens écumeux ;
J’ai vu ses ondes jaillissantes,
Se brisant à grand bruit sur des rochers affreux,
Précipiter leurs cours vers des plaines riantes
Qu’un ciel plus favorable éclaire de ses feux.
L’écho gémit au loin. Philomèle craintive
Fuit et n’ose sur cette rive
Faire entendre ses doux accens.
L’oiseau seul de Pallas, dans les cavernes sombres,
Confond, pendant la nuit, avec l’horreur des ombres,
L’horreur de ses lugubres chants.
Déesse de ces bords, ma timide ignorance
N’ose lever sur vous des regards indiscrets ;
Je ne veux point sonder les abîmes secrets
Où de l’astre du jour vous bravez la puissance,
Lorsque sa brûlante influence
Dessèche votre lit ainsi que vos guérets.
Je ne demande point par quel heureux mystère
Chaque printems vous voit plus belle que jamais,
Tandis qu’au départ de Cérès

Vous nous offrez à peine une onde salutaire :
Expliquez-moi plutôt les nouveaux sentimens
Qui calment l’horreur de mes sens.
Quoi ! ces tristes déserts, ces arides montagnes,
L’aspect affreux de ces campagnes,
Devraient-ils inspirer de si doux mouvemens ?
Ah ! sans doute l’Amour y fait briller encore
Un rayon de ce feu que ressentit pour Laure
Le plus fidèle des amans.
Pétrarque auprès de vous soupira son martyre :
Pétrarque y chantait sur sa lyre
Sa flamme et ses tendres souhaits ;
Et tandis que les cris d’une amante trahie,
Ou la voix de la perfidie
Fatiguent nos coteaux, remplissent nos forêts,
Du sein de vos grottes profondes
L’écho ne répondit jamais
Qu’aux accens d’un amour aussi pur que vos ondes.
Trop heureux les amans l’un de l’autre enchantés,
Qui sur ces rochers écartés
Feraient revivre encor cette tendresse extrême ;
Et dans une douce langueur.
Oubliés des humains qu’ils oubliaient de même,
Suffiraient seuls à leur bonheur.

Mais, hélas ! il n’est plus de chaînes aussi belles ;
Pétrarque dans sa tombe enferma les Amours.
Nymphes qui répétiez ses chansons immortelles,
Vous voyez tous les ans la saison des beaux jours
Vous porter des ondes nouvelles :
Les siècles ont fini leur cours,
Et n’ont point ramené des cœurs aussi fidèles.
Ah ! conservez du moins les sacrés monumens
Qu’il a laissés sur vos rivages,
Ces chiffres, de ses feux respectables garans,
Ces murs qu’il habitait, ces murs sur qui le tems
N’osa consommer ses outrages ;
Surtout, que vos déserts, témoins de ses transports,
Ne recèlent jamais l’audace ou l’imposture ;
Et si quelque infidèle ose souiller ces bords,
Que votre seul aspect confonde le parjure,
Et fasse naître ses remords.