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La France des Antipodes

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La France des Antipodes
Revue des Deux Mondes4e période, tome 158 (p. 779-810).
LA FRANCE DES ANTIPODES

Quand, le 28 septembre 1853, le Phoque, un petit aviso à roues de la marine de l’État, longeant la ceinture de coraux qui rattache, comme par une double lisière, l’île des Pins à la Nouvelle-Calédonie, contourna la pointe méridionale de l’île, la nuit allait tomber et l’esprit du contre-amiral Febvrier des Pointes, commandant de la station navale du Pacifique, était dévoré d’anxiété.

Il arrivait, en toute hâte, du Callao et de Tahiti, muni de mystérieuses instructions du gouvernement de Napoléon III, qui lui prescrivaient de prendre possession de la Nouvelle-Calédonie, mais d’éviter à tout prix d’entrer en contestations avec les Anglais. Six jours auparavant, il avait mouillé, près de la Grande-Terre, dans la baie de Pouebo et, le 24, à Balade, sur un sol presque français déjà, puisque la petite maison des missionnaires s’y élevait, il avait solennellement planté le drapeau tricolore et pris, au nom de la France, possession de la Nouvelle-Calédonie. Mais des renseignemens donnés par les Pères maristes, établis dans l’île depuis dix ans, avaient inquiété l’amiral. Par une étrange fortune, le jour même où la fumée du Phoque était apparue à l’horizon, le P. Montrouzier, aussi savant naturaliste qu’apôtre admirable, avait reçu, par un bateau caboteur, une lettre d’un entomologiste australien, son correspondant, qui lui annonçait le très prochain envoi de plantes et d’insectes par un navire de guerre britannique en partance pour la Nouvelle-Calédonie. L’amiral, aussitôt, avait levé l’ancre, rangé la barrière de coraux qui borde la côte orientale de la Calédonie et mis le cap sur l’île des Pins, où, au dire des missionnaires, fréquentaient les négocians britanniques et où régnait un chef important : les Anglais étaient gens, s’ils avaient déjà planté là leur drapeau, à réclamer la Grande-Terre comme une dépendance de la petite île, et l’amiral, pénétré de ses instructions, ne voulait pas d’affaires... Au moment où la rade se découvrit aux yeux des Français, une corvette de guerre britannique y était à l’ancre. Arrivait-on trop tard ? Tout de suite il fallait savoir si les Anglais avaient pris possession de l’île ; l’amiral hésitait à s’engager à l’heure du crépuscule dans une passe dangereuse ; mais un jeune élève, M. Amet, connaissait déjà ces parages difficiles ; sans hésiter, aux dernières lueurs du jour, il pilote l’aviso dans l’étroit chenal et vient mouiller non loin du bâtiment étranger. Dès que la nuit est close, ce même officier quitte le bord, dans un canot, franchit heureusement la ligne des récifs, aborde au rivage et, guidé par sa boussole, parvient à la maison de la mission, où il trouve le supérieur, le P. Goujon ; ensemble ils reviennent au Phoque, réveillent l’amiral et lui apprennent que les Anglais, venus pour négocier l’achat de l’île, — ils s’en étaient imprudemment vantés, — n’avaient encore rien conclu avec le chef. Il était encore temps d’agir. Le missionnaire, en pleine obscurité et au péril de sa vie, regagne la terre, va trouver le chef Vendegou, son ami, et le presse de mettre son île sous la protection de la France ; le Canaque, confiant dans la loyauté du prêtre et comprenant que, s’il n’accueille pas les Français, il lui faudra subir les exigences des Anglais, qu’il déteste, se rend aux instances du P. Goujon. A l’aube, un signal appelle les officiers du Phoque ; l’amiral débarque ; craignant d’éveiller les soupçons des Anglais, il n’a pas arboré son pavillon de commandement et il est descendu à terre en costume civil ; un aide de camp l’a précédé, emportant son uniforme. On arrive à la case des missionnaires ; l’amiral endosse son habit chamarré de dorures et de décorations, fait hisser le drapeau national et signe le procès-verbal officiel de prise de possession.

Les Anglais, occupés à des travaux d’hydrographie, avaient bien vu l’aviso ; les visites d’usage avaient même été échangées, mais ils n’avaient rien soupçonné de la petite scène qui s’était jouée presque sous leurs yeux ; quand le navire fut parti, le capitaine du Herald fit venir à son bord le chef Vendegou, exhiba devant lui de superbes présens et lui demanda de vendre son île à la Grande-Bretagne. « C’est trop tard, » répondit le Canaque, et il montra le pavillon français. Furieux, l’officier, qui tenait dans ses bras la petite fille du chef, la laissa tomber et fit jeter par-dessus bord le pauvre roi, que ce bain inattendu ne rendit pas plus sympathique à l’endroit des Anglais. Honteux et dépité, le commandant du Herald cingla vers Sydney et s’en fut conter sa mésaventure à son commodore. Le malheureux gardait en poche depuis plusieurs mois l’ordre d’occuper la Nouvelle-Calédonie ; en apprenant la fatale nouvelle, il tomba foudroyé.

C’est ainsi que la France acquit la Nouvelle-Calédonie par l’énergie et le patriotisme de ses marins et de ses missionnaires. Déjà, des uns et des autres, plusieurs avaient péri sur les récifs de ces côtes inhospitalières ou sous les coups des indigènes, et leur sang versé avait fait cette terre française avant qu’y flottât le drapeau tricolore[1]. Les missionnaires, en travaillant à ouvrir au Christ l’accès de ces âmes primitives, avaient, du même coup, préparé les voies à la France ; les marins, qui avaient les premiers exploré ces parages dangereux, en avaient aussi, par leur audace prudente, assuré à notre patrie la possession. Ainsi tous avaient collaboré à cette double action conquérante et civilisatrice qui a été et qui est encore l’honneur de notre race dans son expansion outre-mer.


I

En évoquant, au seuil de ces quelques pages, le souvenir des temps épiques de la prise de possession, en les plaçant sous l’invocation de ces hommes de foi ardente et d’abnégation patriotique qui ont donné à la France la Nouvelle-Calédonie, nous avons voulu, avant de chercher où en est et où va notre colonie océanienne, indiquer d’où elle vient et jeter comme un reflet d’héroïsme et de désintéressement sur une étude où il sera question surtout d’intérêts matériels et où nous devrons suivre, en même temps que les progrès d’une colonie, les ravages des passions et des querelles politiques. — Sans autre préambule, nous examinerons d’abord quelle place l’île aperçue pour la première fois par Cook, en 1774, occupe aujourd’hui dans la vie générale de l’Océanie et comment pourrait grandir son importance.

La Nouvelle-Calédonie est l’un des anneaux essentiels de cette chaîne d’îles innombrables qui semble relier, à travers le Grand Océan, l’Asie et l’Australie avec l’Amérique ; la France a planté son drapeau sur plusieurs de ces îles : les Wallis, les îles de la Société, les îles Sous-le-Vent, les Marquises, les Touamotou, les Tubuaï et les Gambiers ; de ces nombreuses possessions, les unes sont de simples attolls de corail, avec leur lagune centrale et leur maigre couronne de cocotiers, mais d’autres ont une réelle valeur économique ; toutes, d’ailleurs, peuvent nous être précieuses : elles jalonnent une route française de navigation au milieu du Pacifique.

Il suffirait, pour nous édifier sur l’importance de ces possessions lointaines, de voir, autour de nous, avec quelle âpreté Anglais, Allemands et Américains se sont disputé les îles Samoa.

Si l’on arrive d’Europe par Sydney ou par le détroit de Torrès, si l’on vient de Saigon ou de Haïphong pour pénétrer dans le monde océanien, la première terre française que l’on rencontre, c’est la Nouvelle-Calédonie ; elle est aussi, de nos possessions du Pacifique, la plus grande, la plus riche, la plus peuplée d’Européens. Il semblerait naturel et utile que toutes les petites îles françaises égrenées en chapelet parmi les récifs du Grand Océan cherchassent à se lier à la plus grande, à se grouper autour d’elle comme autour d’une petite métropole ; or, les paquebots des Messageries maritimes, qui apportent toutes les quatre semaines à Nouméa les nouvelles de la patrie lointaine, ne prolongent pas leur voyage plus à l’est ; aucun service régulier à vapeur ne relie entre elles, ni avec la France, nos colonies polynésiennes ; il faut, pour parvenir à Tahiti, prendre à Sydney la ligne anglaise via Auckland. La colonie de Tahiti se plaint depuis longtemps d’un pareil état de choses et demande au gouvernement de subventionner les Messageries maritimes, pour qu’elles établissent un service de San-Francisco à Papeete[2]. Une telle solution serait pire, au point de vue des intérêts français, que l’isolement : outre qu’un service mensuel comportant un parcours de près de 4 000 milles sans escales, entre San-Francisco et Tahiti, ne pourrait être assuré que moyennant une très grosse subvention, cette ligne aurait le grave inconvénient de favoriser, à nos dépens, les désirs d’expansion économique et coloniale des Etats-Unis dans le Pacifique, où ils ont déjà pris possession d’Hawaii. L’ouverture d’une ligne de paquebots rapides entre San-Francisco et Papeete augmenterait certainement les transactions, déjà relativement considérables, de notre colonie avec les États-Unis, mais diminuerait aussi certainement le commerce avec la France[3] : aussi s’explique-t-on qu’une compagnie américaine ait offert d’établir ce service moyennant une faible subvention. Nos colonies du Pacifique, sans lien direct entre elles, se trouveraient, pour ainsi dire, coupées en deux ; les unes, comme la Nouvelle-Calédonie, regardant vers la France par l’ouest ; les autres orientées par l’est vers les Etats-Unis. Tahiti deviendrait une annexe économique de l’Union.

Il en irait tout autrement si, au lieu de relier Tahiti à l’Amérique, on l’unissait plus directement à la France et à la Nouvelle-Calédonie. Il est étonnant que nos colonies du Pacifique oriental ne soient rattachées à la métropole par aucun service régulier à vapeur[4]. Il serait facile d’établir une ligne dont les bateaux correspondraient à Nouméa avec ceux des Messageries et qui, de quatre semaines en quatre semaines, assurerait, en vingt ou vingt-cinq jours, le service de la poste, des voyageurs et des marchandises entre Nouméa et Tahiti, en faisant escale, soit à l’aller, soit au retour, aux Wallis, aux Tonga, aux Samoa. Le « transport direct » des ports français jusqu’à Tahiti étant ainsi assuré, un régime douanier, plus avantageux aux produits de la métropole, tout en tenant compte des besoins locaux, pourrait être mis en vigueur et appliqué régulièrement. Ainsi serait établie la soudure commerciale et économique de nos colonies océaniennes entre elles d’abord, avec la France ensuite.

Tahiti, où habitent près de 3 000 Français, et nos archipels polynésiens cesseraient d’être dans la dépendance économique d’Auckland et de San-Francisco et l’on verrait bientôt monter les chiffres du commerce avec la France. La multiplication des relations entre Tahiti, la Nouvelle-Calédonie et les îles intermédiaires donnerait certainement plus de vie à cette petite France des antipodes ; elle permettrait de mettre en valeur certaines îles presque abandonnées, comme les Tonga, par exemple, où nous avons d’anciens droits, mais où la France n’est guère représentée que par les missionnaires ; et, surtout elle obligerait enfin le gouvernement à trancher la question, depuis si longtemps pendante, des Nouvelles-Hébrides où bon nombre de colons français se sont installés. Sous ce climat plus chaud et plus humide, nos compatriotes néo-calédoniens sont allés chercher les produits des pays équatoriaux et ont fait de cet archipel une véritable « colonie tropicale, » qui complète, au point de vue économique, la Nouvelle-Calédonie. Cette occupation de fait, la prédominance des intérêts français, font au gouvernement un devoir de ne pas abandonner, malgré les protestations des Australiens, les droits de nos nationaux aux Nouvelles-Hébrides.

La Nouvelle-Calédonie est le centre naturel de nos colonies du Pacifique ; Nouméa en est le grand port, la fenêtre ouverte sur le monde australien et européen. Consciente de son rôle de capitale, Nouméa s’efforce d’en remplir les fonctions. Le Conseil général, dans sa session de décembre 1898, a voté l’émission d’un emprunt de dix millions, dont la moitié sera consacrée à l’amélioration du port : un bassin de radoub va être creusé aux frais de la colonie ; les bâtimens de l’Etat ou du commerce ne seront plus obligés, pour réparer leurs avaries, d’aller dans un port anglais, à Sydney ou à Auckland. La construction d’un wharf, l’achat d’une grande et d’une petite drague, la destruction de quelques écueils rendront le port de Nouméa mieux adapté aux besoins de la grande navigation.

Centre d’attraction économique pour les îles françaises de la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie est aussi le réduit naturel de la défende militaire. Le décret du 4 octobre 1898 classe Nouméa parmi les « points d’appui » de la flotte ; ces fameux « points d’appui, » qui devront être les bases d’opération ou les ports de refuge de nos escadres dans les différentes mers du globe, occupent en ce moment l’opinion du public et du parlement. Souhaitons que les projets adoptés aboutissent à une prompte réalisation. Les Australiens, ne l’oublions pas, convoitent ouvertement notre domaine calédonien et ses précieuses mines. Nouméa, avec quelques canons sur ses hauteurs et quelques torpilles dans ses passes, serait à l’abri d’une insulte et deviendrait, en cas de conflit avec l’Angleterre, une retraite inviolable pour nos bâtimens de guerre et de commerce. Nos colonies du Pacifique, isolées, à quarante jours de navigation de la mère patrie, doivent être mises en état, si une guerre survenait, de ne compter que sur elles-mêmes. Nous travaillons à la mise en valeur et au peuplement de nos îles des Antipodes, mais prenons garde que d’autres que nous ne recueillent le fruit de nos efforts et ne couchent dans le lit que nous aurons préparé.

L’extension générale de la colonisation européenne en Océanie tend, par la force des choses, à grandir l’importance de ce qu’on pourrait appeler les « fonctions de relation » de la Nouvelle-Calédonie ; le percement, certain dans un avenir plus ou moins éloigné, d’un isthme de l’Amérique centrale augmentera peut-être encore les chances de prospérité future de l’île. De faibles efforts, des mesures très simples dont nous avons indiqué les principales et dont quelques-unes sont en cours d’exécution, pourraient faire de Nouméa et de la Nouvelle-Calédonie, au point de vue des relations extérieures, l’une des capitales du Pacifique.


II

Les temps héroïques, pour la Nouvelle-Calédonie, furent courts ; la période « administrative » commença presque dès la prise de possession. Lorsque, en effet, le gouvernement de Napoléon III décida l’occupation de l’île, il était moins préoccupé de ses richesses latentes que des conditions dans lesquelles on y pourrait réaliser en grand une expérience de transportation pénale. On savait sans doute, par le rapport très favorable de Bérard, envoyé en 1850 sur l’Alcmène pour étudier les ressources de l’île, et par les lettres de Mgr Douarre, vicaire apostolique, que la Calédonie était susceptible d’un certain développement économique ; mais c’est à la main-d’œuvre pénale que l’on réservait le soin de tirer parti de ses ressources.

La Nouvelle-Calédonie servit de champ d’expérience aux savans criminalistes pour leurs essais de régénération sociale. L’administration y prit largement ses ébats, entassa bâtisses sur bâtisses, changea vingt fois de méthodes, fit, défit, refit, tâtonna et expérimenta, pour n’aboutir finalement qu’à des résultats hors de toute proportion avec l’effort accompli et l’argent dépensé.

Ce n’est point notre tâche de rechercher si l’indéniable faillite du système de la transportation est imputable surtout aux utopies d’une philanthropie trop peu pratique, bu au manque d’esprit de suite et aux erreurs successives d’un régime administratif qui aurait faussé et discrédité une méthode en elle-même raisonnable et susceptible de produire d’heureux effets[5].

Il y a, dans toute administration, je ne sais quel vice constitutif qui la porte à croire qu’elle est à elle-même sa propre fin : l’administration pénitentiaire a vraiment abusé de cette illusion naïve. Mais revenir sur le passé ne servirait de rien. Le fait actuel nous importe seul : la transportation en Calédonie est aujourd’hui supprimée, à la satisfaction unanime des colons ; le bagne se dépeuplera peu à peu par extinction ou achèvement de peine. Mais, au moment où l’abandon du système de la transportation paraît définitif, il est juste de reconnaître que, si les résultats obtenus sont minimes, par rapport au nombre de bras dont l’administration a disposé pendant un si long temps, du moins quelques travaux publics ont été faits qui contribuent dans une large mesure à rendre possible aujourd’hui l’essor de la colonisation. C’est surtout quand elle a voulu devenir industrielle et s’essayera l’agriculture que l’administration s’est complètement fourvoyée dans des essais coûteux et finalement désastreux. Dans le travail des mines, au contraire, la main-d’œuvre pénale a rendu de très appréciables services. Si la haute banque s’est intéressée aux affaires minières de la colonie, c’est parce qu’elle était assurée que jamais les travailleurs ne viendraient à manquer. L’Etat, ayant des milliers de transportés à utiliser, les a prêtés aux grandes sociétés industrielles, qui lui ont assuré le remboursement de ses frais et qui ont de plus donné aux condamnés une rémunération supplémentaire de leur travail. On a voulu flétrir ces pratiques et on les a qualifiées de marchés de chair humaine : c’était pousser bien loin la sensiblerie ; les condamnés recevaient un salaire et travaillaient à ciel ouvert, dans des conditions d’hygiène qu’en France, des milliers d’ouvriers envieraient ; quant à l’Etat, il avait le double avantage de rendre service à la colonie et de réaliser une notable économie.

Sans nous attarder aux problèmes de la colonisation pénale, constatons seulement que cette période est finie et que la Nouvelle-Calédonie entre dans une ère d’activité libre, vraiment pratique, et, il faut l’espérer, féconde. En un temps où l’expansion coloniale préoccupe tous les esprits prévoyans, l’avenir de l’archipel calédonien devait intéresser ceux qui ont pris à tâche d’assurer à la France un lot digne d’elle dans le partage du monde. La suite naturelle des événemens a, dans ces dernières années, attiré l’attention publique plus encore sur l’exploitation des colonies, qui allait commencer, que sur la conquête, qui s’achevait. Éveiller l’apathie française et diriger vers les pays d’outre-mer une partie de l’énergie nationale apparut à quelques hommes de dévouement comme l’œuvre nécessaire à accomplir. Ils multiplièrent les conférences, les livres, les associations, s’ingénièrent à chercher et à préconiser les meilleures méthodes. L’Union coloniale, le Comité Dupleix, l’Office colonial, se donnèrent ou reçurent pour mission de promouvoir et de diriger l’expansion de la France dans ses possessions lointaines. Par une heureuse réaction contre la dangereuse tendance à l’admiration aveugle des procédés anglo-saxons, toute une école d’écrivains, de professeurs et d’hommes d’Etat s’efforcèrent de retrouver, de vulgariser et d’appliquer les vieilles méthodes françaises de colonisation, comme les mieux adaptées au tempérament national et aux qualités si variées de la race. On s’avisa, avec juste raison, que, parmi nos colonies, les unes, de climat tropical, ne permettent pas à l’Européen de travailler, et que les autres, au contraire, de climat tempéré et sain, peuvent devenir de petites Frances nouvelles, peuplées, comme la mère patrie, de robustes paysans et parsemées de métairies florissantes ; la colonisation agricole fut prônée comme la plus conforme aux aptitudes d’un peuple dont l’agriculture est toujours restée la principale occupation. Il était naturel que la Nouvelle-Calédonie éprouvât les bons effets de cette activité nouvelle : l’île était bien connue et, depuis l’insurrection de 1878, complètement pacifiée ; le moment semblait venu de tirer le meilleur parti possible de ses richesses dans l’intérêt de la France ; le succès paraissait d’autant plus probable que la Calédonie est la plus saine de nos possessions et que le climat permet à l’Européen d’y vivre, de s’y multiplier et d’y travailler. On se mit avec ardeur à chercher et à exploiter les gisemens de minerais, on se préoccupa de trouver des terres cultivables ; aux expériences de la colonisation pénale succédèrent les essais de la colonisation agricole libre ; et la Calédonie parut sur le point de prendre son élan vers un brillant avenir. Aujourd’hui que le temps a marché et qu’après les tâtonnemens du début s’est ouverte une période d’entreprise et d’exploitation, l’heure est propice pour apprécier les résultats et pour juger, d’après les faits, de la valeur des théories. C’est ce que nous voudrions essayer de faire ici, en cherchant à pénétrer, derrière les apparences, la réalité parfois moins séduisante.


III

La Nouvelle-Calédonie est un bloc de minerais. Sa constitution géologique, où dominent les terrains primitifs et les formations volcaniques modernes, notamment les serpentines, explique l’extraordinaire quantité de métaux précieux que la nature y a entassés. Mais, pour transformer ces richesses latentes en richesses productives et mobilisables, il faut que les conditions de l’exploitation et de la vente assurent des bénéfices suffisans, que les métaux extraits soient assez rares, ou assez recherchés, pour que la concurrence de gisemens moins éloignés des grandes villes industrielles ne vienne pas paralyser l’essor de la Calédonie, isolée, perdue au milieu des océans. Avec le nickel, le chrome et le cobalt, ces conditions se trouvent heureusement réalisées Le nickel et le chrome sont, si l’on peut dire, les métaux du jour ; le nickel commença d’être utilisé en notables quantités, en alliage avec le cuivre et le zinc, dans la fabrication du maillechort ; puis il servit à recouvrir les balles pour les nouveaux fusils à petit calibre ; mais ce fut son entrée dans la métallurgie de l’acier qui donna enfin à l’industrie du nickel la poussée dont elle avait besoin. Associé avec l’acier, le nickel lui donne une résistance plus grande à la traction et à la pénétration ; le chrome lui communique des avantages de même nature ; les plaques de blindage en acier-nickel sont moins épaisses et plus résistantes ; les obus à pointe d’acier chromé ont une plus grande puissance de perforation. Bref, la consommation du nickel en ces dernières années a augmenté dans de très grandes proportions. En Nouvelle-Calédonie, dans les massifs serpentineux de la côte est, on trouve le nickel en quantités énormes, à fleur de terre, à proximité de la mer, dans des conditions générales d’exploitation excellentes. Nulle part le minerai n’est aussi abondant, aussi riche en métal pur[6]. Tous ces avantages ont fait de la Nouvelle-Calédonie, malgré l’énorme distance qui la sépare des grands centres métallurgiques, le premier pays pourvoyeur de nickel, et la maîtresse du marché de ce métal. Les mines du Canada[7] elles-mêmes, bien que très heureusement situées, n’ont pas pu vaincre la concurrence calédonienne. Les minerais calédoniens sont embarqués au pied même de la mine ou à l’extrémité de petits chemins de fer à voie étroite, principalement à Thio, sur de grands voiliers qui les transportent au Havre, à Anvers, à Rotterdam, à Swansea et à Glasgow ; ils vont même jusqu’à New-York lutter, sur leur propre terrain, avec les nickels canadiens. Nous ne saurions entrer ici dans l’histoire, cependant très instructive, de l’exploitation des nickels calédoniens, depuis la première tentative d’extraction en 1875 et la fondation de la société « Le Nickel » en 1880, jusqu’à la crise de 1893, causée par la surproduction et par l’ouverture des mines américaines, et jusqu’au renouveau actuel de la prospérité. Contentons-nous de constater que, depuis 1897 environ, l’épuisement des anciens stocks et l’accroissement de la consommation ont provoqué le relèvement des cours, la création de nouvelles sociétés et l’exploitation de nouveaux gisemens[8]. L’exportation des minerais, qui a dépassé 100 000 tonnes en 1899, dépassera probablement 150 000 en 1900. Il est regrettable, sans doute, qu’une notable partie des gisemens de nickel appartienne à des sociétés étrangères et il serait à souhaiter que nos capitaux se montrassent moins timides ; mais les mines, quels qu’en soient les concessionnaires, attirent en Calédonie des immigrans, donnent de l’activité au commerce de l’île, stimulent toutes les branches de l’industrie locale ; le profit sera plus sensible encore quand on aura enfin réussi à installer et à faire vivre sur place des fonderies de nickel[9]. A la France, l’ouverture des mines calédoniennes a permis de faire concurrence à l’Allemagne et à l’Angleterre qui détenaient jusque-là le monopole de la métallurgie des nickels ; une grande fonderie, créée au Havre, fournit annuellement 18 000 tonnes de métal. Un heureux résultat indirect de l’exploitation des minerais calédoniens a été d’aider à pallier une imperfection de la loi de 1893 sur la marine marchande, qui pousse outre mesure à la construction des voiliers ; pour le transport sur de très grandes distances de matières lourdes et de peu de valeur, ces bâtimens sont les plus avantageux ; favorisés par la régularité des vents, ils font la traversée de France en Calédonie en 90 jours, pendant que les cargo-boats n’en mettent pas moins de 60 à 65 ; aussi les emploie-t-on volontiers pour le transport des minerais ; les armateurs ont trouvé là un moyen pratique d’utiliser les bâtimens à voiles construits en ces dernières années pour profiter de la prime.

Les gisemens de cobalt sont très rares dans le monde, et l’on pourrait appliquer à ce métal, toutes proportions gardées, les observations que nous venons de faire à propos du nickel ; la découverte du cobalt en Calédonie a fait subitement baisser de 60 à 15 francs le prix du kilogramme ; la Calédonie fournit les 2/3 du cobalt employé dans le monde entier, elle règle le cours de ce métal, dont l’emploi est malheureusement très limité. — L’exploitation du cuivre, longtemps suspendue, a été reprise avec succès en ces dernières années ; le minerai est transporté en Australie où le charbon ne coûte que 6 à 8 francs la tonne, il y est fondu, réduit en lingots et il vient faire concurrence aux produits américains et européens. Quand on sera parvenu à faire subir surplace aux minerais le traitement par l’électrolyse, en utilisant les nombreuses chutes d’eau de l’île, nul doute que les cuivres calédoniens ne parviennent à conquérir une très importante place sur les grands marchés du monde. — On trouve encore dans l’île des gisemens d’antimoine, de manganèse, de plomb associé avec de l’argent et du zinc ; mais les frais de transport ont jusqu’ici empêché l’exploitation sérieuse de ces métaux. L’extraction de l’or promet de meilleurs résultats : les filons sont riches, proches de la mer, et peut-être ne manque-t-il à notre colonie que de savoir habilement « lancer » une affaire de mine pour connaître, comme l’Australie, les jours agités de la « fièvre de l’or, » car, pour un métal très précieux, la question des transports n’est que secondaire. — Plus encore peut-être que l’or, le fer est pour la Calédonie une inappréciable réserve de richesses. Il se rencontre en masses énormes, surtout dans le sud de l’île, où il s’entasse en véritables montagnes, rougeâtres et dénudées, mais faites d’un minerai très riche et presque partout associé au chrome : le jour prochain où l’Australie fabriquera elle-même sa fonte et son acier, c’est fatalement à notre Calédonie qu’elle devra acheter du fer, car les recherches, stimulées par des primes, n’ont pu faire découvrir sur toute la surface du continent australien une seule mine de fer exploitable. Le fer tiendra certainement une très grande place dans les relations entre notre colonie et les ports australiens, il constituera pour les bâtimens de commerce un excellent fret de retour. — Quant à la houille, le sous-sol calédonien en renferme d’assez grandes quantités, mais le peu d’épaisseur et l’irrégularité des couches, tourmentées et disloquées, n’ont pas permis de commencer une exploitation importante. Peut-être de nouvelles études feront-elles découvrir des filons pratiquement utilisables, c’est-à-dire fournissant le charbon au même prix que l’Australie ; la fortune minière de la Calédonie serait alors vraiment complète.

Des mines, si riches soient-elles, dit-on souvent, ne suffisent pas à asseoir solidement la fortune d’une colonie ; leur prospérité est à la merci de la spéculation, elles n’attirent qu’une population instable et cosmopolite ; épuisées et abandonnées, elles ne laissent rien après elles : c’est l’agriculture seule qui fonde la prospérité d’un pays neuf. Cette théorie, très en faveur aujourd’hui, est en général vérifiée par l’expérience, mais elle cesse de donner une idée exacte de la réalité, si on l’applique à des pays, comme la Nouvelle-Calédonie, placés dans des conditions économiques toutes particulières. L’on pourrait faire observer d’abord, en invoquant l’exemple de l’Australie, qu’après la période agitée de l’agiotage viennent les temps plus calmes de l’exploitation régulière, et que bien des aventuriers, d’abord attirés par l’appât d’une fortune subite, finissent par se fixer au sol et par chercher dans la culture un moyen plus modeste, mais plus sûr, de s’enrichir. L’administration française de la Nouvelle-Calédonie, d’accord avec la société « Le Nickel, » cherche en ce moment à attirer, pour le travail des mines, des ouvriers européens, auxquels des terres seraient concédées et qui, assurés d’un salaire quotidien, en échange d’un travail facile, sous un climat très sain, deviendraient peu à peu des colons propriétaires ; c’est là une tentative susceptible de donner de bons résultats, si l’on parvient à bien recruter ces colons-mineurs. Il faut en outre répéter ce que nous indiquions déjà tout à l’heure : les conditions de la vie économique de la Nouvelle-Calédonie sont telles qu’elle ne peut guère prospérer qu’en produisant des « spécialités. » Le nickel remplit très avantageusement ces conditions : quoi qu’on fasse, la prospérité de la Calédonie est en grande partie liée à la fortune du nickel[10].


IV

Le rêve de créer, aux antipodes de l’Europe, une petite France nouvelle, peuplée, comme la grande, de paysans propriétaires, vivant du produit de leurs champs, de leurs prairies, de leurs vignes et récoltant en outre les fruits indigènes, a pris corps en ces dernières années et s’est traduit par un intéressant et fécond effort. Dès sa constitution en 1893, l’Union coloniale[11] s’occupa de la Nouvelle-Calédonie et chercha à recruter des émigrans dis- posés à tenter fortune là-bas. Sans doute, beaucoup de Français étaient déjà établis dans l’île ; mais il s’agissait cette fois d’une tentative plus méthodique et poursuivie avec plus de persévérance. De grandes facilités furent données aux nouveaux colons pour la traversée et pour le premier établissement. On exigeait qu’ils fussent possesseurs d’un capital de 5 000 francs au moins, indispensable pour parer aux frais d’installation, de plantation, et pour subsister, en attendant que les caféiers, qu’on les engageait surtout à planter, fussent en plein rapport. En même temps, l’Union coloniale obtenait pour les cafés calédoniens l’exemption de la moitié du droit de douane à l’entrée en France. Assez de temps s’est écoulé pour permettre aujourd’hui d’apprécier les premiers résultats de cet essai de colonisation agricole ; un récent discours de M. le gouverneur Feillet nous y invite en nous présentant une sorte de bilan de l’œuvre accomplie[12], et un publiciste, M. Jean Carol, nous en facilite les moyens en donnant au journal le Temps une série d’articles dont on peut ne pas accepter toutes les conclusions, mais qui n’en sont pas moins une source précieuse de renseignemens.

Mettre en valeur la terre cultivable d’un pays neuf n’est pas une opération simple ; les élémens du problème varient avec les conditions géographiques, climatologiques, économiques, dans lesquelles le planteur est appelé à vivre. Nulle part il ne suffit de mettre en présence une terre fertile, même sous un climat sain, et un colon de bonne volonté, même muni d’un capital et d’outils, même secondé par une main-d’œuvre peu coûteuse ; il faut encore qu’il trouve, pour vendre ses récoltes, un débouché avantageux, que ses produits n’entrent pas en concurrence avec ceux de la métropole ou de colonies plus favorisées ; c’est assez dire qu’une pareille tentative demande à être conduite avec prudence et méthode, qu’il est avant tout nécessaire de ne pas engager témérairement des colons, venus de très loin, dans des aventures où ils risqueraient de se ruiner eux-mêmes et de compromettre pour longtemps le bon renom de la colonie. La Nouvelle-Calédonie jouit d’un climat salubre et tempéré qui permet à l’Européen de travailler lui-même le sol ; mais on y trouve relativement peu de terres cultivables : tantôt l’inclinaison des versans, tantôt la nature du sol s’opposent à la mise en valeur ; seuls certains plateaux, quelques coteaux aux pentes douces, le fond des vallées et de rares plaines d’alluvions peuvent se transformer en champs fertiles[13]. En outre, une grande partie des bonnes terres était occupée soit par l’administration pénitentiaire, soit par les Canaques qui y font pousser les ignames et les taros dont ils se nourrissent. Enfin l’État réclamait, à l’exclusion de la colonie, la possession de toutes les terres libres. Il fallait cependant donner des concessions aux colons qui arrivaient. Une transaction, que d’aucuns jugèrent prématurée et onéreuse pour la colonie, mit fin au procès pendant avec la métropole et donna au gouverneur le droit de disposer des terres vacantes ; de plus, une portion des champs des indigènes leur fut enlevée par l’opération dite du « cantonnement, » sur laquelle nous aurons à revenir.

On eut donc des terres ; mais quelles cultures convenait-il d’y propager ? La plupart des fruits et des légumes d’Europe, spécialement le haricot, réussissent en Calédonie ; les céréales comme le maïs et même le blé, les tubercules comme les pommes de terre, les ignames et les taros donnent de bons rendemens et trouvent un débouché rémunérateur, tant que la production est inférieure à la demande locale ; mais la France, d’ailleurs bien lointaine, n’a pas besoin de ces denrées ; l’Australie et la Nouvelle-Zélande les produisent en abondance ; aussi, dès que la récolte dépasse la consommation du colon et les besoins très restreints du marché de Nouméa, les cours tombent-ils à des prix dérisoires ; les denrées s’amoncellent et se perdent. L’administration pénitentiaire à Bourail, la mission des Pères maristes à Païta ont tenté l’industrie du sucre : l’invasion des sauterelles a détruit les plantations ; le sucre, le rhum ne sauraient d’ailleurs guère avoir qu’un débouché local ; sur les marchés d’Europe, ils seront toujours vaincus par la concurrence de pays moins lointains et qui produisent en grand la canne ou la betterave.

Le gouverneur, dans son dernier discours, se félicite des progrès de la culture de l’indigo : mais, croyons-nous, un seul colon plante de l’indigo, et c’est fort heureux, car l’indigo ne peut plus lutter contre les couleurs à l’alizarine ; d’autres colonies françaises le produiraient d’ailleurs, s’il en était besoin, dans de bien meilleures conditions. M. Feillet parle encore avec satisfaction du succès des « essais de caoutchouc » et étudie les moyens « de reprendre l’idée de l’exploitation en grand du caoutchouc. » Ce serait là, sans doute, une heureuse innovation, si nous n’avions déjà d’immenses espaces dans nos colonies du Gabon-Congo et de Madagascar où la plante à caoutchouc pousse naturellement, en abondance, et qui produisent le caoutchouc dans des conditions telles qu’elles défient la concurrence. Développer outre mesure, en Calédonie, la culture du caoutchouc serait une erreur, qui conduirait à des déboires certains.

Toutes ces cultures peuvent aider le colon à subsister, lui apporter un surcroît de bénéfices ; mais, pour prospérer, il lui faut trouver un emploi plus rémunérateur de son capital et de son travail, chercher une récolte qui soit toujours assurée, au dehors, d’une vente avantageuse. Le café remplit à peu près ces conditions ; sur lui repose tout l’avenir de la colonisation agricole en Calédonie ; grâce à la demi-taxe dont il profite à l’importation, il trouve en France un marché où il est protégé dans la proportion de 25 à 50 pour 100 de sa valeur ; il y vient concourir avec le café de nos autres colonies, des Antilles surtout et de la Réunion ; mais toutes nos possessions ensemble sont loin de suffire à notre consommation sans cesse grandissante ; elles ne nous fournissent que 1 à 2 pour 100 du café que nous absorbons et leur production n’a pas sensiblement augmenté depuis la diminution de taxe. Les prix, jusqu’à présent, sont à peu près rémunérateurs, ils le seraient encore davantage si la détaxe complète était accordée aux produits calédoniens. — Malheureusement le caféier est un arbuste délicat, il a besoin, pour rapporter des fruits, de conditions particulières de climat et d’exposition ; plus d’une fois des plantations ont été établies avec trop de hâte sur des terrains mal choisis ; l’arbuste se couvrait de feuilles et de fleurs, mais, quand arrivait la quatrième année, où le colon espérait enfin recueillir la récompense de ses peines, les fruits n’apparaissaient pas ; les fleurs, directement exposées aux vents salins de l’Océan, n’avaient pas fructifié ; et, au lieu du bénéfice escompté, c’est la ruine qui venait.

Les mêmes causes qui s’opposent au succès de certaines cultures entravent aussi l’élevage du bétail. Vers 1875, l’élevage des bœufs, pratiqué sur de vastes espaces, à la mode australienne, avait semblé réussir ; mais, tout d’un coup, l’offre arriva à dépasser la demande ; les cours tombèrent brusquement à rien, et, comme il n’était pas possible de trouver un débouché extérieur, ce fut un désastre que la création de l’usine de conserves de viande de MM. Prevet ne parvint que trop tard à conjurer. Aujourd’hui l’élevage donne de nouveau des résultats encourageans ; mais à l’élevage « extensif, » qui aboutissait à la destruction des cultures et des pâturages eux-mêmes par le bétail en liberté et qui avait été l’une des causes de la révolte de 1878, on s’efforce de faire succéder l’élevage « intensif » et l’on s’occupe davantage de tirer parti du laitage. Le gouverneur constate, dans son dernier discours, que les troupeaux de moutons augmentent lentement : il serait à souhaiter, en effet, que la Nouvelle-Calédonie pût fournir elle-même les gigots et les côtelettes qu’elle consomme ; mais il faut, d’autre part, éviter soigneusement toute surproduction, car notre île, voisine de l’Australie, ne saurait vendre au dehors un seul mouton.

Comment des colons venus de France, peu habitués pour la plupart à l’agriculture, ne possédant que le capital de 5 000 francs exigé au départ, ont-ils pu réussir au milieu de tant d’obstacles ? On est porté à se le demander et l’optimisme même des discours officiels est fait pour inquiéter. Dans son allocution du 3 novembre 1897, le gouverneur disait : « Ces familles, venues de France à mon appel, m’ont toutes remercié du conseil que je leur avais donné, » et, dans celle du 6 novembre dernier, il comptait, depuis le mois d’avril 1895, « 544 établissemens agricoles nouveaux, se décomposant ainsi :

« 148 créés par des jeunes gens du pays ;

« 396 par des familles d’émigrans, de fonctionnaires retraités et de militaires congédiés dans la colonie ;

« 39 familles sont reparties. »

Quelle est, sur ce chiffre de 396, la part des immigrans et celle des fonctionnaires retraités et des militaires congédiés ? Il serait intéressant de le savoir et l’on se demande pourquoi trois catégories aussi différentes de colons ont été confondues sous un même chiffre. Le gouverneur reconnaît qu’il y a eu « des insuccès dus à la malchance, à la paresse ou à l’imprévoyance[14]. » Mais, ce qu’il serait très intéressant de connaître, ce serait combien de colons arrivés avec 5 000 francs se tirent aujourd’hui d’affaire par le seul revenu de leurs concessions, combien ont été obligés de faire de nouvelles avances de fonds, combien ont fait venir en Calédonie, qui un frère, qui un ami, moins pour les associer à de brillans bénéfices que pour augmenter les chances de réussite en unissant leurs capitaux, combien enfin vivent tant bien que mal, sont endettés et menacés de ruine si de bonnes récoltes de café, suivies d’une vente avantageuse, ne viennent pas les sauver. Il serait plus délicat encore de chercher à savoir si quelques colons, tout en cultivant leurs terres, ne vivent pas en réalité des faveurs de l’administration, soit en bénéficiant d’une licence pour la vente de l’alcool, soit en devenant fonctionnaires à un titre quelconque, aux dépens parfois d’un ancien titulaire congédié, si d’autres encore ne sont pas devenus des commerçans ou des employés. En admettant d’ailleurs qu’il y ait des colons mécontens, — la lecture des journaux permet de le supposer, — quel moyen auraient-ils de faire parvenir jusqu’à Paris leurs doléances ? S’ils se plaignent tout haut, ils risquent de perdre leurs titres à la bienveillance de l’administration, d’être exclus de la catégorie des « bons citoyens » dont parlent si souvent les documens officiels et classés parmi les « adversaires de la colonisation libre. »

Voici le colon installé sur une concession fertile ; il a dépensé au moins 5 000 francs ; il a le bonheur, au bout de quatre ou cinq ans, d’obtenir une abondante récolte. Il lui faut encore faire cueillir son café, et là se pose la question complexe de la main-d’œuvre, sur laquelle nous devrons revenir ; puis il faut le transporter à Nouméa. Un double service de bateaux à vapeur fait le « tour de côte »[15] et dessert la plupart des centres de population et de culture ; mais beaucoup de plantations sont relativement éloignées de la mer et il est souvent difficile de transporter les cafés jusqu’au port. La Nouvelle-Calédonie n’a qu’une seule bonne route, à peine achevée, de Nouméa à Bourail, le long de la côte ouest ; le reste de l’île n’est sillonné que par des sentiers muletiers ou de simples pistes. Le Conseil général, en votant, dans sa session de l’automne 1898, un emprunt de 10 millions de francs, a décidé d’en consacrer la moitié à la construction d’un chemin de fer le long de la côte ouest[16]. A coup sûr, ce chemin de fer, une fois fait, rendra des services ; mais ne serait-il pas sage d’achever d’abord la route de la côte ouest, puis de relier les villages de l’intérieur à des ports par des chemins perpendiculaires aux rivages qui permettraient d’accéder facilement aux embarcadères ? La Nouvelle-Calédonie est un fuseau long et étroit ; ses moyens de communication les plus naturels et les plus économiques sont évidemment par eau. Toutes les colonies, actuellement, veulent avoir leur chemin de fer, et les « colonisateurs en chambre » de la métropole en tracent volontiers des milliers de kilomètres sur leurs cartes ; mais on néglige parfois d’étudier quel sera le rendement utile de la ligne et si des moyens moins coûteux ne procureraient pas des avantages équivalens. Le chemin de fer, dit-on très souvent, est l’outil par excellence de la colonisation et volontiers l’on cite l’exemple du Canada. Mais le Canada, continent massif, sans côtes, plat, glacé l’hiver, ne pouvait être fécondé que sur le passage d’une voie ferrée. Il en va tout autrement dans une île montueuse où l’on n’est jamais à plus de 25 kilomètres de la mer. Certes le chemin de fer calédonien serait très utile, mais la question est de savoir s’il ferait ses frais et si les services qu’il rendrait seraient proportionnés aux dépenses qu’il nécessiterait.

Les cafés embarqués pour l’Europe ont à payer 75 francs de fret par tonne, puis la demi-taxe à l’entrée en France, soit 78 francs par 100 kilogrammes. Ils sont enfin débarqués ; mais il reste à les vendre dans de bonnes conditions. Les cafés calédoniens ont un arôme très fin, mais, sans doute en raison de l’âge des plantations, ils sont légers ; ils sont aussi, il faut le dire, généralement mal préparés et mal triés ; l’on ne saurait les assimiler aux produits des vieilles plantations de la Guadeloupe, méticuleusement soignés et classés, comme des vins de grands crus. Les cafés calédoniens ont été, jusqu’ici, presque toujours vendus à leur valeur, moins cher que les produits de tout premier choix, mais de 5 à 10 pour 100 plus cher que les « Guayra, » les « Porto-Cabello » et autres cafés « de bon goût » de la côte de l’Amérique centrale[17]. On s’est plaint quelquefois que des négocians aient baptisé « Moka » ou « Bourbon » les cafés calédoniens, mais il faut tenir compte des habitudes de la clientèle, qui ne connaît pas la qualité des marques nouvelles qu’on lui offre et qui refuserait peut-être de payer les produits calédoniens au prix des cafés de luxe. Ni la bourse des planteurs, ni la réputation de leurs récoltes n’y ont perdu, au contraire. Les prix auraient donc été, tout compte fait, assez rémunérateurs pour payer les colons de leurs peines et stimuler leur ardeur, n’était la baisse générale qui a, depuis deux ans, diminué de moitié la valeur marchande des cafés.

En résumé, s’il nous semble prématuré d’annoncer que la colonie est entrée « en pleine période de vaches grasses[18], » il n’en faut pas conclure à l’insuccès de la colonisation agricole. La mise en valeur méthodique de la terre, un choix, raisonné et fondé sur l’expérience des cultures et des emplacemens, l’amélioration des voies de communication et du régime du crédit peuvent, joints à l’exploitation des mines, permettre à la Nouvelle-Calédonie un développement autonome très satisfaisant, mais que les. dimensions restreintes de l’île et les conditions de sa vie économique empêcheront toujours de dépasser une certaine limite. Nombre de colons ont déjà réussi, non pas sans doute à faire fortune, mais à vivre ; progressivement d’autres pourront trouver des conditions plus favorables d’établissement ; ils accroîtront peu à peu la prospérité de l’île et l’importance de ses échanges avec la France.


V

L’isolement de la Nouvelle-Calédonie et la présence d’une population indigène encore nombreuse y rendent le problème capital de la main-d’œuvre particulièrement délicat[19]. Des deux catégories d’Européens qui pourraient travailler sous ce climat excellent, l’une, celle des transportés, n’a jamais fourni que de médiocres ouvriers, et d’ailleurs sa disparition progressive est décidée ; quant à celle des immigrés, il serait imprudent de trop compter sur elle. Il est rare qu’un Européen se décide à quitter sa patrie, y fût-il misérable, avec la perspective de ne devenir, sur la terre lointaine, qu’un simple salarié. La main-d’œuvre blanche sera donc toujours rare et toujours coûteuse. L’établissement projeté en Calédonie de mineurs qui seraient en même temps de petits propriétaires peut avoir d’heureuses conséquences ; mais il ne fournira jamais qu’un contingent restreint de travailleurs, car le Français n’aime guère à s’expatrier et, si l’on recourt à des étrangers, à des Italiens par exemple, il ne faut le faire qu’avec une très grande prudence et dans de très minimes proportions, si nous tenons à rester les maîtres chez nous.

Il est plus facile d’amener des travailleurs asiatiques ou malais, et on l’a tenté plusieurs fois avec succès : l’on a introduit des Japonais et des Javanais qui se sont montrés bons ouvriers ; mais ils sont les sujets de gouvernemens étrangers qui peuvent, un jour ou l’autre, interdire ce genre d’émigration. Ouvrir la porte aux Chinois serait condamner à la ruine tout le petit commerce de l’île ; il suffit de constater quelles précautions prennent les Etats-Unis et les colonies australiennes afin d’éviter pareille invasion, pour être mis en garde contre une si grande imprudence. Les coolies du Tonkin, au contraire, pourraient devenir d’excellens auxiliaires pour nos planteurs ; ils sont robustes, sobres, énergiques, et de plus ils sont nos sujets : leur engagement fini, ils rapporteraient en pays français leurs économies. L’une des solutions de la question de la main-d’œuvre en Nouvelle-Calédonie est peut-être là, mais il faudrait que l’administration de nos deux colonies s’entendît ; et n’est-ce pas beaucoup demander ?

Les indigènes des Nouvelles-Hébrides ou ceux des Loyalty, qui viennent louer leur bras sur la Grande-Terre, rendent de grands services aux colons : croisés de race polynésienne, ils sont plus dociles et plus faciles à domestiquer que les Canaques, mais ils sont peu nombreux, ils ne s’engagent volontiers que pour quelques semaines, le temps de faire une récolte et d’amasser quelque monnaie. L’appoint de leur travail constitue néanmoins une précieuse ressource, et l’on est d’accord pour le reconnaître.

Mais quels services peut-on attendre de la population sauvage de la Grande-Terre ; jusqu’à quel point est-elle susceptible de civilisation et de progrès ; pourra-t-elle participer à l’œuvre de la mise en valeur de cette terre où elle végète depuis des siècles ; ou bien est-elle vouée, par la fatalité des lois de la nature, à une disparition prompte et inéluctable ? C’est la question complexe et délicate qui divise les opinions et que l’on retrouve, nous le verrons, jusque sous les graves dissentimens qui ont surgi parmi les Français de la Calédonie.

C’est un fait indéniable que, depuis la venue des colons blancs, le nombre des Canaques a diminué d’environ moitié ; on estime généralement qu’ils étaient 80 000 en 1853 et qu’ils ne sont plus guère aujourd’hui qu’une quarantaine de mille, répartis entre quarante à cinquante tribus. Faut-il voir dans ce phénomène l’effet inévitable d’une loi naturelle ? Est-il certain que « la vie civilisée et la vie sauvage semblent incompatibles sur le même sol » et que, si le climat est favorable aux blancs et si les indigènes sont « de vrais sauvages, » leur disparition soit fatale[20] ? Ou bien, au contraire, peut-on espérer de sauver les débris des tribus canaques et de les élever à un certain état social et moral supérieur ? Le problème intéresse au plus haut point la colonisation. Les indigènes de la Grande-Terre sont « habiles, adroits, ingénieux ; » accoutumés au contact des blancs et à un travail progressif, ils seraient capables de rendre les plus grands services aux colons. À ce titre seul la question de leur vie ou de leur mort serait intéressante, si elle ne touchait d’ailleurs à de hauts et difficiles cas de conscience moraux. Une fausse sensiblerie ne serait point ici de mise et il ne servirait de rien de s’insurger contre les lois de ta nature ; mais encore faut-il qu’il soit dûment constaté que l’extermination des Canaques est « une loi de la nature, » qu’ils sont «‘de vrais sauvages » et, comme tels, condamnés à disparaître par le seul contact de la civilisation ; encore faut-il prendre garde de ne pas conclure trop vite de quelques faits à une loi ; et enfin, si une expérience indiscutable condamnait à mort les Canaques, ne faudrait-il pas du moins accorder à cette agonie d’un peuple cette pitié respectueuse dont on entoure l’agonie d’un homme ?

La « civilisation, » à côté de ses bienfaits, apporte aussi avec elle ses maux et ses vices : leurs effets sur des hommes aux muscles d’acier, mais très peu préparés à résister à la maladie, mal vêtus, mangeant rarement à leur faim, vivant presque uniquement de légumes, sont très rapidement mortels. L’alcool fauche par centaines les indigènes et arriverait à lui seul à en exterminer la race. Ces causes ne suffisent-elles pas à expliquer la disparition des Canaques ? Aux îles Fidji, où la race est, il faut le dire, plus belle et plus forte qu’en Nouvelle-Calédonie, la population indigène s’accroît très sensiblement ; mais la loi anglaise, appliquée sans distinction de personnes avec une inflexible rigueur, punit d’une amende de 2 000 francs tout homme surpris à vendre de l’alcool aux sauvages : le remède est efficace. Aux Tonga, où les missionnaires vivent presque seuls en contact avec les Canaques, la population augmente. Qu’a-t-on fait, au contraire, en Nouvelle-Calédonie ? Longtemps la vente de l’alcool y fut prohibée, mais des libérés couraient la brousse, vendant aux indigènes d’abominables liqueurs, et certains colons n’étaient pas plus scrupuleux ; la surveillance et la répression de ce trafic clandestin étaient presque impossibles. A Nouméa, la vente de l’alcool était devenue une industrie réservée aux cochers des voitures de place : le dimanche, les Canaques louaient une voiture, s’en allaient dans la campagne et le cocher, tirant de son coffre une bouteille, versait les rasades ; il va sans dire que la course coûtait cher aux malheureux indigènes. Malgré la facilité de frauder, les Canaques, cependant, ne pouvaient se procurer de l’alcool qu’assez rarement et à des prix qui ne leur permettaient pas toujours de satisfaire leur passion. Mais, il y a deux ans, le gouverneur et le Conseil général, jugeant toute interdiction inutile puisque inefficace, autorisèrent la libre vente des boissons spiritueuses ; des licences de distiller l’alcool et d’en faire commerce, octroyées aux colons, servirent parfois, au moment opportun, à leur faire attendre plus patiemment les bénéfices encore incertains de leurs cultures. — Aujourd’hui, le poison exerce librement ses ravages ; sur les organismes débilités des Canaques, il produit des effets effroyables ; et, en vérité, il est facile de s’expliquer qu’une race soit condamnée à disparaître « au contact de la civilisation, » quand on voit « la civilisation » apporter avec elle de pareils instrumens de mort.

Les Canaques sont certainement capables de progrès ; un certain nombre d’entre eux se sont déjà mis à cultiver avec succès le café ; comme marins, comme pêcheurs, comme courriers, ils peuvent être utilisés avec profit. Pour la culture, plusieurs colons, qui savent leur inspirer confiance, sont parvenus à tirer de leurs services un excellent parti ; on voit même de petites tribus, réduites à quelques familles, venir se réfugier dans un coin d’une concession et, si le colon sait leur faciliter une vie conforme à leurs habitudes, accepter facilement de travailler pour lui. Un tiers environ des indigènes sont catholiques, et il est remarquable que la population, dans les villages convertis, diminue beaucoup moins et souvent même augmente ; le nombre des naissances semble y être plus grand, et des indigènes des tribus voisines viennent parfois s’agréger à ces communautés plus stables et plus pacifiques. Il serait de bonne politique de ne pas retarder, par des tracasseries administratives, la propagation civilisatrice du catholicisme parmi les Canaques.

L’on ne saurait nier que l’opération dite du « cantonnement » ait profondément troublé la vie et les habitudes des indigènes. En principe, il était parfaitement légitime, en présence de la diminution du nombre des anciens habitans, de reprendre aux tribus une partie des terres qu’elles occupaient et dont, en maints endroits, nous leur avons reconnu, par des traités, le droit de jouir ; mais l’exécution de cette mesure ne pouvait manquer d’être douloureuse pour ces peuplades primitives ; souvent il leur a fallu déplacer leurs cases, quitter les champs où, de temps immémorial, elles faisaient pousser les ignames et les taros, pour en prendre d’autres qui, même lorsqu’ils étaient aussi fertiles, n’étaient plus les mêmes ; un changement d’habitudes devient une révolution pour des sauvages chez qui les vieilles coutumes se transforment si aisément en rites. Une si délicate opération ne pouvait guère se passer sans violences, sans froissemens graves. Comment d’ailleurs éviter que certains agens n’outrepassent leurs instructions et que des injustices partielles ne soient commises ? Peut-être a-t-on trop oublié que l’indigène ne peut se plier brusquement aux procédés de la culture resserrée ; il a l’habitude de planter ses ignames très espacés et de ne revenir au même champ qu’après plusieurs années[21] ; une telle pratique exige des étendues relativement très grandes. Sans remonter aux fameuses affaires d’Ina, Tyéti et Poindimié, qui ont provoqué une interpellation de M. Isaac au Sénat et le voyage d’un inspecteur des colonies, il est certain que les indigènes ne sont pas toujours traités avec douceur, ni même avec justice. Comment s’en étonner quand on lit sur ce sujet des affirmations comme celles qu’émettait M. Jean Carol, au retour de son voyage quasi officiel en Calédonie : « Ces peuplades cruelles, sanguinaires, toujours en guerre entre elles, cannibales par surcroît, sans aucune aptitude à fonder quoi que ce soit qui ressemble à une société, inférieures sous ce rapport à certaines républiques d’animaux, n’ont jamais occupé légitimement le pays où on les a trouvées. » Les journaux calédoniens nous ont tout récemment raconté une scène où un administrateur aurait publiquement insulté et frappé un chef important qui était arrivé en retard de quelques minutes à un rendez-vous pour une opération de cantonnement. Sans doute, l’administration peut alléguer qu’elle ne procède jamais à l’allotissement sans avoir obtenu le consentement des chefs ; mais, avec ces hommes primitifs, l’administration, qui dispose des gendarmes et qui parfois en abuse, a des moyens de persuasion auxquels les Canaques ne résistent guère ; et d’ailleurs, quand un chef paraît faire quelques difficultés, on a d’autres procédés, on s’avise tout à coup qu’il n’est pas le chef légitime, on le dépose et l’on trouve facilement, moyennant quelques promesses ou quelque argent, un Canaque plus docile ; on l’affuble d’une veste galonnée, il devient, comme disent les indigènes, « chef pour administration » et l’on procède avec lui au partage des terres. De ce que les Canaques ne se sont pas révoltés et n’ont pas murmuré tout haut, il serait téméraire de conclure qu’ils ne se plaignent pas d’une opération, nécessaire sans doute et légitime en principe, mais qui resserre leur domaine et trouble leurs habitudes. Le Canaque est dissimulé et la crainte le fait souvent mentir ou se taire ; avec lui, toute enquête officielle est illusoire[22] ; il renferme en lui-même ses sentimens jusqu’au jour où, brusquement et sans qu’on puisse le prévoir, il se rue, comme en 1878, sur les blancs et assouvit, dans un accès de rage folle, toute la haine qui, silencieusement, s’est accumulée dans son âme sauvage.

Une cause nouvelle d’agitation et de trouble a été le vote, en 1898, par le Conseil général, sur la proposition du gouverneur, d’un impôt de capitation sur les seuls indigènes. Ceux-ci, à la vérité, ne payaient pas d’impôt direct, mais il est juste de remarquer que les objets qu’ils achètent le plus volontiers sont précisément ceux qui sont soumis aux droits les plus élevés, comme le tabac et l’alcool qui paye 200 pour 100. En faisant peser sur les indigènes seuls cette nouvelle charge, on n’apportait qu’un faible appoint à l’équilibre du budget et l’on froissait ce sentiment de justice qui est inné même dans les âmes les plus frustes. Le Conseil d’État avait déjà refusé d’admettre ce mode d’assiette de l’impôt ; le ministre des Colonies, s’appuyant sur cet arrêt, vient d’interdire de continuer en 1900 la levée de la capitation sur les indigènes et nous doutons que, malgré les protestations peu respectueuses du Conseil général et la leçon qu’il prétend donner au Conseil d’Etat et au ministre, en appelant « du ministre mal informé au ministre mieux informé, » la mesure soit rapportée. Le Conseil d’Etat et le ministre nous paraissent avoir sagement agi en éliminant cette cause de troubles et en préférant la justice et le repos de la colonie à un impôt qui serait vexatoire, peu productif, difficile à lever et qui risquerait de pousser à bout les Canaques.

Le gouverneur, dans son dernier discours, déclare les indigènes « capables de s’élever à une civilisation très supérieure à celle que nous avons trouvée chez eux quand nous les avons conquis » et il proclame que notre devoir est de les sauver ou, tout au moins, « de retarder leur disparition, qui amènerait une diminution de la valeur économique de la Calédonie. » On ne saurait mieux dire et il est à espérer que de promptes et énergiques mesures vont être prises pour enrayer le fléau de l’alcoolisme et pour faire rentrer le calme et la paix parmi les Canaques, qui pourront devenir, pour la colonisation agricole, des auxiliaires très précieux. Ce grand résultat, nous l’obtiendrons, non pas en imitant « l’exemple de nos ancêtres les barbares, » mais bien plutôt, selon la parole de Turgot, en cherchant d’abord à « gagner le cœur des Indiens[23]. »


VI

Calme et bleue au milieu du flot qui se brise sur sa ceinture de corail, la Nouvelle-Calédonie, à plusieurs milliers de lieues de la mère patrie et de ses agitations, ne devrait, semble-t-il, percevoir qu’un écho atténué de nos querelles politiques et religieuses. Il suffit de lire les journaux de l’île, de feuilleter les comptes rendus du Conseil général ou les discours même du gouverneur, pour éprouver la désillusion du voyageur de La Bruyère, entré dans la petite ville qui lui apparaissait si sereine et si riante du haut de la colline prochaine. La Nouvelle-Calédonie est déchirée par la bataille des partis, et les esprits sont d’autant plus intraitables qu’à des passions acclimatées de France se mêlent des luttes d’intérêts et d’influence locale[24]. Le représentant de la France lui-même, arbitre et pacificateur suprême de par sa haute fonction, semble parfois prendre l’attitude d’un chef de parti. Parmi les journaux, les uns parlent couramment du « parti feilletiste, » les autres du « parti clérical » ou du « parti hostile à la colonisation libre. » Nous ne nous arrêterions pas à ces querelles, si elles n’étaient que le contre-coup des passions continentales ou que la suite des entreprises coutumières de la « loge » contre l’évêque, mais elles atteignent les intérêts vitaux de la colonie.

Si l’on parcourt les feuilles patronnées par l’administration ou les discours de M. Feillet, le retour perpétuel des mêmes reproches laisse apercevoir le fond même du litige ; c’est aux missionnaires et à leurs amis qu’il est fait allusion quand on parle des « adversaires de la colonisation libre, » et, par deux fois, en 1897 et dans son dernier discours, le gouverneur, usant de la même formule, a dit : « Les excitations n’ont pas été épargnées aux Canaques, et il serait prudent, pour les adversaires de la colonisation libre, de quitter désormais ce terrain aussi dangereux pour eux que pour la colonie... Bien qu’ils continuent avec un zèle inlassable, — j’en ai la preuve, — les excitations sinon à la révolte, du moins à la désaffection, au mécontentement, à l’hostilité sourde, tout le monde sait bien aujourd’hui que cela n’est plus possible. » Voilà donc des griefs bien nettement formulés ; quant aux preuves, toujours annoncées, elles n’ont jamais été produites. Et comment pourrait-on croire que les missionnaires qui ont donné l’île à la France, qui ont fait des sacrifices pour la colonisation, qui ont eux-mêmes, à Saint-Louis, un établissement agricole modèle, soient les « adversaires de la colonisation libre ? » Est-il possible d’admettre qu’un homme comme Mgr Fraysse que les gouverneurs les moins « cléricaux » ont toujours considéré comme le meilleur ouvrier de l’œuvre française en Nouvelle-Calédonie, nourrisse de tels desseins contre « la colonisation libre » et excite les Canaques à une révolte où les missionnaires ne seraient pas épargnés ? Outre que l’évêque et ses prêtres protestent énergiquement contre une pareille supposition[25], il semble évident qu’il ne saurait y avoir là qu’un malentendu dont les origines sont, après ce que nous avons dit, faciles à apercevoir. La question des indigènes est la cause première de la querelle. Aux yeux du missionnaire, le Canaque est avant tout un homme dont l’âme vaut celle de l’Européen ; il aime l’indigène de toute la force de sa charité chrétienne, comme une créature de Dieu promise à la vie éternelle ; il est devenu tout naturellement le confident et le conseiller des tribus catholiques. Et comment lui ferait-on un crime de défendre, lorsqu’il les croit lésés, les intérêts matériels et moraux des Canaques ? L’administration, naturellement, et sans qu’on puisse lui en faire grief, est portée à considérer les indigènes au point de vue de la main-d’œuvre, ou au point de vue de l’impôt ; même avec la meilleure volonté d’être paternelle, elle représente la race conquérante.

Témoins sur place des froissemens peut-être inévitables et des injustices partielles qui accompagnaient l’opération du « cantonnement » ou la levée de l’impôt de capitation, les missionnaires ont essayé de s’entremettre et, tout en donnant aux indigènes des conseils de soumission, ils se sont efforcés d’adoucir pour eux les exigences de l’administration ou de fléchir les rigueurs de la loi. Comment le leur reprocherait-on ? On ne saurait non plus s’étonner que les missionnaires déconseillent aux indigènes qui les consultent de travailler chez certains colons, quand on sait comment quelques colons abusent de toutes façons des indigènes, ne se font guère scrupule de les exploiter ou de leur payer en alcool un salaire promis en argent ; les missionnaires, au contraire, poussent de toute leur influence les Canaques à travailler chez les colons honnêtes qui respectent en eux des créatures humaines et des chrétiens. Voilà les sources réelles du malentendu et l’on s’explique comment il a pu dégénérer en une guerre religieuse. Le gouverneur, tout entier à ses louables efforts de colonisation agricole, assailli par les plaintes de planteurs en lutte avec les difficultés du début, irrité des critiques des adversaires de sa méthode, autoritaire d’ailleurs par tempérament, — il suffit de lire ses discours pour s’en convaincre, — et enclin peut-être, comme le sont tant de Français, à apercevoir partout la main du « clérical, » en vint très vite à considérer les missionnaires comme responsables des obstacles qui surgissaient, nous l’avons montré, par la force même des choses, à l’encontre de ses projets. Dès lors, la lutte contre le « cléricalisme » commença ; le Radical, encouragé par l’administration, fut fondé pour déverser l’injure et la calomnie sur la mission ; le Conseil général d’alors, qui, partisan en principe de la colonisation libre, n’approuvait pas tous les projets du gouverneur et les jugeait trop hâtifs ou mal adaptés à l’état réel du pays, fut deux fois dissous et enfin remplacé par une assemblée recommandable surtout par sa docilité. Chacun sait d’ailleurs ce que sont les élections dans les colonies et il est superflu d’insister. Il était moins facile de briser l’évêque que de changer la majorité dans une assemblée élue ; le gouverneur, cependant, n’y a rien épargné : tantôt en provoquant une inspection du « Père visiteur » en résidence à Sydney, tantôt en portant ses plaintes à Paris et jusqu’à Rome, il a tenté de faire partir Mgr Fraysse et même de remplacer les missionnaires, qui ne coûtent presque rien à la colonie, par un clergé séculier, qu’il lui faudrait subventionner. Les résultats de cet antagonisme ont été désastreux : l’île s’est trouvée partagée en deux camps ennemis, l’un soutenu par l’administration et vers lequel glissaient, comme par une pente naturelle, les faveurs dont elle dispose, l’autre traité avec d’autant moins de bienveillance qu’il ne ménageait pas ses critiques ; la partialité sembla devenir un système de gouvernement. On crut remarquer que le gouverneur, dans une de ses tournées aux îles Loyalty, se détournait des maisons des missionnaires et s’arrêtait de préférence chez les ministres ou chez les chefs protestans ; on raconta que, dans une tribu très sauvage du nord de la Grande-Terre, il avait laissé entendre au chef qu’il ferait bien de ne pas aller chez le missionnaire. Ces bruits étaient la suite naturelle de la politique de M. Feillet : il était notoire qu’il ne favorisait pas la mission et, tout naturellement, certains colons, fonctionnaires ou indigènes lui firent l’injure de croire qu’ils seraient mieux vus et mieux notés par lui en le dépassant dans son hostilité avérée contre l’évêque et les Pères. La guerre « anticléricale » devint en Calédonie ce qu’elle est dans certaines sous-préfectures ou dans certaines communes de France : une série de vexations, de mesquineries et de procès de tendances qui entretiennent l’esprit de haine et sèment le mécontentement.

Sur la Grande-Terre, les indigènes étaient tous païens ou catholiques, quand M. Feillet permit à des teachers protestans des îles Loyalty de venir en Calédonie et de s’installer à Houailou. Ces teachers sont des catéchistes indigènes, convertis par les pasteurs à une religion très simplifiée, et qui,. comme tous les indigènes protestans de ces îles, ont gardé du long séjour des révérends anglais, une sorte de patois britannique et la notion de la supériorité de l’Angleterre sur tous les peuples. Le séjour de la Grande-Terre leur avait été jusqu’ici sévèrement interdit : on exige bien de ceux à qui l’on permet aujourd’hui de s’y établir qu’ils connaissent le français, mais comment les empêchera-t-on de baragouiner leur patois ? Déjà ils ont groupé autour d’eux, avec le bienveillant appui de l’administration, quelques indigènes, et l’on peut entendre dire à leurs disciples que l’Angleterre est supérieure à la France, parce qu’elle est protestante. Les journaux dévoués à l’administration célèbrent l’introduction des teachers comme une victoire de la « liberté de conscience » et ils attestent les principes de 1789 ! Semer la guerre et la division là où régnait la paix et l’unité, est-ce donc en cela que consiste la liberté de conscience ? Introduire dans une île française des élémens fatalement hostiles à l’influence française, est-ce là une œuvre patriotique ?

Quand les passions politiques sont déchaînées, nulle force n’en saurait contenir les dangereux excès ; elles dénaturent même les actes les plus innocens et conduisent aux pires injustices. C’est ainsi, par exemple, qu’on vit le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie accuser officiellement<ref> Discours du 3 novembre 1897. </<ref> les missionnaires d’avoir incité à reprendre la mer deux colons à peine débarqués : il fut prouvé que les deux colons, pendant leur court séjour dans l’île, n’avaient eu aucun rapport avec la mission. Une mesure récente prive de bourses dans les établissemens secondaires de l’Etat les anciens élèves des écoles libres, c’est-à-dire la majorité des enfans. Comment, après cela, s’étonner de certaines critiques malveillantes ; comment empêcher les journaux peu favorables à l’administration de faire remarquer les attaches protestantes de M. Feillet, de souligner la qualité de protestans d’un instituteur et de sa femme qui viennent d’être mis à la tête d’une école d’instituteurs indigènes, ou encore de noter le nombre des protestans qui sont fonctionnaires de l’instruction publique en Calédonie ? Comment répondre, lorsque les mêmes journaux se demandent si les querelles qui divisent la colonie ne seraient pas un effet de cette politique protestante et maçonnique dont personne n’ignore plus le rôle prépondérant dans l’histoire du Culturkampf français ? Il ne nous appartient pas de discuter ici le bien fondé de pareils soupçons ; mais, qu’ils naissent, c’est la triste conséquence de ces luttes religieuses dont Gambetta proscrivait sagement « l’exportation » et dont nous sommes obligés de constater les conséquences délétères.


Il ne sied point de clore ces quelques pages sur une image de discorde, puisque, malgré tout, la Nouvelle-Calédonie travaille et grandit. Nous avons constaté ses richesses, les promesses d’avenir qu’elle porte en elle et les progrès déjà réalisés ; nous avons indiqué aussi quels obstacles sa situation géographique et la nature de sa vie économique opposent à son développement : il convient de conclure par une observation plus générale. Toujours portés à l’abstraction et aux théories, les Français font trop souvent de la colonisation comme ils font de la politique, sans esprit pratique, sans plan d’ensemble, sans connaissance suffisante des problèmes. La Nouvelle-Calédonie est une parcelle de notre empire d’outre-mer, qui forme lui-même un tout économique avec la France : la loi de sa croissance l’oblige à tenir compte des intérêts des autres colonies et de la mère patrie. Avec le nickel et le café, elle semble avoir trouvé les deux élémens d’une prospérité durable ; c’est dans cette voie qu’elle fera bien de porter tout son effort et tous ses capitaux et qu’elle pourra réussir sans se heurter à la concurrence d’autres possessions françaises. Les momens difficiles par lesquels a passé notre grande île du Pacifique provenaient, soit de l’incertitude des méthodes de colonisation, soit des désillusions qui suivent les trop belles espérances ; et il est à craindre qu’un jour ou l’autre de nouvelles crises ne naissent de la répétition des mêmes fautes ; l’histoire de la Nouvelle-Calédonie nous enseigne à coloniser avec prudence et d’après un plan rationnel et pratique, mais sans esprit de système et sans un vain étalage de théories. Le souvenir des péripéties héroïques des temps de la conquête et le spectacle des querelles d’aujourd’hui devraient aussi nous avertir que, si l’on crée par l’union, l’on risque de détruire par la haine.


RENÉ PINON.

  1. Il faut lire, dans l’émouvant récit du P. de Salinis (Marins et missionnaires, Conquête de la Nouvelle-Calédonie, 1843-53. Victor Retaux, 1892), l’histoire, écrite d’après des témoins oculaires, de la prise de possession de l’île par la France.
  2. Il existe déjà un service américain par voiliers, avec escale à Nouka-Hiva.
  3. . Déjà les chiffres sont singulièrement éloquens et se passent de commentaires :
    Tahiti — Année 1898.
    Francs.
    Importations 2 997 147
    Exportations 2 960 334
    Commerce total avec les États-Unis 2 299 380
    — — la Nouvelle-Zélande 1 169 184
    — — la France et ses colonies 812 109
    — — l’Angleterre 498 524
    — — les Açores 371 823
    — — la Russie 134 450
    — — l’Allemagne, etc 134 331
  4. Trois fois par an, des voiliers de Bordeaux viennent à Tahiti ; tous les cinq mois, un transport de l’État fait la relève de la garnison et des fonctionnaires.
  5. Voyez, sur cette question, les articles de M. Paul Mimande dans la Revue des 15 mai et 15 juillet 1893. — Voyez aussi une étude historique de la colonisation pénale, dans : l’Archipel de la Nouvelle-Calédonie, par M. Augustin Bernard (1 vol. in-8o, 1895 ; Hachette).
  6. Le minerai exploité est un silicate double de nickel et de magnésie ; la teneur en métal la plus courante dans les gros chargemens de plusieurs milliers de tonnes varie de 7 à 10 p. 100 ; mais on délaisse, pour obtenir cette proportion, des masses énormes de minerai contenant 4 à 5 pour 100 de métal. Certains échantillons atteignent jusqu’à 30 p. 100.
  7. On exploite à Sudbury, au nord du lac Supérieur, des pyrrhotines nickelifères qui ont l’inconvénient grave de contenir de l’arsenic et de ne renfermer qu’une faible proportion de métal (3 1/2 p. 100).
  8. Le tableau des dividendes distribués par la société « Le Nickel » et du cours moyen des actions montre bien les fluctuations de la valeur du nickel et de la prospérité des mines calédoniennes.
    Exercices. Dividendes. Cours moyen des actions.
    francs. francs.
    1890-91 40 823 en 1891
    1891-92 40 961 » 1892
    1892-93 30 705 » 1893
    1893-94 0 444 » 1891
    1894-95 0 210 » 1895
    1895-90 0 165 » 1896
    1896-97 0 245 » 1897
    1897-98 0 282 » 1898


    Les résultats de l’exercice 1898-99 ne sont pas encore connus ; mais il a été mis en paiement, le 8 novembre 1899, un acompte de 10 francs par action ancienne et de 2 francs par action nouvelle sur le dividende de l’exercice 1898-99.
    Le cours du nickel est actuellement de 3 fr. 50 environ le kilogramme. Il était de 5 fr. 20 en janvier 1893 et descendit ensuite d’une façon continue jusqu’à 2 fr. 40 à la fin de 1895. Il était de 3 francs en 1897-98.

  9. L’on espère actuellement parvenir, par un nouveau procédé électrique, à séparer le nickel de la plus grande partie des matières inutiles.
  10. Sur tout ce qui concerne les mines voyez, outre le livre déjà cité de M. Bernard : Les mines de la Nouvelle-Calédonie, par Louis Pelatan. Publication du journal le Génie civil, 1892.
  11. Voyez, parmi les publications de l’Union coloniale, le Guide de l’émigrant en Nouvelle-Calédonie (1897).
  12. Discours du 6 novembre 1899 (Nouméa, Imprimerie calédonienne).
  13. M. Augustin Bernard donne les chiffres suivans :
    Hectares.
    Pâturages 400 000
    Terres médiocres 100 000
    Bonnes terres (terres à caféiers, mûriers, vignes, etc.) 250 000
    Très bonnes terres (alluvions) 45 000
    Forêts 120 000
    Parties improductives 1 000 000
  14. Discours prononcé à l’inauguration de l’Exposition locale de 1899.
  15. Le prix du fret varie, à l’aller, de 10 à 26 francs par tonne ; au retour, il est uniformément de 10 francs.
  16. Voyez la brochure : Emprunt de dix millions, publiée par décision du Conseil général (10 décembre 1898, Imp. calédonienne).
  17. Les cafés calédoniens, en 1897 et 1898, ont été cotés sur place entre 1 fr. 50 et 2 francs le kilogramme. D’après les chiffres de la douane, il en a été importé, dans ces deux années, pour une valeur de 691 000 et de 712 000 francs, ce qui indique une production un peu inférieure à 500 000 kilogrammes.
  18. Discours du gouverneur, 6 novembre 1899.
  19. Voyez, sur cette question, une conférence de M. Feillet, publiée dans la brochure de l’Union agricole calédonienne et intitulée Exposition locale 1899 (Imp. calédonienne).
  20. Voyez Augustin Bernard, ouvrage cité, p. 297.
  21. M. Aug. Bernard (ouv. cité, p. 290) N donne le chiffre de sept ans, qui nous paraît exagéré : c’est en général trois ans.
  22. Voyez, par exemple, le rapport de la commission d’enquête nommée à l’occasion des troubles de Wagap, Ina et Tyéti, dans le Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie du 6 janvier 1900.
  23. Turgot, Mémoire à Louis XV (1764), cité par M. Marcel Dubois, Systèmes coloniaux et peuples colonisateurs (Plon, 1895), p. 270.
  24. On s’étonne, en présence de cette situation, de lire, dans les premières lignes du discours du gouverneur du 6 novembre 1899 : « Nous sommes en pleine paix morale. » Quelques passages du discours lui-même sont bien la preuve du contraire.
  25. Voyez notamment la lettre de Mgr Fraysse, publiée dans la Quinzaine coloniale du 25 février 1898.