La France et le pape Léon XIII

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La France et le pape Léon XIII
Revue des Deux Mondes3e période, tome 116 (p. 397-430).
LA FRANCE
ET
LE PAPE LÉON XIII

Trois documens ont été publiés dans les dernières semaines de 1892, qui se ressemblent en plus d’un point et notamment en celui-ci : que tous les trois attribuent comme fin suprême à la politique de Léon XIII la restauration du pouvoir temporel des papes. Tous les trois également, ou du moins deux d’entre eux, partent de cette observation que Léon XIII, dès le commencement de son règne, a marqué pour la France une prédilection particulière, qui ne s’est jamais démentie et que rien n’a pu décourager. De là, à construire le syllogisme suivant, c’est l’affaire d’un trait de plume. Le commun et constant objet de la politique de Léon XIII est la restauration du pouvoir temporel. Or, Léon XIII réserve pour la France seule ses bienfaits et ses grâces. Donc Léon XIII attend de la France la restauration du pouvoir temporel.

Jeu d’esprit d’autant moins difficile et d’autant plus intéressant que les documens dont il s’agit ont respectivement pour auteur : un professeur de droit, un diplomate, un philosophe platonicien. Le professeur de droit est un Allemand, M. H. Geffcken, le philosophe est un Italien, M. Bonghi ; quant au diplomate, il reste masqué, — s’il se démasquait, serait-ce un diplomate ? mais on a d’assez bonnes raisons de le croire Autrichien ou Hongrois. Une triple alliance, comme on voit : discrète sans doute et modérée, telle qu’on la peut attendre d’une trinité aussi sage, mais enfin un extrait ou plutôt trois extraits de la triple alliance.

Professeur, diplomate et philosophe cosmopolites. L’Allemand écrit en français, l’Austro-Hongrois en anglais ; il n’y a que l’Italien qui, une fois n’est pas coutume, ait écrit en italien. La brochure française de M. Gefflcken a pour titre : Léon XIII devant l’Allemagne ; l’étude anglaise du diplomate autrichien, la Politique de Léon XIII ; l’article de M. Bonghi : l’Église et l’Italie. — Lettre ouverte à sa sainteté Léon XIII. La brochure a paru vers le milieu d’octobre ; l’étude du diplomate, dans la Contemporary Review du même mois ; l’article de M. Bonghi, dans la Nuova Antologia du 1er décembre. Identité d’inspiration, simultanéité de publication, no sommes-nous pas en présence d’une sorte « d’action parallèle ? »

J’écarte M. Bonghi, qui est (tous les ministres de son pays l’ont éprouvé à leurs dépens) un indiscipliné, un humoriste, qui ne sait obéir qu’à lui-même et, encore, lui-même ne s’obéit guère : à celui-là, on n’impose pas de plan préconçu : il dit ses vérités même à la triple alliance[1]. Mais pour les autres, pour M. Geffcken et le diplomate de la Contemporary Review, « l’action parallèle » est certaine ; ou le fond et la forme ont été combinés à l’avance jusqu’aux moindres détails, ou l’imitation va jusqu’au plagiat ; ou bien M. Geffcken a servilement copié le diplomate de la Contemporary Review, ou bien il n’y a pas de diplomate austro-hongrois dans cette affaire et c’est M. Geffcken, le diplomate masqué de la Contemporary Review.

Peu importent, au surplus, le va-et-vient, les transformations des personnages ; un même fil les tient attachés, un même doigt les fait mouvoir. C’est ici le grand et unique théâtre de la politique internationale ; les comédiens s’agitent sur la scène, mais le poète est dans les coulisses, inquiet, anxieux, suivant de l’œil et de l’oreille sa pensée qui parle, sa volonté qui marche. De tout ce que peuvent dire plus ou moins finement le financier, l’amoureux et le traître, il n’y a que cette volonté à surprendre, cette pensée à dégager.

Nous allons tâcher de le faire. Nous allons reprendre un à un les termes du syllogisme qu’on nous propose et qu’on voudrait nous imposer, examinant successivement quelle a été la politique de Léon XIII envers les différens États, ce qu’elle a été d’après M. Geffcken et le diplomate, d’après M. Bonghi, ce qu’elle a été d’après les publicistes catholiques qui se sont donné ou qui ont reçu la mission de réfuter ces allégations, ce qu’elle a été dans la réalité des faits. Nous insisterons, nous aussi, puisqu’on y insiste, sur la politique du pape vis-à-vis de la France. Nous rechercherons si vraiment Léon XIII se décide et se dirige par l’obsédant désir du rétablissement du pouvoir temporel ; si ce rétablissement, à supposer qu’on dût l’attendre de quelque puissance terrestre, il pourrait l’attendre de la France ; si l’histoire, si la logique lui permettent de l’espérer. Comme le syllogisme en discussion ne repose que sur cette hypothèse, la base manquant, il s’écroulera. Nous aurons alors à rechercher quels sont les véritables motifs de la politique pontificale ; nous confronterons ses adversaires avec ses partisans ; nous ferons, sur les textes, la critique de leurs assertions et, en ce qui touche spécialement la France, nous apporterons dans le débat, pour la valeur qu’il peut avoir, notre témoignage personnel.


I

M. Geffcken s’occupe de Léon XIII, surtout par rapport à l’Allemagne. Il a contre le pape plusieurs griefs. Le premier remonte à onze ans de distance, à 1882. En 1882, M. H. Geffcken, membre du conseil d’État de l’Alsace-Lorraine, vint à Rome, chargé d’une mission officieuse par le statthalter, le maréchal de Manteuffel. Il devait exposer confidentiellement au cardinal Jacobini, secrétaire d’État de sa sainteté, deux affaires que M. de Manteuffel regardait comme fort importantes, mais qui parurent alors à la cour romaine et qui nous paraissent aujourd’hui d’importance très inégale. M. H. Geffcken représenta au cardinal qu’il a était nécessaire d’élargir les pouvoirs donnés au coadjuteur de l’évêque de Strasbourg, M. Stumpf. » Cela ne fit point de difficultés et ne dura que quelques semaines. Mis en goût par ce prompt succès, M. Geffcken risqua sa seconde requête. « Il faudrait, insinua-t-il, interdire au clergé alsacien de se mêler de l’agitation anti-allemande en Alsace[2]. »

Le cardinal Jacobini fit semblant de ne pas entendre. « Le secrétaire d’État ne voulut pas y mordre. » M. Geffcken revint à l’assaut. Le cardinal « s’excusa en disant que c’était contre les traditions de la Curie d’intervenir dans les affaires intérieures des États. » Notez cette phrase ; c’est autour d’elle que tourne toute la brochure de M. II. Geffcken. Mais, répliqua l’homme de confiance du maréchal de Manteuffel, le saint-siège est bien intervenu « en commandant au clergé de l’Alsace-Lorraine la prière officielle pour l’empereur. » Le secrétaire d’État répondit que c’était autre chose « puisqu’on pouvait prier pour tout le monde. » Instances, objurgations, rien n’y fit. M. Geffcken perdit patience. Il s’ouvrit de son insuccès à un ecclésiastique romain qui se contenta de sourire : « Cher monsieur, vous ne connaissez pas encore la cour de Rome ! » et qui, si les souvenirs de M. Geffcken sont exacts (ils peuvent et doivent l’être), expliqua le refus du cardinal Jacobini par la crainte de voir diminuer en France le denier de saint Pierre. Finalement, il lui conseilla de s’adresser au pape lui-même. Trop modeste négociateur à qui cette pensée ne serait pas venue !

M. H. Geffcken sollicita et obtint une audience. Il en décrit le cérémonial avec une pompe un peu naïve. Ce fut la plus ordinaire des audiences privées. M. Geffcken, introduit près du pape, débuta par un compliment. Il lui dit qu’il voulait partir pour Pérouse, mais qu’il avait préféré voir le Pérugin vivant au lieu du Pérugin mort. Léon XIII prit, à ce qu’affirme M. Geffcken, une si délicate flatterie en bonne grâce. Je le veux croire. Tout de suite, le pape vint au fait. Il remercia M. de Manteuffel « de la bienveillance avec laquelle il traitait l’Église d’Alsace-Lorraine. » Puis il attendit. M. Geffcken aborda peu à peu son sujet. C’est lui qui écrit « peu à peu. » Le pape l’aborda plus prudemment encore : il ne fit qu’écouter et interroger. M. Geffcken en conclut que « la situation n’était qu’imparfaitement connue de Léon XIII. » C’est bien hardi. M. Geffcken eût désiré s’étendre plus longuement sur ce chapitre, mais le pape y coupa court par une phrase dont le narrateur a dû forcer, sinon le sens, au moins l’accent : « Je vous autorise à assurer M. le maréchal que j’y mettrai bon ordre. » La réponse de Léon XIII n’a pas dû revêtir cette raideur tout allemande et militaire. Elle a dû n’être qu’une sorte de : « Nous verrons, » le Vedremo diplomatique et italien. Ce qui le prouve, c’est que, de l’aveu de M. Geffcken, aucun acte ne s’ensuivit.

Pendant toute la première partie de l’entretien, le saint-père avait laissé parler M. Geffcken. À peine M. Geffcken eut-il achevé ses doléances que le pape prit l’offensive et fit à l’envoyé de M. de Manteuffel cette déclaration très nette : « Il nous faut une révision de la législation ecclésiastique prussienne, inacceptable pour l’Église, par une loi qui définitivement rende justice aux plaintes fondées des catholiques et qui lie le gouvernement. Vraiment, je ne conçois pas qu’un homme d’État, comme le prince de Bismarck, ne comprenne pas que seulement une telle loi générale, conçue dans un sens large, peut mettre fin à la lutte déplorable que l’on a provoquée par les lois de mai. » L’audience fut levée là-dessus. Le succès de M. Geffcken était mince. Il était venu pour récriminer contre l’Église, et voilà que c’était l’Église qui récriminait contre l’Allemagne ; il était venu pour obtenir, et on lui avait demandé. En descendant les deux cents marches de la Scala Regia, il put se dire que l’ecclésiastique romain avait raison et que, une demi-heure encore auparavant, il ne connaissait pas la cour de Rome.

Nous n’avons pas, est-il besoin de l’assurer ? insisté sur cette anecdote en elle-même insignifiante, pour le vain plaisir de montrer M. Geffcken dans une posture assez embarrassée. Mais il est toujours bon de connaître l’état psychologique d’un homme qui prend la plume, de savoir si, en écrivant, il a ou n’a pas de passion. La brochure de M. Geffcken laisse partout percer du dépit ; ce dépit, on en voit la cause : il a échoué dans la mission que lui avait confiée M. de Manteuffel. Il a échoué en des conditions et sur un point qui devaient lui rendre particulièrement sensibles, particulièrement désagréables, certains actes postérieurs de la politique du souverain pontife. Il était venu solliciter l’intervention du pape, en faveur de l’Allemagne, auprès du clergé alsacien-lorrain. Le cardinal secrétaire d’État refuse, le pape répond évasivement. On invoque la tradition, qui est de ne pas intervenir. Plus tard, le saint-siège intervient et dans le différend des Carolines et dans le vote du septennat militaire et près des catholiques d’Irlande et près des catholiques français. C’est ce que M. Geffcken ne lui pardonnera pas. Lisez et relisez son factum. Vous n’y trouverez que cela. M. H. Geffcken, tout au long de ses soixante-dix pages, accuse le pape de contradiction, oubliant que la pire contradiction, c’est lui, M. Geffcken, qui la commet, lorsqu’il blâme Léon XIII d’intervenir dans les affaires intérieures des États et dans les conflits entre deux États, après avoir été, — inutilement, mais ce n’est pas sa faute, — le supplier d’intervenir dans la question franco-allemande en Alsace-Lorraine.

Ce mécontentement, ce dépit enlève beaucoup d’autorité à la dissertation politique de M. Geffcken. Les termes sont ainsi renversés ; l’accessoire devient le principal et le principal l’accessoire ; l’état psychologique de l’auteur passe avant le texte même de l’écrit. On ne voit guère qu’un point sur lequel il ait rendu justice à Léon XIII. C’est à propos du Kulturkampf, lorsqu’il dit, au contraire de ce qu’on a pu lire souvent, que l’attitude du pape en cette occasion est « une belle page de son histoire, » lorsqu’il avoue que « la suavité de Léon XIIJ, accommodante pour la forme et tenace pour le fond, » a triomphé de la volonté brutale de M. de Bismarck. Mais ici encore, le mécontentement entre pour quelque chose, et sa propre rancune contre le chancelier de fer rend à M. Geffcken cette concession plus facile.

À peine arrive-t-il au différend des Carolines qu’il perd toute sérénité, toute droiture de jugement. Il reproche amèrement à Léon XIII de ne s’être pas conformé à la parole du Seigneur : « O homme ! qui est-ce qui m’a établi sur vous juge et arbitre ? » Il lui reproche d’avoir « prêché dans le désert » en « offrant ses services » aux princes catholiques dont aucun n’avait auparavant a pensé à lui soumettre ses affaires. » Maintenant c’était un « tout-puissant ministre protestant. » C’était M. de Bismarck qui « venait réaliser le rêve du pape » d’être institué arbitre sur les nations. Mais M. Geffcken ne croit pas qu’au fond le pape « y ait gagné grand’chose. » Le docteur qu’on ne tue jamais, lorsqu’on a l’honneur de le porter en soi, se réveille triomphant en M. Geffcken. — Et d’abord, s’écrie-t-il, comment le pape aurait-il pu juger « d’après les principes établis du droit international ? Comment aurait-il méconnu la bulle d’Alexandre VI, Inter cœtera, de 1494, qui partageait le Nouveau-Monde entre l’Espagne et le Portugal ? Et la bulle d’Innocent XII qui proclamait le droit de l’Espagne sur les îles Carolines, comment Léon XIII l’aurait-il méconnue ? » Point de droit. À présent, point de fait ou de politique. Comment le pape aurait-il pu donner raison à l’Allemagne protestante contre la catholique Espagne ? (Un peu plus loin M. Geffcken accuse Léon XIII de n’avoir pas défendu la catholique Irlande contre l’Angleterre protestante, mais on a déjà vu qu’il n’en est pas à cela près, qu’une contradiction l’arrête.)

Au résumé, si, pour le différend des Carolines, M. Geffcken en veut au souverain pontife : 1° d’être intervenu ; 2° d’avoir prononcé en faveur de l’Espagne, — pour le septennat militaire, il lui en veut uniquement d’être intervenu. « C’était contre la tradition de la Curie de s’immiscer dans les affaires intérieures » des États. Et néanmoins, le 3 et le 23 janvier 1887, le cardinal secrétaire d’État, dans deux lettres adressées à Mgr Angelo di Pietro, nonce apostolique à Munich, exprimait le désir de voir le centre voter pour la loi sur le septennat. Le centre ne se soumit pas. Mais Léon XIII, à l’avis de M. Geffcken, avait commis une grande faute. Il avait « rompu avec une tradition séculaire de la Curie et que lui-même avait toujours maintenue. » Il avait repris le raisonnement d’Innocent III, expliquant son intervention dans des questions séculières : Non quia judico de feudo, sed quia judico de peccato. Sous le couvert de ce raisonnement, tous les empiétemens devenaient possibles, et M. de Bismarck, lui aussi, avait commis une grande faute en tolérant, bien plus, en implorant ce premier pas du pape. M. Geffcken le déclare sans ambages. Mais alors, encore une fois, qu’allait faire M. Geffcken à Rome, en 1882, de la part du maréchal de Manteuffel, statthalter d’Alsace-Lorraine ?

Pour commettre cette « grande faute, » il fallait que Léon XIII, que M. Geffcken veut bien ne pas prendre du tout pour un politique léger, eût un mobile très fort et presque irrésistible. Ce mobile, M. Geffcken nous le dévoile : c’est « l’idée fixe du rétablissement du pouvoir temporel, » laquelle idée fixe « domine toute la politique actuelle » du saint-siège. Remarquez que M. Geffcken ne doute, ni ne bronche, ni n’hésite. Axiome double, axiome à deux branches : Léon XIII a une idée fixe, qui est le rétablissement du pouvoir temporel ; cette idée fixe domine toute sa politique.

On ne sait si toute cette partie de la brochure de M. Geffcken, qui voudrait être désagréable au pape, sera des plus agréables à l’Italie officielle. Sans y traiter, en effet, la question romaine, que nous nous garderions, quant à nous, de poser seulement, M. Geffcken la pose et fait, au passage, cinq observations qui certainement auront appelé l’attention de la Consulta : 1° « On peut très bien admettre, écrit M. Geffcken, que la Roma capitale n’était pas une conséquence nécessaire de l’annexion des États pontificaux ; » 2° Cavour n’avait jeté ce cri de Rome capitale « que sous la condition expresse d’y arriver par une entente avec le pape et la France ; » 3° porter à Rome le siège du gouvernement, c’était « augmenter grandement les difficultés de la situation ; » 4° les faits n’ont pas justifié le mot de Victor-Emmanuel : « Rome est assez grande pour recevoir deux monarques ; » 5° « l’occupation de Rome ne répondait pas aux obligations internationales, prises par l’Italie dans la convention de septembre 1864 et ratifiées par une dépêche du ministre des affaires étrangères du 4 août 1870, lors de la retraite de la garnison française. »

Il est vrai que M. Geffcken passe tout aussitôt à la contre-partie, mais ses raisons pour l’occupation de Rome sont faibles par rapport aux raisons contraires : ce sont des raisons de sentiment, vagues comme toutes les raisons de sentiment ; ce sont de ces raisons du cœur, dont est faite souvent la raison d’État, mais que la justice, c’est-à-dire encore la raison dans les actes, ne connaît pas et ne peut pas connaître. M. Geffcken pense et parle comme M. Crispi, comme le grand-maître de la franc-maçonnerie italienne, M. Adriano Lemmi. Lorsque le ministère Lanza s’empara de Rome, quelques semaines après avoir renouvelé la promesse de n’y pas aller, que fit-il ? « Il agit sous la pression irrésistible du peuple. » M. H. Geffcken le déclare et il ajoute, comme l’eût fait Pantaleoni, comme l’ont fait tous les libéraux, avant et après 1870, « qu’il était temps de mettre fin au mauvais gouvernement de cet État de prêtres qui ne pouvait se soutenir que par des troupes étrangères et constituait un anachronisme politique, destiné à disparaître tôt ou tard. »

Nous ne voulons ni affirmer qu’il y a ni contester qu’il y ait dans ces argumens quelque chose de bien fondé. Sous la plume de Pantaleoni, de Bonghi, des libéraux italiens, sur les lèvres de M. Crispi et de M. Lemmi, ils ne nous étonnent pas, ils ne nous choquent pas. Mais comment ne pas les trouver étranges quand c’est un professeur de droit qui les produit, un professeur de droit international, instruit, par métier, de la valeur des traités et des engagemens internationaux, un homme qui n’oublie jamais qu’il est professeur de droit et qui glisse des thèses jusque dans ses diatribes ? Tournez le feuillet où il invoque « la pression irrésistible du peuple, » le devoir ou la nécessité « de mettre fin au mauvais gouvernement d’un État de prêtres, » à un « anachronisme politique ; » vous y apprendrez que « si le pape n’est plus souverain dans le sens du droit public (puisqu’il n’a plus ni territoire ni sujets) il est au moins traité comme tel dans tous les rapports essentiels. » Vingt lignes plus bas, autre thèse, ainsi formulée : « Le droit d’exclusion, exercé jadis par certains États contre des candidats désagréables, est dorénavant tombé en désuétude. » M. Geffcken demeure donc jusqu’au bout juriste et professeur, quoique, par endroits, on ne s’en douterait guère ; mais ne sait-on pas qu’une contradiction ne l’effraie point ?

Pour finir, voici la dernière et aussi la plus forte de toutes. M. Geffcken a précédemment reconnu que, sauf deux ou trois erreurs qu’il énumère, la politique du pape a été très habile. Il assure qu’après le 20 septembre 1870 « il ne restait au gouvernement italien qu’à prouver au monde catholique que la perte du pouvoir temporel laisserait intacte l’autorité spirituelle du saint-siège. » Il dit que la loi des garanties, « rendue à cet effet » le 13 mai 1871, et « tacitement acceptée par tous les gouvernemens, a fait ses preuves ; » que la situation actuelle « doit être regardée comme définitive, qu’aucun souverain italien ne peut plus abandonner Rome capitale, » que « si, par impossible, le pouvoir temporel était rétabli momentanément, la véritable difficulté serait de le maintenir. » Il ajoute que toutes les démonstrations en ce sens sont nécessairement vaincs et platoniques. « Les résolutions des assemblées catholiques n’y feront rien. » Le congrès international de Chicago, s’il se réunit en 1893, a laissera la question où elle est. » Certainement, le clergé a beaucoup d’influence aux États-Unis ; « mais croit-on que cette influence suffira pour déterminer le président à intervenir activement » pour une restauration du pouvoir temporel ? — Eh bien, alors, et la France ?

Ah ! la France, M. Geffcken s’en méfie. C’est vers elle que, depuis qu’il a échoué du côté de l’Allemagne, la triple alliance garantissant le statu quo territorial du royaume d’Italie, se sont tournés les yeux et le cœur de Léon XIII. Or M. Geffcken, qui en vingt minutes d’entretien a sondé la conscience et l’intelligence du pape, proclame que Léon XIII n’a devant les yeux d’autre image et dans le cœur d’autre passion que ce rétablissement, impossible selon lui, d’un pouvoir, précaire selon lui-même, M. Geffcken. Depuis vingt ans, la république était dans les conditions où s’applique la maxime de l’apôtre saint Paul (Rom., XIII, I) : « Tout homme doit être soumis à l’autorité qui a le pouvoir sur lui. » Pourquoi « le pape a-t-il attendu si longtemps ? » a-t-il tant tardé à se prononcer ? « Ne semblerait-il pas que sa conversion à la légitimité républicaine serait de date assez récente, coïncidant avec les conseils de Mgr Lavigerie ? » Mais, pour s’être converti tard, Léon XIII n’en met que plus d’ardeur dans ses déclarations expresses et répétées, qui équivalent à des ordres. Peu lui importe d’avoir « gravement mécontenté la plus grande partie du clergé ; » il répète que l’encyclique du 16 février doit être prise au pied de la lettre, il réduit ainsi « les évêques et les prêtres à un silence mécontent. »

Voilà où aboutit l’infaillibilité du pape. Il y a plus. Léon XIII, a pour plaire à l’alliée latente de la république française, » livre la malheureuse Pologne à ses bourreaux, ouvre aux catholiques russes les portes de l’enfer sibérien. Il appelle le tsar « patriarche du nord » et range la tsarine parmi ses enfans les plus chers. « Jusqu’au chargé d’affaires de Russie à Rome, M. Iswolsky, qui se vante d’avoir donné un fameux coup d’épaule à la déclaration papale en faveur de la république française et qui est personna gratissima au Vatican ! » Mais pour l’Autriche, rien ; rien que des dénis de justice pour la monarchie de saint Étienne et pour sa majesté apostolique ! Point de cardinaux ; pas d’évêque sur le siège d’Agram ; des intrigues franco-russo-papalines en Orient, à Constantinople, en Albanie, en Macédoine. M. Geffcken en recule d’horreur ; le pape est républicain et cosaque ! Rappelons à l’humilité chrétienne l’ancien ministre résident, le conseiller privé de Berlin : on est toujours le cosaque de quelqu’un ; si les Russes n’ont pas cessé d’être pour les Allemands des Barbares « mangeurs de chandelle, » les Allemands, malgré la triple alliance, le sont encore pour les Italiens : Tedeschi, mangiasevi.


II

Tous ces griefs, que M. H. Geffcken énumère et développe avec quelque âpreté, le diplomate anonyme de la Contemporary Review les reprend à son compte. À moins que ce ne soit M. Geffcken qui les ait repris au diplomate. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont, chez l’un et chez l’autre, formulés à peu près de la même façon. Aussi n’y reviendrons-nous pas. Nous dirons seulement que l’anonyme de la Contemporary Review est plus prolixe encore et plus irrité que l’auteur de Léon XIII devant l’Allemagne. Alais avec lui, il s’agit bien de Léon XIII devant l’Allemagne : il institue pour juger le souverain pontife une sorte d’aréopage européen, composé de la triple alliance et des amis de la triple alliance, devant lequel il traduit ce pape, coupable de trop aimer la France. Dans ce grand procès, l’Autriche-Hongrie fait la plaignante. Cette pauvre Autriche, gémit le diplomate, innocente comme l’agneau de la fable et, comme l’agneau, sacrifiée ! Peu s’en faut qu’il ne rompe franchement en visière à Léon XIII et ne lui jette à la face le vers célèbre de Dante :


In veste di pastor lupi rapaci !


Voilà maintenant les loups qui s’habillent en bergers ! S’il ne le fait pas, c’est qu’il lui revient juste à temps en mémoire que celui qui habite le Vatican est « son supérieur vénérable et bien-aimé ; » mais s’il ne le fait pas, c’est comme s’il l’avait fait.

À l’entendre, l’Autriche-Hongrie est, pour le catholicisme, « un véritable Eldorado. » Voyez la législation austro-hongroise. Où donc l’Église est-elle plus riche ? Cependant, comment Léon XIII se comporte-t-il envers l’Autriche-Hongrie ? Il l’abreuve, à plaisir, « d’accusations et d’insultes. » L’insulte la plus grave « consiste dans les efforts peu raisonnés » que fait le pape pour se débarrasser du comte Revertera, ambassadeur d’Autriche-Hongrie à Rome. Une autre insulte à l’Autriche-Hongrie, c’est l’élévation à la pourpre de Mgr Galimberti, nonce du pape à Vienne, et champion résolu de la triple alliance. En lui donnant le chapeau, Léon XIII n’a pas qu’à se « débarrasser » de celui-là aussi, qu’à briser une carrière diplomatique, dont il apprécie très mal les mérites. Et puis, en troisième lieu, il y a l’affaire du patriciat de Venise. Pourquoi le saint-siège demandait-il au gouvernement autrichien une revendication formelle de son droit de présentation ? Pour le brouiller avec le roi Humbert. Et les cardinaux, l’évêché d’Agram, le baptême des enfans issus de mariage mixte ? M. Geffcken a déjà dit tout cela ; il a déjà dit, au moins en substance, tout ce que le diplomate raconte sur l’attitude hostile du pape envers l’Allemagne et l’Italie, sur son attitude complaisante envers la Russie et la France.

Le rédacteur anonyme de la Contemporary Review se borne à verser au débat deux pièces, un bref du cardinal Lambruschini, secrétaire d’État de Grégoire XVI, à propos des mariages mixtes en Hongrie ; une lettre d’un personnage qui n’est pas plus clairement désigné, relative au vote du septennat militaire allemand. Quand je dis « verser au débat, » c’est, pour cette pièce, une figure, car le diplomate y fait bien une allusion triomphante ; mais il n’a garde de la produire, et comment la produirait-il, puisqu’elle n’a jamais existé ? Ces deux pièces, l’une fausse, l’autre détournée de son sens, c’est ce qu’il y a de plus neuf dans l’article de l’anonyme, rapproché, comme il faut le faire, de la brochure de M. Geffcken.

Le reste, au fond, est identique. Si Léon XIII tient ainsi rigueur à la triple alliance, même représentée à sa cour par le blanc agneau autrichien, c’est qu’il n’a rien à en attendre pour le succès de sa politique ; s’il réserve tous ses sourires à cette France qui, loin d’être « l’Eldorado du catholicisme, » est à l’heure présente « le plus grand ennemi de l’Église, » c’est qu’il a tout à en attendre pour le succès de sa politique. Et quel est le but de cette politique ? Dans l’espoir de reconquérir quelques kilomètres carrés de souveraineté territoriale, Léon XIII « affirmera » et « se démentira, » « professera de nouveaux principes, » « inventera de nouvelles explications, » à des doctrines séculaires, abjurera, en France, la théorie du droit divin, la maintiendra énergiquement en Italie. Porrò unwn est necessarium : la restauration du pouvoir temporel.

On se doute bien que M. Bonghi, précédemment qualifié de philosophe platonicien, n’est pas aussi cassant que M. Geffcken, ni aussi « pointu » que le diplomate. Sans leur faire injure, il est homme d’une autre ampleur, d’une autre profondeur, d’une autre indépendance d’esprit. Il ne se fait pas plus qu’eux scrupule de morigéner Léon XIII, mais d’une voix onctueuse et caressante. Il met un peu d’encens au fond de son encrier, émousse la pointe de sa plume et écrit à ce pape lettré une belle épître de lettré. C’est comme la remontrance d’un chanoine paresseux qui se plaindrait de l’heure matinale de l’office, de l’ignorance des moines et de la grossièreté des chantres. M. Bonghi se fait petit, tout petit : « Ne regardez pas, très saint-père, à l’incommensurable distance qui nous sépare, moi, petit homme (ometto) privé de toute dignité, et vous, qui êtes au sommet de la dignité humaine, couronné, pour ainsi dire, d’une auréole divine. Abaissez-vous, pour un moment, à écouter ma faible voix ; peut-être les mots qu’elle articulera vous révèleront-ils des vérités qui vous étaient cachées. Entre toutes les infériorités que j’ai sur votre sainteté, en un seul point j’ai un avantage sur elle : c’est que personne ne me flatte et qu’elle, tant de gens veulent la flatter ! »

Ainsi commence la Lettre ouverte de l’onorevole Bonghi au souverain pontife. Elle est, on le voit, d’un tour tout à la fois respectueux et familier. M. Bonghi raconte au pape ses affaires ; qu’il n’a pas été réélu, que lorsqu’il va à Anagni, où il a fondé un collège pour les filles orphelines des maîtres élémentaires, dans ce pays où tout le monde le salue, les ecclésiastiques ne lui rendent même pas son salut. D’ailleurs, il sait à quoi s’en prendre ; l’éducation ne vaut pas mieux que l’instruction dans les séminaires italiens, et l’instruction n’y vaut rien. Qu’a fait, depuis quinze ans qu’il règne, Léon XIII, pour y remédier ? Il a ressuscité la philosophie de saint Thomas. Mais M. Bonghi goûte peu saint Thomas : « Il bourre et ne secoue pas. Nutre, non muove. » Puis M. Bonghi passe à une autre chose, court sur une autre corde ; c’est une vraie gymnastique que de le suivre. On a mis à l’index sa Vie de Jésus à lui, Bonghi. Enfin, il en arrive à l’éternelle question, au rétablissement du pouvoir temporel, non sans avoir complimenté le pape sur « son latin si magnifique qu’il n’en connaît pas de plus beau, sauf l’humble langue de l’Évangile. » Rome prise, mais non cédée, c’est la blessure toujours saignante au flanc de l’Italie royale. Le conflit est resté ouvert, et par la faute de qui ? Par la faute des jésuites : M. Bonghi les dénonce au saint-père : « Aux premiers jours de votre pontificat, on disait que votre sainteté n’aimait point cette secte et ne se laisserait pas prendre dans ses filets ; mais, à la longue, elle est devenue plus forte que vous, et vous faites la politique que les jésuites vous conseillent. »

Ce que peut être cette politique, est-ce la peine de le demander ? En ce qui concerne l’Italie, elle consiste à réclamer plus que jamais la restitution du pouvoir temporel et à tenir les catholiques éloignés de la vie publique. « Une pareille politique ne saurait être inspirée par Dieu qu’à la condition que la raison humaine ne fût pas un don de Dieu, puisque, pour qui raisonne, elle n’est acceptable en aucune de ses deux parties. »

Elle n’est pas raisonnablement acceptable, mais, d’ailleurs, est-elle désirée autre part qu’au Vatican même et, enfin, est-elle possible ? « Le pouvoir temporel, saint-père, mais Seigneur ! tâchons de dire la vérité. Si Rome se rendait à vous, est-ce que vous pourriez y rester ? » M. Bonghi ne veut pas discuter avec le pape sur le point de savoir si la majorité des Romains est encore ou non favorable à la domination pontificale, et si après vingt-deux ans de régime laïque, elle incline encore à se donner pour prince un prêtre. Les fautes du gouvernement italien, il les confesse et les condamne. Mais que la majorité des Romains en soit revenue au pape, il ne le croit pas, il n’en voit pas de signes. En tout cas, il faudrait compter avec une minorité remuante, qui ne laisserait ni trêve, ni répit. « Vous menez maintenant une vie recluse, mais tranquille ; vous mèneriez une vie recluse, mais troublée. »

M. Bonghi est tout perplexe : « Je ne sais pas, sainteté, si vous vous faites une idée claire du risque que l’Église encourt à un semblable jeu. Je sais bien que portœ inferi non prœvalebunt, mais je me rappelle une repartie de Pie IX à quelqu’un qui, pour l’encourager, lui répétait ce texte-là : « Oui, répondit-il, le navire est garanti de tout naufrage ; mais de l’équipage, de la chiourme (della ciurma), il n’est rien dit. » Le Vatican ne cesse de fulminer contre la loi des garanties, mais le gouvernement italien, qui l’a faite, peut la défaire. Le saint-siège s’en trouverait il mieux ? En Italie, les congrégations sont libres ; mais les lois restrictives qui ne sont pas faites, on peut les faire. On en fait bien en France, « dans cette France qui vous tient tant à cœur. » Il faudrait que tous les modérés, que tous les justes d’esprit eussent un appui dans l’Église. « Et vous le leur enlevez, très saint-père. Et pourquoi ? Parce que vous êtes ferme dans cette pensée, que le pouvoir temporel est le porrò unum, et cette pensée, vous l’inspirez à la catholicité tout entière, qu’elle soit lointaine ou prochaine, avec une ténacité non moins admirable que douloureuse. »

Léon XIII veut-il que l’Église soit en Italie, à la fin de ce siècle, soumise aux mêmes épreuves qu’en France, à la fin du siècle dernier ? Le pape n’a d’yeux que pour la France, eh bien ! la France, dans quelle situation religieuse est-elle ? « Ne voyez-vous pas s’y épandre le flot de l’athéisme ? Ne voyez-vous pas combien reste vaine à le repousser toute l’indulgence que vous montrez ? Ç’a été, certes, une sage politique que la vôtre ; elle a tenté de rompre le lien qui unissait le catholicisme à la monarchie et de le renouer avec la République. Mais quel bénéfice en avez-vous retiré ? Évidemment, vous vous proposiez de créer une opinion puissante à laquelle pût se rattacher un gouvernement disposé à corriger celles des lois qui sont contraires à l’influence morale de l’Église et à n’en pas proposer de nouvelles. » À quoi peut-on s’apercevoir que cette politique ait réussi ou puisse réussir ? Tout ministère tomberait en France par le fait même qu’il paraîtrait se comporter envers l’Église catholique moins intraitablement que ne le veulent les radicaux. La République, comme elle est faite et se maintient, n’a cure du catholicisme ; elle croit qu’elle ne se peut conserver et développer ses forces qu’à la condition que le catholicisme perde du champ de plus en plus et que peu à peu, s’il est possible, harcelé par l’État, il meure. « Des douleurs, très saint-père, vous en avez de la France chaque jour, et à la pente que descend ce pays qui m’est très cher pourtant, à moi aussi, vous en aurez, je vous le garantis, chaque jour davantage. »

Dieu nous garde d’être trop aimés de cette manière ! M. Bonghi, qui aime la France (et très sincèrement il l’aime), déteste la triple alliance (très sincèrement il la déteste) ; mais il la comprend et l’explique. Le pape, « on le dit et il faut le croire, » la « supporte malaisément, » cette triplice, et il travaille à la dissoudre. « Mais, saint-père, pardonnez-moi ; vous en êtes l’auteur principal. Si l’Italie s’est éloignée de la France, le principal motif en est dans ce foyer de discorde que vous entretenez vivace en Italie. Puisque votre sainteté s’obstine à vouloir reprendre Rome, et l’on ne sait quel autre territoire avec elle, l’Italie, à qui Rome est nécessaire pour son existence même, doit chercher à s’assurer par des alliances qu’aucune puissance ne descendra en armes pour vous la redonner, et puisque la France l’a déjà une fois redonnée à la papauté, il est tout naturel que l’Italie penche vers les puissances ennemies de la France, plutôt que de pencher de son côté[3]. »

M. Bonghi, quoique philosophe, est satisfait de cette explication. Il sent toute « l’absurdité » de s’arrêter à l’idée que la France, « plus voltairienne que jamais, » jette une armée au-delà des monts pour restaurer le pouvoir temporel des papes, mais il ne peut chasser une vague inquiétude ; la crainte de l’invraisemblable est pour lui le commencement de la politique. Car « l’histoire en a vu beaucoup de contradictions de cette sorte, et le public ne se laisse pas persuader qu’on ne peut plus en voir d’autres. » Lui, encore, il se ferait violence ; mais « le public, » la foule qui, après tout, est la nation, les masses ignorantes et simples, la gente ! Léon XIII veut-il réellement dissoudre la triple alliance ? Qu’il abandonne, une bonne fois et dans les formes de droit, le pouvoir temporel. Dès le jour où il s’y résignerait, la triple alliance perdrait toute séduction sur l’esprit des Italiens, et en peu de temps elle « ne ferait plus partie de la diplomatie de leur gouvernement. »

Prenez ce raisonnement pour ce qu’il vaut, mais voyez sur quoi il repose, voyez comment il est construit : restauration du pouvoir temporel, seul but de la politique de Léon XIII ; la France, seul agent possible de cette restauration ; la France, seul objet de la sollicitude du pape ; seul lien entre le saint-siège et la France « voltairienne, » seul service demandé d’une part, seule porte que, de l’autre, on ne ferme pas brusquement aux espérances de la papauté ; le rétablissement du pouvoir temporel. Voilà ce qui jetterait l’Italie dans les bras de l’Allemagne et de l’Autriche, ce qui mettrait le pape aux pieds de la France, ce qui partagerait l’Europe en deux camps ; voilà le nœud de la politique européenne, et celui qui est ici-bas le vicaire du Dieu de paix n’aurait d’autre désir, « dans son sénile regret d’une vieillerie, » que de le voir trancher par ces cinq formidables épées : l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, l’Italie, contre la Russie et la France.


III

Laissons maintenant M. Geffcken, le diplomate et M. Bonghi. Le père Salvatore Brandi, de la compagnie de Jésus, a répondu au diplomate et à M. Geffcken dans la Civiltà Catholica ; quant à M. Bonghi, la Voce della verità lui a consacré trois ou quatre articles ; l’Osservatore romano, dès que l’on eut reçu, au Vatican, la Lettre ouverte à Léon XIII, riposta, sans perdre un courrier, par quatre Lettres ouvertes à l’onorevole Bonghi. J’ose dire que, dans ces diverses réponses et notamment dans celles du père Salvatore Brandi, les allégations des adversaires de la politique pontificale ont été discutées point par point et point par point anéanties. Mais M. Geffcken, le diplomate et M. Bonghi n’en veulent pas démordre[4]. Le pouvoir temporel ! le pouvoir temporel !

C’est donc une chose entendue. De ces trois extraits de triple alliance, c’est cet extrait concentré que nous tirons. Recommençons sur lui l’analyse. Mais si, à force de le presser, nous réduisons à rien chacun de ses élémens, M. Bonghi s’engage-t-il à venir complètement à résipiscence ? Si nous démontrons que Léon XIII n’a jamais demandé à la France (cela n’eût pas paru, en vérité, exiger une démonstration), que Léon XIII n’a jamais attendu et n’attend pas de la France la restauration du pouvoir temporel, que ni historiquement, ni politiquement, ni même, — comment dire ? — moralement, il ne pouvait l’attendre d’elle, ce charmant et fécond écrivain, « qui m’est très cher, à moi aussi, » pur carissimo anche a me, M. Bonghi s’engage-t-il à multiplier ses articles et ses efforts pour que l’Italie sorte enfin d’une conspiration internationale où rien ne la retient et où elle n’a rien à faire ? Conspiration dans laquelle elle n’est entrée, la remarque est assez piquante, que par peur des amis autant que des adversaires qu’elle se donnait, car l’Italie s’est demandé : Qui pourrait avoir l’idée de rétablir le pouvoir temporel des papes ? Peut-être l’Allemagne. Probablement l’Autriche. Et d’autre part ? La France. Qui est le plus fort ? La France a battu l’Autriche en 1859. Mais la Prusse l’a battue aussi en 1866, et, de plus, l’Allemagne a battu la France en 1870. Mais, réunies, l’Allemagne et l’Autriche feraient mieux encore… Dunque

« Et est la nature de ce peuple d’Italie, dit Comines, notre Machiavel, français (Machiavel en dit bien d’autres de la France), de toujours complaire aux plus forts. » Mais vouloir complaire aux plus forts, c’est justement ce que M. Geffcken, le diplomate et M. Bonghi reprochent amèrement à Léon XIII. À ce compte, ce serait la France qui serait la plus forte, et alors, pourquoi l’Italie s’entête-t-elle dans la triple alliance ? Par crainte du rétablissement du pouvoir temporel ? Démontrons lui, avec son propre témoignage, que si elle doit le redouter de quelque côté, c’est bien plutôt de l’Allemagne et de l’Autriche que de la France, et puis nous lui démontrerons, avec notre témoignage, à nous, qu’il n’y a pas, entre le saint-siège et la France, une question du pouvoir temporel ; que la chimère, si chimère il y a, c’est elle qui se la forge ; et pour tout dire d’un mot, qu’elle n’a point ici d’ennemi qu’elle-même.


IV

Le 20 septembre 1870, le général Raffaele Cadorna, commandant les troupes italiennes, prit possession de Rome au nom du roi Victor-Emmanuel. On peut croire qu’avant de se décider à cet acte exceptionnellement important à cause du caractère particulier de Rome, centre de l’unité catholique, métropole et chef-lieu de la chrétienté, le cabinet présidé par M. Lanza et où M. Visconti-Venosta, homme prudent et correct entre tous, était ministre des affaires étrangères, avait soigneusement reconnu le terrain, qui lui semblait, pour le pas hardi qu’il allait faire, très glissant et très dangereux.

Ce n’est que plus tard que le patriotisme italien a découvert que la question romaine était d’ordre purement intérieur : au moment de la résoudre à son profit et jusqu’à ce qu’un commencement de prescription lui parût acquis, l’Italie, aujourd’hui si fière et, dans sa fierté, si intransigeante, la considérait bel et bien comme une question internationale. » Non-seulement elle ne se fût pas fait prier pour donner aux puissances des gages ou des garanties, mais elle allait au-devant d’une demande, dont elle ne songeait pas, en ce temps-là, à nier la légitimité. Le 7 septembre, treize jours avant que fût ouverte la brèche de la Porta Pia, le gouvernement italien se déclarait a prêt à examiner avec les autres gouvernemens les conditions à déterminer d’un commun accord pour sauvegarder l’indépendance du pape. » Telle était l’attitude de l’Italie sur le bord du fossé romain : quelle était celle des nations intéressées et celle des nations maintenant en cause, de la France, de l’Allemagne et de l’Autriche[5] ?

C’était de la France et de l’Autriche qu’on redoutait le plus de résistance. On ne pouvait se dissimuler, à Florence, qu’on violait outrageusement la convention du 15 septembre 1864, par laquelle Napoléon III s’engageait à retirer de Rome la garnison française, mais par laquelle l’Italie s’engageait en revanche à ne pas aller à Rome. On ne se dissimulait pas qu’il y avait peu de chevalerie à tirer occasion des malheurs de l’empire et des malheurs de la France, à n’armer que pour soi-même, laissant écraser, pollice verso, l’auxiliaire de la veille, à qui l’on ne voulait pas tout devoir, à qui, pourtant, l’on ne pouvait pas ne pas devoir quelque chose. Mais la reconnaissance est une hypertrophie du cœur ; les princes et les peuples qui calculent savent s’en guérir, et il ne s’agit point de chevalerie en politique positive.

Au mois de septembre 1870, l’Italie faisait ou se préparait à faire de la politique positive. Elle voulait Rome de gré ou de force. Seulement, elle prenait ses précautions. C’était bien, en effet, la France qui jusque-là l’avait gênée. Car à peine eut-il apparu comme certain que nous serions définitivement battus par l’Allemagne, que M. Visconti-Venosta adressait à tous les représentans de l’Italie à l’étranger une circulaire où l’on peut lire : « Depuis dix ans, dans le cours de négociations souvent reprises et toujours interrompues par les événemens politiques, les bases possibles d’une solution définitive de la question romaine ont été confidentiellement reconnues en principe et subordonnées seulement à des considérations d’opportunité et de convenance politique, par la France aussi bien que par d’autres puissances. »

Le 7 septembre, nouvelle circulaire qui annonçait officiellement l’action. Rappelons ces deux dates, dit un auteur italien, M. Scaduto : 2 septembre, bataille de Sedan ; 4 septembre, proclamation de la république et institution du gouvernement de la défense nationale. Le ministre d’Italie à Paris, M. Nigra, fit diligence. Dès le 8, il pouvait écrire : « M. Jules Favre, ministre des affaires étrangères, m’a répondu que le gouvernement français laisserait agir le gouvernement du roi sous sa responsabilité. » Le 12, confirmation de cette dépêche : « Le ministre des affaires étrangères m’a répété que le gouvernement français nous laisserait faire avec sympathie. » Le 22, c’est M. Senard, notre représentant à Florence, qui, à son tour, formule les mêmes assurances dans une lettre restée légendaire : « Le jour où la république française a remplacé, par la droiture et la loyauté, une politique tortueuse qui ne savait jamais donner sans retenir, la convention du 15 septembre a virtuellement cessé d’exister[6]. » M. Jules Favre disait, de son côté : « La France ne peut pas se mêler directement de la question romaine. Le pouvoir temporel a été un fléau pour le monde ; il est à terre, nous ne le relèverons pas. Nous verrons le gouvernement du roi aller à Rome avec plaisir ; il est nécessaire qu’il y aille. L’ordre et la paix de l’Italie sont à ce prix[7]. »

La gradation est observée : d’abord l’indifférence : « Allez sous votre responsabilité, » puis la sympathie, enfin le plaisir : « Nous vous verrons aller à Rome avec plaisir[8]. » Les Italiens eux-mêmes le constatent : « Le gouvernement de la défense nationale était composé d’élémens tels qu’il ne devait pas insister, même sur les garanties, et de fait, à la différence de la majeure partie des autres puissances intéressées, il n’y insista point. L’Italie resta donc complètement libre, en ce qui regardait la France, de déterminer à son gré les garanties et les libertés intérieures de l’Église ; l’obstacle qu’on avait cru et qui avait été (autrefois, du temps de l’empire) le plus difficile à franchir pour la solution de la question romaine, se réduisait à rien[9]. »

Presque autant que de la France, on se méfiait de l’Autriche. On s’en méfiait à ce point qu’on avait envoyé à Vienne « un des hommes les plus considérables de la droite et de l’Italie ; non pas un diplomate de carrière, mais une habile et distinguée personnalité politique, M. Minghetti[10]. » Pour l’Autriche encore on se trompait ; la cour de Vienne avait sa conviction faite depuis longtemps déjà. En Italie, on vivait sur une idée fausse, sur la vieille idée de la sainte-alliance de 1815, ayant à sa tête l’Autriche, de pleine intelligence avec le Vatican jusqu’en 1860 et même jusqu’en 1866 ; ce bon accord, on le croyait le fruit de sentimens profondément religieux plutôt que d’arrangemens politiques : on prenait texte de la piété bien connue de la cour impériale ; on s’imaginait volontiers un parti clérical très fort, un parti libéral aisé à tenir en respect ou à vaincre s’il bougeait. Ce parti n’avait pas dans le pays les racines qu’il semblait avoir. Il n’en avait que dans le menu peuple (popolino). Par suite, la cour de Vienne, malgré sa piété, « se trouvait obligée, en 1870-71, de renverser les espérances que le Vatican avait fondées sur elle[11]. » Dans le parlement, non plus, il n’y avait pas de groupe clérical important et, par suite, le gouvernement autrichien n’avait pas de motif pour soutenir le pouvoir temporel du pape, « de ce pape qui se prétend le souverain des souverains. »

Mais, de Florence, on ne voyait pas ce que les choses étaient réellement à Vienne ; — ce sont les Italiens qui le disent. Le premier ministre de François-Joseph était protestant, on le savait : on n’ignorait peut-être pas les paroles de M. de Beust : « Le jour où les Français sortiront des États pontificaux, il faudrait que les Italiens pussent y entrer, de l’assentiment de la France et de l’Autriche. Jamais nous n’aurons les Italiens avec nous de cœur et d’âme, si nous ne leur retirons pas leur épine romaine. Et franchement ne vaut-il pas mieux voir le saint-père sous la protection de l’armée italienne que de le voir en butte aux entreprises garibaldiennes ? » Mais au-dessus de M. de Beust, il y avait l’empereur qui pouvait penser et agir, en une circonstance aussi grave et qui touchait à la loi catholique, autrement que son chancelier.

Victor-Emmanuel, M. Lanza, M. Visconti-Venosta, attendaient impatiemment les dépêches de M. Minghetti. Le 18 septembre, l’avant-veille de l’entrée des troupes italiennes à Rome, M. Minghetti prévenait son gouvernement que « les antiques traditions, la piété bien connue de la cour, le lien des relations personnelles, l’influence du clergé, la puissance et la clientèle du parti qui s’intitule catholique, tout devait être mis en œuvre, — et tout le fut, — pour obtenir une aide ou du moins une déclaration de blâme contre les actes du gouvernement italien. » Vainement. « Le gouvernement impérial n’a cédé ni aux prières ni aux excitations. » Bon, si le pape eût voulu traiter avec le roi d’Italie : il eût servi d’intermédiaire. Puisque Pie IX avait refusé de traiter, il n’y avait qu’à l’abandonner à son sort. Toutefois, M. de Beust recommandait à Victor-Emmanuel d’avoir « tous les égards pour la personne et la qualité du pontife. »

Pas plus que la France, l’Autriche ne se préoccupait beaucoup des garanties. Elle prenait acte des déclarations de M. Visconti-Venosta, « mais elle ne se servait pas d’expressions qui fissent comprendre qu’elle s’intéressait vivement à la question[12], » elle s’en remettait à l’Italie du soin de régler convenablement la situation du saint-père. Elle voulait bien, dans le cas où le pape eût quitté Rome, demander pour lui le libre passage à travers les États royaux ; elle lui eût même, au besoin, offert un asile, mais elle ne jugeait pas nécessaire ce départ de Rome, et elle le déconseillait. Du droit public ecclésiastique intérieur du jeune royaume, elle ne se mêlait en quoi que ce fût. D’autres puissances donnaient l’avis de différer le transfert de la capitale ; l’Autriche, non pas.

En somme, l’Autriche « ne manifesta point de sympathies explicites, comme la république française, » mais elle « ne fit pas de réserves. » Elle « laissa faire et laissa sous-entendre qu’elle n’interviendrait en aucune manière. » Cependant les évêques et les cercles catholiques s’efforçaient d’ébranler tout le parti clérical. Les archevêques ou évêques de Vienne, d’Olmütz, de Salzbourg, de Linz, de Bressanone, de Gratz et le primat de Hongrie ordonnaient des prières et des quêtes pour le souverain pontife, rédigeaient des mandemens, faisaient signer des protestations. « Mais cette agitation restait dans les basses couches du peuple ; elle n’arrivait pas jusqu’aux hommes politiques, jusqu’aux chambres. »

Il y a ici une petite erreur. Si, elle arriva jusqu’aux chambres. Le député catholique Greuter interpella M. de Beust : « Où est ma vieille Autriche ? » s’écria-t-il. M. de Beust répondit par le précédent de 1860. En 1860, l’Autriche avait gardé la même attitude impassible, lorsque l’Italie s’annexait les meilleures provinces des États de l’Église, et pourtant les conditions étaient alors plus favorables pour qu’elle pût intervenir. Mais il faut qu’il y ait eu, dans le langage ou la conduite du chancelier de l’empire, quelque chose d’ambigu, d’équivoque, par rapport à la question romaine, — (ne fût-ce que sa qualité de protestant qui, comme premier ministre de la monarchie apostolique, l’obligeait à plus de réserve), — il faut qu’il n’ait pas réussi à rassurer les libéraux, partisans de l’Italie royale, plus que les cléricaux, fidèles au saint-siège, car il raconte lui-même dans ses Mémoires que, « à la première session qui suivit sa retraite, un député de la Styrie, le docteur Rechbauer, qui ne lui était nullement hostile, manifesta sa satisfaction que l’Autriche fût enfin en bons rapports avec l’Italie[13]. »

Donc, du côté de l’Autriche, « indifférence », mais ni « sympathie, » ni « plaisir. » Il ne s’agit pas de savoir, en ce moment, si M. Jules Favre avait ou n’avait pas, dans ses expressions, dépassé le sentiment de la France : ce qui est sûr, c’est que M. de Beust qui, secrètement peut-être, avait poussé l’Italie vers Rome, qui en tout cas ne l’avait pas arrêtée officiellement, diplomatiquement, parlant au nom de son maître, devant le fait accompli, ne dépassait pas la première expression de M. Jules Favre : il regardait.

« On rencontra le plus sérieux obstacle là où l’on se serait le moins attendu à le trouver, en Prusse, ou dans la confédération du nord. » Avant la guerre franco-prussienne et l’occupation de Rome, il n’existait pas, en Prusse comme en Autriche, de parti parlementaire clérical important. La Prusse paraissait devoir être ou bienveillante (pour l’Italie) ou bien, au pis aller, indifférente. « Bienveillante » n’est pas trop dire, si l’on se reporte aux communications de M. Brassier de Saint-Simon, ministre de Prusse à Florence.

« La presse et les agens aux gages de la Prusse dans la péninsule n’avaient pas attendu que la guerre fût déclarée pour se mettre à l’œuvre. Le 17 juillet, des démonstrations éclataient dans tous les grands centres de l’Italie. » À Florence même, « des rassemblemens se formèrent sur la place du Dôme ; des orateurs de carrefour haranguèrent la foule, qui se mit en mouvement, précédée d’un drapeau italien. Après avoir stationné et vociféré devant le ministère des affaires étrangères, les manifestans se portèrent aux Caséines devant la légation de France. Ils criaient : Vive la Prusse ! Vive la neutralité ! Vive Rome ! À bas Mentana ! Sur d’autres points, on criait : A bas la France ![14]. » On eût juré, à entendre M. Brassier de Saint Simon, diplomate prussien en dépit de son nom français, « que la succession de la France était déjà ouverte et qu’il suffisait à l’Italie de produire ses titres pour être admise au partage. Il parlait en toute liberté de Nice, de la Savoie, de Tunis et de la Méditerranée. »

Mais à Rome, M. d’Arnim faisait la contre-partie, et M. de Bismarck, de sa puissante main, donnant à propos une chiquenaude à l’un ou à l’autre des plateaux, tenait égale la balance. « Il est un point sur lequel M. Brassier de Saint-Simon ne s’expliquait qu’avec embarras : c’était Rome. La politique italienne était trop affinée pour ne pas s’apercevoir que M. de Bismarck avait de secrètes raisons pour ménager le Vatican. » M. d’Arnim y travaillait de tout le pouvoir de son esprit d’intrigue. Autour du pape on récriminait contre l’empereur Napoléon III ; « on l’accusait de manquer à ses promesses ; la Civiltà l’appelait infâme et l’Unità cattolica faisait ouvertement des vœux pour l’Allemagne. Elle affirmait avec une rare assurance que la Prusse victorieuse rétablirait le pouvoir temporel dans toute sa plénitude… Les prélats, dans les antichambres du Vatican, étaient tout oreilles aux paroles veloutées du représentant de la Prusse protestante ; ils ne cachaient pas leur courroux et leur dédain au représentant de la France catholique[15]. »

Le double jeu se jouait, à Florence et à Rome, aux dépens de la France. Il y avait plusieurs années que les dés étaient pipés et les places assignées aux comparses. La partie était engagée, depuis 1867 : « Il plaisait sans doute à M. de Bismarck de voir la France aux prises avec les passions italiennes, mais il ne pouvait lui convenir de s’associer à la révolution contre la papauté. Il avait à ménager les sujets catholiques du roi de Prusse ; » il lui importait surtout de ne pas s’aliéner « les députés catholiques qui siégeaient dans les chambres wurtembergeoise et bavaroise[16]. » La formation de l’empire allemand allait singulièrement accroître le nombre de ces députés catholiques qu’il fallait éviter de froisser, et l’occupation de Rome par la dynastie de Savoie allait les rendre singulièrement susceptibles. D’autant plus qu’à ces députés catholiques proprement dits devaient se joindre ceux du Slesvig-Holstein, ceux de la Pologne, ceux des États du Sud, annexés à l’Europe un peu à contre-cœur, pour lesquels le régionalisme, le particularisme, se fondait aisément et se confondait souvent avec le catholicisme.

À mesure que l’issue approchait, M. de Bismarck inventait de nouvelles réserves et ses discours devenaient de moins en moins clairs. On s’était plaint, en Italie, de la tournure « sibylline » des premières réponses de M. Jules Favre ; mais ce qui était vraiment « sibyllin, » c’étaient les réponses de M. de Bismarck et de ses secrétaires. On y faisait étalage « des sympathies de la Prusse pour la personne du saint-père » et du désir où l’on était « que sa sainteté continuât à avoir une position indépendante et respectée[17] ; » sympathies et désir qui, néanmoins, « avaient leurs limites naturelles dans les bons rapports existant entre la Prusse et l’Italie, qui empêcheraient le cabinet de Berlin de créer des difficultés au gouvernement italien et d’entrer en des combinaisons dont il pourrait souffrir[18]. » Comment méconnaître le lien religieux qui unissait « les sujets catholiques de la Confédération du Nord avec leur chef spirituel ? » Et, si ce lien était étroit, comment ne pas « faire des réserves pour une position digne et indépendante du saint-siège[19] ? » Certes, ces réserves obligatoires, il en coûtait de les formuler : « M. de Thile (ministre des affaires étrangères prussien) espérait que nous saurions tenir compte des embarras qui surgissent pour lui aussi des affaires de Rome[20]. » Embarras de plus d’une sorte et notamment grands embarras parlementaires. Le roi de Prusse, comme l’empereur d’Autriche, était assailli d’adresses sur la question romaine. « Ces manifestations ne manquaient pas de causer au cabinet de Berlin des soucis, augmentés encore par le résultat des élections générales pour la diète prussienne. Les catholiques y seront plus fortement représentés que dans la précédente législature. Ils compteront une soixantaine de voix qui, dans la balance des partis, formeront un appoint important et peut-être décisif pour constituer une majorité. Aucun parti n’est mieux discipliné que celui-là. Il obéit évidemment à un mot d’ordre. »

Aussi M. de Bismarck, si peu conciliant à l’ordinaire, conseillait-il à Victor-Emmanuel et à Pie IX la conciliation. Il ne voulait ni demander que les garanties tussent élargies, ni se mêler « du droit ecclésiastique intérieur » du royaume italien ; mais, en termes vagues et impératifs à la fois, il réclamait pour le saint-siège « une position indépendante et digne. » Il n’offrait pas asile au pape dépossédé, et cependant il ne le repoussait pas. S’il prêterait le voir rester à Rome, c’était surtout parce que les embarras de la politique prussienne n’en seraient nullement diminués. À part cette considération, la fortune eût été enviable : avoir dans l’Allemagne triomphante, dans le saint-empire reconstitué du coup et de ce coup complet :


Ces deux moitiés de Dieu : le pape et l’empereur !


Mais M. de Bismarck n’est pas poète ou ne l’est qu’à sa manière, et à ses heures, quand il n’a rien de solide à y perdre. Il rêve comme il fume, — après dîner. — Ici, le péril était trop évident. Pie IX réfugié en Allemagne, c’était le gouvernement impérial prisonnier non-seulement des catholiques exigeans, mais des protestans soupçonneux et des libéraux blessés. Plutôt un congrès à Fulda ou même une procession à Munich, l’archevêque en tête et, derrière, tous les paysans d’alentour, expressément appelés pour marquer leur indignation ! Plutôt des souscriptions publiques pour organiser une croisade de Rome, et des pétitions, longues de huit mètres, comme celle qui, dans ce moment, en Hollande, à La Haye, se couvrait de signatures !

Le gouvernement bavarois ne prenait part ni aux souscriptions, ni aux processions. M. de Bismarck se réservait, voyait et entendait tout, clignait de l’œil tour à tour à droite et à gauche. À Munich on feignait de ne rien voir et de ne rien entendre. Quand le ministre d’Italie, M. Migliorati, questionnait, interrogeait : « Que ferez-vous si nous allons à Rome ? » on lui répondait aussitôt : « Nous refusons péremptoirement l’exequatur au dogme de l’infaillibilité. » Plus tard, le 20 septembre venu, quand il voulut demander : « Que pensez-vous de l’occupation de Rome ? Comment la supporterez-vous ? — Nous nous réjouissons, lui dit-on, qu’elle ait pu se produire sans plus grande effusion de sang. » Le subtil Italien en était tout décontenancé ; il sentait bien que l’adversaire rompait, cherchait sous ses pieds une trappe ou un panneau mobile dans la muraille. — Enfin ! le gouvernement bavarois, occupé, lui aussi, à la guerre contre la France, ne tournait vers Rome que des regards distraits et ennuyés : lui aussi, il avait à se garder des cléricaux qui formaient dans le parlement bavarois une minorité très forte et qui pouvaient, à la faveur d’un trouble de conscience entretenu savamment et politiquement exploité, y rentrer plus nombreux encore, si ce n’est en majorité.

Pour l’Italie, elle achevait de se consoler, en se répétant que, laissée à elle-même, la Bavière n’était, après tout, qu’une puissance de second ordre et que, n’ayant pas les moyens d’agir seule, elle n’en aurait pas non plus la volonté. Je conclus : pour l’occupation de Rome, du côté de la France, objections, résistances, avant que le fait fût accompli ; le fait accompli, indifférence, puis sympathie croissante ; de la part de l’Autriche, encouragement avant ; indifférence après ; du côté de la Prusse et de la Bavière, c’est-à-dire des deux élémens principaux du nouvel empire germanique, double jeu, encouragement avant, indifférence après, réserves, sympathie décroissante[21].

Un mot sur la Russie, puisqu’il n’est pas jusqu’à la Russie schismatique, à qui l’on ne veuille prêter un rôle en cette histoire. La Russie, seule entre toutes les grandes puissances de l’Europe, n’était que peu ou n’était point intéressée dans la question ; elle ne croyait pas avoir à s’en mêler. « Mais une telle conduite de la Russie revenait à être une approbation implicite ; ses réserves étaient différentes de celles de la Prusse, de l’Angleterre et des autres États ; elles ne signifiaient pas qu’elle se déciderait suivant les mouvemens de sa politique intérieure (que n’atteignait pas l’occupation de Rome, par suite du petit nombre de ses sujets catholiques), mais suivant la direction de sa politique extérieure, suivant la conduite des grandes puissances intéressées ; elle faisait, d’ailleurs, trop paraître ses sympathies pour l’occupation de la ville éternelle[22]. »

C’est ainsi que, d’après les auteurs italiens les plus qualifiés, les diverses puissances accueillirent le fait de l’occupation de Rome et de l’abolition du pouvoir temporel des papes. Dans l’atteggiamento, dans l’attitude qu’elles prirent alors, où trouve-t-on le droit d’affirmer que la France, plus ou moins soutenue par la Russie, dût se faire un jour l’agent d’une restauration de ce pouvoir, à laquelle l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, de par cette attitude prise et pour rester conséquentes avec elles-mêmes, devraient naturellement s’opposer ? — Mais depuis lors ?


V

Depuis lors, jamais, ni sous le gouvernement de la défense nationale, ni sous la présidence provisoire de M. Thiers, ni sous sa présidence définitive, ni, après le 24 mai, sous celle du maréchal de Mac-Mahon, ni au 16 mai, ni, à plus forte raison, après que la république fut aux républicains, sous les deux présidences de M. Grévy et la présidence de M. Carnot ; que le ministre des affaires étrangères fût Jules Favre ou M. de Broglie, le duc Decazes ou M. de Rémusat, jamais la France n’a dit un mot qui, même adroitement torturé, pût laisser percer l’intention de rétablir, par les armes, s’il le fallait, le pouvoir temporel aboli.

Un mot, ce seul mot, elle ne l’a jamais dit, ni lors de la nomination d’un ambassadeur français près le saint-siège, ni lors du transfert de la capitale italienne à Rome, ni lors des incidens provoqués, dans le pays, par des pétitions et, dans le parlement, par des interpellations sur la condition faite au pape, ni lors de l’affaire du père Secchi, représentant du saint-siège comme État temporel, dans la commission internationale du mètre, ni lors de la visite des officiers de l’Orénoque au pape et au roi d’Italie, ni lors du rappel de ce vaisseau qui, de 1870 à 1874, avait été tenu dans les eaux de Civita-Vecchia, à la disposition de Pie IX, ni lors de la discussion sur les fondations et propriétés françaises à Rome, ni plus tard, à l’occasion de nouvelles pétitions et de nouvelles interpellations ; ni en 1873, ni en 1876, ni, à plus forte raison, depuis 1877, jamais la France n’a rien dit qui dût éveiller les soupçons et les défiances de l’Italie.

Loin de là ; elle a souvent dit le contraire, elle n’a pas cessé de le dire, par la bouche de tous ses ministres. Jules Favre (16 mars 1871) : — « Ce que l’Italie pourrait craindre à l’heure actuelle, ce serait une agitation encouragée par nous autour du Vatican. Je puis sur ce point donner et je vous prie de transmettre au cabinet de Florence les assurances les plus positives. » — Thiers (22 juillet 1871) : — « Cette Italie, je n’en suis pas l’auteur… Mais enfin, elle existe, elle est faite ; il y a une Italie, il y a un royaume d’Italie qui a pris place parmi les puissances considérables de l’Europe. Que voulez-vous que nous fassions ? Il faut parler net ; il ne faut pas nous imposer une diplomatie qui aboutirait à ce que vous désavoueriez publiquement, c’est-à-dire la guerre. » — Le duc de Broglie (juin ou juillet 1873) se hâtait de faire connaître au gouvernement italien que le maréchal « entendait maintenir inaltérée envers le royaume d’Italie la politique de M. Thiers. » Le duc Decazes (20 janvier 1874) : — « Entretenir sans arrière-pensée, avec l’Italie, telle que les circonstances l’ont faite, les relations de bonne harmonie, les relations pacifiques et amicales que nous commandent les intérêts généraux de la France et qui peuvent aussi nous permettre de sauvegarder les grands intérêts moraux dont nous nous préoccupons à juste titre, voilà toute notre politique en Italie. »

La constitution de 1875 assoit et organise la république : les élections du 30 janvier et du 20 février 1876 assurent la prépondérance à une majorité libérale. M. Tirard et M. Madier de Montjau proposent pour la première fois la suppression de l’ambassade de France près le saint-siège. Gambetta, président de la commission du budget, est amené à la tribune : — « Il ne faut pas, s’écrie-t-il, qu’au-delà des monts on puisse penser, comme certains écrivains ont cherché à le faire croire, que le maintien de l’ambassade de France auprès du saint-siège s’inspire, en quoi que ce soit, d’une passion religieuse ou d’une passion hostile à un degré quelconque à l’unité du royaume italien[23]. » — De son côté, M. Jules Simon, président du conseil, fait, en plusieurs occasions, des déclarations analogues. Le 16 mai arrive, le duc Decazes reste au quai d’Orsay et le message aux chambres porte ceci : — « En fait de politique étrangère, le nouveau ministère pense exactement comme l’ancien. » — Sur les attaques de Gambetta, sur cette invective : — « Le patriotisme consiste à tenir la France à l’abri des expéditions de Rome, car c’est par des expéditions de Rome qu’on perd, à vingt ans de distance, l’Alsace et la Lorraine, » le même duc Decazes répondait : « En deux mots nous avons été, nous restons les amis sincères de l’Italie, et nous ne laisserons échapper aucune occasion de le prouver. »

Je ne crois pas que ce soit la peine d’aller plus loin, ni d’accumuler d’autres textes. Mais ces dispositions, ces intentions, ces volontés pacifiques du gouvernement français, communes à tous les ministères de droite ou de gauche, cléricaux ou libéraux, est-ce que le gouvernement italien en doutait ? Ni en 1873, ni en 1877, aucun ministre italien (et Dieu sait si la gauche, particulièrement M. Miceli, a interpellé là-dessus tous les cabinets qui se sont succédé ! ), ni M. Visconti-Venosta, ni M. Melegari, ni M. Minghetti, ni M. Depretis, n’est venu dire tout haut qu’il en doutât.

C’est le contraire qu’ils ont toujours dit. M. Visconti-Venosta (14 mai 1872) : — a L’honorable Miceli m’a demandé catégoriquement : — Quelles sont nos relations avec la France ? — Eh bien, je réponds catégoriquement aussi que nos rapports avec la France sont amicaux et très satisfaisans, que la France ne veut pas discuter le passé. » — M. Miceli n’étant pas convaincu et revenant à la charge tous les six mois : — « L’Europe entière et nos ennemis même ont vu que, pour la république française, Rome est au pape, comme elle l’était pour l’Empire, » M. Visconti-Venosta insistait (27 novembre 1872) ; il repoussait du pied « cet amas de nouvelles imaginaires et fantastiques qu’un trop grand nombre de journaux s’est plu à élever dans les derniers temps, parlant aujourd’hui de difficultés qui ne s’étaient jamais produites, demain de communications diplomatiques qui n’avaient jamais été faites, cherchant à exciter des susceptibilités auxquelles il manque un motif et créant artificiellement entre les deux gouvernemens un état de relations qui est loin d’être le vrai. » Les ingérences officielles, dont on parle, de la France dans les affaires italiennes « sont tout à fait imaginaires et je dois dire, poursuivait M. Visconti-Venosta, que même dans cet échange d’idées qui a lieu couramment entre les gouvernemens » et dans lequel il était naturel que la France exprimât l’espoir de voir l’Italie persévérer dans la voie de la modération et des égards dus au souverain pontife, même en ces échanges d’idées et en ces offices amicaux, « les représentans de la France ont apporté autant de réserve dans le fond que dans la forme, précisément pour ne pas donner prise à des nouvelles exagérées et à des interprétations malveillantes. »

Qu’il y ait en France un parti clérical, c’était un fait qu’il ne dépendait pas du gouvernement français de faire disparaître, et M. Visconti-Venosta ne pouvait le lui reprocher. À gauche, M. Mancini était forcé de le reconnaître, comme le ministre le reconnaissait (19 ou 20 mars 1873) : — « Nos irréconciliables ennemis sont d’accord, non pas avec une nation généreuse, mais avec la faction cléricale et légitimiste qui la tourmente et la déshonore, et qui est l’ennemie de la France autant que l’ennemie de l’Italie, parce qu’elle est ennemie de toute liberté et de toute civilisation. » — En 1875, on avoue que les relations de la France avec l’Italie sont bien meilleures qu’elles ne semblaient devoir l’être en 1871. En 1876, elles s’affermissent encore, et, après le 16 mai, elles n’ont pas empiré au point que M. Melegari ne pût pas rassurer le parlement italien. Il le rassurait pleinement, de toute sa conviction, de toute son autorité, en ces termes : — « Nous avons reçu, sans les provoquer d’une façon quelconque, puisqu’elles nous sont venues spontanément, soit du maréchal de Mac-Mahon, soit du duc Decazes, diverses communications, d’où nous tirons la persuasion que ni le président de la république française, ni, pour me servir de leur expression même, aucun de ceux qui composent le ministère ne veut rien changer dans les rapports de la France et de l’Italie, en ce qui touche surtout le point sur lequel on pourrait avoir quelque raison de douter, la réaction cléricale qui paraissait se dessiner en France… Non, non, nous n’avons rien à craindre. Je suis sûr, au contraire, que la grande majorité des Français, que la France moderne voit dans l’Italie un sujet de force, non un danger pour elle. »

Mais l’Italie ne voulait pas être rassurée ; elle ne l’est pas au bout de vingt-deux ans. Nos ministres et ses ministres avaient beau parler franc et net, elle aimait mieux suivre M. de Bismarck, qui agitait devant elle le spectre noir du pouvoir temporel. Nos hommes d’État, ses propres hommes d’État avaient beau répéter que ni le gouvernement français, ni l’opinion publique en France ne pensaient à la restauration de ce pouvoir, que la masse y demeurait indifférente, que le parti libéral s’y opposerait, que le parti clérical lui-même, sauf un ou deux enthousiastes, comme MM. de Belcastel et du Temple, n’en était plus à la foi agissante : toujours elle voyait le spectre noir qu’agitait M. de Bismarck.

Quand on n’eut plus, en Italie, autre chose à nous reprocher, on nous reprocha de ne pas nous jeter, nous aussi, dans le Kulturkampf. Quand ce grief, à son tour, ne fut plus de saison, on nous dit : « Si le comte de Chambord eût régné, il l’eût restauré, lui, le pouvoir temporel. » Mais tout d’abord, le comte de Chambord n’a pas régné et, ensuite, toutes les chances sont pour qu’il ne se fût pas lancé étourdiment en une telle aventure. N’importe, l’Italie entière nous voit débarquant à la Spezzia. Elle nous voyait partant pour cette croisade, sous le ministère Floquet ! Et non-seulement les politiciens, dont la bonne foi peut être médiocre, mais les humbles, les simples, dont la bonne foi n’est le plus souvent qu’égarée. Des gardiens de ruines m’ont livré le fond de leur âme, au Palatin, dans la maison de Livie, un jour que je m’étais réfugié près de leur feu, pendant un orage. Or, leur âme de pauvres gens était hantée de la France, de ses marins et de ses soldats.

M. Crispi, compère et complice de M. Bismarck, à force de dénoncer le tumultus gaîlicus, le péril français, à force de fixer les yeux de l’Italie sur la pointe de nos baïonnettes, a plongé son pays dans une profonde hypnose. Qui l’en tirera ? Pas même la preuve faite que ses inquiétudes sont puériles et vaines. Un député italien, M. Musolini, disait en 1872 : « L’assemblée française a imposé à son gouvernement l’obligation de restaurer le pouvoir temporel du pape… Une guerre est-elle possible entre la France et nous ? Possible ? Elle est inévitable. La France ne peut pas ne pas nous faire la guerre. Elle nous la fera et bientôt… Et je vous dis que ceci aura lieu avant que finisse 1874. Oui, messieurs, en 1874, nous serons en guerre avec la France. »

Nous sommes à vingt ans de là, en 1893, et cette guerre n’a pas eu lieu. Mais on continue de jurer que, le pape et nous, nous y pensons toujours et que l’Italie est bien heureuse d’avoir l’Allemagne et l’Autriche derrière elle.


VI

Que nous ne pensons pas à rétablir le pouvoir temporel des papes, c’est démontré autant que cela peut l’être et de toutes les manières, même par l’absurde. Le miracle n’est point à notre service et nous ne pouvons rendre l’ouïe aux sourds qui ne veulent pas entendre, pas plus que la liberté raisonnée de leurs actes et la parfaite possession, la maîtrise de soi, aux nations tombées en catalepsie.

Aux accusations portées contre la France, on pourrait riposter par d’autres accusations. On pourrait faire remarquer que le jeu de bascule, le double jeu qu’il jouait en 1870, M. de Bismarck, depuis 1870, tant qu’il a été au pouvoir, n’a pas cessé de le jouer, tenant le pape en haleine par le roi et le roi en échec par le pape, disant au Vatican : « Prenez garde, je vais reconnaître l’occupation de Rome, » et au Quirinal : « Prenez garde, je n’ai pas reconnu l’occupation de Rome. » Sans doute, le ministre de Prusse, M. Brassier de Saint-Simon, avait été le premier à complimenter Victor-Emmanuel au palais de Monte-Cavallo ; mais le comte d’Arnim n’avait pas été le dernier à s’affliger avec Pie IX, et les condoléances de l’un annulaient les félicitations de l’autre. Sans doute, le ministre de Prusse s’était toujours trouvé aux cérémonies officielles d’où, par hasard ou par malheur, le ministre de France était absent. Mais quelles petites chicanes et quelles misères de la forme !

Sans doute, l’empereur Guillaume Ier était venu à Milan et, plus tard, le prince impérial Frédéric, plus tard encore l’empereur Guillaume II vinrent à Rome ; mais M. de Bismarck lui-même avait dû faire, en esprit, un plus dur voyage : il avait dû aller à Canossa. Sans doute, Guillaume II, dans un dîner, au Quirinal, portait un toast, dont l’Italie s’est sentie toute réchauffée, à « la capitale intangible, » mais il faisait au pape une visite, et le vieillard auquel il la faisait, cette visite, n’était pas le chef de sa religion. L’Italie l’a donc oublié : M. de Bismarck disait au pape : Sire ! Lorsque Guillaume II vint à Rome, M. de Bismarck n’était déjà plus le maître : il n’était plus, pour son jeune souverain, que le pédagogue. On ne l’écoutait déjà plus. « Rome capitale intangible, » un monarque prussien, un empereur allemand l’a peut-être reconnue, mais non la diplomatie prussienne, mais non la politique allemande. Et, pour l’Autriche, nulle part les congrès catholiques n’ont été si nombreux, si ardens ; nulle part, on n’y a vu autant de princes du sang et de ministres. François-Joseph est allé à Venise, mais rien n’a pu le faire aller à Rome. Venise, c’est lui qui l’a perdue, qui l’a cédée : Rome, ce n’est pas à lui de la céder.

Si l’Italie avait les yeux ouverts, l’Allemagne et l’Autriche lui devraient être aussi suspectes, plus suspectes même que la France : nous l’avons montré par l’histoire, et d’ailleurs le bon sens le crie. Le bon sens crie que ce n’est pas la France qui la fera demain, cette guerre qu’elle n’a pas faite hier, pour restaurer le pouvoir temporel des papes. Elle ne l’a pas faite, de 1873 à 1877, lorsqu’elle avait un gouvernement réactionnaire : la fera-t-elle, maintenant qu’elle peut avoir des gouvernemens de toute sorte, maçonniques, jacobins, radicaux, libéraux, mêlés de l’un et de l’autre, tous les gouvernemens, sauf le réactionnaire et le clérical ! Mais M. Bonghi hoche la tête ; eh ! oui, justement c’est l’énigme : « Des douleurs, très saint-père, vous en avez de la France chaque jour, et, à la pente que descend ce pays, vous en aurez chaque jour davantage… Et cependant vous le comblez, et lui seul, de vos dons ! » M. Geffcken et le diplomate de la Contemporary Review joignent leurs voix : « Il y a quelque chose là-dessous » et ce quelque chose, c’est que, de cette France qui lui cause chaque jour des douleurs, le pape espère une très grande joie, délices terrestres qu’il préfère à l’amitié de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie, délices spirituelles s’il en fut, l’unique joie qu’il soit affamé de goûter ici-bas : la restauration de son pouvoir temporel.

Suite des contradictions : M. Bonghi sait et proclame que cette restauration est une chimère : M. Geffcken et le diplomate disent que c’est un mirage. Tous les trois s’accordent en ce point et tous les trois s’accordent aussi à considérer Léon XIII comme un fin politique, prudent, avisé, pratique, nullement comme un naïf ou un songe-creux. Néanmoins ils n’hésitent pas lui à prêter la plus grosse des naïvetés et la plus creuse des songeries, un scempio. Que ce soit une naïveté, une songerie creuse, d’attendre de la France républicaine la restauration du pouvoir temporel, et que Léon XIII ne soit pas un pape à construire sur les nuages des architectures politiques, cela devrait amplement suffire : la cause devrait être entendue. Mais il paraît que, malgré tout, malgré l’évidence, elle ne l’est pas. Il faut donc appeler les témoins.

Un de ces témoins, qu’on lui pardonne de s’introduire ainsi, c’est moi-même. Les circonstances ont fait que l’auteur de cet article, quamvis indignus, a vu de près tout ce qui s’est passé, de 1889 à 1892, entre le saint-siège et la France. Il a pris part, non aux négociations (M. Ribot l’a dit, il n’y en a pas eu), mais aux conversations dont le résultat, le résumé, a été l’encyclique aux catholiques français. Le langage que le pape a tenu dans cette encyclique, il le tenait au premier venu qui, sans mission, sans mandat, lui parlait des affaires de France. Je n’étais que ce premier venu, mais en 1890, 1891 et 1892, j’ai eu de Léon XIII trois longues audiences privées et du cardinal secrétaire d’État tant d’audiences que je ne les compte plus. Au cours de sept ou huit voyages d’études en Italie, il m’est arrivé de toucher à des sujets brûlans, qui pouvaient faire naître la question de l’indépendance du pape et, par extension, celle du rétablissement du pouvoir temporel : par exemple, la loi sur les Œuvres pies et les fêtes du 2 octobre 1891 : l’incident des pèlerins français au Panthéon.

Jamais cette question n’a été abordée ; jamais, sauf une fois, on ne m’en a dit un mot. Une fois le cardinal Rampolla m’en dit un mot, et voici le mot qu’il m’en dit : « La question romaine n’est pas réglée, mais elle n’est pas posée et ne se pose pas ; s’il plaît à Dieu de la résoudre et quand il lui plaira, sa providence la résoudra bien. » Quant à Léon XIII, pas un mot, pas même ce mot-là. S’il a vraiment cette idée fixe, la restauration du pouvoir temporel, il met à la dissimuler un art incomparable. Elle ne se fait pas jour : M. Bonghi, M. Geffcken et le diplomate avoueront que ce n’est pas, en général, le cas pour les idées fixes.

Que Léon XIII ait, en son cœur, renoncé ou non à la possession de Rome, peu nous importe. Nous nous rappelons toutes ses protestations, toutes ses revendications publiques, faites en vertu de ses sermens et des devoirs de sa charge ; nous ne nous sommes point aperçus qu’il eût pour le pouvoir temporel cet amour passionné que M. Bonghi qualifie irrévérencieusement de bramo senile del vecchio. L’eût-il, que peu nous importerait encore. Ce qui nous importe, c’est que tout le monde sache que pas un mot de ce désir, pas un mot de cet amour, Léon XIII ne l’a dit à la France ; c’est que personne ne puisse insinuer que le secret de sa bienveillance pour nous est dans ce désir, dans cet amour que la France aurait flatté. Nous ne l’avons pas flatté, nous n’avons pas eu à le flatter, par la raison, qui dispense d’en donner d’autres, que Léon XIII ne l’a pas laissé voir.

Ce qu’on appelle assez improprement « l’adhésion du pape à la république » a été, — que M. Bonghi veuille bien m’en croire, — un acte spontané, inconditionnel. La France n’a rien demandé au saint-siège. Le saint-siège n’a rien demandé à la France. En échange du concours moral qu’il prêtait à la république, Léon XIII n’a demandé ni la restauration du pouvoir temporel, ni une intervention auprès du gouvernement italien, ni cela, ni autre chose. Disons tout. Léon XIII n’a pas demandé l’abrogation de certaines lois, faussement considérées, d’autre part, comme étant de l’essence même de la république. Il n’a rien demandé, rien. Mais qu’a-t-il donné ? Et ce qu’il donnait à la France, le prenait-il à d’autres ? Quelqu’un a-t-il le droit de s’en plaindre ?

Cette politique pontificale, dont on dénonce avec colère la révoltante partialité, a-t-elle réellement blessé quelque nation catholique ou les catholiques de quelque nation ? N’a-t-elle pas été ce qu’elle devait être, la politique d’un pape ? Avec quelles traditions a-t-elle rompu ? à quelles obligations s’est-elle dérobée ? On serait fort empêché d’en citer une. Le pape a reconnu la légitimité de la république : c’est le fait capital de ses rapports avec la France. Et pour M. Geffcken, pour le diplomate, pour M. Bonghi, pour l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, c’est le crime de Léon XIII.

En prêchant la conciliation, l’union entre tous les Français, Léon XIII a contribué à refaire la France plus forte. En délivrant à la république une sorte de certificat de bonne vie et de bonnes mœurs, il a ouvert la voie au tsar et contribué à doubler encore la force de la France. C’est ce qui trouble l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie : — « Pourquoi le pape veut-il la France plus forte ? L’Allemagne et l’Autriche, inquiètes, disent à l’Italie, qui se le disait déjà à elle-même : — « Parce qu’il veut Rome. » — Mais ce sont l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne qui le disent : Léon XIII n’en dit pas un mot.

Et parce que le pape veut voir la France forte, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie l’accusent d’abandonner et de mépriser les faibles. Est-ce juste ? Est-ce sensé ? N’y a-t-il pas même imprudence à mettre en avant ce grief ? Car enfin, si le pape s’est senti porté de tout son être vers la France, c’est peut-être qu’elle lui est apparue en butte aux desseins équivoques d’une coalition hostile et que le souvenir lui est revenu de toutes les œuvres françaises à travers les siècles. L’affection particulière de Léon XIII pour la France, qui sait si ce n’est pas la haine mal contenue de la triple alliance qui l’a nourrie ? Quoi qu’il en soit, ce qu’il aime dans la république, c’est la France ; ce qu’il aime dans la France contemporaine, c’est l’immortelle histoire et l’impérissable génie de la France.

J’entends l’objection de M. Geffcken, du diplomate et de M. Bonghi : « Vaniteux, qui pensez être aimés pour vous-mêmes, sans qu’on se promette de vous un service en retour ! » Je ne dis pas que Léon XIII ne se promette point de la France un service. Je dis seulement que ce service n’est pas la restauration du pouvoir temporel, que ceux qui le soutiennent ignorent ou teignent d’ignorer ce qu’est l’Église, ce qu’est la papauté, et ce qu’est le pape. Ils ne comprennent pas ou feignent de ne pas comprendre le renouvellement de l’Église, le rajeunissement de la papauté, le recommencement que marque ce pontificat. Ils ne regardent ou feignent de ne regarder qu’un tout petit coin de sol italien, où, suivant eux, ce vieillard a les pieds attachés et que désespérément il embrasse pour être roi.

Mais, ce vieillard, ils oublient qu’il est le prêtre des prêtres, l’évêque universel, le vicaire de celui auquel un proconsul romain ne donna que par dérision le titre de Rex Judœorum, avec une couronne d’épines et un sceptre en roseau. Moins de cent ans s’étaient écoulés, les Romains tenaient encore la Judée, que le roi mis en croix avait conquis le monde. C’est une conquête pareille et non pas la reprise de quelques lieues carrées de campagne déserte, que la papauté tente aujourd’hui. Borner à Rome les ambitions de l’Église et les projets de Léon XIII, c’est rabaisser l’Église et Léon XIII. Si le pape suit « un feu follet, » comme on l’en avertit très charitablement, ce n’est pas sur les Marais-Pontins. C’est sur les mers et sur les océans, jusqu’aux extrêmes limites de ce globe et du ciel, tant que s’étendent la terre et les eaux. S’il jette les filets du pêcheur, ce n’est pas pour ramener un pauvre million de corps humains, mais des millions et des millions d’âmes, des peuples, des nations et des civilisations.

Le jour où il aura le monde, — et l’étonnant spectacle du jubilé n’est pas fait, à coup sûr, pour le décourager, — il n’aura plus besoin de Rome. Mais il n’aura le monde que lorsqu’il aura la France, car la France va toujours d’un pas plus vite, un pas plus loin que le reste du monde. Voilà pourquoi il l’aime et il l’appelle, pourquoi il tend la main à la sublime aventurière. Ce n’est pas un trône que le pape veut relever, c’est un autel. Ce n’est pas la promesse de M. Rouher qu’il invoque : « Jamais l’Italie n’entrera à Rome ; » ce sont d’autres promesses. De la chambre où, dans la nuit, veille la lampe qui est la flamme et la pensée de tant d’hommes, il écoute le cri qui monte du fond des temps : Gesta Dei per Francos. Ce n’est pas Rome qu’il veut de la France, c’est la France…

Peut-être le pape rêve-t-il. Peut-être l’illusion n’est-elle pas moins grande que de prétendre rétablir le pouvoir temporel. Mais elle est plus noble, plus haute, plus pure, plus digne de la France et plus digne d’un pape.


CHARLES BENOIST.

  1. Voyez le récent article de M. Bonghi dans le journal le Matin.
  2. H. Geffcken, Léon XIII devant l’Allemagne ; E. Dentu,1892, une brochure in-16, p. 20.
  3. M. Bonghi avait déjà exprimé les mêmes idées dans un article précédent : le 2 Octobre et ses conséquences : p. 6 : « L’action du pape n’a pas été la moindre des raisons pour lesquelles le gouvernement italien s’est attaché à l’alliance de l’Allemagne et de l’Autriche, enlevant ainsi à l’une et à l’autre toute velléité de prendre contre l’Italie la défense du pouvoir temporel, velléité qui dans l’esprit de la première eût pu surgir et dans l’esprit de la seconde eût surgi certainement. Les partisans de la triple alliance n’ont peut-être pas de meilleur argument que celui-là. Mais le pape a fait pis encore. Il a contribué à aliéner l’Italie de la France, en laissant croire que sa conduite douce (mite) envers la république, quoi que le gouvernement français fît en matière ecclésiastique, s’inspirait surtout de cette considération que, puisque la triple alliance faisait de l’Italie une ennemie pour la France, la France, tôt ou tard, pourrait l’aider dans l’accomplissement de son vœu désormais unique : redevenir prince. »
  4. Dans le fascicule de février de la Nuova Antologia, M. de Cesare vient à la rescousse de M. Bonghi : — « Il était fatal que le pape courût vertigineusement vers la France, parce que le siège apostolique, ayant perdu toute espérance de reprendre le pouvoir temporel avec le concours de l’Allemagne et de l’Autriche, se jetait dans les bras de cette seule puissance qui le lui laissait espérer. » (Nuovi Cardinali, Nuova Antologia, février 1893, p. 418.)
  5. Pour ne pas être accusé de choisir nos témoins, nous allons prendre ceux de nos adversaires. Nous nous reporterons pour tout ce qui va suivre au livre du général Cadorna lui-même, la Liberazione di Roma, qui contient, en appendice, les documens diplomatiques sur la question, et au livre de M. Francesco Scaduto, privat-docent de droit ecclésiastique à l’Université royale de Rome : Guarentigie pontificie e Relazioni fra Stato e Chiesa, — Storia, Esposiaione, Critica, Documenti.
  6. Peu importeo que cette lettre ait été blâmée par M. de Chaudordy, sévèrement jugée par Gambetta, autant que par le duc de Gramont. Elle est authentique et subsiste. M. Visconti-Venosta en avait pris acte le 26 septembre.
  7. Rotban, l’Allemagne et l’Italie, 1870-71, t. II : l’Italie (introduction), p. 113.
  8. D’après un autre écrivain italien, M. Chiala, M. Thiers aurait dit, lors de sa mission à Florence : « À votre place, j’aurais fait comme vous. » — Luigi Chiala, Pagine di Storia contemporanea, dal 1858 al 1892 ; fascicolo I, p. 77.
  9. Scaduto, Guarentigie pontificie, p. 58.
  10. Id., ibid.
  11. Id., ibid.
  12. Scaduto, Guarentigie pontificie, p. 60.
  13. Mémoires du comte de Beust, t. II, 1866-85, p. 412.
  14. Rothan, l’Allemagne et l’Italie, t. II : l’Italie (introduction), p. 59. — Comp. Chiala, op. cit., p. 84. — « Tant que les Français occupaient une partie des États romains, c’était l’intérêt prussien de pousser les Italiens sur Rome, afin de provoquer un conflit entre les deux nations et de rendre impossible une alliance italo-française. Mais une fois que la France eut décidé de retirer ses troupes, la question changeait d’aspect aux yeux de la Prusse. À partir de ce moment, elle cesse de pousser les Italiens à l’occupation de Rome ou tout au moins elle le fait plus mollement. »
  15. Comparez les instructions du 29 août (M. Visconti-Venosta à M. Nigra) : « Les choses en sont venues au point qu’aujourd’hui la cour de Rome appelle le secours d’autres puissances pour le pouvoir temporel et ne cache pas les espérances de restauration qu’elle fonde sur les malheurs de la France. » — Voyez aussi Rothan, l’Allemagne et l’Italie, t. II : l’Italie (introduction), p. 84. Le roi Guillaume tint, en personne, ce langage au cardinal Ledochowski, à Versailles : « La campagne faite, il donnerait une sévère leçon aux a usurpateurs » de Rome. » (Chiala, op. cit., p. 85.)
  16. Id, ibid., p. 34.
  17. 20 septembre 1870. Scaduto, Guarentigie pontificie, p. 65.
  18. Scaduto, Guarentigie pontificie, p. 65. M. Visconti-Venosta à M. de Launay, 20 septembre 1870.
  19. Id., ibid., M. de Launay à M. Visconti-Venosta, 17 septembre 1870.
  20. ''Id., ibid., M. de Launay à M. Visconti-Venosta, 6 octobre 1870.
  21. « Il ne sera pas inutile de rappeler que, de tous les chefs de ministères étrangers, M. de Bismarck est le seul qui fit quelques réserves sur notre entrée à Rome. » — L. Chiala, op. cit., p. 83.
  22. Scaduto, Guarentigie pontificie, p. 75.
  23. 11 novembre 1876.