La France socialiste/IX

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IX

TRIOMPHE DU COLLECTIVISME

Le Congrès de Lyon[1] avait donné mandat aux Chambres syndicales de Paris d’organiser un Congrès international au mois d’août 1878, pendant l’Exposition. Quand on commença dans les groupes ouvriers à parler du Congrès international, un double courant contraire se dessina. Les socialistes révolutionnaires purs voulaient donner au Congrès un programme exclusivement révolutionnaire ; les coopératistes des anciens congrès voulaient maintenir la tradition des premières assemblées ouvrières.

L’intransigeance des recrues socialistes faillit causer un déchirement. M. Guesde et ses amis eurent de grandes peines à amener leurs adhérents à composition. Ceux-ci, avec l’ardeur des néophytes, parlaient de laisser les coopératistes se réunir entre eux et d’ouvrir, en face de ce congrès, un autre congrès révolutionnaire. Cette lutte au berceau eût été meurtrière pour le parti. M. Guesde la prévint. Le programme des travaux du Congrès put contenter les deux fractions du prolétariat.

Cette première difficulté aplanie, il en surgit une autre beaucoup plus grave. La Préfecture de police fit avertir la commission d’organisation que la réunion du Congrès ne serait pas tolérée. Cette commission, où ne dominaient pas les révolutionnaires, ne voulut pas passer outre à l’interdiction. Elle arrêta ses travaux.

M. Jules Guesde et ses amis et les six Chambres syndicales adhérentes à son programme s’emparèrent du mandat que la commission d’organisation abandonnait. Ils préparèrent seuls le Congrès, reçurent avec solennité et comme représentants autorisés de la classe ouvrière française, les délégués des Trade’s Unions d’Angleterre.

Cette énergique attitude de la minorité bravant le pouvoir fit une forte impression sur les groupes qui avaient renoncé à prendre part au Congrès, quand la police avait dit qu’elle en empêcherait la réunion.

Le 3 septembre 1878, le socialisme révolutionnaire remporta sur les idées pacifiques, de réforme, une grande victoire. Les groupes résignés jusque-là à l’interdiction du Congrès demandèrent pour leurs délégués des cartes d’invitation chez M. Finance, au domicile duquel la minorité guesdiste avait décidé que les congressistes se réuniraient.

Particularité très importante : au nombre des groupes qui firent ainsi, en quelque sorte, amende honorable au socialisme révolutionnaire, qui se placèrent derrière son chef, M. Jules Guesde, figurait le groupe du Prolétaire[2], composé des anciens meneurs coopératistes.

Ainsi le socialisme révolutionnaire l’emportait par son audace ; lui qui n’avait jusqu’alors rallié qu’une infime minorité dans le prolétariat français, il prenait la tête du mouvement ouvrier. Le gouvernement compléta sans le vouloir la victoire des communistes.

À la porte du domicile de M. Finance, rue des Entrepreneurs, à Grenelle, il posta des agents qui arrêtèrent les congressistes, le 4 septembre, au moment où ils allaient entrer chez leur hôte.

Trente-huit d’entre eux furent poursuivis devant la dixième chambre. Ils confièrent le soin de présenter leur défense collective à M. Jules Guesde.

Celui-ci fit un long discours, véritable manifeste du socialisme révolutionnaire, qui, en raison de la tribune exceptionnelle où il fut prononcé, eut un grand retentissement. Ce qui eût été presque inaperçu au Congrès fut remarqué à la barre du tribunal. Ce procès fut une « réclame » pour le socialisme révolutionnaire, une de ces réclames comme ses apôtres en souhaitaient, mais n’en croyaient pas obtenir.

M. Guesde et ses amis furent condamnés à la prison. Mais, condamnés, il furent les vainqueurs, car la classe ouvrière adopta leurs idées.

Ces infatigables propagandistes profitèrent de l’immense publicité qu’on venait de leur faire. Ils répandirent à plusieurs milliers d’exemplaires leur défense collective dans les ateliers, dans les chantiers. De Sainte-Pélagie, où on les avait enfermés, ils lancèrent un premier « appel aux prolétaires, aux paysans propriétaires et aux petits patrons », les invitant à se grouper en vue :

« 1o  De mettre à la charge de la société les frais d’entretien, d’éducation et d’instruction intégrale et professionnelle de tous les enfants sans distinction ;

« 2o  De reprendre à leurs détenteurs le sol et les instruments de travail, c’est-à-dire tout le capital, tant mobilier qu’immobilier, et de constituer ce capital social ou national en propriété sociale ou nationale, indivise et inaliénable. »

À cet appel répondirent des adhésions nombreuses de Vienne, de Troyes, de Saint-Étienne, de Pontoise, d’Orléans, de Perpignan, de Marseille, de Cette, de Béziers, de Grenoble, de Limoges, de Puteaux, etc.

Le parti communiste ou collectiviste existait. Il ne lui manquait plus qu’un acte de naissance, qu’une pièce officielle qui constatât qu’il était venu au monde en France. Le Congrès national ouvrier de Marseille, en octobre 1879, fut cette constatation. Ce congrès est le premier où la classe ouvrière française se soit déclarée révolutionnaire.


  1. Janvier 1878.
  2. Le journal n’existait pas encore, mais un groupe qui portait ce nom en préparait la publication.