La Frontière militaire du Nord-Est

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La Frontière militaire du Nord-Est
Revue des Deux Mondes6e période, tome 43 (p. 366-399).
LA FRONTIÈRE MILITAIRE
DU NORD-EST

Entre toutes les conditions d’une paix de justice et de durée, s’il en est une qui apparaisse clairement et soit acceptée de tous les Alliés, c’est bien le retour de l’Alsace-Lorraine à la France. Certes, elle n’est qu’une des conditions de cette paix, si nécessaire à l’Europe et au monde. Et d’autres, aussi graves, aussi indispensables, devront être imposées. Mais celle-ci est à la base de toutes les autres, car elle est de droit absolu et imprescriptible. Il n’y a pas de doute non plus que c’est sur elle que l’Allemagne se montrera le plus réfractaire, le plus irréductible, et en cela elle marquera définitivement sa défaite. Toute l’œuvre bismarckienne, fondée sur la spoliation et sur le mensonge, tombera du coup, et ce n’est qu’à ce prix que l’équilibre de l’Europe pourra être rétabli.

Je ne viens donc pas aujourd’hui, après tant d’autres et après l’abbé Wetterlé récemment dans cette Revue, rappeler nos justes revendications sur l’Alsace-Lorraine. Nous savons tous que nous nous battons pour les deux provinces fidèles ; nous savons que nos sacrifices, que nos deuils et nos ruines seront payés largement par leur rattachement à la mère-patrie. Des Français peuvent être incertains, divisés même d’opinion, et trop souvent ignorans, en ce qui concerne les conditions nécessaires et possibles de la paix générale ; mais quel est celui, en France, qui oserait émettre un doute, non pas sur le principe même de nos droits, mais sur la réalisation de ces droits, acquise au prix de tant de constance et de tant de douleurs ? Le parti socialiste lui-même, si égaré soit-il parfois par ses utopies sociales, se déshonorerait et serait ruiné dans l’esprit national, s’il laissait discuter la question du retour intégral et sans conditions de l’Alsace-Lorraine.

Or, autour de cette Alsace-Lorraine indiscutable, un grave débat s’est ouvert avec la prolongation de la guerre et avec la certitude de vaincre qui nous pénètre de plus en plus malgré tant de tragiques et d’émouvantes fluctuations. L’Alsace et la Lorraine ont eu dans notre histoire un rôle tellement considérable que leur simple réintégration dans l’unité nationale devait soulever fatalement toute la grande question des frontières du Nord-Est, dont la solution a été l’objectif fondamental de la politique française depuis l’origine du royaume, Un nom résume la longue lutte soutenue pendant des siècles : le Rhin !


I. — LA QUESTION DU RHIN

C’est vers le Rhin, frontière naturelle indiquée par César, inscrite dès le Xe siècle dans la tradition royale, affirmée en droit par les légistes du moyen âge, définie comme le but essentiel par Richelieu, atteinte par la République en 1795, contresignée alors par l’Europe au traité de Bâle, dépassée par Napoléon, en partie perdue en 1815, que s’est toujours porté le sentiment, vague ou précis, mais jamais aboli, de la nationalité française.

Il nous serait agréable, et cela serait sans doute intéressant pour nos lecteurs, de rappeler les phases de cette « dispute du Rhin, » qui, à travers les alternances des victoires et des revers, nous avait cependant faits riverains du Rhin le long de la magnifique Alsace, et de joindre notre voix à ceux qui réclament de la victoire prochaine plus que la réparation de l’iniquité commise en 1871, à ceux qui demandent, au nom de la tradition française et pour la sécurité du pays, le Rhin de Richelieu et de la République.

Car voilà bien le problème posé à l’heure actuelle dans l’opinion publique : Reviendrons-nous, faut-il revenir à la rive gauche du Rhin, c’est-à-dire au Rhin intégral, frontière de l’Allemagne, ou bien, nous en tenant à cette frontière modérée, acquise par la monarchie avant la Révolution, et qui enfermait notre Alsace-Lorraine, nous bornerons-nous a la jalonner à nouveau avec les rectifications indispensables ?

Notre intention n’est pas de prendre parti, pas plus que de


CARTE DES FRONTIERES DU NORD-EST

garder la neutralité, entre ces deux frontières. Aussi bien le gouvernement, tout en restant prudemment dans le concept, indiscutable, je le répète, de la réintégration de l’Alsace-Lorraine, a-t-il affirmé qu’elle comportait les garanties indispensables contre une reprise de l’agression allemande, telle qu’elle a eu lieu en 1914. Et c’est précisément sur ces garanties indispensables que nous voudrions essayer de donner à nos lecteurs les indications que nous suggèrent la géographie et l’histoire.

Ces garanties sont évidemment et avant tout d’ordre militaire, et elles se résument dans ce qu’on a appelé la bonne frontière militaire.

Mais outre que les bonnes frontières militaires ne coïncident pas toujours avec les frontières, qualifiées naturelles ou politiques, la guerre actuelle a démontré, de la façon la plus meurtrière, que la valeur économique des zones frontières, c’est-à-dire leurs ressources minières et industrielles, ont une influence incalculable sur la défense d’un pays. Les considérations économiques doivent donc entrer pour une large part dans l’étude et la reconstitution d’une frontière défensive.

Nous ne sommes pas les premiers à. traiter ce problème de notre future frontière militaire, et, par voie de conséquence, de celle de l’Allemagne vaincue. Cependant nous espérons, sans dépasser nos droits de polémique, apporter une contribution supplémentaire et acceptable à l’œuvre qui se prépare, moins dans les secrets des chancelleries que dans l’opinion publique, régulatrice de plus en plus éclairée des gouvernemens.


On a souvent dit que la guerre actuelle était en germe dans le traité de Francfort, et ce n’était que trop vrai. Mais peut-être a-t-on attribué trop exclusivement au caractère politique de l’annexion de l’Alsace-Lorraine le danger qui a menacé pendant quarante-quatre ans la paix européenne et qui a fini par mettre la France et l’Allemagne de nouveau aux prises, et avec elles l’Europe et le monde. Après tout, cette guerre effroyable a commencé, au moins dans ses prétextés immédiats, par le côté tout à fait opposé. La question d’Orient parait avoir déchaîné le conflit plus que la question d’Alsace-Lorraine que la France n’avait pas soulevée, qu’elle écartait même autant que possible, avec une patience que d’aucuns estimaient faiblesse en face des vexations et des injures réitérées de l’Allemagne à propos du Maroc. Certes, la France n’oubliait pas ; elle en a témoigné par l’enthousiasme qui a emporté le pays et l’armée quand la guerre a été inévitable. C’est bien au cri : « Nous allons reprendre notre Alsace-Lorraine ! » que tout le peuple a couru aux armes d’un cœur unanime. Cependant la France n’aurait pas provoqué la guerre pour recouvrer les provinces si injustement arrachées. Et l’Allemagne aurait pu continuer, l’arme au pied, son œuvre d’impérialisme, si elle n’avait pas trouvé dans la possession même de l’Alsace-Lorraine toutes les possibilités et les facilités de l’agression qu’elle méditait et qui devait lui assurer l’hégémonie du monde.

Regardons la carte, et qu’on juge si l’annexion de l’Alsace-Lorraine, avec Metz et Strasbourg, n’a pas eu un caractère encore plus militaire que politique.


II. — LA FRONTIÈRE DU TRAITÉ DE FRANCFORT

Le tracé imposé par l’état-major allemand, en 1871, avançait notre frontière de 1870 pour ainsi dire parallèlement aux deux branches de l’équerre qu’elle formait à angle droit, sur une distance moyenne de 40 à 60 kilomètres. Les crêtes des Vosges remplaçaient le Rhin face à l’Ouest, et une ligne, en apparence aussi conventionnelle que l’ancienne, coupait la Lorraine, face au Sud, entre les sources de la Sarre et la Moselle moyenne. Le gain territorial total était de 140 000 kilomètres carrés, avec une population de 1 600 000 âmes ; mais, en plus de la valeur politique et économique de la conquête, l’avantage militaire était tel qu’on peut s’étonner que l’Allemagne n’ait pas exigé davantage, et que, profitant de, l’épuisement de la France et de la surprise et de l’inertie des États européens, elle n’ait pas porté la frontière jusqu’à la Meurthe, peut-être même jusqu’à la Moselle, avec Nancy et Belfort.

On sait combien M. Thiers dut lutter pour conserver Belfort, il dut sacrifier en échange certains districts voisins du Luxembourg, auxquels les Allemands semblaient n’attacher qu’une valeur de troc, et dont on méconnaissait, au moins en France, l’avenir minier. C’est tout juste si l’on put préserver les mines de Villerupt. Les Allemands savaient déjà ce qu’ils pouvaient attendre pour leur industrie des minerais de fer lorrains de la région de Thionville ; ils tenaient également à avoir la maîtrise des chemins de fer luxembourgeois[1].

Par le nouveau traité, englobant Metz et Strasbourg, de Moltke conservait la tenaille stratégique, mais avec quelle supériorité sur celle qu’il avait dû faire franchir à ses armées en août 1870. Tout le cours du Rhin appartenait désormais a l’Allemagne, les armées allemandes le franchissaient librement ; leur concentration, réduite en 1870 à la place d’armes du Palatinat, allait pouvoir s’étaler largement en Alsace et en Lorraines

Les difficultés de l’invasion disparaissaient d’autant plus que toute l’organisation défensive créée par Vauban, toutes les célèbres places fortes de Metz, Strasbourg, Thionville, Sarrelouis, Bitche, Wissembourg, Phalsbourg, Huninghe, etc. passaient aux mains des Allemands. Les Vosges n’étaient plus un obstacle, et les chemins de Lorraine se prolongeaient en rase campagne.

On a prétendu que Bismarck se serait contenté de l’Alsace et de la ligne de la Sarre. Il semble pourtant que la fameuse carte au liséré vert, qui était connue en Allemagne tout au moins dès le début de la guerre, enfermait Metz et Thionville. Et l’état-major, prévoyant non point tant un retour offensif de la France que la continuation du plan d’opération et de conquête, ne pouvait ni accepter que Metz restât à la France, ni sacrifier l’avantage qu’on attachait alors à la forme classique de la tenaille stratégique.

Il manifesta immédiatement son sentiment en organisant militairement les territoires annexés ; avant toute germanisation, il y vit d’abord la concentration des armées allemandes et la préparation des futures offensives contre la France.

Pendant plusieurs années, ce fut un travail continu qui amena les voies ferrées du Rhin en Lorraine et en Alsace, les disposant avec un art remarquable pour transporter les corps d’armée dans le plus bref délai possible et les débarquer au plus près de la frontière. On comptait en 1900 au moins douze lignes, presque toutes à double voie, et une centaine de quais de débarquement, variant de 1 000 à 400 mètres de longueur, la plus grande partie groupés en Lorraine entre Saverne, Metz et la Sarre. De 1900 à 1913, toute cette organisation, fut encore renforcée.

Nous estimions à l’Ecole de guerre que toute l’armée allemande, qui comptait en 1905 23 corps d’armée, pouvait être concentrée et prête à marcher entre le dixième et le douzième jour de la mobilisation. Or, de la zone de concentration à la frontière, il n’y avait guère plus d’une étape. Les avant-gardes étaient aux bornes-frontières.

L’Alsace-Lorraine devenait ainsi une grande place d’armes offensive sur laquelle le commandement allemand non seulement préparait la concentration de la presque totalité de ses armées dans un espace très restreint, mais plaçait dès le temps de paix une très forte armée, dite de couverture, qui formait en réalité une puissante avant-garde campée à la frontière même.

Et c’est devant cette frontière ouverte, derrière laquelle grondait le flot allemand sans cesse accru, que la France vaincue allait être obligée de monter la garde toujours inquiète, pendant qu’elle essayerait de réparer le désastre et de reprendre son rang en Europe et dans le monde… si l’Allemagne le lui permettait. Car même en ces jours tragiques où nous voyons aujourd’hui les conséquences de la mutilation de 1871 et où nous pouvons avoir la certitude, au prix de sacrifices qu’on ne prévoyait certes pas, de faire payer à l’ennemi quarante-trois années de tourment et d’outrage, il faut se rappeler avec quelles difficultés et avec quelle admirable énergie la France se releva de la défaite de 1870, et cela, sous cette menace qui pesait sur elle. Tandis qu’elle poursuivait le magnifique travail de restauration et de redressement qui a été l’honneur de la troisième République, entre 1872 et 1890, les épreuves ne lui ont pas manqué. A plusieurs reprises, l’Allemagne, de plus en plus militarisée, a voulu se mettre en travers d’une reconstitution dont la rapidité la surprenait et la préoccupait. Dès 1875, quatre ans après le traité de Francfort, peu s’en fallut qu’elle ne se jetât sur notre armée à peine réorganisée et sur les travaux de défense déjà commencés à notre frontière. L’Europe s’émut alors, et un signe de la Russie et de l’Angleterre suffit à arrêter l’agression, signe tardif qui, fait en 1870, eût peut-être préservé l’Europe des malheurs actuels. Plus tard, en 1887, avec l’incident Schnœbelé, la patience de la France subit encore une dure épreuve. Et de 1905 à 1913, nous avons su ce que voulait dire le mot « querelles d’Allemand ! » Mais toutes ces menaces, toutes ces injures, toute cette intimidation auraient-elles pu avoir lieu, si l’Allemagne ne s’était pas sentie dans la situation la plus favorable pour une action militaire ? Et ce n’était pas seulement sur la force de son armée qu’elle comptait, mais certainement sur la position acquise, d’où elle pouvait s’élancer à son gré et à son heure contre cette France, à la fois abhorrée et redoutée, dont elle sentait malgré tout l’irréductible honneur.

Et nous-mêmes, hommes politiques, soldats surtout, et toute la nation dans le secret de son âme, n’avons-nous pas été pour ainsi dire suggestionnés par cette hantise de l’armée allemande à nos portes, par le danger que recelait l’Alsace-Lorraine transformée en camp retranché, encore plus que par le désir de reprendre les deux provinces volées ? Au point que notre état-major, concentrant toute son attention et tout son effort sur la frontière du Nord-Est, n’attachait pas l’importance qu’il aurait fallu à l’évolution qui, avec le temps et les circonstances, se produisit dans les conceptions militaires et politiques de l’Allemagne. Evolution sur laquelle notre propre organisation militaire devait exercer pourtant une influence capitale, — comme nous allons le voir.

En effet, en même temps qu’elle reconstituait la force nationale et réorganisait l’armée, la République regardait avec clairvoyance cette frontière d’Alsace-Lorraine et comprenait qu’elle ne pouvait vivre et travailler en sécurité si elle n’opposait à l’invasion menaçante la barrière indispensable. La frontière militaire qui avait survécu à 1815 était détruite. Le traité de Francfort, a-t-on dit, était un chef-d’œuvre de destruction, qui complétait le traité de 1815. Pouvait-on refaire une nouvelle frontière militaire ? La question se posa dès que le territoire fut libéré de l’occupation allemande. Thiers avait délivré le, pays en payant l’indemnité plus tôt que ne le pensaient Bismarck et de Moltke, il avait présidé aux premières lois de réorganisation de l’armée. Le maréchal de Mac-Mahon, en prenant la présidence de la République, comprit ses responsabilités militaires et chargea le conseil supérieur de défense, dont le maréchal Canrobert était président, de procéder sans retard à l’organisation défensive de nos frontières.

Le général Séré de Rivière était alors directeur du génie, c’est à lui qu’incomba cette organisation. Son nom n’est pas oublié. On l’a rappelé avec juste raison au cours de cette guerre. Car le système qu’il édifia a fait ses preuves. Verdun, Toul, Belfort sont toujours là, « pierres angulaires » contre lesquelles s’est brisée tout de même la ruée allemande ! Je voudrais qu’au lendemain de la guerre on élevât dans la citadelle de Verdun la statue de Séré de Rivière. Le pays lui doit une reconnaissance infinie, comme à Thiers, comme à Gambetta, comme à Mac-Mahon.

Nul n’ignore chez nous les noms des grandes places que je viens de citer. On savait aussi que Maubeuge, Lille furent de grandes places, et on s’est étonné que Maubeuge ait succombé rapidement et que Lille n’ait pas été défendue. Une description sommaire de cette frontière militaire reconstituée importe donc à l’objet que nous poursuivons ici : la recherche de la vraie et bonne frontière militaire de la France comme conclusion de cette guerre.


III. — L’ORGANISATION DEFENSIVE DE NOTRE FRONTIERE NORD-EST ET DU NORD DE 1872 A 1914

Le traité de Francfort ne nous laissait de nos anciennes places de l’Est que Montmédy, Verdun, Toul et Belfort. De la frontière à la Meuse et à la Saône, le parcours était libre. Mais la Meuse elle-même formait une première barrière naturelle. Et la carte montrait qu’elle se prolongeait par le cours supérieur de la Moselle. La Meuse parait, en effet, la continuation de la vallée de la Moselle. L’isthme collinaire de Toul a séparé les deux rivières et les a obligées à diverger, l’une vers le Nord-Ouest, l’autre vers le Nord-Est, laissant entre elles le plateau de la Woëvre et plus au Nord les Ardennes.

Cette ligne Meuse-Moselle, du Ballon d’Alsace à Mézières, présentait donc un barrage sur lequel pouvait s’appuyer l’organisation défensive. Déjà les grandes routes, qui le franchissaient en venant de l’Est, avaient été interceptées par la fortification aux passages historiques de Verdun et de Toul. Verdun, Toul, Metz, les trois évêchés, les trois grandes places de Lorraine, formant le célèbre triangle qui coupait les voies militaires et commerciales du Rhin vers Paris, rappelaient les guerres pour l’unité française, la dispute impériale des pays d’Austrasie et du Rhin. Verdun, Toul, en face de Metz perdu, devaient être les points essentiels de la nouvelle frontière militaire.

Mais le terrain lui-même se prêtait à cette organisation. Suc la rive droite de la Meuse, s’érigeaient les hauteurs connues sous le nom de Côtes lorraines, de Toul à Verdun, se prolongeant au Nord jusqu’à la côte Saint-Germain, près de Dun, passage fameux aussi, au Sud jusqu’au-delà de Neufchâteau, qui fut jadis une ville fortifiée. Ce rempart naturel, dont la largeur variait de 15 kilomètres au saillant d’Hattonchatel, à 8 kilomètres devant Verdun et à 3 ou 4 kilomètres aux extrémités Sud et Nord, descend par des pentes boisées assez douces vers la Meuse, mais il tombe à pic à l’Est sur la Woëvre qu’il domine d’une centaine de mètres. L’intérieur des côtes est très boisé et coupé de nombreux ravins. Les revers orientaux sont abrupts et tapissés de vignobles. L’ensemble constituait donc des positions excellentes pour arrêter une armée allemande débouchant de Metz.

A partir de Toul, on remonte le cours de la Moselle assez encaissée, entourée de hauteurs qui se commandent réciproquement d’une rive à l’autre. Cependant le plateau de Haye domine nettement Nancy et forme l’avancée de Toul. Les hauteurs se relèvent en arrivant à Epinal. On entre dans le Vosges. Mais, le long de la rive gauche, les contreforts des Faucilles se terminent par des collines qui portent le nom de Hauts de Moselle et font face aux Vosges.

Le barrage fluvial Meuse et Moselle trouvait donc un renfort dans le relief de ses rives. Et il est triste de constater qu’en 1870 notre état-major semblait ignorer la valeur, stratégique et tactique de ces positions. Aucune résistance ne fut organisée après les échecs de Forbach et de Frœschwiller. Ni les Vosges, ni le Grand Couronné de Nancy, ni les hauteurs de la Moselle, ni les Côtes lorraines ne servirent de repli à nos armées en retraite. L’armée d’Alsace s’en alla en déroute d’une traite au camp de Châlons où l’attirait le souvenir des manœuvres annuelles, tandis que l’armée de Lorraine se laissait enfermer et bloquer à Metz… L’armée de Châlons dériva vers le gouffre de Sedan.

Le général de Rivière n’eut garde de négliger les avantages que lui offrait le terrain. Entre Verdun et Toul, places principales transformées en puissans camps retranchés, il garnit les Côtes lorraines de forts d’arrêt surveillant à la fois la vallée de la Meuse et les routes d’accès de la Woëvre ; il formait ainsi ce qu’il appela une région fortifiée, interdisant de ce côté toute action offensive à l’ennemi tant que la région tiendrait. La route de Metz-Châlons-Paris était ainsi fermée.

Une deuxième région fortifiée fut organisée entre les camps retranchés d’Epinal et Belfort, sur les Hauts de Moselle. Elle barrait les routes des Vosges et la trouée de Belfort. Moins importante peut-être que celle de Verdun-Toul, elle assurait du moins à nos armées le débouché éventuel dans la haute Lorraine et en Alsace.

Le général de Rivière ne tomba pas dans l’excès de son système. Il n’eut jamais l’intention de construire une muraille de Chine, ni une ceinture de fer continue. Outre que la dépense eût été hors de proportion avec les ressources du pays et avec l’intérêt même de la défense, il imposait à l’offensive allemande, par la disposition de ces deux régions fortifiées, l’obligation de passer entre les deux, ou de chercher le franchissement de la Meuse au Nord de Verdun. Elle était coupée en deux directions divergentes et séparées, cherchant les passages libres. C’est ce qu’on appela plus tard, à tort selon nous, les trouées de Charmes et de Stenay. Ce furent tout simplement des zones ouvertes aux batailles, mais suffisamment restreintes en étendue et assez fortement étayées aux ailes pour que nos armées pussent y attendre ou y chercher le choc des armées allemandes dans des conditions avantageuses.

Mais en arrière de ces zones ouvertes, et à bonne distance, d’autres régions fortifiées étaient organisées pour servir de repli aux armées en retraite et leur permettre de se réorganiser et de reprendre l’offensive. C’est ainsi que Langres, Dijon défendaient les routes de la Seine et de la Marne, et que Reims, Laon, La Fère barraient les routes de l’Oise et de l’Aisne.

Le général de Rivière ne s’était pas borné à cette organisation du Nord-Est. Il avait prévu que, si la barrière qu’il organisait à l’Est tenait bon, l’état-major allemand chercherait à la tourner et à s’ouvrir autre part les routes de Paris. Pour cela il fallait qu’il passât par la Belgique ou par la Suisse. Par la Belgique, il abordait notre frontière du Nord pour atteindre les routes de l’Oise et de la Somme. L’histoire donnait la preuve que la dispute entre France et Allemagne s’était déroulée souvent en Belgique dans les Flandres et dans l’Artois. Rivière jugea avec raison que la frontière militaire ne serait inviolable que si elle s’étendait jusqu’à la Manche. Il utilisa les Vieilles places du Nord avec leur système d’inondations et y créa également des régions fortifiées. Nous verrons plus loin ce qu’il advint de cette organisation du Nord. La frontière du Jura eut aussi sa part d’attention.

En résumé, la frontière militaire du Nord-Est était fixée à une distance plus ou moins grande de la frontière politique franco-allemande. Il ne pouvait en être autrement, et par le tracé même de la nouvelle frontière et par le relief du sol. Nancy, à quelques kilomètres à l’Est de Toul, ne fut pas fortifié, bien que l’admirable ceinture de hauteurs qui l’entoure se prêtât à l’organisation d’un camp retranché. Certes, ce ne fut pas faute d’y penser et d’en avoir fait le projet… Mais l’état-major allemand, fort de sa position en Lorraine, fit un casus belli de la fortification de Nancy. Et nous dûmes dévorer l’affront !

Entre le tracé de la frontière et les régions fortifiées, il y avait donc un espace libre qui pouvait être couvert par l’invasion. La conséquence du recul de notre frontière militaire était que la concentration de nos armées devait s’opérer en arrière et à l’abri de la défense fixe. Les forteresses de la Meuse et de la Moselle n’avaient pas seulement pour but d’enrayer l’invasion, mais elles couvraient le rassemblement de nos armées et favorisaient leur offensive éventuelle. Elles ne suffisaient pas cependant, puisqu’il y avait des zones ouvertes, et il importait en outre de ne pas laisser l’ennemi s’emparer immédiatement de Nancy, de la Woëvre et des Vosges et s’avancer impunément vers notre concentration.

Aussi, de même que les Allemands accumulaient troupes et matériel en Alsace-Lorraine comme couverture de leur concentration, nous dûmes constituer dans la région lorraine de fortes et solides garnisons qui remplirent exactement le même rôle de couverture que de l’autre côté de la frontière. Ce furent d’abord le 6e corps et le 7e corps, dont les chefs-lieux étaient à Châlons et Besançon, appointés plus tard du 20e corps à Nancy. Ces corps à effectifs renforcés, commandés par les meilleurs chefs de l’armée qui tenaient à honneur d’y être nommés, très entraînés, ont eu la garde sacrée de la frontière pendant plus de quarante ans. Nous dirons plus loin comment cette couverture parut à un moment insuffisante et les mesures qui la renforcèrent à la veille même de la guerre.

Comme on le voit, la situation militaire créée par la frontière du traité de Francfort avait amené la France à organiser une frontière militaire très solide sur la Meuse et la Moselle, derrière laquelle elle abritait et protégeait sa concentration. Mais la carte le montre bien. La concentration de la totalité de l’armée allemande étant prévue, elle aussi, en Alsace-Lorraine, en avant du Rhin, frontière militaire de l’Allemagne, tout contre la frontière politique, l’armée française au contraire était obligée de se concentrer à trois ou quatre marches de la frontière. L’état-major allemand avait donc l’avantage stratégique de l’offensive et de la bataille au-delà de la frontière, sur le sol français.

Il n’y a pas de doute que, jusqu’à ces dernières années, les deux adversaires envisageaient bien les premières batailles entre la frontière et la ligne Meuse-Moselle. Nous allons voir comment la stratégie allemande se modifia et tourna son plan vers la Belgique, mais aussi comment elle ne put tenter une telle manœuvre que parce qu’elle était maîtresse de l’Alsace-Lorraine et de tous les débouchés sur la rive gauche du Rhin.


* * *

L’organisation de la frontière militaire du général de Rivière ne fut pas sans gêner les projets de l’état-major allemand. N’ayant pu, ni en 1875, ni en 1887, donner suite à ses mauvaises intentions, il dut en 1889 regarder bien en face la valeur du système défensif en même temps que la force de l’armée française reconstituée. L’armée française évoluait avec le service de trois ans, qui devait, en égalisant mieux le service, renforcer sa valeur combative. L’organisation de la frontière était achevée, elle entrait même en voie d’amélioration.

En effet, on avait reconnu que la puissance des nouveaux explosifs et la portée agrandie de l’artillerie rendaient insuffisantes les fortifications créées depuis 1873 ; il fallait remanier et abaisser les profils, remplacer la terre par le béton, abriter mieux les batteries en les dispersant autour des forts. Travail considérable et fort coûteux qui devait fatalement réveiller les anciennes controverses contre la fortification en même temps que solliciter l’attention des pouvoirs publics responsables des budgets nationaux. Le système de Séré de Rivière fut donc violemment pris à partie dans l’enseignement militaire et dans le Parlement. Fallait-il maintenir, en la mettant à hauteur des progrès techniques, toute cette immense ligne de camps retranchés, de régions fortifiées, de forts d’arrêt, qui s’étendait de Belfort à Dunkerque ? Etait-elle nécessaire, au moins dans toutes ses parties ? Et puis enfin, cette fortification qui avait eu sa raison d’être après la défaite pour couvrir la reconstitution du pays, n’était-elle pas superflue ou excessive, dans les conditions où se trouvaient alors le pays et son armée, surtout quand les expériences prouvaient qu’elle ne pourrait résister aux forces nouvelles de destruction ?

Le vieux cri que nos Saint-Cyriens proféraient plaisamment en passant les fossés des fortifications de Paris devenait le mot d’ordre : Conspuez la Barbette !

Une réaction acharnée se fit contre la fortification, même à l’École de guerre. On prit l’abus pour le principe. C’était l’époque où les études militaires s’orientaient à nouveau vers le concept napoléonien de la bataille de manœuvre et de mouvement. Les Allemands l’avaient appliqué en 1870, à nos dépens. Nous étions revenus alors aux doctrines néfastes de la guerre de positions et de siège du XVIIIe siècle, à la défensive inerte et passive. La rançon de cette erreur avait été la défaite. Et voici qu’on allait encore tenir nos armées derrière des murailles de Chine, y attendre le choc de nos ennemis, émasculer à l’avance toute cette énergie de la race qui s’exaltait dans nos soldats de cinq ans et de trois ans ! Les Allemands se flattaient eux-mêmes de détruire rapidement ces magnifiques forteresses par des attaques brusquées, et par les obus de gros calibre. Et on n’avait pas à cette époque de 305 et de 420 ! Ils ne se fortifiaient pas en Alsace-Lorraine, sûrs de ne pas être attaqués ; ils ne faisaient fonds que sur leur esprit d’offensive.

J’ai été témoin, comme élève de l’Ecole de guerre en 1889-1891, et plus tard comme professeur, de ces époques fiévreuses, où les stratèges, les tacticiens et les sapeurs se jetaient à la tête les argumens et presque les injures. Quand nous parcourions la frontière et que nous visitions les grands forts, — ce Douaumont, par exemple, carapace de béton qui a résisté aux 305 ! — on était cependant impressionné mais on regardait les champs de bataille.

Tous nos généraux et tous nos officiers d’état-major avaient fréquenté les terrains de l’Est. Chaque année, les officiers de l’Ecole supérieure de guerre passaient plusieurs semaines à parcourir et à visiter les régions fortifiées et les champs de bataille. Le haut commandement y dirigeait de préférence les grands exercices de cadres et les études d’état-major. Chaque commandant d’armée y venait en mission spéciale reconnaître sa zone d’action.

Combien de fois, pour ma part, ai-je conduit des groupes d’officiers fervens sur ces hauteurs d’Haltonchatel, de la côte Saint-Germain, de IJriey, de Mousson, d’Amance, du Pain de Sucre, de Léomont, d’Hablainville, sur les sommets des Vosges, d’où l’on s’imaginait entendre les grondemens de la bataille, trop tardifs à notre gré, d’où l’on contemplait à l’horizon le panorama du doux pays en souffrance, fuyant comme un mirage, mais que rapprochaient nos espoirs immanens !

Avec la confiance dans la force de notre armée renaissait l’esprit d’offensive, et peu à peu il pénétrait profondément nos règlemens d’instruction. Nous ne pouvons dans cet exposé rappeler ni commenter cette évolution de la doctrine et des idées militaires qui coïncida avec les lois de 1889, avec l’alliance franco-russe, et avec le long ministère Méline[2].

Nous ne voulons en retenir que les deux points qui intéressent cette étude : la déconsidération qui frappa alors le système défensif de Sére de Rivière, et l’attention exclusive que notre état-major apporta au théâtre d’opérations de l’Est.

lien résulta qu’en 1899 le ministre de la guerre présentait aux Chambres un projet de loi sur le classement des places fortes et des ouvrages de fortification, inspiré, disait l’exposé des motifs, de la pensée de réduire les frais d’entretien et de remaniement en concentrant les dépenses sur les fortifications les plus importantes.

Le ministre, nanti de l’approbation du Conseil supérieur de la guerre, proposait le classement en trois catégories : 1° places et ouvrages qui, à raison du rôle important qu’ils jouent dans la défense du pays, doivent être munis de toutes les ressources en matériel et en hommes nécessaires à une résistance de longue durée ; — 2° places et ouvrages qui, n’ayant à remplir qu’un rôle de point d’appui pour les forces actives opérant dans leur voisinage, ne seraient entretenus, armés et approvisionnés que dans des limites à déterminer par des décisions ministérielles ; — 3° enfin les places et ouvrages qui, n’ayant qu’une importance secondaire, ne seraient ni armés ni entretenus, c’est-à-dire qui seraient déclassés. Le projet était accompagné d’un tableau de classement conforme à ces catégories ; il était très suggestif.

Dans la première classe, on maintenait les grands camps retranchés de l’Est : Verdun, Toul, Epinal, Belfort, les forts de Frouard, Pont-Saint-Vincent, Manonviller, le Cognelot. Paris et Lyon trouvaient aussi grâce devant le projet. A la deuxième classe passaient tous les forts des Côtes lorraines et des Hauts de Moselle qui constituaient les régions fortifiées de Séré de Rivière, et Maubeuge, Montmédy, Besançon. Tout le reste était condamné au déclassement, c’est-à-dire Lille, La Fère, Laon, Reims, Langres, Dijon, etc. Toute la frontière du Nord succombait sans combat, sauf Maubeuge reléguée au second plan. Et, de Lille comme des forts de l’Escaut et de Longwy, un rapport supplémentaire du 9 mai 1899 disait que ces places n’avaient plus de valeur réelle au point de vue de la défense du territoire. Le rapporteur du projet de loi à la Chambre se faisait l’interprète de la doctrine militaire officielle : « Nous consacrons ainsi le principe de la défense active de nos frontières, et nous comptons avant tout sur la valeur de nos armées. »

Le projet parut si excessif et si malencontreux, même aux partisans des économies à outrance, que le Parlement n’osa le discuter. D’ailleurs une ardente campagne s’ouvrit aussitôt, de la part d’officiers soucieux du péril que faisait courir un tel projet à la défense du pays, et de la part des villes elles-mêmes découronnées de leur enceinte guerrière. Le projet fut retiré par le général de Gallifet, quand il prit le ministère de la guerre. Malheureusement, il resta dans les bureaux, et la commission des places fortes s’en inspira dans la répartition des crédits ; elle était d’ailleurs suggestionnée par l’état-major qui s’engageait de plus en plus dans la voie de l’offensive stratégique et tactique et de la guerre de mouvement.

« La frontière du Nord fut condamnée en 1900 et depuis lors inlassablement détruite. Hirson fut déclassé et c’était la trouée de l’Oise libre ; déclassés de même les forts de Condé, du Quesnoy, de Curgies, de Maulde, de Flines, qui, tenant sous leurs canons toutes les voies d’accès et les écluses de la Rhonelle, de l’Escaut et de la Scarpe, non seulement interdisaient à l’ennemi l’accès de notre frontière entre Sambre et Scarpe, mais encore protégeaient de flanc l’armée établie dans ce secteur pour tomber sur le flanc de l’armée d’invasion engagée dans la trouée de l’Oise. Lille et Maubeuge restaient les deux musoirs de la digue qu’on avait laissé tomber ; telles quelles, ces deux places fortes constituaient une redoutable menace, de nature à impressionner l’ennemi, mais à cette condition de se soutenir l’une par l’autre, car, l’une tombant, l’autre défaillait, et Lille fut déclassée et ouverte ! Pourtant le bons sens et le seul instinct dénonçaient le péril. En 1904, un Père jésuite, qui n’était certes pas stratège, le signalait avec force : « Relever avec luxe, disait-il, la frontière de l’Est et laisser tomber la frontière du Nord est une invitation à se faire attaquer de ce côté[3]. »

La frontière de l’Est échappa en partie à cet ostracisme de notre système défensif. Les grands camps retranchés furent améliorés et renforcés. D’ailleurs, les députés de l’Est veillaient, mais les forts des Côtes lorraines et des Hauts de Moselle furent simplement entretenus et armés, sans plus.

Cependant on peut dire que jusqu’en 1905 cette ruine de l’organisation défensive parut compensée par la valeur croissante de notre armée. La France était arrivée en 1898 à un état militaire remarquablement fort. Il importe de le rappeler. La loi de 1889 qui avait réduit le service actif à trois ans, avait eu son plein effet et nous avait donné une armée admirable, homogène, disciplinée, fortement encadrée. Elle révisait et complétait la restauration de nos forces accomplie par les lois de 1872-1873 et 1875. Le souvenir de l’épreuve de 1870 mordait toujours les cœurs des officiers et des vieux soldats qui l’avaient soufferte, et des jeunes hommes qui, enfans, avaient senti passer la défaite et avaient été élevés dans l’âpre espoir de la réparation. A la tête de l’armée étaient des chefs éprouvés, aussi soucieux de leurs responsabilités militaires que de leur devoir civique. La génération à laquelle je suis fier d’appartenir fournissait aux différentes armes ces cadres magnifiques d’où sont sortis les grands chefs d’aujourd’hui, les victorieux de demain.

De plus, cette belle armée venait d’être dotée d’un canon sans rival : le « 75, » qui, après vingt ans d’expérience, reste le maître du champ de bataille.

Je me rappelle comme si c’était hier le regretté général Langlois, celui à qui nous devons le canon à tir rapide, nous dire en 1899 à l’Ecole de guerre dont il était directeur : « Avec notre 75 et notre belle infanterie, nous vaincrons les Allemands quand nous voudrons. » Il ne demandait qu’une chose : « Donnez-nous des obus tant qu’il en faudra ! des munitions, encore des munitions et toujours des munitions. »

Donc, en 1898, la France était prête ! J’en appelle au témoignage de mes camarades qui survivent. Ne sentions-nous pas alors le frémissement sacré, avant-coureur des exaltations suprêmes, chaque fois que nous entraînions nos soldats sur les terrains de manœuvre, quand nos drapeaux flottaient dans les défilés populaires ou se déployaient pour les répétitions des assauts triomphons ? Il nous semblait nous rapprocher de plus en plus de la Terre Promise, et tous les regards des garnisons les plus éloignées se tournaient volontairement vers l’Est ! L’alliance russe nous affermissait dans la conviction de notre supériorité.

L’état-major allemand se rendit bien compte des progrès de notre instruction et de notre esprit d’offensive ; il ne méconnaissait pas la valeur de notre canon de 75. Il commença alors par prendre de sérieuses précautions en Alsace-Lorraine. Tout en augmentant ses garnisons et se tenant toujours prêt à garder l’initiative de l’attaque que lui donnait, que lui imposait même sa situation militaire, il organisait défensivement la zone de concentration et créait à son tour des régions fortifiées, en reliant Thionville au camp retranché de Metz, en Lorraine, et Molsheim à Strasbourg, en Alsace. De nouveaux et puissans forts étaient construits autour de Metz, tout contre la frontière, et il préparait de longue main cette organisation dissimulée du terrain, entre Metz et Strasbourg, à laquelle nous nous sommes heurtés en août 1914.

Mais surtout il ne perdait pas de vue ni l’évolution de notre politique intérieure et de nos lois militaires, ni le démantèlement progressif de notre frontière du Nord. Il ne pouvait pas d’ailleurs ne pas être frappé de la contradiction singulière qui se produisait dès 1900, et qui allait s’aggraver, entre cet esprit d’offensive, entre la doctrine de la bataille de manœuvre, de plus en plus affirmée dans nos règlemens et dans notre enseignement militaire, et l’affaiblissement de la valeur combative de l’armée par l’intrusion déplorable de la politique dans ses rangs et par la loi réduisant le service actif à deux ans.

Je ne veux pas rappeler ici Je souvenir, encore poignant chez certains, d’une époque déjà lointaine. Ces douloureux incidens de notre politique intérieure eurent pourtant une répercussion profonde sur notre politique extérieure et sur les plans de l’Allemagne. Il n’y a pas de doute que l’Allemagne, avec sa perfidie habituelle, sut attiser les passions et les discordes civiles, qui faillirent nous mettre alors à sa merci en changeant si rapidement cette situation de supériorité et les conditions extraordinairement favorables dans lesquelles la France s’était trouvée quelques années auparavant.

La loi de deux ans fut la conséquence de cette période de troubles intérieurs. Elle était fondée sur un juste principe démocratique, l’égalisation des charges militaires, tout en les réduisant dans la mesure convenable. Elle fut vivement combattue par les chefs militaires, même par le général André. En réalité, l’objection fondamentale était qu’elle entraînait une réduction notable des effectifs de l’année active du temps de paix. En effet, par suite de la faiblesse de notre natalité, nos contingens annuels ne dépassaient pas 200 000 hommes et tendaient à diminuer.

La bonne constitution de notre armée mobilisée exigeait un minimum de 575 000 hommes (lois des cadres de 1873-75) pour former le noyau solide autour duquel venaient se grouper les réserves. Avec le service de deux ans, ce minimum ne pouvait plus être atteint qu’à condition d’obtenir des rengagemens en nombre suffisant, assurant à la fois l’effectif et l’encadrement. Le correctif de la loi, en plus du rengagement, aurait été une meilleure organisation et une plus forte instruction des réserves. A la diminution du service actif aurait dû correspondre une augmentation des périodes d’instruction et d’entraînement des classes de réserve destinées à entrer dans les unités de première ligne. C’est le contraire qui eut lieu. Le Parlement réduisit les deux périodes de 28 jours à 23 et à 17. Alors se forma dans l’armée un antagonisme déplorable entre les soldats de l’active et les hommes de la réserve, antagonisme qui se manifesta surtout dans le corps d’officiers par une mésestime de plus en plus marquée pour les officiers de complément. Ce fut le résultat d’une fausse politique et d’une méconnaissance étonnante de la nation armée.

La nation armée, c’est toute la force virile de la nation dressée pour la sauvegarde du pays et son indépendance. Mais ce n’est pas la levée en masse improvisée à l’heure du danger. Le service obligatoire et personnel appelait toute la jeunesse valide, sans exception, sous les drapeaux pendant le temps relativement court de l’instruction nécessaire pour faire un soldat, et prolongeait l’obligation militaire en cas de guerre jusqu’aux limites des forces physiques. Les millions d’hommes ainsi mis à la disposition du commandement étaient forcément partagés en plusieurs échelons pour le combat, d’après leur âge. Mais du moment qu’ils étaient destinés à faire campagne et à entrer peut-être tous, tôt ou tard, dans la mêlée tragique, il tombait sous le sens que leur entraînement militaire, fondé sur une première et solide instruction, devait être continué et entretenu dans le cours de leurs obligations militaires, avec les tempéramens convenables à l’âge et à la formation de mobilisation à laquelle ils appartenaient. Si l’on pouvait réduire les périodes d’exercice de l’armée territoriale, il fallait multiplier les périodes des réservistes qui fatalement devaient compléter l’armée de première ligne.

C’est ce qu’avait bien entrevu Jaurès quand il affirmait que la force guerrière de l’armée était dans les réserves nationales encadrées et bien entraînées. Son système était malheureusement vicié par l’utopie socialiste et par ses illusions sur les garanties de paix qui résulteraient de l’armée nouvelle telle qu’il la concevait. Il pensait à la paix française fondée sur la Justice et sur le Droit, il ne voulait pas croire à la paix allemande fondée sur la Force et sur le Mensonge.

Cette guerre a bien prouvé que la vraie force de la nation armée résidait dans les réserves organisées et instruites. Mais qui pouvait penser, il y a quelques années, que ces réservistes et ces territoriaux, dont on médisait, que ces hommes d’âge embarrassés des mille liens familiaux et sociaux, qui montraient eux-mêmes, une répugnance de plus en plus marquée à se soumettre aux charges militaires, combattraient avec la même ténacité et la même endurance que les jeunes gens du service actif et que les professionnels, et qu’ils deviendraient à leur tour des gens de guerre incomparables ?

Le même fait s’est passé en Allemagne, et, on doit le reconnaître, dans tous les pays belligérans. Mais nous avons pu croire avant la guerre que l’état-major allemand n’accordait pas à ses réserves plus d’attention que chez nous. C’était bien les réserves allemandes qui avaient permis à l’armée de 1870 de réaliser le premier plan d’hégémonie prussienne. L’organisation de l’armée impériale était restée conforme au système de la nation armée. Cependant, dans les années qui précédèrent cette guerre, il apparut que les doctrines militaires d’outre-Rhin tendaient vers une formule de guerre où les réserves passaient pour ainsi dire à l’arrière de l’armée de première ligne.

Les théoriciens militaires répétaient à l’envi que la force de l’armée est dans l’armée active mobilisée, c’est-à-dire dans l’armée composée des plus jeunes hommes, réalisant toute la force offensive dans ce terme expressif : armée de choc. Toutes les lois militaires qui, depuis 1905, ont augmenté progressivement les effectifs de paix de l’armée allemande, semblaient être l’application de cette formule qui confirmait la conception d’une offensive foudroyante sous forme d’attaque brusquée, presque sans déclaration de guerre, avec les corps d’armée actifs appointés de 200 000 ou 300 000 réservistes, soldats libérés depuis deux ans à peine. Et naturellement, cette armée de choc, très rapidement rassemblée, s’élançait de la place d’armes d’Alsace-Lorraine.

Il n’y a pas de doute que la crainte de cette attaque brusquée, dont la légende fut habilement entretenue par l’état-major impérial, a obsédé nos esprits, et elle fut certainement une des raisons qui déterminèrent le retour au service de trois ans.

En effet, la loi de deux ans, en diminuant les effectifs de paix, avait une répercussion sur nos troupes de couverture. A moins de réduire à l’état squelettique nos compagnies de l’intérieur, il fallut restreindre ou plutôt ne pas augmenter nos corps de couverture, comme il eût été nécessaire en prévision de cette attaque brusquée. L’alarme fut sonnée pendant ces années émouvantes où se déroulèrent les incidens successifs de la querelle allemande au Maroc. A mesure que s’accroissaient les effectifs allemands jusqu’à atteindre, en 1913, 800 000 hommes, chiffre qui pouvait être porté à 1 million en 1915, — simple affaire de budget, car les classes allemandes et les rengagemens de sous-officiers le permettaient, — le danger montait à la frontière menacée. Notre couverture insuffisante pouvait être crevée sous la pression formidable de l’armée de choc allemande, nos forteresses assaillies et détruites avant d’avoir été mises en complet état de défense, toute notre concentration obligée de reculer dans le désordre de la surprise !

On s’est demandé comment l’Allemagne n’a pas engagé la guerre, sinon en 1905, du moins entre 1909 et 1912, puisque l’état-major de Berlin avait quelques raisons de croire à l’affaiblissement de notre armée. Il faut penser, ou qu’il n’était pas si certain de la victoire, ou que l’évolution belliqueuse du Kaiser n’était pas encore accomplie. D’ailleurs, avant 1911, les doctrines d’offensive, en apparences identiques dans les deux armées, se fondaient toujours sur la guerre de mouvement et de manœuvre. Les guerres du Transvaal et de Mandchourie avaient bien montré la valeur défensive des positions organisées et les effets meurtriers du feu, en particulier du tir de l’artillerie. Mais toutes les forces incomparables de destruction qui sont entrées en ligne quelques années plus tard et qui donnent à cette guerre un caractère si imprévu, sans précédent dans l’histoire, étaient encore dans les laboratoires et sur les champs d’expérience.

C’est en 1908 que Wilbur Wright exécutait les premiers vols d’avion au camp d’Auvours. L’aviation ne prenait réellement son essor que vers 1911, et son importance militaire n’était nettement affirmée qu’à la veille de la guerre.

L’Allemagne n’a mis à l’usine Krupp son programme d’artillerie lourde qu’en 1911, et encore la question de son emploi en campagne était-elle controversée outre-Rhin comme chez nous. La traction automobile des poids lourds était en pleine expérience, c’est elle pourtant qui devait donner la solution du problème de l’artillerie lourde et des ravitaillemens. La télégraphie sans fil venait d’apparaître. Et les sous-marins semblaient encore relégués à la défense rapprochée des côtes.

Or, en 1913, l’armée allemande révélait soudain sa puissance grandissante en effectifs et en matériel, prête à appuyer une politique très menaçante, qui cherchait à profiter des faiblesses apparentes de ses adversaires pour réaliser l’hégémonie politique et économique de l’Allemagne.

Faut-il rappeler l’histoire des dix années qui se sont écoulées depuis 1905, pendant lesquelles le plan de l’Allemagne se dévoila progressivement ? Ce qu’il y a de plus extraordinaire, ce n’est pas qu’il ait abouti à l’effroyable cataclysme que nous traversons, mais c’est que les puissances attaquées, et le monde entier, aient pu se laisser surprendre et risquer l’asservissement. Vraiment, on se demande aujourd’hui comment on a pu se méprendre sur les dispositions agressives de l’Allemagne, quand l’accroissement formidable de sa puissance militaire était inscrit chaque année dans son budget, dans ses effectifs, dans ses usines, dans toute son organisation méthodique en vue de la domination mondiale. Ce n’est qu’en 1913, lorsque toute l’Allemagne se souleva dans un enthousiasme délirant pour célébrer le centenaire de la guerre d’Indépendance de 1813 et pour fêler un peu plus tard le vingt-cinquième anniversaire de l’avènement de Guillaume II, que la Russie et la France virent clairement le péril. Elles s’associèrent plus étroitement pour y faire face et éloigner l’échéance du conflit certain jusqu’au moment où elles auraient réalisé un programme commun de renforcement. L’Allemagne ne leur en laissa pas le temps. Elle crut ses adversaires plus faibles qu’ils n’étaient.

En effet, chez nous le sentiment national avait été mis en alerte par les incidens du Maroc et d’Alsace-Lorraine. Et sous la pression de l’opinion publique, le Parlement, malgré une opposition inouïe, votait la loi de trois ans. Ce fut une loi de préservation et de sauvegarde, qui aurait pu n’avoir qu’un caractère provisoire, mais qui n’apportait malheureusement aucune modification essentielle à l’organisation de nos réserves. Et c’est sur ce point que Jaurès insista avec autant de raison que de violence. Mais la loi de trois ans apportait du moins le remède au mal causé par la loi de deux ans à notre armée, de couverture. En augmentant de plus de 200 000 hommes notre effectif de paix, elle nous permit de renforcer notre couverture du Nord-Est. Et ce fut le salut du pays.

En effet, ce renforcement de la couverture, en même temps que le Parlement se montrait disposé à voter les crédits nécessaires à la réfection et à l’amélioration de notre matériel et de notre organisation défensive, allait modifier du tout au tout le plan allemand, en précipitant son exécution, et en l’élargissant bien au-delà du champ clos du Nord-Est.

On ne peut douter que l’état-major impérial avait préparé deux plans d’attaque. Il avait certainement cru possible une offensive rapide, avec la masse de son armée active mobilisée, sur les lignes de la Meuse et de la Moselle insuffisamment protégées par notre couverture affaiblie. C’était le coup droit contre notre armée surprise en pleine concentration. Notre commandement l’avait prévu, presque trop, et s’y était préparé. Sous l’empire de la loi de deux ans, le recul de notre concentration fut même étudié.

Déjà ce plan, si audacieux fùt-il, avait ses risques. S’il ne prévoyait que le débouché des armées allemandes de la frontière d’Alsace-Lorraine, entre Longwy et Belfort, sans violer aucune des neutralités qui enserraient l’Alsace-Lorraine, il donnait sans doute à l’offensive des chances d’arriver jusqu’à la Meuse et à la Moselle. Mais il était à supposer que les régions fortifiées, Verdun-Toul, Epinal-Belfort, résisteraient un certain temps, et forceraient les grands courans offensifs à diverger, soit au Sud de Toul, soit au Nord de Verdun. Il se produisait ainsi une crise de manœuvre, à la fois pour déboucher à la frontière et pour franchir la Meuse et la Moselle, et les armées françaises, concentrées en bonne place, pouvaient prendre d’heureuses contre-offensives. Dans tous les cas, le théâtre d’opération était limité, et même dans l’hypothèse du forcement des lignes de Meuse et de Moselle, la bataille se développait bien sur un vaste front, mais sans surprise stratégique ; elle pouvait s’immobiliser, rester indécise, loin de Paris. Et l’état-major allemand devait alors songer à l’autre adversaire, la Russie.

N’ayant pu lancer plus tôt cette attaque brusquée et comprenant que le vote de la loi de trois ans augmentait tout au moins la force défensive de la France, l’état-major de Berlin devait fatalement en revenir au grand plan préparé depuis longtemps, et qui, si aventureux fùt-il, comportait, s’il réussissait, des conséquences si fécondes et si décisives qu’il valait bien la peine de le tenter[4]. Nous sommes convaincus que le plan d’attaque par la Belgique était étudié et prêt depuis plusieurs années. De Moltke l’avait certainement indiqué ; on en parlait couramment dans les milieux militaires allemands. Déjà Séré de Rivière l’avait pressenti en organisant la frontière du Nord. De nombreux écrivains militaires français et même belges en avaient signalé les probabilités, presque les certitudes[5].

Je ne veux pas reprendre une discussion rétrospective sur les raisons qui ont conduit le haut commandement à écarter l’hypothèse d’une violation de la Belgique et à concentrer toute son attention vers la frontière du Nord-Est. On peut pourtant s’expliquer qu’il n’ait pas cru à une stratégie aussi aventureuse que celle qui mettrait l’Allemagne, envahissant la Belgique, en face d’une intervention certaine de l’Angleterre, — qui ferait perdre à l’Allemagne tout le bénéfice de la place d’armes organisée on Alsace-Lorraine, et qui dépasserait aussi par l’ampleur du front de déploiement les effectifs dont elle disposait. Tout au plus l’état-major français admettait-il que l’aile droite allemande serait amenée à passer par le Luxembourg et à emprunter les routes des Ardennes belges, violation réduite à laquelle la Belgique ne pourrait peut-être pas s’opposer. Notre dispositif de concentration tenait compte d’ailleurs de cette éventualité, puisque notre armée d’aile gauche était concentrée entre Mézières et Stenay. Mais l’erreur principale fut d’avoir persévéré dans la foi en cette légende que l’armée allemande se porterait à l’offensive avec ses corps d’armée actifs et qu’elle en était encore à la formule de l’armée de choc.

Or, c’est en cela que l’état-major impérial nous trompa complètement. Il avait bien compris que, pour exécuter cette stratégie colossale qui devait s’étendre jusqu’à la Belgique, il fallait avoir la supériorité du nombre et du matériel. Et ce ne furent pas les vingt-cinq corps d’armée actifs renforcés de quelques divisions de réserve qui s’avancèrent entre Bruxelles et les Vosges, mais une énorme masse dans laquelle les corps d’armée de réserve avaient leur place en première ligne à côté des corps d’armée actifs, tous équivalens comme organisation, encadrement, armement et exaltation morale. Ce fait de l’organisation des formations de réserve et de leur utilisation immédiate au combat ne nous avait pas échappé. Nous-mêmes nous avions accolé à nos armées des groupes de divisions de réserve, mais nos préventions contre la valeur de ces réserves, préventions justifiées dans une certaine mesure par ce que nous avons dit plus haut, ne nous permettaient pas de croire que les Allemands puissent en tirer un meilleur parti.

On sait ce qui s’est passé. Mais cette stratégie qui a failli nous surprendre et nous détruire, et qui a chuté par son excès même, eût-elle été possible si l’Allemagne n’avait pas eu, de par l’occupation de l’Alsace-Lorraine, toutes les facilités de la préparer et de l’accomplir ? Maîtresse absolue des débouchés du Rhin, solidement campée en Alsace-Lorraine, nous tenant sous la menace constante d’une attaque qui ne trouvait devant elle, sur la frontière même, d’autre obstacle que nos troupes de couverture, pouvant masquer ses projets dans les pays rhénans devant la frontière belge[6], disposant par conséquent d’un pivot de manœuvre incomparable et inébranlable avec Metz et Strasbourg, l’Allemagne pouvait envisager l’invasion rapide d’une Belgique mal organisée et mal défendue militairement, déjà travaillée par les fourriers du pangermanisme, de nos provinces du Nord dépourvues de leurs forteresses déclassées, et régler le destin de la France avant que l’Angleterre ait pu intervenir. Qu’au contraire nous ayons gardé notre Alsace-Lorraine et notre frontière même de 1870, qui ne voit que tout le plan allemand, réduit aux conceptions de 1870, était à la merci de l’attaque française débouchant dans les pays rhénans.


IV. — LA FRONTIÈRE MILITAIRE ET ÉCONOMIQUE NÉCESSAIRE

Mais ceci n’est que le point de vue militaire. La place d’armes offensive constituée par l’Allemagne en Alsace-Lorraine comportait d’autres avantages dont nous aurions pu mesurer l’importance avant la guerre, et qui se sont dévoilés avec la forme nouvelle qu’a prise la lutte. Ce n’est point sans raison et sans prévoyance de l’avenir que l’état-major allemand avait exigé en 1871 une délimitation enfermant au-delà de la Moselle toute la région minière de Thionville. Il ignorait à cette époque que les gisemens de fer lorrain déjà reconnus sur la rive gauche de la Moselle se prolongeaient à l’Ouest dans la région de Briey ; il n’eût pas abandonné à la France ces districts si voisins. On avait d’ailleurs alors des doutes sur le rendement métallurgique de la minette phosphoreuse lorraine. Ce n’est qu’après que le procédé Thomas eut permis de traiter ces minerais que la région Briey-Thionville prit de l’importance.

Expulsée de Lorraine après le traité de Francfort, notre métallurgie de l’Est avait reflué dans le Centre. La découverte des gisemens de Briey, dont l’exploitation commença vers 1896, la ramena vers la matière première, et nous vîmes alors se développer une floraison magnifique d’usines et de hauts fourneaux le long de la frontière. Pour ne citer, qu’un seul chiffre, Briey donnait 19 millions de tonnes de fer en 1914 à notre industrie. La région annexée se développait également, fournissant plus de 20 millions de tonnes à la métallurgie allemande, et il se produisait fatalement entre les métallurgies rivales des rapports et des accords favorables aux deux parties. Mais déjà au moment de la guerre, on ne pouvait douter que l’Allemagne ne fit de très grands efforts pour s’assurer en France une sorte de mainmise sur toutes les mines de fer disponibles, et, en particulier, sur celles de Briey et de Normandie.

On ne doit pas s’étonner que, dès le début de la guerre, elle ait profité de sa situation militaire pour s’emparer des exploitations de Briey. Aucune disposition n’avait été prise d’ailleurs pour les préserver. Il est prouvé aujourd’hui que non seulement notre haut commandement n’a pas été suffisamment informé de la nécessité impérieuse de protéger ces régions, mais que son attention n’a pas été depuis l’invasion attirée comme il l’aurait fallu sur le rôle qu’elle joue dans l’usine de guerre allemande. Une ardente polémique a été soulevée au cours de la guerre à ce sujet, j’y ai pris part, elle n’est pas terminée, je me borne à enregistrer l’aveu même des Allemands que sans la possession du bassin de Briey et de Thionville, ils n’auraient pas pu continuer la guerre. L’usine de guerre allemande, qui a fait ses preuves et contre laquelle la nôtre, inexistante en 1914, improvisée depuis la Marne avec une admirable énergie, a eu tant de peine à combattre, tire les trois quarts de son acier des deux Lorraines et du Luxembourg[7].

Sans insister davantage, il est hors de doute que pour garantir l’avenir, nous devons enlever à l’Allemagne ces régions, qui sont nôtres d’ailleurs. Et nous devons aller plus loin. Au fer lorrain nous devons ajouter les charbons de la Sarre, tels que nous les avait donnés en partie la frontière de 1789. N’oublions pas que dans la métallurgie et l’industrie, en attendant que nous sachions utiliser nos forces hydrauliques, houille verte et houille blanche, la véritable matière première est le charbon.

Nous étions avant la guerre en déficit de plus de 20 millions de tonnes de charbon sur les quantités nécessaires à notre consommation ; nous importions 6 millions de tonnes d’Allemagne, 11 millions d’Angleterre, 4 à 5 millions de Belgique. Notre extraction nationale ne dépassait pas 42 millions de tonnes. Or la réintégration de l’Alsace et de la Lorraine augmentera ce déficit de toutes les quantités nécessaires aux populations et aux industries de ces deux provinces et au traitement du fer lorrain. Le déficit passerait certainement à plus de 40 millions de tonnes. C’est bien d’ailleurs ce qu’avait fait remarquer un rapport du Comité des Forges, au sujet de la reprise économique après la guerre. L’adjonction du minerai lorrain aux ressources actuelles de la France aggraverait la situation métallurgique par l’accroissement du déficit en charbon. On ne pourrait exploiter les richesses ferrifères de la Lorraine qu’avec le charbon allemand, car ni l’Angleterre, ni la Belgique ne peuvent guère augmenter leur exportation. Mais heureusement qu’à côté même des minerais de fer lorrains, en pleine Lorraine, contrairement à ce qui se passe ordinairement dans la nature, se trouve le charbon de la Sarre. A tous les titres il est nôtre. Sans doute le charbon du bassin de la Sarre ne suffirait pas, dans les conditions actuelles de l’exploitation, à combler notre déficit. Mais il est certain que le gouvernement allemand en avait réduit l’extraction au profit des mines fiscales rhénanes et des charbonnages de Westphalie. Les conditions de paix devront prévoir-un privilège de la France sur les achats de charbon en pays rhénan. Cependant le bassin de la Sarre, soumis à une exploitation rationnelle, reste le complément indispensable de la Lorraine minière[8].

Pour nous résumer, si l’on reprend les tracés successifs de la frontière orientale de la France, l’on constate que la frontière de 1789 nous laissait le minerai et le charbon, peu connus d’ailleurs à cette époque, que le traité de 1814 avait confirmé cette frontière, que le traité de 1815 n’enlevait que la moitié du charbon, tandis que celui de Francfort nous dépossédait de tout le charbon de la Sarre et de tout le minerai de fer reconnu à cette date. Si l’Allemagne pouvait faire un nouveau traité à son gré, l’occupation de Briey deviendrait définitive, ce serait la consécration de l’industrie métallurgique allemande, génératrice de guerres.


Nous pourrions nous arrêter à ces argumens d’ordre militaire et économique ; ils sont suffisans pour imposer la rectification de la frontière de 1871. Mais le traité de Francfort a eu des conséquences qui ont dépassé une délimitation de frontière, et qui ont troublé l’ordre européen. Le congrès qui réglera la paix, s’il veut établir une paix juste et durable, devra tenir compte des leçons du passé et regarder soigneusement une carte d’Europe et du monde. On peut y lire, si on a de bons yeux et un sens averti de l’histoire, les conditions géographiques qui doivent toujours intervenir quand il s’agit de comprendre et de déterminer les nationalités, les limites qui doivent les séparer, et les libertés communes et inviolables qui permettent leurs ententes politiques et économiques, telles que la liberté des mers, du commerce, de la circulation.

L’histoire du monde montre que l’Europe, de par sa situation et sa contexture géographiques, est devenue, depuis plusieurs siècles, le centre du monde civilisé, en même temps que le champ de bataille des peuples et des idées. Mais, au cours du XIXe siècle, les Amériques, filles de l’Europe, sont entrées dans le monde européen. Il en est résulté que l’océan Atlantique est le grand carrefour commercial du globe. C’est par l’Atlantique, que passent, c’est à l’Atlantique qu’aboutissent toutes les voies maritimes vers les autres continens. Les Puissances qui le bordent exercent donc une influence prépondérante, influence qui a été disputée, au cours des siècles, entre l’Espagne, la Hollande, la France et l’Angleterre. Les Amériques y jouent actuellement leur rôle.

Si l’on regarde l’Europe, on voit que cette petite Europe, qui n’est que le promontoire occidental de l’énorme Asie, mère des races, est divisée naturellement selon les méridiens en trois parties distinctes.

L’Europe orientale, qui forme à elle seule la Russie, se rattache largement à l’Asie. L’Empire russe s’est étalé à la longue sur la plaine indéfinie, il touche l’Extrême-Orient aux rivages de l’océan Pacifique. Ses débouchés vers l’océan Atlantique sont des plus précaires. Son commerce ne peut passer les détroits danois et turcs que sous le contrôle des Puissances qui les détiennent et les surveillent.

L’Europe centrale, moins massive que l’Europe orientale, mais encore compacte, s’étend entre l’isthme slave, de l’embouchure de la Vistule à l’embouchure du Danube, et l’isthme latin, formé par le Rhin et les Alpes, de la mer du Nord à la mer Adriatique. Ses débouchés vers l’océan Atlantique doivent passer par le Pas de Calais, par les mers anglaises, par Gibraltar, sous le contrôle et la surveillance des Puissances occidentales.

L’Europe occidentale est essentiellement formée par la France, l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie, bien séparées les unes des autres. L’Italie n’a d’accès dans l’Atlantique que par Gibraltar. La France a double façade sur l’océan Atlantique et sur la Méditerranée. Sa situation entre les deux mers en fait à la fois le pont par lequel passent les routes les plus courtes de la Méditerranée à l’Atlantique, et le carrefour où aboutissent toutes les routes de terre venant de l’Europe orientale et centrale. C’est ce qui a fait dans l’histoire sa force et sa faiblesse. Elle a dû se défendre contre les invasions, contre les conquêtes, contre toutes les convoitises, en même temps qu’elle fortifiait son unité et qu’elle devenait le flambeau du monde. L’Angleterre, isolée par ses rivages difficilement attaquables, prenait la prépondérance maritime.

Du jour où l’Europe centrale était dominée par une puissance animée de l’esprit de force et de conquête, elle devait fatalement chercher à s’ouvrir et à dominer les routes de l’Atlantique qui conduisent aux Amériques et aux marchés mondiaux. Toute la guerre actuelle est la conséquence de cette situation géographique de l’Allemagne. Et l’on comprend que pour s’y opposer, pour empêcher désormais une telle entreprise, tout en réservant les droits absolus des peuples à vivre et à travailler, il est essentiel que, d’une part, les puissances riveraines de l’océan Atlantique et en particulier la France, l’Angleterre et les Etats-Unis, soient étroitement unies et alliées, mais il est aussi essentiel que la France, qui est la plus menacée, ait des frontières continentales garanties cantre les agressions. Sûre de l’amitié de l’Italie qui garde la partie montagneuse de l’isthme latin, la France doit être séparée de l’Allemagne par la plus forte limite que comporte le sol. Et la carte montre que cette limite est au Rhin.

Ces considérations, qui vaudraient d’être développées, et que nous nous excusons de présenter sous forme d’aphorismes, doivent être connues, dès maintenant de l’opinion publique. La véritable victoire sera moins dans les nouvelles délimitations de frontières et dans la juste part faite aux nationalités par la libération de tout ce qui a été opprimé par la force brutale, que dans les conditions économiques de l’après-guerre. Et l’Allemagne, qui sent bien qu’elle marche, malgré tant de succès militaires, vers la défaite et la capitulation, songe surtout à réserver ses frontières économiques. Elle a fait la guerre pour conquérir les marchés du monde, et on a pu dire avec raison qu’elle aurait pu les conquérir sans faire la guerre. Elle prépare déjà, au milieu de la bataille, la reprise de son activité économique[9], et c’est par là qu’elle doit être atteinte le plus sûrement et le plus gravement par les Alliés victorieux, c’est par là qu’elle peut surtout payer la rançon de son crime. Je souhaite que les gouvernemens alliés, le nôtre surtout, en soient bien convaincus et ne se laissent pas duper une fois de plus par les surprises du tapis vert !


Nos lecteurs auront tiré eux-mêmes les conclusions des considérations militaires, géographiques et économiques que nous venons d’exposer bien sommairement.

La frontière du Nord-Est doit être reportée aux limites normales de la Lorraine et fixée sur les positions essentielles qui en assureront la bonne garde. Sans la définir borne par borne, il est facile de la tracer entre la Moselle et le Rhin. Mais, comme en toute délimitation, il y a le plus et le moins.

Le moins, c’est la ligne qui, partant de la Moselle, au Nord de Sierk, comme en 1789, va droit à l’Est, coupe la Sarre vers Merzig, laisse au Nord Birkenfeld, englobe Tholey, Saint-Vendel, près des sources de la Nahe, redescend au Sud par Hombourg, Deux-Ponts, pour retrouver l’ancienne limite de 1799 et 1814, avec Landau, et aboutit au Rhin, à Gemersheim, Ainsi serait reconstituée la frontière de la monarchie, sur des noms réellement français, avec des villes longtemps occupées par la France et qui, en 1790, acclamèrent la Révolution. On pourrait aller plus loin sans violer le principe des non-annexions. On pourrait rappeler que les princes de Birkenfeld ont été des soldats de la France, qu’ils ont commandé des régimens qui se glorifiaient de s’appeler les Allemands-Français. On pourrait étendre les limites géographiques de la Lorraine jusqu’à Kaiserslautern, les portes impériales du Palatinat. Il importerait sans doute de tenir les routes de la Nahe, de la Lauter et de la Queich.

Mais comme il est certain que les garanties du traité de paix exigeront l’occupation prolongée des pays rhénans et des villes du Rhin, il n’y aura aucun désavantage à se maintenir sur la frontière que nous avons tracée largement… Tout au plus faudra-t-il dans le bornage assurer la possession de certaines positions et en particulier tenir sur la rive droite du Rhin pendant un certain temps les têtes de pont de Gemersheim et de Kehl dans un rayon à déterminer. L’essentiel est que toute nouvelle agression allemande soit enrayée, dès sa menace. Et comme il faut prévoir que l’occupation temporaire des pays rhénans cessera à une certaine époque, après paiement des indemnités réparatrices, le traité de paix devra contenir la clause essentielle, irréfragable, de la neutralisation militaire des pays de la rive gauche du Rhin. Elle est bien affirmée aujourd’hui dans l’opinion publique par cette formule, que nous avons été un des premiers à répandre : Plus un soldat allemand sur la rive gauche du Rhin !

Nous n’avons pas à discuter ici le régime politique et économique qui pourra convenir à ces pays, en particulier la libre navigation du Rhin jusqu’à son embouchure. Nous ne nous plaçons qu’au point de vue de la frontière militaire. L’avenir dira si entre les deux frontières militaires, celle de Lorraine et d’Alsace que d’aucuns trouveront sans doute trop modérée, et celle de l’Allemagne, le Rhin, de Spire à Wesel, les populations resteront fidèles à leurs attaches germaniques ou se rapprocheront de la France et de la Belgique avec lesquelles elles ont été et sont en constans rapports d’intérêts. N’oublions pas que la Prusse n’est venue au-delà de la rive gauche du Rhin que par usurpation, et qu’elle fut appelée en 1815, presque contre son gré, à devenir le garde-chiourme de la coalition contre la France vaincue, à l’instigation des ministres anglais. Je ne vois pas d’ailleurs en quoi les peuples allemands, s’ils arrivent à se démocratiser sincèrement et à reprendre leurs anciennes libertés, pourront souffrir de cet état de choses en tant que leurs relations économiques avec le monde seront sauvegardées ! Certes, nous ne perdons pas la mémoire de ces temps glorieux, où le rêve de la Révolution avait été réalisé par la première République, où le traité de Baie nous donnait, du consentement de l’Autriche, de la Prusse et de l’Angleterre, la rive gauche du Rhin. Mais nous ne sommes plus en 1795 ! À cette époque, les armées de la République occupaient la Belgique et la Hollande. Les Pays-Bas sortaient de la vassalité impériale et se laissaient facilement absorber par la France révolutionnaire.

Aujourd’hui, ce sont deux États indépendans, et la Belgique a prouvé quel prix elle attachait à son indépendance. Elle aura droit, elle aussi, à des rectifications de frontières, peu importantes territorialement, mais les sorties de l’Escaut, par exemple, ne lui reviennent-elles pas pour rendre la liberté à Anvers ? La question du Luxembourg devra être réglée aussi. Il tombe sous le sens qu’avec l’éloignement de l’Allemagne, le Luxembourg doit être mis sous la tutelle de la France et de la Belgique et englobé dans les frontières militaires. Un référendum pourra décider ou de son autonomie ou de son rattachement aux deux pays protecteurs.

On voit donc que l’annexion à la France des pays rhénans, en plus de son caractère politique discutable, créerait au Nord de notre pays un saillant aigu vers le Nord, tout à fait en désaccord avec la contexture géographique de la France, et ne présentant que des inconvéniens au point de vue militaire.

Le retour à la frontière de 1789, avec ses rectifications indispensables, remet au contraire l’harmonie dans cette forme admirable du sol français qu’avait mutilée le traité de Francfort. Elle assure l’équilibre dans la mesure, qui est la marque du génie français.

Nous devons ajouter que l’organisation défensive des frontières ne comportera plus ces grandes places fortes, ces camps retranchés, ces forts d’arrêt, qui ont subi l’expérience décisive de cette guerre. Nous nous imaginons la future défense des frontières sous forme de lignes parallèles de tranchées, creusées à l’avance le long de la frontière, avec des réduits et ouvrages bétonnés. Elles seront dissimulées en temps de paix sous les terres cultivées, comme les Allemands l’avaient fait en Lorraine annexée en 1914. Les réseaux de fils de fer barbelés et les chevaux de frise seront disposés à proximité dans des hangars, ou préparés sous les tranchées mêmes. En quelques heures, ils seront placés en avant des tranchées. Il en sera de même des batteries à longue portée. Plusieurs voies ferrées de ceinture seront aménagées tout le long de la frontière pour la mise en place rapide du matériel. Des centres d’aviation seront disposés également à proximité de la frontière. C’est aux appareils perfectionnés de reconnaissance et de bombardement qu’il appartiendra de remplir les missions de couverture et d’avant-garde, en attendant que se massent les troupes d’opérations. Il est plus que probable que les opérations seront immédiatement limitées à la zone intermédiaire entre les frontières.

D’ailleurs, n’est-il pas permis d’espérer que de cette terrible guerre, après la sanction des crimes germaniques et le rétablissement d’un juste équilibre mondial, il sortira, sinon la paix éternelle, qui n’est pas de ce monde, ni même cette Société, des Nations, dont on se fait, croyons-nous, un idéal prématuré, mais une aspiration universelle à régler les conflits par voie d’arbitrage ? On peut du moins le souhaiter après tant de sang versé. En tout cas, les bonnes frontières militaires et politiques y aideront.


Général MALLETERRE.

  1. Douze villages français furent ainsi sacrifiés, quoiqu’ils fussent compris dans la zone française, réservée par les préliminaires, en particulier Audun-le-Riche, Aumetz, Fontoy, Tiercelet, Hayange, etc.
  2. M. Fernand Engerand, député du Calvados, a publié dans le Correspondant plusieurs études à ce sujet.
  3. F. Engerand, Correspondant, déjà cité.
  4. Nous prions nos lecteurs de se reporter aux articles de l’éminent historien, M. Hanotaux, parus dans cette Revue.
  5. J’ai dénoncé moi-même, dans mon enseignement à l’École de guerre et à l’École des sciences politiques, l’attaque allemande par la Belgique. Et je l’ai signalée dans plusieurs articles du Petit Journal, de 1909 à 1914, sous la signature de colonel X…
  6. Victor Cambon avait signalé dans son livre : Les Derniers progrès de l’Allemagne, en 1914, l’aménagement des voies ferrées allemandes entre le Rhin et la Belgique.
  7. L’invasion allemande nous a fait perdre d’un seul coup plus des trois quarts de nos minerais de fer, de nos hauts fourneaux et de nos usines métallurgiques (Nord et Est). Comprend-on avec quelles ressources l’Allemagne mène la guerre de matériel et quelle était notre situation en septembre 1914, après la Marne ! Lire l’article de M. de Launay dans la Revue : Le problème franco-allemand du fer, 15 juillet 1916 ; — F. Engerand, Ce que l’Allemagne voulait, ce que la France aura, 1916 ; Ténin-Sirey.
  8. L’après-guerre. Le fer et le charbon lorrains, de Maurice Alfassa, préface du général Malleterre et de M. André Lebon ; Belin.
  9. Le vice-chancelier Helfferich préside lui-même une Commission siégeant à Berlin, chargée de cette préparation, et on peut faire crédit à ce point de vue à l’esprit d’organisation disciplinée de l’Allemagne. Cette Commission a une succursale, à Berne, en Suisse, composée de plus de 600 industriels et commerçans qui ont pour tâche, indépendamment des relations personnelles et étroites d’amitié et d’affaires qu’ils doivent avoir avec la Suisse, de rechercher tous moyens directs ou détournés, — personnes interposées, sociétés allemandes camouflées d’étiquettes suisses, etc. — par lesquels les relations d’affaires pourront être reprises dès l’armistice, avec les puissances de l’Entente et les neutres. L’Allemagne compte sur ses stocks industriels et sur la désorganisation des industries alliées pour reprendre rapidement sa clientèle et l’augmenter. Ainsi se préparera-t-elle à de nouvelles luttes !