La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 10

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Chapitre X.


Rapports de la terre et des êtres qui l’habitent avec l’espèce humaine.


Il résulte de ce que nous avons établi dans les chapitres qui précèdent que les conditions dans lesquelles se trouve maintenant placée la surface de notre globe sont le résultat de l’action de cinq grandes causes principales, qui sont :

1° Le passage des roches cristallines non stratifiées de l’état fluide à l’état solide ;

2° Le dépôt des roches stratifiées au fond des anciennes mers ;

3° L’exhaussement des unes et des autres au dessus du niveau des eaux à des intervalles successifs, exhaussement auquel est due la formation des continens et des îles ;

4° Des inondations violentes et l’action désintégrante des agens atmosphériques. Cette double cause, en attaquant les terres déjà sorties des eaux, les détruisit en partie, et de leurs détritus se formèrent d’immenses couches de gravier, de sable et d’argile ;

5° Enfin les éruptions volcaniques.

Une des conséquences de l’antagonisme puissant de toutes ces différentes forces, c’est que les matériaux dont se compose le globe ont pris entre eux les dispositions les plus diverses et les plus compliquées, mais par cela même les plus utiles à l’homme ; et c’est ce que nous apprécierons de la manière la plus complète pour peu que nous examinions de quel détriment eût été pour lui tout autre arrangement plus simple. Supposons que la terre n’offre qu’une surface homogène de granite ou de lave, ou bien que son noyau soit complètement enfermé dans des enveloppes concentriques de roches stratifiées, une seule de ces enveloppes sera accessible aux êtres qui l’habiteront, et il n’y aura plus de ces mélanges de calcaire, d’argile et de grès qui, dans la disposition présente, contribuent si puissamment à faire du globe terrestre un séjour à la fois beau, fertile et habitable.

En outre, le sel gemme et la houille, et tous les minerais qui ne se rencontrent habituellement que dans les formations les plus anciennes, trésors pour l’espèce humaine d’un prix inestimable, auraient été, dans cette disposition plus simple, relégués à une distance inaccessible et nous nous serions trouvés dépourvus de ces élémens essentiels de toute industrie et de toute civilisation. Au contraire, dans l’état actuel des choses, toutes les combinaisons variées suivant lesquelles se sont coordonnées les diverses couches, en même temps que toutes les substances utiles qui s’y trouvent contenues, soit qu’elles aient été produites par l’action du feu interne, soit que des forces mécaniques ou chimiques les aient primitivement déposées au fond des eaux, se sont ultérieurement exhaussées au dessus du niveau des océans, pour constituer les montagnes et les plaines qui composent maintenant la surface du globe ; et ce qui, plus que tout le reste, a contribué à nous les mettre en quelque sorte sous la main, c’est que souvent ces couches se trouvent à nu sur le penchant des collines.

Si nous prenons pour règle de jugement les besoins de l’espèce humaine, nous pourrons poser en principe que le globe devait remplir deux conditions essentielles pour que l’homme civilisé y pût prendre place. Il fallait d’abord qu’un sol s’y fût produit, propre à l’agriculture ; il fallait de plus que les métaux fussent répartis d’une manière générale sur toute sa surface, et particulièrement le fer, de tous les métaux le plus important.

Toutefois, ici non plus que dans aucune autre circonstance, je n’exagérerai pas cette théorie des rapports de l’espèce humaine avec le globe qu’elle habite, jusqu’à prétendre que nous ayons été le but unique et exclusif de tous les grands phénomènes géologiques qui s’y sont succédé. Nous devons bien plutôt considérer tous les bienfaits qui en dérivent pour nous comme des conséquences accidentelles et secondaires, lesquelles, pour n’avoir point formé l’objet exclusif de la création, n’en sont pas moins entrées dans les prévisions et dans les plans du souverain architecte lorsqu’il créa cet univers sur lequel il voulait, après un temps déterminé, fixer la résidence de l’espèce humaine[1].

Quant à ce qui concerne le règne animal, il y a dans les classes supérieures, nous le reconnaissons avec un profond sentiment de gratitude, un certain nombre d’espèces actuellement existantes qui fournissent à l’homme des élémens indispensables d’alimentation et d’habillement ; d’autres dont l’homme civilisé ne pourrait se passer dans ses divers travaux : et, en outre, chacune de ces utiles espèces a été douée de facultés et d’instincts qui les rendent éminemment propres à la domesticité[2] ; mais elles sont dans une proportion excessivement faible par rapport à la totalité ; et quant aux classes inférieures, parmi la multitude sans nombre d’animaux qu’elles contiennent, il n’y en a que très peu qui paient tribut de quelque manière aux besoins ou aux jouissances de l’espèce humaine ; et quand même on pourrait démontrer que toutes les espèces maintenant existantes rendent à l’homme des services, la même conclusion ne pourrait en aucune façon s’étendre à ces nombreuses espèces éteintes qui, d’après ce que nous apprend la géologie, avaient cessé d’exister long-temps avant que la nôtre apparût sur le globe. Il est assurément plus conforme aux principes d’une saine philosophie, et à tout ce qu’il nous a été donné de savoir des attributs de la divinité, de regarder chaque animal comme renfermant en lui-même les premiers motifs de sa création, destiné qu’il était à prendre sa part des bienfaits qu’il a plu au créateur universel de répartir sur tout être appelé à l’existence ; et, en second lieu, comme devant contribuer pour sa part au système d’équilibre général en vertu duquel tous les groupes d’êtres vivans travaillent mutuellement au bien-être et aux jouissances de l’ensemble : et c’est à cette dernière considération que se rapportent les diverses relations des êtres avec l’homme, relations qui ne tiennent qu’une place étroite, bien que ce soit la plus élevée et la plus noble, dans ce vaste système de vie universelle par lequel il a plu au créateur d’animer la surface du globe.

« Plus des trois cinquièmes de la surface terrestre, dit M. Bakewell, sont couverts par l’Océan, et si nous déduisons du reste tout l’espace occupé par les glaces polaires et les neiges éternelles, par les déserts de sable, les montagnes stériles, les marais, les rivières et les lacs, la portion habitable du globe n’excédera guère un cinquième de sa superficie totale ; et nous n’avons pas lieu de penser qu’à aucune époque le domaine de l’homme ait été plus étendu qu’il ne l’est de nos jours. Les quatre autres cinquièmes, bien qu’entièrement soustraits à sa domination, fourmillent d’êtres animés qui, loin de tout contrôle venant de lui, jouissent de toute la plénitude de leur existence, sans être passibles d’aucune redevance envers ses besoins ou ses caprices. Telle est actuellement et telle a été depuis des milliers d’années la condition de notre planète ; et cette considération n’est pas étrangère à notre sujet, puisqu’elle peut nous conduire à admettre avec moins de répugnance la durée séculaire de ces époques ou jours de la création durant lesquels des tribus nombreuses, appartenant aux classes inférieures des animaux aquatiques, ont accompli leur existence et laissé leurs débris mêlés aux couches qui constituent la croûte externe de notre globe. (Bakewell, Introduction to Geology, 4e édition, p. 6.)




  1. Il est de fait qu’en nous appliquant à l’étude de la nature nous trouvons chaque jour quelque utilité nouvelle à des choses qui jusque là nous paraissaient en être absolument dépourvues. Mais il en est qui de leur nature sont telles qu’on ne peut admettre qu’elles aient été créées pour le bien de l’homme ; et d’autres sont d’un ordre tellement élevé qu’il y aurait présomption à prétendre qu’elles aient été faites uniquement pour notre usage. L’homme n’a aucune relation avec la portion du globe située à quelques mètres seulement plus bas que la superficie ; car qui voudrait soutenir que toute cette énorme sphère massive n’aurait été créé que comme un support inébranlable pour la mince pellicule sur laquelle nous nous agitons ? Est-ce que les courans magnétiques ne traversent sans cesse la terre et les mers que pour diriger de ce côté ou d’un autre l’aiguille d’une boussole ? Et les étoiles fixes, ces immenses corps célestes, n’ont elles donc été lancées dans l’espace que pour réjouir nos yeux de leur éclat pendant la nuit et fournir à quelques astronomes un sujet d’observations ? Ce serait assurément se faire de l’homme et de son importance une idée bien exorbitante, que de rapporter à lui comme cause finale unique tout cet univers dont l’immensité nous accable. Néanmoins nous pouvons, jusqu’à un certain point, reconnaître que toutes choses ont été faites pour l’homme, en ce sens que ses besoins ont été pris en considération en même temps que ceux de tous les autres êtres, et que tout ce qui arrive à sa connaissance l’intéresse soit comme propre à l’entretien de son corps, soit comme offrant à son esprit un sujet d’instruction ou même de simple amusement. Certains satellites qui tournent autour de Jupiter y tiennent lieu du soleil lorsqu’il fait nuit ; l’homme tire parti de ce phénomène pour calculer les longitudes et mesurer la vitesse de la lumière. Le soleil, qui, fort comme un géant, maintient les planètes et les comètes dans leurs orbites, éclaire en même temps l’homme de sa splendeur et l’échauffe de ses rayons bienfaisans. Les astres les plus éloignés, dont l’attraction guide sans nul doute d’autres astres dans leurs mouvemens, lui servent à diriger sa course au dessus des océans sans bornes et à travers les déserts inhospitaliers. — Tucker, Light of nature, liv. 3, chap. 9, p. 9.

    On trouve aussi dans le discours inaugural prononcé par le révérend D. Conybeare au collège de Bristol, en 1851, une excellente noie sur les dispositions providentielles qui ont mis à la portée de l’homme les matériaux sur lesquels s’exerce son industrie, et qui ont préparé à l’avance toutes les découvertes futures de la science humaine.

  2. Voyez les Principles of geology de M. Lyell, 3° édition, 2e volume, liv. 5, ch. 5.