La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 19

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Chapitre XIX.


Preuve de l’existence d’un plan qui a présidé à la disposition des couches du groupe carbonifère.


Lorsque nous avons passé en revue l’histoire et la position géologique des végétaux qui se sont convertis en charbon minéral, nous avons déjà eu occasion de voir que nos grands magasins de combustible fossile appartiennent presque exclusivement aux couches de la série de transition. On n’a rencontré que rarement de la houille dans des formations secondaires, et ce n’étaient que des gisemens sans importance ; et les lignites des formations tertiaires, bien qu’ils se montrent quelquefois en petits dépôts d’une substance compacte et que l’on peut utiliser pour le chauffage, n’exercent aucune influence importante sur la condition de l’espèce humaine[1].

Il nous reste à étudier maintenant, parmi les phénomènes physiques dont la surface du globe a été le théâtre, ceux auxquels nous devons la disposition de ces restes précieux d’un monde ancien dans des conditions qui nous permettent d’avoir accès jusqu’aux trésors inestimables du charbon minéral.

Nous avons déjà examiné la nature des végétaux anciens auxquels la houille doit son origine, et quelques uns ses procédés cédés à l’aide desquels ces végétaux ont revêtu leurs conditions minérales. Il nous reste à passer en revue quelques important phénomènes géologiques de la série carbonifère, et à voir jusqu’à quel point les avantages qui résultent pour nous de l’état actuel de cette portion de la croûte du globe peut nous rendre probable que cet état est une œuvre de prévoyance et de sagesse.

Il ne suffisait pas que ces débris végétaux fussent entraînés de leurs forêts natales, et ensevelis au fond des lacs, des golfes et des mers anciennes, pour y être convertis en houille ; il fallait en outre que des changemens de niveau d’une grande étendue vinssent soulever et convertir en des terres habitables ces couches où gisaient tant de richesses, qui n’eussent eu aucune utilité tant qu’elles seraient demeurées ensevelies dans les profondeurs inaccessibles où elles s’étaient entassées. Il fallait que s’exerçât l’action de quelqu’un des ressorts les plus puissans de la dynamique du globe terrestre, pour produire les révolutions qui devaient mettre sous la main de l’homme ces puissant élémens d’art et d’industrie. Examinons en peu de mots quels résultats ont été produits.

On voit dans notre coupe (pl. 1, fig. 14) la place qu’occupe la grande formation houillère, relativement aux autres séries de terrains stratifiés. Cette coupe théorique nous met sous les yeux un exemple de dispositions qui se répètent sur des points différens de la croûte de notre globe[2].

La surface de la terre se montre couverte d’une.série de dépressions irrégulières ou bassins séparés les uns des autres, et quelquefois entièrement entourés par des portions saillantes des couches qui sont au dessous, ou par des roches cristallines non stratifiées, qui ont été soulevées en des collines ou montagnes variant entre elles par leur hauteur, par leur direction, et par leur degré divers de continuité. De chaque côté de ces points, plus élevés, les couches plongent par une pente plus ou moins rapide vers les vallées qui séparent une chaîne de montagnes de la chaîne voisine (pl. 1).

Cette disposition de la surface terrestre en des bassins, ou des sortes d’auges, disposition commune à toutes les formations, a été constatée plus spécialement dans la série carbonifère, par la raison que l’importance des lits de houille a été cause qu’on les a exploités dans toute leur étendue.

Un bienfait qui résulte de la disposition par bassins des couches carbonifères, c’est qu’elles viennent toutes à la surface, sur la circonférence de chaque bassin, ce qui permet à l’homme d’y pénétrer, en y creusant des mines, sur presque tous les points de leur étendue respective[3]. Une pente non interrompue dans une direction constante eût eu pour résultat de porter promptement les couches inférieures à une profondeur inaccessible à l’homme.

Le bassin de Londres (pl. 67) offre une disposition pareille des couches tertiaires au dessus de la craie. Les bassins de Paris, de Vienne et de la Bohême., sont d’autres exemples de la même nature. (Pl. 1, fig. 24-28.)

Les couches secondaires et les couches de transition des districts du centre, et du nord-ouest de l’Angleterre sont des portions latérales du grand bassin géologique de l’Europe septentrionale, et elles se continuent dans les plaines et sur la surface des contrées montagneuses du continent[4].

La disposition générale qu’affectent toutes ces couches en forme de bassin a été le résultat d’un doublé système d’opérations dans l’économie du globe. Le premier des systèmes a formé les dépôts sédimentaires provenant soit des débris des roches plus anciennes, soit de précipitations chimiques, dans les régions basses où les détritus des régions anciennement élevées furent transportés par la force des eaux. Le second a eu pour effet de soulever ces couches de la place où elles s’étaient déposées au fond des eaux, par l’emploi de forces analogues à celles dont l’action se manifeste quelquefois sous nos yeux dans ces terribles mouvemens de la croûte du globe, qui sont l’un des phénomènes des tremblemens de terre de l’époque actuelle.

Je croirais devoir entrer dans des détails plus étendus sur l’histoire des mines de houille de la contrée que nous habitons, si je n’en étais dispensé par l’excellent résumé de tout ce que nous savons sur ce sujet, que contient une publication anonyme pleine de jugement et de savoir, intitulée : The history and description of FossilFuel, the Collieries, and Coal Trade of Great Britain. London 1835.

Les amas les plus remarquables de cette importante production végétale qu’il y ait en Angleterre se trouvent dans les terrains houillers de Wolverhampton et de Dudley (pl. 65, fig. 1). La couche de houille y a dix mètres d’épaisseur. Le terrain houiller des environs de Paisley, en Écosse, offre dix lits distincts dont l’épaisseur réunie est d’environ cent pieds ; et le bassin houiller du sud du pays de Galles (pl. 65, fig. 2) renferme, près de Pontypool, vingt-trois lits de houille ayant une épaisseur totale d’environ quatre-vingt-treize pieds.

La présence dans plusieurs terrains houillers de riches couches de minerai ferrugineux, contenus dans les schistes argileux qui alternent avec les lits de charbon minéral, est une circonstance qui rend les districts adjacens remarquablement propres à l’établissement des fonderies de fer les plus importantes ; et d’ordinaire ces localités offrent en outre, ainsi que nous l’avons déjà dit à la page 57, cette autre circonstance précieuse pour l’exploitation, qu’au dessous de la houille et du minerai ferrugineux se trouve une couche de calcaire qui fournit le fondant nécessaire pour la réduction du minerai à l’état métallique.

Notre coupe (pl, 65, fig. 1) fait voir l’ensemble continu de mines de houilles et de fonderies de fer qui, par suite de ces conditions géologiques, enrichissent un district important du centre de l’Angleterre, dans les environs de Birmingham. Des résultats semblables ont été produits par les mêmes causes sur la frontière nord-est de l’énorme bassin houiller de la Galles du sud, où sont les fonderies bien connues des environs de Pontypool et de Merthyr-Tydfil[5]. Les lits de schistes de la région inférieure de ce bassin houllier sont abondamment remplis de nodules de fer argileux : on trouve au dessous un lit de millstone grit capable de supporter l’action du feu, et que l’on utilise pour la construction des fourneaux, et, plus bas encore, le calcajre nécessaire pour produire la fusion du minerai[6].

Les grandes fonderies de fer des comtés de Derby et d’York, et du sud de l’Écosse, sont d’autres exemples des bienfaits qui résultent d’une juxta-position semblable de la bouille et d’un riche minerai de fer argileux.

« Il y a, dit M. Conybeare[7], dans la juxta-position immédiate de ce métal, de tous le plus utile, avec le combustible qui doit servir à le réduire, et avec le calcaire qui doit être employé pour faciliter cette opération, une disposition si heureusement en rapport avec les besoins de l’industrie humaine, que l’on ne nous accusera pas de recourir sans nécessité aux causes finales, si nous nous laissons aller à penser que les matériaux grossiers qui constituent l’enveloppe terrestre ont été distribués de cette manière dans des vues d’utilité pour les êtres qui devraient en peupler la surface. »

Examinons succinctement quelle est l’influence du charbon minéral sur la condition actuelle de l’espèce humaine. Voici comment M. J. F. W. Herschel met en relief la puissance mécanique de la houille dans son admirable Discours sur l’étude de la philosophie naturelle, 1831, page 59.

« Tous nos mécaniciens modernes savent qu’un boisseau de houille, brûlé dans des conditions favorables, suffit pour soulever soixante-dix millions de livres à la hauteur d’un pied ; tel est l’effet moyen d’une machine qui fonctionne actuellement dans le comté de Cornouailles.

L’ascension de Chamouny jusqu’au Mont-Blanc est considérée avec raison comme l’entreprise la plus laborieuse que puisse exécuter en deux jours un homme robuste ; il eût suffi, pour soulever cet homme du pied de la montagne à son sommet, de la combustion de deux livres de houille. »

Le pouvoir que l’homme tire de l’emploi du charbon minéral peut s’estimer par les résultats[8] que donne une livre ou toute autre quantité donnée de houille brûlée dans une machine à vapeur ; car la quantité d’eau qu’une machine peut soulever à une hauteur donnée, ou le nombre de boisseaux de blé qu’elle peut réduire en farine, ou, en un mot, le travail qu’elle peut exécuter, quelle qu’en soit la nature, est en proportion exacte avec la puissance qui la met en mouvement. Comme le travail des mines ne peut se continuer qu’en descendant chaque année à des profondeurs plus grandes, les difficultés de l’extraction des métaux vont en s’accroissant d’année en année ; et l’homme n’en pourrait venir à bout, s’il n’avait entre ses mains la puissance que lui donnent la houille et les machines à vapeur, pour épuiser l’eau qui envahit ses travaux à mesure qu’il les exécute ; et il lui serait impossible de trouver ailleurs que dans la houille le combustible nécessaire pour mettre ces machines en mouvement.

Ce n’est pas seulement par la valeur pécuniaire des métaux qui sont ainsi extraits du sein de la terre que l’on peut estimer de quelle importance est la houille pour l’espèce humaine, car cette substance tire une nouvelle et beaucoup plus grande importance du rôle qu’elle joue dans les opérations de la mécanique et des arts, et de la part qui lui revient dans les résultats que ces opérations produisent.

On a calculé qu’en Angleterre environ quinze mille machines à vapeur sont journellement en jeu, et l’on assure que l’une de celles du Cornouailles est d’une force de mille chevaux[9], la force d’un cheval, d’après M. Watt, égalant cinq fois et demie celle d’un homme : et si nous supposons que la force moyenne de chaque machine soit de vingt-cinq chevaux, nous verrons que chez nous la puissance de la vapeur équivaut à celle d’environ deux millions d’hommes. Si l’on considère que cette force est en grande partie appliquée à mettre des machines en mouvement, et que l’ensemble du travail exécuté par les machines en Angleterre a été estimé égal à celui que pourraient fournir immédiatement trois ou quatre cent millions d’hommes, on sera stupéfait en voyant combien la houille, le fer et la vapeur ont d’influence sur les destinées et sur la fortune de l’espèce humaine. — « Elle s’est emparée des fleuves, dit M. Webster, et le batelier peut se reposer sur ses rames ; elle est sur les routes élevées, et nous l’y voyons s’exercer au voiturage par terre ; elle est au fond des mines, à mille pieds plus bas que la surface de la terre (et il aurait pu dire à 1800 pieds). Nous la retrouvons également dans les moulins et dans les ateliers de l’industrie. Elle rame, pompe, creuse, charrie, traîne, soulève, forge, file, tisse, imprime[10]. »

Nous ne manquerions pas de faits qui prouveraient que la houille est pour l’espèce humaine une base sur laquelle repose l’accroissement de la population, des richesses et du pouvoir, ainsi que le perfectionnement de presque tous les arts qui fournissent à ses besoins et à son bien-être. Et, si reculées que soient les périodes pendant lesquelles se sont rassemblés ces élémens de tant de bienfaits pour les époques futures, il nous est permis d’affirmer qu’indépendamment du but immédiat qu’ils ont rempli, soit à l’époque où ils furent déposés dans les entrailles de la terre, soit depuis, il entra un souci providentiel de nos besoins futurs dans l’ordonnance de ce plan, qui, après tant de siècles écoulés, les a si merveilleusement disposés pour le bien de l’espèce humaine.


  1. Avant que l’étude nous eût conduits à quelques connaissances étendues sur chacune des séries de formation que les géologues savent maintenant déterminer avec facilité, il n’y avait aucune raison a priori de s’attendre à rencontrer la houille dans une série de couches plutôt que dans une autre. Des travaux au hasard, ayant pour but la recherche de la houille dans des couches d’une formation quelconque, étaient donc toujours quelque chose de désirable et d’utile à une époque où le nom même de la géologie était encore inconnu. Mais l’homme qui entreprendrait des recherches semblables dans des districts que l’on sait maintenant composés des couches non carbonifères des séries secondaires et tertiaires, serait taxé de folie, depuis que l’expérience réunie d’un grand nombre d’années a prouvé que c’est seulement dans ces couches de la série de transition, que l’on a désignées sous le nom de groupe carbonifère, que se découvrent des mines de houille productives et étendues.
  2. Nous avons représenté la formation houillère comme ayant été soumise aux mêmes soulèvemens qu’ont subis toutes les formations vers les crêtes montagneuses qui séparent les bassins entre eux.
  3. Pl. 65, fig. 1, 2, 3.
  4. La coupe, figurée, pl. 66, fig. 1, fait voir comment les couches de la série de transition se prolongent au dessous du sol entre la formation houillère et les dépôts plus anciens de la grauwacke, en constituant une série de dépôts que M. Murchison a désignés sous le nom de système silurien. Ce système est représenté sous le numéro 11 dans notre coupe générale de la pl. 1. Les travaux récens de M. Murchison dans les comtés limitrophes de l’Angleterre et du pays de Galles ont heureusement rempli la lacune qui avait existé jusqu’à ce jour dans l’histoire de cette portion du vaste et important système de roches situé au dessous de la série de transition, et nous ont fait connaître les liaisons, qui existent entre le système carbonifère et les roches schisteuses plus anciennes. Le vaste groupe de dépôts que cet auteur a désigné sous le nom de système silurien, comme occupant la plus grande partie des localités qu’habitèrent autrefois les silures, se partage en quatre divisions que nous avons figurées dans notre pl. 66, fig. 1. Cette coupe représente l’ordre exact de superposition de ces couches dans un district qui sera désormais classique dans les annales de la géologie.

    J’ai observé en septembre 1835 que les trois divisions supérieures de ce système offrent un grand développement, en suivant le même ordre relatif de succession, à la limité sud des Ardennes, où elles séparent la grande formation houillère de la grauwacke, — Voyez le compte-rendu de la Société géologique de France à Mézières et à Namur, septembre 1835. Bulletin de la Société géologique de France, t. VII.) Les mêmes subdivisions du système silurien conservent leur position relative et leur importance sur une grande étendue du district montagneux de l’Eifel, entre les Ardennes et la vallée du Rhin, et se continuent à l’est du Rhin à travers une grande partie du duché de Nassau. — Stiffis Gebirgs-Karte von dem Herzothum-Nassau. Wiesbaden, 1831.

  5. pl. 65, fig. 4 et 2.

    D’après M. Forster (voy. les Transactions de la Société d’histoire naturelle du Northumberland, etc., t. 1., p. 111), la quantité de fer que l’on extrait annuellement dans le pays de Galles est d’environ 270,000 tonnes, dont les trois quarts sont en barres et le dernier quart en saumons et en gueuses. Une tonne de fer, pour être obtenue, nécessite l’emploi d’environ cinq tonnes et demie de houille, ce qui porte à 4,500,000 tonnes à peu près la consommation de la houille pour la quantité de fer dont nous venons de parler. On peut estimer a 330,000 tonnes la quantité de houille employée à la fusion du minerai de cuivre importé de la Cornouailles, à la fabrication de l’étain laminé, à forger le fer et aux usages domestiques, ce qui porte à 4,830,000 tonnes la consommation annuelle du charbon dans le pays de Galles. L’extraction du fer dans toute la Grande-Bretagne s’est élevée pour l’année 1827 à la quantité énorme de 690,000 tonnes, réparties de la manière suivante :

    Tonnes. Fourneaux.
    Comté de Strafford 216,000 95
    Shropshire 78,000 51
    Galles du Sud 272,000 90
    Galles du Nord 24,000 12
    Comté d’York 43,000 24
    Comté de Derby 20,500 14
    Écosse 56,500 18
    ——— ———
    690,000 284
  6. Pl. 65, fig. 1 et2.
  7. Geology of England and Walls, p. 535.
  8. Le nombre de livres soulevées, multiplié par la hauteur évaluée en pieds et divisé par le nombre de boisseaux de houille, de 84 livres chacun, qui ont été employés, donne ce qu’on appelle l’effet utile ('duty) d’une machine à vapeur, et sert de point de départ pour en estimer la puissance. — (Voyez un mémoire important sur les améliorations des machines à vapeur, par M. Davies Gilbert, dans les Transactions philosophiques pour l’année 1830, p. 421.)

    D’après M. Taylor, dans son Mémoire sur l’effet utile des machines a vapeur, publié dans les Records of Mining (1829), ces machines ont reçu depuis un petit nombre d’années un perfectionnement si rapide que, tandis qu’à une époque déjà reculée l’effet d’une machine à vapeur atmosphérique pouvait s’estimer par 5,000,000 de livres d’eau élevées à la hauteur d’un pied par la combustion d’un boisseau de houille, une machine dernièrement construite à Wheal-Towan, dans le comté de Cornouailles, en élèverait 87,000,000 de livres pour la même dépense ; ou, qu’en d’autres termes, l’expérience nous a appris à tirer autant de puissance d’un seul boisseau de houille que l’on en pouvait tirer dans l’origine de dix-sept boisseaux. Ainsi le pouvoir qu’exerce l’homme sur le monde matériel par l’emploi de la houille dans les machines à vapeur est devenu dix-sept fois plus grand qu’à l’époque où ces machines furent inventées, et il s’est accru, seulement dans ces trente dernières années, jusqu’au triple environ de ce qu’il était auparavant.

    Il y a maintenant dans les mines de Fowey. Consols, dans le comté de Cornouailles, une machine dont M. Taylor estime l’effet dans les circonstances ordinaires à 90,000,000 de livres, et qui a été faite pour pouvoir soulever 97,000,000 de livres à un pied de hauteur par la combustion d’un seul boisseau de charbon.

    En facilitant le dessèchement des mines, ces améliorations ont exercé une influence immense sur l’extraction des métaux qui, sans ce secours, fussent demeurés ensevelis dans des profondeurs où jamais nous n’eussions pu pénétrer. Des mines que l’on avait abandonnées par suite de l’impossibilité où l’on était de les épuiser ont été réouvertes ; d’autres ont été creusées ; et l’homme s’est vu mis en possession de trésors minéraux qui, sans le secours de ces machines, fussent toujours demeurés loin de sa portée.

    Il est résulté de ces progrès qui ont été faits dans l’emploi de la houille comme principe de force mécanique, et par suite comme principe de richesse, que des travaux de mines d’une grande importance ont été poussés jusqu’à des profondeurs dont on n’avait pas encore d’exemple. À Wheal-Abraham, par exemple, on a creusé jusqu’à 240 brasses (environ 1550 pieds français) ; à Dolcoath, jusqu’à 255 brasses ; et dans les Consolidated Mines de Gwennap, jusqu’à 290 brasses (environ 1650 pieds). Ces dernières mines n’emploient pas journellement moins de 2,500 personnes.

    Dans les Consolidated Mines, l’action de neuf machines à vapeur, dont quatre sont les plus grandes que l’on ait encore jamais faites, puisqu’elles ont un cylindre de 90 pouces (anglais), extraient, suivant la saison, de trente à quarante muids d’eau par minute, d’une profondeur moyenne d’environ 250 brasses. On a estimé dernièrement que le produit annuel de ces mines s’élève à 20,000 tonnes de minerai, qui produisent 2,000 tonnes de cuivre fin, ce qui est plus que le septième de ce qu’en produit toute l’Angleterre. Les niveaux ou galeries de ces mines ont dans le sens horizontal une étendue d’environ quarante-trois milles. — (Voyez ce que dit M. J. Taylor sur les Conduits de mines dans le troisième rapport de l’association britannique, 1855, p. 428.)

    D’après ce même auteur (Lond. and Edinb. Philip. Mag. Jan. 1836, p. 67), les machines à vapeur qui fonctionnent actuellement pour le dessèchement des mines du comté de Cornouailles ont ensemble une force d’environ 44,000 chevaux, un boisseau de houille pouvant exécuter le travail de seize chevaux.

  9. Quand un ingénieur dit d’une machine qu’elle est de 25 chevaux, c’est une manière d’indiquer qu’elle exécute le travail que ferait ce nombre de chevaux constamment en action ; mais si l’on suppose qu’un cheval ne doive travailler que 8 heures sur 24, ce serait 75 chevaux au moins qu’il faudrait pour produire l’effet d’une pareille machine.

    La plus grande machine du Cornouailles peut atteindre dans son maximum d’action une puissance égale à celle qu’auraient 500 à 530 chevaux, et il faudrait par conséquent 1,000 chevaux pour produire le même effet constant que l’on en obtient. C’est dans ce sens que l’on a dit qu’il existait une machine de la force de 1,000 chevaux ; mais ce mode d’évaluation de la force n’est pas celui que l’on emploie ordinairement.

    Lettre de M. J. Taylor au docteur Buckland.

  10. La houille ne se renouvelle pas en Angleterre, et les causes auxquelles elle doit son origine n’agissent plus pour en former de nouveaux lits, tandis que, par suite de l’accroissement graduel de la population et des nouvelles applications que l’on fait chaque jour des machines à vapeur, la consommation va sans cesse en augmentant avec une rapidité de plus en plus grande. Ce sont donc des problèmes du plus puissant intérêt, pour un pays où l’existence d’une portion aussi considérable de la population repose sur des machines ayant la houille pour principe d’action, que ceux relatifs à l’art d’économiser ce combustible précieux : aussi ne quitterons-nous pas ce sujet important avant d’avoir exposé quelques observations sur un usage qui ne peut être considéré que comme une calamité nationale digne de fixer toute l’attention de la législature.

    C’est un fait presque incroyable et dont nous avons pourtant eu sous les yeux, pendant plusieurs années, le spectacle pénible, que plus de trente-six millions de boisseaux, c’est-à-dire près du tiers des meilleures houilles que fournissent les mines des environs de Newcastle, sont détruits chaque année, et jetés en tas qui brûlent continuellement près de chacune des fosses d’extraction qu’il y a dans ce district.

    Cette destruction a sa cause dans certaines dispositions législatives, en vertu desquelles la houille, à Londres, ne se vend et ne s’estime qu’à la mesure et non au poids. Plus la houille est brisée, plus elle occupe d’espace ; il est donc de l’intérêt de chaque marchand de houille de l’acheter en aussi gros morceaux que possible, pour ne la revendre qu’après l’avoir réduite dans les fragmens les plus petits. C’est pourquoi les propriétaires de mines n’envoient au marché la houille qu’en gros morceaux, et font détruire celle qui est en petits fragmens.

    En 1850, l’attention du parlement fut appelée sur de désordre ; et, conformément aux conclusions d’une commission, le mode d’estimation usité jusqu’alors fut aboli, et le poids substitué à la mesure. Cette disposition a eu pour résultat qu’une quantité considérable de houille est maintenant embarquée pour le marché de Londres dans l’état où elle est extraite de la mine. Après le débarquement, la houille menue est séparée du reste, et s’emploie comme combustible pour divers usages ordinaires, avec autant d’avantage que la plus grande partie de celle qui se vendait à Londres avant que la loi eût été modifiée.

    Toutefois, bien qu’elle ait déjà diminué, la destruction des houilles dans les tas enflammés des environs de Newcastle se continue encore dans des proportions tellement effrayantes, qu’il faut que des dispositions expresses viennent enfin y mettre un terme ; car elle aura pour conséquence inévitable d’épuiser, avant qu’il soit longtemps, les couches les plus rapprochées de la surface, et les plus voisines de la côte ; un accroissement de prix en sera la conséquence pour tous les points de l’Angleterre qui s’approvisionnent à ce bassin houiller de Newcastle, qui devra s’épuiser enfin à une époque plus rapprochée d’un tiers que s’il eût été exploité avec sagesse. (Voyez le Rapport de la commission de la chambre des communes sur l’état de l’industrie houillère, 1830, page 242.Voyez aussi M. Bakewell, Introduction to Geology, 1833, pages 183 et 345.)

    De même que la loi est pleine d’équité lorsqu’elle intervient pour empêcher la violation de la vie et de la propriété, on pensera aussi qu’il serait dans ses prérogatives d’imposer des bornes à toute destruction inutile du charbon minéral, puisque l’épuisement de ce précieux combustible aurait pour résultat de paralyser irrévocablement l’industrie de plusieurs millions d’hommes. Qu’un propriétaire abandonne ou cultive la terre qui lui appartient, et qu’il dispose des produits qu’il en retire, comme le veulent son caprice ou ses intérêts, il n’anéantira pas le sol, qui passera aux mains de son successeur, toujours propre à être rendu à l’agriculture. Mais s’il existait des moyens physiques d’anéantir le sol, et par conséquent de porter ainsi aux intérêts des générations à venir d’irréparables atteintes, la législature aurait droit d’intervenir et d’arrêter cette destruction des ressources futures de la nation. Notre Angleterre, favorisée du ciel, a reçu dans les richesses minérales de ses couches de houille des trésors incomparablement plus précieux que ne le seraient des mines d’or ou d’argent. Mettons hardiment à profit ces dons précieux du Créateur, pour alimenter les sources de nos richesses et de notre industrie ; mais gardons-nous d’en abuser et de détruire, par une négligence coupable, les fondemens de l’industrie des générations à venir.

    Ne trouverait-on pas un remède facile à ce désordre dans une loi qui ordonnerait que toutes les houilles provenant des ports de Northumberland et de Durham devraient être embarquées dans l’état où elles sortent des mines, et qui défendraient sous des peines sévères qu’il fut embarqué aucune houille déjà soumise au triage. Une loi de cette nature mettrait un terme à la concurrence ruineuse que se font les propriétaires houillers qui se surpassent à l’envi dans la destruction de la houille menue, afin d’offrir plus de bénéfice aux débitans de ce combustible, et de satisfaire la préférence qu’accordent les riches consommateurs aux grosses houilles ; elle aurait aussi pour le public cet avantage qu’elle lut offrirait des houilles de tout prix et de toute qualité, qui seraient réparties dans l’opération du triage de façon à satisfaire toutes les demandes de toutes les classes de la société.

    Il est une autre question de police nationale que nous devons indiquer ici ; c’est celle de savoir jusqu’à quel point les intérêts de notre commerce et le soin que nous devons prendre de ménager des ressources aux générations qui doivent venir après nous permettent que la houille soit exportée sur une grande échelle, d’une contrée qui, comme la nôtre, est couverte d’une population manufacturière serrée, d’une contrée dont la fortune actuelle repose en grande partie sur des machines qui ne peuvent être mises en action que par la houille de nos mines indigènes, et dont la prospérité ne survivra pas à la période où ces mines arriveront à être épuisées.