La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 7

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Chapitre VII.


Couches de la série de transition.


Jusqu’ici nous nous sommes occupés de roches qui nous ont présenté des traces de l’action presque exclusive des forces chimiques et mécaniques ; mais dès que nous entrons dans l’examen des couches de transition, l’histoire de la vie organique vient s’associer à celle des phénomènes minéraux[1].

Les terrains de transition ont pour caractère minéral l’alternance de l’ardoise et des schistes avec le grès schistoïde, le calcaire et les roches conglomérées : ces dernières offrent des preuves de l’action des eaux violemment agitées ; les premières au contraire, par leur composition et leur structure, et par les restes organiques qu’elles présentent fréquemment, laissent voir qu’elles ont été en grande partie déposées au fond des mers sous forme de vase ou de sable.

Nous allons donc entrer dans un champ de recherches toutes nouvelles et qui ne nous intéressent pas moins par l’appât qu’elles offrent à notre curiosité que par leur importance réelle ; et nous commencerons notre étude des débris que nous a laissés le monde qui a précédé le nôtre, en recherchant jusqu’à quel point nous pouvons rapporter à des genres ou à des espèces actuelles de l’un ou de l’autre règne[2] ces diverses parties détachées d’un vaste système unique de création, qui toutes portent le cachet du grand Auteur de toutes choses.


Règne animal.


Un des premiers résultats auxquels nous conduise l’étude des débris animaux, c’est que les quatre grands embranchemens actuellement existans des vertébrés, des mollusques, des articulés et des rayonnés ont commencé à la même époque, et que cette époque coïncide exactement avec celle où apparaît la vie organique sur le globe[3].

Les formations de transition ne présentent aucun vertébré plus élevé dans la série animale que les poissons dont nous renvoyons l’histoire à l’un des chapitres suivans.

L’embranchement des mollusques[4] offre dans ces mêmes formations plusieurs familles et des genres assez nombreux qui paraissent avoir été, à cette époque, répandus d’une manière générale sur tous les points du globe. Quelques uns, tels que les orthocératites, les spirifères, les productus, se sont éteints dès l’une des époques les plus anciennes de l’histoire des formations stratifiées, tandis que d’autres, parmi lesquels nous pouvons citer les nautiles et les térébratules, ont traversé toutes les périodes géologiques et se sont perpétués jusqu’à nos jours.

Les premières traces d’animaux articulés appartiennent à la famille éteinte des trilobites[5] ; nous en ferons l’objet d’une étude particulière dans le chapitre consacré spécialement aux restes organiques. Quoique l’on rencontre plus de cinquante espèces de ces trilobites dans les couches de transition, cette famille paraît s’être complètement éteinte dès le commencement de la série secondaire.

Les animaux rayonnés sont de ceux dont les restes organiques sont les plus nombreux dans les terrains qui nous occupent. On trouve dans cette division des êtres remarquables à la fois par la beauté et la variété de leurs formes, ceux, par exemple, qui constituent la famille des crinoïdes, voisine des astéries. Nous leur consacrerons une mention spéciale dans l’un des chapitres suivans[6]. Les polypiers fossiles abondent aussi parmi les radiaires de cette période, et tout prouve que cette famille est entrée des premières dans ses importantes fonctions géologiques, en augmentant par l’addition de ses enveloppes calcaires la masse des matériaux solides qui composent les couches de l’écorce du globe. Nous reviendrons plus tard sur leur histoire.


Règne végétal.


On peut prendre une idée de la végétation qui florissait à l’époque où se déposaient les couches supérieures de la série de transition en jetant les yeux sur notre première planche[7]. Dans les régions inférieures de cette série, les végétaux sont peu nombreux, et ce sont surtout des plantes marines[8]. Au contraire, dans la région supérieure, les débris de plantes terrestres se présentent accumulées en quantités prodigieuses, et dans un état de conservation qui leur donne un double degré d’importance, d’abord par les lumières qu’elles jettent sur l’histoire de la végétation la plus ancienne qui ait orné la surface de notre globe, sur l’état du climat d’alors et sur les changemens géologiques qui y sont survenus durant cette période[9] ; puis par la haute influence qu’elles ont exercée sur la condition actuelle de l’espèce humaine.

Les couches dans lesquelles ces débris végétaux se sont accumulés en si grande abondance sont désignées à juste titre sous le nom de groupe carbonifère ou grande formation houillère[10]. C’est dans cette formation surtout que les restes des végétaux anciens se sont conservés et convertis en lits de charbon minéral après avoir été accumulés dans le fond des mers, des golfes et des lacs de ces époques, puis recouverts par des lits de sable et de vase qui depuis se sont eux-mêmes convertis en grès et en schistes[11]. (Pl. 1, n° 14.)

Outre la houille, on rencontre dans un grand nombre de couches du groupe carbonifère des lits subordonnés d’un riche minerai de fer carbonaté argileux dont la réduction est facilitée par le voisinage du charbon de terre, et aussi par la proximité du calcaire que l’art emploie comme flux pour séparer le métal du minerai, et qui abonde ordinairement dans les couches les plus inférieures de la formation houillère.

Une formation qui renferme en même temps deux productions minérales aussi importantes que le charbon de terre et le fer tient une des premières places parmi les sources de bien-être pour l’espèce humaine ; et ce bien-être est le résultat direct des changemens physiques qui ont affecté le globe à ces époques éloignées où les premières formes de la vie végétale se sont manifestées sur sa surface.

Les usages importans et étendus du charbon et du fer dans la satisfaction journalière de nos besoins rattachent chacun de nous, et pour ainsi dire à chaque instant de notre vie, par un intérêt personnel et dont presque aucun n’a la conscience, aux évènemens géologiques de cette période reculée ; nous sommes placés en rapport immédiat avec la végétation qui couvrait la surface de l’ancien monde, avant que la moitié de la surface actuelle eût été formée. Les arbres des forêts primitives ne se sont pas décomposés comme cela arrive aux arbres de nos jours, qui rendent au sol et à l’atmosphère les élémens qu’ils y avaient puisés ; mais, renfermés dans des magasins souterrains, ils s’y sont transformés en des lits d’une houille indestructible, et qui sont devenus pour l’homme des sources de chaleur, de lumière et de richesses de loute sorte. Mon feu qui brûle en répandant une chaleur bienfaisante, et ma lampe où resplendit la lumière du gaz, sont également alimentés par la houille, qui est demeurée ensevelie pendant des siècles sans nombre dans les sombres profondeurs de la terre. Nous préparons nos repas, nous alimentons nos forges, nos fourneaux, nos machines à vapeur avec les dépouilles de ces végétaux de formes primitives et d’espèces éteintes qui ont été balayés de la surface du globe avant la fin de cette période où se formaient les couches de transition. Nos instrumens de coutellerie, les outils de nos mécaniciens et les machines sans nombre que nous construisons à l’aide du fer, et en en variant à l’infini les applications, nous les devons à ces minerais qui, dans l’ordre de superposition, accompagnent ou même précèdent les matériaux combustibles à l’aide desquels nous les réduisons à l’état métallique, pour les appliquer ensuite aux innombrables usages de l’économie humaine. C’est ainsi que les ruines des forêts qui se balancèrent sur les terrains des premiers âges, et la boue ferrugineuse qui, à ces époques, se déposait au fond des eaux, nous fournissent aujourd’hui des minas abondantes de houille et de fer, ces deux élémens fondamentaux de tout art, de toute industrie, qui contribuent plus qu’aucune production minérale que ce soit à multiplier les richesses, à augmenter le bien-être, et à améliorer la condition générale de l’espèce humaine.


  1. Il est plus commode de comprendre parmi les terrains de transition toutes les espèces de roches stratifiées, depuis les schistes les plus anciens, les premiers qui nous présentent quelques traces de débris animaux et végétaux, jusqu’à la limite supérieure de la grande formation houillère. Les débris animaux que l’on rencontre dans les couches les plus profondes de cette série, c’est-à-dire dans le groupe de la grawacke, se rapprochent beaucoup génétiquement, mais diffèrent généralement, quant aux espèces, de ceux que l’on rencontre dans les plus récentes, celles du groupe carbonifère.
  2. Dans la planche I, j’ai essayé de donner une idée des restes organiques conservés dans les diverses séries de formations, en réunissant aux dessus de chaque série les figures rétablies de quelques uns des végétaux et des animaux les plus caractéristiques, parmi ceux qui habitaient les eaux ou la surface des terrains émergés aux époques où ces formations se déposèrent.
  3. L’étude que l’on a faite des plantes et des animaux fossiles n’a point encore jusqu’ici conduit à la nécessité d’établir quelque classe nouvelle. Tous ces êtres se placent sans effort dans les mêmes grandes divisions qui ont été créées pour les formes actuellement existantes. Nous sommes donc autorisés à conclure que les créations organiques les plus anciennes comme les plus modernes se sont accomplies d’après un même plan général ; et par conséquent loin de pouvoir être décrits comme constituant des systèmes distincts et isolés dans la nature, ils ne doivent être considérés que comme des systèmes qui se correspondent, et ne diffèrent que dans quelques uns de leurs détails. Ces différences très-souvent ne peuvent constituer que de minutieuses distinctions spécifiques ; mais quelquefois, et surtout relativement aux plantes terrestres, à certains crustacés et reptiles, elles vont beaucoup plus loin, et il n’est plus possible de rapporter les groupes fossiles à aucun genre contemporain, souvent même à aucune famille connue. Ainsi nous voyons donc le problème des rapports entre les organisations récentes et celles dont il nous est parvenu des restes fossiles résolu par une analogie générale dans l’ensemble de l’organisation, par de nombreuses similitudes dans les points essentiels et par une divergence presque universelle dans les détails. — Phillips. Guide to Geology, p. 61-63. 1854.
  4. Cuvier place dans cette grande division les animaux à corps mou, dépourvus de moelle épinière et de squelette articulé, tels que la seiche et les êtres qui habitent les coquilles univalves ou bivalves.
  5. Pl. 45 et 46.
  6. Pl. 47, fig. 5, 6, 7.
  7. Fig. 1-13
  8. M. Ad. Brongniart cite quatre espèces de fucoïdes dans les couches de transition de la Suède et de Québec, et le docteur Harlan en a décrit une autre trouvée dans les monts Alleghany.
  9. La nature de ces végétaux et leurs rapports avec les espèces actuelles feront l’objet d’un prochain chapitre.
  10. Voyez Conybeare et Phillips, Geology of England and Wales, liv. 3.
  11. Le type le plus caractéristique qui se rencontre en Angleterre des couches constitutives de la grande formation carbonifère, soit qu’on les considère dans leurs conditions générales ou dans leurs détails circonstanciés, se trouve dans les comtés du nord. Il parait, d’après la coupe qu’a présentée M. Forster des couches qui s’étendent depuis Newcastle-Upon-Tyne, jusqu’à Cross-Feld, dans le Cumberland, que leur épaisseur réunie excède, le long de cette ligne, quatre mille pieds. Cette masse énorme se compose de lits alternatifs de schiste, ou d’argile endurcie, de grès, de calcaire et de houille. Cette dernière est plus abondante dans la partie supérieure de la série, près de Newcastle et de Durham, tandis que le calcaire prédomine dans la partie inférieure. Forster énumère individuellement trente-deux lits de charbon, soixante-deux de grès, dix-sept de calcaire, un banc de trap qui les traverse, et cent vingt-huit couches de schistes et d’argile. Les débris animaux trouvés jusqu’ici dans les couches calcaires sont presque exclusivement marins, d’où nous concluons que ces couches ont été déposées au fond de la mer. Les coquilles d’eau douce que l’on rencontre de temps en temps dans la région supérieure de cette grande série prouvent que ces couches, les plus récentes de la formation carbonifère, ont été déposées dans des eaux saumâtres ou tout-à-fait douces. On a constaté dernièrement que des dépôts d’eau douce se présentent parfois dans la région inférieure de la série carbonifère. (V. le docteur Hibbert, Account of the limestone of Burdic House near Edimburgh ; Transactions of the royal society of Edimburgh, tome 13 ; et le professeur Phillips, Notice of freshwater shells of the Genus Unio in the lower part of the coal series of Yorkshire : London, Phil. Mag., Nov, p. 1832, 349.) Les causes qui ont rassemblé ces végétaux en lits ainsi superposés et qui les ont séparés par des couches de sable et d’argile d’une épaisseur énorme sont mises en évidence par la manière dont les troncs entraînés des forêts de l’Amérique s’accumulent dans les golfes ou dans les grandes rivières du con tinent, et en particulier dans l’embouchure du Mississipi et dans la rivière Mackensie. (V. Lyell, Principles of Geology, 3e édit., t. 3, livre 3, chap. 45 ; et l’article Geology du professeur Phillips dans l’Encyclopedia metropolitana, 37e partie, p. 596.)