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La Gardienne du Phare/09

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Le Courrier Fédéral Ltée (p. 24-26).

CHAPITRE IX

Le complot

Les funérailles de Madame Dumond avaient eu lieu et les « Saules » était abandonné. Zénaïde avait trouvé à se placer ailleurs. Quant à Azurine, Madame Dumond s’était toujours montrée généreuse et, durant ses vingt ans de services, la vieille servante avait dû accumuler un respectable magot. Azurine disparut un jour et ce n’est que beaucoup plus tard qu’on apprit ce qu’elle était devenue.

Les « Saules », abandonné, eut bientôt la réputation d’être hanté. Plusieurs affirmaient avoir entendu des gémissements et des plaintes s’échapper de la maison. Effet de l’imagination : ces gémissements et ces plaintes n’étaient que la brise se jouant au milieu des saules. Qu’importe ! la réputation de cette demeure était faite et les paysans de l’endroit se signaient en passant. Enfin, la superstition faisant des siennes, nul n’aurait voulu passer près des « Saules » après le soleil couché. Les « Saules » deviendraient bientôt une ruine… Plus tard, sans doute, on en ferait un objet de curiosité que viendraient visiter de hardis aventuriers, n’ayant pas peur, eux, des revenants.

À cinq milles à peu près des « Saules », trois semaines après l’assassinat de Madame Dumond, on eut pu voir cheminer sur la route, une vieille femme, un panier au bras : c’était la mère Hermance. La pauvre vieille semblait littéralement épuisée de fatigue ; mais elle savait trouver bientôt une petite auberge, où elle pourrait se reposer et se réconforter.

L’auberge, en effet, était à un détour du chemin et Hermance y entra. Elle était partout la bienvenue, cette bonne veille. L’aubergiste la salua d’un gai « bonjour, mère Hermance », puis, la femme de l’aubergiste vint au-devant de la nouvelle venue. Hermance n’était guère encombrante et plus d’un hôtelier lui aurait bien offert souper et gîte gratis ; mais la vieille colporteuse n’acceptait jamais la charité : elle payait en bon argent ce qu’on lui procurait. Quand l’argent manquait, elle réglait son compte avec les articles contenus dans son panier.

Ayant apaisé sa première faim, Hermance se mit à examiner ceux qui étaient attablés dans la salle publique de l’auberge. À une petite table, trois hommes causaient en dégustant une consommation. Tout près d’elle, un vieillard était assis, seul et fumait sa pipe. Ce vieillard intéressa Hermance pour un moment ; il avait l’air si sinistre.

Mais bientôt, un nom prononcé par un des individus attablés, surprit tellement la vieille colporteuse, qu’elle laissa tomber sa tasse, qui se brisa en cent morceaux.

« Oui, c’est bien terrible,  » disait cet homme, « cette bonne Madame Dumond n’avait fait que du bien dans sa vie Être si lâchement assassinée !… »

— « Et assassinée par cette jeune fille qu’elle traitait comme sa propre enfant… Oh ! cette Claire d’Ivery !! »

— « C’est assez singulier, » dit le troisième personnage, « mais je trouve un fond de grand mystère dans cette affaire et j’en doute un peu, moi, de la culpabilité de Claire d’Ivery… je ne sais pourquoi… »

Hermance quitta son siège et vint, en tremblant d’émotion, vers les trois hommes, à qui elle demanda :

« De qui parlez-vous donc ? »

— « D’où venez-vous, la mère », répondit l’un des interpellés, « que vous ne sachiez pas de quoi il s’agit : nous discutons le meurtre de Madame Dumond… Ne savez-vous pas qu’elle a été assassinée, dans son lit, par son secrétaire, Claire d’Ivery ?… C’était dans tous les journaux. »

— « Hélas ! » dit Hermance, « je n’ai entendu parler de rien de tout cela et je ne puis lire l’imprimé… Dites-moi tout, tout, je vous prie ! »

Et, quand on lui eut tout raconté, Hermance éclata en sanglots et s’écria :

« Ce n’est pas vrai !… C’est une affreuse erreur judiciaire !… Mademoiselle Claire !… Un ange !  !… »

Puis, ayant jeté sur la table le prix de son souper, elle quitta hâtivement l’auberge. Vite, et s’appuyant avec force sur son bâton, elle se dirigea vers la prison.

« Je vais la sauver, la bonne demoiselle. Mademoiselle Claire ! Un ange du bon Dieu !! Je sais qu’elle n’est pas coupable et je la sauverai !!… »

— « Je vous y aiderai », dit une voix tout près d’elle. Et Hermance aperçut le vieillard qu’elle avait remarqué dans la salle de l’auberge, l’homme au regard sinistre.

— « Vous ! » s’écria Hermance. « Et pourquoi m’aideriez-vous ? La connaissez-vous Mademoiselle d’Ivery ? »

Le vieillard sembla hésiter à répondre, mais, s’y décidant enfin :

— « J’ai bien connu son père et c’est pourquoi je désire vous fournir les moyens de la sauver. J’ai un projet à vous soumettre, si vous voulez bien m’écouter un instant. »

Hermance et le vieillard causèrent longuement et quand celui-ci la quitta enfin, la colporteuse cacha dans le fond de son panier une liasse de billets de banque que lui avait remis l’étranger, pour faciliter sa tâche.

— « Je la sauverai la bonne demoiselle, je la sauverai, Dieu aidant ! » murmurait-elle.

Puis elle marcha à pas précipités, vers sa demeure qui était, on s’en souvient, non loin des « Saules ».