La Grève de Pordic/Prologue

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Librairie L. Prud’homme (p. 1-2).




PROLOGUE





Je chante de Pordic l’intéressant rivage,
Le connaissant sur place, et dès mon premier âge,
Ayant souvent foulé ses si nombreux détours,
Dès longtemps j’en connais et sais les alentours,
Je sais aussi que là du Poëte la Lyre
Peut vibrer et peut même attirer à le lire
Ceux à qui ces doux lieux[1] ne sont point étrangers.

Écho, redis mes chants parmi tes creux rochers.
Tu n’es point le Parnasse, ou l’Hélicon classique :

Mais qu’importe ? Et pourquoi dans ma Grève Armorique,
Un Poëte Breton ne pourrait-il chanter ?
Sans nommer ces vieux monts, sans leur rien emprunter,
Nos rustiques vallons, notre foi franche, honnête,
M’inspireront bien mieux. Donc je me mets en fête,
Mais en fête chrétienne, et plus doux couleront
Les accents qui du cœur ici s’épancheront.

Anges qui présidez au terrible élément,
Donnez force à ma voix et vigueur à mon chant,
Pour que, comme autrefois Le Tasse ou bien le Dante[2],
D’un doux miel enduisant quelque scène émouvante,
Je puisse au fond des cœurs, grâce à ce liniment,
Faire naître et mourir quelque bon sentiment.

  1. Dulcia linquimus arva. Virg.
  2. Je nomme ces deux poëtes, parce que ce sont les représentants par excellence de la poésie chrétienne dans les âges de foi où ils ont vécu.