La Grève des femmes
LA GRÈVE DES FEMMES
Il surgit une autre Pucelle.
Insurgeant la femme, elle dit :
« Jusqu’à la paix universelle
» Tenons l’amour en interdit.
» À bas la guerre ! en grève ! en grève !
» La femme doit briser le glaive.
» Nargue à l’époux, nargue à l’amant !
» Jusqu’au désarmement :
» Les femmes sont en grève !
» Cœurs dévoués, brunes ou blondes,
» Que le sang versé révolta ;
» Ô citoyennes des deux mondes,
» Faisons notre grand coup d’État !
» Puisque la guerre inassouvie
» Entasse morts et mutilés,
» Nous, sur les portes de la vie,
» Dès ce soir posons les scellés !
» Ce noble but, chastes coquettes,
» Nous l’atteindrons les bras croisés !
» En rayant le droit de conquêtes,
» En rayant le droit aux baisers !
» Monsieur, je suis votre servante,
» Exercez-vous au chassepot !
» Le lit conjugal est en vente
» Pour cause de refus d’impôt.
» Épouses, mères, que nous sommes,
» Laissons ces héros maugréer.
» Tous ceux qui massacrent les hommes
» Ne sont pas dignes d’en créer.
» Quoi ! mettre au monde et, folle et fière,
» Allaiter mes bébés joufflus,
» Pour les jeter dans la carrière
» Quand leurs aînés n’y seront plus ?
» S’il faut recruter vos milices,
» Fécondez tigresse ou guenon :
» Nous ne sommes plus vos complices
» Pour fournir la chair à canon.
» Dieu de paix, bénis ce chômage,
» Et, pour l’honneur des temps nouveaux,
» Nous ferons l’homme à ton image…
» À la reprise des travaux.
» À bas la guerre ! en grève ! en grève !
» La femme doit briser le glaive.
» Nargue à l’époux, nargue à l’amant !
» Jusqu’au désarmement :
» Les femmes sont en grève ! »
Paris, 1867.