La Grande Duchesse de Gérolstein
LA GRANDE-DUCHESSE | Mlle | Schneider. | |
FRITZ | MM. | Dupuis. | |
LE PRINCE PAUL | Grenier. | ||
LE BARON PUCK | Kopp. | ||
LE GÉNÉRAL BOUM | Couder. | ||
LE BARON GROG | Baron. | ||
NÉPOMUC, aide de camp | Gardel. | ||
WANDA, paysanne | Mlles | Garait. | |
IZA | } demoiselles d’honneur de la grande-duchesse. | Legrand. | |
AMÉLIE | Véron. | ||
OLGA | Morosini. | ||
CHARLOTTE | Maucourt. |
Seigneurs et Dames de la cour, Demoiselles d’honneur, deux Pages, deux Huissiers, Soldats de la Grande-Duchesse, Vivandières, Paysans et Paysannes.
La scène en 1720, ou à peu près.
Costumes allemands, avec autant de fantaisie que l’on voudra.
LA GRANDE-DUCHESSE
DE GÉROLSTEIN
ACTE PREMIER
Campement de soldats. — Tentes au milieu de la campagne. — À droite, au deuxième plan, l’entrée de la tente du général Boum. — À gauche, au premier plan, la cantine. — Au fond, un praticable, représentant une colline, au milieu de la scène, monte d’abord de droite à gauche, puis de gauche à droite. — Fusils, au fond, rangés sur des râteliers.
Scène PREMIÈRE
- En attendant que l’heure sonne,
- L’heure héroïque du combat,
- Chantons et buvons ! Courte et bonne,
- C’est la devise du soldat !
- Chantons,
- Buvons,
- Jouons,
- Dansons !
- En attendant que l’heure sonne,
- L’heure héroïque du combat ! etc.
Pendant ce chœur, quelques soldats valsent avec des paysannes ; d’autres jouent aux cartes et aux dés sur des tambours ; d’autres boivent, etc. Les vivandières vont de l’un à l’autre. — Tableau animé. — Entrent Fritz et Wanda, par le fond à gauche ; ils descendent au milieu.
- Ô mon Fritz, que tu m’affliges
- En m’apprenant ton départ !
- Va, je ferai des prodiges,
- Pour revenir sans retard !
I
- Allez, jeunes filles,
- Dansez et tournez :
- Vous, dans vos familles,
- Vous, vous resterez ;
- Mais nous, pauvres hommes,
- Bientôt nous irons,
- Pour de faibles sommes,
- Braver les canons !…
- Si le sort funeste
- Ne peut s’éviter,
- Du temps qui nous reste
- Sachons profiter.
- Vidons notre verre
- En brave guerrier,
- Et tant pis, ma chère,
- Si c’est le dernier !…
- O filles jolies,
- O braves garçons,
- Tournons et valsons,
- Valsons et tournons,
- Comme des toupies,
- Comme des tontons ;
- Tournons et valsons,
- Valsons et tournons ! Tous.
- O filles jolies, etc.
(Valse sur le refrain)
- Quand, prenant les armes,
- Nous nous en irons,
- Que de cris, de larmes
- Et de pâmoisons !
- N’ayez peur, mes belles,
- Nous vous écrirons,
- Et de nos nouvelles
- Nous vous donnerons.
- Votre cœur, je pense,
- Restera constant,
- Malgré notre absence…
- Mais, en attendant,
- Vidons notre verre,
- Prenons un baiser,
- Et tant pis, ma chère,
- Si c’est le dernier !…
- O filles jolies,
- O braves garçons,
- Tournons et valsons,
- Valsons et tournons,
- Comme des toupies,
- Comme des tontons ;
- Tournons et valsons,
- Valsons et tournons !
- O filles jolies, etc., etc.
Reprise de la valse. — Au moment où la valse est très animée, paraît le général Boum, arrivant de la droite, par la colline. — Il s’arrête, indigné, et lève les bras au ciel : — il a un énorme panache sur son chapeau.
Scène II
- Des femmes dans le camp, effroyable licence !…
- Bon ! Voilà le gêneur !…
- Avez-vous donc, soldats, perdu toute prudence ?
- Pour être militaire, en a-t-on moins un cœur ?
- Vous encor, vous parlez !
- Mais, général…
- Silence !
- Quand je me fâche, l’on se tait !
- Car ma rigueur, on la connaît.
- Quand il se fâche, l’on se tait !
- Car sa rigueur, on la connaît.
I
- À cheval sur la discipline,
- Par les vallons
- Je vais devant moi, j’extermine
- Les bataillons !
- Le plus fier ennemi se cache,
- Tremblant, penaud,
- Quand il aperçoit le panache
- Que j’ai là-haut !
- Pif paf pouf, tara papapoum !
- Je suis le général Boum ! Boum !
- À cheval sur la discipline,
- Pif paf pouf, tara papapoum !
- Il est le général Boum ! Boum !
- Dans nos salons, après la guerre,
- Je reparais ;
- Et la plus belle, pour me plaire,
- Se met en frais ;
- Elle caresse ma moustache,
- En souriant…
- En ce moment-là, mon panache
- Est fort gênant.
- Dans nos salons, après la guerre,
- Paf pouf, tara papapoum !
- Je suis le général Boum ! Boum !
- Pif, paf pouf, tara papapoum !
- Il est, le général Boum ! Boum !
Vive le général Boum !
À la bonne heure ! Je retrouve mes enfants, les vaillants soldats de la Grande-duchesse, notre souveraine.
Vive la Grande-duchesse !
Bon ! J’étais sûr que ça allait tomber sur moi !…
Fusilier Fritz, venez ici.
Général ?…
Mauvais soldat !…
Je sais bien d’où ça vient, tout ça…
Qu’est-ce que vous dites ?
Je dis que je sais bien d’où ça vient, tout ça… c’est des histoires de femmes.
Comment ?…
C’est parce que vous avez fait la cour à la petite Wanda…
Pas du tout !
Je vous demande bien pardon… vous lui avez fait la cour… et elle n’a pas voulu de vous, parce qu’elle est amoureuse de moi… et voilà !…
O fureur !
Je vous mettrai à la salle de police, moi !
Ça n’y fera rien.
Je vous ferai fusiller !
Comme ça sera malin !
Mauvais soldat !…
Ça vous serait bien égal que je soye un mauvais soldat… mais je suis un joli soldat… c’est ça qui est vexant…
Taisez-vous !…
Je me tais… mais ça n’empêche pas !…
Jamais je ne me suis occupé de cette petite.
Je vous demande bien pardon derechef… vous vous en êtes occupé.
Scène III
Général !
Non, général… je viens vous prévenir que la Grande-Duchesse va venir passer son régiment en revue.
Vous entendez, soldats !…
Elle désire qu’une tente soit dressée pour elle… ici… au milieu même du campement de ses soldats.
Il sort par le fond, à droite.
Vite… un homme en faction !… Fusilier Fritz !…
Toujours moi !… (Haut.) Général ?…
Vous allez vous mettre en faction ici…
En plein soleil… naturellement !
Ne répliquez pas !
Pourquoi faire, d’abord, me mettre en faction ?
Pour garder la tente de la Grande-Duchesse.
Puisqu’elle n’est pas dressée !…
Vous garderez l’endroit où elle sera…
Alors, c’est pour empêcher qu’on ne vienne emporter le terrain ?… je vous demande un peu si ça a le sens commun !
Toujours, alors ?…
Bon !… bon !… je sais d’où ça vient… les femmes, voilà !… les femmes !…
Ah ! Comme je te ferais fusiller, toi, si, à la veille d’une bataille, je n’avais pas peur de diminuer mon effectif !
Mais voilà !… vous avez peur de diminuer votre effectif…
Je n’aurai pas le dernier, alors ?…
Non, par exemple !…
Alors, je serais bien bête de m’obstiner… soldats, à vos rangs !… (Roulement de tambours : les soldats vont prendre leurs fusils et se placent sur deux rangs, au fond. — Quand ils sont placés.) Portez… armes !…
Eh bien, où allez-vous comme ça ?
- Pif paf pouf, tara papapoum !
- Suivons le général Boum ! Boum !
Hou ! Le vilain soldat !…
Scène IV
Comme c’est encore malin, ça, de venir faire la grimace à un pauvre jeune soldat qui ne peut pas répondre à son général !… c’est une chose qu’on ne veut pas comprendre ! Il y a comme ça des généraux qui ont des grades, des honneurs… eh bien, ils croient que ça suffit auprès des femmes… pas du tout !… il arrive que les femmes préfèrent le jeune soldat qui n’a pas de grades… mais qui est aimable… alors, le vieux général asticote le jeune soldat… et c’est toujours comme ça… et tant que le monde durera, ça sera comme ça… et voilà !… tout ça… c’est des histoires de femmes… et pas autre chose !… (Tournant la tête à gauche) ah ! La voici, la petite Wanda !… elle croit que je vais aller la retrouver… ah ! Si je pouvais !… voyant que je n’y vais pas, elle vient… elle vient… (Entre Wanda par la gauche ; elle reste, un moment, au fond.) Comme il enragerait, le vieux général, s’il voyait cela !…
Scène V
- Me voici, Fritz !… j’ai tant couru
- Que j’en suis, ma foi, hors d’haleine !
- Mais, pour te voir cet air bourru,
- Ce n’était vraiment pas la peine…
- Dis-moi
- Pourquoi ?
- Que veut dire cette grimace ?…
- J’accours, et te voilà de glace !…
- Es-tu muet, beau grenadier ?
- Ne sais-tu m’aimer que par signe ?
- Il le faut bien, car la consigne,
- Hélas ! Me défend de parler.
(Il passe à gauche.)
- Finis cette plaisanterie…
- Lorsque l’on voit sa bonne amie,
- Monsieur, l’on doit tout oublier…
- Vite, un mot, ou bien j’égratigne !
- Je ne peux pas, car la consigne,
- Hélas ! Me défend de bouger. ENSEMBLE.
- Je ne peux pas, car la consigne, etc.
- Il me dit non, car la consigne,
- Hélas ! Lui défend de bouger.
- Et si, pour toi perdant la tête,
- Je te disais : « viens, grosse bête,
- Viens vite là prendre un baiser »,
- Me ferais-tu l’injure insigne ?…
- Ah ! Ma foi, non ! Car la consigne
- Ne me défend pas d’embrasser.
- Je savais bien que la consigne
- Ne défendait pas d’embrasser !
- Non, ma Wanda, non, la consigne
- Ne me défend pas d’embrasser !
- Je savais bien que la consigne
- Ne défendait pas d’embrasser !
- Au diable la consigne !
- Et vive l’amour !
- Tant pis ! En ce jour
- Bravons la consigne,
- Obéissons à l’amour !
- Au diable la consigne !
Scène VI
Ah ! Ah ! Je t’y prends !
Nous sommes pincés !…
Mon Fritz !…
Cette faction que je t’ai ordonné de monter, ce mouvement que j’ai fait faire à mon armée… tout cela a été fait pour te surprendre… et je te surprends…
Eh bien, tenez ! Ça doit vous faire plaisir… car c’est la première fois que je vois réussir un de vos mouvements !…
Malheureux !
Ah !
Ma Wanda !
Une attaque peut-être… permettez-moi de la reporter chez sa mère…
Second coup de fusil.
Oui… va… et veille bien sur elle.
Ah ! Vous voyez bien, général… vous voyez bien que vous l’aimez !…
Va !… va !…
Viens prendre un verre de schnaps…
Il entre avec elle dans la cantine. — Nouveaux coups de fusil au dehors. — Entre par le fond, à droite, le baron Puck : il court effaré, courbé en deux.
Scène VII
Ah ! Mon cher Boum !…
Qu’est-il donc arrivé ?
On m’a demandé le mot d’ordre… absorbé comme je l’étais par les hautes combinaisons de la politique, j’ai négligé de répondre, et, alors…
Pan, pan, ratapan !… Ils ont tiré…
C’était leur devoir…
Heureusement, ils m’ont manqué…
Ils seront punis pour cela…
Qu’est-ce que vous dites ?
Je dis qu’ils n’auraient pas dû vous manquer.
Alors, vous auriez voulu ?…
Comme général, certainement !… mais j’en aurais été désolé comme ami…
À la bonne heure !…
Et qu’est-ce qui me procure l’avantage ?…
C’est une chose très délicate… Vous savez que notre habitude, à la veille d’une campagne, est de ne rien négliger de ce qui peut animer le soldat et faire de l’effet sur les troupes…
Sans doute !…
Cette fois-ci, nous avons imaginé quelque chose qui, je crois, est assez ingénieux… la Grande-duchesse va venir…
Je le sais.
Elle restera au milieu des soldats. Quand elle sera là, vous lui offrirez de chanter devant elle la chanson du régiment.
Bon !…
Son altesse vous répondra : « mais cette chanson, je la sais… » Et elle la chantera.
Elle-même ?
Elle-même… et c’est avec vous, Rudolph, qu’elle la chantera !
Avec moi !… quel honneur !… mais la sait-elle vraiment ?…
Elle la sait parfaitement… nous avons étudié ça pendant deux heures, ce matin.
C’est une affaire entendue.
Bien !… maintenant, parlons un peu de nos propres affaires… (Il lui offre une prise de tabac.) En usez-vous ?…
Vous savez pourquoi nous faisons la guerre…
Moi ?… pas du tout !
Je vais vous le dire… la Grande-duchesse, notre souveraine et mon élève… car j’ai été son précepteur… (Il ôte respectueusement son chapeau, et, en le regardant, dit avec frayeur.) Ah ! Mon ami !… qu’est-ce que c’est ?
Regardez… la balle !…
Allons ! Ils n’ont pas trop mal visé…
Ça me fait un effet !… comme c’est heureux que j’aie eu mon chapeau !… sans cela, j’étais mort.
Remettez-le vite.
Ah ! Oui !… ils n’auraient qu’à tirer encore… la Grande-duchesse donc, notre souveraine et mon élève, a vingt ans… jusqu’à présent, elle nous a laissé le pouvoir ; mais j’ai remarqué que, depuis quelque temps, elle était inquiète, préoccupée… je me suis dit : « voilà une femme qui s’ennuie… il faut que je lui trouve une distraction… » Alors, j’ai fait déclarer la guerre… et voilà !…
N’est-ce pas ?… distraire mon élève !… c’est comme cela que je l’ai toujours tenue… par des joujoux… quand elle était petite… mais n’anticipons pas sur le passé… plus tard, il a fallu autre chose… et c’est pour la distraire que je lui ai cherché un mari.
Le prince Paul ?…
Oui… mais ce malheureux prince, que j’avais eu soin de choisir, du reste, parfaitement nul, n’a produit aucun effet : la Grande-duchesse ne peut pas se décider à l’épouser… elle le traîne depuis six mois… il y a huit jours, le père du jeune homme, l’électeur de Steissteinsteis-Laper-Debottmoll-Schorstenburg, l’électeur, dis-je, a envoyé ici un de ses plus fins diplomates, le baron Grog, avec mission de décider notre aimable maîtresse à prononcer le oui sacramentel. Notre aimable maîtresse a formellement refusé de recevoir le baron Grog et continue à s’ennuyer… espérons que la guerre la distraira un peu.
Comptez sur moi.
Malheureusement, cette distraction ne pourra durer que quelque temps. La princesse a vingt ans… elle ne tardera pas à s’apercevoir qu’il y a d’autres plaisirs… son cœur n’a pas parlé encore… il parlera bientôt… et, ce jour-là, malheur à nous, si nous n’avons pas pris nos précautions !
Vous me faites peur…
Nous serions rasés !… il ne faut pas qu’elle en ait !
Il ne le faut pas !
Il ne le faut pas !… (Roulement de tambours à une certaine distance. — Entre par le fond, à droite, Népomuc. — Boum remonte au devant de lui ; avec énergie, à Népomuc.) L’ennemi !… c’est l’ennemi !…
Mais non, général… c’est son altesse qui arrive.
C’est bien, monsieur… faites mettre les troupes sous les armes.
Oui, général.
Donc, c’est entendu : tout à l’heure la chanson militaire… dans huit jours, la victoire !…
Après ça, le retour dans nos foyers !…
Et à nous deux le pouvoir !
À nous deux le pouvoir !…
L’armée arrive par le fond, à droite, tambours et clairons en tête, et forme une ligne oblique depuis l’avant-scène de gauche jusqu’au fond, à droite. — Les paysannes, Wanda parmi elles, entrent des deux côtés, et restent au fond, sur le praticable, derrière les soldats. — Fritz est dans les rangs. — Puck a passé à droite.
Scène VIII
- Portons armes ! Présentons armes !
- Fixes, droits, l’œil à quinze pas !
- Que son altesse a de charmes !
- Que son altesse a d’appas !
- Portons armes ! Présentons armes !
- Fixes, droits, l’œil à quinze pas !
Au son d’une musique militaire, entre par le fond, à droite, la Grande-duchesse : — tenue de cheval, cravache à la main ; elle porte le costume de son régiment. — Derrière elle viennent ses demoiselles d’honneur, également en amazones et dans le costume du régiment ; puis, un brillant état-major de jeunes officiers en uniformes éclatants. — Les soldats présentent les armes. — La Grande-duchesse passe devant le front des troupes en commençant par le fond, à droite ; arrivée sur le devant, à gauche, elle paraît frappée de la beauté de Fritz, qui est à l’avant-scène entre deux tout petits soldats. — Scène muette : Fritz est très troublé par les regards de la Grande-Duchesse ; celle-ci se remet assez difficilement et vient au milieu.
- Ah ! Que j’aime les militaires,
- Leur uniforme coquet,
- Leur moustache et leur plumet !
- Ah ! Que j’aime les militaires !
- Leur air vainqueur, leurs manières,
- En eux tout me plaît !
- Leur air vainqueur, leurs manières,
- Ah ! Que j’aime les militaires,
- Quand je vois là mes soldats
- Prêts à partir pour la guerre,
- Fixes, droits, l’œil à quinze pas,
- Vrai Dieu ! Je suis toute fière !
- Seront-ils vainqueurs ou défaits ?…
- Je n’en sais rien… ce que je sais…
- Ce qu’elle sait…
- C’est que j’aime les militaires,
- Leur uniforme coquet, etc.
Ce que je sais…
- Je sais ce que je voudrais…
- Je voudrais être cantinière !
- Près d’eux toujours je serais
- Et je les griserais !…
- Près d’eux toujours je serais
- Avec eux, vaillante et légère,
- Au combat je m’élancerais !
- Cela me plairait-il, la guerre ?…
- Je n’en sais rien… ce que je sais…
- Ce qu’elle sait…
- Ce que je sais…
- C’est que j’aime les militaires,
- Leur uniforme coquet, etc.
Vive la Grande-duchesse !
Sur un commandement, les soldats se remettent au port d’armes.
Je suis contente, général… très contente… (Elle fait quelques pas et s’arrête en regardant Fritz.) Général ?…
Altesse ?…
Schwartz !
Non, pas celui-là, pas Schwartz.
Schumacher !
Non, pas Schumacher… l’autre… (Boum désigne Fritz.) Vous y êtes !…
Fusilier Fritz, trois pas en avant !…
Ton nom ?
Fritz.
Combien de campagnes ?… combien de blessures ?
Aucune campagne… aucune blessure… pourtant, une fois, en grimpant sur un mur, pour aller chiper des pommes, je me suis un peu… mais je ne sais pas si ça peut compter… aucune blessure, décidément, aucune blessure.
Simple soldat ?
Simple soldat.
Je te fais caporal.
Ah !…
Mille millions !…
Eh bien, c’est bon !…
Où allais-tu donc ?…
J’allais dire à ma bonne amie que je suis caporal.
Ah !… eh bien…
Eh bien ?…
Tu diras à ta bonne amie que tu es sergent. (À Boum.) Faites rompre les rangs, général.
Rompez les rangs !… (Les soldats exécutent ce mouvement) et éloignez-vous…
Pourquoi s’éloigneraient-ils ?… ne sont-ils pas mes soldats, mes enfants ?…
Très bien, altesse, très bien !
Restez, mes amis, restez, et bavardons un peu ensemble.
Les soldats se rapprochent un peu, au milieu ; les paysannes descendent en scène, moitié à gauche, moitié à droite. — La Grande-duchesse s’assied sur un tambour qu’apporte une cantinière. — Les demoiselles d’honneur se placent à ses cOtés, sur des pliants que leur donnent des soldats. — Dans ce mouvement, Puck a passé près de Boum, et Fritz, après avoir déposé son fusil au fond, est redescendu à droite.Est-ce que vous avez remarqué l’obstination avec laquelle son altesse regardait ce soldat ?
Oui… mais on ne peut pas supposer…
Il faut tout supposer… j’ai été précepteur de la Grande-duchesse et je l’ai habituée à faire tout ce qui lui plaît.
Ah diable !… observons, alors.
Observons.
Approche un peu, toi.
Altesse ?…
Encore !… vous voyez…
Oui, je vois… (À part, en regardant Fritz.) Toi, je te rattraperai !
Eh bien, est-elle contente, ta bonne amie ?
Très contente.
Mais, dame !… vous savez, altesse… on est content, et on ne l’est pas… c’est dans la nature !…
Bien nourri ?
Oui… bien nourri… pas mal nourri… beaucoup de pommes de terre… pas mal nourri tout de même.
Et les officiers, bons pour le soldat ?
Très bons, les officiers… bons et pas bons… il y a le général qui est sévère…
En vérité ?…
Mais, altesse…
Laissez-le parler !
Très sévère, le général… mais je sais d’où ça vient… des histoires de femmes… pas autre chose… des histoires de femmes…
Comment ?…
Ah ! J’empêcherai…
Très sévère, le général… parce qu’il a fait la cour à ma bonne amie, et qu’elle l’a envoyé promener.
Ah çà ! Mais tout le monde est donc amoureux de ta bonne amie ?… elle est donc bien jolie !…
Tenez, c’est cette petite, là-bas…
Fais-la venir.
Eh ! Wanda !… elle n’ose pas… allons, viens donc… c’est timide… ce n’est pas comme nous autres, jeunes soldats…
Il t’aime, ce grand garçon-là ?…
Je le crois, madame.
Et toi, tu l’aimes ?
Oh ! Pour cela, j’en suis sûre !
En vérité ?… (À part.) Ah çà ! Qu’est-ce que j’éprouve donc, moi ?… (À Fritz.) T’ai-je dit que tu étais lieutenant ?
Eh bien, je te le dis.
Eh bien, je vous remercie.
Comme elle va ! Comme elle va !
Soyez tranquille ! Voilà un lieutenant que demain je placerai à l’avant-garde.
Il fait chaud ici. (À ses demoiselles d’honneur.) Vous n’avez pas soif, mesdames ?
Mais si fait, altesse !
Moi aussi.
On va chercher des sorbets.
Que parlez-vous de sorbets ? Je veux boire ce que boivent mes soldats.
Mais ils boivent…
Ce que la vivandière leur verse, sans doute !… (À la vivandière qui est à gauche.) Eh bien, approchez, vivandière, et donnez-moi un verre… (La vivandière approche et verse un petit verre à la Grande-duchesse) jusqu’au bord… je bois à vos victoires, soldats, je bois à votre retour…
Vive la Grande-duchesse !
La voyez-vous, mon élève !… comme elle va !
Voici le moment, je crois, pour la chanson.
C’est mon avis.
Vous plairait-il, altesse, puisque vous avez fait à vos soldats l’honneur de venir passer quelques instants auprès d’eux, vous plairait-il d’entendre la chanson de leur régiment ?
Ah ! Très bien… (Elle regarde Puck. — Haut.) Mais cette chanson, général, je la connais.
Est-il possible, altesse ?
Et, si vous le voulez bien, je la chanterai moi-même.
Oh ! Altesse !…
Commençons !
Hum ! Hum !
Est-ce que vous allez chanter avec moi ?
Un général en chef !… oh ! Non ! Ne compromettons pas votre dignité… (À Fritz.) Viens, toi, tu chanteras avec moi.
Oh ! Vous n’y pensez pas !
Qu’est-ce que c’est ?…
Un simple lieutenant chanter avec…
Un lieutenant, est-ce trop peu ?… je le fais capitaine… cela suffit-il ?
Altesse…
Venez, monsieur le capitaine, et chantez avec moi !
- Ah ! C’est un fameux régiment,
- Le régiment de la Grande-duchesse !
- Quand l’enn’mi fait l’impertinent,
- À tomber d’ssus faut voir comme il s’empresse !
- On dit qu’les housards ont du bon,
- Et qu’c’est un aimable escadron… Fritz.
- Avec sa crinière dans l’dos,
- L’dragon a l’air très comme il faut…
- On sait qu’dans l’corps des artilleurs
- On n’prend qu’des homm’s qu’ont d’la valeur…
- Mais rien ne vaut, malgré cela,
- Le beau régiment que voilà !
- Ah ! Ce sont de fiers soldats !
- Au sein des combats,
- Tout comme au sein des amours,
- Les premiers toujours !
- Ah ! Ce sont de fiers soldats !
- Trompettes, sonnez donc, et battez, les tambours,
- En l’honneur de la guerre, en l’honneur des amours !
- Trompettes, sonnez donc, etc.
- Ah ! C’est un fameux régiment,
- Le régiment de la Grande-duchesse !
- Il a l’honneur pour sentiment ;
- Et la victoire, il la z’a pour maîtresse !
- Avec son superbe étendard,
- Quand il arrive quelque part…
- Les femmes, elles sont enchantées,
- Mais c’est les homm’s qui font un nez !
- Quand il s’en va, le régiment,
- Les chos’s, ell’s se pass’nt autrement… Fritz.
- C’est les homm’s qui sont enchantés,
- Mais c’est les femm’s qui font un nez !
- Ah ! Ce sont de fiers soldats !
- Au sein des combats,
- Tout comme au sein des amours,
- Les premiers toujours !
- Ah ! Ce sont de fiers soldats !
- Trompettes, sonnez donc, et battez, les tambours,
- En l’honneur de la guerre, en l’honneur des amours !
- Trompettes, sonnez donc, etc.
Madame !… madame !…
Eh bien, qu’est-ce qu’il y a ?
Cette fois, monsieur, j’espère que vous m’annoncez l’ennemi !
Mais vous me dites toujours la même chose !… (À la Grande-Duchesse.) Madame, c’est le prince Paul… il est arrêté aux avant-postes avec le baron Grog… et il fait demander le mot d’ordre afin de pouvoir passer.
Le prince Paul !… encore !…
Que faut-il répondre ?
Enfin… allez chercher le prince Paul et amenez-le-moi… quant au baron Grog, qu’on ne m’en parle plus !… j’ai refusé de le recevoir et ne le recevrai pas !… (Népomuc sort par le fond, à droite. — À Fritz.) Allez mettre votre uniforme, monsieur le capitaine… et, dès que vous l’aurez mis, revenez… je tiens à voir comment il vous va.
Ça m’ira très bien.
Allez, mes amis… allez… tout à l’heure, je vous reverrai une dernière fois, avant votre départ pour la bataille !…
Sortent par le fond, à droite, les soldats, en reprenant le refrain de la chanson du régiment. — Boum fait entrer les demoiselles d’honneur dans sa tente. — Deux soldats restent en faction au fond du théâtre. — Les paysannes s’éloignent par la colline, à gauche et à droite. — Wanda sort par la gauche.
Scène IX
Ne vous éloignez pas, mon cher maître… (À Boum.) Vous non plus, général… tout à l’heure, nous examinerons votre plan de campagne.
Altesse, il est excellent.
Je veux le croire… allez, je vous ferai appeler. (Boum et Puck entrent dans la tente. — La Grande-Duchesse reste seule.) Le prince Paul !… ah ! Maintenant il m’est plus insupportable que jamais !
Entre par le fond, à droite, le prince Paul. — Il est en marié, avec un gros bouquet de fleurs d’orangers. — Népomuc, qui le précède, lui montre la Grande-Duchesse et se retire.
Scène X
Eh bien, altesse, ce n’est donc pas encore pour aujourd’hui ?
Mais, prince… qu’est-ce que c’est que ce costume ?
Ah ! Vous l’avez remarqué… c’est un costume de marié… je l’ai mis parce que j’espérais vous décider…
À vous épouser aujourd’hui ?… cela est impossible, mon cher prince… trop de choses à faire… un plan de campagne à examiner… mon armée qui part… Songez donc !… je n’aurai jamais le temps de me marier !
Vous me donnez toujours des raisons…
Ne sont-elles pas excellentes ?
Mais c’est que voilà six mois que vous me donnez des raisons excellentes !… ce matin encore, le baron Grog, ce messager d’amour, que vous n’avez pas voulu admettre en votre présence… il a reçu une lettre de papa, le baron Grog…
Il dit que tout ça finit par l’ennuyer… voilà six mois que j’ai quitté sa cour afin de venir ici vous épouser… il me fait une grosse pension, pour que je puisse soutenir mon rang de fiancé… je mange la pension… et je ne vous épouse pas… ça l’ennuie, cet homme… il voudrait savoir à quoi s’en tenir.
En vérité ?…
Dame !… oui… parce que, si je ne dois pas vous épouser, papa prendrait un parti et me dirigerait sur une autre grande-duchesse.
Rassurez l’électeur votre père… ce mariage se fera un jour ou l’autre.
Vous me dites toujours ça… mon mariage a été annoncé à toutes les cours de l’univers… il a les yeux sur moi, l’univers… et il doit commencer à trouver que je fais une drôle de figure…
Le fait est que si l’univers vous voyait en ce moment !…
Et puis, il y a encore quelque chose qui m’est plus sensible que tout…
Et quoi donc, mon dieu ?…
Qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est une gazette imprimée en Hollande… on parle de moi, là dedans.
Allons donc !…
Mon dieu, oui… on ose parler de moi… il a paru depuis quelque temps une race d’hommes qui s’est donné pour mission de parler de tout, d’écrire sur tout, afin d’amuser le public… on les appelle des gazetiers… ils osent entrer dans la vie privée, ce qui est monstrueux, et ce qui est plus monstrueux encore, c’est qu’ils osent entrer dans ma vie privée, à moi ! Écoutez un peu.
- « Pour épouser une princesse,
- Le prince Paul s’en est allé ;
- Mais il paraît que rien ne presse :
- Le mariage est reculé !
- Tous les jours, quand paraît l’aurore,
- Le prince Paul met des gants blancs :
- Est-ce aujourd’hui ?… non, pas encore…
- Alors le prince ôte ses gants…
- Le prince Paul a l’âme grande :
- Il souffre, mais il se tient coi… »
- Voilà ce que l’on dit de moi
- Dans la Gazette de Hollande !…
- Il faut toujours ajouter foi
- À la Gazette de Hollande !
Mais ce n’est pas tout, altesse… écoutez la suite.
- Le prince était tout feu, tout flamme,
- En arrivant à cette cour ;
- Le prince était brûlant d’amour,
- En arrivant près de sa dame.
- Il a tant brûlé qu’on suppose,
- Après six mois de ce jeu-là,
- Qu’il ne doit pas rester grand’chose
- De tout ce feu dont il brûla…
- Dans ta poche mets ta demande,
- Prince Paul, et rentre chez toi…
- Voilà ce que l’on dit de moi
- Dans la Gazette de Hollande !…
- Il faut toujours ajouter foi
- À la Gazette de Hollande !
Méchante !…
Scène XI
Eh bien, voilà !…
Ah ! Il est encore mieux comme cela !… (Au prince Paul.) Regardez, prince, et dites-moi ce que vous en pensez.
N’est-ce pas qu’on est fière de commander à de pareils hommes ?… (À Fritz.) Monsieur le capitaine ?…
Altesse ?…
Entrez là, et dites au général Boum et au baron Puck que nous les attendons.
Eh bien, je veux bien leur dire !…
Altesse ?…
Quoi encore ?…
Vous ne m’avez pas répondu…
Que voulez-vous que je réponde, prince !… la première fois que les soucis du gouvernement me laisseront une minute pour m’occuper de mon bonheur particulier, je profiterai de cette minute pour vous épouser… jusque-là, il faut attendre.
Toujours des fins de non-recevoir !
Le général Boum, le baron Puck et le capitaine Fritz sortent de la tente. — Des soldats, venant de la cantine, apportent une table et quatre sièges ; ils placent la table au milieu du théâtre, un peu à gauche, et disposent les sièges de la manière suivante : deux à gauche de la table, un à droite et le quatrième au milieu. — Sur la table, une carte géographique. — Cela fait, les soldats se retirent.
Scène XII
Nous allons examiner le plan de campagne du général Boum… (Au prince Paul.) Je pense, prince, que vous voudrez bien nous aider de vos lumières…
Comme il vous plaira !
Oh ! Le vilain, qui est fâché !…
C’est vrai, ça… vous me faites toujours assister au conseil…
N’est-ce pas tout naturel ?… et, puisque vous devez être mon mari, ne devez-vous pas avoir les privilèges ?…
C’est vrai… vous ne me refusez aucun des privilèges de la politique… mais il y en a d’autres…
Qu’est-ce que c’est ?…
Fatale timidité !
Asseyez-vous, messieurs. (Boum s’assied devant la table, et Puck sur le siège de droite. — À Fritz.) Vous, capitaine… (Boum lui fait signe de se retirer.) Vous veillerez sur notre personne.
N’ayez pas peur !
Mais je ne sais, alors, si je dois développer mes plans…
Ne vous inquiétez pas de cela, général… et parlez.
Rien de plus simple… voyez-vous, altesse, l’art de la guerre peut se résumer en deux mots : couper et envelopper.
Comme la galette, alors ?…
Absolument, altesse… donc, pour arriver à couper et à envelopper, voici ce que je fais… je partage mon armée en trois corps…
Très bien !
Il y en aura un qui ira à droite…
Très bien !
Un autre qui ira à gauche…
Et un autre qui ira au milieu.
Très bien !
Mon armée ainsi disposée se rendra par trois chemins différents vers le point unique où j’ai résolu de me concentrer… où est-il, ce point unique ?… je n’en sais rien… mais ce que je sais bien, c’est que je battrai l’ennemi !… (Avec force.) Je le battrai !…
Contenez-vous.
Je vous en prie…
Je vous dis que je le battrai !
Je ne vous dis pas le contraire… mais vous allez vous faire du mal.
C’est pour mon pays !… (Se levant et tirant son sabre.) L’ennemi !… où est l’ennemi ? Qu’on me conduise à l’ennemi !…
Mais vous irez tout à l’heure par vos trois chemins !
Taisez-vous, monsieur !
Qu’est-ce qu’il dit ?
C’est bête comme tout, vos trois chemins !…
Par exemple !…
Je vous ferai fusiller, moi !
Parler ainsi au général !…
Un peu de silence, messieurs !… (À Fritz.) Vous dites donc, monsieur le capitaine… qu’il n’y a rien de bête comme les trois chemins du général Boum.
Sans doute, je le dis !… et je le prouve !…
Je ferai respectueusement observer à votre altesse que cet homme n’a pas le droit de prendre la parole…
Non, il n’a pas le droit !…
Il faut être officier supérieur !…
Il faut être noble !…
Il n’a pas le droit !…
Silence, messieurs !… ou, par ma vertu ! Je ferai tomber la tête du premier qui ne se taira pas !… Vous dites donc que, pour avoir le droit de parler, il faut qu’il soit officier supérieur ?… je le fais général (à Boum), comme vous… Il faut qu’il soit noble ?… je le fais baron de Vermout-von-bock-bier, comte d’Avall-vintt-katt-schopp-Vergissmeinnicht !… Cela suffit-il, messieurs ?… A-t-il le droit de parler, maintenant ?…
Altesse…
Ah çà ! mais, dites donc… ah çà ! mais, dites donc…
Silence !… nous causerons.
Asseyez-vous, général… et dites ce que vous avez à dire.
Puck s’empresse d’indiquer à Fritz le siège qu’occupait le général Boum et se rassied, ainsi que le prince Paul. — Boum reste seul debout, dans le coin, à droite.
Au lieu d’aller à l’ennemi par trois chemins…
Voyez-vous, général, le collet est un peu trop élevé… il faudrait six bonnes lignes de moins… pour dégager le cou… Continuez, mon ami… (À part.) Dieu ! qu’il est bien !
Je disais donc qu’il faut aller tout droit à l’ennemi, par un seul chemin… On le rencontre… et puis, dame ! là, avec les camarades… on cogne… tant qu’on peut cogner… on cogne, et voilà !…
C’est très bien… et voilà le plan que vous devrez suivre, général Boum !
Je ne le suivrai pas !
Comment ?…
Je suis responsable envers Votre Altesse du sang de ses soldats… Avec mon plan, j’étais sûr de mon affaire… il n’y avait pas de bataille possible… avec le sien, je ne réponds de rien…
Ainsi, vous refusez ?
Je refuse… Que monsieur le baron de… comment a dit votre altesse ?…
Baron de Vermout-von-bock-bier et comte d’Avall-vintt-katt-schopp-Vergissmeinnicht !… (A la Grande-Duchesse.) Il a bien entendu… c’est des manières, tout ça…
Que monsieur le baron exécute son plan, s’il le veut !…
Vraiment ?… et vous gagneriez la bataille ?…
Ou je la perdrais… tout comme un autre.
Baron de Vermout-von-bock-bier ?…
Altesse ?…
Que le ciel favorise le succès de vos armes !… À partir de ce moment, vous êtes le général en chef de mes armées !
À moi le panache, monsieur !
Mille millions… !
Puck le calme, lui enlève le panache et le met au chapeau de Fritz. — Boum désespéré met à son chapeau le simple plumet qui surmontait le chapeau de Fritz.
Hou ! le mauvais soldat !…
Oh !…
Contenez-vous… Nous sommes trois qui avons à nous venger… et nous nous vengerons…
Moi !… sous les ordres !…
Les mêmes soldats qui ont apporté la table et les chaises rentrent et les remportent.
Obéissez… Son cœur a parlé… voilà ce que je craignais !…
Boum remonte au fond, fait un signe au dehors et redescend à droite ; puis de là, furieux, Boum hurle un commandement militaire, avec des mots précipités et inarticulés. Des officiers, au loin, répètent ces cris. — Les soldats rentrent par le fond, à droite, sur un roulement de tambour, reprennent leurs fusils et se mettent sur deux rangs au fond, face au public : les tambours se placent en tête, à la gauche ; Népomuc les précède et se met au deuxième plan, un peu en arrière de la Grande-Duchesse. — Les demoiselles d’honneur sortent de la tente et vont se placer à l’avant-scène de gauche. — Les paysannes arrivent du fond, à droite et à gauche ; une partie se range à droite et à gauche du théâtre, les autres restent sur la colline. — Wanda, qui est entrée par la gauche, se place de ce cOté devant les paysannes, un peu en arrière de Fritz. — Pendant ce mouvement, le prince Paul est allé rejoindre Boum et Puck à l’extrême droite. — Les vivandières sont en tête de leurs pelotons respectifs.
Scène XIII
- Nous allons partir pour la guerre,
- Tambour battant !
- Encore un regard en arrière,
- Puis en avant !
- Nous allons partir pour la guerre,
- Tambour battant ! La Grande-Duchesse, aux soldats.
- Tambour battant !
- Nous allons partir pour la guerre,
- Écoutez tous la voix de votre souveraine…
- Voici le nouveau général !
- Lui, notre général !
- Oui, soldats, et je suis certaine
- Qu’il ne s’en tirera pas mal.
- Unissons-nous pour la vengeance…
- Soyons adroits !
- Il est seul… et nous, quelle chance !
- Nous sommes trois !
- Unissons-nous pour la vengeance…
- Toi, général en chef !…
- Eh ! Mon dieu, tu vois bien !
- Ah ! Tu vas m’oublier…
- Mignonne, ne crains rien.
- Tu m’aimeras toujours ?…
- Toujours ! N’en doute pas.
- Dis encore une fois !…
- Autant que tu voudras !
- Quand vous aurez fini de vous parler, là-bas,
- Vous vous rappellerez que j’attends, n’est-ce pas ? Chœur, à voix basse.
- Elle jette sur eux
- Des regards furieux !
- Mais je suis reine, et mon devoir,
- Pour garder mon prestige,
- M’oblige
- À ne rien laisser voir.
- Pour garder mon prestige,
- Allez, monsieur, et me donnez
- A l’instant ce que vous savez.
(Parlé.) Qu’est-ce que ça peut être ?
(Parlé.) Un sabre !
- Voici le sabre de mon père !
- Tu vas le mettre à ton côté !
- Ton bras est fort, ton âme est fière,
- Ce glaive sera bien porté !…
- Quand papa s’en allait en guerre,
- Du moins on me l’a raconté,
- Des mains de mon auguste mère
- Il prenait ce fer redouté…
- Voici le sabre de mon père !
- Tu vas le mettre à son côté !
- Voici le sabre de son père !
- Il va le mettre à ton côté !
- Voici le sabre de mon père !
- Tu vas le mettre à ton côté !
- Après la victoire, j’espère,
- Te revoir en bonne santé ;
- Car, si tu mourais à la guerre,
- J’aurais trop peur, en vérité,
- De n’avoir plus jamais sur terre
- Un moment de félicité !
- Voici le sabre de mon père !
- Tu vas le mettre à son côté !
(Elle donne le sabre à Fritz.)Ëd
- Voici le sabre de son père !
- Il va le mettre à ton côté !
- Vous pouvez sans terreur confier à mon bras
- Le sabre vénéré de monsieur votre père…
- Je reviendrai vainqueur, ou ne reviendrai pas !
- Tu reviendras vainqueur !
- Il ne reviendra pas.
- Il reviendra vainqueur !
- Il ne reviendra pas !
- Reviendra !
- Reviendra pas !
Fritz.
|
Boum, Puck et le prince Paul.
|
|
|
- Il sera vainqueur,
- Grâce à sa valeur !
- Son artillerie,
- Sa cavalerie,
- Son infanterie,
- Tout cela sera,
- Je le vois déjà,
- Sera triomphant ! etc.
|
nous irons, |
ils iront, |
|
Nous élancerons ; |
Ils s’élanceront ; |
|
Nous brûlerons tout, |
Ils brûleront tout, |
|
Pillerons partout… |
Pilleront partout… |
- Ce sera parfait !
|
qu’elle a fait |
j’ai fait |
- Ce sera l’effet !
- Ce sera parfait !
Pour nous } quand viendra, Pour eux
- Après tout cela,
- Le temps du repos,
On nous } recevra comme des héros ! On les
Pendant le chœur suivant, l’armée se met en marche et, partant de la gauche, vient défiler devant la Grande-Duchesse, qui s’est placée à droite. — Fritz est en tête.
Partons, partons, } musique en tête ! Partez, partez,
- Musique en tête, en avant !
Partons, partons, pour nous } c’est une fête ! Partez, partez, pour vous
Partons, partons, } en chantant ! Partez, partez,
- En avant !
- Vous oubliez le sabre de mon père !
- Vous oubliez le sabre de son père !
Fritz accourt reprendre le sabre et, le brandissant, se remet en tête de son armée. — Le défilé continue sur la reprise du chœur. — Les paysannes qui étaient sur la colline sont venues rejoindre les autres à droite et à gauche.
Partons, partons, } musique en tête ! etc., etc. Partez, partez,
L’armée gravit la colline, tambour battant. — La Grande-Duchesse et Wanda envoient des baisers à Fritz ; celui-ci en envoie à Wanda. — Tableau. — Le rideau tombe.
ACTE DEUXIÈME
Une salle dans le palais. — À droite, au premier plan, porte conduisant aux appartements de la Grande-Duchesse. — À droite, au deuxième plan, une porte secrète dissimulée par un tableau qui représente un chevalier armé de pied en cap. — Autre tableau à gauche, en face de celui-ci. — Porte au premier plan, à gauche. — Au fond, grande baie donnant sur une galerie et fermée par des draperies. — Métier à tapisserie, tabourets, pliants.
Scène PREMIÈRE
- Enfin la guerre est terminée,
- La campagne vient de finir ;
- Dans le courant de la journée,
- Nos amoureux vont revenir.
- Le courrier ! Le courrier ! Vite, mesdemoiselles !
- Nous allons avoir des nouvelles !
- Le courrier ! Le courrier ! Vite, mesdemoiselles !
- Qui veut des lettres ?… en voici !
- Par ici, monsieur, par ici !
- En voici !
- En voici !
- Laissez-moi passer, le temps presse…
- Service personnel de La Grande-Duchesse !
- Quel trouble avant de vous ouvrir,
- Lettres de celui qu’on adore !
- Après avoir lu, quel plaisir
- De vous lire et relire encore !
- « Je t’ai sur mon cœur placée en peinture,
- Quand je suis parti.
- Il m’a préservé de toute blessure,
- Ce portrait chéri !
- Et si je reviens sans égratignure,
- C’est bien grâce à lui ! »
- « Je t’ai sur mon cœur placée en peinture,
- Ah ! Lettre adorée,
- Toute la journée,
- Je te relirai
- Et te baiserai !
- « Il paraît qu’on va terminer la guerre :
- Je reviens demain ;
- Étant très pressé, je compte, ma chère,
- Dès après-demain,
- Sans me débotter, aller à ta mère,
- Demander ta main ! »
- « Il paraît qu’on va terminer la guerre :
- Ah ! Lettre adorée, etc. Charlotte, de même.
- Ah ! Lettre adorée, etc.
- « Comme je tremblais en allant combattre !
- En allant au feu, je mourais de peur !…
- Je me suis pourtant battu comme quatre,
- Mon amour pour toi m’a donné du cœur ! »
- Ah ! Lettre adorée, etc.
- « Nous avons, hier, gagné la bataille…
- Du moins, je le crois ;
- Je m’en moque autant que d’un brin de paille.
- Car, vois-tu, pour moi,
- Iza, mon amour, il n’est rien qui vaille
- Un baiser de toi ! »
- « Nous avons, hier, gagné la bataille…
- Ah ! Lettre adorée, etc.
- Ah ! Lettre adorée,
- Toute la journée,
- Je te relirai
- Et te baiserai !
Qu’est-ce qu’il y a dans ta lettre ?
Beaucoup de choses… et dans la tienne ?
Iza lui montre sa lettre.
Oh ! Si tu savais !…
Montre-moi…
Je veux bien…
Oh ! Il t’écrit des choses comme ça ?…
Oui… et le tien… non ?…
Le mien aussi… Tiens ! regarde… là… ce qui est souligné !…
Les autres demoiselles d’honneur ont fait de même au deuxième plan. — Entrent, par la gauche, le prince Paul et le baron Grog ; les demoiselles d’honneur remontent un peu.
Scène II
Venez, baron, venez… je vous assure que vous serez reçu aujourd’hui…
Je veux le croire, mon prince.
Vous avez votre lettre d’audience ?
La voici, mon prince.
Alors, ça va aller tout seul… Bonjour, mesdemoiselles…
Bonjour, prince Paul !
Pauvre prince !…
Prince infortuné !…
Elles se moquent de moi.
J’entends bien !
Je ne leur en veux pas… Mesdemoiselles, j’ai l’honneur de vous présenter le baron Grog, l’envoyé de papa…
Monsieur le baron !…
Mesdemoiselles !…
Il a une lettre d’audience pour aujourd’hui.
Pour aujourd’hui ?…
Mais sans doute ! pour aujourd’hui… Voulez-vous me faire le plaisir d’aller annoncer à Son Altesse que le baron Grog est arrivé ?
Mais, cher prince, cela ne nous regarde pas.
Il faut vous adresser à un aide de camp.
En voici un.
Grande nouvelle !… le général Fritz sera reçu ici dans une heure, en grande cérémonie… Il est vainqueur ; il revient… Son altesse est dans une joie !… (Faisant quatre pas et répétant.) dans une joie !… (Faisant encore quatre pas.) dans une joie !…
Ils reviennent ! Nous allons les revoir !
Allons, vite, mesdemoiselles les demoiselles d’honneur, dépêchez-vous !… la Grande-Duchesse vous attend !
Hâtez-vous, mesdemoiselles !
- Ah ! Lettre adorée, etc.
Eh bien ?… et mon Grog !
Rassurez-vous…
Quoi ?
Tout de suite, général…
Allez, Grog, et soyez chaud !
Scène III
Enfin !… ah ! messieurs !…
Voyons, Monseigneur…
Vous ne pouvez pas vous figurer comme je suis ému !… Elle consent à recevoir le baron Grog !… je le vois… il traverse le couloir et entre dans le petit salon de réception…
Oui…
Il traverse le petit salon de réception…
Oui…
Oh ! mais… vous allez, vous allez !… ça n’est pas ça du tout… le baron n’a pas tourné à gauche ; il a tourné à droite… toujours précédé de l’huissier… et il s’est trouvé en face d’un escalier… au moment où nous parlons, il doit être en train de monter… quand il aura fini, il traversera une demi-douzaine de salles et se trouvera en face d’un autre escalier… qu’il descendra… il retraversera, remontera, redescendra, reretraversera…
Reremontera…
Reredescendra…
Et cætera, et cætera… jusqu’à ce qu’il soit arrivé devant une petite porte… toute grande ouverte… Votre Grog trouvera là sa voiture… l’huissier l’invitera poliment à y monter et lui dira que son audience est remise à un autre jour…
Voilà l’ordre et la marche ?…
Comme vous dites !…
Et la Grande-Duchesse a osé ?…
Fritz !… encore !… Ah ! cet homme ! cet homme !…
Il sera ici tout à l’heure… et il triomphera.
Eh bien !… qu’il triomphe !… Mais après…
Après ?…
Rien… rien… je n’ai rien dit, messieurs… je n’ai rien voulu dire.
Ça ne prend pas…
Disons tout, alors… (Coups de canon au dehors. — Avec énergie.) L’ennemi !… c’est l’ennemi !…
Mais non, ce n’est pas l’ennemi !… (Avec intention.) C’est notre ennemi !…
C’est le général Fritz !
Pardon !… c’est qu’il y a quinze jours que je ne fais rien… j’ai la nostalgie de la guerre !…
Scène IV
- Après la victoire,
- Voici revenir nos soldats ;
- Célébrons leur gloire,
- Rendons grâce au Dieu des combats !
Pendant ce chœur, la Grande-Duchesse entre par la droite, précédée de deux pages et suivie de ses demoiselles d’honneur, qui restent à droite ; deux petits nègres portent la queue de son manteau de cour. — A sa vue, le prince Paul, Boum et Puck se précipitent vers elle et la saluent humblement.
- Donc je vais le revoir ! Voici l’instant suprême !
- Pourrai-je, en le voyant, lui cacher que je l’aime ?
Les deux huissiers apportent de la droite un grand fauteuil ducal et un petit tabouret de pied, qu’ils placent un peu à droite, puis ils se retirent au fond et se tiennent de chaque côté de la porte.
- Après la victoire, etc.
Pendant cette reprise, la Grande-Duchesse s’est placée sur le fauteuil, entourée de ses demoiselles d’honneur. — Fritz entre par le fond, suivi d’un brillant état-major. Il s’approche de la Grande-Duchesse, et fléchit le genou devant elle ; elle contient difficilement son émotion. — Le chœur fini, Fritz se relève.
- Madame, en quatre jours j’ai terminé la guerre !
- Vos soldats sont vainqueurs, les ennemis ont fui !
- Et je vous rapporte aujourd’hui
- Le sabre vénéré de monsieur votre père !
- Voici le sabre de mon père !
- Voici le sabre de son père !
- Qu’on le remette en mon musée,
- D’artillerie !…
- Et vous, soldat victorieux,
- Devant ma cour électrisée,
- Parlez, et racontez vos exploits glorieux !
- Parlez et racontez vos exploits glorieux !
- Donc je m’en vais vous dire, altesse,
- Le résultat
- De ce combat,
- Et comment, grâce à mon adresse,
- Les ennemis
- Furent surpris.
- Donc je m’en vais vous dire, altesse,
- En très bon ordre nous partîmes ;
- Notre drapeau flottait au vent,
- Et, quatre jours après, nous vîmes
- Cent vingt mille hommes manœuvrant.
- J’ordonne alors que l’on s’arrête…
- J’avais mon plan,
- Et, jugez-en !
- Ce plan-là n’était pas trop bête…
- On a du flair,
- Sans avoir l’air !…
- J’avais trois cent mille bouteilles,
- Moitié vin et moitié liqueurs :
- Je me fais — ouvrez vos oreilles !
- — Tout rafler par leurs maraudeurs.
- Voilà tout leur camp dans la joie !
- « Du vin ! Buvons,
- Et nous grisons ! »
- Dans le vin leur raison se noie…
- Moi, j’attendais,
- Et j’espérais.
- Le lendemain, bonheur insigne !
- Ils acceptèrent le combat !
- Je les vis se ranger en ligne,
- Mais, seigneur dieu ! Dans quel état !
- Ils se répandent dans la plaine,
- Butant, roulant,
- Déboulinant ;
- C’était comme un grand champ d’avoine,
- Au gré du vent,
- Se balançant !
- Devant son armée en goguette,
- Leur général, l’œil allumé,
- Gambadait, gris comme une trompette,
- Et me criait : « Ohé ! ohé ! »
- Je lui réponds : « viens-y, ma vieille ! »
- Tout aussitôt,
- Le pauvre sot
- Se fâche, brandit sa bouteille,
- Et, trébuchant,
- Marche en avant !…
- Non ! c’était à mourir de rire !
- Sous ce général folichon,
- Une armée entière, en délire,
- Chantait la mère Godichon…
- Ah ! la bataille fut bouffonne !
- On en poussait
- Un, tout tombait.
- Du reste, on n’a tué personne :
- C’eût été mal !…
- Mais c’est égal,
- Vos soldats ont fait des merveilles,
- Et le soir, c’est flatteur pour eux,
- Le soir, sur le champ de bouteilles
- Ils ont couché victorieux !
Mes compliments, général !… Vous parlez comme vous combattez… (À sa cour.) Mesdames et messieurs, cette imposante cérémonie est terminée… L’intérêt de notre grand-duché de Gérolstein exigeant que nous disions au général Fritz des choses qui ne peuvent être entendues que de lui, nous vous permettons de vous retirer… Allez-vous-en !
Seule avec lui !…
Comme elle va !… comme elle va !…
Et vous souffririez cela, prince ?
Ah ! s’il y avait un moyen !…
Il y en a un, peut-être…
Allez-vous-en, gens de la… gens de la cour, allez-vous-en !
- Après la victoire,
- Voici revenir nos soldats ! etc.
Toute la cour s’éloigne par le fond. — Le prince Paul, Boum et Puck suivent en se tenant bras dessus, bras dessous. — Les huissiers sortent les derniers en fermant les draperies du fond. — Les demoiselles d’honneur, les nègres et les pages se retirent par la droite. — La Grande-Duchesse et Fritz restent seuls.
Scène V
Plus personne !
Eh non ! plus personne !
Général !…
Altesse ?…
Je suis contente de vous voir.
Et moi de même.
Merci.
Il n’y a pas de quoi, vraiment, il n’y a pas de quoi.
Je me félicite de ce que j’ai fait… Quand j’ai laissé tomber mon regard sur vous, vous n’étiez qu’un soldat…
Un pauvre jeune soldat…
Je vous ai fait général en chef : vous avez battu l’ennemi.
Voulez-vous que nous parlions des récompenses qui vous sont dues ?…
Je le veux bien, Altesse, mais à quoi bon ?
Comment !…
Puisque je suis général en chef… voyons, raisonnez un peu… puisque je suis général en chef, je ne peux pas monter en grade.
Vous croyez ça, vous ?
Dame ! il me semble… puisque j’ai le panache… je ne peux rien avoir de plus…
Dans le militaire, c’est possible ; mais…
Mais ?…
Mais dans le civil…
Ah ! ah !… (À part.) Je ne comprends pas du tout, mais ça ne fait rien… puisqu’on veut me donner quelque chose, n’est-ce pas ?…
D’abord, vous serez logé dans le palais : cela a été décidé, ce matin, sur la proposition du général Boum.
Oui, c’est une idée qui lui est venue, par mon ordre.
A-t-il dû rager !…
Voulez-vous que je l’exile ?
Oh non ! Ce n’est pas un méchant homme, au fond !… (Riant.) Tout ça, c’est des histoires de femmes, voilà tout… des histoires de femmes.
De femmes ?
Pas autre chose !
Comme elles sont heureuses, les femmes de la campagne !… Quand une femme de la campagne aime un homme de la campagne… elle va à lui, tout bonnement, et lui dit…
« Mon garçon, je t’aime. »
Avec une bonne bourrade !… Mais dans nos sphères, c’est autre chose… et nous, quand nous aimons, nous sommes obligées de prendre des détours, de nous faire entendre à demi-mot… Ainsi, tenez, ici même, dans ma cour, il y a une femme qui est folle de vous.
Dans votre cour ?… allons donc !…
Avec une bonne bourrade !…
Elle me l’a dit, à moi.
À vous ?
À moi.
Oh ! mais, alors, dites donc, c’est une intrigue !
C’est une intrigue.
Il faut en rire, voilà tout… il faut en rire.
Comment, il faut ?…
Ah diable ! non… il paraît qu’il ne faut pas… Soyons sérieux. (Haut.) Eh bien ! mais, dites-moi, d’abord… cette dame… est-elle bien de sa personne ?
Mes courtisans affirment qu’il n’y en a pas de plus belle… Quant à sa position, nous n’en parlerons pas.
Pourquoi ça ?
N’en disons qu’un mot : ces grades, ces honneurs, dont il m’a plu de vous combler, vous désirez les garder, sans doute ?
Eh ! mon gaillard, pendant que vous y êtes, vous ne seriez pas fâché d’attraper quelque chose d’inamovible ?
D’inamovible ?… (À part.) C’est un nouveau grade.
Eh bien ! sachez que la personne de qui je vous parle… est assez puissante pour vous faire obtenir tout ce que vous voudrez…
Ah diable !… ah fichtre !…
Votre avenir est dans ses mains… Maintenant, j’en suis sûre, vous savez de qui je veux parler ?
Un mot encore… un seul, et je le saurai.
Quel mot ?
Le nom de cette femme.
Le nom ?
Oui.
Il n’est pas défendu de le deviner, ce nom… mais on ne peut pas le dire.
Puisque c’est une intrigue !…
Une intrigue amoureuse ?
Vous l’avez dit, une intrigue amoureuse…
Comme ça, alors, votre amie vous a dit de me dire quelque chose ?…
- Voici ce qu’a dit mon amie :
- Quand vous le verrez,
- Je vous prie,
- Quand vous le verrez,
- Dites-lui ce que vous savez…
- Voici ce qu’a dit mon amie :
- Dites-lui qu’on l’a remarqué,
- Distingué ;
- Dites-lui qu’on le trouve aimable,
- Dites-lui que, s’il le voulait,
- On ne sait
- De quoi l’on ne serait capable !…
- Ah ! s’il lui plaisait d’ajouter
- Des fleurs aux palmes de la gloire,
- Qu’il pourrait vite remporter,
- Ce vainqueur, une autre victoire !…
- Dites-lui qu’à peine entrevu,
- Il m’a plu !
- Dites-lui que j’en perds la tête !
- Dites-lui qu’il m’occupe tant,
- Le brigand !
- Tant et tant que j’en deviens bête !…
- Hélas ! ce fut instantané :
- Dès qu’il a paru, tout mon être,
- A lui tout mon cœur s’est donné ;
- J’ai senti que j’avais un maître !
- Dites-lui que, s’il ne veut pas
- Mon trépas,
- Dites-lui (je parle pour elle),
- Dites-lui qu’il répondra : Oui !
- Dites-lui
- Que je l’aime et que je suis belle !…
- Dites-lui qu’on l’a remarqué,
- Eh bien, réponds-moi maintenant.
- Ma fortune en dépend :
- Soyons intelligent.
- Réponds, — deux mots doivent suffire,
- — À la dame que dois-je dire ?
- Dites-lui que je suis sensible…
- Je le lui dirai.
- Son discours n’a rien de pénible…
- Je le lui dirai.
- Et de tout mon cœur je m’empresse…
- Je le lui dirai.
- De lui rendre sa politesse.
- Je le lui dirai.
- Je dis tout ça… mais, là, sur ma parole,
- Je n’y comprends rien,
- Mais, là, rien de rien !
- Et que le diable ici me patafiole,
- Si je connais cette personne !
- Fritz.
- Eh bien… Eh bien…
- Dites-lui… que je suis sensible.
Eh bien ?…
- Je le lui dirai.
- Son discours n’a rien de pénible…
- Je le lui dirai.
- Et de tout mon cœur je m’empresse…
- Je le lui dirai.
- De lui rendre sa politesse.
- Je le lui dirai.
- Il a compris en un moment,
- Car le cœur est intelligent.
- Je n’y comprends rien absolument !
- Pourtant je suis intelligent.
Eh bien, voilà !… ces grades, ces honneurs… le panache… il est bien évident que je tiens à garder tout ça… et alors, cette grande dame… qui m’aime… ce serait le meilleur moyen, n’est-ce pas ?…
Mais Wanda… il y a Wanda aussi… c’est très embarrassant !
Général ?…
Altesse ?…
Venez ici, près de moi.
C’est très embarrassant !
Non, non… asseyez-vous… là… (Fritz s’assied sur le tabouret. — Désignant les décorations qu’il a sur la poitrine.) Comme ces insignes vous vont bien !… si vous n’en avez pas assez, demandez-moi autre chose… mais je m’égare… où en étions-nous ?… Cette femme, de qui je viens de vous parler… vous n’avez pas répondu, en somme… vous êtes resté dans les généralités…
Eh ! bédame !… puisque je suis général…
Ah ! Charmant !… charmant !… mais laissons les jeux de mots… il faut répondre.
Ah bien !… cette dame ne vous a pas seulement priée de faire la commission, il paraît… Elle vous a priée aussi de rapporter la réponse ?…
Justement !… Eh bien ?…
Ah !…
Qu’est-ce que c’est ?
Rien… en jouant avec ce collier, vous m’avez un peu…
Pardonnez-moi…
Eh bien, je vous pardonne !…
Mais voyons… parlez… cette réponse… si vous étiez près de cette femme, comme vous êtes là, près de moi… vous lui diriez…
Eh ! bédame !…
Pas mal, cela !… c’est un mot que vous dites un peu souvent peut-être… mais vous le dites si bien !… et après lui avoir dit : « Eh ! bédame… » ?
Après ?… Voulez-vous que je vous le déclare ?… je serais fort embarrassé !…
Scène VI
Altesse…
Qui vient ?… ai-je appelé ?…
Le chef de votre police particulière… Il attend Votre Altesse.
Ah ! j’ai bien le temps de songer !…
Je demande pardon à Votre Altesse… il paraît que c’est très important.
Donnez.
Ah ! s’il n’y avait pas Wanda !… mais il y a Wanda !… c’est très embarrassant !…
Oui, Altesse.
Wanda !… c’est impossible !… (Haut, à Fritz.) Dans un instant, général, je suis à vous… Vous permettez ?…
Eh bien, je permets !…
Eh bien, attendez-moi !… (À Népomuc.) Suivez-nous, capitaine.
Scène VII
Eh bien, voilà !… c’est très embarrassant, n’est-ce pas ?… car, si je dis à cette dame : « Je ne peux pas vous aimer… j’en aime une autre… », cette dame se fâchera… Et elle aura tort, après tout… car, tous les jours, on reçoit une invitation à dîner… on répond : « Je ne peux pas… à cause d’une invitation antérieure… » Est-ce que ça veut dire qu’on a peur que le dîner ne soit pas bon ?… non… ça veut dire tout bonnement qu’on a reçu une invitation antérieure… Donc, si cette dame se fâche, elle aura tort… Je vais, sans plus de manières, faire savoir à la Grande-Duchesse que je suis invité… Elle en fera part à son amie… et voilà !
Scène VIII
Ah ! voilà ces trois messieurs !
Le voici !…
Il va nous gêner pour ce que nous avons à vous dire.
Général ?…
Eh bien, capitaine ?…
Les affaires de l’état retiennent Son Altesse… Elle m’a ordonné de vous conduire à votre appartement, dans le pavillon de l’aile droite.
Dans le pavillon de l’aile droite !
Monsieur !…
Eh bien, il a fait son chemin, le pauvre jeune soldat !
Qu’est-ce que c’est ?…
Hou !… le mauvais général !…
Scène IX
Elle a ordonné qu’on préparât pour lui le pavillon de l’aile droite !… vous avez entendu ?… de l’aile droite !…
Ça ne m’étonne pas de sa part.
Moi non plus !… (Au prince Paul.) Je suis sûr que vous ne nous comprenez pas.
Pas du tout.
Vous allez comprendre… (Indiquant le portrait qui est à gauche.) Vous voyez ce portrait qui est là ?…
Allez… et appuyez vigoureusement sur la botte gauche de ce noble seigneur…
Qu’est-ce que vous dites ?…
On vous dit d’appuyer…
Vous allez me faire une farce !…
Mais non… je vous assure…
Je vois ce que c’est… il y a un ressort… et il va m’arriver quelque chose dans le nez.
Mais non… allez donc !…
le prince Paul pousse le bouton, le portrait remonte et le panneau s’ouvre lentement : une bouffée d’air glacé repousse le prince Paul. — Des bruits étranges s’échappent du couloir. — Une clarinette imite dans la coulisse le cri de la chouette.
Tiens ! un aveugle !…
Non !… ce n’est pas un aveugle !…
Qu’est-ce que c’est ?
Vous semblez avoir une histoire à me raconter…
Une lugubre histoire !…
Racontez-moi.
Très volontiers… Il a deux issues, ce couloir…
Comme la plupart des couloirs.
L’une qui donne dans cette chambre, l’autre qui donne dans le pavillon de l’aile droite, ce pavillon où sera logé le général…
Aïe !…
Ici, il y a un portrait d’homme ; à l’autre bout, il y a un portrait de femme… Ici, pour ouvrir, on n’a qu’à toucher la botte de l’homme ; là-bas, on n’a qu’à toucher le genou de la femme.
Le genou ?…
C’est un caprice du peintre… De son vivant, l’homme qui est peint ici s’appelait Max, il était comte de Sedlitz-Calembourg… La femme qui est peinte là-bas s’appelait la Grande-Duchesse Victorine, l’aïeule de notre Grande-Duchesse…
- Ne devinez-vous pas ?… c’est une sombre histoire !
- Les murs de ce palais en gardent la mémoire !
- Max était soldat de fortune ;
- Mais il avait
- L’œil vif et la moustache brune…
- On l’adorait !
- La duchesse, en personne adroite,
- À ce galant
- Donna son cœur… et l’aile droite,
- Pour logement.
- Et, dans son amoureuse ivresse,
- Max, chaque soir,
- Écoutait venir sa maîtresse
- Par ce couloir !
- Max était soldat de fortune ;
- Écoutez, race future,
- Écoutez, écoutez la sinistre aventure
- Et l’histoire d’amour
- Du comte Max de Sedlitz-Calembourg !
- Un soir, Max, avec épouvante,
- N’étant point sourd,
- Trouva le pas de son amante
- Quelque peu lourd :
- Ça lui mit la puce à l’oreille…
- Trop tard, hélas !
- Que ne se sauvait-il la veille ?…
- Ce pas… ce pas…
- C’était le pas d’une douzaine
- D’assassins, qui
- Trouèrent gaîment la bedaine
- Du favori ! le prince Paul.
- Douze assassins !…
- Du favori !
- Un soir, Max, avec épouvante,
- Au masque noir !
- Par ce couloir !
- Écoutez, race future, etc.
- Maintenant, me comprenez-vous ?
- Je vous comprends… mais c’est horrible !
- Il faut qu’il tombe sous nos coups !
- Le croyez-vous ?… c’est bien possible…
- Il faut qu’il tombe sous nos coups !
- Logeons-le donc, et dès ce soir,
- Dans la chambre au bout du couloir !
- Logeons-le donc, ce mirliflor,
- Là-bas, au fond du corridor !
- Logeons-le donc, et dès ce soir, etc.
- Ce soir, quand il se fera tard,
- Écoute, dans ta folle ivresse,
- Si tu n’entends pas, par hasard,
- Le pas léger de ta maîtresse ! Boum.
- Ce pas,
- Ce pas,
- Ce joli pas,
- Ce pas,
- Ce pas,
- Ce petit pas !
- Tu n’l’entendras pas, Nicolas !
- Non, non, tu ne l’entendras pas !
- Ce pas,
- Ce pas,
- Ce joli pas,
- Ce pas,
- Ce pas,
- Ce petit pas !
- Logeons-le donc, et dès ce soir, etc., etc.
- Quand, faisant des rêves de gloire,
- Tu te dis : « Je serai Grand-Duc ! »
- Voici venir, dans la nuit noire,
- Voici venir Paul, Boum et Puck !
- Voici venir Paul !
- Voici venir Boum !
- Voici venir Puck !
- Oui, Paul, Boum, Puck !
- Logeons-le donc, et dès ce soir,
- Dans la chambre au bout du couloir ;
- Logeons-le donc, ce mirliflor,
- Là-bas, au fond du corridor !
La musique continue à l’orchestre. — La Grande-Duchesse entre par le fond et, voyant le prince Paul, Boum et Puck, reste à l’écart et écoute.
Scène X
C’est entendu… alors, nous conspirons ?
Nous conspirons !
Dans une heure, chez moi… ça vous va-t-il ?… nous poserons les bases.
Il y aura des rafraîchissements ?
Il y en aura.
Pas de femmes ?
Oh ! Boum !… une conspiration !…
Si fait, général, il y aura une femme !
Son Altesse !…
Oui, moi !…
Nous sommes perdus !
Sauve qui peut !…
Ah bah !
C’est comme ça ?
J’aime mieux ça.
Savez-vous ce qu’il vient de faire, le général Fritz ?… Il vient de m’envoyer demander la permission d’épouser Wanda !… Cette permission, je l’ai accordée… Maintenant, le général est à la chapelle… et de là, il ira…
Il ira ?…
Là où vous serez pour l’attendre !… dans le pavillon de l’aile droite !
Dans le pavillon de l’aile droite !
- Logeons-le donc, et dès ce soir,
- Dans la chambre au bout du couloir ;
- Logeons-le donc, ce mirliflor,
- Là-bas, au fond du corridor !
- Logeons-le donc, et dès ce soir, etc., etc.
ACTE TROISIÈME
La chambre rouge, vieille salle gothique. — Porte à droite, au premier plan ; autre porte au deuxième plan, à gauche ; du même cOté, au troisième plan, une porte secrète dissimulée par un tableau représentant la grande-duchesse Victorine en pied. — Au fond, à gauche, une fenêtre ; au fond, à droite, un lit caché par des rideaux. — Entre la fenêtre et le lit, une console. — Sièges. — Des draperies recouvrent les portes du premier plan.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, la scène est vide et sombre. — Entre, par la droite, la Grande-Duchesse précédée d’un page qui porte un candélabre. — La chambre s’éclaire. — Le page se retire après avoir posé le candélabre sur la console. — Alors la Grande-Duchesse, se voyant seule, pousse un petit cri. — Aussitôt un cri bizarre répond de la coulisse et le général Boum entre par la première porte de gauche. — Pendant cette scène muette, on entend la musique de la fête, qui continue au loin.
Altesse !…
Eh bien, général, que fait-il ?
Il danse. Quand j’ai quitté le bal, il était en train d’exécuter un cavalier seul…
Pas de danger !… je lui ai fait savoir que Votre Altesse lui défendait de quitter le bal avant la fin du cotillon.
Comment a-t-il reçu cet ordre ?
Avec une mauvaise humeur évidente… « Comme c’est amusant, a-t-il dit, un jour de noces !… »
Il a dit cela ?
Il l’a dit.
Ah ! il l’aime bien, cette petite !… mais patience !… patience !…
Que regardez-vous, Altesse ?
Là, sur ce parquet, il y a une grande tache rouge… Quand les étrangers visitent ce palais, on leur montre cette tache, en leur disant : « C’est là que le comte Max est tombé !… » Est-ce vraiment là ? je n’en sais rien… En tout cas, les concierges du palais racontent cette histoire et s’en font un bon petit revenu.
- O grandes leçons du passé !
- Grave enseignement de l’histoire ! la Grande-Duchesse.
- Ici le drame s’est glissé !
- Grave enseignement de l’histoire !
- Éclair sombre dans la nuit noire !
- Tout ça pour que, cent ans après,
- Racontant la scène émouvante,
- Le concierge de ce palais
- S’en fasse une petite rente !…
- Le concierge de ce palais
- S’en fasse une petite rente !…
- Ce qu’on a fait, on le refait…
- L’histoire est comme un cercle immense !
- L’aïeule a commis son forfait…
- L’enfant vient et le recommence !
- Tout ça pour que, dans deux cents ans,
- Exploitant ces scènes navrantes,
- Du portier les petits-enfants
- Aient aussi leurs petites rentes !…
- Du portier les petits-enfants
- Aient aussi leurs petites rentes !…
Probablement… Mais vos complices ?…
Ils m’attendent dans ce corridor mystérieux…
Ouvrez-leur la porte ; je vais, moi, me cacher derrière cette draperie…
J’en suis bien aise.
Pourquoi ça ?
Si vous n’aviez pas été là, derrière cette draperie, notre conspiration… ça aurait manqué de femmes !…
Gardez-vous cependant de révéler ma présence… au dernier moment, si je le juge convenable, je me montrerai…
Altesse !…
Maintenant, faites entrer vos amis… et tâchez de me mener ça rondement !…
Scène II
Le portrait, le voilà… c’est le genou qu’il faut toucher. (Il touche le genou, la porte secrète s’ouvre. — Entrent Puck, le prince Paul, Népomuc et le baron Grog.) Un, deux, trois, quatre… où sont les autres ?
Ils viendront quand il en sera temps… Si nous étions venus tous ensemble, cette fugue générale eût inspiré des soupçons…
Vous avez raison.
D’abord, il faut prendre nos mesures…
Vous êtes des nôtres, monsieur ?
Dès que j’ai su que cela était agréable à la Grande-Duchesse…
Vous êtes un malin.
Je suis pauvre, monsieur, mais je suis ambitieux.
Donnez-moi votre main, monsieur.
La voici, général.
J’aime les gens de cœur !… (Au prince Paul, en montrant le baron Grog.) Monsieur aussi est avec nous, prince ?
Oui, général.
Messieurs !…
Monsieur le baron sait de quoi il s’agit ?
Parfaitement !… il ne s’agit que de tuer un homme…
C’est ici la chambre ?…
Oui ; c’est ici que nous le frapperons…
Et maintenant, écoutez-moi tous…
Qu’est-ce que c’est que ça encore ?
Rengainez ça !
Oui, oui, rengainez !…
Quand on se fourre dans ces choses-là, il faut y rester jusqu’au bout !… Je coupe en quatre celui qui aurait envie de renâcler.
Mais personne n’a envie…
Si vous avez envie de renâcler, dites-le, je vous coupe en quatre !
Mais, encore une fois, personne n’a envie… Il n’y a pas moyen de discuter raisonnablement avec un homme comme vous.
J’ai dit ce que j’ai dit !…
En voilà assez !…
Scène III
Sont-elles bonnes, au moins, les lames de vos poignards, messieurs ?
Son Altesse !…
Oui, messieurs… j’étais là… décidée à paraître au dernier moment, pour exciter votre courage, s’il en était besoin ; mais je vois que cela n’était pas nécessaire…
Non, certes…
Qu’il vienne, et vous verrez !…
Ah !… une prière, messieurs…
Dites : un ordre !
Ce que je vous recommande, avant tout, c’est, en le frappant, de ne pas le frapper au visage…
Ah ! ce serait dommage !…
Qui a dit cela ?
Moi.
Qui ça, vous ?… je connais tous les conjurés qui sont ici ; mais vous, je ne vous connais pas.
C’est mon Grog.
Votre Grog ?…
Eh !… le baron Grog… l’envoyé de papa… celui que vous n’avez pas voulu recevoir…
Ah ! j’ai eu tort…
Vous dites ?…
Rien… rien… Allez placer vos hommes, messieurs, et, quand vous les aurez placés, revenez tous les trois… vous, baron Grog, restez.
Altesse !…
Eh bien, quoi ?… ne m’aviez-vous pas demandé une audience ?… cette audience, je vous la donne maintenant… (Aux conjurés.) Allez, messieurs, allez.
Grog, soyez brûlant !
Boum, Puck et le prince Paul sortent par la première porte à gauche ; la Grande-Duchesse les accompagne un peu. — Grog passe à droite. — Pendant ce mouvement, mélodrame à l’orchestre.
Scène IV
Ce qui m’a tout de suite frappée, en vous, c’est que vous avez l’air bon.
Altesse !…
Tout à fait bon.
Il vous plaît, alors, que nous parlions de mon prince ?
Tout à l’heure… Laissez-moi, d’abord, me féliciter d’avoir pour ami un homme tel que vous.
Sans doute !… Puisque je vous trouve au nombre de ceux qui doivent me venger !
Oh ! Quant à cela, j’avoue que ce n’est pas précisément par amitié… Votre Altesse s’obstinait à ne pas me recevoir : ça m’ennuyait de ne rien faire ; j’ai conspiré un brin pour me distraire.
Pour vous distraire ?
Pas pour autre chose.
Comme j’aime votre genre de conversation !… Vous dites des choses à faire sauter !… et votre figure ne bronche pas.
C’est le résultat de l’éducation.
Ah !…
Dès mes plus jeunes années, ma famille m’a destiné à la diplomatie… Alors, on m’a appris à avoir l’air froid… Quand j’étais tout petit…
Il y a longtemps…
Pauvre enfant !… Voulez-vous me permettre de vous donner un conseil ?
Avec plaisir.
Tout à l’heure, quand le moment sera venu, quand il faudra taper sur le général Fritz, ne vous mettez pas en avant… vous seriez capable d’attraper une balafre qui vous défigurerait.
Ah !… bien !
Tenez-vous derrière les autres… Quand le coup sera fait et qu’il n’y aura plus qu’à recevoir les récompenses, je ferai passer les autres derrière vous… (Grog fait un petit mouvement des lèvres.) Qu’est-ce que vous avez ?… Vos lèvres viennent de faire un petit mouvement… comme ça. (Elle l’imite.) Chez un autre, ça ne serait rien… mais chez vous, ça doit être un éclat de rire.
Juste !
Comme je vous connais déjà !… Qu’est-ce qui vous fait rire autant que ça, dites-moi ?
Je ne peux pas.
Pas mon ami, alors ?
Si fait.
Il y a une heure, vous trembliez pour la figure du général Fritz… maintenant, vous tremblez pour ma figure, à moi…
C’est vrai, pourtant !…
Si l’on était avantageux, si l’on voulait tirer des conséquences…
Chut !… faut pas !…
Non.
Ne parlons pas de ça !
Si nous parlions de mon prince ?…
Tout à l’heure… Qu’est-ce que vous êtes là-bas… là-bas, à la cour de votre maître ?… Chambellan ?
J’ai aussi le grade de colonel, au palais seulement.
Vous auriez mieux que cela à ma cour, si vous vouliez quitter le service de l’Électeur…
Malheureusement pour moi, c’est impossible.
Impossible ?…
Aïe ! aïe ! aïe !
Il serait tout simple, alors…
Épouser votre prince… nous y voilà revenus !…
Je pensais que nous n’avions pas parlé d’autre chose.
Mes compliments, baron… vous êtes un fameux diplomate !
Je vous en supplie, Altesse, prenez mon prince… je vous assure que c’est un bon petit jeune homme…
Un fameux diplomate… il n’y a pas à dire !…
Eh bien, que décidez-vous ?
Voulez-vous que je vous dise ?… je n’en sais rien.
Ah !
Tout ça, voyez-vous, tout ça danse dans ma tête… ça tourne ! ça tourne !… Fritz, vous, le prince… et Puck et Boum dans le fond… Ferai-je tuer, ne ferai-je pas tuer ? Et si je fais tuer quelqu’un, qui ce sera-t-il ?… Ce sera-t-il Fritz ?… ce sera-t-il vous ?
Moi ?
Je n’en sais rien… voilà où j’en suis… je n’en sais rien… absolument rien…
Scène V
Altesse !…
Qu’y a-t-il ?… Ah ! c’est vous, messieurs…
Eh bien ?…
Ça marche.
Ah ! mon ami !…
Vous avez placé vos hommes ?
Oui, Altesse.
Eh bien, allez les trouver derechef et dites-leur qu’ils peuvent rentrer chez eux.
Comment ?…
On ne frappera pas.
Ah bien, par exemple !…
Je ne dis rien… parce que Votre Altesse est là… mais, si Votre Altesse n’était pas là… je dirais que c’est insupportable, à la fin !…
Vous vous oubliez, ce me semble !…
Non, mais… enfin… tout était bien convenu, bien arrangé… et puis, au dernier moment, vous venez nous dire…
C’est très désagréable… on se donne du mal pour monter une petite partie…
Toute la peine était prise… il ne restait plus que le plaisir…
J’ai dit que l’on ne frapperait pas…
Mais pourquoi ?
Frapper un homme le jour où je me marie, cela ne serait pas convenable.
Le jour où vous vous mariez !…
Vous l’avez dit, ma chère, vous l’avez dit !
Oui, je l’ai dit.
Eh bien, oui, je consens. Remerciez le baron, vous lui devez beaucoup : je n’ai pu résister à son éloquence.
Ah ! Baron !… Tous les ans, au jour de l’an, papa me donne le droit de faire un margrave. Il aime mieux ça que de me donner de l’argent… Eh bien, je ne vous dis que ça…
Eh bien, général Boum ?… Eh bien, baron Puck ?
Eh bien, mais, Altesse, il est bien évident que le jour où Votre Altesse consent à couronner les feux dont Son Altesse brûlait pour Votre Altesse… il serait malséant de…
Je ne dis pas le contraire, mais c’est bien désagréable !… Il m’en a fait de toutes les couleurs, ce Fritz !… il m’a enlevé ce panache qui faisait mon orgueil !… il m’a enlevé une femme qui eût fait mon bonheur !… et je ne me vengerais pas !… (Avec force.) L’ennemi !… où est ?…
N’est-ce que cela ? Vengez-vous tout à votre aise… pourvu, bien entendu, que vous n’alliez pas jusqu’à…
Pourvu que nous ne sortions pas des limites de la fantaisie…
Alors, si nous trouvons quelque bon tour à lui jouer, vous nous permettez…
Non seulement je vous le permets… mais, voulez-vous que je vous dise ?… cela me fera plaisir…
Oh ! alors…
On vous l’amène… Trouvez quelque chose, cela vous regarde… Prince Paul ?…
Ma chérie ?…
Dans deux heures, à la chapelle… soyez exact… je vais, moi, faire un choix parmi les quarante toilettes de mariage que j’ai été sur le point de mettre pour vous épouser… (Elle se dirige vers la droite, le prince Paul va pour lui baiser la main, elle la retire en disant : ) Oh ! pas encore !… (Puis, arrivée près de la porte elle se retourne et dit : ) Dieu vous garde, messieurs !
Le voici… qu’est-ce que nous allons lui faire ?
Je tiens ma fantaisie !… Nous allons lui arranger une petite nuit de noces…
Boum et le prince Paul se rangent près de Grog. – Entrent, par la première porte à gauche, Fritz et Wanda en mariée ; ils sont accompagnés de tous les seigneurs et dames de la cour. – Tous, hommes et femmes, portent des lanternes dorées.
Scène VI
- Nous amenons la jeune femme
- Dans la chambre de son mari ;
- Maintenant nous allons, madame,
- Vous laisser seule avec lui…
- Nous amenons la jeune femme,
- Dans la chambre de son mari !
Bien obligé, messieurs, mesdames… bien obligé de votre bonne conduite !… (Au prince Paul, à Grog, à Boum et à Puck.) Vous étiez ici, messieurs ?…
Oui, pour vous faire honneur.
Bien obligé aussi !… mais si, après m’avoir fait beaucoup d’honneur, vous vouliez me faire beaucoup de plaisir…
Nous nous en irions ?
Eh ! bédame !… Allons, messieurs, bonsoir, bonsoir !
- Bonne nuit, monsieur, bonne nuit !
- Bonne nuit !
- Ce simple mot doit vous suffire ;
- Vous comprenez ce qu’on veut dire,
- Heureux coquin, lorsqu’on vous dit :
- Bonne nuit ! tous.
- Bonne nuit !
- Bonne nuit !
- Bonsoir, madame, bonne nuit !
- Bonne nuit !
- Ce compliment vous fait sourire,
- Bien qu’ignorant ce qu’on veut dire,
- Jeune épouse, quand on vous dit :
- Bonne nuit !
- Quand on vous dit : bonne nuit !
- Bonne nuit !
- Quand on vous dit : bonne nuit !
Tous, excepté Fritz et Wanda, sortent à gauche. — Grog, Boum, Puck et le prince Paul sortent les derniers, après avoir salué très profondément les nouveaux époux.
Scène VII
Enfin, nous voilà seuls !
Oui… et je n’en suis pas fâchée.
Moi non plus, par exemple, moi non plus !
Naïve enfant !
Monsieur le général !…
Ça fait une différence, n’est-ce pas, quand on s’attendait à épouser un pauvre jeune soldat, et qu’on se trouve, par le fait, épouser un général en chef couronné par la victoire ?
Il est clair que dans le premier moment…
Tu es éblouie… avoue-le, naïve enfant.
Non… mais…
Mais… tu es éblouie… et pourquoi ça ?… C’est parce que tu vois mon panache, et mes insignes, et toute ma passementerie… mais je ne me serai pas plus tôt débarrassé…
Eh bien, mais… qu’est-ce que tu fais ?
Je te rassure, naïve enfant, je te rassure.
Oh ! mais… tu as une façon de rassurer les gens, toi…
Sans doute… sans doute…
Eh bien, alors… fais comme moi…
Tu dis ?…
J’ai ôté mon panache… ôte ton panache aussi.
Tout à l’heure…
Pourquoi tout à l’heure ?… Toujours cette timidité !… A cause de mon grade… n’est-ce pas ?… Je suis bien sûr que si, au lieu d’être tous les deux… ici… dans un appartement richement décoré, nous étions dans ta simple cabane, tu n’hésiterais pas tant… Mais voilà !… c’est une chose à remarquer que, plus on s’enfonce dans les classes élevées, plus on fait des manières… Eh bien, il ne faut pas… il n’y a pas à dire : « ma belle amie… », il faut te rassurer, à la fin… O ma Wanda !…
C’est pourtant vrai que j’ai un peu peur…
- Faut-il, mon Dieu, que je sois bête !
- C’est pourtant vrai qu’il m’interdit,
- Avec cet or sur son habit
- Et son panache sur la tête !…
- Mon dieu, faut-il que je sois bête !
- Pourquoi, diable, avoir peur de lui ?…
- C’est mon mari !
Je ne sais pas, moi.
Nouveau roulement de tambours.
Vive le général Fritz !
On t’appelle…
C’est une aubade… Il n’y a pas à dire : « mon bel ami… », c’est une aubade… Après ma victoire, c’est bien naturel… mais ils auraient pu choisir un autre moment.
Vive le général !
Mais ils ne s’en vont pas !…
Non… ils attendent que j’aille leur parler… C’est le seul moyen de les faire partir…
Parle-leur donc… Mais tu m’avoueras que c’est bien désagréable…
Vive le général !
Messieurs les tambours… je n’ai pas besoin de vous déclarer que je suis sensible… mais je vais vous dire… vous ne savez peut-être pas… je me suis marié aujourd’hui… alors, vous devez comprendre… Bonsoir, messieurs les tambours… allons, bonsoir, bonsoir !…
Vive le général Fritz !
Tu vois, c’est fini… O ma Wanda !…
- On peut être aimable et terrible !
- Je suis un grand chef, j’en conviens…
- Mais sous le grand chef, vois-tu bien,
- Tu trouveras l’homme sensible,
- À la fois aimable et terrible !
- Pourquoi, diable, avoir peur de lui ?…
- C’est ton mari !
Encore !…
Maintenant, c’est la musique. Nous aurions dû nous y attendre… après les tambours, il y a toujours la musique.
Suite de la musique.
Vive le général Fritz !
Ah ! tu m’avoueras…
Qu’est-ce que tu veux ?… Je vais leur parler… (Il retourne à la fenêtre.) Messieurs les musiciens…
Vive le général !
On bombarde Fritz de bouquets.
Tu vois !… ils sont aimables !… (Recevant un bouquet en pleine figure.) très aimables !… (Wanda ramasse les bouquets, les met sur la table. – Fritz se penche à la fenêtre pour parler aux musiciens.) Messieurs les musiciens… je suis fâché qu’en venant vous n’ayez pas rencontré messieurs les tambours… Ils auraient pu vous dire que je me suis marié aujourd’hui… alors, vous devez comprendre… Bonsoir, messieurs les musiciens… bonsoir, bonsoir !…
Vive le général !
Ils sont partis, je t’assure… (Fermant la fenêtre et revenant à Wanda.) O ma Wanda !… Où en étais-je resté ?… (Se souvenant.) Ah ! reprenons…
Qu’est-ce que c’est encore ?…
Scène VIII
- Ouvrez, ouvrez, dépêchez-vous,
- Où nous irons chercher main-forte ;
- Ouvrez, ouvrez, jeunes époux,
- Ou bien nous enfonçons la porte !
- Mon ami, n’ouvre pas !
- As pas peur !
- O ciel ! La porte cède ! Ah ! je meurs de frayeur !
- Que le ciel soit béni !… nous arrivons à temps !
- Mais que nous veulent tous ces gens !
- À cheval ! à cheval !
- Vite, monsieur le général !
- À cheval ! à cheval !
- Vite, monsieur le général !
- Au combat volez tout de suite !
- Il s’agit d’être expéditif !…
- L’ennemi, qu’on croyait en fuite,
- A fait un retour offensif.
- Au combat volez tout de suite ! etc., etc.
- Notre maîtresse vous invite
- À ne point faire le poussif ;
- On ne vous en tiendra pas quitte,
- À moins d’un succès décisif.
- Notre maîtresse vous invite, etc., etc.
- Mes bons amis, vous oubliez
- Que depuis un instant nous sommes mariés.
- Que nous importe !… il faut partir !
- Il faut aller vaincre ou mourir !
- Alors, je vous laisse ma femme.
- C’est très bien… nous gardons madame.
- Mais dépêchez
- Et vous hâtez.
- Qu’ai-je fait de mon ceinturon ?
- Qu’a-t-il fait de son ceinturon ?
(A mesure que Fritz nomme un objet d’équipement, un seigneur le passe à Puck, qui le donne à Fritz et l’aide à le mettre. — Ces mouvements doivent être très rapides, sans confusion.)
- Puisqu’il faut que je me harnache,
- J’ai besoin de mon ceinturon.
- Le voici, votre ceinturon.
- Mais je n’ai pas la sabretache…
- La sabretache !
- Et mon panache ?…
- Mon panache ?…
- Et mon panache ?…
- Apportez-le-moi, s’il vous plaît !
- Là !… je suis complet !
- Il a son plumet !
- Arrêtez, monsieur, arrêtez !
- J’apporte ce que vous savez !
(Parlé.) Encore le sabre !…
(Le prenant et avec rage.)
- Si tu savais, sabr’de son père,
- Comme ton aspect m’exaspère ! chœur.
- Il faut partir !
- Il faut aller vaincre ou mourir !
- À cheval ! à cheval !
- Vite, monsieur le général !
- Au combat volez tout de suite !
- À cheval ! à cheval !
- Prenez le sabre et partez vite !
- À cheval ! à cheval !
(Pendant ce chœur, Puck cherche à entraîner Fritz vers la porte de gauche ; Boum retient Wanda, qui parvient à s’échapper et va se jeter dans les bras de Fritz ; Boum les sépare de nouveau, et, lorsque Fritz va sortir, entraîné par Puck, le rideau tombe.)
ACTE QUATRIÈME
Au camp. — Même décoration qu’au premier acte. — Trois tables servies parmi les tentes : une au troisième plan, face au public ; les deux autres à droite et à gauche, un peu obliquement.
Scène PREMIÈRE
La fin d’un grand déjeuner. — Népomuc, Boum, le prince Paul, Puck et Grog sont assis à la table du milieu. — Les dames de la cour sont aux deux tables de cOté, les seigneurs sont debout derrière elles. — Des soldats et des paysannes garnissent le fond. — Les huissiers versent à boire.
- Au repas comme à la bataille,
- Tapons ferme et grisons-nous tous :
- Chantons, buvons, faisons ripaille,
- En l’honneur des nouveaux époux !
(Après ce chœur, le prince Paul, Puck, Boum, Grog et Népomuc se lèvent et viennent sur le devant de la scène. — Les dames se lèvent aussi, mais restent derrière leurs tables. — Tous ont le verre à la main.)
- Notre aimable maîtresse
- À vos désirs se rend enfin !…
- Et nous buvons, Altesse,
- En votre honneur le vin
- Du Rhin ! Chœur.
- Du Rhin !
- Oui, nous buvons, Altesse,
- En votre honneur le vin
- Du Rhin !
- C’est vraiment chose singulière,
- Ne trouvez-vous pas, mes amis ?
- Hier soir on ne m’aimait guère,
- Et ce matin même je suis
- Marié !…
- Marié !
- De cet hymen si tôt bâclé
- Je suis encor époustouflé !
- Époustouflé !
- Au repas comme à la bataille,
- Tapons ferme et grisons-nous tous ;
- Chantons, buvons, faisons ripaille,
- En l’honneur des nouveaux époux !…
Scène II
- Messieurs, je vous salue.
- le prince Paul, donnant un verre à la Grande-Duchesse.
- Vite, un verre pour Son Altesse !
Ah ! La Grande-Duchesse !
- Nous buvons au bonheur des augustes époux !
- Eh bien, mes chers amis, je vais boire avec vous !
- Il était un de mes aïeux
- Lequel, si j’ai bonne mémoire,
- Se vantait d’être un des fameux
- Parmi les gens qui savaient boire…
- Se vantait d’être un des fameux
- Parmi les gens qui savaient boire !
- Le verre qu’il avait tenait
- Un peu plus qu’une tonne entière ;
- Et son échanson lui versait,
- Nuit et jour, du vin dans ce verre…
- Et son échanson lui versait,
- Nuit et jour, du vin dans ce verre !
- Ah ! mon aïeul, comme il buvait !…
- Et quel grand verre il vous avait !
- Ah ! comme autrefois l’on buvait !
- Et quel grand verre on vous avait !
- Un jour, on ne sait pas comment,
- Il le laissa tomber par terre :
- « Ah ! fit-il douloureusement,
- Voilà que j’ai cassé mon verre ! » Chœur.
- « Ah ! fit-il douloureusement,
- Voilà que j’ai cassé mon verre ! »
- Quand on le voulut remplacer :
- « Non, dit-il, ce n’est plus le nôtre… »
- Et mieux il aima trépasser
- Que boire jamais dans un autre !
- Et mieux il aima trépasser
- Que boire jamais dans un autre !
- Ah ! mon aïeul, comme il buvait !…
- Et quel grand verre il vous avait !
- Ah ! comme autrefois l’on buvait !
- Et quel grand verre on vous avait !
Le prince Paul reprend à la Grande-Duchesse son verre et le met sur la table de gauche. — Tous posent les verres qu’ils avaient gardés à la main pendant la chanson.
Ah ! Ma chère femme !…
Eh bien, mon cher mari ?…
Enfin, nous sommes donc unis !… nous sommes donc l’un à l’autre !…
Sans doute… sans doute…
Et c’est au baron Grog que je dois… Dites donc, ma chérie, il faudra trouver un moyen de nous acquitter envers lui.
C’est mon avis.
Je n’ai rien à vous refuser… mais que puis-je faire maintenant ?… Toutes les faveurs dont je pouvais disposer, ne les ai-je pas amoncelées sur une autre tête ?… Baron Puck… Général Boum…
Altesse ?…
Qu’est devenu le général Fritz ?… Vous m’aviez assuré que je le trouverais au camp.
Le général ne peut tarder à venir… Pour ne pas sortir du programme tracé par Votre Altesse, pour rester dans la fantaisie… nous lui avons, le général et moi, fait une petite farce.
Quelle farce ?…
Je vais vous dire… J’avais, depuis dix ans, l’habitude d’aller tous les mardis soir chez la dame de Roc-à-Pic…
Oh !…
Et il est allé au château ?…
Il y est allé… et, au lieu de la 43e du 52e et de la 52e du 43e, il aura trouvé le mari…
Et sa canne.
Une heure pour aller chez la dame, une demi-heure pour causer avec le mari, et deux heures pour revenir au camp… le général Fritz ne doit pas être loin.
Le général !… le général !…
Quand je vous le disais !…
Scène III
- Voici revenir mon pauvre homme !
- D : ans quel état !… ah ! voyez comme,
- En courant après les hauts faits,
- Il a déchiré ses effets !
- Il a déchiré ses effets !
(Fritz entre tout effaré par le fond à gauche ; il est dans un état pitoyable : plus d’épaulettes, le panache tout déplumé, le sabre tordu à la main.)
- Eh bien, Altesse, me voilà !
- Hô la la !
- Et ce qui m’est arrivé là,
- Hô la la !
- Peut me compter pour un combat,
- Car on m’a
- Mis dans un pitoyable état !…
- De votre fameux sabre on a
- Fait le tir’-bouchon que voilà !
- Hô la la !
- Eh ! bédam’, voilà le grief
- De votre général en chef !
- Eh bien, Altesse, me voilà !
- Eh ! bédam’, voilà le grief
- Du général en chef !
- Eh ! bédam’, voilà le grief
- J’arrive et je trouve un mari,
- Sapristi !
- Qui me dit : « Venez par ici,
- Mon ami. »
- Je lui réponds d’un ton poli :
- « Me voici ! »
- Aussitôt, à bras raccourci,
- Le traître tombe sur Bibi !…
- J’en suis encor tout étourdi,
- Sapristi !
- Eh ! bédam’! voilà le grief
- De votre général en chef !
- J’arrive et je trouve un mari,
- Eh ! bédam’! voilà le grief
- Du général en chef !
- Eh ! bédam’! voilà le grief
Vous n’avez pas d’autre explication à me donner de votre conduite ?
Comment ?… Il me semble pourtant…
Ainsi, au lieu de venir vous mettre à la tête de mon armée, comme je vous en avais donné l’ordre… vous vous êtes amusé à porter le trouble dans un ménage !…
Eh bien, par exemple !…
C’est haute trahison, monsieur… et dans quelle tenue osez-vous paraître à mes yeux ?…
Puisque je vous dis…
Et le sabre de mon père !… dans quel état l’avez-vous mis ?
C’est l’autre, avec sa canne !…
Mauvais soldat !
Qu’est-ce qu’il dit, celui-là ?… qu’est-ce qu’il dit ?…
Il me semble qu’il n’y a qu’une chose à faire, Altesse… c’est de réunir un petit conseil de guerre… et de le juger là… séance tenante.
Un conseil de guerre ?
Eh ! bédame !…
En vérité ?… on ne peut pas vous juger, parce que vous êtes comte d’Avall-vintt-katt-schop-Vergissmeinnicht ?… Eh bien, vous ne l’êtes plus…
Eh bien, à la bonne heure !…
Qu’en dites-vous, colonel ?
Je croyais être général.
J’ai dit : colonel.
Eh bien, à la bonne heure !… capitaine, si vous voulez ?…
Capitaine… je le veux bien.
Pourquoi pas lieutenant ?
Lieutenant… soit !
Et puis sergent, n’est-ce pas ?
Sergent… c’est entendu.
Oh bien ! Par exemple !… Oh bien ! par exemple !…
Pourquoi t’arrêtes-tu ?… il y a caporal encore.
Simple soldat… tu l’as dit !
Simple soldat ?
Pas autre chose.
Je te l’avais promis, que je te rattraperais, mauvais soldat… hou ! hou !…
Ah ! simple soldat !… Eh bien, puisque c’est comme ça, je donne ma démission.
Eh bien ! je l’accepte.
Eh bien ! je vous remercie… Bonsoir, alors !… Viens, ma Wanda…
Enfin ces grades… ces honneurs… je puis en disposer !…
Quel espoir !…
Prince, je puis suivre le conseil que vous me donniez tout à l’heure… Baron Grog, approchez.
Le prince Paul remonte un peu, en regardant ce qui se passe d’un air satisfait.
Altesse !…
O rage !
À vous le sabre de mon père !… prenez le sabre de mon père !…
O fureur !
À vous, baron, à vous tous les pouvoirs civils et militaires !
Merci, Altesse… ma femme vous bénira.
Vous avez dit ?…
J’ai dit que ma femme vous bénirait.
Il a une femme !…
Mais, oui, ma chérie, le baron a une femme et trois enfants.
Quatre, monseigneur… pendant mon séjour ici, il m’en est survenu un quatrième.
Une femme et quatre enfants !… Baron Grog…
Altesse ?…
Rendez le panache !… rendez le sabre !… (Elle les lui reprend ; puis, s’adressant à Boum.) Reprenez le panache, général Boum !
Cette fois-ci, je le ferai visser.
Baron Puck… (Puck s’approche ; elle lui donne le sabre.) Prenez ce tire-bouchon… nous vous nommons conservateur du sabre de mon père !
Je vais en faire faire un autre.
Eh ! ça va bien !… ils ont tous quelque chose… et moi, je n’ai rien… que mes coups de bâton…
Voyons, je suis bonne… qu’est-ce que tu veux ?…
Être maître d’école dans mon village.
Tu sais lire ?…
Non… c’est pour apprendre.
Eh bien, tu es nommé !
Eh bien, je vous remercie !
Quant à vous, baron Grog…
Ce soir même, vous retournerez à la cour de l’Électeur, notre beau-père.
Comment ?…
Vous y annoncerez notre bonheur… car je suis heureuse d’avoir épousé le prince… bien heureuse !…
Aïe !…
Qu’est-ce que vous voulez y faire ?… (A part, regardant Fritz et Grog.) Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a.
- Enfin, j’ai repris le panache !
- Enfin, j’ai repris le pouvoir !…
- Enfin, l’hymen à vous m’attache !
- Enfin, chers enfants, je vais vous revoir !
- Retournons dans notre chaumière.
- Oui, rentrons chez nous… et voilà !
- À la guerre comme à la guerre !
- Le bonheur est peut-être là !
- Eh bien ! je renonce aux combats,
- Mais, pour défendre la patrie,
- Je promets des petits soldats !…
- Viens-tu nous-en, ma bonne amie ?
- Il promet des petits soldats,
- Qui défendront notre patrie !
- Après avoir, tant bien que mal,
- Joué son rôle, on se marie.
- C’est imprévu, mais c’est moral !
- Ainsi finit la comédie.
- C’est imprévu, mais c’est moral !
- Ainsi finit la comédie.
- Ah ! mon aïeul, s’il me voyait,
- Ah ! quel plaisir ça lui ferait !
- Ah ! son aïeul, s’il la voyait,
- Ah ! quel plaisir ça lui ferait !