La Grande Grève/2/05

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Librairie des Publications populaires (p. 112-122).
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Deuxième partie


V

À LA NOUVELLE !


Détras et Janteau étaient partis par le même convoi pour la Nouvelle-Calédonie. Au milieu de leur infortune, plus cruelle encore pour Détras, qui laissait sa malheureuse femme à la veille d’accoucher, ç’avait été pour eux une consolation d’être ensemble.

Règle générale, le forçat de droit commun voit d’abord avec hostilité le forçat politique, condamné non pour avoir étranglé des vieilles femmes ou violé des petites filles, mais pour avoir épousé une idée. La brute qui ne pense pas et n’a eu qu’un but : jouir en écrasant les autres, ressent comme un reproche vivant la promiscuité de l’être généreux et fier qui, vaincu mais non dompté, ne se prosternera pas, servile, devant le garde-chiourme.

Mais peu à peu l’esprit a sa revanche, il exerce une influence, une pénétration, et les brutes malfaisantes elles-mêmes en viennent à ressentir un certain respect pour celui-là dont elles jalousaient et haïssaient la supériorité intellectuelle.

Il en avait été ainsi pour Détras et Janteau, pour le premier surtout. Janteau, dont les ardeurs enthousiastes avaient été un feu de paille, se laissait aller depuis sa condamnation à des accès de désespoir auxquels succédaient des périodes de profond accablement.

— Courage ! lui disait Détras. Tu es jeune, tu sortiras du bagne. Tu n’as pas laissé comme moi une femme et un enfant.

Il s’efforçait ainsi de le consoler, cachant en même temps le désespoir qui lui broyait l’âme. Ah ! oui, le bagne c’est simplement terrible quand on est seul, mais de quelle épithète le peindre lorsque le condamné laisse derrière lui une femme et un enfant ?

Geneviève et le petit être qu’elle portait en elle, qu’allaient-ils devenir ? Certes Panuel, cet ami dévoué, ne les abandonnerait pas, mais le brave menuisier n’était plus jeune et gagnait sa vie à peu près au jour le jour. Cet appui, le seul sur lequel il comptât, pouvait venir à manquer.

Et pourtant il se redressait sous les coups du sort qui l’accablait. Il se rappelait son père, transporté par l’Empire à la Guyane, sous un ciel plus inclément que celui de la Nouvelle-Calédonie et laissant, lui aussi, derrière lui, une femme et un enfant. Cette épreuve avait duré douze ans, au bout desquels Pierre Détras était revenu.

Comme son père, il tiendrait bon, coûte que coûte ; il se sentait assez de vigueur et de courage pour se raidir dans l’horreur de sa situation.

Et son énergie se communiquait à Janteau, le relevant parfois de son affaissement. Les autres condamnés, après avoir manifesté une sourde hostilité à l’égard des deux hommes, les laissaient maintenant tranquilles et disaient : « Ils ne sont pas des nôtres. »

Détras et Janteau, dès leur arrivée dans la colonie, furent dirigés sur le pénitencier-dépôt, où ils demeurèrent cinq mois, puis sur Bouraké, au nord-ouest du chef-lieu. C’est un point du littoral désagréable, à cause des marécages et de l’abondance des moustiques, ceux-là engendrant ceux-ci. Les deux compagnons furent employés à des travaux de dessèchement sous la direction du surveillant Carmellini. Celui-ci, une parfaite brute, se fût déplu à Bouraké sans cette circonstance que la majoration des dépenses sur les états qu’il dressait lui rapportait un boni appréciable. Aussi les travaux traînaient-ils en longueur. Carmellini en était quitte pour noyer son ennui dans des flots d’absinthe.

Lorsque Carmellini était ivre, ce qui commençait à se produire à la sixième absinthe, il devenait effrayant. Toutes les ardeurs sauvages de sa nature corse, cette nature qui peut être héroïque ou monstrueuse, se déchaînaient en tempête. Malheur, en ce cas, au condamné dont la tête ne lui revenait pas ! Carmellini, empoignant un gourdin qui ne le quittait guère et qu’il appelait « Joseph », rouait de coups cet être que la vindicte sociale avait livré sans défense à son bon plaisir. Ou bien encore, il ordonnait à sa victime de se déshabiller et il l’attachait lui-même « à la crapaudine », c’est-à-dire les jambes ramenées en arrière et reliées sous les reins aux poignets, exposé ainsi aux morsures du soleil et à celles des fourmis sans que les autres condamnés, terrifiés, osassent bouger ni même murmurer.

Parfois un surveillant de Bouloupari venait rendre visite à Carmellini. Celui-ci, alors, plus encore que d’habitude, volait la ration des transportés pour fêter convenablement son collègue. Après le café, le pousse-café, la rincette et la sur-rincette, ces messieurs étant suffisamment éméchés faisaient venir les hommes du camp, choisissaient les plus jeunes et se livraient avec eux à des orgies de luxure renouvelées des bataillons d’Afrique et des sacristies. Ou bien encore, c’était pire : ils jouaient au piquet la vie d’un condamné !

Qu’on ne croie pas à de l’exagération, à du parti-pris ! Ce sont encore, à l’heure actuelle, les mœurs des pénitenciers coloniaux. Là où une presse indépendante, un contrôle sérieux n’existent pas, les tortionnaires s’en donnent à cœur-joie. Dans une société logiquement organisée, les monstres, victimes le plus souvent de tares héréditaires, seraient soignés comme des malades et bien des fois guéris ; dans la société présente où subsiste encore l’esprit du moyen âge, ils sont livrés à l’autocratie de brutes, en général plus cruelles que les malfaiteurs et incontestablement plus lâches, car elles martyrisent sans s’exposer aux représailles de la loi, abritées qu’elles sont derrière leurs fonctions.

Quiconque a l’horreur du travail et l’amour de l’autorité poussé jusqu’au sadisme féroce peut faire un excellent garde-chiourme. A-t-on oublié les hauts faits de ce Canavaggio qui présentait à ses collègues « sa femme », un jeune forçat — et livrait, attachés, aux morsures des fourmis rouges, des condamnés, nus et enduits de la tête aux pieds de sirop de sucre ?

Carmellini n’allait pas jusqu’à cette dernière atrocité, réservant le sucre pour son absinthe. Toutefois, il était la terreur des condamnés.

Tel était l’homme entre les mains duquel tombaient Albert Détras et Janteau.

Les souffrances morales que, pendant deux mois, ils endurèrent furent inexprimables. À maintes reprises, Janteau fut sur le point de se suicider.

— Courage ! lui répétait son ami. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

Et, parfois, il ajoutait :

— Mourir ainsi serait lâche. Si je me sentais définitivement à bout de forces, eh bien, avant de mourir, je ferais justice de mon bourreau.

Il ne faudrait pas croire cependant que l’idée de tuer Carmellini germât dans le cerveau de Détras. Non, si odieux que fût le garde-chiourme, il n’était qu’un vulgaire misérable, tortionnaire comme tant d’autres. Et, dans la tempête qui grondait dans sa tête, il s’étonnait de ne ressentir pour ce tortionnaire actuel que presque de l’indifférence.

Mais, autrement criminel que cette brute ignorante, féroce par métier, il était un homme dont l’image ne quittait pas sa pensée : l’abbé Firot.

Celui-là était le vrai scélérat, l’être qui, plein d’onction et souriant de mansuétude chrétienne, l’avait envoyé au bagne.

Le prêtre n’eût eu qu’un mot à dire pour faire tomber l’accusation sur laquelle on l’avait condamné. S’il était un être qui sût que Détras n’avait point dynamité la chapelle du bois de Varne et arrêté l’abbé Firot, c’était à coup sûr l’abbé Firot lui-même.

Mais le vicaire s’était bien gardé de dire ce mot. Comment donc ! N’avait-il pas lui-même été un des machinateurs du drame dont lui, Détras, était la victime ?

Le condamné se rappelait ce que son père lui avait maintes fois dit de la haine des prêtres : elle ne pardonne pas. L’abbé Firot s’était vengé de l’insuccès de ses tentatives, des avertissements catégoriques qui lui avaient été signifiés, de la correction que lui avait infligée Panuel. Il demeurait maintenant victorieux, menaçant pour la jeune femme qu’il convoitait et dont il venait d’envoyer le mari au bagne.

— Oh ! celui-là, murmurait Détras, frémissant dans une pensée sinistre.

Certes une grâce, une amnistie pouvaient abréger sa torture, lui rendre même ses droits civils, mais qui lui rendrait les années volées à sa vie de foyer et converties en années de martyre pour lui et pour les siens ?

Sept ans de travaux forcés, cela veut dire quatorze ans de Nouvelle, car après la libération existe le doublage, qui impose à l’homme sorti du bagne l’obligation de séjourner dans la colonie, astreint à la surveillance et à la résidence, un nombre d’années égal à celui qu’il a passé en cours de peine.

Qui lui rendrait justice ? La loi ? Allons donc ! Quelle dérision ! La loi complaisante aux forts, impitoyable aux faibles ; non certes, il n’attendait rien d’elle ! Il pourrait avoir le temps de mourir avant qu’elle touchât à l’abbé Firot et réparât le mal qu’elle avait fait. Réparer ce mal, le pouvait-elle jamais !

Non ! Il appartenait à l’homme véritablement homme, c’est-à-dire conscient et énergique, de n’abdiquer devant aucune autorité, d’être lui-même le juge et le soldat de sa cause.

Ah ! certes, tout en s’efforçant de demeurer maître de lui, il n’était pas un résigné. Si l’amnistie ou une grâce — une grâce alors qu’il n’avait commis aucun crime ! — tardait trop, eh bien, il tenterait de reprendre n’importe comment cette liberté dont on l’avait indignement privé.

Par ces vagues rumeurs qui courent au bagne et que colportent les condamnés au passage dans les camps, il apprit l’arrivée à l’île Nou de Galfe, parti de France trois mois après lui, mais sur un transport dont la marche avait été beaucoup plus rapide.

« Si nous pouvions être réunis ! » pensa-t-il.

La santé de Janteau périclitait à vue d’œil. Depuis quatre mois, le détachement campait à Bouraké, les travaux semblaient reculer au lieu d’avancer. La paresse concevable des condamnés et les calculs intéressés de Carmellini se trouvaient d’accord pour faire traîner les choses.

Mais le régime n’en était pas moins des plus cruels et des plus épuisants.

Les vols du surveillant et ceux du condamné distributeur étaient tels que les forçats, mourant d’inanition, allaient brouter l’herbe comme des bestiaux ; l’un d’eux fit cuire des feuilles de taro sauvage, en goûta et mourut empoisonné dans d’épouvantables souffrances. Il y avait bien un jardin produisant des légumes, mais c’était celui de Carmellini. Les forçats qui le cultivaient avaient tout juste le droit de ramasser les épluchures de choux et de carottes.

Un matin, Janteau se sentit trop faible pour aller travailler.

— Je ne peux pas ! gémit-il en retombant sur l’amas d’herbes sèches qui lui servait de couchette.

— Comment, tu ne peux pas ! ricana Carmellini. Nous allons bien voir ça !

Et il s’élança, « Joseph » à la main.

Les forçats, avec cette terreur du troupeau devant le maître, s’étaient éloignés.

Tous, sauf un : Albert Détras.

Celui-ci s’était placé dans un coin de la case, guettant Carmellini qui s’approchait.

Et Carmellini ne le voyait pas.

Le garde-chiourme leva son bâton.

— Une fois ! dit-il à Janteau… veux-tu te lever ?… Deux fois…

Il n’acheva pas : le poing fermé de Détras s’abattit sur son crâne avec tant de force que le misérable tomba sans même avoir reconnu son agresseur.

Avant que Carmellini eût pu reprendre conscience, Détras était sur lui, s’emparait du gourdin et en assénait un coup sur le crâne du surveillant qui, cette fois, tombait entièrement évanoui.

Janteau eut une exclamation indicible en voyant tomber près de lui son bourreau. Il se souleva et tendit les bras à son ami.

— Merci, murmura-t-il, tu m’as sauvé de cette brute.

Mais son mouvement et ces quelques mots achevèrent de l’épuiser. Il fût retombé à terre si Détras ne l’eût soutenu.

— Sauvé… mais pas pour longtemps ! ajouta Janteau d’une voix faible comme un souffle.

Un frisson secoua son corps qui se raidit ; ses yeux se convulsèrent, sa bouche s’ouvrit toute grande comme pour aspirer avidement l’air.

Il était mort !

Détras, profondément ému, baisa au front ce malheureux que la mort venait de libérer du bagne et le reposa doucement sur le sol.

Puis il envisagea rapidement la situation.

Que faire ? Attendre que Carmellini eût repris connaissance ? C’était se livrer à la mort de toutes manières, soit que le surveillant déchargeât sur lui son revolver, soit qu’il le livrât à la justice d’un conseil de guerre.

La justice ! Détras avait eu la preuve de ce qu’elle peut faire, alors qu’il était dans la vie dite libre. Que ne ferait-elle pas, alors qu’il était forçat ?

Attaque d’un surveillant militaire, c’était la mort, tout au moins les travaux forcés à perpétuité.

S’il voulait vivre, revoir un jour Geneviève et son enfant, il fallait qu’il s’évadât, coûte que coûte.

S’évader, Détras y avait déjà songé. Mais, outre qu’une évasion de la Nouvelle-Calédonie est autant dire impossible au condamné démuni d’argent, il eût voulu attendre le résultat d’une campagne en faveur de l’amnistie que Panuel, dans une récente lettre, lui annonçait à mots couverts.

Maintenant, il n’y avait plus à hésiter.

Détras commença par saisir le revolver et le gourdin de Carmellini ; puis il déshabilla en un clin d’œil le surveillant et se revêtit de sa chemise, de son gilet et de son pantalon, laissant dans la case son linge matriculé de forçat, qui l’eût fait reconnaître et arrêter.

De sa livrée du bagne, il ne garda que le chapeau de paille et les godillots.

Très heureusement pour lui, Carmellini de même que ses collègues en détachement dans la brousse, n’était pas vêtu à l’ordonnance. La chemise de laine, le pantalon et le gilet blanc qu’il portait pouvaient convenir à un colon aussi bien qu’à un surveillant militaire. Quant à la tunique galonnée d’argent, Détras la poussa du pied avec dégoût.

Pour gagner du temps, il bâillonna le garde-chiourme encore évanoui et, déchirant la vareuse qu’il avait quittée, lui lia les pieds et les mains. Il connaissait assez l’esprit des forçats du camp pour être sûr qu’ils se feraient un plaisir de ne pas le délivrer tout de suite, l’empêchant de donner l’alarme par le télégraphe.

Les condamnés, en effet, s’étaient peureusement éloignés de la case, comprenant qu’il devait s’y passer une scène terrible à laquelle ils ne voulaient pas se trouver mêlés. Ils feignaient de reprendre leur travail de la veille, donnant un coup de pioche toutes les deux minutes.

Jamais ils ne se fatiguèrent moins que ce matin-là.

Seulement, lorsqu’ils virent le soleil marquer dix heures — l’heure de la distribution des vivres, suivie de la sieste — les condamnés, plus étonnés que fâchés de l’absence prolongée de Carmellini, se hasardèrent dans la case.

Ils y trouvèrent, à côté du cadavre de Janteau, le surveillant qui avait repris ses sens, mais qui, ligotté, bâillonné et dévêtu — Détras ne s’était point donné la peine de le rhabiller — écumait d’une rage impuissante.

Mais plus de Détras !

Peut-être quelques forçats avaient-ils aperçu un homme de forte taille, vêtu de blanc, disparaître rapidement derrière la case, du côté des broussailles. Mais aucun d’eux n’en ouvrit la bouche : ces malfaiteurs n’étaient pas des mouchards.

Nous dirons plus tard ce qu’il advint de Détras.

Carmellini fut rappelé à l’île Nou avec des notes si défavorables que, pendant les six années qui suivirent, il demeura surveillant de troisième classe.

Des condamnés de Mersey, Galfe seul restait au bagne.

À l’époque où nous sommes arrivés, il traînait depuis dix ans une vie de douleur. Dès son arrivée à l’île Nou, on l’avait, sans autre motif que sa qualité d’anarchiste, accouplé à la double chaîne avec un empoisonneur. Puis on le jeta au milieu des condamnés de la cinquième classe, fauves humains dont les instincts génésiques s’exaspéraient dans la promiscuité unisexuelle et qui guettaient comme une proie les jeunes forçats débarqués à l’île Nou. Galfe dut se défendre contre eux au poignard presque sous l’œil des surveillants impassibles et habitués à ces scènes.

Ayant cependant montré son énergie, le jeune homme se vit délivré des odieuses obsessions.

Mais un supplice moral rendait sa situation plus douloureuse : l’absence de nouvelles de Céleste.

Qu’était devenue cette enfant qui s’était donnée à lui d’un premier et profond amour ? La vie, qui lui avait été si cruelle, l’avait-elle reprise dans ses embûches ; l’avait-elle accablée dans quelque drame lamentable ?

Les forçats ont le droit d’écrire à leurs plus proches parente et d’en recevoir une lettre tous les mois. Galfe avait écrit à son père en le suppliant de considérer Céleste comme sa propre fille et de ne point l’abandonner ou, tout au moins, de la suivre de vue. Cette lettre ne devait pas obtenir de réponse : le père de Galfe était mort.

Il écrivit à Céleste Narin, à Mersey. Au bout d’un an, la lettre lui revint avec la mention : « Destinataire inconnue. »

Son amie était-elle morte ? Il ne pouvait croire qu’elle l’eût abandonné, oublié, qu’elle lui refusât cette suprême consolation du prisonnier : une lettre ! Peut-être lui écrivait-elle et l’Administration pénitentiaire ne laissait-elle point parvenir ses missives : Céleste n’était pas la parente de Galfe ; aux yeux de la loi, elle n’était que sa concubine !

Au lendemain de sa condamnation, il eût pu l’épouser. Céleste, au premier mot de Galfe, eût fait tout ce qu’il eût voulu. Mais elle savait l’éloignement de son amant pour l’union légale et, dût-elle en souffrir, elle ne lui aurait jamais proposé une infidélité à ses idées.

Lui, de son côté, non plus par répugnance théorique, mais par sentiment de la situation, ne voulant pas enchaîner irrémédiablement la vie de ce jeune être à sa vie de forçat, avait stoïquement repoussé cette pensée de mariage. Qui sait si Céleste, qui avait alors seize ans, n’eût pas, quelque jour, déploré d’être la femme d’un condamné ?

On lui avait assuré, d’ailleurs, que l’inflexible règle étant tombée en désuétude, il pourrait quand même correspondre une fois par mois avec celle qui avait été sa compagne. Mais dans le régime pénitentiaire, la véritable, la seule règle, c’est le bon plaisir et, depuis le jour où il était devenu forçat, Galfe n’avait plus jamais eu de nouvelles de Céleste.

Ainsi, dans le veuvage du cœur et l’amertume sans espoir, s’écoulait au bagne cette jeune existence brisée.

Devenu le no 3211, Galfe était demeuré un an à l’île Nou ; puis, promu à la quatrième classe, il était parti en détachement pour le Diahot. Pendant trois ans, il travailla à l’extraction du cuivre de la mine de Balade, méditant parfois sur l’ironie du sort qui lui faisait, aux antipodes, retrouver son ancien métier. N’avait-il pas été forçat de Chamot avant de devenir forçat de l’État ?

Puis les travaux ayant pris fin par suite de l’épuisement des filons, Galfe fut renvoyé à l’île Nou.

Six mois après son retour à l’île Nou, Galfe fut envoyé à Canala, puis à Houaïlou, puis à Oubatche, d’où il fut dirigé sur les montagnes de la chaîne centrale, aux flancs desquelles on traçait des routes.

Il était dans la colonie depuis dix ans, transporté de la troisième classe, lorsque, au camp de Kouêta, il se trouva en présence de Bernin.