La Grande Morale/Livre I/Chapitre 3
§ 1. Il faut ajouter que les biens peuvent encore être classés d’une autre manière. Les uns sont dans l’âme, ce sont les vertus ; les autres, dans le corps, comme la santé, la beauté ; d’autres nous sont tout à fait extérieurs comme la richesse, le pouvoir, les honneurs, et autres avantages analogues. De tous ces biens, ceux de l’âme sont les plus précieux sans contredit.
§ 2. Les biens de l’âme se divisent eux-mêmes en trois classes : pensée, vertu, plaisir. La conséquence et la suite de tous ces biens divers, c’est ce que tout le monde appelle et qui est réellement la fin même de tous les biens, et le plus complet de tous, c’est-à-dire le bonheur ; et, selon nous, le bonheur est la même chose identiquement que bien faire et se bien conduire.
§ 3. Mais la fin n’est jamais simple ; elle est double. Dans certaines choses, c’est l’acte même, c’est l’usage qui est leur fin, comme pour la vue l’usage actuel est préférable à la simple faculté. L’usage est la vraie fin, et personne apparemment ne voudrait de la vue, à la condition de ne pas voir et de fermer perpétuellement les yeux. Même observation pour les sens de l’ouïe, et pour tous les autres sens.
§ 4. Dans les cas où il y a usage tout ensemble et faculté, c’est l’usage qui est toujours meilleur et plus souhaitable que la faculté et la simple possession ; car l’usage et l’acte sont eux-mêmes une fin, tandis que la faculté, la possession n’existe qu’en vue de l’usage.
§ 5. Si l’on veut bien regarder en outre à toutes les sciences, on verra, par exemple, que ce n’est pas une certaine science qui fait la maison, puis une certaine autre science qui fait la bonne maison, mais que c’est l’architecture uniquement qui les fait toutes deux. Le mérite de l’architecte consiste précisément à bien faire l’œuvre même qu’il fait ; et de même pour tout le reste.