La Grande Révolution/XII

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P.-V. Stock (p. 101-113).

XII

LA PRISE DE LA BASTILLE


Dès le matin du 14, l’attention de l’insurrection parisienne s’était dirigée sur la Bastille, — cette sombre forteresse aux tours épaisses et formidables de hauteur, qui se dressait au milieu des maisons d’un quartier populeux, à l’entrée du faubourg Saint-Antoine. Les historiens sont encore à se demander, qui dirigea l’attention du peuple de ce côté, et quelques-uns ont prétendu que ce fut le Comité permanent de l’Hôtel-de-Ville qui voulut donner un objectif à l’insurrection, en la lançant contre cet emblème de la royauté. Rien ne confirme cependant cette supposition, tandis que plusieurs faits importants la contredisent. C’est plutôt l’instinct populaire qui comprit dès le 12 ou le 13 que, dans le plan de la Cour, d’écraser l’insurrection parisienne, la Bastille devait jouer un rôle important ; il décida, par conséquent, de s’en emparer.

En effet, on sait qu’à l’ouest, la Cour avait les trente mille hommes de Besenval, campés sur le Champ de Mars ; et à l’est, elle avait pour appui les tours de la Bastille, dont les canons étaient braqués sur le faubourg révolutionnaire de Saint-Antoine et sa rue principale, ainsi que sur cette autre grande artère, la rue Saint-Antoine, qui mène à l’Hôtel de Ville, au Palais-Royal et aux Tuileries. L’importance de la Bastille n’était ainsi que trop évidente, et dès le matin du 14, disent les « Deux Amis de la Liberté », « ces mots : À la Bastille ! volaient de bouche en bouche d’une extrémité de la ville à l’autre[1]. »

Il est vrai que la garnison de la Bastille ne comptait que 114 hommes, dont 84 invalides et 30 Suisses, et que le gouverneur n’avait rien fait pour l’approvisionner ; mais cela prouve seulement que la possibilité d’une attaque sérieuse de la forteresse était repoussée comme absurde. Cependant le peuple savait que les conspirateurs royalistes comptaient sur la forteresse, et il apprit par les habitants du quartier que des provisions de poudre avaient été transportées dans la nuit du 12 au 13, de l’arsenal à la Bastille. On s’aperçut aussi que le commandant, le marquis de Launey, avait déjà mis, dès le matin du 14, ses canons en position, pour pouvoir tirer sur le peuple s’il se portait en masse vers l’Hôtel de Ville.

Il faut dire aussi que le peuple avait toujours eu en haine les prisons : Bicêtre, le donjon de Vincennes, la Bastille. Pendant les émeutes de 1783, lorsque la noblesse protesta contre les emprisonnements arbitraires, le ministre Breteuil se décida à abolir l’incarcération à Vincennes ; alors ce donjon fameux fut transformé en un magasin à blé, et pour flatter l’opinion publique, Breteuil permit de visiter les terribles oubliettes. On parla beaucoup, dit Droz[2], des horreurs que l’on put voir alors, et, comme de raison, on dut se dire qu’à la Bastille ce devait être encore pire.

En tout cas, il est certain que dès le 13 au soir quelques coups de fusil furent déjà échangés entre des détachements de parisiens armés qui passaient près de la forteresse et ses défenseurs, et que le 14, dès les premières heures de la matinée, les foules, plus ou moins armées, qui avaient circulé dans Paris pendant toute la nuit précédente, commencèrent à se masser dans les rues menant à la Bastille. Déjà, pendant la nuit le bruit avait couru que les troupes du roi s’avançaient du côté de la barrière du Trône, dans le faubourg Saint-Antoine, et les foules se portaient vers l’est et barricadaient les rues au nord-est de l’Hôtel de Ville.

Une heureuse attaque de l’Hôtel des Invalides par le peuple lui permit de s’armer et de se procurer des canons. En effet, dès la veille, des bourgeois, délégués par leurs districts, s’étaient présentés à l’Hôtel des Invalides pour demander des armes, en disant que leurs maisons étaient menacées de pillage par les brigands, et le baron de Besenval, commandant des troupes royales à Paris, qui se trouvait aux Invalides, promit d’en demander l’autorisation au maréchal de Broglie. L’autorisation n’était pas encore arrivée, lorsque, le 14, vers sept heures du matin, — alors que les invalides, commandées par Sombreuil, étaient à leurs pièces de canon, la mèche à la main, prêts à faire feu, — une foule de sept à huit mille hommes déboucha soudain, au pas de course, des trois rues voisines. Elle traversa « en moins de rien », en s’aidant les uns les autres, le fossé de huit pieds de profondeur et de douze pieds de large qui entourait l’esplanade de l’Hôtel des Invalides, envahit l’esplanade et s’y empara de douze pièces de canon (de 24, de 18 et de 10) et d’un mortier. Les invalides, déjà pénétrés d’un « esprit séditieux », ne se défendirent pas, et la foule, se répandant partout, eut bientôt pénétré dans les souterrains et dans l’église, où se trouvaient cachés les 32.000 fusils, ainsi qu’une certaine quantité de poudre[3]. Ces fusils et ces canons servirent le même jour à la prise de la Bastille. Quant à la poudre, le peuple, dès la veille, en avait déjà arrêté trente-six barils qui allaient être expédiés à Rouen ; ils furent transportés à l’Hôtel de Ville, et toute la nuit on distribua la poudre au peuple qui s’armait.

L’enlèvement des fusils aux Invalides par la foule se faisait très lentement : on sait qu’il n’était pas encore terminé à deux heures. On aurait eu donc tout le temps voulu pour amener la troupe et disperser le peuple, d’autant plus que de l’infanterie, de la cavalerie et même de l’artillerie étaient stationnées tout près, à l’École militaire et au Champ de Mars. Mais les officiers de ces troupes n’avaient pas confiance en leurs soldats et puis ils devaient hésiter eux-mêmes devant cette multitude innombrable de personnes de tout âge et de tout état, dont plus de 200.000 inondaient les rues depuis deux jours. Les faubourgs, armés de quelques fusils, de piques, de marteaux, de haches ou bien de simples gourdins, étaient en effet descendus dans la rue, et les foules se pressaient sur la place Louis XV (aujourd’hui de la Concorde), aux alentours de l’Hôtel de Ville et de la Bastille et dans les rues intermédiaires. — La bourgeoisie parisienne fut elle-même saisie de terreur en voyant ces masses de gens armés dans la rue.

Apprenant que les abords de la Bastille étaient envahis par les foules, le Comité permanent de l’Hôtel de Ville, dont nous avons parlé plus haut, envoya, dès le matin du 14, des parlementaires vers le gouverneur de la forteresse, de Launey, pour le prier de retirer les canons braquées sur les rues, et de ne commettre aucune hostilité contre le peuple ; en retour, le Comité, usurpant des pouvoirs qu’il n’avait pas, promettait que le peuple « ne se porterait contre la place à aucune entreprise fâcheuse ». Les délégués furent très bien reçus par le gouverneur et s’attardèrent même jusque près de midi à déjeuner chez lui. De Launey cherchait probablement à gagner du temps, en attendant des ordres précis de Versailles qui ne lui arrivaient pas, puisqu’ils avaient été interceptés dans la matinée par le peuple. Comme tous les autres chefs militaires, de Launey entrevoyait qu’il lui serait difficile de résister au peuple de Paris, descendu en masse dans les rues, et il temporisait. Pour le moment, il fit retirer les canons de quatre pieds en arrière, et pour que le peuple ne les vit pas à travers les embrasures, il y fit poser des clanches de bois.

De son côté, vers midi, le district de Saint-Louis-la-Culture envoya deux délégués, parler en son nom au gouverneur ; l’un d’eux, l’avocat Thuriot de la Rozière, obtint du marquis de Launey la promesse qu’il ne ferait pas tirer si on ne l’attaquait pas. Deux nouvelles députations furent envoyées au gouverneur par le comité permanent, vers une heure et vers trois heures ; mais elles ne furent pas reçues. L’une et l’autre demandaient au gouverneur de remettre la forteresse à une milice bourgeoise qui la garderait conjointement avec les soldats et les suisses.

Heureusement, tous ces compromis furent déjoués par le peuple qui comprit parfaitement qu’il lui fallait coûte que coûte s’emparer de la Bastille. Maître des fusils et des canons des Invalides, son enthousiasme montait toujours. Les foules envahissaient les rues voisines de la Bastille, ainsi que les cours qui environnaient la forteresse. Bientôt la fusillade s’engageait entre les assaillants et les invalides postés sur les remparts. Pendant que le Comité permanent cherchait à arrêter l’ardeur du peuple et faisait ses arrangements pour proclamer en place de Grève que M. de Launey avait promis de ne pas tirer, si on ne l’attaquait pas, les foules, en criant : Nous voulons la Bastille ! Bas les ponts ! se poussaient vers la forteresse. On dit que lorsqu’il aperçut du haut des murs, le faubourg Saint-Antoine et les rues voisines, toutes noires de monde, marchant contre la Bastille, le gouverneur, qui y était monté avec Thuriot, faillit s’évanouir. Il paraît même qu’il fut sur le point de rendre la forteresse sur le champ au comité de la milice, mais que les Suisses s’y opposèrent[4].

Les premiers ponts-levis de cette partie extérieure de la Bastille qui s’appelait l’Avancée, furent bientôt abattus, grâce à un de ces actes d’audace de quelques-uns, qui toujours se produisent en pareille occasion. Huit ou dix hommes, aidés par un gaillard de haute taille et robuste, l’épicier Pannetier, profitèrent d’une maison adossée au mur extérieur de l’Avancée pour escalader ce mur ; alors ils le suivirent, montés à califourchon, jusqu’à un corps de garde placé près du petit pont-levis de l’Avancée, et de là, ils sautèrent dans la première cour de la Bastille proprement dite — la cour du Gouvernement, dans laquelle était située la maison du gouverneur. Cette cour était inoccupée, les invalides étant rentrés avec de Launey dans la forteresse même, après le départ de Thuriot. À coups de hache, les huit ou dix hommes descendus dans cette cour baissèrent d’abord le petit pont-levis de l’Avancée, en en brisant la porte, puis le grand, et plus de 300 hommes se précipitèrent dans la cour du Gouvernement, courant vers les deux autres ponts-levis, le petit et le grand, qui servaient à traverser le large fossé de la forteresse même. Ces deux ponts, bien entendu, étaient levés.

Ici se place l’incident qui porta la fureur de la population parisienne à son comble et qui coûta ensuite la vie à de Launey. Lorsque la foule envahit la cour du gouvernement, les défenseurs de la Bastille se mirent à tirer dessus, et il y eut même une tentative de relever le grand pont-levis de l’Avancée, pour empêcher la foule d’évacuer la cour du Gouvernement et de la faire prisonnière ou de la massacrer[5]. Ainsi, juste au moment où Thuriot et Corny annonçaient, place de la Grève, que le gouverneur avait promis de ne pas tirer, la cour du Gouvernement était balayée par le feu de mousqueterie des soldats postés sur les remparts, et le canon de la Bastille lançait ses boulets dans les rues voisines. Après tous les pourparlers qui avaient lieu dans la matinée, ce feu ouvert sur le peuple fut évidemment interprété comme un acte de trahison de la part de de Launey, que le peuple accusa d’avoir lui-même fait descendre les deux premiers ponts-levis de l’Avancée, afin d’attirer la foule sous le feu des remparts[6].

Il était environ une heure à ce moment. La nouvelle que les canons de la Bastille tiraient sur le peuple se répandit dans tout Paris, et elle eut un double effet. Le Comité permanent de la milice parisienne s’empressa d’envoyer une nouvelle députation vers le commandant, pour lui demander s’il était disposé à recevoir dans cette place un détachement de la milice, qui garderait la Bastille de concert avec les troupes. Mais cette députation ne parvint pas jusqu’au commandant, puisqu’une fusillade nourrie continuait tout le temps entre les invalides et les assaillants, qui, blottis le long de quelques murs, tiraient, surtout sur les soldats desservant les canons. D’ailleurs le peuple comprenait que les députations du Comité ne faisaient qu’empêcher l’assaut : « une députation n’est plus ce qu’ils veulent ; c’est le siège de la Bastille ; c’est la destruction de cette horrible prison ; c’est la mort du gouverneur qu’ils demandent à grands cris », vinrent rapporter les députés.

Cela n’empêcha pas le Comité de l’Hôtel de Ville d’envoyer une troisième députation, M. Ethis de Corny, procureur du roi et de la ville, et plusieurs citoyens furent chargés encore une fois de refroidir l’élan du peuple, d’enrayer l’assaut et de parlementer avec de Launey, afin qu’il reçût dans la forteresse une milice du Comité. L’intention d’empêcher le peuple de se rendre maître de la Bastille était évidente[7].

Quant au peuple, dès que la nouvelle de la fusillade se répandit dans la ville, il agit, sans ordres de personne, guidé par son instinct révolutionnaire. Il amena à l’Hôtel de Ville les canons dont on s’était emparé aux Invalides, et vers trois heures, lorsque la députation de Corny revenait rendre compte de son échec, elle rencontra environ trois cents gardes-françaises et une quantité de bourgeois armés, commandés par un ancien soldat, Hulin. Ils marchaient à la Bastille, suivis des cinq pièces de canon. À ce moment, la fusillade durait déjà depuis plus de trois heures. Le peuple ne se laissait pas décourager par le grand nombre de tués et de blessés[8] et continuait le siège, ayant recours à différents expédients ; ainsi on amena deux charrettes de paille et de fumier pour faire un rideau de fumée qui faciliterait l’assaut des portes d’entrée (au petit et au grand pont-levis). Les bâtiments de la cour du Gouvernement avaient été déjà incendiés.

Les canons arrivaient juste au bon moment. On les traîna dans la cour du Gouvernement et ils furent placés en face des ponts-levis et des portes, à 30 mètres seulement de distance.

On imagine facilement l’effet que ces canons, aux mains du peuple, durent produire sur les assiégés ! Il était évident que les ponts-levis devraient bientôt tomber et que les portes seraient enfoncées. La foule, toujours plus menaçante, affluait en nombres toujours croissants.

Alors il arriva un moment où les défenseurs comprirent que résister plus longtemps serait se vouer à un massacre certain. De Launey se décida à capituler. Les invalides, voyant que jamais ils n’auraient raison de tout Paris, venu les assiéger, conseillaient la capitulation depuis quelque temps, et vers quatre heures ou entre quatre et cinq heures le commandant fit arborer le drapeau blanc et battre la chamade — c’est-à-dire l’ordre de cesser le feu et de descendre des tours.

La garnison capitulait et demandait le droit de sortir en gardant ses armes. Il se peut que Hulin et Élie, placés en face du grand pont-levis, l’acceptèrent en leur nom, mais le peuple n’en voulait pas entendre parler. Le cri de Bas les ponts ! retentissait avec fureur. Alors, à cinq heures, le commandant fit passer à travers une meurtrière, près du petit pont-levis, un billet conçu en ces termes : « Nous avons vingt milliers de poudre ; nous ferons sauter le quartier et la garnison, si vous n’acceptez pas la capitulation. » Pensait-il donner suite à cette menace, que la garnison ne l’aurait jamais permis, et le fait est que de Launey donna lui-même la clef pour faire ouvrir la porte du petit pont-levis… Immédiatement le peuple envahit la forteresse, désarma les suisses et les invalides et s’empara de de Launey, qui fut traîné à l’Hôtel de Ville. Pendant le trajet, la foule, furieuse de sa trahison, l’insultait de toute façon : il faillit vingt fois être tué, malgré les efforts héroïques de Cholat et d’un autre[9] qui le protégeaient de leurs corps. Il leur fut arraché des mains à quelques centaines de pas de l’Hôtel de Ville, et décapité. De Hue, le commandant des suisses, sauva sa vie en déclarant qu’il se rendait à la Ville et à la Nation et en buvant à elles ; mais trois officiers de l’état-major de la Bastille et trois invalides furent tués. Quant à Flesselles, le prévôt des marchands, qui était en relations avec Besenval et la Polignac, et qui avait — à ce qu’il ressort d’un passage d’une de ses lettres — bien d’autres secrets à cacher, très compromettants pour la reine, il allait être exécuté par le peuple, lorsqu’un inconnu le tua d’un coup de pistolet. L’inconnu pensa-t-il que les morts seuls ne parlent pas ?

Dès que les ponts de la Bastille avaient été baissés, la foule, se précipitant dans les cours, s’était mise à fouiller la forteresse pour libérer les prisonniers ensevelis dans les oubliettes. Elle s’attendrissait et versait des larmes à la vue de ces fantômes, sortis de leurs cachots, ahuris par la vue de la lumière et par le son de tant de voix qui les acclamaient ; elle promenait en triomphes ces martyrs du despotisme royal dans les rues de Paris. Bientôt toute la ville fut en délire, en apprenant que la Bastille était aux mains du peuple, et redoubla d’ardeur pour garder sa conquête. Le coup d’État de la Cour était manqué.

C’est ainsi que commença la Révolution. Le peuple remportait sa première victoire. Il lui fallait une victoire matérielle de ce genre. Il fallait que la Révolution soutînt une lutte et qu’elle en sortît triomphante. Il fallait que le peuple prouvât sa force, afin d’imposer à ses ennemis, de réveiller les courages en France, et de pousser partout à la révolte, à la conquête de la liberté.


  1. Déjà dans plusieurs cahiers, les électeurs avaient demandé « que la Bastille s’écroule et s’abîme ». (Cahiers des Halles ; aussi ceux des Mathurins, des Cordeliers, du Sépulcre, etc., cités par Chassin, Les Élections et les cahiers de Paris, t. II, p.449 et suiv.) Les électeurs avaient raison, puisque, lors de l’affaire Réveillon, l’ordre avait été donné d’armer la Bastille. Aussi, dans la nuit du 30 juin, on parla déjà de s’emparer de cette forteresse. (Récit de l’élargissement… des gardes-françaises, cité par Chassin, p. 452, note.)
  2. Droz, Histoire du règne de Louis XVI, t. I, p. 417.
  3. Je suis ici la lettre du comte de Salmour, ainsi que Mathieu Dumas, cités par M. Flammermont.
  4. Lettre de De Hue à ses frères, texte allemand, cité par Flammermont, p. CXCVIII, note.
  5. Cette tentative fut faite — on affirme aujourd’hui — non sur les ordres de de Launey, mais spontanément par quelques invalides, qui étaient sortis pour acheter des provisions et qui rentraient. Acte fort improbable, ce me semble, de la part de trois ou quatre soldats perdus au milieu de la foule. Et puis — à quoi bon emprisonner cette foule, à moins de vouloir s’en servir comme d’otages contre le peuple ?
  6. Diverses explications ont été données de cette ouverture soudaine des hostilités. Comme le peuple qui avait envahi la cour de l’Orme et la cour du Gouvernement s’était mis à piller la maison du commandant et celles qu’habitaient les invalides, c’est cela qui aurait décidé les défenseurs de la Bastille à ouvrir le feu. Cependant, pour des militaires, la prise d’assaut de l’Avancée, — qui donnait au peuple accès jusqu’aux ponts-levis de la forteresse, et jusqu’à ses portes mêmes, — était déjà une raison suffisante. Mais il est possible aussi que l’ordre de défendre la Bastille jusqu’à la dernière extrémité fût transmis à ce moment à de Launey. On sait qu’un de ces ordres fut intercepté, ce qui ne prouve pas que quelque autre ordre ne lui fût parvenu. On souçonne même qu’en effet, de Launey reçut cet ordre.
  7. « Ils étaient chargés d’engager tous ceux qui se trouvaient aux environs de la Bastille à se retirer dans leurs districts respectifs afin d’y recevoir promptement leur admission dans la milice parisienne ; de rappeler à M. de Launey la promesse qu’il avait donnée à M. Thuriot de la Rozière et à M. Bellon… » (Flammermont, l.c., p. CLVIII.) Arrivée dans la cour de l’Avancée, qui était remplie de gens armés de fusils, de haches, etc., la députation parla aux invalides. Ceux-ci demandèrent, évidemment, que le peuple se retirât d’abord de la cour du Gouvernement, sur quoi la députation d’engager le peuple à se retirer. (Cf. Boucheron, cité par Flammermont, p. CCXIV, note.) Heureusement le peuple se garda bien d’obtempérer à leurs désirs. Il continua l’assaut. Il comprit si bien qu’il n’était plus temps de parlementer, qu’il maltraita ces messieurs de la députation ; on parla même de les tuer comme des traitres (Boucheron, l.c., p. CCXVI, note, et Procès-Verbal des Électeurs).
  8. 83 tués sur place, 15 morts de leurs blessures, 13 estropiés, 60 blessés.
  9. N’était-ce pas Maillard ? On sait qu’il avait arrêté de Launey.