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La Guerre des Gaules/Livre VIII

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PRÉFACE DE A. HIRTIUS (1).

Cédant à tes instances, Balbus (2), et puisque mes refus réitérés t’ont semblé moins une excuse tirée de la difficulté de l’entreprise qu’une défaite de la paresse, je me suis imposé une tâche bien difficile. J’ai continué les commentaires de notre César sur ce qu’il a fait dans la Gaule, sans vouloir comparer mon ouvrage aux livres précédents (3) ni à ceux qui le suivent (4). J’ai aussi achevé son dernier livre, qu’il laissa imparfait, depuis les événements d’Alexandrie jusqu’à la fin, non de nos dissensions civiles dont nous ne voyons pas encore le terme, mais de la vie de César. Puissent ceux qui me liront être persuadés que je n’ai entrepris qu’à regret ce travail, et ne point m’accuser d’une vaine présomption pour m’être ainsi placé au milieu des écrits de César. C’est, en effet, une vérité reconnue de tout le monde, qu’il n’est pas d’ouvrage si laborieusement composé, que ces Commentaires ne surpassent en élégance. Ils n’ont été écrits que pour servir de documents aux historiens ; mais leur supériorité est si généralement sentie qu’ils semblent moins avoir donné que ravi aux écrivains ultérieurs le moyen de traiter le même sujet (5). Nous avons lieu de les admirer plus que personne : on en connaît la correction et la pureté ; nous seuls savons avec quelle facilité et quelle promptitude ils ont été composés. Au talent d’écrire avec autant d’aisance que d’élégance, César joignait la plus parfaite exactitude dans l’explication de ses desseins. Moi, je n’ai pas même l’avantage d’avoir assisté à la guerre d’Alexandrie ni à celle d’Afrique ; et, bien que je tienne de la bouche de César une partie des détails relatifs à ces guerres, autre chose est d’entendre des faits avec l’étonnement qu’excite la nouveauté, ou d’en avoir été soi-même le témoin. Mais, tandis que je rassemble tous les motifs qui m’excusent de ne pouvoir être comparé avec César, je m’expose par cela même au reproche de vanité, en paraissant croire que l’idée de faire cette comparaison puisse venir à quelqu’un. Adieu.

I. Toute la Gaule étant soumise, César, qui avait passé l’été précédent à faire la guerre sans la moindre interruption, désirait que l’armée pût au moins, dans ses quartiers d’hiver, se délasser de si grandes fatigues, lorsqu’on lui annonça que plusieurs nations se concertaient pour reprendre les armes. L’on donnait à ce dessein, pour cause vraisemblable, la conviction où étaient alors tous les Gaulois, que, réunis sur un seul point, ils ne pourraient jamais résister aux Romains ; mais que si la guerre se faisait en diverses contrées à la fois, l’armée romaine n’aurait ni assez d’hommes ni assez de temps pour y faire face ; qu’au reste nulle cité ne refuserait de supporter quelques maux passagers, si, par l’embarras qu’elle causerait ainsi à l’ennemi, elle aidait les autres pays à recouvrer leur liberté.

II. Pour ne point laisser aux Gaulois le temps de s’affermir dans cette opinion, César, après avoir mis le questeur M. Antonius à la tête de ses quartiers d’hiver, partit lui-même de Bibracte avec une escorte de cavalerie, la veille des calendes de janvier, et se rendit près de la treizième légion, qu’il avait placée sur la frontière des Bituriges, à peu de distance de celle des Edues ; il y ajouta la onzième, qui en était la plus proche. Laissant deux cohortes pour la garde des bagages, il conduisit le reste de l’armée dans le pays fertile des Bituriges, qui, possédant un vaste territoire et beaucoup de places fortes, n’avaient pu être arrêtés par la présence d’une seule légion dans leurs préparatifs de guerre et leurs projets de révolte.

III. La soudaine arrivée de César produisit son effet nécessaire sur des hommes dispersés et qui n’étaient préparés à aucune défense : cultivant leurs champs sans défiance, ils furent écrasés par la cavalerie, avant de pouvoir se réfugier dans leurs villes. César, en effet, avait défendu d’incendier les habitations, signal ordinaire d’une invasion hostile, tant pour ne pas s’exposer à manquer de vivres et de fourrages, s’il voulait s’avancer dans le pays, que pour ne pas jeter la terreur parmi les habitants. On fit plusieurs milliers de captifs. Les Bituriges, qui purent s’échapper à notre première approche, s’enfuirent effrayés chez les nations voisines avec lesquelles ils avaient des alliances ou des liens particuliers d’hospitalité. Ce fut en vain ; César, par des marches forcées, arrivait sur tous les points, et ne laissait à aucune de ces nations le loisir de songer au salut des autres avant le sien. Cette célérité retenait dans le devoir les peuples amis, et ramenait à la soumission par la terreur ceux qui hésitaient encore. En cet état, les Bituriges, voyant que la clémence de César leur offrait un moyen de recouvrer son amitié, et que les états voisins n’avaient eu à subir d’autre peine que de livrer des otages, suivirent cet exemple.

IV. César, pour récompenser de tant de fatigues et de patience des soldats dont le zèle extrême n’avait été ralenti, pendant l’hiver, ni par la difficulté des chemins, ni par la rigueur de froids insupportables, promit de leur donner deux cents sesterces 6), et aux centurions deux mille écus ; puis, ayant renvoyé les légions dans leurs quartiers, il revint lui-même à Bibracte après une absence de quarante jours. Pendant qu’il y rendait la justice, les Bituriges lui envoyèrent des députés pour implorer son secours et se plaindre des Carnutes qui leur avaient déclaré la guerre. À cette nouvelle, et bien qu’il ne se fût pas écoulé plus de dix-huit jours depuis son retour à Bibracte, il tira les quatorzième et sixième légions de leurs quartiers d’hiver, près de la Saône, où il les avait placées pour assurer les vivres, comme il est dit au livre précédent. Il partit avec ces deux légions à la poursuite des Carnutes.

V. À la nouvelle de l’approche de l’armée, les ennemis, craignant le sort des autres peuples, évacuèrent les bourgs et les villes, où la nécessité leur avait fait dresser à la hâte de chétives cabanes pour passer l’hiver (car depuis leurs dernières défaites ils avaient abandonné plusieurs de leurs villes), et ils se dispersèrent de côté et d’autre. Comme César ne voulait point exposer l’armée à toutes les rigueurs de l’âpre saison où l’on était alors, il établit son camp à Genabum, ville des Carnutes, et logea les soldats, partie sous le toit des habitations gauloises, partie sous des tentes promptement recouvertes d’un peu de chaume. Cependant il envoya la cavalerie et l’infanterie auxiliaire partout où l’on disait que les ennemis s’étaient retirés. Ce ne fut pas en vain ; car la plupart des nôtres revinrent chargés d’un butin considérable. Les Carnutes, accablés par la rigueur de l’hiver et par la crainte du danger, chassés de leurs demeures sans oser s’arrêter longtemps nulle part, ne pouvant même trouver dans leurs forêts un abri contre les plus affreuses tempêtes, se dispersèrent après avoir perdu une grande partie des leurs, et se répandirent chez les nations voisines.

VI. Satisfait d’avoir, dans la saison la plus difficile de l’année, dissipé les rassemblements et prévenu la naissance d’une guerre ; persuadé d’ailleurs, autant que la raison pouvait le lui indiquer, qu’aucune guerre importante ne pouvait éclater avant l’été, César mit C. Trébonius en quartiers d’hiver à Cénabum avec les deux légions qui l’avaient suivi. De nombreuses députations des Rèmes l’avertissaient que les Bellovaques, dont la gloire militaire surpassait celle de tous les Gaulois et des Belges, levaient, de concert avec les nations voisines, et rassemblaient, sous les ordres du Bellovaque Corréos et de l’Atrébate Commios, une armée qui devait fondre en masse sur les terres des Suessions. Jugeant alors qu’il n’importait pas moins à sa sûreté qu’à son honneur de préserver de toute injure des alliés qui avaient toujours si bien mérité de la république, il fait de nouveau sortir de ses quartiers la onzième légion, écrit à C. Fabius d’amener sur les frontières des Suessions les deux légions qu’il avait, et demande à T. Labiénus l’une des deux siennes. C’est ainsi que, perpétuellement occupé lui-même, il répartissait le fardeau des expéditions entre les légions, à tour de rôle, et autant que le permettaient la situation des quartiers et le bien du service.

VII. Ces troupes réunies, il marche contre les Bellovaques, établit son camp sur leurs frontières, et envoie de tous côtés des détachements de cavalerie pour faire quelques prisonniers qui puissent l’instruire des desseins de l’ennemi. De retour de cette mission, les cavaliers rapportent qu’ils ont trouvé peu d’habitants dans leurs demeures ; que ces gens n’étaient point restés pour cultiver la terre (car on s’était de toute part empressé de fuir), mais qu’ils avaient été laissés pour espionner. César les ayant interrogés sur le lieu où s’était portée la masse des habitants et sur leurs desseins, apprit que tous les Bellovaques en état de porter les armes s’étaient rassemblés sur un seul point avec les Ambiens, les Aulerques, les Calètes, les Véliocasses et les Atrébates ; qu’ils étaient campés sur une hauteur, dans un bois environné d’un marais ; qu’ils avaient porté tous leurs bagages dans des forêts plus reculées. Plusieurs chefs les excitaient à la guerre ; celui d’entre eux qui exerçait le plus d’autorité sur la multitude était Corréos, dont on connaissait la haine implacable pour le nom romain. Peu de jours auparavant, l’Atrébate Commios avait quitté le camp pour se rendre dans les contrées germaines les plus proches, et en ramener des secours considérables. Les Bellovaques avaient arrêté, du consentement de tous les chefs, et selon le vœu de la multitude, que si, comme on le disait, César ne marchait contre eux qu’avec trois légions, ils lui présenteraient la bataille, de peur d’être ensuite obligés de combattre avec plus de désavantage et de perte contre toutes ses troupes ; s’il amenait un plus grand nombre de légions, ils devaient se tenir dans le lieu qu’ils avaient choisi ; et se borner, en tendant des pièges aux Romains, à leur ôter les vivres et les fourrages, qui, vu l’époque où l’on se trouvait, étaient très rares et fort disséminés.

VIII. S’étant assuré de la vérité de ces faits par l’accord des témoignages, et trouvant ce plan rempli de prudence et bien éloigné de la témérité ordinaire aux Barbares (7), César jugea qu’il devait tout mettre en œuvre pour engager les ennemis, par le mépris de ses propres forces, à en venir aux mains avec lui le plus tôt possible. Il avait près de lui de vieilles légions d’un courage éprouvé, la septième, la huitième et la neuvième, et de plus la onzième, composée d’une jeunesse d’élite et de grande espérance, qui comptait déjà huit campagnes, mais n’avait pas encore, comparativement aux autres, la même réputation de valeur et d’ancienneté. Ayant donc convoqué un conseil, il y exposa tout ce qu’il avait appris, échauffa le courage de ses troupes, et régla sa marche de manière à attirer les ennemis au combat en ne leur montrant que trois légions. Les septième, huitième et neuvième devaient marcher en avant, tandis que toute la colonne des bagages (et ils étaient peu nombreux, comme il est d’usage dans de simples expéditions) viendrait à la suite sous l’escorte de la onzième, afin que les ennemis ne pussent voir que le nombre de légions qu’ils désiraient. Dans cet ordre, formant à peu près un bataillon carré, il arriva à la vue des ennemis plus tôt qu’ils ne s’y attendaient.

IX. Quand les Gaulois, dont la détermination avait été annoncée à César comme certaine, virent tout à coup les légions marcher à eux en ordre de bataille et d’un pas assuré, soit crainte de combattre, soit simple étonnement de notre arrivée soudaine, ou pour attendre le parti que nous prendrions, ils rangèrent leurs troupes en avant de leur camp et ne quittèrent point la hauteur. Quoiqu’il désirât de combattre, César, considérant cette multitude d’ennemis dont le séparait un vallon plus profond que large, se détermina à asseoir son camp en face du leur. Il ordonne d’élever un rempart de douze pieds avec un parapet proportionné à cette hauteur ; de creuser en avant deux fossés de quinze pieds, dont chaque côté était coupé en ligne droite ; il fait dresser un grand nombre de tours à trois étages, jointes ensemble par des ponts et des galeries, dont le front était garni de mantelets d’osier, de telle sorte que l’ennemi fût arrêté par un double fossé et par un double rang de combattants. Le premier rang sur les galeries, et conséquemment moins exposé, lançait ses traits avec plus d’assurance et de portée ; le second, placé sur le rempart même et plus près de l’ennemi, était protégé par la galerie contre la chute des traits (8). Il plaça des portes et de plus hautes tours aux issues du camp.

X. En se retranchant ainsi, il avait un double motif ; car d’une part il espérait que de si grands travaux, pris pour des marques de frayeur, augmenteraient la confiance des Barbares ; et comme, d’un autre côté, il fallait chercher au loin des fourrages et des vivres, on pouvait, à l’abri de ces retranchements, défendre le camp avec peu de troupes. Cependant il se livrait souvent de petits combats entre les deux camps, séparés par un marais. Quelquefois c’étaient nos auxiliaires gaulois et germains qui passaient ce marais et poursuivaient vivement les ennemis ; quelquefois, à leur tour, c’étaient ceux-ci qui, franchissant le marais, nous repoussaient au loin. Il arrivait aussi, vu l’obligation où l’on était tous les jours de se diviser pour aller chercher des vivres dans des habitations éparses, que nos fourrageurs dispersés étaient enveloppés dans des lieux désavantageux ; ce qui, bien que le dommage se réduisît à la perte d’un petit nombre de valets et de chevaux, ne laissait pas d’augmenter la folle présomption des Barbares. Ajoutez que Commios, lequel j’ai dit être parti en Germanie pour y chercher des secours, en était revenu avec des cavaliers. Leur nombre n’excédait pas cinq cents ; toutefois, leur arrivée avait rendu les Barbares plus arrogants.

XI. César, voyant que l’ennemi, défendu par un marais et par sa position, se tenait depuis plusieurs jours dans son camp, et jugeant qu’il ne pouvait l’attaquer sans de grandes pertes, ni l’enfermer dans des lignes sans un renfort de troupes, écrivit à Trébonius d’appeler le plus promptement possible la treizième légion qui hivernait chez les Bituriges avec le lieutenant T. Sextius, et de venir le joindre à grandes journées avec trois légions. Il employa tour à tour les cavaliers des Rèmes, des Lingons et des autres états qui lui en avaient fourni un grand nombre, à protéger les fourrages et à soutenir les attaques soudaines des ennemis.

XII. Comme cette manœuvre avait lieu chaque jour et que déjà, par l’habitude même, on était devenu moins diligent (effet ordinaire de la durée), les Bellovaques, connaissant les postes habituels de nos cavaliers, choisirent un corps d’infanterie et le mirent en embuscade dans un bois : le lendemain ils envoyèrent de la cavalerie pour y attirer la nôtre, l’envelopper et l’attaquer. Ce malheureux sort tomba sur les Rèmes qui, ce jour-là, se trouvaient en tour de service. Ils eurent à peine aperçu la cavalerie ennemie à laquelle ils se croyaient supérieurs, que, méprisant son petit nombre, ils la poursuivirent avec ardeur ; ils furent alors entourés de tous côtés par les fantassins. Étonnés de cette attaque, ils se retirèrent plus vite qu’il n’est d’usage dans un combat de cavalerie. Ils avaient perdu dans l’action le chef de leur nation, Vertiscos, commandant de la cavalerie. Il pouvait à peine, à cause de son grand âge, se soutenir à cheval ; mais fidèle aux coutumes gauloises, il n’avait ni fait valoir cette excuse de l’âge pour se dispenser du commandement, ni voulu que l’on combattit sans lui. La fierté des ennemis s’accrut par l’avantage qu’ils venaient de remporter et par la mort du chef et du commandant des Rèmes ; mais cet échec avertit les nôtres de mettre plus de soin à explorer les lieux avant d’y placer des postes, et plus de modération dans la poursuite de l’ennemi lorsqu’il céderait le terrain.

XIII. Cependant il ne se passait pas un seul jour où il n’y eût, à la vue des deux camps, quelque escarmouche vers les endroits guéables du marais. Dans l’un de ces combats, l’infanterie germaine, que César avait fait venir d’outre-Rhin pour la mêler à la cavalerie, ayant tout entière franchi le marais avec intrépidité, et tué le petit nombre d’ennemis qui résistaient, poursuivit le reste avec une telle vigueur qu’elle frappa d’épouvante non seulement ceux qu’elle serrait de près ou qui étaient encore à la portée du trait, mais même les soldats de la réserve, qui s’enfuirent honteusement. Chassés de hauteurs en hauteurs, ils ne s’arrêtèrent que lorsqu’ils furent arrivés à leur camp ; la peur en emporta même plusieurs au-delà. Tel fut le trouble où le danger avait jeté toutes ces troupes, qu’il était difficile de juger si elles montraient plus d’orgueil au moindre avantage que de timidité au moindre revers.

XIV. Après plusieurs jours passés dans leur camp, et à la nouvelle de l’approche des légions qu’amenait le lieutenant C. Trébonius, les chefs bellovaques, craignant un siège semblable à celui d’Alésia, firent partir de nuit avec le bagage ceux que l’âge, les infirmités ou le défaut d’armes rendaient inutiles. Tandis qu’ils s’occupaient à mettre en ordre cette multitude remplie de trouble et de confusion (car les Gaulois, dans les moindres expéditions, se font toujours suivre d’un grand nombre de chariots), ils furent surpris par le jour, et rangèrent quelques troupes en bataille à la tête de leur camp, pour donner aux bagages le temps de s’éloigner, avant que les Romains pussent les atteindre. De son côté, César ne jugeant convenable de les attaquer ni de front, ni dans la retraite, à cause de l’escarpement de la colline, résolut toutefois de faire assez avancer les légions pour que les barbares ne pussent se retirer sans péril en leur présence. Mais comme le marais situé entre les deux camps pouvait retarder la poursuite, à cause de la difficulté du passage, et que de l’autre côté de l’eau, la hauteur touchait presque au camp ennemi, dont elle n’était séparée que par un petit vallon, il jeta des ponts de claies sur le marais, fit passer les légions, et gagna rapidement la hauteur dont la pente servait de rempart des deux côtés. Les légions y montèrent en ordre de bataille, et, parvenues au sommet, s’y déployèrent dans une position d’où les traits lancés par nos machines pouvaient porter sur les rangs ennemis.

XV. Les Barbares, se fiant à l’avantage de leur position, continuaient de s’y tenir en bataille, prêts à combattre si les Romains venaient les attaquer sur la colline, mais n’osant faire défiler leurs troupes en détail, de peur d’être mis en désordre s’ils se divisaient. César, connaissant leur ferme résolution, laissa vingt cohortes sous les armes, traça le camp en cet endroit et ordonna de le retrancher. Les travaux finis, il rangea les légions en bataille à la tête de ses retranchements, et plaça aux avant-postes les cavaliers avec leurs chevaux tout bridés. Les Bellovaques, voyant les Romains toujours prêts à les suivre, et sentant qu’ils ne pouvaient eux-mêmes, ni veiller toutes les nuits, ni séjourner plus longtemps sans vivres dans leur position, imaginèrent d’effectuer leur retraite par le moyen qui suit. Comme les Gaulois, ainsi qu’il a été dit dans les livres précédents, ont coutume, quand ils restent en ligne, de s’asseoir sur des faisceaux de branches et de paille, ils en avaient une grande quantité qu’ils se passèrent de main en main et qu’ils placèrent à la tête de leur camp ; puis, à la fin du jour, et à un signal donné, ils y mirent le feu en même temps. Cette vaste flamme nous déroba tout à coup la vue de leurs troupes, et les Barbares en profitèrent pour s’enfuir à toutes jambes.

XVI. Bien que César ne pût apercevoir le départ des ennemis, à cause des flammes qu’il avait en face de lui, il ne laissa pas de soupçonner que cet incendie n’était qu’une ruse propre à cacher leur retraite. Il fit alors avancer les légions et envoya des escadrons à la poursuite ; mais, dans la crainte de quelque embuscade, et de peur que l’ennemi, resté peut-être à la même place, ne cherchât à attirer nos soldats dans une mauvaise position, il ne s’avança lui-même que lentement. Nos cavaliers n’osaient pénétrer à travers une flamme et une fumée très épaisses ; et si quelques-uns, plus hardis, essayaient de le faire, à peine voyaient-ils la tête de leurs chevaux. La crainte d’un piège fit qu’on laissa à l’ennemi tout le temps nécessaire pour opérer sa retraite. C’est ainsi que par une ruse où la peur et l’adresse avaient eu également part, les Bellovaques franchirent sans la moindre perte un espace de dix milles, et assirent leur camp dans un lieu très avantageux. De là leurs cavaliers et leurs fantassins incommodaient beaucoup nos fourrageurs par leurs fréquentes embuscades.

XVII. Ces attaques se renouvelaient souvent, lorsque César apprit d’un prisonnier que Corréos, chef des Bellovaques, avait fait choix de six mille fantassins des plus braves et de mille cavaliers pour les placer en embuscade dans un lieu où l’abondance du blé et des fourrages lui faisait soupçonner que les Romains viendraient s’approvisionner. Instruit de ce dessein, César fit sortir plus de légions que de coutume, et envoya en avant la cavalerie qu’il était dans l’usage de donner pour escorte aux fourrageurs. Il y mêla des fantassins armés à la légère, et lui-même s’avança avec les légions le plus qu’il lui fut possible.

XVIII. Les ennemis avaient fait choix, pour leur embuscade, d’une plaine qui, en tous sens, n’avait pas plus de mille pas d’étendue ; elle était entourée d’épaisses forêts et d’une rivière très profonde ; des pièges nous enveloppaient de tous côtés. Nos cavaliers, instruits du projet de l’ennemi, ayant le cœur non moins préparé que leurs armes au combat, et appuyés d’ailleurs par les légions, auraient accepté tout genre d’engagement ; ils arrivèrent en escadrons. Corréos, jugeant l’occasion favorable, se montra d’abord avec peu de monde, et chargea ceux de nos escadrons qui se trouvèrent le plus près de lui. Les nôtres soutinrent le choc avec fermeté et sans se réunir en masse, manœuvre ordinaire dans les combats de cavalerie, dans un moment d’alarme, mais qui devient nuisible par la confusion qu’elle produit.

XIX. Tandis qu’on se bat par escadrons et en petites troupes, et qu’on manœuvre de manière à ne pas se laisser prendre en flanc, le reste des ennemis, voyant Corréos dans la mêlée, sort tout à coup des forêts. Un vif combat s’engage sur tous les points, et se soutient longtemps à armes égales, lorsque l’infanterie ennemie quitte le bois, s’avance en ordre de bataille, et force nos cavaliers de reculer. À leur secours arrive aussitôt l’infanterie légère que César, comme on l’a dit, avait envoyée en avant des légions ; elle se mêle aux escadrons et combat avec courage. > L’affaire resta quelque temps encore indécise ; mais ensuite, comme il devait arriver, ceux qui avaient soutenu le premier choc des ennemis embusqués, obtinrent la supériorité, par cela même qu’ils avaient échappé aux effets de la surprise. Cependant les légions s’approchent de plus en plus, et de nombreux courriers annoncent, tant aux Romains qu’aux ennemis, la prochaine arrivée de César à la tête de ses troupes en bataille. À cette nouvelle, les nôtres, sûrs de l’appui des cohortes, combattent avec plus d’ardeur, de peur de partager avec les légions l’honneur de la victoire. Les ennemis perdent courage et cherchent à s’enfuir par divers chemins ; mais c’est en vain, car ils sont arrêtés par les obstacles même qu’ils avaient disposés pour enfermer les Romains. Vaincus et repoussés, après avoir perdu la plus grande partie des leurs, ils fuient en désordre et au hasard, les uns vers les forêts, d’autres vers le fleuve ; ils sont massacrés par notre cavalerie qui les poursuit à toute bride. Cependant Corréos, que n’avait abattu aucune infortune ; qui n’avait voulu ni quitter le combat, ni gagner les forêts, ni se rendre, malgré nos pressantes invitations, se battit avec le plus grand courage et, par ses coups redoublés, força les vainqueurs irrités à le percer de leurs traits.

XX. Après ce succès, César, marchant environné des trophées de sa récente victoire, pensa bien que l’ennemi, abattu par la nouvelle d’un si grand revers, abandonnerait son camp situé à huit mille pas environ du lieu où s’était livrée la bataille. Aussi, et bien qu’il y eût une rivière à traverser, il n’hésita point à la faire passer à l’armée, et marcha en avant. Mais, de leur côté, les Bellovaques et les autres états, instruits de la dernière défaite par le petit nombre de fuyards et de blessés qui avaient pu échapper au carnage à la faveur des bois, voyant que la fortune leur était en tout contraire, que Corréos avait été tué, qu’ils avaient perdu leur cavalerie et l’élite de leur infanterie, qu’enfin les Romains approchaient, convoquèrent aussitôt une assemblée au son de trompe, et s’écrièrent qu’il fallait envoyer à César des députés et des otages.

XXI. Cet avis étant unanimement adopté, l’Atrébate Commios s’enfuit chez ces mêmes Germains auxquels il avait emprunté des secours pour cette guerre. Les autres envoient sur-le-champ des députés à César et le prient de se contenter d’un châtiment que sa clémence et son humanité ne leur auraient jamais infligé s’il avait eu à les punir avant qu’un combat leur eût fait essuyer tant de désastres : « la dernière bataille a détruit toute leur cavalerie ; plusieurs milliers de fantassins d’élite ont péri ; à peine s’en est-il échappé pour annoncer la défaite. Toutefois, au milieu de tant de calamités, les Bellovaques ont recueilli un grand avantage de la mort de Corréos, auteur de cette guerre, instigateur de la multitude ; de son vivant, le sénat avait moins d’autorité qu’une populace ignorante. »

XXII. César répond à cette harangue et aux prières des députés que déjà l’année précédente les Bellovaques et les autres peuples de la Gaule lui avaient fait la guerre en même temps ; qu’eux seuls avaient persisté dans la révolte, sans se laisser ramener au devoir par l’exemple de la soumission des autres. Il est très facile, il le sait bien, de rejeter sur les morts les fautes que l’on a faites ; mais nul particulier n’est assez puissant par lui-même ou avec le secours d’une misérable poignée de populace, pour exciter et soutenir une guerre malgré les chefs, en dépit du sénat, contre le vœu de tous les gens de bien. Toutefois, il veut bien se contenter du mal qu’ils se sont fait à eux-mêmes. »

XXIII. La nuit suivante, les députés rapportent cette réponse à leurs concitoyens, qui préparent aussitôt des otages. Les autres états, qui étaient dans l’attente du résultat, s’empressent également de donner des otages et de se soumettre, à l’exception de Commios, que la crainte empêchait de se confier à la foi de qui que ce fût. En effet, l’année précédente, pendant que César rendait la justice dans la Gaule citérieure, T. Labiénus, instruit que Commios sollicitait les peuples à se soulever contre César, avait cru pouvoir, sans se rendre coupable de perfidie, réprimer cette trahison. Présumant que Commios ne viendrait pas au camp s’il y était appelé, craignant en outre que cette invitation ne l’avertît d’être circonspect, il avait envoyé vers lui C. Volusénus Quadratus qui, sous prétexte d’une entrevue, était chargé de le tuer. Des centurions, propres à l’exécution de ce projet, lui avaient été donnés pour escorte. Lorsqu’on fut en présence, et que, selon le signal convenu, Volusénus eut pris la main de Commios, le centurion, soit qu’il se troublât, soit que les amis de Commios eussent prévenu ce meurtre, ne put achever le Gaulois ; cependant il le blessa grièvement à la tête du premier coup. De part et d’autre on tira l’épée, moins pour se battre que pour s’assurer la retraite ; les nôtres croyaient Commios mortellement blessé ; et les Gaulois, reconnaissant le piège, craignaient de plus grands périls encore. On disait que, depuis cet événement, Commios avait résolu de ne jamais paraître devant un Romain.

XXIV. Vainqueur des nations les plus belliqueuses, César ne voyait plus aucune cité se préparer à la guerre ou en état de lui résister ; mais remarquant qu’un grand nombre d’habitants quittaient les villes et s’enfuyaient des campagnes pour se soustraire à la domination nouvelle, il résolut de distribuer l’armée sur différents points. Il garda près de lui le questeur M. Antonius avec la onzième légion ; il envoya le lieutenant C. Fabius, avec vingt-cinq cohortes, à l’extrémité opposée de la Gaule, où l’on disait qu’il y avait plusieurs peuples en armes ; il ne croyait pas que le lieutenant C. Caninius Rébilus (10), qui commandait dans ces contrées, fût assez fort avec les deux légions qu’il avait sous ses ordres. Il fit venir près de lui T. Labiénus, et envoya la douzième légion, qui avait hiverné avec ce lieutenant, protéger les colonies romaines dans la Gaule citérieure, et les préserver de calamités semblables à celles qu’avaient essuyées, l’été précédent, les Tergestins, dont le territoire avait été ravagé par suite d’une irruption soudaine de Barbares. Pour lui, il alla dévaster les terres d’Ambiorix. Désespérant de réduire en son pouvoir cet ennemi fugitif et tremblant, il crut, dans l’intérêt de son honneur, devoir détruire si bien, dans les états de ce prince, les citoyens, les édifices, les bestiaux, que désormais en horreur à ceux qui échapperaient par hasard au massacre, Ambiorix ne pût jamais rentrer dans un pays sur lequel il aurait attiré tant de désastres.

XXV. Lorsque César eut distribué ses légions et ses auxiliaires sur toutes les parties du territoire d’Ambiorix, que tout y eut été détruit par le meurtre, l’incendie, le pillage, et qu’un grand nombre d’hommes eurent été pris ou tués, il envoya Labiénus avec deux légions chez les Trévires, peuple qui, sans cesse en guerre à cause du voisinage de la Germanie, ne différait pas beaucoup des Germains pour les mœurs et la férocité, et n’obéissait jamais aux ordres de César que par la force des armes.

XXVI. Cependant le lieutenant C. Caninius, informé par Durat (11) qui était toujours resté attaché aux Romains, malgré la défection d’une partie de sa nation, qu’un grand nombre d’ennemis s’étaient rassemblés sur les frontières des Pictons, se dirigea vers la place de Lémonum[1]. Comme il en approchait, des prisonniers l’instruisirent que Duratios s’y trouvait assiégé par plusieurs milliers d’hommes sous la conduite de Dumnacos, chef des Andes. N’osant combattre avec si peu de légions, il campa dans une forte position. Dumnacos, à la nouvelle de l’approche de Caninius, tourna toutes ses forces contre les légions ; et vint attaquer le camp des Romains. Mais ayant perdu plusieurs jours et beaucoup de monde à cette attaque, sans avoir pu faire la moindre brèche à nos retranchements, il revint assiéger Lémonum.

XXVII. Dans le même temps, le lieutenant C. Fabius, occupé à recevoir les soumissions et les otages de diverses nations, apprit, par les lettres de Caninius, ce qui se passait chez les Pictons. À cette nouvelle, il partit au secours de Duratios. Mais Dumnacos fut à peine instruit de son arrivée, que, désespérant de se sauver, s’il lui fallait à la fois résister à l’ennemi du dehors et avoir l’œil sur les assiégés qui le tenaient en crainte, il se hâta de se retirer avec ses troupes, et ne se crut point en sûreté qu’il ne les eût conduites au-delà de la Loire, qu’il fallait passer sur un pont, à cause de la largeur du fleuve. Quoique Fabius n’eût pas encore paru devant l’ennemi, ni joint Caninius, cependant, sur le rapport de ceux qui connaissaient la nature du pays, il conjectura que les ennemis, frappés de terreur, prendraient la route qui conduisait à ce pont. Il s’y dirigea donc avec ses troupes, et ordonna à la cavalerie de devancer les légions, de manière pourtant à pouvoir, au besoin, se replier sur le camp sans fatiguer les chevaux. Nos cavaliers, conformément à leurs ordres, s’avancent et joignent l’armée de Dumnacos ; ils attaquent, en route et sous leurs bagages, les ennemis qui fuient épouvantés, leur tuent beaucoup de monde, font un riche butin, et rentrent au camp, après ce beau succès.

XXVIII. La nuit suivante, Fabius envoie la cavalerie en avant, avec ordre de harceler les ennemis et de retarder leur marche, tandis qu’il suivrait lui-même. Dans ce dessein, Q. Atius Varus, préfet de la cavalerie, homme d’un courage égal à sa prudence, exhorte sa troupe, atteint l’ennemi, fait prendre de bonnes positions à une partie de ses escadrons, et, à la tête des autres, engage le combat. La cavalerie ennemie résiste avec audace, appuyée qu’elle est par le corps entier des fantassins qui avaient fait halte pour lui porter secours. L’action fut très vive ; car nos cavaliers, méprisant des ennemis qu’ils avaient vaincus la veille ; et sachant que les légions étaient à leur suite, se battaient contre les fantassins avec une extrême valeur ; ils étaient animés et par la honte de reculer et par le désir de recueillir seuls toute la gloire de cette affaire. De leur côté, les ennemis, ne croyant pas avoir à combattre plus de troupes que la veille, pensaient avoir trouvé l’occasion de détruire notre cavalerie.

XXIX. Il y avait quelque temps que l’on combattait avec une égale opiniâtreté, lorsque Dumnacos mit son infanterie en bataille pour soutenir sa cavalerie. En ce moment paraissent tout à coup aux yeux des ennemis les légions en rangs serrés. À cette vue, frappés d’une terreur bientôt suivie du plus grand désordre dans les bagages, les Barbares, tant cavaliers que fantassins, s’enfuient çà et là en jetant de grands cris. Notre cavalerie, dont la valeur venait de triompher de la résistance des ennemis, transportée de joie à l’aspect du succès, et faisant partout entendre des cris de victoire, se jette sur les fuyards et en tue autant que les chevaux en peuvent poursuivre et que les bras en peuvent frapper. Ainsi périrent plus de douze mille hommes, soit les armes à la main, soit après les avoir jetées ; tout le bagage tomba en notre pouvoir.

XXX. Après cette déroute, cinq mille hommes au plus furent recueillis par le Sénon Drappès, le même qui, à la première révolte de la Gaule, avait rassemblé une foule d’hommes perdus, promis la liberté aux esclaves, fait appel aux exilés de tous les pays, et enrôlé des brigands, avec lesquels il interceptait nos bagages et nos convois. Dès qu’on sut qu’il marchait sur la province, de concert avec le Cadurque Luctérios (qui déjà, comme, on l’a vu au livre précédent, avait voulu y faire une invasion, lors du premier soulèvement de la Gaule), le lieutenant Caninius se mit à leur poursuite avec deux légions, pour éviter la honte de voir des hommes souillés de brigandages causer quelque effroi ou quelque dommage à notre province.

XXXI. C. Fabius marcha avec le reste de l’armée contre les Carnutes et les autres nations dont il savait que Dumnacos avait obtenu des secours dans le dernier combat. Il ne doutait point que leur défaite récente ne les rendît plus soumis ; mais que, s’il leur laissait le temps de se remettre de leur effroi, les instances de Dumnacos ne pussent encore les soulever. Dans cette conjoncture, Fabius parvint avec autant de bonheur que de célérité à tout faire rentrer dans le devoir. Les Carnutes qui, souvent battus, n’avaient jamais parlé de paix, donnèrent des otages et se soumirent. Entraînés par leur exemple, les autres peuples, qui habitent à l’extrême limite de la Gaule, près de l’Océan, et qu’on appelle Armoricains, nous obéirent sans délai, à l’arrivée de Fabius et des légions. Dumnacos, chassé de son territoire, errant, réduit à se cacher, fut obligé de gagner seul les régions de la Gaule les plus reculées.

XXXII. Drappès et Luctérios, apprenant l’arrivée des légions et de Caninius, sentirent que, poursuivis par l’armée, ils ne pourraient pénétrer sur le territoire de la province sans une perte certaine, ni continuer en liberté leurs courses et leurs brigandages. Ils s’arrêtèrent sur les terres des Cadurques. Luctérios, qui avant ses revers avait eu beaucoup d’influence sur ses concitoyens, et à qui son audace, toujours prête à de nouvelles entreprises, donnait un grand crédit parmi les Barbares, vint, avec ses troupes, unies à celles de Drappès, occuper la place d’Uxellodunum[2], anciennement dans sa clientèle, et très forte par sa position. Il en gagna les habitants.

XXXIII. C. Caninius, s’y étant aussitôt porté, constata que la place était de tous côtés défendue par des rochers escarpés, qui en eussent rendu, même sans garnison, l’accès difficile à des hommes armés : mais sachant que les bagages des habitants étaient nombreux, et qu’on ne pouvait essayer de les faire sortir en secret, sans qu’ils fussent atteints par la cavalerie et même par les légions, il divisa les cohortes en trois parties, établit trois camps dans des positions très élevées, et de là il commença peu à peu, autant que le permettait le nombre des troupes, à tirer une ligne de circonvallation autour de la place.

XXXIV. À cette vue, les habitants, se rappelant tous les malheurs d’Alésia, redoutant un sort semblable, et avertis par Luctérios, qui avait assisté à ce désastre, de pourvoir surtout aux subsistances, arrêtent, d’un consentement unanime, qu’après avoir laissé dans la place une partie des troupes, les autres iront chercher des vivres. Cette résolution prise, Drappès et Luctérios laissent dans la ville deux mille hommes de garnison, et sortent la nuit suivante avec le reste. En peu de jours ils eurent ramassé une grande quantité de blé sur les terres des Cadurques, dont les uns le livrèrent de leur plein gré, et les autres le laissèrent prendre, ne pouvant s’y opposer. Cependant nos forts eurent à essuyer plusieurs fois des attaques nocturnes ; circonstance qui engagea Caninius à suspendre la circonvallation, dans la crainte de ne pouvoir défendre la totalité de ses lignes, ou de n’avoir, sur plusieurs points, que des postes insuffisants.

XXXV. Après avoir fait leurs provisions de blé, Drappès et Luctérios vinrent camper à dix milles de la place, pour y faire entrer peu à peu leurs convois. Ils se partagent les rôles : Drappès reste, avec une partie des troupes, à la garde du camp ; Luctérios escorte les transports. Après avoir disposé des postes, il fait, vers la dixième heure de la nuit, avancer le convoi à travers les forêts et par d’étroits chemins. Les sentinelles du camp ayant entendu du bruit, on dépêche des éclaireurs pour aller voir ce qui se passe. Sur leurs rapports, Caninius tire des forts les plus voisins les cohortes armées, et tombe au point du jour sur les fourrageurs. Ceux-ci, effrayés d’une attaque aussi inopinée, s’enfuient vers leur escorte ; voyant alors qu’ils ont affaire à des ennemis en armes, les nôtres s’irritent, et ne veulent faire, dans cette multitude, aucun prisonnier. Échappé de là avec un petit nombre des siens, Luctérios ne put regagner son camp.

XXXVI. Après ce succès, Caninius apprit par des prisonniers qu’une partie des troupes était restée au camp avec Drappès, à une distance qui n’excédait pas douze milles. Cet avis lui ayant été confirmé par plusieurs rapports, il pensa que, l’autre chef étant en lutte, il lui serait aisé d’accabler dans leur effroi le reste des ennemis. Il regardait comme un grand bonheur qu’aucun de ceux qui avaient échappé au carnage n’eût rejoint le camp de Drappès, pour lui porter la nouvelle de cette défaite. Ne trouvant nul danger à faire une tentative, il envoie en avant et fait marcher contre le camp ennemi toute la cavalerie, ainsi que de l’infanterie germaine dont les hommes sont si agiles ; il laisse une légion à la garde des trois camps, et se met en marche à la tête de l’autre sans bagages. Lorsqu’il fut à peu de distance des ennemis, les éclaireurs qu’il avait détachés lui rapportèrent que les Barbares, négligeant les hauteurs, selon leur usage, avaient placé leur camp sur le bord d’une rivière, que les Germains et les cavaliers étaient tombés sur eux tout à fait à l’improviste, et que le combat était engagé. Sur cet avis, il fait avancer la légion sous les armes et en ordre de bataille. Puis il donne partout le signal, et s’empare des hauteurs. Cela fait, les Germains et la cavalerie, à la vue des enseignes de la légion, combattent avec la plus grande vigueur ; aussitôt toutes les cohortes chargent sur tous les points ; tout est tué ou pris ; le butin est immense ; Drappès lui-même est fait prisonnier dans ce combat.

XXXVII. Caninius, ayant terminé cette expédition heureusement, et presque sans perte, vint reprendre le siège ; et comme il avait détruit l’ennemi extérieur, dont la présence l’avait jusque-là empêché d’augmenter ses postes et de travailler à ses lignes de circonvallation, il ordonna de conouvrages sur tous les points. Le jour suivant, C. Fabius arriva avec ses troupes, et se chargea d’assiéger l’un des côtés de la place.

XXXVIII. Cependant César laisse le questeur M. Antonius chez les Bellovaques avec quinze cohortes, afin d’empêcher les Belges de former de nouveaux projets de révolte. Il visite lui-même les autres états, demande un grand nombre d’otages, rassure tous les esprits par de consolantes paroles. Arrivé chez les Carnutes, dont les conseils, ainsi que César l’a dit dans le livre précédent, avaient été la première cause de la guerre, et voyant que le souvenir de leur conduite leur causait de vives alarmes, il voulut dissiper sur-le-champ leurs craintes, et demanda pour le supplice Gutuater, instigateur de la dernière révolte et principal auteur de cette guerre. Cet homme, bien qu’il n’eût confié à personne le lieu de sa retraite, fut cherché par la multitude avec tant de soin, qu’on l’eut bientôt amené au camp. Ce fut contre son penchant que César se vit contraint d’accorder la mort de ce chef aux instances des soldats, qui lui rappelaient tous les périls, toutes les pertes qu’ils devaient à Gutuater. Celui-ci, après avoir été battu de verges jusqu’à la mort, eut la tête tranchée par la hache.

XXXIX. Plusieurs lettres de Caninius apprirent à César le sort de Drappès et de Luctérios et la résolution opiniâtre des habitants. Quoiqu’il méprisât leur petit nombre, il pensa qu’il fallait sévèrement punir leur obstination, afin que la Gaule entière ne crût pas que, pour résister aux Romains, ce n’était point la force qui avait manqué, mais la constance. Il était à craindre en outre, qu’encouragées par cet exemple, les autres villes, profitant de l’avantage de leur position, ne cherchassent à recouvrer leur liberté. César savait d’ailleurs qu’il était connu dans toute la Gaule que son gouvernement ne devait pas se prolonger au-delà d’un été, après lequel, si les villes pouvaient se soutenir jusque-là, elles n’auraient aucun péril à craindre. Il laisse donc deux légions au lieutenant Q. Calénus (12), avec ordre de le suivre à grandes journées ; lui-même, avec toute la cavalerie, se dirige en toute hâte vers Caninius.

XL. Lorsque César fut arrivé à Uxellodunum, où personne ne l’attendait, qu’il y vit la circonvallation achevée, ce qui ne permettait plus d’en abandonner le siège ; et qu’il eut, d’un autre côté, appris par des transfuges que les assiégés étaient abondamment pourvus de vivres, il essaya de les priver d’eau. Une rivière traversait le vallon qui environnait presque en entier le rocher escarpé sur lequel était située la place d’Uxellodunum. La nature du lieu s’opposait à ce qu’on détournât le cours de cette rivière ; car elle coulait au pied même de la montagne, et il était impossible de creuser nulle part des fossés pour en opérer la dérivation. Mais les assiégés n’y descendaient que difficilement et par des chemins escarpés, et, si nos troupes leur coupaient le passage, ils ne pouvaient y arriver ni regagner la hauteur sans s’exposer à nos traits et sans risquer leur vie. César, s’étant aperçu de leur embarras, plaça des archers et des frondeurs, disposa des machines de guerre vers les endroits où la descente était le plus facile, et par là interdit aux assiégés l’accès de la rivière. Toute la population n’eut dès lors plus d’autre ressource que l’eau d’une fontaine abondante, sortant du pied même des murs, dans cet espace, d’environ trois cents pieds, le seul que la rivière n’entourât pas.

XLI. On désirait pouvoir priver de cette eau les habitants ; César seul en vit le moyen. Il dressa des mantelets et éleva une terrasse vis-à-vis la fontaine, contre la montagne ; mais ce ne fut pas sans de grandes peines et de continuels combats. En effet, les assiégés, accourant des hauteurs, combattaient de loin sans danger, et blessaient beaucoup des nôtres, à mesure qu’ils se présentaient. Rien ne put cependant les empêcher d’avancer à la faveur des mantelets, ni de vaincre par leur persévérance les difficultés du lieu. En même temps, ils conduisaient des galeries souterraines, depuis la terrasse jusqu’à la source de la fontaine, genre de travail qu’ils pouvaient exécuter sans péril, et même sans que les ennemis s’en doutassent. La terrasse s’éleva à la hauteur de neuf pieds ; on y plaça une tour de dix étages, non pour égaler la hauteur des murs, ce qui était absolument impossible, mais de manière à dominer la fontaine. Les avenues se trouvaient ainsi exposées aux traits de nos machines ; et, comme les assiégés ne pouvaient plus y venir prendre de l’eau sans de grands risques, les bestiaux, les chevaux, les hommes même, en grand nombre, mouraient de soif.

XLII. Effrayés de ce triste sort, les habitants remplissent des tonneaux de suif, de poix et de menu bois, et les roulent tout enflammés sur nos ouvrages. En même temps ils font une vive attaque, afin que les Romains, obligés de combattre pour leur défense, ne puissent porter remède à l’incendie. Dans un instant tous nos ouvrages sont en feu. Ces tonneaux, qui roulaient sur la pente, arrêtés par les mantelets et la terrasse, embrasaient les matières même qui les retenaient. Cependant nos soldats, malgré le péril de ce genre de combat, et la difficulté des lieux, déployaient le plus grand courage ; car l’action se passait sur une hauteur et à la vue de notre armée. De part et d’autre on entendait de grands cris ; chacun cherchait à se signaler, et l’on bravait, pour faire preuve d’une valeur qui avait tant de témoins, les traits des ennemis et la flamme.

XLIII. César, voyant qu’il avait déjà beaucoup de blessés, ordonne aux soldats de gravir de toutes parts la montagne, en jetant de grands cris, comme s’ils eussent voulu escalader les murs. Épouvantés par cette manœuvre, et ne sachant ce qui se passait sur d’autres points, les habitants rappellent ceux de leurs combattants qui attaquaient nos ouvrages, et les placent sur leurs murailles. Alors nos soldats, n’ayant plus d’adversaires à combattre, se rendent bientôt maîtres de l’incendie, soit en l’étouffant, soit en le coupant. Les assiégés continuaient à se défendre opiniâtrement ; et, après avoir perdu déjà une grande partie des leurs par la soif, ils persévéraient dans leur résistance, lorsqu’enfin nos mines souterraines parvinrent à couper et à détourner les veines de la source. La voyant tout à coup tarie, les assiégés désespérètent de tout moyen de salut, et ils crurent reconnaître, non l’ouvrage des hommes, mais la volonté des dieux. Vaincus alors par la nécessité, ils se rendirent.

XLIV. César savait sa réputation de clémence trop bien établie, pour craindre qu’un acte de rigueur fût imputé à la cruauté de son caractère ; et comme il sentait que ses efforts n’auraient point de terme si des révoltes de ce genre venaient ainsi à éclater sur plusieurs points, il résolut d’effrayer les autres peuples par un exemple terrible. Il fit donc couper les mains à tous ceux qui avaient porté les armes, et leur laissa la vie, pour mieux témoigner du châtiment réservé aux pervers (13). Drappès, qui, ainsi que je l’ai dit, avait été fait prisonnier par Caninius, soit honte et douleur de sa captivité, soit crainte d’un supplice plus grand, s’abstint de nourriture pendant plusieurs jours, et mourut de faim. Vers le même temps, Luctérios, qui, comme on l’a vu, s’était échappé du combat, était tombé au pouvoir de l’Arverne Epasnactos ; obligé de changer fréquemment de retraite, et sentant qu’il ne pouvait longtemps demeurer dans le même lieu sans danger, il avait dû se confier à beaucoup de gens ; sa conscience lui disait combien il avait mérité l’inimitié de César. L’Arverne Epasnactos, fidèle au peuple Romain, n’hésita pas à le livrer enchaîné à César.

XLV. Cependant Labiénus battait les Trévires dans un combat de cavalerie, et leur tuait beaucoup de monde ainsi qu’aux Germains qui ne refusaient jamais leur secours contre les Romains. Il fit leurs chefs prisonniers, et, parmi eux, l’Héduen Suros, également illustre par son courage et par sa naissance, et le seul des Héduens qui n’eût pas encore déposé les armes.

XLVI. Informé de ce succès, et voyant les affaires en bon état sur tous les points de la Gaule, que ses dernières campagnes avaient domptée et soumise (14), César, qui n’était jamais allé en personne dans l’Aquitaine, et qui n’en avait soumis une partie que par les armes de P. Crassus, s’y rendit avec deux légions, pour y passer le reste de la saison. Cette expédition fut, comme les autres, prompte et heureuse. Car tous les états de l’Aquitaine lui envoyèrent des députés et lui donnèrent des otages. Il partit ensuite pour Narbonne, avec une escorte de cavalerie, et mit l’armée en quartiers d’hiver sous les ordres des lieutenants. Il plaça quatre légions dans la Belgique, avec M. Antonius, C. Trébonius et P. Vatinius ; il en envoya deux chez les Héduens, dont il connaissait le crédit sur toute la Gaule ; il en plaça deux chez les Turons, sur la frontière des Carnutes, pour contenir toutes les contrées qui touchent l’océan ; deux autres chez les Lémovices, non loin des Arvernes, pour ne laisser sans armée aucune partie de la Gaule. Pendant le petit nombre de jours qu’il passa lui-même dans la province, il en parcourut rapidement les assemblées, y prit connaissance des débats publics, distribua des récompenses à ceux qui l’avaient bien servi ; car rien ne lui était plus facile que de discerner de quels sentiments chacun avait été animé envers la république dans cette révolte de toute la Gaule, à laquelle la fidélité et les secours de la province l’avaient mis en état de résister. Ces choses terminées, il alla rejoindre les légions dans la Belgique et passa l’hiver à Némétocenna[3].

XLVII. Là il apprit que l’Atrébate Commios s’était battu contre notre cavalerie. Antoine avait pris ses quartiers d’hiver dans ce pays ; mais quoique les Atrébates fussent demeurés fidèles, Commios, qui, depuis la blessure dont j’ai parlé plus haut, était toujours prêt à seconder tous les mouvements de ses concitoyens, et à se faire le conseil et le chef de ceux qui voulaient prendre les armes, tandis que sa nation obéissait aux Romains, se nourrissait de brigandages avec sa cavalerie, infestait les chemins et interceptait quantité de convois destinés à nos quartiers.

XLVIII. À Antoine était attaché, comme préfet de la cavalerie, C. Volusénus Quadratus, lequel hivernait avec lui. Antoine l’envoya à la poursuite des cavaliers ennemis. Volusénus, qui joignait à un rare courage une grande haine pour Commios, se chargea avec joie de cette expédition. Il disposa des embuscades, attaqua souvent la cavalerie ennemie, et eut toujours l’avantage. Dans un dernier combat, comme on était vivement aux prises, et que Volusénus, emporté par le désir de prendre Commios en personne, le poursuivait vivement avec peu des siens, celui-ci, qui l’avait attiré fort loin par une fuite précipitée, invoque tout— à-coup la foi et le secours de ses compagnons, et les prie de le venger des blessures qu’il avait reçues par trahison ; il tourne bride, se sépare imprudemment de ses cavaliers, et s’élance contre le préfet. Tous les cavaliers l’imitent, font reculer notre faible troupe et la poursuivent. Commios, pressant de l’éperon les flancs de son cheval, joint celui de Quadratus et porte au préfet un coup de lance qui, fortement appliqué, lui perce le milieu de la cuisse. À la vue de leur chef blessé, nos cavaliers n’hésitent pas à faire face aux ennemis, et les repoussent. Dans cette charge ils en blessent un grand nombre, écrasent les autres dans leur fuite et font des prisonniers. Commios ne put échapper à ce sort que grâce à la vitesse de son cheval ; Volusénus, dont la blessure semblait assez grave pour mettre sa vie en danger, fut reporté au camp. Alors Commios, soit qu’il eût satisfait son ressentiment, soit qu’il fût trop affaibli par la perte des siens, députa vers Antoine, promit d’aller où il lui serait prescrit, de faire ce qu’on lui ordonnerait, et scella sa promesse en livrant des otages. Il pria seulement que l’on accordât à sa frayeur de ne paraître jamais devant un Romain. Antoine, jugeant cette demande fondée sur une crainte légitime, y consentit et reçut les otages.

Je sais que César a fait un livre particulier pour chacune de ses campagnes. Je n’ai pas cru devoir adopter cette division, parce que l’année suivante, qui fut celle du consulat de L. Paulus et de C. Marcellus, n’offre rien de bien important dans les affaires de la Gaule. Cependant, pour ne pas laisser ignorer où étaient en ce temps César et son armée, j’ai pensé à joindre ici quelques faits au livre qui précède.

XLIX. César, en tenant dans la Belgique ses quartiers d’hiver, n’avait d’autre but que de maintenir dans notre alliance les peuples de la Gaule, et de ne leur donner ni espoir ni motif de guerre. Car, étant près de partir, il ne voulait point se mettre dans la nécessité de recommencer la guerre, au moment où il allait retirer l’armée, ni laisser toute la Gaule disposée à reprendre librement les hostilités pendant son absence. Aussi, par son attention à adresser des éloges aux états, à combler de récompenses leurs principaux habitants, à n’établir aucun nouvel impôt, à rendre l’obéissance plus douce, il contint facilement en paix la Gaule, épuisée par tant de revers.

L. L’hiver fini, César, contre son usage (15), partit pour l’Italie à grandes journées, afin de visiter les villes municipales et les colonies, auxquelles il voulait recommander son questeur, M. Antonius, qui briguait le sacerdoce. En l’appuyant de son pouvoir, non seulement il suivait son penchant pour un homme qui lui était très attaché et qu’il avait, peu de temps auparavant, envoyé solliciter cette dignité, mais encore il voulait déjouer une faction peu nombreuse qui, en faisant échouer Antoine, désirait d’ébranler le pouvoir de César, dont le gouvernement expirait. Bien qu’il eût appris en route, et avant d’arriver en Italie, qu’Antoine venait d’être nommé augure, il ne crut pas moins nécessaire de parcourir les villes municipales et les colonies, afin de les remercier de leur empressement à servir Antoine, et en même temps de leur recommander sa propre demande du consulat pour l’année suivante ; car ses ennemis se vantaient avec insolence d’avoir fait nommer consuls L. Lentulus et C. Marcellus, qui devaient dépouiller César de toute charge et de toute dignité ; et d’avoir écarté du consulat Servius Galba (16), quoiqu’il eût plus de crédit et de suffrages, uniquement parce qu’il était lié d’amitié avec César et avait été son lieutenant.

LI. César, à son arrivée, fut accueilli par toutes les villes municipales et par les colonies avec des témoignages incroyables de respect et d’affection ; car il y paraissait pour la première fois depuis cette guerre générale de la Gaule. On n’oublia rien de tout ce qui put être imaginé pour l’ornement des portes, des chemins, et de tous les endroits par où il devait passer. Les enfants et toute la population venaient à sa rencontre ; partout on immolait des victimes ; des tables étaient dressées sur les places publiques et dans les temples ; on lui faisait ainsi goûter par avance la joie d’un triomphe vivement désiré, tant les riches montraient de magnificence et les pauvres d’envie de lui plaire.

LII. Quand César eut parcouru toutes les contrées de la Gaule citérieure, il rejoignit promptement l’armée à Némétocenna ; et après avoir tiré toutes les légions de leurs quartiers, il les envoya chez les Trévires, se rendit dans ce pays, et y passa l’armée en revue. Il donna à T. Labiénus le commandement de la Gaule citérieure, afin qu’il pût le seconder de son influence dans la poursuite du consulat. Quant à lui, il ne fit marcher l’armée qu’autant qu’il le jugeait nécessaire pour entretenir la santé du soldat par des changements de lieux. Quoiqu’il entendît souvent dire que ses ennemis excitaient Labiénus contre lui (17), et qu’il fût informé que ces sollicitations étaient l’ouvrage d’un petit nombre d’hommes travaillant à lui faire enlever par le sénat une partie de l’armée, on ne put cependant ni lui rendre Labiénus suspect (18), ni l’amener à rien entreprendre contre l’autorité du sénat ; car il savait que, si les délibérations étaient libres, il obtiendrait facilement justice de ses membres. Déjà même C. Curion (19), tribun du peuple, prenant en main la défense des intérêts et de l’honneur de César, avait dit souvent dans le sénat, que si l’on avait quelque ombrage de la puissance militaire de César, celle de Pompée et sa domination ne devaient pas inspirer moins d’inquiétude ; que l’un et l’autre devaient désarmer et licencier leurs troupes ; qu’ainsi Rome recouvrerait sa liberté et ses droits. Non seulement il fit cette déclaration ; mais il commençait à la faire mettre aux voix, quand les consuls et les amis de Pompée s’y opposèrent ; le sénat s’en tira en prenant un parti moyen.

LIII. C’était là un témoignage positif des sentiments du sénat, et il s’accordait avec un fait plus ancien. En effet, l’année précédente, Marcellus, cherchant à perdre César, avait, contre la loi de Pompée et de Crassus, proposé au sénat de le rappeler de son gouvernement avant le temps. Marcellus, qui voulait établir son crédit sur les ruines de celui de César, s’efforça vainement de faire goûter cet avis ; le sénat tout entier opina contre lui et se rangea à toutes les opinions qui n’étaient par la sienne. Cet échec n’avait point rebuté les ennemis de César, mais les avait avertis de former des liaisons plus étendues, qui pussent forcer le sénat à approuver leurs desseins.

LIV. Bientôt un sénatus-consulte ordonne à Cn. Pompée et à C. César de fournir chacun une légion pour la guerre des Parthes. Il est évident que ces deux légions étaient enlevées à César seul : Cn. Pompée donna, pour son contingent, la première légion, qu’il avait autrefois envoyée à César, et qui avait été levée tout entière dans la province du dernier. Cependant et bien que les intentions de ses ennemis ne fussent point douteuses, César renvoya à Cn. Pompée cette légion ; et, en exécution du sénatus-consulte, il livra en son nom la quinzième, qu’il avait levée dans la Gaule citérieure. En remplacement de celle-ci, il envoya en Italie (21) la treizième légion pour garder les postes que quittait la quinzième. Il distribua ensuite l’armée dans ses quartiers d’hiver, plaça C. Trébonius dans la Belgique avec quatre légions, et envoya C. Fabius avec le même nombre chez les Héduens. Il pensait qu’il suffisait, pour la tranquillité de la Gaule, que les Belges, le plus courageux de ces peuples, et les Édues, dont le crédit était immense, fussent contenus par des armées romaines. Il partit lui-même pour l’Italie.

LV. Lorsqu’il y fut arrivé, il apprit que les deux légions qu’il avait livrées, et qui, d’après le sénatus-consulte, devaient être menées contre les Parthes, avaient été livrées par le consul C. Marcellus à Cn. Pompée, et qu’elles étaient retenues en Italie. Quoiqu’une telle conduite ne laissât à personne le moindre doute sur les projets tramés contre César, il résolut cependant de tout souffrir, tant qu’il lui resterait quelque espoir de se soutenir par la force de son droit plutôt que par celle des armes (22).


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  1. Aujourd’hui Poitiers.
  2. Aujourd’hui le Puy ou Puech d’Issolu, dans le Quercy (département du Lot).
  3. Arras.