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La Guirlande des dunes/Amours

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Toute la Flandre
Deman (La Guirlande des dunesp. 54-57).

Amours


En ces premiers beaux soirs de Mai,
Ceux qui viennent, parmi les dunes claires,
S’aimer,
Ne songent guère
Qu’à leur amour, pareil au lierre
Le long des murs et des pignons, là-bas.
Ils vont si lentement que leur corps semble las ;
Mais les chardons, mais les mousses, mais les oyats,
Mais tous les menus grains et de sable et de cendre,
Mais la plus humble sente où se suivent leurs pas
À voir leur couple lourd passer
Et s’enlacer
Ne songent qu’à la terre immortelle de Flandre,

Tandis qu’au loin, le haut clocher,
Avec son vieux cadran aux aiguilles hagardes,
Par dessus les maisons et leurs faîtes, regarde.

Fille, et toi, gars d’un village près de la mer,
Aimez-vous fermement, dans la paix vespérale :
L’heure est propice, et seul le vent entend le râle
Que l’ivresse d’aimer arrache à votre chair.
Vous concentrez en vos deux cœurs, la vie
Qui s’est, depuis quels jours, depuis quels temps,
Obstinément, nourrie et assouvie
Aux lisières du sol flamand ;
La dune rude et sa large lumière,
Les champs bordés de buissons roux,
Les petits clos et les pauvres chaumières
S’aiment en vous ;
Ils vous ont faits ce que vous êtes :
Toi, gars rugueux, taciturne et brutal,
Toi, fille saine, éclatante et replète,
Comme un bouquet du clos natal ;
Ils connaissent mieux que vous-mêmes
Les mots jaillis de vos sens affolés :
C’est eux jadis qui les ont révélés
À ceux qui s’aiment,

Depuis qu’en Flandre on a parlé.
Vous vous aimez comme s’aimaient naguère
Ceux d’autrefois qui sont au cimetière,
Vous vous aimez, selon votre âge et votre sort,
Comme vos aïeux bruns aimaient leurs femmes blondes,
Et comme, un jour, s’adoreront encor
Ceux qui seront sortis de vos amours fécondes,
Quand vous serez les morts.

Fille et toi, gars des blancs villages,
Près des dunes, au sable amer,
À l’heure où le soleil vespéral mord les plages,
Marchez à contre vent, dans le soir, vers la mer.
L’existence vous sera dure et violente,
Pour toi, femme, tes fils, pour toi, l’homme, tes flots,
Mais vous avez une âme obstinée et vaillante
Qui sait cacher ses pleurs et tuer ses sanglots.
Vous peinerez, au long des mois et des années,
Dans votre humble logis encombré de filets,
Au bruit d’une marmaille ardente et mutinée
Et votre seul désir et votre seul souhait
Seront que l’âpre et maigre et vorace détresse
Ne morde point votre bonheur jusques au sang :
Ô ce voisin féroce et sournois — l’Océan !

Ô la pêche perdue, et la mort qui se dresse,
Et la vague qui s’enfle, et le ciel qui se tord
Sous les astres cruels des équinoxes d’or !
Vous subirez front buté contre la vie,
Ses longs et lourds assauts de rage inassouvie,
Vous serez des héros et ne le saurez pas ;
Mais la Flandre qui veut que demeure tenace
Sa race,
Surveille et vous admire et vous suit pas à pas ;
Et c’est pourquoi votre clocher, là-bas,
À cette heure où vous passer
Jeunes, ardents et enlacés,
Avec son vieux cadran aux aiguilles hagardes.
Par dessus les maisons du village, regarde.