La Guirlande des dunes/Un Coin de Quai
Un Coin de Quai
Quand, le vent boude et que la dune pleure,
Les vieux pêcheurs, durant des heures,
S’inquiètent à regarder la mer.
Un jus brun mouille leurs lippes ;
Ils se taisent ; rien ne s’entend que, dans leurs pipes,
Le bref grésillement de leur tabac.
La tempête qu’annonce l’almanach
Où donc est-elle ?
Le flot s’apaise et l’hiver se musèle,
Rien ne gronde du côté de la mer ;
Les plus malins secouent la tête
Et se croisent les bras,
Mais néanmoins, comme les autres, attendent
Cette tempête
Qui ne vient pas.
Ils rebouchent, avec des mains très lentes,
Leur petite pipe vidée ;
Et poursuivent en même temps,
Sans l’interrompre un seul instant,
Toujours leur même idée.
Une barque revient au port,
Tranquille ainsi qu’aux jours tranquilles ;
Un long filet traîne à sa quille,
Tout écaillé de poissons morts.
On débarque : aucune nouvelle
Dites, la tempête, quand viendra-t-elle ?
La pipe aux dents, sans souffler mot,
Le pied à nu sur le sabot,
Les vieux pêcheurs toujours attendent.
Ils adorent ce coin de quai
Où s’installent, d’Octobre en Mai,
Les énormes marchandes,
Avec leur établi de bois
Et leurs harengs et leurs anchois
Et leur brasier aux flammes coites,
Dans une boite.
Ils y crachent à l’unisson,
Ils y regardent l’horizon,
Ils y somnolent, ils y bâillent ;
Et leur vieux dos houleux et lourd,
En s’y frôlant et s’y frottant toujours,
Laisse de sa crasse à la muraille.
Et qu’importe que l’almanach
Prédise un grain qui ne vient pas,
Les vieux pêcheurs trouvent prétexte
En son faux texte,
Pour s’attarder encor longtemps
À regarder la mer et les gestes du vent.