La Guzla/L’amante de Dannisich

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Levrault (p. 73-76).


L’Amante de Dannisich.


l.

Eusèbe m’a donné une bague d’or ciselée1 : Wlodimer m’a donné une toque rouge2, ornée de médailles ; mais Dannisich, je t’aime mieux qu’eux tous.


2.

Eusèbe a les cheveux noirs et bouclés : Wlodimer a le teint blanc comme une jeune femme des montagnes ; mais Dannisich, je te trouve plus beau qu’eux tous.


3.

Eusèbe m’a embrassée, et j’ai souri : Wlodimer m’a embrassée, il avait l’haleine douce comme la violette. Quand Dannisich m’embrasse3, mon cœur tressaille de plaisir.


4.

Eusèbe sait beaucoup de vieilles chansons, Wlodimer sait faire résonner la guzla ; j’aime les chansons et la guzla, mais les chansons et la guzla de Dannisich.


5.

Eusèbe a chargé son parrain de me demander en mariage. Wlodimer enverra demain le prêtre à mon père4 ; mais viens sous ma fenêtre, Dannisich, et je m’enfuirai avec toi.


NOTES.

1. Avant de se marier, les femmes reçoivent des cadeaux de toutes mains sans que cela tire à conséquence. Souvent une fille a cinq ou six adorateurs, de qui elle tire chaque jour quelque présent, sans être obligée de leur donner rien autre que des espérances. Quand ce manège a duré ainsi quelque temps, l’amant préféré demande à sa belle la permission de l’enlever, et elle indique toujours l’heure et le lieu de l’enlèvement. Au reste la réputation d’une fille n’en souffre pas du tout pour cela, et c’est de cette manière que se fait la moitié des mariages morlaques.

2. Une toque rouge est pour les femmes un insigne de virginité. Une fille qui aurait fait un faux pas, et qui oserait paraître en public avec sa toque rouge, risquerait de se la voir arracher par un prêtre, et d’avoir ensuite les cheveux coupés par un de ses parens en signe d’infamie.

3. C’est la manière de saluer la plus ordinaire. Quand une jeune fille rencontre un homme qu’elle a vu une fois, elle l’embrasse en l’abordant.

Si vous demandez l’hospitalité à la porte d’une maison, la femme ou la fille aînée du propriétaire vient vous tenir la bride du cheval, et vous embrasse aussitôt que vous avez mis pied à terre. Cette réception est très-agréable de la part d’une jeune fille, mais d’une femme mariée elle a ses désagrémens. Il faut savoir que, sans doute par excès de modestie et par mépris pour le monde, une femme mariée ne se lave presque jamais la figure, aussi toutes sont-elles d’une malpropreté hideuse.

4. Sans doute pour la demander aussi en mariage.


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