La Harpe d’Armorique/Note

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La Harpe d’ArmoriqueAlphonse Lemerre, éditeur1 (p. 221-224).

NOTE

Après une trop longue absence, l’auteur de ces poésies venait de rentrer en Bretagne et dans un village souvent habité par lui : son arrivée y fut à peine connue, que d’anciens amis, des jeunes filles, des enfants déjà grandis accoururent à sa maison ; et quelques-uns, comme pour avertir qu’ils étaient toujours des siens, se mirent à chanter le refrain d’une de ses chansons : Nous sommes toujours Bretons, les Bretons race forte. Est-il salut plus courtois et plus doux à l’oreille d’un barde ? Ici ce n’est point l’amour-propre qui était heureux. — Il fallait citer ce souvenir à ceux qui s’étonneraient qu’on écrivit encore dans une langue si peu répandue.

Pour ce qui est de sa valeur scientifique et originelle, la langue bretonne n’a plus besoin d’être défendue. Après les travaux de notre grammairien Le Gonidec, on a l’important mémoire de M. Pictet, de Genève, sur l’Affinité des langues celtiques avec le sanscrit, mémoire couronné par l’Académie des inscriptions. Notre langue n’a donc plus que des ennemis politiques.

Cependant une doctrine un peu large pourrait accepter, en regard même de la France, cette variété du génie breton. Il est peu logique, quand tous les vieux monuments sont avec tant de soins conservés, de détruire une antiquité vivante. La conservation de notre idiome importe à l’histoire générale des langues, et en particulier à la langue française, qui y trouve une de ses principales sources : sans nos vieux dialectes, les temps primitifs de la Gaule sont en partie inexplicables. Cette conservation, dis-je, qui peut être désirée par une politique et une philosophie éclairées, le serait certainement par tous les historiens et les philologues. Qu’on veuille donc bien ne pas dédaigner ce petit livre !

Plusieurs de ces chansons bretonnes, imprimées sur des feuilles volantes, étaient, comme on l’a vu, depuis longtemps répandues dans nos campagnes : l’accueil qu’elles y ont reçu a permis d’en faire une édition nouvelle, accompagnée cette fois d’une traduction française.

Toute littérale, cette traduction s’est efforcée de reproduire les tournures, sinon l’harmonie, des vers celtiques, dont les fréquents diminutifs et les syllabes molles dans les choses douces, les sons gutturaux et retentissants dans les choses fortes, ne trouveraient guère d’équivalents ; mais, à côté du sens exact, elle pourra fournir avec quelque intérêt une facile comparaison des deux langues.

Quant aux chansons mêmes, elles contiennent, il semble, dans leur cercle restreint, assez de variété pour exprimer les sentiments qui de nos jours animent la Bretagne et la font aimer.

Les trois formes de notre poésie lyrique sont le Barzonek ou Kanouen qui répond à l’ode, — le Gwer ou chant historique, — et le Son, ou chant d’amour, de danse, de satire. Ne sont-ce peint tous les tons de la poésie ?

Maintenant, qu’à cette poésie l’on compare celle des campagnes dites civilisées et, par les plaisirs des intelligences, qu’on juge des populations !

Surtout que ne devra-t-on conclure, si à la langue sans nom parlée dans ces campagnes l’on compare l’idiome d’Armorique dont les lois délicates et la savante grammaire sont naturellement suivies par le moindre laboureur ?

Il faut le déclarer cependant, tant pour la pureté même de la langue que pour le choix des sujets, la poésie contemporaine, sauf d’honorables exceptions, avait bien dégénéré des anciens chants nationaux.

Raviver à la fois l’âme et la poésie bretonnes, tel fut l’effort tenté, il y a bientôt huit ans, par le premier de ces chants, dans un appel direct aux Bretons : c’était continuer, sous une autre forme, l’œuvre commencée à l’aide de la langue et de la poésie françaises. De plus experts, sinon de plus dévoués, accompliront un mouvement qui s’est déjà répandu.

Avec une nouvelle espérance, osons donc présenter ces essais à nos compatriotes, bons juges de l’influence salutaire de la langue et de la poésie nationales. Oui ! pour tenir à tous les sentiments généraux, comme je l’ai pu dire ailleurs, ne brisons pas les sentiments particuliers où l’homme a le mieux la conscience de lui-même. L’idiome natal est un lien puissant : soyons donc fidèles à notre langue natale, si harmonieuse et si forte au milieu des landes, loin du pays si douce à entendre !


Décembre 1843.