La Hollande depuis 1815

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LA HOLLANDE


DEPUIS 1815.




I.
CRISES POLITIQUES ET FINANCIERES JUSQU'EN 1848.


I. Aanteekeningen over de Grondwet (Observations sur la Constitution), par M. J. R. Thorbecke ; 2 vol. Amsterdam, 1841-1845. — II. Over de hervorming van ons Kieesstelset (De la Réforme de notre système électoral), par le même ; 1842. — III. Bydrage tot de herziening der Grondwet (Observations sur la révision de la Constitution), par le même ; 1848. — IV. Nederlands Financien (Des Finances néerlandaises), par. M. Ackersdyck ; 1842. — V. Grondwetsherziening en eensgezindheid (De la Révision de la Constitution et de l’accord des partis), par M. van Prinsteren ; 1848.




La révolution de février est venue accélérer en Hollande un mouvement de réformes politiques et financières commencé il y a douze ans environ, au lendemain d’une crise longue et douloureuse. Grace à l’accord.d’un peuple calme, plein de bon sens, habitué à ne jamais tenter la voie périlleuse des révolutions, et d’un roi qui, suivant l’exemple de son rival belge, avait pris l’initiative d’une révision des lois fondamentales depuis long-temps réclamée, l’année 1848 a vu se resserrer dans les Pays-Bas les liens qui unissaient la nation à la royauté. Le commerce, les finances de la Hollande, un moment atteints par les désastres de cette année, ont rapidement repris leur marche ascendante. Les événemens de février leur ont même, dans un certain sens, été favorables, et le pays où les protestans français avaient trouvé un asile, où des presses hospitalières reproduisaient à l’envi les écrits des réformés, des jansénistes, des philosophes du XVIIIe siècle, reçut en 1848 les capitaux de la France, ces autres proscrits de l’époque. Le grand livre de la dette publique d’Amsterdam ; le plus lourd de l’Europe après celui de l’Angleterre, se remplit d’inscriptions de rente des capitalistes français. La Hollande ne figure plus aujourd’hui au nombre des premières puissances maritimes. Le temps n’est plus où cette petite nation, de deux millions d’ames avait entamé l’unité de la monarchie espagnole et où cette race de marchands, comme l’appelait dédaigneusement Louis XIV, soldant les coalitions contre le grand roi, lui opposait dans Guillaume III un adversaire acharné ; le temps où la Hollande dictait chez elle des traités de paix et convoquait à La Haye, à Nimègue, à Utrecht les plénipotentiaires de l’Europe. L’ancienne splendeur de la république néerlandaise ne vit plus guère aujourd’hui que dans les souvenirs populaires ; ce sont les ouvriers et les jeunes gens des écoles qui chantent maintenant la gloire de leurs pères ; c’est dans la mémoire des jeunes filles que se conservent les chants nationaux inspirés par les hauts faits de l’héroïne de Harlem[1], le courage du bourgmestre de Leyde[2], les victoires du Taciturne, de Tromp et de Ruyter, les drames sanglans d’Oldenbarneveld et des frères de Witt ; touchante puissance de la tradition qui place dans les cœurs des enfans les souvenirs des morts !

L’époque si féconde en nobles exemples de patriotisme et de courage était celle aussi où Grottus, Bynkershoek, Doneau, banni de la France, traçaient le code des nations, où l’école de Leyde, remplaçant celle de Bologne, recevait les étudians accourus de tous les pays, où les presses de Harlem inondaient l’Europe de livres prohibés, où Amsterdam était le grand marché du change, l’entrepôt du commerce de blé et des produits coloniaux, où les navires hollandais allaient s’affréter dans tous les ports. Deux siècles de cette prospérité maritime pouvaient seuls produire l’énorme accumulation de capitaux qui aida ce peuple parcimonieux à traverser les cinquante dernières années. C’est l’histoire de ce demi siècle, c’est surtout la situation née en Hollande des crises diverses qui l’ont rempli, que nous voudrions retracer. Depuis cinquante ans, la Hollande a traversé victorieusement trois crises formidables, dont chacune aurait pu amener la ruine d’une nation moins confiante dans ses destinées : — 1810, 1830, 1843. À quelles épreuves ces crises ont mis la patience proverbiale et l’infatigable activité du peuple hollandais, par quels efforts il a repris possession de son indépendance en 1815, défendu ses droits contre les puissances protectrices de la Belgique après 1831, rétabli enfin en 1843 ses finances compromises par la perte des provinces flamandes, c’est là un tableau plein d’un sérieux intérêt pour quiconque voudrait se rendre compte de l’attitude ferme et calme de la Hollande au milieu de l’ébranlement, presque général de 1848. La prospérité actuelle de ce pays est en effet le prix de sa lutte vaillante contre des difficultés en apparence insurmontables. C’est grace à cette lutte si courageusement soutenue que l’équilibre est maintenant rétabli dans le budget des Pays-Bas ; une dette publique de près de trois milliards et demi est consolidée ; le crédit repose sur de fortes bases ; la marine de l’état, bien moins nombreuse, est aussi savante, aussi expérimentée que dans ses plus beaux jours ; Java, la reine de l’archipel, la plus riche colonie du monde, fournit aux recettes de la métropole, depuis 1830, plus de 30 millions par an ; elle verse en Europe chaque année 125 millions de produits[3]. Telle est la situation qui a succédé en Hollande à de longues années de crises financières ou politiques dont le récit même fera mieux comprendre l’importance des résultats si chèrement obtenus.


I – 1810 – DOMINATION FRANCAISE. – LE ROYAUME-UNI DES PAYS-BAS. – 1830.

La domination impériale a laissé en Hollande de tristes et ineffaçables souvenirs. Dans presque toutes les contrées de l’Europe, la haine que ce régime excitait parmi les nations opprimées a fait place à une vénération profonde pour le conquérant, qui, en subjuguant les peuples, les initiait aussi aux bienfaits de l’unité administrative et aux saintes idée s de la révolution. En Hollande pourtant, la domination française s’est signalée par des rigueurs que rien ne saurait faire oublier ; des exactions de toute espèce, des levées continuelles d’hommes et d’argent, ont fait, des années comprises entre 1810 et1815, la période la plus triste peut-être des annales de la Hollande. Napoléon, comme Louis XIV, ne voyait dans la nation hollandaise qu’un peuple de marchands et la pressurait pour en faire sortir de l’or. Les marins hollandais durent endosser l’uniforme pour aller grossir les armées impériales. Près d’un milliard fut tiré des Pays-Bas en quelques années. La réduction de la dette publique, plus tard la banqueroute jetèrent dans la misère des milliers de familles opulentes. La perte des colonies, la ruine du commerce transatlantique tarirent les sources mêmes de la prospérité du pays, et la flotte resta enfermée dans le Texel, bloquée par les escadres anglaises, qui ne laissaient sortir aucun navire.

En même temps qu’elle enlevait à la Hollande, son commerce, la domination française la menaça dans son existence on sait quelle est la situation exceptionnelle de ce pays, comment il existe séparé de la mer par des digues dont la seule barrière le défend chaque jour contre l’invasion de l’Océan. Une telle situation exige une surveillance toute locale. Aux temps de la république néerlandaise, des administrations spéciales, appelées Heemradschappen, étaient chargées de veiller à l’entretien, à la réparation des digues et à la surveillance de la mer. À cet ennemi incessant ; si proche, si dangereux, qui pouvait par une brèche d’un jour inonder la moitié d’une province, il fallait opposer des agens hollandais vivant sur les lieux, libres d’agir à l’heure même et maîtres d’arrêter le danger aussitôt qu’il s’annonçait. Le gouvernement impérial, qui apportait en Hollande les idées de la centralisation française, ne comprit pas l’importance vitale d’une institution semblable. Les ministres qui, du fond de Paris, avaient à veiller sur les intérêts des populations néerlandaises, laissèrent, sans nul souci, l’Océan miner et ronger les digues de la Hollande : l’institution si utile, si indispensable du Waterstaat tomba en oubli.

Cette coupable négligence, ces levées continuelles, ces incessantes demandés d’argent devaient finir par lasser par énerver la Hollande, à la décadence du pays serait venue peut-être s’ajouter l’émigration de nombreuses familles riches et influentes, mais l’amour de la patrie les retint sur ce sol marécageux et humide. Aussi, quand, dans les premiers jours de mars 1813, le prince d’Orange vint débarquer sur la plage de Scheveningen, il rencontra une population toute dévouée à sa cause, et fut, comme jadis son illustre ancêtre. Guillaume le Taciturne, salué du nom de libérateur ; l’ancien cri populaire : Orange dessus (Oranje boven), parcourut le pays comme un frisson électrique. La royauté fut proclamée aux applaudissemens de la nation reconnaissante, les troupes françaises durent évacuer le pays après la défaite sanglante d’Alkmar, et le peuple courut, sous la conduite du fils du roi, le jeune vainqueur de Badajoz et de Valladolid, défendre sa liberté reconquise sur les champs de Quatre-Bras et de Waterloo. La chute de l’empire ne fut marquée cependant à Amsterdam et à La Haye par aucun de ces excès de la populace dont la plupart des capitales furent alors le théâtre : la Hollande, en recouvrant son indépendance, garda la dignité d’une nation qui rentre paisiblement en possession de ses droits.

L’oeuvre de la diplomatie commença. Le cabinet anglais cherchait un motif pour ne pas restituer la portion des colonies hollandaises que l’Angleterre avait gardée à titre de séquestre jusqu’au rétablissement de la paix ; il tenait surtout à conserver cette colonie du cap de Bonne-Espérance, objet des éternels regrets de la Hollande. Il proposa donc l’établissement du royaume-uni des Pays-Bas, barrière puissante destinée à contenir l’ambition de la France : l’Angleterre offrait à son ancienne rivale la robe de Déjanire. L’offre fut malheureusement acceptée. Deux peuples séparés par les traditions de trois siècles, par la religion, par leurs mœurs, par des intérêts et des besoins différens, se trouvèrent liés par les traités pour commencer une longue lutte qui devait aboutir à une brusque et violente séparation. Ailleurs, ces accouplemens de nationalités opposés ont provoqué de douloureux conflits qui viennent de temps en temps se révéler à l’Europe par les tressaillemens d’une nationalité expirante : ici ; la réunion de deux nationalités également puissantes aboutit à une catastrophe dont la Hollande n’a pu se relever qu’après des efforts désespérés et au prix des plus grands sacrifices.

Le roi Guillaume, suivant le système dominant à cette époque, entreprit la fusion des deux peuples contre les vœux d’un puissant parti hollandais, qui demandait pour les provinces belges et la Hollande une administration séparée. Ce roi, long-temps considéré comme un des souverains les plus sages et les plus éclairés en Europe, résumait en lui, à un degré éminent, les qualités de sa nation. À un esprit exclusif, mais droit et juste, il joignait un caractère énergique, des habitudes simples et parcimonieuses, le goût et le génie des entreprises commerciales : il était aimé et vénéré par son peuple, qui le comparait à son illustre aïeul, le Taciturne, dont il avait pris la devise : Je maintiendrai. Il était accessible à tout le monde. Souvent, pendant ses promenades, au bois qui borde la capitale, les plus humbles de ses sujets s’adressaient à lui et l’entretenaient de leurs intérêts : on voyait, les jours d’audience, des paysans frisons arriver de l’extrémité du royaume pou r consulter leur monarque sur les affaires de famille, et les étudians, au sortir des écoles, venir à La Haye pour présenter au roi leurs thèses doctorales. Un long exil avait mûri ce caractère ferme et solide : Guillaume apportai sur le trône un esprit modéré et tolérant, une activité prodigieuse, une volonté persévérante, qui se raidissait contre les obstacles. Cette ténacité fatale, au sortir d’une époque de bouleversemens et de révolutions, devait amener une violente scission dans le royaume et plus tard, l’abdication d’un prince dont le règne, en des temps plus calmes, eût marqué parmi les plus prospères de l’histoire.

Guillaume, en prenant possession du trône des Pays-Bas, trouvait la Hollande presque épuisée par vingt ans de guerres et de révolutions. Il fallait faire renaître ici prospérité, le travail dans ces contrées dévastées ; il fallait, concilier des intérêts hostiles de la Belgique et de la Hollande, — La Belgique, pays agricole et industriel. – la Hollande, pays essentiellement commerçant. La fusion de ces intérêts hostiles ne pouvait s’opérer qu’au prix de nombreux sacrifices imposés aux provinces du nord. Contre les vœux de ces dernières, qui réclamaient la liberté commerciale, un système fort compliqué de douanes fut établi pour protéger l’industrie belge naissante ; un vaste débouché lui fut assuré dans les colonies hollandaises, ou elle ne rencontrait aucune concurrence. Les capitaux d’Amsterdam vinrent alimenter les fabriques de Gand et de Bruges. Le roi créa, en 1824, la Société de commerce néerlandaise, avec la mission d’encourager l’industrie nationale. Sous l’influente de cette société, dont le roi se fit le principal actionnaire, on vit se multiplier des établissemens utiles. Le port d’Anvers, où Napoléon avait creusé des bassins gigantesques, retrouva une prospérité qui rappelait ses anciens jours il s’agrandit aux dépens de Rotterdam et d’Amsterdam. La vie et le mouvement se communiquèrent bientôt aux autres parties de la Belgique. Bruges et Gand virent renaître ces temps glorieux du XVe siècle, où elles étaient les premières villes industrielles du Nord. Après quinze ans d’efforts, Guillaume, profondément versé dans la science économique, était parvenu à faire partager à son royaume, et surtout aux provinces belges ce goût des vastes spéculations qui l’animait lui-même, et, de l’aveu des adversaires de ce prince, la Belgique n’avait jamais joui d’une prospérité plus complète que depuis sa réunion à la Hollande.

Cette prospérité provoqua malheureusement chez le roi Guillaume un excès de confiance dans l’efficacité de sa politique de fusion, et le prince qui réussissait si bien à rétablir l’industrie, à fonder l’unité matérielle des deux pays sur des avantages communs, entreprit une tâche plus ardue, celle de créer leur unité administrative et politique. Ici Guillaume se heurta contre des difficultés, contre des obstacles insurmontables. Il crut que la prospérité industrielle de la Belgique lui garantissait son attachement : il se trompait. Les peuplés oublient vite les services rendus à leur industrie, à leur commerce, quand ils se croient blessés dans leurs idées et quand ils sont travaillés par l’esprit d’agitation. Le roi, de son côté, se rappelait trop volontiers peut-être que la Belgique lui avait été cédée à titre onéreux, et sans être despote, sans être porté à des mesures violentes, il fut amené par l’attitude des provinces belges à modifier promptement les dispositions conciliantes qu’il avait d’abord manifestées.

L’introduction en Belgique d’une constitution destinée dans le principe à la Hollande seule souleva déjà des réclamations. Cette introduction s’opéra d’une façon peu régulière. Les notables furent convoqués à Bruxelles pour voter l’adoption de la loi fondamentale[4]. Sur 1323 notables qui avaient comparu, 527 votèrent pour l’adoption, 796 contre. Placé dans l’alternative de reprendre son projet ou de l’imposer à la Belgique, le gouvernement eut recours à un singulier expédient. Il considéra comme ayant voté le projet les. 289 notables qui n’étaient pas venus. À ces 289 le gouvernement joignit les 126 catholiques qui avaient rejeté le projet à cause de l’article qui proclamait la liberté des consciences. Par ce calcul commode, la loi fondamentale fut déclarée votée[5]. On accorda aux provinces méridionales[6] et aux provinces septentrionales le même nombre de représentans. La deuxième chambre des états-généraux se partagea dès-lors en deux camps égaux : les représentans du nord votèrent, d’ordinaire avec le gouvernement, ceux du midi votèrent systématiquement contre. Pour se former une majorité, les ministres n’avaient qu’à détacher quelques membres de la phalange belge.

Les provinces méridionales, blessées dans leur orgueil par l’application qu’on leur faisait de la charte hollandaise, trouvèrent un nouveau sujet de plainte dans un édit du roi, qui prescrivait l’emploi exclusif de la langue hollandaise dans les tribunaux. Tout Belge aspirant aux fonctions publiques était même tenu de savoir le hollandais. Cette injonction prêtait d’autant plus au blâme, qu’un des principaux griefs de la Hollande contre le régime impérial avait été précisément une mesure analogue à celle de l’emploi forcé de la langue néerlandaise dans tous les actes publics. Diverses circonstances devaient concourir d’ailleurs à entraver en Belgique l’exéclition de l’édit royal. Le flamand, qui ressemble au hollandais au point que les deux idiomes forment presque une seule et même langue, avait cessé d’être parlé par les classes élevées, et ne s’était conservé que dans les classes inférieures des deux Flandres.

Dans la distribution des emplois publics, le gouvernement hollandais ne se montra guère plus adroit ; il favorisa, ouvertement les Hollandais au détriment des Belges. La statistique des fonctionnaires du gouvernement que la presse flamande publia en 1829 devint une arme redoutable contre l’autorité du roi Guillaume ; mais une faute plus grave encore que les précédentes devait rendre toute conciliation impossible entre les Hollandais et les patriotes belges. Le roi s’attaqua imprudemment à la question de l’enseignement, et s’attira l’hostilité du clergé belge. L’enseignement supérieur hollandais jouit d’une ancienne réputation bien établie. De savans rapports l’ont fait connaître en France[7]. Le gouvernement voulait étendre à la Belgique les bienfaits de ce système si libéral. Il appela à grands frais des contrées voisines des professeurs illustrés dans toutes les branches de la science, et il fonda les trois universités de Louvain, de Gand et de Liège ; mais il heurta de front le clergé et provoqua sa résistance. Ce fut à l’occasion de l’érection d’un collège philosophique à Louvain, créé par décrets du 14 juin et du 11 juillet 1825, que la lutte commença. Le clergé vit d’un mauvais œil ce renouvellement d’une pensée de Joseph II, l’élève et l’ami des philosophes du XVIIIe siècle. L’empereur d’Allemagne avait trente-cinq ans auparavant, supprimé les séminaires des évêques en les remplaçant, par un séminaire général. Guillaume, roi protestant, reprenait cette voie dangereuse. En imposant la fréquentation de son collège philosophique, inauguré dans la même salle où l’avait été le séminaire général, aux jeunes gens qui se destinaient à la carrière cléricale, il froissait cruellement les évêques, qui, malgré trente-cinq ans de révolutions ; n’avaient perdu en Belgique ni leur position, ni leur influence, ni leurs prétentions. Il s’engageait en même temps sur le terrain brûlant de l’antagonisme religieux des deux pays. Depuis le XVIe siècle, la Hollande avait été un des ardens foyers du protestantisme. La haine à la fois nationale et religieuse de Philipe II, Espagnol et catholique, avait amené l’émancipation des provinces-unies. Plus tarde, la foi protestante avait, il est vrai, divisé les réformes néerlandais et les avait partagés en nombreuses sectes ; mais toutes ces sectes se réunissaient dans une même haine contre le catholicisme, l’ennemi commun. En Belgique, au contraire, comme sous Philippe II, toute la nation était restée catholique et un soulèvement général avait accueilli les réformes tentées par l’héritier de Marie-Thérèse. Guillaume avait compris si bien cette dangereuse différence, qu’il avait proclamé le premier dans la foi fondamentale l’égalité des deux religions. Malheureusement, après avoir à grand’ peine calmé l’agitation provoquée par les anathèmes de l’évêque de Gand, Maurice de Broglie, qui foudroyait cette tolérance de la constitution, il rouvrait lui-même la porte aux luttes religieuses par la création de son collège philosophique. Le clergé ne lui pardonna pas. Il se crut attaqué dans ses prérogatives, et il considéra le nouveau roi des Pays-Bas comme un ennemi dangereux de l’église romaine ; vainement Guillaume s’efforça plus tard de le rattacher à ses intérêts, en négociant avec la cour de Rome le concordat de 1827. Les évêques acceptèrent le concordat, mais ils se souvinrent de l’outrage.

À partir de ce moment, les deux grands partis qui déjà divisaient la Belgique, les catholiques et les libéraux, se donnèrent publiquement la main contre le roi. L’union fut cimentée à Liége à l’occasion d’un procès de presse intenté au journaliste de Potter. Les deux partis se firent des concessions réciproques : le clergé travailla en faveur des pétitions radicales ; libéraux devinrent les champions de la liberté de l’enseignement et de la séparation de l’église et de l’état. Le roi Guillaume eût-il pu prévenir cette coalition redoutable, soit en s’appuyant sur les libéraux contre le clergé, soit en soutenant le clergé contre les libéraux ? c’est ce qu’il est assez difficile de décider. En se livrant exclusivement à l’un ou l’autre parti, Guillaume eût été placé dans la double alternative d’abandonner entièrement l’enseignement de la jeunesse au clergé et de se faire l’instrument de tous ses voeux, ou de redresser tous les griefs des libéraux, et d’ouvrir ainsi la brèche à la fraction révolutionnaire. Les hommes qui composaient cette minorité du parti libéral se seraient emparés de chaque concession pour en demander de nouvelles. L’alliance des libéraux était donc dangereuse, l’alliance des catholiques ne l’était pas moins. Guillaume ne pouvait se lier avec les papistes (de Roomsche). En satisfaisant toutefois aux exigences de l’un des deux partis, il eût réussi peut-être à contenir l’autre ; il eût retardé au moins la coalition que les catholiques et les libéraux, tour à tour trompés dans leurs espérances, formèrent pour le renverser.

Le redressement des griefs nombreux que le souverain hollandais avait accumulés en Belgique devint la bannière sous laquelle l’union catholique-libérale commença à agiter les masses. Le rejet par les états généraux de la proposition de M. de Brouckère, tendant à l’abrogation de l’arrêté de 1815 sur la presse, et l’acquittement des cinq accusés pour délits de presse – de Potter, Ducpetiaux, Claes, Jottrand et Coché-Mommers, — furent le signal des pétitions. Soixante-dix mille pétitionnaires, dont les deux tiers (quarante-cinq mille) furent fournis par les Flandre où le clergé est tout-puissant, réclamèrent la liberté de la presse, de l’enseignement, et la responsabilité ministérielle. Les états-généraux votèrent le renvoi des pétitions au gouvernement et appuyèrent plusieurs des points demandés. Cette concession encouragea l’opposition des journaux. Dans les deux camps, on vit surgir partout de nouvelles feuilles, les unes ministérielles, les autres opposantes. Plus de trente procès furent intentés aux journaux libéraux. En même temps que le gouvernement combattait les fureurs de la presse, il se rapprocha du clergé. Il remplit les sièges vacans des évêchés de Gand, de Namur et de Tournay et modifia les décrets relatifs à ce collège philosophique de Louvain qui avait provoqué tant d’orages.

La situation était devenue assez grave pour que le roi sentît le besoin d’observer par lui-même l’état des esprits ; il entreprit donc un voyage dans les provinces méridionales. C est grace à ce voyage que les élections pour le renouvellement partiel des états-généraux furent favorables à la cause ministérielle. Le 11 octobre 1829, Guillaume ouvrit la session par un discours conçu dans un esprit conciliant, et modéré ; mais l’agitation avait pris les devans, et le pétitionnement, après une courte trêve, avait recommencé. Quatre cent mille pétitionnaires vinrent de nouveau frapper aux portes des états-généraux : les Flandres, qui comptaient à peine le tiers de la populations belge, apportaient de nouveau leur formidable contingent des deux tiers des signatures. O’Connell organisait à cette époque (1829) en Irlande l’agitation en faveur de l’émancipation catholique et du rappel de l’union. L’agitation belge se modela sur le repeal irlandais ; elle forma sur une vaste échelle des associations constitutionnelles qui reçurent pour mot de ralliement la séparation administrative. Elle fit paraître dans dix-sept journaux simultanément le projet d’une rente belge : cette rente devait servir à indemniser les membres des états-généraux qui, à cause de leur opposition, viendraient à être privés de leurs emplois rétribués. Du fond de la prison où il se trouvait détenu de nouveau, de Potter proposa la création d’une vaste caisse nationale, espèce d’assurance mutuelle contre les actes du gouvernement qui frapperaient des membres confédérés. On entendait les mêmes cris s’élever en Belgique et en Irlande contre la suprématie protestante. Combien pourtant le sort de ces deux contrées se ressemblait peu ! L’Irlande était traitée depuis deux siècles en pays conquis, appauvri par l’absentéisme, rongée par la famine ; la Belgique, heureuse et florissante comme elle ne l’avait jamais été, se voyait enrichie par un roi dont elle pouvait attendre, en renonçant aux voies révolutionnaires ; le redressement de tous ses griefs.

Le gouvernement hollandais sévit contre l’agitation avec une énergie nouvelle. Un message royal, après avoir énuméré les nombreux bienfaits, les intentions honnêtes de Guillaume Ier, signala aux états-généraux généraux les licences de la presse. M. van Maanen, ministre de la justice, invita par une circulaire les avocats-généraux, les directeurs de police et les fonctionnaires de l’ordre administratif à adhérer à ce message et à redoubler d’activité. Un grand nombre de bourgmestres et d’assesseurs furent destitués. La haute-cour de justice fut transférée de Bruxelles à La Haye. En même temps, le roi fit une dernière avance aux partis : l’usage de la langue néerlandaise dans les tribunaux et la fréquentation du collège philosophique furent rendus facultatifs ; mais cette concession était insuffisante. Frappée dans la presse, l’union s’agita dans l’ombre, et prépara, par les voies auxquelles elle avait donné le nom d’irlandisme, un vaste complot dont le but était, avec le renversement de la monarchie, l’avènement de la république fédérative des provinces méridionales.

Ce fut dans cette situation que la nouvelle des événemens de juillet vint surprendre les partis. Le clergé redoutait qu’une révolution ne jetât la Belgique dans les bras de la France, insurgée contre la congrégation et les jésuites. Le parti patriote ou libéral, qui, rêvait une république fédérative, vit d’un mauvais œil l’établissement de la monarchie de juillet. Les chefs des partis interrompirent leurs menées ; mais il était trop tard : les masses, qu’ils avaient agitées, travaillées par des émissaires venus de Paris, commencèrent à se remuer. Le jour anniversaire de la naissance du roi, le 26 août 1830, vit éclater à Bruxelles une insurrection dont les détails et les résultats sont trop connus pour que nous ayons à les exposer ici. On sait quelle fut la noble et loyale conduite du prince d’Orange dans ces difficiles circonstances. Il se rendit seul au milieu de la ville insurgée, et obtint des autorités de la ville des propositions qu’il se hâta de porter à La Haye ; mais, pendant son voyage, pendant les hésitations des états-généraux, appelés à délibérer sur les propositions de Bruxelles, l’insurrection, un moment apaisée, se réveillait dans cette ville avec plus de force. Les troupes hollandaises, commandées par le prince Frédéric, qui dans cette circonstance montra une indécision fâcheuse se retiraient après une lutte sanglante contre les volontaires belges. En allant à Londres pour invoquer l’intervention des puissances signataires des traités de 181 5, le prince d’Orange proclamait à Anvers d’importantes concessions qu’on désavouait plus tard à La Haye. À peine aussi, quittait-il Anvers, que le général Chassé lançait des bombes sur la ville, et précipitait par son impatience belliqueuse le dénoûment du drame. Les boulets hollandais qui tombèrent dans la riche cité flamande brisèrent du même coup le sceptre et la couronne de la maison de Nassau-Orange, et le congrès national, convoqué à Bruxelles, prononça l’exclusion à perpétuité de tous ses membres.

Le bombardement d’Anvers avait paru d’autant plus odieux aux Belges, qu’ils l’imputaient à une rancune commerciale : c’était Rotterdam, c’était Amsterdam qui brûlaient les riches entrepôts de la reine des Flandres et se vengeaient de sa prospérité de quinze ans. Aujourd’hui la trace des bombes est effacée, les maisons d’Anvers ont réparé le sanglant sillon creusé par les obus du général Chassé ; mais le démembrement du royaume des Pays-Bas a porté à la ville flamande le coup le plus terrible. Rotterdam et. Amsterdam se sont relevées à ses dépens : les rues d’Anvers sont tristes et désertes, les chantiers sont inoccupés ; le port est sans vie et sans mouvement. Les étrangers n’y viennent plus que pour admirer les merveilles de l’art flamand, les belles toiles de Rubens et la masse imposante de la cathédrale, dont la flèche apparaissait comme un phare aux navires qui arrivaient en Europe chargés des riches cargaisons de Java. Devant le morne aspect d’Anvers, l’esprit se reporte involontairement à une autre ville, comme elle reine jadis et comme elle déchue. Nous voulons parler de Venise. À côté de l’ancienne reine de l’Adriatique s’élève Trieste, qui lui a enlevé cette couronne dont elle était si fière ; c’est dans Trieste que le gouvernement autrichien a transporté la splendeur de la ville des doges. Le gouvernement néerlandais, avait été plus généreux pour Anvers ; il avait fait renaître et maintenu pendant quinze ans dans la ville flamande, au préjudice de Rotterdam et d’Amsterdam, une prospérité dont cette grande cité avait perdu le souvenir. C’est là, pour Guillaume Ier, un titre de gloire que les torts de son gouvernement vis-à-vis des provinces belges n’auraient pas du leur faire oublier.


II. – LE ROYAUME DES PAYS-BAS APRES LA REVOLUTION BELGE. – CRISE FINANCIERE.

Après les événemens de Bruxelles, le roi Guillaume avait le choix entre trois politiques. Il pouvait, en faisant droit aux griefs des provinces méridionales, chercher à y calmer les esprits ; il pouvait, en reconnaissant l’indépendance belge comme un fait accompli, essayer d’en retirer le plus d’avantages possibles ; il pouvait enfin refuser toute espèce de concession, et tenter de ramener par la force les populations insoumises. Le pays s’était prononcé successivement en faveur du premier et du second parti ; Guillaume s’arrêta au dernier.

La Hollande se réjouissait de voir enfin se briser cette alliance forcée, cette union factice, gênante pour les deux pays, mais surtout pour le royaume néerlandais, qui avait été constamment réduit à négliger ses propres intérêts. Amsterdam et Rotterdam voyaient avec satisfaction se relever les barrières qui avaient tenu l’Escaut fermé pendant cent cinquante ans. On entendait dire souvent dans ces villes qu’à ce prix Amsterdam seule déposerait volontiers cent millions de florins sur l’auteur de la patrie. Il s’agissait cependant de s’entendre avec l’Europe sur la conduite à tenir dans une question qui intéressait si directement son équilibre. Le prince d’Orange, nous l’avons dit, s’était rendu à Londres pour y consulter les quatre puissances signataires des traités de 1815. Dès ses premiers pas, il y rencontra des dispositions peu favorables.

La première en 1815, l’Angleterre avait mis en avant l’idée du royaume-uni des Pays-Bas, dans l’intention d’en faire une tête de pont sur le continent, un entrepôt des marchandises britanniques ; mais elle avait changé brusquement de politique lorsque l’industrie belge, alimentée par les capitaux Hollandais, appuyée sur les vastes opérations de la Société de commerce, en était venue à lui causer plus d’alarmes encore que jadis le commerce hollandais lui-même. Elle travailla donc à défaire ce royaume avec la même ardeur qu’elle avait apportée à le fonder. Le cabinet de Londres unit sa politique à la politique française pour détruire l’œuvre de 1815. Les cours du Nord se montrèrent disposées à oublier les justes, les légitimes réclamations du roi de Hollande, afin d’avoir les mains plus libres dans leurs propres affaires. La conférence de Londres, après avoir imposé un armistice au roi, prononça, le 20 septembre, le démembrement du royaume des Pays-Bas et posa, les 20 et 27 janvier 1831, les préliminaires des dix-huit articles.

Les travaux de la conférence et la longue résistance du roi de Hollande aux protocoles de Londres sont des faits connus, sur lesquels nous n’avons point à insister. Le roi protesta contre les préliminaires de la séparation ; le congrès belge les accepta. Le prince d’Orange fit alors la glorieuse campagne du mois d’août et prit sur les bords de la Sambre une éclatante revanche sur le prince qui avait été deux fois son rival[8]. Après cette campagne, les fameux vingt-quatre articles vinrent remplacer les préliminaires de janvier : ils partagèrent entre la Belgique et la Hollande le Limbourg, le Luxembourg, qui, en 1815, avait été adjugé au roi Guillaume en échange de ses principautés héréditaires de Dietz, Dillenbourg, Siegen et Hadamar, et mirent à la charge de la Belgique un tiers de la dette commune. Le roi résista : il invoqua la foi des traités. Il espérait que la complication des affaires générales lui fournirait une occasion favorable pour ressaisir les provinces belges, où il avait conservé un nombreux parti. Les souffrances de Gand, de Bruges, de Verviers, d’Anvers, les émeutes dont ces villes furent le fréquent théâtre, la décadence rapide de leur industrie, de leur commerce, naguère si prospères, attestaient la puissance du parti orangiste en Belgique. Guillaume, en résistant aux protocoles de Londres, avait donc pour lui son bon droit, la situation incertaine de l’Europe, le grand nombre des intérêts avaient été atteints par la révolution ; mais il se trompa dans ses prévisions : la paix générale fut maintenue, grace à la sagesse du roi Louis-Philippe, et, comme si elle av ait choisi la malheureuse Hollande pour lui faire subir tous les fléaux de la révolution réprimée ailleurs, la conférence adopta contre elle des mesures coercitives et énergiques. Une armée française prit la citadelle d’Anvers, une flotte anglaise bloqua l’Escaut. La conférence assura à la Belgique les avantages du statu quo, l’intégrité territoriale du Luxembourg et du Limbourg, le non-paiement de huit millions et demi d’arrérages, la libre navigation de l’Escaut.

Ce dernier point fut capital pour la Hollande : c’était par l’article 3 surtout que le gouvernement néerlandais motivait sa longue résistance au traité du 31 novembre. Il faut remarquer, en passant le courage, le dévouement que la Hollande avait apportés depuis tant d’années dans la défense d’une cause qui, après tout, loin d’être nationale, n’était que celle de son roi, et lui imposait des sacrifices sans nombre. Cette admirable patience était enfin à bout. Le pays succombait sous le fardeau d’un état armé hors de toute proportion avec ses ressources ; les impôts atteignaient un taux inoui, chaque année grossissait le chiffre de la dette publique, les pertes du commerce étaient immenses, et cependant la nation ignorait encore l’étendue des sacrifices que le gouvernement lui prépara préparait à son insu. Ce qu’elle savait de ses pertes l’avertissait trop clairement des dangers qu’entraînait pour elle la prolongation d’un si triste état de choses. Elle reprochait aux états-généraux l’adhésion qu’ils accordaient avec une imprudente facilité aux demandes du gouvernement ; on allait jusqu’à accuser les députés néerlandais de toucher les dividendes de la dette belge, toujours votés par eux. Les états-généraux, sous l’impression de ces reproches, commençaient dès 1835 à témoigner de la résistance ; ils insistaient sur la nécessité de reprendre à Londres les conférences interrompues depuis plusieurs années, malgré les allégations du gouvernement, qui s’efforçait de démonter que cette interruption ne provenait pas de son fait. À la session de 1837, les députés ne votèrent plus les impôts qu’à la condition expresse que le gouvernement donnerait une solution pacifique à une situation devenue intolérable.

Le roi se vit enfin contraint de céder et de renoncer à un système suivi depuis huit ans avec une incontestable habileté : il reprit les négociations en faisant proposer à la conférence un arrangement provisoire, analogue à celui qu’elle avait offert elle-même en 1834. Cet arrangement devait avoir pour résultat de faire exécuter les clauses stipulées par les vingt-quatre articles, sans lier les deux parties engagées et sans préjudicier à leurs droits respectifs. La proposition, malgré les efforts du gouvernement auprès de la conférence, fut à peine écoutée par la Russie. La Prusse et l’Autriche répondirent qu’avant tout la question du Luxembourg devait être résolue en faveur de la diète allemande ; enfin la conférence déclara qu’elle ne pouvait accepter une pareille proposition, son intention étant de fonder un état de choses définitif et non provisoire. De guerre lasse, le roi, abandonné par les états-généraux, qui refusèrent de se prêter à la reprise d’une campagne de dix jours, abandonné par les cours du Nord, cédant aux conseils du roi de Prusse, son beau-frère, se résigna et fit présenter à Londres une note qui contenait l’acceptation pure et simple des vingt-quatre articles. « Le roi, est-il dit dans cette note, constamment trompé dans son juste espoir d’obtenir de meilleures conditions pour ses sujets par la voie des négociations, s’est convaincu qu’il leur devait cette preuve unique de sa sollicitude constante pour leur bien-être, par une acceptation pleine et entière des conditions de séparation que les cinq puissances avaient déclarées définitives et immuables. » Le ministre des affaires étrangères, en présentant aux états-généraux le rapport sur l’acceptation du traité, le terminait dans les termes suivans : « La postérité ne se trompera pas sur le véritable caractère des événemens dont les effets ont ébranlé si profondément les Pays-Bas et l’équilibre européen. Ils portent le cachet funeste d’une politique dénuée de principes et ils présagent les catastrophes qui les ont suivis. »

On touchait au dernier acte de ce long drame qu’avait rempli la lutte obstinée du gouvernement hollandais contre la diplomatie de l’Europe. Aussitôt après la réception de la note du 14 mars, plusieurs membres de la conférence voulurent procéder à la signature du traité avec les plénipotentiaires néerlandais, en réservant seulement les articles relatifs à l’indemnité territoriale de la diète allemande, mais la Belgique réclama. Diverses circonstances survinrent alors et retardèrent la reprise des conférences jusqu’au mois de juillet 1838. Ce délai fût fatal à la Hollande. L’acceptation de Guillaume avait tiré la Belgique de cet heureux statu quo dont insensiblement elle avait oublié le caractère provisoire. La Belgique s’était habituée à la jouissance intégrale du Luxembourg et du Limbourg, à l’absence de tout péage sur l’Escaut ; au non-paiement des arrérages qui avaient été mis à sa charge. Elle réclamait donc à la fois contre les stipulations territoriales et financières du traité ; elle insistait sur ce qu’avait de pénible pour elle la nécessité de se séparer de ses frères du Luxembourg et du Limbourg après tant d’années d’existence commune ; elle faisait valoir les calculs erronés qui avaient servi de base à la partie de la dette mise à sa charge, l’énormité des sacrifices que l’état armé lui avait imposés. Ses réclamations étaient sans fondement : à quel titre pouvait-on arracher à la Hollande des territoires qui ne lui avaient été concédés qu’en échange d’autres possédés anciennement ? Les sacrifices n’avaient-ils pas été bien plus considérables du côté de la Hollande, sur laquelle était retombé le fardeau entier de l’état de guerre, tandis que la Belgique, protégée par les armées de la France et les flottes de l’Angleterre, avait trouvé de larges compensations dans les revenus qu’elle retirait des territoires occupés provisoirement, dans la libre navigation des eaux hollandaises, dans le non-paiement de ses arrérages ? La résistance du roi Guillaume avait-elle été illégitime ? L’Angleterre n’aurait-elle pas résisté également à une révolte de l’Irlande ? La Russie venait de châtier la Pologne soulevée ; l’Autriche avait prévenu de même l’insurrection du Milanais frémissant sous le souffle du carbonarisme. La Belgique ne devait-elle pas, sinon le prix de son indépendance, au moins sa part de l’ancienne dette commune ? Mais la Belgique s’était habituée à se voir traitée avec faveur par la conférence ; elle prit une attitude belliqueuse et fut soutenue par le cabinet français. La Hollande en fut alors à se demander de qui elle avait le plus à se plaindre ; ou du cabinet des Tuileries, qui, dans la question belge, s’écartait de son système de justice, de modération habituelle, ou de l’opposition française, qui s’était emparée de la question belge pour la dénaturer, pour la dénaturer, comme la question grecque et comme tant d’autres.

La conférence de Londres ne pouvait revenir sur les clauses territoriales du traité du 15 novembre sans le remettre de nouveau en question ; mais elle consentait à une révision des clauses financière. Elle avait à se décider entre trois voies distinctes : elle pouvait maintenir le à chiffre précédemment arrêté d’un tiers de la dette commune, non seulement comme la représentation de l’ancienne dette des gouvernemens autrichien, français, néerlandais, mais encore comme l’a juste part des charges d’une communauté de quinze ans dont la Belgique avait retiré de nombreux bénéfices ; ou bien, en rejetant le chiffre déjà arrêté, elle devait procéder à une révision complète des rapports financiers bien compliqués des deux pays pour arriver à fixer la part de chacun, tant au moment de la réunion qu’au moment de la séparation. La conférence ne fit ni l’un ni l’autre. La volonté de la France et de l’Angleterre fit écarter l’ancienne base, et prévaloir par voie de transaction un chiffre moyen. Dans sa séance du 18 octobre 1838 les plénipotentiaires, réunis à Londres, rejetèrent le système d’une révision complète de la dette, et adoptèrent celui compensation réciproque ; ils fixèrent la part de la Belgique à la somme de 5 millions de florins en l’exonérant des arrérages échus, qui s’élevaient au chiffre total de 64 millions et demi ; ils décidèrent aussi qu’aucune modification ne serait admise dans les stipulations territoriales. Ces résolutions furent aussitôt notifiées à Bruxelles et à La Haye. Le roi Guillaume avait accepté le traité dans sa rédaction primitive : il pouvait le refuser dans sa rédaction nouvelle. La conférence, dans cette prévision, M. Dedel, qu’en cas de refus du cabinet de La Haye, elle cillerait au maintien de la paix matérielle entre les deux pays ; elle parlait un langage encore plus menaçant à M. van de Weyer. Contre l’attente générale, le roi envoya, dès le 4 février 1839, à ses plénipotentiaires de Londres l’ordre de signer le traité. L’agitation qui régnait alors en Belgique lui faisait peut-être espéré que les clauses en seraient rejetées par les chambres belges ; mais le contraire arriva, le parlement belge accepta le traité les 19 et 26 mars 1839. Guillaume se vit dès lors dans l’impossibilité d’opposer une plus longue résistance à la volonté des cinq puissances, et la question soulevée par les événemens de 1830 à Bruxelles se trouva résolue après un débat diplomatique de près de dix ans.

Si nous avons raconté avec quelque détail ce long débat et les événemens qui l’on précédé, c’est qu’il contient l’origine de la crise financière dont l’heureux dénoûment a préparé la situation actuelle en Hollande. Les sacrifices de ce royaume, nécessités par les lenteurs de la diplomatie européenne avaient été considérables. Après a voir accueilli avec enthousiasme la nouvelle de l’acceptation du traité de Londres par le roi, le pays ne put se défendre d’un sentiment pénible. Le moment était venu de faire le bilan des années qui s’étaient écoulées depuis 1830. Que devenait l’indemnité du Cap et des colonies gardées par l’Angleterre ? Où était l’indemnité, de la dette énorme dont le pays s’était chargé ? Il perdait pour toujours 64 millions de florins que pendant huit ans il avait continué à payer pour le compte belge. Il fallait reporter au grand livre 3,400,000 florins de rentes annuelles, dont le trésor belge venait d’être exonéré par la conférence. L’état de guerre avait augmenté les dépenses ordinaires, d’après les estimations les moins élevées, de 15 millions par an, ou d’un ensemble de 120 millions de florins. Ajoutez les pertes qu’avaient occasionnées au commerce les mesures coercitives de l’année 1832, et enfin toutes celles que lui avaient imposées ces armemens prodigieux, dont il avait entrevu trop tardivement la réduction ; bien des fois annoncée et toujours ajournée.

Tels n’étaient pas toutefois les seuls sacrifices que cette position avait commandés au pays ; il en existait d’autres, secrets, cachés, qui avaient échappé au contrôle des états généraux et à la connaissance du public. Depuis 1830, l’administration financière avait marché dans une voie funeste. Cependant les états généraux étaient peu à peu devenus sévères pour elle ; l’annonce de nouveaux projets de crédit à l’ouverture de la session de 1838 n’avait été accueillie qu’avec une répugnance marquée. Cette fois encore ; le gouvernement avait triomphé des résistances parlementaires. La demande des crédits avait été accompagnée d’une communication officieuse qui garantissait l’adhésion du roi aux vingt-quatre articles. Les états avaient aussitôt voté rapidement les crédits extraordinaires pour l’armée et la flotte ; mais, à la surprise générale, ils avaient rejeté le projet d’une émission de 60 millions de rentes destinés à couvrir de grands travaux publics. Ils répondaient que le moment de ces grands travaux ne leur paraissait pas encore venu. La session suivante, celle de 1839 à 1840, eut un caractère plus sérieux. Les questions soumises à la conférence de Londres étaient définitivement tranchées. Il s’agissait d’adopter une politique appropriée à la situation nouvelle qui était faite, à la Hollande. Ce fut alors qu’une soudaine lumière fut jetée sur des germes de ruine qu’il était impossible désormais de dissimuler.

Le discours du trône, après les assurances ordinaires sur l’état satisfaisant, du pays, sur la prospérité croissante des colonies, sur le maintien du crédit public, annonçait l’intention de procéder aux changemens rendus nécessaires dans la constitution par le démembrement du royaume. Il contenait aussi un passage relatif a certaines mesures financières qu’on se proposait d’appliquer aux produits des possessions transatlantiques. La présentation d’un budget qui ne contenait aucune des réductions que le rétablissement de la paix avait fait espérer, la demande d’un nouvel emprunt de 222 millions sur les produits des Indes, causèrent bientôt l’impression la plus défavorable. Ce qui augmenta l’irritation, ce fut l’aveu fait par le ministre des finances que l’équilibre entre les dépenses et les recettes était rompu, et que pour éviter de graves périls, il était urgent de négocier un emprunt de 222 millions pour opérer certains remboursemens à la charge du département des colonies. On cherchait en vain d’ailleurs dans les projets présentés quelques détails sur les opérations de la caisse d’amortissement (Syndicat). Peu à peu s’élevèrent dans les esprits des doutes que les premières délibérations des états vinrent brusquement changer en certitudes.

C’est la seconde chambre qui eut le triste honneur de mettre le doigt sur la plaie. Dans les délibérations des bureaux, elle constata qu’il résultait des propositions du gouvernement que le trésor devait 80 millions à la Société de commerce, que la caisse d’amortissement avait besoin d’une rente annuelle de 8 millions pour faire face à ses engagemens, que cette rente de 8 millions correspondait à un capital de 160 millions, lesquels, réunis aux 80 millions dus à la Société de commerce, représentaient un capital de 240 millions dépensés par le gouvernement sans autorisation ; que cette manière d’agir était contraire à la loi fondamentale et rendait illusoire le contrôle de la chambre. Le voile était enfin déchiré. Après dix ans de confiance illimitée dans le gouvernement, il demeurait manifeste aux regards de tous qu’une fausse voie avait été suivie dans la question des deniers publics.

C’était le régime des colonies qui avait permis au gouvernement de prolonger cet état de choses qui menaçait d’aboutir à une catastrophe. On connaît aujourd’hui la prospérité merveilleuse de l’île de Java. Java fut encore une des grandes créations du génie commercial de Guillaume Ier. Il fit de la Société de commerce le levier de la production coloniale de cette île, où il envoya le général van den Bosch. Sous son administration intelligente, la production de Java se développa dans des proportions inouies : elle avait plus que doublé depuis 1825 jusqu’en 1835, quadruplé en 1845. Ce progrès si rapide profitait tout entier au gouvernement, qui faisait transporter et vendre les produits de Java par la compagnie générale aux grands marchés de printemps et d’automne à Rotterdam et à Amsterdam. Les bénéfices énormes de ces ventes entraient ensuite dans les caisses du trésor. C’étaient ces belles recettes qui étaient venues au secours de la métropole obérée. Toutefois, malgré leur progression croissante, elles ne pouvaient suffire aux besoins extraordinaires créés depuis 1830. Le déficit avait alors été comblé par des voies artificielles ; on empruntait, on engageait les recettes présentes et futures des colonies pour se procurer des centaines de millions et les soustraire au contrôle des états-généraux.

On se demandera peut-être comment de pareils abus purent s’établir. La constitution elle-même les favorisait. Il existait, dans la constitution un article, l’article 60, qui avait attribué exclusivement au roi l’administration suprême des colonies et possessions de l’état dans les autres parties du monde. Le gouvernement profitait de cet article pour soustraire les colonies à toute espèce de contrôle du pouvoir législatif, pour les monopoliser à son profit, et cette appropriation s’était faite d’abord sans difficulté, sans aucune réclamation des états-généraux. On considérait comme une charge pour le trésor ces colonies, qui, sous la main puissante de Guillaume, allaient rendre la prospérité à la métropole et faire l’objet des éternels regrets de l’industrie belge.

Pour défrayer les dépenses de l’état armé, le gouvernement ajoutait aux recettes des colonies plusieurs opérations que l’institution du Syndiacat (caisse d’amortissement) dut couvrir d’un voile mystérieux. C’est à l’aide de cette caisse, de nombreuses avances faites par la Société de commerce, d’emprunts contractés à la charge des colonies, qu’il se créait des ressources qu’aux yeux du pays la prospérité croissante de Java paraissait seul justifier. Après avoir épuisé toutes les voies pour se procurer des fonds, il fallut enfin avouer la triste réalité. Toutes les caisses de l’état étaient vides, le trésor était en déficit : le gouvernement avait contracté un emprunt pour des travaux publics et employé les fonds à des destinations étrangères ; il n’avait même pas craint, pour faire face à ses dépenses illégales, de porter la main à des fonds qui lui avaient été donnés en dépôt ; en un mot, il était manifeste que le budget officiel, depuis dix ans, avait été inexact et les chiffres qui le composaient groupés à dessein.

Cette terrible situation a trouvé dans les principaux publicistes de la Hollande de fidèles historiens et de sévères appréciateurs. « La couronne, remarque à ce propos M, Thorbecke[9], aujourd’hui ministre, s’appropria les colonies, que long-temps on avait considérées comme dépendant du domaine public… Le gouvernement avait déjà recouru au pouvoir législatif pour contracter des emprunts à la charge des colonies, sous la garantie de l’état. Les dépenses extraordinaires, devenues nécessaires depuis 1830, et la prospérité merveilleuse de nos possessions de l’Inde furent la cause de nouveaux engagemens conclus entre le trésor du pays et l’administration coloniale. De temps à autre, le roi faisait présent au budget de quelques faibles restes des recettes de l’Inde. D’un "autre côté, les chambres votèrent au profit de l’état en Europe, mais en réalité à la charge des colonies, des emprunts s’élevant à des centaines de millions, auxquels le trésor du pays servait de garantie. Ainsi on recourait au pouvoir législatif, quoique contrairement au système suivi jusqu’alors, pour appliquer les recettes des Indes présentes et futures au service des emprunts contractes par le pays, sans que toutefois on eût accordé aux états généraux la faculté de jeter un coup d’œil sur les finances des colonies : on ne voulait pas mettre en lumière ce fait, que les états étaient exclus de toute coopération, régulière à l’organisation coloniale, et réduits à prendre simplement connaissance de l’état des revenus coloniaux. »

Dans un curieux écrit sur les Finances néerlandaises, un autre écrivain[10] faisait, au sujet de la crise financière de 1839, les réflexions suivantes : « Quel est le patriote qui ne serait effrayé en contemplant le long tableau de la mauvaise administration qui a chargé la petite nation néerlandaise de ces centaines de millions dont les intérêts dévorent chaque année les fruits du travail national ? Cette situation funeste ; qui est venue nous surprendre au milieu de la paix et de la prospérité, n’a pas été le résultat de ces désastres extraordinaires qui anéantissent les peuples sans leur faute : elle a été amenée par l’incapacité et la perversité réunies… Si nous voulons échapper à la ruine à laquelle nous touchons de si près, il faut absolument que nous ne nous fassions pas illusion sur le système suivi jusqu’à présent par le gouvernement. Lors de la renaissance de notre indépendance, le montant de notre dette avait été réduit au tiers. Les rentes s’élevaient alors à 13 millions de flor. La riche et industrieuse Belgique fut réunie à nous ; que ne pouvait-on pas attendre des finances d’un pareil état ? Quelques désastres imprévus exigèrent à la vérité des dépenses extraordinaires, mais pas au-dessus de nos forces, et le gouvernement, avec de l’ordre et de l’économie, aurait pu, dans l’espace de quinze ans, sinon éteindre entièrement, au moins diminuer la dette de moitié. Si la Belgique s’était alors séparée de nous, les intérêts des deux pays auraient pu être réglés facilement Si les ressources de la fidèle nation néerlandaise n’avaient pas été dissipées pour des intérêts personnels, nous nous trouverions aujourd’hui chargés d’une dette peu considérable, en possession de nos riches colonies et dans un état de complète prospérité nationale. »

La Hollande entière frémit. Elle avait cru aux merveilles de l’Orient, aux ressources inépuisables fournies par Java, et se vit tout à coup à la veille d’une banqueroute. Les états-généraux ne purent résister à ce cri d’indignation générale qui parcourut le pays comme un frisson électrique. Pour la première fois, ils osèrent montrer une résistance énergique aux demandes du gouvernement. Ils insistaient, sur la suppression de la caisse syndicale, sur une réorganisation de la cour des comptes, sur une révision de la loi fondamentale. Le gouvernement, pour vaincre leur résistance, promit tout ; il promit la suppression de la caisse syndicale, qui, disait-il, ne répondait plus à sa destination depuis la séparation d’avec la Belgique. Le général van den Bosch, ministre des colonies, déclara que la prospérité des colonies auxquelles il avait consacré quarante ans de sa vie, dépendait des emprunts demandés ; que, si la chambre les refusait, elle détruirait toutes les créations du travail le plus persévérants et qu’il ne lui resterait plus alors qu’à donner sa démission. Les efforts du ministère furent inutiles. Le projet d’emprunt fut rejeté après une discussion orageuse (20 décembre 1839). Ce vote devait entraîner nécessairement le rejet des autres parties du budget présenté par le gouvernement. Le ministère cependant, loin de retirer le budget, le maintint dans toutes ses parties, mettant seulement à la place de l’emprunt proposé précédemment un autre emprunt de 31 millions. Ce projet fut rejeté après une coure délibération, dans la séance du 31 décembre 1839 à l’unanimité, moins une seule voix, celle du ministre des finances, M. Beelarts van Blokland. Le rejet du budget des dépenses amena le retrait du budget des voies et moyens et du dernier projet d’emprunt.

Le ministère ne fit rien pour atténuer l’effet moral de sa défaite. Il fallait cependant pourvoir, aux besoins de l’année 1840. Un message du roi fut envoyé aux états-généraux : ce message proposait de maintenir les dispositions du budget de 1839 pendant les premiers mois de 1840, et de combler le déficit au moyen d’un emprunt de 30 millions. Examinée par les bureaux, cette nouvelle demande se trouva dépasser de 12 millions les demandes primitives du ministère. La chambre, tout en communiquant ses observations au gouvernement, consentit à voter le budget de 1839 pour six mois et un emprunt de 12 millions, à la condition expresse que la constitution serait révisée, que cette révision consacrerait la publicité de l’administration des finances et la suppression de la caisse syndicale. Le gouvernement se soumit.

Le ministère avait pris l’engagement de présenter incessamment un projet de révision aux, états-généraux. Il exécuta cette promesse comme il avait exécuté celle des réformes dans le budget Le message royal qui accompagnait les projets relatifs aux modifications de la loi fondamentale, présentés le 30 décembre, disait : « Toujours disposé à contribuer au bonheur du peuple que Dieu a confié à nos soins, nous avons pris en sérieux examen l’opportunité de modifications en dehors de celles que nous faisons présenter aujourd’hui. Après avoir réfléchi sur les suites peu satisfaisantes que de pareilles tentatives politiques ont eues en ces dernières années chez d’autres nations, sur le vœu de la nation néerlandaise de conserver l’intégrité de ses institutions, sur les vues opposées et sur d’autres conséquences que ces modifications pourraient entraîner, sur l’expérience acquise en ces dernières années qu’avec les principes établis les intérêts généraux des Pays-Bas étaient suffisamment garantis, par toutes ces considérations nous avons cru devoir limiter nos propositions aux seuls changemens réclames par la situation présente des affaires. Toutefois nous serons toujours disposé à faire de tout ce qui pourra être nécessaire au bonheur de la nation l’objet de notre examen. »

Les cinq projets proposaient : une nouvelle division du royaume qu’entraînait la reconnaissance de la Belgique, — des réductions dans le nombre des membres du conseil d’état et des membres des deux chambres, — une modification de l’article de la charte qui réglementait l’inauguration du roi, — et l’abrogation de l’article aux termes duquel les états-généraux devaient alternativement siéger dans une ville des provinces septentrionales ou méridionales. Ces projets furent accueillis par le public avec une défaveur marquée ; qui se communiqua aux états-généraux. Au milieu de la salle ordinairement si calme du Binnenhof[11], il se manifesta une agitation inaccoutumée ; on entendit des paroles passionnées, on formula des propositions qui rappelèrent pendant quelques instans les scènes du jeu de paume. Les chefs de l’opposition, Luzac, Schimmelpenninck, van Dam, van Ysselt, van Rappaert, Corverhooft, présentèrent à la séance du 14 janvier 1840 une motion ainsi : « Qu’il résultait des communications du gouvernement qu’il voulait limiter ses propositions à des modifications secondaires de la loi fondamentale, et laisser à la chambre l’initiative de réformes ultérieures ; qu’en conséquence ils proposaient la nomination d’une commission de dix membres chargée de dresser une liste des questions principales qui formeraient l’objet de la révision de la charte. Aussitôt cette liste votée par la chambre, une nouvelle commission devait rédiger sur ces bases, la charte révisée. » Le mot de constituante fut prononcé : à ce mot, la chambre s’effraya, et les auteurs de la motion se décidèrent à la retirer. Après avoir fait présenter au roi les observations des bureaux sur les réformes proposées, les états généraux s’ajournèrent, afin de laisser au gouvernement le temps de préparer un nouveau projet.

Les embarras du ministère augmentaient toujours. Le général, van den Bosch s’était retiré du département des colonies aussitôt après le rejet du budget, laissant des regrets auxquels s’associa l’opposition. Après lui, ce fut le tour du ministre des finances, van Blokland, le même qui, seul, aux états-généraux, s’était levé en faveur de son projet. On ne put qu’à grand’peine lui trouver un successeur dans M. van Gennep[12].

Lors de leur réunion, au mois de mars, les états reçurent communication du nouveau projet de révision. Ce projet ne satisfaisait pas plus que le précédent aux vœux du pays ; il se bornait à modifier légèrement, sans en changer les bases, la loi fondamentale de 1815. L’admission du principe de la responsabilité ministérielle, laquelle, suivant une déclaration faite encore aux états-généraux de 1829, « ne faisait guère partie du droit constitutionnel néerlandais, » l’introduction d’un budget biennal à la place d’un budget décennal, l’institution d’une chambre des comptes, tel fut l’ensemble des réformes proposé et voté par les états-généraux.

Le roi Guillaume s’était vu contraint d’abandonner un système qui avait conduit le pays vers sa ruine. D’autres concessions qu’il n’avait pu refuser, la suppression de la caisse syndicale, l’institution d’une cour des comptes ; la sanction de la responsabilité ministérielle, avaient été pour lui de graves sujets de mécontentement. Depuis 1837, il avait perdu la reine sa femme, sœur du roi de Prusse. En 1840, la nouvelle se répandit que le roi venait de contracter un mariage morganatique avec la comtesse Henriette d’Oultremont, Belge et catholique, dame de cour de la reine décidée. Ce mariage avec une Belge, une catholique, lui enleva les derniers restes d’une popularité que jusqu’alors il avait conservée parmi les classes inférieures. En présence des résistances des états-généraux, du malaise général, des sourdes rumeurs du peuple, Guillaume sentit qu’il avait survécu à ses idées, et que le pays ne pouvait plus être gouverné d’après les erremens de la politique pratiquée depuis vingt-sept ans : Guillaume abdiqua. Le 8 octobre 1840, il remit les rênes du gouvernement au prince d’Orange, déclarant que la direction du royaume exigeait pour son salut une main plus ferme et plus jeune que la sienne. Il se retira de la scène politique qu’il avait remplie avec éclat pendant plus d’un quart de siècle. L’histoire sera juste pour ce prince, qui a couvert son pays de monumens impérissables. L’essor merveilleux de Java, le développement de l’industrie belge, la fondation de la Société de commerce, le grand canal de Guillaume (Willemskanal), le desséchement de la mer de Harlem, pprotégeront et perpétueront son souvenir. On peut dire que Guillaume Ier a posé les bases de la situation : nouvelle de la Hollande. Son règne présente une remarquable analogie avec celui du prince contemporain qui a donné à la France dix-huit années de prospérité. Le roi des Français est mort dans l’exil, Guillaume Ier à Berlin, où il s’était retiré (30 décembre 1843) tous deux victimes des agitations d’une époque funeste aux caractères énergiques, et où les qualités les plus solides ne suffisent plus pour sauver les meilleurs princes et leurs systèmes.

Le nouveau roi, Guillaume II, s’était fait aimer dans les provinces du midi comme dans celles du nord en Belgique et en Hollande. Il apportait sur le trône des goût et des qualités qui n’avaient pas entièrement été ceux de son père, des goûts chevaleresques et somptueux, une grande facilité de caractère, une réputation de bravoure acquise sur les champs de Badajoz, de Valladolid, aux journées des 16, 17 et 18 juin 1815. Dans le héros de Quatre-Bras, la nation saluait avec orgueil « la gloire (glorie) néerlandaise. » A Waterloo, il eut le bras droit emporté par un boulet de canon. Par sa campagne de dix jours sur la Sambre, il vengea noblement et la défaite des troupes hollandaises devant les Belges et ses échecs personnels. Arrivé au trône en 1830, il eût prévenu peut-être le démembrement du royaume des Pays-Bas. Lors des journées de septembre, la Belgique avait réclamé un roi, et le prince d’Orange était désigné pour gouverner le nouveau royaume. Il est regrettable qui la volonté de Guillaume Ier ait empêché le prince d’Orange de prendre possession d’un trône qu’il eût dignement occupé.

Guillaume II trouva la Hollande dans une situation désespérée ; le fardeau constamment alourdi des charges publiques était devenu accablant pour le pays. Le budget de la Hollande séparée de la Belgique différait à peine de celui de l’ancien royaume hollando-belge ; le budget du ministère de l’intérieur, depuis 1830, n’était inférieur que de 9 millions au budget du même département avant cette époque ; celui de la guerre, loin de diminuer, avait augmenté ; avant 1830, il était de 36 millions ; en 1839, il était de 40 millions. Le chiffre des impositions en 1843 dépassait de 40 millions celui de 1815. La dette, qui s’était accrue de 1815 à 1830 de 23 pour 100, s’élevait en 1843 à 2 milliards 600 millions, dont 268 avaient été mis à la charge des colonies. Le service des arrérages absorbait plus de 72 millions par an[13]. Avec une population au-dessous de trois millions d’habitans, dont un cinquième vit à la charge des quatre autre cinquième, la Hollande supportait un budget de 140 millions, sans compter les budgets communaux, souvent presque aussi lourds, et les administrations extrêmement coûteuse des digues (Polderlasten) : Les ressources du pays ne suffisaient plus pour les dépenses de l’état : il y manquait près de 23 millions, qui fuient mis à la charge des colonies malgré leur état de gêne excessive. Depuis 1830, les colonies avaient dû fournir chaque année une trentaine de millions au budget de la métropole. On se demandait avec effroi où cet état de choses pouvait aboutir, et si, accablé de pareilles charges, le pays n’était pas exposé à périr en pleine paix. Ce désastre même paraissait certain dans le cas où les ressources incertaines fournies par les colonies viendraient un jour à faire défaut.

Avant la fin du règne de Guillaume Ier, en 1840, M. Rochussen avait été appelé aux finances. Il était resté chargé de ce département sous Guillaume II. C’était un financier d’une grande expérience, vieilli dans l’administration, dont il avait parcouru tous les grades. Il proposa, pour couvrir les déficits des années précédentes, une nouvelle inscription au grand livre et une nouvelle émission de bons du trésor. Le premier budget biennal de 1842 et 1843 s’élevait à 142 millions de francs, et ne répondait guère aux promesses de réduction qui avaient été faites aux états-généraux. Les délibérations sur le budget de 1844 et 1845 se prolongèrent, et furent plus sérieuses encore que les précédentes. L’opposition s’était accrue considérablement et comptait presque tous les noms importans de la deuxième chambre MM. Luzac, Bruce, de Golstein, Dam van Ysselt, Sasse. La seconde section du budget fut même rejetée ; mais on recula devant le rejet en masse, dans la crainte qu’un vote si ouvertement hostile au pouvoir n’entraînât une refonte radicale de la loi fondamentale, déjà révisée en 1840, et n’amenât des élections directes. « La banqueroute, la hideuse banqueroute » apparaissait cependant, et beaucoup de personnes la considéraient comme l’unique voie de salut. Le remède était plus dangereux que le mal : c’était la ruine du commerce comme des finances de la Hollande, qui eût ainsi, en pleine paix, rayé son nom de la liste des états indépendans. Le gouvernement se mit donc à chercher de nouveaux expédiens. Après une tentative infructueuse de réduction de la rente, M. Rochussen se retira. M. van der Heim lui succéda, et échoua à son tour avec un projet d’impôt sur la rente.

Cette série de tentatives avortées et la détresse financière encore croissante au moment où se retirait M. van der Heim faisaient des fonctions de ministre des finances en Hollande un fardeau qui semblait défier les esprits les plus inventifs et les plus résolus. Heureusement, et dans les momens de crise surtout, les hommes n’ont jamais manqué à la Hollande. En quittant son poste difficile, M. Rochussen avait recommandé au roi les capacités financières de M. van Hall. Membre d’une famille qui avait donné à la patrie de grands magistrats et d’éminens jurisconsultes, M. van Hall avait illustré le barreau d’Amsterdam, dont il était membre depuis 1812. Étant avocat de la haute banque, il avait approfondi les questions commerciales et financières de son pays. Au mois d’octobre 1843, il fut donc chargé, d’abord par intérim et bientôt définitivement, du ministère des finances, qu’avait abandonné M. van der Heim.

La situation du pays réclamait un remède héroïque : Afin d’échapper à une augmentation croissante des charges publiques, la nation se déclarait prête à s’imposer un sacrifice extraordinaire. Les orateurs de la deuxième chambre, entre autres l’énergique comte de Rechteren, enlevé trop tôt à la Hollande ; et l’éloquent Dam, van Ysselt, s’étaient tous prononcés dans ce sens. Entre le commerce et le crédit, disaient-ils, il existe un lien étroit : le commerce ne saurait exister sans le c r éd i t. Si le crédit était conservé, de meilleurs jours pourraient encore luire pour la patrie ; une fois le crédit perdu, tout disparaîtrait. Appuyé sur ce principe, M. van Hall prit l’initiative de deux grandes mesures financières. Il proposa d’abord un emprunt volontaire de 254 millions à 3 pour 100 d’intérêts seulement, et subsidiairement, en cas de non réussite de l’emprunt, un impôt extraordinaire qui devait le remplacer. Autour de ce projet principal venaient s’en grouper cinq autres, relatifs à l’emploi de ces voies extraordinaires : paiement des arriérés, qui s’élevaient à une centaine de millions ; rachat de la dette contractée envers la Société de commerce ; règlement des créances de l’ancien roi ; création d’une somme de 70 millions nécessaire au service des deux années suivantes. Le ministre fit appel à tous les citoyens, les invitant à ne pas reculer devant les grands sacrifices exigés pour le salut de la patrie. La discussion s’engagea avec une vivacité extraordinaire, dans le pays et aux états généraux, sur les mesures proposées par M. van Hall. Personne ne croyait à la réussite de l’emprunt : on l’attaquait à la fois comme chimérique et comme désastreux. M. van Hall résistait aux attaques de la presse et de la tribune avec un courage qu’on qualifia d’audace. Après plusieurs semaines de débats, la deuxième chambre adopta enfin les cinq projets à la majorité de 32 voix contre 25. L’emprunt volontaire une fois voté, tous les partis se réunirent aussitôt pour le faire réussir avec une émulation exemplaire. Afin d’échapper à l’impôt extraordinaire ses adversaires les plus acharnés devenaient ses plus chauds partisans. La loi fut publiée le 6 mars, et déjà le 28 les inscriptions à 3 pour 100 s’élevaient à la somme de 234 millions. Les 20 millions qui manquaient furent offerts par la famille royale. La nation néerlandaise réalisait de nouveau l’ancienne devise « L’union fait la force. »

Après la réussite de cette première mesure, M. van Hall se préoccupa de réduire par une conversion le taux de la rente. Les fonds 5 et 4 et demi pour 100, convertis en 4 pour 100, furent émis d’abord à raison de 94 pour 100 ; bientôt, favorisés par la hausse du cours, ils s’élevèrent successivement jusqu’à 98 trois quarts pour 100. Aidés par la réussite de l’emprunt, les publics montèrent rapidement, par exemple le 2 et demi pour 100 de 56 à 65, et les souscripteurs de l’emprunt y trouvèrent une large compensation à la perte de capital qu’ils avaient subie. Le montant de la dette ainsi convertie dépassait 800 millions, dont 127 furent amortis. Par ces opérations, par le paiement des arriérés et de 44 millions dus à la Société de commerce, le capital de la dette avait été augmenté de 14 millions, mais le chiffre, de la rente annuelle se trouvait, en définitive, diminué de plus de 5 millions de francs.

Ces grandes mesures n’assurèrent pas seulement le rétablissement du crédit public et des finances, elles firent aussi sentir leur influence dans le commerce et dans l’industrie. Les entreprises de desséchement, de défrichement des terrains incultes ; prirent un développement considérable. La confiance était revenue, et les capitaux sortis des fonds publics cherchèrent un placement plus avantageux dans les entreprises industrielles. Les recettes du trésor augmentaient ; déjà l’année 1844 se soldait sans ressources extraordinaires. Les recettes des Indes, qui, en 1841, avaient été de 96 millions, étaient, en 1842 et 1843, de 107 millions, — en 1844 de 109 millions. Les dépenses publiques, qui, en 1845, étaient encore de 140 millions, ne furent, en 1846, que de 135, et on y avait fait entrer des chapitres qui auparavant n’avaient pas figuré au budget. Comparé à 1843, le budget présentait une économie de près de 10 millions, et en outre tous les découverts avaient été soldés. Au commencement de 1848, l’équilibre entre les recettes et les dépenses était non-seulement rétabli, mais il y avait en outre un surplus considérable, qui fut employé à l’extinction de la dette et à des travaux d’utilité publique.

La refonte des monnaies compléta l’ensemble des mesures financières proposées par M. van Hall et adoptées par les états généraux. Le pays était inondé de pièces d’argent dont l’origine remontait quelquefois au-delà, des premières années de la république néerlandaise. Ces pièces étaient connues sous les dénominations les plus diverses. Chacune des sept anciennes provinces avait joui du bénéfice de frapper des monnaies ; il circulait des daalers de Zélande, de Hollande, de l’empire, etc., pour la plupart altérés et rognés. L’article 132 du code pénal ne suffisait plus pour réprimer les nombreuses tentatives de falsification. M. van Hall eut l’heureuse idée de faire refondre toutes les anciennes pièces, et aujourd’hui la. Hollande possède, comme la France, une monnaie aussi élégante que commode.

Tels furent les bienfaits que l’administration intelligente et ferme de M. van Hall répandit en peu d’années sur la Hollande ; mais, pour que ces grandes réformes portassent leurs fruits, il fallut le concours énergique de tous les citoyens.. Dans tout autre pays que la Hollande, les mesures de M. van Hall eussent peut-être échoués Les trois crises dont nous venons de raconter l’histoire, l’application du système impérial à la Hollande en 1810, le démembrement du royaume en 1830 et la détresse financière de 1843, ces trois époques mémorables de l’histoire contemporaine des Pays-Bas, sont surtout remarquables, parce qu’elles mettent en relief les solides et précieuses qualités du caractère national. C’est le patriotisme néerlandais qui se montre surtout après 1815 ; c’est l’amour des Hollandais pour leur prince qui éclate après 1830 et qui soutient Guillaume Ier dans sa longue résistance aux vingt-quatre articles, c’est enfin le génie pratique et l’admirable persévérance de la nation batave qui font réussir les plans financiers de M. van Hall, en assurant la prospérité actuelle du pays. Une dernière phase de l’histoire des Pays-Bas, que nous aurons à retracer plus tard, nous montrera l’esprit hollandais portant sur le terrain des intérêts intellectuels et politiques les mêmes qualités qu’il a déployées, de 1815 à 1848, sur le terrain des intérêts matériels. Les grands problèmes soulevés par une constitution vicieuse et par un défectueux système d’administration intérieure seront résolus comme l’ont été les questions internationales de 1815 ou de 1830 et les terribles difficultés, financières de 1843 : c’est à force de patience et de courage que la nation hollandaise a conquis son territoire ; c’est par les mêmes qualités aussi qu’elle maintiendra sa fortune.


J. BERGSON.

  1. Hooft Hasselar, qui conduisait les femmes armées sur les remparts de la ville, et qui apposa une résistance vigoureuse aux assiégeans espagnols en 1572.
  2. Au moment où la famine dévorait la ville de Leyde, assiégée par les Espagnols en 1574, les bourgeois cernèrent d’hôtel de ville et demandèrent du pain ou la reddition de Leyde. Le bourgmestre de Werf marcha au-devant des mutins et leur dit : « Je n’ai pas de pain à vous offrir, mais prenez mon corps et partagez-le entre vous. » À ces paroles, les bourgeois reprirent courage, et bientôt après la ville fut délivrée par l’arrivée du prince d’Orange.
  3. Voyez, sur la situation financière de la Hollande, l’Annuaire des Deux mondes pour 1850, qui vient de paraître au chapître des Pays-Bas, p. 603-622.
  4. C’est le nom donné à la charte néerlandaise.
  5. Le règne de Guillaume Ier a été fécond en interprétations de ce genre. On se rappelle avec quelle ingénieuse subtilité le gouvernement néerlandais commentait l’article 109 du traité de Vienne pour en tirer un sens qui lui permit d’interdire à la navigation allemande la sortie du Rhin. C’est aussi par un semblable abus d’interprétation que la couronne s’était approprié pendant quelques années la disposition exclusive des revenus coloniaux.
  6. On désignait ainsi les provinces belges.
  7. Voyez dans la Revue du 15 février 1837, Visite à l’université d’Utrecht, par M. Victor Cousin.
  8. En 1821, le prince Léopold avait obtenu la main de la princesse d’Angleterre Charlotte, dont le prince d’Orange avait refusé les conditions, et il venait d’obtenir la couronne que celui-ci avait ambitionnée.
  9. Observations sur la Constitution néerlandaise, tome Ier, p. 134 et suivantes.
  10. M. Ackersdyck, professeur d’économie politique à Utrecht, un des économistes les plus distingués des Pays-Bas. Il a été chargé par le gouvernement de fréquentes missions scientifiques à l’étranger.
  11. C’est le Westminster néerlandais, où siégent les états généraux.
  12. Les conditions auxquelles M. van Gennep accepta le portefeuille sont assez bizarres pour mériter d’être reproduites : « Van Gennep cessera, à partir du 1er juillet 1840 (époque de l’expiration du crédit de six mois voté par les états-généraux), d’être ministre. Il n’aura à s’occuper ni de l’administration courante des finances ni de la cour syndicale ; le secrétaire général du département en est chargé ; il procédera comme en l’absence et en remplacement du ministre. Pendant les mois d’été, le ministre des finances pourra, pendant la moitié de chaque mois, s’absenter de la capitale. Pendant les mois d’hiver, en dehors du dimanche, il aura encore deux jours à sa disposition. »
  13. De 1830 à 1850, la dette 5 pour 100 seulement s’était accrue de 442 millions en capital, et de 23 millions en intérêts. Pendant la même époque, 8 millions de billets du trésor avaient été émis, la dette des Indes avait été créée, l’état devait 80 millions à la Société de commerce, et il existait au trésor un déficit de 68 millions. En comptant l’ensemble de la dette publique de l’Europe pour 100, la Hollande y figurait pour 9/10es, la France pour 10/100es, l’Angleterre pour 41/100es. Par rapport à sa population, elle était le pays le plus imposé de l’Europe.