La Houille rouge (Dulac)/12

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Eugène Figuière (p. 174-188).


CHAPITRE XII


Il y avait deux jours que les trois femmes pleuraient Tiennet, quand un hauptmann vint inviter Madame de l’Écluse à réveillonner de la part du Commandant.

— Veuillez m’excuser auprès de votre Chef, Monsieur, dit la Châtelaine mais mon âme est en deuil.

— Nous ferons de la musique… cela vous distraira au contraire… Von Selmen interprétera du Bach. C’est un artiste ; et puis, il y aura une crèche… c’est moi qui l’organise.

— Encore, une fois, Monsieur, je décline l’honneur de votre invitation. Deux heures plus tard un planton vint porter un ordre ainsi conçu :

« J’exige qu’Antoinette Breton, — dite de l’Écluse — assiste à la fête que nous lui faisons l’honneur de célébrer dans sa maison. »

Von Keller.

Horriblement froissée par la forme de ce billet elle eut le tort de riposter.

« Fritz, je n’ai rien à me mettre. Votre dernier corsage est manqué. Ne comptez pas sur moi. »

Baronne de l’Écluse.

L’effet ne se fit pas attendre ; et ce fut le caporal assassin qui lui remit un nouveau pli. Ce messager ne pouvait être porteur d’une bonne nouvelle. Voici ce que contenait l’enveloppe officiellement timbrée :

— « Si mon ordre n’est point exécuté, Antoinette Breton — dite de l’Écluse — sera emprisonnée et comprise ensuite dans les otages qui partiront pour l’Allemagne le trois janvier 1915 ».

Von Keller.

Il fallut céder, et le 24 décembre 1914 à dix heures du soir deux factionnaires baïonnette au fusil vinrent la chercher. Enveloppée dans un manteau sombre, elle arriva dans le salon où régnait déjà une atmosphère irrespirable. La fumée d’une vingtaine de cigares, le parfum des liqueurs — dont quelques petits verres renversés poissaient les guéridons, — la suffoquèrent. Elle fut prise d’une quinte qui révéla sa présence. Quelques officiers, très jeunes, esquissèrent un salut — par habitude — mais devant le silence impertinent du Chef, ils négligèrent toute autre forme de courtoisie. Elle s’assit dans un coin ; et le buste droit, s’isola dans ses pensées.

— Vous pouvez commencer, Von Selmen, dit Von Keller.

Le violoncelliste préluda, et le silence s’établit. Alors, à travers la fumée, ses yeux finirent par distinguer une sorte de théâtre pour marionnettes dans lequel était une crèche : le toit en était givré de clinquant et les personnages gisaient en tas, sous la lumière. Seul le petit Jésus, délicieusement rose et diaphane, tendait ses menottes de cire, et souriait à l’humanité. Ce symbole de l’enfance absorba la pensée de Madame de l’Écluse ; bercé par la musique, supérieurement exécutée d’ailleurs, son esprit monta jusqu’aux cimes de l’inquiétante philosophie.

— Voilà donc un enfant, qui fut chargé de tous les péchés du monde, et qu’on adore à travers les siècles, celui que je porte en moi doit-il mourir à cause du péché paternel ?

Des applaudissements troublèrent ses réflexions, et l’artiste dut jouer encore. La main du violoncelliste s’agitait sur le manche de l’instrument comme une araignée tisseuse d’harmonie, et l’archet commandait à la mélodie de pleurer à son gré, le plus doux chant d’amour.

— Dire que cette main a tué hier, qu’elle tuera demain, et qu’elle peut, aujourd’hui, m’attendrir, moi, mère ou femme de ses victimes !

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Et maintenant, Messieurs, je vais passer la revue de Noël, dit prétentieusement Von Keller, dès que les derniers sons moururent sous l’archet. Von Kriegen aux marionnettes !!! et que chacun prenne à son compte les allusions que contiendra ma conférence, sous la forme délicate que j’espère lui donner. En avant ! la musique ! Bien entendu, les mots politiques seront traités en Allemand.

Après quelque remue ménage, le spectacle commença et Madame de l’Écluse constata que la Vierge n’était autre que la Marianne républicaine, l’Ane avait la tête de Joffre, et le Bœuf celle de Poincaré. Les marionnettes s’agitèrent dans le comique enfantin des guignols de province. Mais les couplets et les répliques devaient être très cocasses, si elle en jugeait par le rire des spectateurs. Quand Saint-Joseph — qui était un ministre français — eut chanté sa strophe, les rois mages parurent. Le Kaiser en tête, avança. Il était vêtu d’une armure étincelante, et l’hymne national teuton mit tous les officiers debout. François-Joseph, suivait en toussant, son brillant collaborateur, et quand le troisième mage arriva — dansant la tarentelle avec un loup sur le visage — ce fut une hilarité menaçante qui résonna. Des chameliers, des bergers, des moutons donnèrent lieu à des personnalités qui provoquèrent l’enthousiasme, et de temps en temps, Von Keller se levait, commentait et pontifiait… Deux ou trois fois les assistants crièrent avec lui :

Deutschland über alles.

Enfin la Marianne de la crêche voulut emporter le Jésus souriant et nacré en lui chantant :

— « Allons enfant de la Patrie, le jour des poires est arrivé » Ce à quoi, le bambin sacré répondait sur un air connu :

— Non je ne marche pas ! non je ne marche pas !

Un silence plana et le commandant debout, l’œil mauvais, tourné vers Madame de l’Écluse, expliqua :

— Les enfants, qu’ils soient dieux ou simples mortels, ne marcheront plus jamais quand il s’agira d’entraver l’essor de notre Race, ou de combattre le Progrès Universel. Jésus fut le résultat d’une violence ; et si vous voulez me permettre de vous apprendre la vérité sur l’Annonciation, certaines rancunes s’envoleront comme plumes au vent.

— Bravo ! bravo ! fit un maladroit.

— Marie, était vierge, et devait épouser un nommé David de la tribu de Lévy, mais un garçon de la tribu de David la désirait au point d’en être malade. Or, le jour du Sabbat, les juifs avaient coutume de se rendre à la synagogue la face couverte d’une capuche qu’ils baissaient comme une cagoule. Lors, un Samedi — Marie balayait dans sa maison lorqu’elle vit entrer un homme ainsi couvert qui la jeta sur la couche et la prit. Elle se mit fort en colère, et quand son fiancé vint le soir elle lui reprocha sa conduite.

— Ce n’est pas moi qui suis coupable dit-il.

Et Marie réfléchit :

— Alors ce ne peut être que celui de la tribu de David !

— Qu’il vous épouse donc…

Puis il partit le cœur navré. Le séducteur, fâché des injures reçues, déclara pour se venger :

— Je ne veux point me marier.

Et Marie pleurait cet abandon. Un brave homme survint qui prit tout à sa charge comme un âne complaisant ou un bœuf impuissant, et l’histoire suivit son cours. Jésus fut le plus glorieux d’entre les hommes, et malgré la négation d’amour qui préluda à sa destinée, le point de départ de sa fortune fut qu’il descendait de la race royale de David. Les juifs l’acclamèrent, et il fit des miracles, parce que sur cette terre ce qu’il faut pour réussir c’est être avant tout de la race suprême, c’est-à-dire Allemand. Ensuite, les miracles se produisent, parce que le génie germain est de tous le plus magnifique. Que toutes les femmes donc qui portent en leurs flancs l’étincelle allemande, soient heureuses ; car un Dieu étant né de la violence, un autre peut surgir de la même source. Pour la joie des maris français on peut concevoir sans pêcher. Celles qui ne comprendraient pas la mission civilisatrice que le hasard leur a confiée, pourront attendre la décision de Von Bethmann Holweg. Il établit en ce moment le tarif des maternités de guerre.

Un grognement admiratif interrompit le goujat.

— Oui, Messieurs, reprit-il, il est question d’offrir cent cinquante marks aux mères des petits « Campagneaux » de 1914. Ce mot est une trouvaille n’est-ce pas ? La campagne glorieuse de notre armée devait produire des camps, et des agneaux de camps.

Un gros rire, interrompit le commentateur.

— J’espère que je me suis fait comprendre, et que ce geste généreux rendra ridicule le qualificatif de « barbares » qu’on se plaît à nous octroyer.

La longanimité de Madame de l’Écluse était à son extrême limite, aussi les invités boches la virent se lever et très froidement répliquer :

— Le sang français n’est pas à vendre, monsieur !

— Parce qu’il reconnaît ne pas valoir l’or allemand. Pas à vendre !… on s’en f…, on réquisitionnera les ventres, voilà tout.

Un lieutenant pour empêcher l’incident de s’aggraver mit les marionnettes en mouvement, et des voix reprirent en chœur :

— Non je ne marche pas ! non je ne marche pas !

Puis on fit faire une cabriole à l’enfant Jésus qui salua en disant :

— Je m’appelle Hervé, et je suis antimilitariste !  !  !

On applaudit à tout rompre. La châtelaine profita du succès des auteurs, pour regagner sa chambre ; et comme il tombait une pluie fine et glacée, cette nuit-là de Noël, elle arriva grelottante et vaincue près de ses deux servantes en deuil.

— Ces gens sont des monstres Lida, dit-elle, en se laissant dévêtir. Sais-tu leur dernière invention ?

— Quèque ça peut bien être ? fit Tiennette.

— Ils veulent nous prendre les enfants…, pour le moment ils songent à les acheter.

— Non… est-ce qu’ils nous prennent pour des esclaves, se révolta la soubrette.

— P’têtre qu’y reconnaissent qu’y ne peuvent fabriquer que des bêtes. Et combien qu’y en offrent ?

— Cent cinquante ou deux cents marks, c’est-à-dire environ deux cents francs.

— Malins ! va ! C’est un bon placement !

— Faudra-t-il payer le transport ? gouailla la femme de chambre.

Quoi qu’il advienne, suis mon exemple, et ne signe aucun papier.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les mois passèrent à la Cerisaie sans apporter l’écho d’une victoire française, ce qui n’empêchait pas l’imperturbable nature de faire sa toilette de printemps. L’herbe repoussait sous le talon de la botte prussienne, les champs labourés et ensemencés par les soins des vainqueurs, donnaient à ce coin du Laonnais l’illusion des jours de paix ; mais, quand hélas ! paraissait à travers les branches l’uni­forme détesté, il semblait au contraire que cette partie de France fût à jamais asservie.

L’infinie tristesse des envahis s’égaya des lilas et des primevères, parce que les enfants coururent à travers bois et rentrèrent le sarreau plein de corolles.

Les mères souriaient un instant, et bien vite por­taient tous les pétales et tous les parfums, à l’autel de famille composé des photographies des fils et du mari. Quel sort était celui de ces derniers ? Toutes les femmes gardaient au fond de leur regard l’an­goisse de ce point d’interrogation ; et leurs masques s’affaissaient en des rictus de désespoir. L’échec des Français — aggravé par la crue de l’Aisne — avait été démesurément grossi par les Allemands ; mais la confiance restait inébranlable ; on attendait les efforts de l’armée. Certainement qu’une fois la terre raffermie, les hommes pourraient se battre. On vivait de cet espoir, quand une après-midi, vers deux heures, un officier vint supplier madame de l’Écluse de venir au château.

— Madame, vous êtes Française et par consé­quent généreuse, dit-il. Un accident est arrivé. Le commandant est tombé sur un paquet de couteaux de tranchées qu’on lui avait apportés comme échan­tillon. Il s’est tranché le poignet et nous ne parve­nons pas à arrêter le sang. En votre qualité de dame de la Croix-Rouge, venez à notre aide ; on est allé chercher le médecin, mais le commandant a dix fois le temps de mourir avant cette arrivée.

— C’est bien, monsieur, j’accours ! Lida ! ma trousse d’infirmière ? de l’eau oxygénée ? de l’ouate ?

Aussi promptement que le leur permettait leur prochaine maternité, les deux femmes s’empressèrent auprès du blessé. Le sang coulait avec une abondance dangereuse malgré la compression que tentait maladroitement un officier. Très calme, la baronne prit une embrasse, fit serrer très fort le bras, lava la plaie avec de l’eau oxygénée, put ainsi préciser la place de l’artère coupée, et la saisit dans l’étau d’une pince de Péan. Le danger était conjuré. Elle fit un pansement provisoire et attendit, muette, que le major survînt. Il ne descendit de l’auto de service qu’une demi-heure plus tard. Il félicita von Keller de sa bonne étoile et déclara très franchement :

— Sans Madame, commandant, vous auriez cessé de vivre.

— Merci, dit le malade, exsangue… je saurai reconnaître…

Madame de l’Écluse rentra dans sa maisonnette avec un sourire d’ironie ; la gratitude de l’odieux personnage lui semblait bien improbable. Pourtant, quelques jours plus tard, un gradé, raide et gourmé, vint aux communs.

— Je suis chargé, Madame, par le commandant, de vous demander quel adoucissement vous souhaitez obtenir ?

— Je voudrais, Monsieur, que le caporal qui tua Tiennet, le brosseur Hermann et les deux soldats Baumann et Kœfing soient éloignés du château.

— C’est tout, madame ?

— Oui, Monsieur.

— Je vais aviser le Commandant.

Celui-ci pesta comme un beau diable et fit venir celle qui l’avait sauvé.

— Madame, dit-il, je suis disposé à faire ce que vous désirez, mais je veux que vous sachiez com­bien votre exigence est cruelle. Ces hommes, déta­chés de ma personne vont être envoyés sur le front, c’est à-dire à la mort.

La baronne ne sourcilla pas.

— Mais ce sont les pères de vos enfants que vous condamnez ? Cela ne vous émeut pas un peu ?

— Les pères que l’on n’a pas choisis sont des hommes maudits !

— Soit ! vous ne les verrez plus ! Vous voyez que je paie royalement ma vie.

Madame de l’Écluse s’inclina, en guise de remer­ciement et disparut, le cœur enfin dégagé de la chappe de honte qui l’oppressait.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dès les premiers jours de juin, un robuste biplan français jeta des bombes sur les arbres de la Cerisaie ; les engins ne tuèrent personne, mais prouvèrent au commandement qu’il était repéré. Aussi, — dix heures plus tard — les officiers de l’État-Major allemand mettaient-ils leur vie à l’abri dans une maison de Cessière à deux kilomètres de là.

Malgré le lamentable état dans lequel on lui laissa son château, le retour au logis fut une douceur pour la propriétaire. Il était temps d’ailleurs qu’un peu de liberté permit aux trois femmes de préparer la Grande Épreuve. Tiennette descendit à la ville y solliciter l’office d’un vieux docteur, que leur infortune apitoya ; et lui même envoya près des affligées une sorte de matrone, que les paysannes appelaient souvent auprès d’elles au moment des douleurs. Les deux mères restaient parfois des heures entières les yeux fixes ; toutes deux, à force d’avoir ruminé leur affront, redoutaient de voir apparaître un monstre.

Ce fut madame de l’Écluse qui — non sans peine — donna la première le jour à un garçon et Lida respira largement quand le bel enfant reposa dans un berceau.

— Madame il est comme les autres ! dit-elle à sa dolente patronne. Le mien sera joli aussi n’est-ce pas ?

— Et pourquoi pas ? fit le docteur en riant.

Au moment de partir, il prit la main de la nouvelle maman, et, très géné, la questionna.

— Madame, le moment critique est arrivé. L’enfant est né c’est très bien, mais le catalogue légal m’oblige à notifier cette naissance sous l’une des trois rubriques connues. Fils légitime, fils illégitime avec désignation de la mère ou du père, et enfin fils naturel de père et de mère inconnus. Vous êtes mariée, mais votre cas est spécial… que dois-je faire ?

— Monsieur, j’ai — vous le pensez bien — réfléchi à cette obligation. Veuillez déclarer le petit Marcel comme enfant légitime.

— Mais votre mari, Madame ?

— Mon mari aurait mécaniquement légitimé un fils né de l’adultère ; être vaincu est plus noble qu’être… ridicule.

— Ah ! femmes ! femmes ! la civilisation ne vous atteint pas… vous êtes et serez toujours au plus fort !

— Pardon… pardon… Les enfants sont parfois du plus fort mais nous ne sommes pas au plus fort. Nous sommes à celui qui se fait aimer.

— Et pour votre femme de chambre comment procéderons-nous ?

— Vous déclarerez son enfant de père inconnu et de mère Lida Tiennet.

— Cela gênera son avenir ?

— Le préjugé des bâtards est définitivement enterré dans les tranchées, docteur ; et je crains que la France ne soit obligée plus tard de privilégier ces parias enfin de provoquer leur multiplication.

— C’est peut-être vrai !… Mais quelle tristesse pour mes cheveux blancs.

Quatre jours plus tard, la jeune fille donnait le jour à une robuste poupée blonde que la grand’mère déclara merveilleuse. Tout en se multipliant au chevet des deux délivrées, elle marquait une préférence à l’enfant de son enfant. La nature se riait une fois de plus des haines humaines : le lien animal qui soudait l’aïeule à la petite fille triomphait.

Quand les relevailles s’accomplirent, juillet dardait ses rayons, et les foins coupés embaumaient à la ronde. La maîtresse et la soubrette mirent leurs babys dans une voiturette, et, sous la fraîcheur des bosquets de troënes, elles guettèrent le premier regard des intrus. Avec le premier rayon visuel glissa le premier sourire ; dès lors, toute l’horreur passée se noya dans l’éternelle et profonde tendresse maternelle.

Un jour d’août, le docteur surprit ses clientes en plein jeu de hochets ; elles tentaient, par des rires, d’activiter, de fixer l’attention qui dort dans les yeux des tout petits. Il les plaisanta. Confuses, elles redevinrent graves.

— Voulez-vous bien continuer, dit-il ; attisez… attisez le feu divin de la Vie. Qu’il est beau ! et quelles vestales saintes forment les mères ! Regardez-la. Elle est tout au fond de ces prunelles encore troubles, la Vie ! Elle a tout juste la force d’une flamme de veilleuse, et pourtant, elle doit illuminer les fêtes du destin. Laissez aux hommes le terrible devoir de souffler sur les flambeaux sacrés.

Ce vieillard parlait avec l’autorité d’un apôtre. Il était à cet âge où l’expérience met les esprits au-dessus des remous de la chair.

— Souriez, reprit-il, aidez la larve humaine à franchir le stade bestial du nourrisson, et — dès qu’il parlera, — dès que s’épanouira la fleur charmante, formée par l’enfance de tout être, arrosez-la de beaucoup d’amour… de patient amour. La gangue de l’atavisme dépouillera ses aspérités redoutables, car les fils d’assassins ne sont pas forcément cruels. Les meurtriers ont, neuf fois sur dix, de paisibles et doux ancêtres. Aimez les innocents.

La tête auguste du docteur se pencha vers les bébés, et, comme il embrassait leurs joues satinées, l’un d’eux le retint par une des boucles blanches qui encadraient sa belle tête d’aïeul. Les ongles inconscients du petit s’accrochèrent désespérément aux cheveux.

— Veux-tu bien me laisser partir ? Tu veux déjà me faire prisonnier ?

Et de sa voix la plus douce et la plus saintement bonhomme, il plaisanta :

— Pour que notre victoire soit complète, il nous faut « débocher » même les anges.

Puis il s’éloigna, ravi d’avoir clos gaîment sa leçon de bonté.