La Houille rouge (Dulac)/17

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Eugène Figuière (p. 261-275).


CHAPITRE XVII


Madame Lartineau, dont la fécondité et la mentalité avaient si fort exaspéré le docteur Horn en 1894, était arrivée aux approches de la cinquantaine sans avoir beaucoup à souffrir de la vie. Elle n’avait eu à verser que les larmes tirées par les menus drames du temps de paix.

Ses cinq fils, conçus en pleine jeunesse, et dans la vigueur joyeuse d’un amour sans souci, — avaient grandi sans de graves accidents de santé ; ils étaient, à des degrés divers, cultivés et charmants ; chacun d’eux s’était orienté suivant ses goûts dans des professions différentes.

Jean, l’aîné, sorti de polytechnique était ingénieur. Gaston, plus audacieux, avait épousé la fille d’un filateur, et promettait de devenir un industriel de belle envergure. Marc s’adonnait aux lettres ; la guerre l’avait mutilé. Joseph sortait à peine de Saint-Cyr quand la mobilisation fut décrétée : (c’est lui que Rhœa trouva presque enseveli sous les ruines d’une maison, sur la route d’Albaincourt à Chaulnes).

Enfin Robert, merveilleusement doué au point de vue musical, était le Benjamin de sa mère, dont il berçait, au piano, tous les rêves et toutes les déceptions.

Au moment où l’empereur d’Allemagne signa l’arrêt de mort de tant d’hommes, Madame Lartineau était devenue, physiquement, une créature assez effacée, n’ayant plus, pour attrait, qu’une suprême distinction. Les frais d’éducation de cinq garçons avaient grevé son budget, au point de réduire au strict nécessaire ses dépenses somptuaires. Elle s’était accoutumée de bonne heure à une extrême simplicité, et quand l’âge obscurcit les clartés de son teint, elle resta sans beauté. De petits héritages lui vinrent plus tard qui lui auraient permis de rehausser sa mise d’une élégance de coupe chèrement acquise, mais, à ce moment, deux aventures lui avaient ôté la foi en l’amour de son mari.

Entre la naissance de Joseph et celle de Robert, Monsieur Lartineau, alors lieutenant, était allé en Cochinchine. On y faisait une petite campagne contre des soulèvements d’indigènes, et, comme il avait hâte de gagner son troisième galon, il accepta de partir. Seulement, une femme et quatre enfants sont un embarras et une dépense trop lourde pour une solde d’officier ; les époux se concertèrent, et la raison triompha de leur tendresse. Il partit seul, la laissant à Lyon, et les courriers d’Orient transportèrent les plus adorables lettres que deux êtres puissent tracer.

Lorsque le capitaine Lartineau revint en France, il ramena une congaye, qu’il présenta à sa femme comme une domestique précieuse à posséder. Elle l’accueillit sans arrière-pensée, et tomba des nuages où planait son amour lorsqu’elle surprit l’exotique et son mari dans une attitude qui défiait tout commentaire. Ses larmes furent amères certes ; mais la religion en réfréna les torrents. Tandis que l’époux plaidait l’ivresse des romans asiatiques, et que la congaye implorait ses droits au cœur du maître, Mme Lartineau portait au confessionnal le trouble et les hésitations de sa douleur. Au nom des principes divins elle finit par pardonner, et nul ne se douta, dans le monde, de ce qui s’était passé dans ce ménage réputé comme modèle.

L’Indochinoise serait renvoyée dans son pays et l’oubli panserait la blessure ; telle avait été la condition de paix. Mme Lartifieau la contresigna d’un abandon qui devait lui donner son cinquième fils ; et son désespoir fut immense, lorsqu’elle apprit, à n’en pas douter, que la congaye n’avait pas dépassé la banlieue lyonnaise, et que son mari ne cessait de lui apporter ses hommages. Le prêtre, qui dirigeait la conscience de cette mère très digne, lui conseilla le silence au nom de la morale et de la religion. Elle eut la force de se taire, et Robert canalisa, sur sa jeunesse, toute l’affection de Mme Lartineau.

L’ambition commençait d’ailleurs son stage dans l’esprit du capitaine. Il était attentif déjà à tout ce qui pouvait aider son avancement ; il changeait de maîtresse chaque fois que ses sens ou son intérêt le commandait ; il considérait son foyer comme un port d’attache, auquel il revenait chaque fois qu’il se sentait las de naviguer sur les flots du Tendre.

Parce qu’il ne criait pas ses bonnes fortunes sur les toits, il se persuadait que sa femme les ignorait ; et le silence pieux de sa compagne lui parut de la cécité. Parfois même il en éprouva de l’humiliation. Alors qu’un petit scandale flattait sa vanité, et défrayait tous les potins, il lui parut vraiment blessant que la principale lésée ne lui fit pas l’honneur de la plus petite scène. Mais Juliette Lartineau ne voulait rien entendre, et désespérait ses meilleures amies.

Quand des mots imprévus lui révélaient le cœur de ses enfants, elle vivait des heures exquises ; et ces mots lui paraissaient plus beaux que les mots d’amour dont sa jeunesse avait été bercée. Elle savait maintenant le mensonge des idylles, mais elle se taisait, en reconnaissant que c’était — en somme — à lui, qu’elle devait ses maternités. Pour ne rien perdre des étincelles qui jaillissent de l’enfance, elle surveilla les classes de ses fils, se fit la répétitrice de leurs études, et, quand, — avec des baisers, — les garçonnets posaient sur ses genoux des livres rouges et dorés, elle triomphait avec eux. Aussi, nul ne peut traduire le mélange de respect et d’affection que lui vouaient ses fils.

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Le mois de juillet 1914 trouva M. Lartineau lieutenant-colonel à Compiègne. Les petits héritages qui leur étaient échus leur permettaient de supporter les frais d’un pied-à-terre à Paris, et d’une installation à Compiègne. Ils possédaient encore une propriété dans l’Eure ; et cet éparpillement de résidences favorisait les aventures amoureuses de l’officier. Pendant que sa femme occupait ses loisirs aux œuvres de prévoyance, comme la Croix-Rouge, lui, ronronnait autour des Belles hospitalières et leur disait entre deux phrases galantes :

— Ma femme ? C’est une sainte ; mais, si j’en juge par elle, le ciel ne doit pas être très amusant. J’aime mieux aller au diable avec vous.

On ne l’entraînait plus beaucoup d’ailleurs dans l’enfer de voluptés qu’il cherchait. Plus souvent, on l’amenait tout près d’une nacelle, il payait son passage pour Cythère, et, soudain, la barque fuyait vigoureusement poussée par l’aviron d’un jeune gondolier. Il rentrait penaud et bourru ; le mécompte irritait son vieux foie de colonial intermittent ; Madame Lartineau mettait au menu, sans reproches, l’eau de Vichy et les purées rafraîchissantes.

Quelques jours avant la mobilisation, le soldat avait dressé l’oreille. Cela sentait la poudre. Il entra chez sa femme : un matin — ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien des années — et sa présence fit pâlir Madame Lartineau.

— Un malheur nous menace ? dit-elle.

— Pourquoi cela ?

— Pour que tu viennes ici il faut que la chose soit grave et pressante.

— Eh ! bien oui… la guerre… Ça y est !

— Mon Dieu !

— Écris aux enfants, je veux les revoir tous…

— J’y pensais !

Quarante huit heures après les cinq jeunes hommes étaient réunis à table, et chacun discutait avec un grand sang-froid. Au café, — au milieu de la fumée des cigarettes, — le diapason du patriotisme monta.

— On va les arroser un peu ! disait l’ingénieur.

— Je mettrai ma petite virgule dans cette page d’histoire, faisait Marc en se frottant les mains.

— Il faut en finir ! accentuait Gaston.

— À Berlin ! Ils nous assomment avec leurs menaces, disait Joseph en louchant sur le galon neuf de ses manches.

Mais Robert s’attristait d’être si jeune.

— Pas de chance ! Ce sera fini quand je serai de la classe. De quoi aurai-je l’air dans la famille ?

Afin de se mettre à l’unisson de l’enthousiasme ambiant, il ouvrit le piano et joua la Marseillaise. Madame Lartineau, qui travaillait auprès de la fenêtre, posa son ouvrage et resta pétrifiée, le regard lointain. Les hommes cessèrent tout à coup de parler ; et pendant les premières notes s’immobilisèrent rêveurs. Puis, ils décroisèrent leurs jambes et battirent la mesure, tout en continuant à fumer. Cela fit — dans le silence — comme un piétinement de patrouille qui passe. Quand le piano chanta : « Aux armes citoyens ! Formez vos bataillons ! » les souliers rythmèrent plus énergiquement encore la marche irrésistible et seulement au dernier vers :

— « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » le jeune St-Cyrien s’exalta.

— Parfaitement qu’on y aille ! On n’a que trop tardé !

Madame Lartineau toute droite dit en écho :

— Du sang ! Il va couler du sang !

Ce n’était ni un recul ni un affolement que ces mots traduisaient chez cette mère cornélienne, c’était une sorte de terreur religieuse, comme doivent en avoir les fidèles dont les dieux exigent des holocaustes sanglants. Elle haletait et contemplait ses fils cherchant à deviner lequel serait marqué du sceau tragique de la gloire. Depuis longtemps elle était familiarisée avec cette perspective de deuil, mais au moment de s’arracher à la tendresse de l’un de ces jeunes hommes, qu’elle avait élevés, un tremblement la secouait et ses pauvres dents s’entrechoquèrent si fort que les causeurs se retournèrent.

— Chut, dit le colonel… Elle ne peut pas se réjouir comme nous…

Quand ses fils l’embrassèrent au moment du départ, ils reçurent son baiser comme une bénédiction.

Le 2 août, le colonel vit briller très tard dans la soirée la fenêtre de l’appartement de sa femme. Il s’inquiéta ; car, depuis qu’elle n’attendait plus son retour, jamais une lueur n’illuminait cette chambre après dix heures du soir. Il frappa à la porte et entra.

— Que fais-tu au lieu de dormir ? dit-il affectueusement.

— Je prie !

— Pour eux ?

— Pour tous !

— Et pour moi qui t’ai fait souffrir ? dit-il en souriant.

— Et pour toi que j’ai beaucoup aimé ! répondit-elle bravement.

— Mais que tu n’aimes plus, n’est-ce pas ?

— Pour toi qui es le père et le Chef. Dieu a pardonné à ses ennemis, je peux bien pardonner à un vieil ami.

Elle lui tendit la main et l’ombre d’un sourire erra sur leurs bouches vieillies.

— Je pars demain Juliette. Si je fus un piètre mari, je serai…

— Un magnifique soldat ? Je le sais…

— Veux-tu m’embrasser en guise d’absolution ?

— Voilà ! Que Dieu te garde autant qu’il gardera la France, dit-elle.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le rideau de fumée que les incendies de Belgique baissèrent sur le premier acte de la tragédie militaire, plongea le Civil dans l’épouvante du crime déchaîné. Mais les cris d’agonie des Martyrs — pour qui les bourreaux reculaient les limites de la cruauté — réveillèrent les plus purs de nos atavismes.

Mme Lartineau — que des renseignements de source autorisée tenaient au courant des premiers désastres, — ne trouvait de refuge qu’en la religion. Elle était à Tillière, dans sa propriété de l’Eure, quand le maire fut chargé d’annoncer à la générale la mort de Joseph ; (le fils à qui Rhœa avait fermé les yeux). Mais le brave homme ne put se décider à remplir ce devoir ; bien qu’il fût en violent désaccord de principes avec le curé, il alla le trouver. Celui-ci était un très vieil homme, qui accepta la mission avec d’autant plus de tristesse, qu’il venait de confesser Mme Lartineau. Il savait donc, mieux que personne, sur quelle âme allait s’abattre la douleur.

Le lendemain, dans la petite église, trois femmes s’avancèrent vers la Sainte Table pour y communier. La main du prêtre tremblait sur le bord du calice : et quand vint le tour de la colonelle, tant d’admirable résignation se lisait sur son visage, que l’officiant s’arrêta presque interdit. Cette seconde de silence dans le ronron habituel des mots latins fit lever les yeux de la communiante, et toute la pitié qui montait du cœur du prêtre la pénétra d’un long regard mouillé ! Elle comprit que ses vieilles prunelles pleuraient sur elle ; un effroi la saisit, mais, — dominée par la solennité de la minute, — elle osa seulement murmurer :

— Lequel ?

— Joseph ! dit le curé.

Revenant à la Sainte Cène, il psalmodia :

Corpus domine nostri Jesus Christi

Et dans la bouche tordue par le chagrin, mais entr’ouverte par la piété, il posa la Sainte-Eucharistie. Quand Madame Lartineau sortit pantelante de la méditation, dont la mort du Christ et celle de son fils avaient été le thème sublime, elle chancelait. La messe était finie depuis longtemps et les larmes qui coulaient silencieusement sur ses joues avaient rafraîchi sa douleur. Elle se dirigea vers la sortie, les épaules lasses et le front incliné, mais auprès de la porte elle vit se dresser un surplis dans la pénombre. C’était le Curé, un crucifix d’ivoire à la main qui lui présentait à baiser les pieds cloués du Grand Martyr.

— Il est mort pour les péchés du monde ! Souffla le vieillard….

— Il est mort en pardonnant à ses ennemis !…

— Il est mort et il est ressuscité dans la gloire !.. Allez, ma fille, et portez haut votre cœur ulcéré, car Dieu ne vous a élevée que pour vous confier le soin de l’Exemple.

Dès lors Madame Lartineau cacha stoïquement sa douleur, et nul ne vit plus ses yeux embués de larmes ; elle partagea son temps entre les diverses œuvres qui la sollicitaient.

Le printemps lui ramena Marc sur une civière, mais condamné à vivre désormais de la vie des estropiés. Puis une sorte de trêve apaisa ses inquiétudes parce que des mouvements de troupes ramenèrent Jean et Gaston en seconde ligne pendant que l’été rendait propices les terrains de combats. Mais l’automne zébra l’atmosphère des premières feuilles mortes, et l’offensive de Champagne s’accomplit.

Quinze jours s’écoulèrent sans que nulle missive vint la rassurer sur le sort de ses deux fils ; mais elle donna ses heures à la charité sans prononcer d’autres mots que ceux qui exaltaient la victoire française. On venait précisément de lui confier la présidence, « du Secours immédiat aux Victimes de la Guerre » lorsqu’elle reçut la petite lettre officielle l’informant de la mort de Gaston : Il était tombé du côté de Massige, après avoir mérité une brillante citation à l’ordre de l’armée. En même temps, lui parvenait une dépêche de son mari la priant de venir immédiatement à Tillière. — Il veut sans doute m’adoucir la cruauté de cette nouvelle ! songea-t-elle en maîtrisant ses sanglots.

Un train la déposa trois heures plus tard dans l’Eure.

Rien ne fut tragique comme la feinte ignorance que simulèrent les deux époux. Ils étaient dans leur home depuis une heure sans avoir encore osé aborder le sujet de leur deuil ; et chacun, voyant le calme de l’autre, pensait :

— Peut-être ne sait-il pas !

Tous deux cherchaient des mots consolateurs et n’en trouvaient pas. À table — comme nul ne se décidait à manger — le général (car Monsieur Lartineau avait été promu général depuis peu) hasarda :

— Ma pauvre Juliette, je voudrais bien te dire…

— Je sais, répliqua la mère… Ce pauvre Gaston ! acheva-t-elle en pleurant.

— Mais non… Pas Gaston… Jean ! Jean est mort à Tahure !

— Jean ? Mais non, Gaston, cria Mme Lartineau comme si on l’eût égorgée. Regarde !

Elle sortit la lettre officielle de son corsage et le général en la lisant baissa la tête.

— Eh ! bien ? réponds… Jean ?

— Je l’ai bien vu celui-ci là… Et la terre le recouvre ! Mort en héros mais bien mort ! Je ne savais pas que Gaston…

— J’espérais encore pour Jean !

Il sembla aux deux époux qu’une griffe leur arrachait brutalement un lambeau de leur cœur ; un rictus affreux contracta leur visage ; et, sans un mot de plus, ils se levèrent.

Le général marcha longtemps dans le salon passant et repassant devant sa femme effondrée sur un siège les yeux inondés de larmes. Le silence dura jusqu’à ce que la domestique, attendrie par tant de malheur, osât dire à l’oreille de sa maîtresse :

— Madame devrait se coucher !

— C’est bien ! Allez… ordonna M. Lartineau.

Puis il aida sa femme à se lever, et la conduisit à l’étage supérieur. Ils s’étreignirent devant un crucifix au bas duquel étaient alignées les photographies des cinq soldats qu’elle avait donnés à la France. Le doigt tremblant elle désigna l’image de Robert et dit :

— Celui-ci ?

— Son appel est imminent !…

Les genoux de la femme fléchirent et elle s’abattit sur un prie-Dieu.

— Vous me les avez prêtés, Seigneur, et s’il vous plaît de les reprendre que votre volonté soit faite et non la mienne.

Tant que la prière de Madame Lartineau monta dans le silence de cette nuit de province, le général marcha par la chambre, les jambes de plus en plus lasses, et les épaules de plus en plus tassées. Aussi, quand elle se releva le regard presque apaisé, ils se contemplèrent et se virent dans toute la misère de leur désespoir. La pitié — qui fait s’entr’aider les agonisants sur le champ de bataille — leur suggéra de ne point se quitter en pleine détresse.

— Essaie de dormir, mon ami, la France a besoin de toi, dit la générale.

— Tu as raison, je rejoins demain, répondit Monsieur Lartineau.

Pour la première fois — depuis quelque quinze ans — le couple terrassé par la douleur chercha le sommeil côte à côte. Il ne trouva qu’un repos interrompu par des soublesauts et des sanglots.

Le lendemain matin, lorsque le soleil entra dans la chambre, le général dormait enfin ; et sa femme avait achevé sa toilette lorsqu’il s’éveilla.

— J’ai dormi ? dit-il un peu confus.

— Heureusement ! Allons, allons, ami, debout maintenant !

L’heure est à l’action et les morts seuls ont le droit de rester couchés.

— Je suis un peu las, Juliette… Quand on est venu m’annoncer la gloire de Jean, je n’ai pas bronché. À ce moment l’attaque était en pleine intensité, et je n’ai rien senti se briser en moi. J’ai continué de commander, comme il a continué, lui, d’aller en avant après sa dernière blessure pour entraîner sa compagnie… Mais aujourd’hui…

Le masque évidé par la soixantaine, le général accoudé sur l’oreiller semblait écouter la voix mauvaise du découragement. Alors Madame Lartineau toute droite contre la vitre l’appela :

— Lève-toi et viens ! Regarde la campagne. Il me semble y trouver une leçon. Dieu nous a élevés comme il a élevé les peupliers sur ce grand chemin ; là-bas ! Mais en haussant leurs têtes, il en a fait le point de mire des éléments déchaînés. C’est à l’inclinaison de leurs cimes que les paysans mesurent la tempête…

— Tu as raison, chère vieille, c’est passé… Redressons la tête et que notre courage entretienne la confiance.

Un peu plus tard, Monsieur Lartineau quittait Tillières en automobile, et les officiers d’ordonnance qui assistaient aux adieux du couple, ne le virent pas pleurer.

— Ce fut très impressionnant ; dit l’un d’eux à un de ses camarades. Positivement leurs âmes étaient au port d’arme : et l’on sentait qu’elles y resteront tant que la Victoire ne leur criera pas : « Rompez les rangs ! »