La Jeune littérature allemande - Gerhart Hauptmann

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LA JEUNE
LITTERATURE ALLEMANDE

GERHART HAUPTMANN

Les discussions esthétiques et sociales qui se sont engagées autour des pièces de M. Gerhart Hauptmann ont presque abouti à faire de lui une personnalité de premier plan. Ayant été interdits à Berlin, ses Tisserands, désignés de ce chef à l’attention de M. Antoine, ont été accueillis au Théâtre-Libre avec l’enthousiasme sur lequel peuvent compter les œuvres proscrites par la censure, quelles qu’elles soient. Les Ames solitaires, que l’ « Œuvre » voulut ensuite nous présenter, avaient été jouées librement à Berlin ; elles eurent la bonne fortune d’être à leur tour interdites à Paris : soit parce que leur traducteur, M. Cohen, venait d’être expulsé du territoire français comme anarchiste, soit parce que la censure y découvrit, — ce qui eût été d’ailleurs une lourde erreur, — des tendances anarchistes. Jouées une seule fois, en répétition générale, devant des initiés, les Ames solitaires n’en passèrent que plus facilement pour un chef-d’œuvre ; la gloire d’être interdit à Paris s’a joutant à celle d’avoir été interdit à Berlin, M. Hauptmann fut consacré grand homme dans plusieurs cénacles, et put passer pour un esprit d’une extrême hardiesse. Aussi ce fut avec une curiosité très vive qu’on attendit, il y a quelques semaines, la représentation de son œuvre la plus nouvelle, l’Ascension de Hannele Mattern, que les grandes scènes de l’Allemagne et de l’Autriche donnaient déjà avec succès. Cette représentation partagea la critique, comme aussi le public spécial du Théâtre-Libre, en deux clans bien tranchés : les uns déclarant absurde, les autres proclamant sublime ; en sorte que, tandis que la moitié des spectateurs sortaient des Menus-Plaisirs en haussant les épaules, on en entendait d’autres s’écrier dans une extase : « C’est aussi beau que Parsifal !… » Et il y avait un épisode de plus à consigner dans le curieux chapitre de nos petites annales littéraires où l’on décrira un jour l’accueil fait à certaines œuvres étrangères pendant ce dernier quart de siècle. Car on dirait que le public, — j’entends ce public restreint qui seul professe sur les choses de la littérature des opinions qu’il tache à justifier, — leur a réservé toute la passion dont il est encore susceptible. En tout cas, il ne les aborde point dans un simple esprit de curiosité, mû par un désir de connaître aussi honorable que légitime : il ne les écoute, dirait-on, qu’avec des partis pris pour ou contre, arrêtés d’avance, qu’elles soient ou non de valeur à les soutenir. Aussi commet-il à leur propos de grosses fautes de jugement, telles qu’on serait tenté de croire que le sens des proportions nous abandonne entièrement. Est-ce qu’il y a quelque temps, par exemple, on n’imaginait pas de nous donner, pour faire pendant aux pièces d’Ibsen, les folles pièces de M. Auguste Strindberg, dont l’incohérence ne décourageait aucune bonne volonté ? La crise d’enthousiasme qui a soudain placé M. Hauptmann au rang d’un Tolstoï, ou peu s’en faut, est un phénomène du même ordre, quelque supérieur que soit d’ailleurs son théâtre à celui de M. Strindberg. Nous en serons persuadés quand nous aurons parcouru les sept pièces, d’un intérêt inégal, qui, avec un poème et deux nouvelles, constituent l’œuvre complète, jusqu’à ce jour, du jeune écrivain.


I

M. Gerhart Hauptmann est né en 1862, en Silésie. Comme il a pris la peine de nous l’apprendre lui-même, son grand-père était un « pauvre tisserand, qui a vécu devant son métier comme les ouvriers décrits dans la pièce » ; avec plus de chance, pourtant, j’imagine, car son petit-fils se trouva dans une situation de fortune indépendante, qui lui permit dépasser les années de sa première jeunesse à tâtonner en cherchant sa voie. Il se destina d’abord à l’agronomie, puis il résolut d’être artiste, « mais sans bien savoir encore à quel art il se consacrerait », nous dit M. Jean Thorel, dans l’avant-propos de sa traduction des Tisserands. Il essaya de la sculpture, y renonça comme il avait renoncé à l’agronomie, songea aux lettres, fit des plans de romans et de pièces qu’il n’exécuta pas, et, en 1885, publia sa première œuvre, un poème épico-lyrique intitulé : le Sort des Prométhides[1].

Ce début n’avait rien de brillant : les mésaventures du poète Selin, qui finit, après beaucoup de stances, par briser sa lyre et par en jeter les morceaux au vent, ne se recommandaient point à l’attention des contemporains. Aussi le poème n’eut-il aucun succès : M. Hauptmann en a plus tard retiré les exemplaires de la circulation, et il y aurait mauvaise grâce à le taquiner sur une œuvre de jeunesse dont il est le premier à reconnaître la nullité. Si nous la signalons, c’est qu’elle ouvre par une dédicace, qui en est le meilleur morceau, où pointent déjà des intentions hardies, et comme une volonté d’audace qui n’aboutit d’ailleurs ni dans le fond ni dans la forme de cette première composition :

« Je chante librement, malgré le poids des chaînes : — l’audace est le premier devoir du chanteur, — et celui qui limite son chant à une caste — est un lâche, et non pas un chanteur. — Il faut que l’arme brille au jeu des cordes, — et malheur au chanteur qui chante la paix !…

On peut s’étonner de trouver au seuil d’une œuvre aussi parfaitement inoffensive que le Sort des Prométhides de si menaçantes paroles. Leur sens devait se dégager quatre ans plus tard, quand le jeune auteur, ayant trouvé la formule qui lui convenait, dégagea pour la première fois sa personnalité.

Ce fut en publiant en librairie un « drame social » intitulé : Avant l’aurore, que ses tendances et sa hardiesse excluaient des scènes habituelles. Or, à ce moment même, un groupe de jeunes gens en quête d’art nouveau venaient de fonder une Scène libre (Freie Bühne), sur le modèle du Théâtre-Libre de M. Antoine. Les deux directeurs de l’entreprise, MM. Otto Brahm et Paul Schlenther, n’hésitèrent point à monter la pièce de M. Hauptmann, qui fut jouée le 20 octobre 1889, et fit scandale. Peu de temps après, le cadre restreint du théâtre parut trop étroit au petit groupe, qui créa, toujours sous le titre de la Scène libre, une revue à laquelle vinrent collaborer des écrivains de talens divers, mais imbus de doctrines plus ou moins homogènes. Bientôt, ils s’adjoignirent quelques-uns de ces Scandinaves que l’Allemagne attire et adopte, comme MM. Arne Garborg, Strindberg, Knut Hamsum, etc. Enfin, à côté de leurs propres romans et de leurs propres pièces, ils se mirent à publier un grand nombre de traductions de Tolstoï, de Kielland, et de Zola, entre autres, dès leur troisièmes numéro, la Bête humaine. Tout cela constitua un ensemble qui réussit à s’imposer rapidement au public : et la glorification de M. Hauptmann devint un des articles du programme de la jeune école.

Il faut dire que sa première pièce semblait de taille à justifier, sinon l’enthousiasme excessif qu’elle inspirait, du moins les espérances qu’elle avait fait naître. Avant l’aurore, en effet, est une œuvre d’un grand intérêt dramatique, qui a le mérite d’entrer au vif des questions les plus menaçantes de l’heure actuelle.

L’action, très rapide, conduite avec une énergie et une précision assez rare dans le théâtre allemand, se passe dans une famille de paysans, qu’a subitement enrichis la découverte de bassins houillers. Une affreuse famille : l’homme, Krause, est un abominable ivrogne, qui ne quitte pas le cabaret ; pendant qu’il boit à l’auberge, sa seconde femme boit à la maison ; et aussi sa fille aînée, Marthe, qui a épousé un ingénieur nommé Hoffmann. L’alcoolisme est si bien entré dans leur sang à tous, que le premier enfant de Hoffmann est mort à trois ans, d’avoir vidé un flacon de vinaigre ; aussi n’est-ce pas sans angoisse que le père pense aux couches imminentes de sa femme. Cet ingénieur ne se grise pas encore : mais il vit bien, il apprécie le vin de Champagne et le fin cognac : il est, du reste, pire que les autres, il a mis la contrée en coupe réglée, s’enrichit à grandes guides, aux dépens des malheureux ouvriers qui travaillent pour lui. De plus, comme sa femme lui inspire un dégoût facile à comprendre, il voudrait bien chercher quelque compensation auprès de sa belle-sœur Hélène, — le seul être humain, honnête, qui ait poussé dans ce milieu empesté. La pauvre fille a été élevée en pension : elle est rentrée à demi dégrossie dans son horrible demeure, bien paysanne encore malgré les bribes de belle éducation qu’elle a reçues, capable pourtant de souffrir cruellement de ce qu’elle voit et d’aspirer à changer de vie. On l’a fiancée sans qu’elle dise oui ni non, à une brute de la race, un nommé Wilhelm Kahl, neveu de Mme Krause, dont il est d’ailleurs l’amant. Comme vous le voyez, aucun trait ne manque au tableau, et l’œuvre peut prendre place à côté des plus noires qu’ait produites la littérature réaliste : ni Zola dans l’Assommoir, ni Tolstoï dans la Puissance des ténèbres, n’ont été plus loin dans l’horreur. Notez que certains détails, adroitement calculés, doivent rehausser encore l’effet de l’ensemble : tout ce joli monde grouille dans une belle ferme, servi par un nombreux domestique, avec un valet de chambre en livrée dont la principale fonction est évidemment d’expliquer en termes convenables que « monsieur » ou « la gracieuse madame » ne sont point en état de venir à table. Un jour, tombe dans cet enfer un ancien camarade de Hoffmann, Alfred Loth. Ce Loth a eu une existence assez tourmentée : il a été condamné, injustement, à deux ans de prison ; il s’est consacré à une tentative de colonisation à laquelle Hoffmann s’était lui-même intéressé ; maintenant, il est enrôlé dans le parti socialiste, il écrit dans les journaux avancés, et il vient dans le pays pour étudier les conditions d’existence des ouvriers mineurs. C’est un idéologue, ayant sur toutes choses des principes arrêtés ; il sait où doivent aboutir les tentatives de réforme sociale auxquelles il s’est consacré ; il est tempérant, et refuse obstinément de goûterait « Veuve Cliquot » et au « Martel trois étoiles », qui font la joie de son ami ; il ne s’est pas marié, car, quel que soit son besoin d’affection, et depuis qu’il a été abandonné par une fiancée à qui ses deux ans de prison avaient déplu, il s’est fait du mariage une si haute idée, qu’il n’a encore trouvé personne avec qui il ait pu tenter de la réaliser. Comme bien l’on pense, il ne tarde pas à se trouver en conflit déclaré avec Hoffmann, qui est revenu des idées généreuses qu’il professait jadis, à l’Université. Les deux anciens amis se heurtent sur tous les points, en des scènes qui font éclater, de façon saisissante, les inconciliables différences qui séparent l’homme pratique satisfait et le rêveur insatiable. Hoffmann ne sait au juste si Loth l’effraye ou l’amuse : il a grand-peur de le voir agiter la contrée : mais, d’autre part, il ne peut s’empêcher de s’intéresser à ses déclarations de principes, et d’en rire. Car Loth, qui n’est pas au courant des aventures de son ancien camarade, est plein de confiance en lui, et l’entretient avec abondance de ses opinions, de ses projets, de ses affaires. Qu’on en juge par la scène essentielle où il lui expose ses théories sur le mariage :


HOFFMANN. —… Et depuis, ton cœur ne s’est-il pas accroché quelque part ?
LOTH. — Non.
HOFFMANN. — Naturellement. Alors, tiré des capsules dans le blé, renoncé au mariage, comme à l’alcool ! Hein ? D’ailleurs, chacun son goût.
LOTH. — Il ne s’agit pas de mon goût, mais peut-être de mon sort. Je l’ai déjà dit une fois, je crois, que je n’ai renoncé à rien par rapport au mariage ; je crains seulement qu’il n’y ait aucune femme qui soit celle qui me convient.
HOFFMANN. — Un grand mot, Lothchen !
LOTH. — Sérieusement ! Il est possible qu’avec les années on devienne trop difficile et que l’on possède trop peu de bon instinct. Je considère l’instinct comme la meilleure garantie d’un choix judicieux.
HOFFMANN, légèrement. — Il se retrouvera bien,… (Riant) l’instinct, j’entends.
LOTH. — Enfin, que puis-je offrir à une femme ? Je doute de plus en plus d’avoir le droit d’exiger d’une femme qu’elle s’attache à la petite partie de ma personnalité qui n’appartient pas à mon travail ; et puis, j’ai toujours redouté les responsabilités et la famille.
HOFFMANN. — Quoi ? quoi ? Les responsabilités et la famille ? N’as-tu pas une tête, des bras, hein ?
LOTH. — Comme tu vois. Mais, je te l’ai déjà dit, ma puissance de travail appartient en plus grande partie à mon but, et il en sera toujours de même : elle n’est donc plus à moi ; j’aurai à lutter contre des difficultés tout à fait particulières…
HOFFMANN. — Bast ! Quelqu’un ne sonne-t-il pas ?
LOTH. — Tu prends ce que je te dis pour des phrases oiseuses ?
HOFFMANN. — En tout honneur, cela sonne un peu creux ! On n’est pourtant pas un inutile parce qu’on est marié. Il y a des hommes qui ont toujours l’air d’avoir sur les autres le privilège des bonnes actions.
LOTH, violent. — Pas du tout ! Je n’ai pas cette idée-là !… Mais loi, si tu ne t’étais pas déjà éloigné de ton but, tu t’en éloignerais à cause de ton heureuse situation matérielle.
HOFFMANN, avec ironie. — Cela serait donc aussi une de tes exigences ?
LOTH. — Comment ! exigences ? quoi ?
HOFFMANN. — Je veux dire que tu chercherais la fortune dans le mariage ?
LOTH. — En tous cas.
HOFFMANN. — Et il y a encore, — comme je te connais, — tout un long écheveau d’autres exigences ?…
LOTH. — Sans doute. La santé morale et physique de la fiancée, par exemple, est une condition sine qua non.
HOFFMANN, riant. — Sans doute, il faudra soumettre la fiancée à un examen médical nécessaire ?
LOTH, toujours sérieux. — Mais j’ai aussi des exigences pour moi, tu le sais bien.
HOFFMANN, toujours plus gai. — Je sais, je sais !… C’est comme quand tu étudiais la littérature sur l’amour, pour établir d’une manière certaine si ce que tu éprouvais alors pour n’importe quelle dame, était vraiment de l’amour. Ainsi, dis-moi encore quelques-unes de tes exigences ?
LOTH. — Ma femme, par exemple, devrait savoir renoncer…
HOFFMANN. — Oui… Oui… ah ! j’aime encore mieux me taire… Je voulais dire seulement que la femme est en général habituée au renoncement.
LOTH. — Au nom du ciel ! Tu me comprends mal. Ce n’est pas ainsi que j’entends le renoncement. Je le demande en ce qui concerne la partie de mon être qui appartient à mon but ; je voudrais qu’elle y renonçât de bonne volonté, et joyeusement. Non, non, pour le reste, ma femme doit exiger, et toujours exiger, ce que son sexe dans le cours des siècles a perdu.
HOFFMANN. — Ah ! ah ! ah ! l’émancipation de la femme !


Si les propos de Loth produisent peu d’effet sur Hoffmann, qui finit par le prier de quitter sa maison, ils en produisent beaucoup sur Hélène. La pauvre fille voit en lui le sauveur qu’elle attend, l’homme au cœur noble qui lui donnera sa part de bonheur et dont elle est toute prête à partager la vie, quelque pauvre ou pénible qu’elle soit ; et elle finit par lui avouer son amour, au moment où il va partir :


HELENE, doucement. — Monsieur Loth !
LOTH tressaille, se retourne. — Ah ! c’est vous. Alors, je puis au moins vous dire adieu.
HELENE, involontairement. — Vous en éprouviez le besoin ?
LOTH. — Oui, j’en éprouvais le besoin. Probablement, quand vous étiez ici, avez-vous assisté à la scène.
HELENE. — J’ai tout entendu.
LOTH. — Alors, vous ne serez pas étonnée si je quitte cette maison sans autre cérémonie.
HELENE. — Non ! je comprends…
………..
Peut-être vous adoucirez-vous à son sujet. Mon beau-frère a le repentir très prompt. Je l’ai souvent…
LOTH. — C’est très possible ! Mais peut-être que ce qu’il a dit de moi était sa vraie opinion.
HELENE. — Le croyez-vous sérieusement ?
LOTH. — Oui ! sérieusement ! Donc… (Il s’approche d’elle et lui tend la main.) Adieu. (Il se tourne et redevient silencieux.) Je ne sais pas… ou plutôt (regardant Hélène avec calme dans les yeux) je sais, je sais, qu’à partir de ce moment, il ne m’est pas très facile de m’en aller d’ici… et… oui… et… oui !
HELENE. — Si je vous priais, cependant… si je vous priais, de tout mon cœur, de rester encore ?
LOTH. — Vous ne partagez donc pas l’opinion de votre beau-frère ?
HELENE. — Non ! Et je voulais vous le dire, vous le dire encore avant… avant que vous ne partiez.
LOTH saisit sa main. — Cela me fait vraiment du bien.
HELENE, luttant contre elle-même. Dans une excitation qui monte presque à l’inconscience, elle balbutie péniblement : — Je voulais vous dire — encore quelque chose — c’est… c’est que… je vous estime beaucoup et vous vénère, comme je n’ai encore estimé aucun homme… que j’ai confiance en vous, que je suis prête… à le prouver… que je ressens quelque chose pour toi, pour vous. (Elle tombe défaillante dans ses bras.)
LOTH. — Hélène !

Loth ne partira pas ; d’autant plus que Hoffmann, qui craint de l’avoir froissé, s’excuse de sa vivacité et cherche aussi à le retenir. Il se laisse aimer, il aime aussi, — l’amour étant contagieux, — il s’oublie auprès d’Hélène en des scènes d’un enfantillage charmant, qu’entrecoupent des pluies de baisers comme on n’en voit pas souvent au théâtre. Ses théories sur le mariage ? Il n’y pense plus guère. D’emblée, Hélène lui paraît la femme de ses rêves, la compagne qui partagera les chances de sa vie d’apôtre et se dévouera avec lui aux pauvres et aux opprimés. Et il est si bien envahi par cette tendresse qui s’est noblement offerte, elle le pénètre si doucement, qu’il en oublie de prendre ses informations sur la santé physique de la famille de sa fiancée, dont la santé morale ne laisse pas de l’inquiéter un peu. Il est heureux, il s’abandonne, il marche dans un rêve. Hélas ! le réveil en est brusque ! Le médecin de la maison, qu’on est obligé d’appeler pour les couches de Mme Hoffmann, est, comme Hoffmann lui-même, un ancien camarade d’études. Il a pour Loth de l’estime et de la sympathie, et, dans une conversation qu’on interrompt à chaque instant pour l’appeler auprès de la malade, il croit devoir le mettre au courant de ce que sont les Krause. Loth tombe du haut de toutes ses illusions : il aurait passé sur les tares morales, dont Hélène semblait pure ; il ne passera pas sur l’alcoolisme morbide dont l’hérédité menacerait ses enfans. Et il part, il s’enfuit, sans explication, sans adieu, en laissant un billet pour Hélène, — avec la lâcheté des héros qui craignent leur faiblesse et ne sont braves que de loin. Hélène, qui se croyait sauvée et avait donné son cœur tout entier, ne résiste pas à son désespoir : elle se frappe d’un couteau de chasse, pendant qu’on entend, au dehors, la voix de son ivrogne de père, qui crie : « Hé ! là-bas !… Hé !… N’ai-je pas une paire de jolies filles !… »


Cette première œuvre est peut-être la meilleure de M. Hauptmann. On en peut critiquer les tendances, on peut la trouver brutale et repoussante, on n’en saurait méconnaître ni la force, ni l’intérêt, ni même la portée, quoique sur ce dernier point on puisse lui faire les objections que soulèvera toujours toute œuvre exagérée et violente. En tout cas, M. Hauptmann s’y trouve tout entier. Les matériaux dont il a construit son drame, c’est-à-dire d’une part l’opposition des classes sociales, et, d’autre part, les effets de l’hérédité, sont déjà ceux dont il se servira dans la suite ; les personnages qu’il a mis en scène reparaîtront sous des noms différens dans ses autres œuvres ; enfin, si la double influence de Zola et d’Ibsen éclate dans la conception du drame, sa propre personnalité s’y manifeste aussi dans le relief qu’il parvient à donner à ses figures, dans l’art particulier de ses arrangemens scéniques, surtout dans l’incontestable intensité de vie à laquelle il parvient.


Dans le fait, la Fête de la paix, qui succéda à quelques mois d’intervalle, n’est qu’un décalque affaibli d’Avant l’aurore. C’est un drame de famille, de moindre envergure, d’un intérêt plus circonscrit, qui roule encore autour d’une question d’hérédité. Nous assistons aux ébats de cinq névropathes, le père, la mère, la fille et les deux fils, qui ne sont pas de méchantes gens, mais qui se tourmentent les uns les autres. Au moment où ils se croient réconciliés, une crise où il y a de la jalousie, de l’alcoolisme et de la folie, et qui se termine par la mort du père, les laisse remplis de remords, mais, sans doute, prêts à recommencer, puisqu’ils sont de pauvres victimes d’une loi fatale.

J’ai peine à croire que cette œuvre, incontestablement manquée, n’ait pas causé quelque déception aux admirateurs de M. Gerhart Hauptmann. Ils n’en convinrent pas ; elle servit même au lancement de la Scène libre, revue qui la publia dans ses trois premiers numéros ; et l’on attendit avec continuée l’œuvre nouvelle. Ce fut les Ames solitaires (Einsame Menschen), dont on parla beaucoup et qu’on admira d’avance. Avant que la pièce vît le jour, la Scène libre l’annonçait en termes assez significatifs pour qu’il soit utile de les reproduire :

« Le 4 ou le 11 janvier, la tragédie de Hauptmann Ames solitaires sera représentée sur la Scène libre. L’auteur a récemment lu sa pièce à un cercle d’intimes sur lesquels elle a produit la plus forte impression. Nous n’en communiquerons aujourd’hui que ce qui constitue un thème éternel dans la vie, et par conséquent toujours nouveau dans la poésie : il s’agit d’un homme entre deux femmes. Mais si, pendant notre période classique, qui affectionnait ce sujet, l’opposition des héroïnes reposait sur la différence des tempéramens… il s’agit ici d’une différence de culture intellectuelle, qui incarne les mouvemens de notre temps en figures typiques : d’un côté, la douce ménagère allemande, et de l’autre, la femme moderne, l’étudiante zurichoise tout imprégnée de vie actuelle. Entre ces deux figures, se trouve placé le héros du drame, un savant nerveux, spirituel, de grande volonté et de science incertaine, qui ne trouve pas dans son récent mariage le bonheur complet, et qui, dans le conflit de devoirs où il est engagé, doit finir d’autant plus tragiquement, qu’il est un de ces incomplets, d’une fine nature sensible, qui se brisent sur le seuil d’une époque nouvelle, dans la lutte de l’ancien et du moderne, de la convention et de la liberté… »

La réclame est adroite, elle n’est pas exacte. Car si M. Hauptmann avait réalisé ce programme, qui sans doute était le sien, il aurait fait un chef-d’œuvre. Par malheur, l’exécution a trahi la conception : des trois figures principales, il n’en est qu’une seule, celle de la « douce ménagère allemande », qu’il ait réussi à faire vivre. C’est déjà quelque chose, sans doute, mais ce n’est point assez : d’autant moins, que l’intention de l’auteur, étant donné le fond connu de ses idées générales, n’a pu être l’apologie de l’esprit des « temps anciens », et que l’inégalité qu’il y a entre ses personnages pousse le lecteur à les préférer, et de beaucoup, aux « temps nouveaux ».

D’abord, le « savant, nerveux, spirituel, de grande volonté, de science incertaine… de fine nature sensible », n’est ni fin, ni de grande volonté, ni spirituel, ni savant : il est nerveux, c’est vrai, horriblement nerveux, sans que cela tienne à l’hérédité, car ses parens sont de braves gens qui n’ont aucun vice. Et il est plus qu’incomplet : il est niais, il est imbécile.

Il se nomme Johannes Bockerat. Il a fait des études de sciences. Il a eu pour maître Hacckel, dont il a adopté les théories évolutionnistes, et auquel il a voué une vénération profonde. Ses études finies, ou à peu près, il s’est marié, sans se munir d’abord d’une position sociale. Il a épousé une bonne petite femme, Kathe, qui n’a pour elle que la fraîcheur de ses vingt ans et l’excellence de son pauvre petit cœur, fait pour souffrir. Elle ne sait rien, ni du monde, ni des livres. Son art consiste à « cuire », à se tenir devant son mari et devant les parens de son mari en béate adoration, à bercer et nourrir son nouveau-né, qu’elle adore un peu moins que son mari, mais presque autant. Ayant un peu de fortune, ils la mangent à petites bouchées, sans trop s’inquiéter de l’avenir, dans la banlieue de Berlin, au bord du lac de Müggel, à Friedrichshagen, qui est la résidence d’un grand nombre de députés socialistes et d’écrivains « jeune Allemagne ». Madame Bockerat, la mère, est avec eux, et ils ont pour commensal habituel un nommé Braun, qui est peintre comme Johannes est savant. Ils ne sont pas malheureux, pas heureux non plus : Kathe a le sentiment qu’elle ne suffit point à occuper l’esprit de son mari, et cela la tourmente. En effet, Johannes s’ennuie. Il a écrit un ouvrage de psycho-physiologie, et il est seul à s’y intéresser. Il en parle souvent, on l’écoute, mais quand il manifeste le désir d’en faire lecture, personne ne veut l’écouter : ni sa mère qui en a peur, ni Braun qui craint de s’ennuyer, ni Kathe qui n’y comprendrait rien. Or, un jour que Braun était chez les Bockerat, une personne qui le cherchait vient l’y relancer : c’est une étudiante qu’il a connue à Paris, Mlle Anna Mahr. Johannes s’empresse de lui offrir une lecture du manuscrit. Elle accepte, elle trouve le début admirable ; et comme le manuscrit est long, on l’invite à rester quelques jours à Friedrichshagen, pour le savourer jusqu’au bout. Il arrive ce qui devait arriver : Johannes s’éprend d’elle, qui s’éprend de lui. Ils sont tous deux d’âme honnête ; aussi ne s’avouent-ils pas leur sentiment réciproque. Mais ils s’y complaisent, ils le laissent grandir, ils le parent des voiles de l’amitié, et, résolus à ne faire de mal à personne, ils ne s’aperçoivent pas que tout chancelle et s’effondre autour d’eux. Tout de suite, en effet, Kathe a deviné une rivale, et une rivale préférée, en cette personne instruite qui sait écouter les manuscrits. Elle ne le dit pas, elle ne se plaint pas : elle s’attriste, elle dépérit, sans seulement que Johannes s’en aperçoive. De temps en temps, elle se croit sauvée : Anna va partir. Mais Anna se laisse retenir, et Kathe retombe, plus atteinte, plus blessée. Si Johannes ne s’aperçoit de rien, les autres voient : madame Bockerat, qui essaye de lui ouvrir les yeux et appelle son vieux mari à la rescousse, et Braun, l’auteur involontaire du malheur. Les efforts de ces braves gens pour ramener l’infidèle nous valent une série de belles scènes, conduites avec beaucoup d’art, et dont l’intérêt va croissant. Puis, ne pouvant rien sur Johannes qu’emporte son aveugle passion, ils s’adressent à sa complice, qu’ils supposent meilleure, ou moins éprise ; et la vieille mère Bockerat trouve la place sensible, dans une courte et belle scène :


Mme BOCKERAT regarde anxieusement autour d’elle, n’approche vivement d’Anna après s’être assurée qu’elle est seule. — Je suis dans une telle angoisse… à propos de mon Jean. Jean est si terriblement violent, vous savez. Et j’ai quelque chose sur le cœur. Je ne puis pas le garder plus longtemps, Mademoiselle ! — Mademoiselle ! — Mademoiselle Anna ! Elle regarde Anna, avec un geste suppliant et touchant.
ANNA. — Je sais ce que vous voulez dire.
Mme BOCKERAT. — M. Braun vous a-t-il parlé ?
ANNA, veut répondre que oui, sa noix s’étrangle, et elle éclate en pleurs et en sanglots.
Mme BOCKERAT, préoccupée d’elle. — Mademoiselle Anna ! Chère demoiselle ! Il faut rester de sang-froid ! Oh Jésus ! Que Jean ne vienne pas ! Je ne sais plus ce que je fais. Mademoiselle, mademoiselle !
ANNA. — C’était seulement… C’est déjà passé. Ne vous inquiétez donc plus, madame Bockerat !
Mme BOCKERAT. — J’ai aussi pitié de vous. Il faudrait n’avoir pas de sentiment humain. Vous avez eu des malheurs dans votre vie. Tout cela me pénètre jusqu’au cœur. Mais Jean me tient pourtant de plus près. Je ne puis faire autrement. Et vous êtes encore si jeune, mademoiselle ! A votre âge, on se domine encore si facilement.
ANNA. — Cela m’est affreusement douloureux d’en être arrivée là.
Mme BOCKERAT. — Je ne l’ai encore jamais fait : je ne puis pas me rappeler avoir jamais refusé à un hôte l’hospitalité. Mais je ne vois aucun autre chemin. C’est la dernière issue que nous ayons tous… Je ne veux pas juger en ce moment. Je veux seulement vous parler, comme une femme à une femme : et comme mère aussi, je désire vous parler. (D’une voir étouffée par les larmes.) Comme la mère démon Jean, je veux venir à vous. (Elle saisit la main d’Anna.) Donnez-moi mon Jean ! Rendez à une mère martyrisée son enfant ! (Elle est tombée sar une chaise et mouille la main d’Anna en larmes.)
ANNA. — Chère, chère madame Bockerat ! Cela… m’émeut profondément. — Mais… puis-je rendre quelque chose ? [ai-je. donc pris quelque chose ?
Mme BOCKERAT. — Nous ferions mieux de laisser cela. Je ne veux pas rechercher, mademoiselle, qui est le tentateur. Je ne sais qu’une chose : mon fils, de toute sa vie, n’a jamais eu de mauvais penchans ; j’étais si sûre de lui, que je ne comprends pas encore aujourd’hui… (Elle pleure.) C’était de la présomption, mademoiselle Anna.
ANNA. — Quoi que vous disiez, madame Bockerat, je ne puis pas me défendre contre vous…
Mme BOCKERAT. — Je ne voudrais pas vous faire de la peine. Je ne voudrais pas vous blesser, pour l’amour du ciel. Je suis dans vos mains. Je ne puis que vous prier, et vous prier encore dans la terrible angoisse de mon cœur. Laissez à Jean sa liberté, — avant que tout soit perdu, — avant que le cœur de Külhe ne se brise. Ayez pitié !
ANNA. — Vous m’humiliez trop… J’ai l’impression comme d’être battue, et… Mais non. — Je veux vous parler simplement. (Test une chose décidée, je m’en vais. Et s’il ne s’agit que de cela…
Mme BOCKERAT. — Que dites-vous donc, mademoiselle ? Eh ! les mots viennent à peine sur mes lèvres. Les circonstances sont telles que… il faudrait même que ce fût tout de suite, — si possible, vous devriez, en ce moment même…
ANNA. — Elle prend ses effets qu’elle a déposés.
Mme BOCKERAT. — Je n’ai plus le choix, mademoiselle.
ANNA, ses effets à la main, marche vers la porte, puis s’arrête devant Mme Bockerat. — Pouviez-vous penser que je tarderais encore ?
Mme BOCKERAT. — Dieu vous accompagne, mademoiselle !
ANNA. — Adieu, madame Bockerat.
Mme BOCKERAT. — Répéterez-vous à Jean notre conversation ?
ANNA. — Soyez sans crainte, madame Bockerat.
Mmee BOCKERAT. — Que Dieu vous garde, mademoiselle Anna !


Anna partira, après une scène d’adieux qui n’est point sans grandeur ; mais le malheureux Johannes, énervé par ces luttes, parvenu d’ailleurs à ce degré de folie où tout ce qui n’est pas l’objet de la passion s’efface et s’abolit, incapable de se résigner à reprendre sa monotone existence dans son monotone intérieur, va finir dans le petit lac dont quelques heures auparavant il admirait l’austère beauté avec la bien-aimée.

Les Âmes solitaires eurent un sort meilleur que les deux pièces précédentes : tandis qu’Avant l’aurore n’obtenait d’éclatant succès que sur la Scène Libre populaire, que M. Bruno Wille venait de fonder sur le modèle de la première Scène libre, l’œuvre nouvelle arrivait au Théâtre-Allemand, dont le public habituel l’accueillait avec faveur, et M. Otto Brahm entonnait un dithyrambe dans sa revue. Pour lui, la victoire était certaine : il réclamait modestement sa petite part dans le triomphe, qui sans doute allait s’affirmer avec une force croissante.


La pièce de M. Hauptmann qui vint ensuite, et fut aussi jouée au Théâtre-Allemand, obtint un succès qui parut justifier ces prévisions favorables. C’est une comédie, cette fois, le Collègue Crampton, qui, suivant la formule, montre « sous un nouveau jour » le talent du jeune dramaturge. Rien ne diffère plus que le rire d’un pays à l’autre : aussi, si la pièce nous paraît d’une insupportable niaiserie, ne faut-il point affirmer que nous soyons dans le juste. Écrite pour des Allemands, elle fait rire des Allemands qui, de plus, s’ingénient à lui trouver une espèce de sens et traitent le héros comme un « Falstaff moderne ». Ce héros est encore un ivrogne, tant M. Hauptmann a de peine à trouver une autre matière dramatique que l’alcoolisme. Seulement, tandis que ses précurseurs sont des ivrognes tristes et tragiques, il est un ivrogne comique et gai : professeur à l’Académie des Beaux-Arts d’une ville silésienne qu’on ne désigne pas autrement, Crampton passe ses soirées à boire avec ses élèves ; tant et si bien qu’il finit par être révoqué. Ayant bu tout ce qu’il possédait, et même davantage, il se trouverait dans un grand embarras, si le hasard ne venait à son aide. Il s’était lié particulièrement avec un élève amateur, de famille riche, nommé Strähler, qui avait été expulsé de l’Académie pour avoir rossé le bedeau : Strähler, de son côté, s’était épris de la fille préférée de Crampton, Gertrude, et ce sentiment lui inspirait une grande vénération pour le « Maître » au génie incompris et malheureux duquel il persistait à croire. Il obtient de sa famille qu’elle recueille Gertrude, il rachète l’atelier de Crampton, le découvre dans le bouge où il s’était réfugié, et le réinstalle en se fiançant avec la bien-aimée, qui reçoit, à valoir sur le mariage, un nombre considérable de baisers… Je n’insisterai pas sur la seconde comédie de Hauptmann, la Peau de loutre, qui est complètement tombée au Théâtre-Allemand il y a quelques mois. Et ses deux autres drames, les Tisserands et Hannele Mattern, ont été analysés par assez de journaux, pour qu’il soit superflu de les reprendre en détail. Notons cependant que les Tisserands, dont un jeune écrivain très renseigné, M. Henri Albert, nous a raconté toute la genèse, sont presque un drame historique. Le sujet en est fourni par les émeutes qui éclatèrent en 1846 parmi les tisserands silésiens, et se terminèrent par une répression violente. Du reste, l’œuvre n’a pas, à proprement parler, de sujet : une succession de scènes, combinées avec une incontestable habileté, pousse à leur destinée une foule de malheureux. L’impression est très forte : je ne crois pas qu’il y ait au théâtre de tableau de misère plus effroyable et plus saisissant. Quoique l’arrangement de la pièce, et même certains détails, rappellent Germinal d’une façon frappante, les Tisserands n’en sont pas moins la première pièce vraiment originale de M. Hauptmann, un drame collectif dont le protagoniste est la faim, qui émeut plutôt comme une visite à l’hôpital que comme une œuvre d’art, mais qui pourtant nous ouvre des aperçus sur un nouveau théâtre possible, sur un théâtre qui chercherait ses thèmes ailleurs que dans les magasins habituels.

Ou en peut dire autant de Hannele Mattern ; là, M. Hauptmann est peut-être plus personnel encore et plus réellement nouveau, sinon dans le fond même de son œuvre, du moins dans la façon dont il la présente. La petite Hannele Mattern, battue par un père ivrogne (toujours), poussée dans la misère et dans la douleur, pauvre créature de désespoir, est une sœur de la petite Lalie de l’Assommoir, et elle n’est ni plus malheureuse, ni plus touchante. Mais l’idée de grouper autour d’elle, pour émouvoir de sa douleur, les êtres fictifs qu’enfante son délire à côté des êtres réels qui sont les témoins de son agonie, est à peu près nouvelle. Je dis à peu près, car, quelques mois avant M. Hauptmann, un écrivain bernois, M. J.-V. Widmann, attachait son nom à une tentative du même genre, plus compliquée, plus théâtrale à certains égards, et d’ailleurs fort remarquable[2]. Il n’en est pas moins vrai que, grâce à des trucs fort habiles, M. Hauptmann est parvenu à produire sur la plupart de ses spectateurs une impression très forte : contestée à Paris, sa dernière pièce obtint un très grand succès en Allemagne. Et comme c’est au public allemand qu’elle était destinée, il faut bien croire que l’auteur ne s’est point trompé, en somme, dans le choix de ses moyens. On peut préférer un art plus simple, plus intellectuel, dont l’action sur la sensibilité des spectateurs s’exerce sans qu’il soit besoin de recourir à tant de lumières de toutes les couleurs ; mais on ne peut nier l’effet produit, qui est vif et puissant.

En dehors de ses œuvres dramatiques, M. G. Hauptmann a écrit deux courtes nouvelles, le Garde-voie Thiel et l’Apôtre, dont l’intérêt consiste surtout en ceci, qu’elles nous montrent combien ses préoccupations demeurent les mêmes, combien son champ reste limité. Le Garde-voie et l’apôtre qu’elles nous décrivent ne sont plus des ivrognes, c’est vrai : ce qui leur marque une place à part dans la galerie de M. Hauptmann. Mais la folie rôde autour d’eux. L’Apôtre, — une esquisse dans les nuages, — semble une illustration littéraire d’un de ces tableaux de M. de Uhde, où le Christ et les figures de la légende divine sont représentés en costumes d’aujourd’hui. Quant à l’autre récit, c’est une pochade naturaliste, noir sur noir, qui ne diffère que par le paysage et la couleur de quelques-uns des récits les plus sombres de nos romanciers, et qui aurait fait un bon chapitre de la Bête humaine.


II

Les œuvres que nous venons de passer en revue ont été composées en l’espace de quatre ans : elles témoignent donc d’une incontestable fécondité, et l’on peut croire qu’elles ne sont point le dernier mot de leur auteur. Elles n’en constituent pas moins un ensemble qu’on peut essayer dès maintenant d’apprécier, d’autant plus que, comme on a pu le voir, elles ne sont point très diverses. Aucune d’elles ne diffère beaucoup de la première. On pense à des variations brodées sur un thème unique : le thème se modifie, se transforme, s’accélère ou se ralentit sous la pluie des arpèges qui l’enveloppent, il se perd par moment à travers de savantes harmonies, mais une oreille un peu exercée le reconnaît toujours. C’est là, peut-être, une imperfection, si l’on se fait de l’art de l’écrivain une idée un peu large, si l’on attend de lui qu’il nous rende une image des spectacles variés du monde et qu’il nous ouvre des aperçus sur l’infinie diversité des âmes. Mais il y a plusieurs manières d’être un grand écrivain, ou du moins un écrivain qui compte : on peut l’être par la richesse des idées qu’on apporte, par la quantité des personnages qu’on crée ; on peut l’être aussi par la force avec laquelle on répète un petit nombre d’idées ou ramène un petit nombre de personnages. C’est ce qu’il faut admettre en tout cas pour accorder à M. Hauptmann une place de quelque importance dans la littérature du jour ; encore, comme nous allons le voir, y a-t-il certaines réserves à introduire.

Si peu que nous sachions de la biographie de M. Gerhart Hauptmann, — comme de celle des contemporains, — elle nous livre cependant le trait caractéristique de son talent, tel qu’il s’est développé jusqu’à cette heure. Comme nous l’avons vu, M. Hauptmann est l’homme d’une coterie : il est arrivé à point nommé pour servir de porte-drapeau à un groupe littéraire qui manquait de chef ; c’est le bruit fait par ce groupe autour de son nom qui l’a imposé au public, très vite, sans lui donner le temps de passer par les transitions salutaires qui séparent d’habitude la zone obscure où piétinent les débutans de l’éclat qui auréole les écrivains admirés et célèbres. Qu’on me comprenne bien : je ne cherche point ici à réduire l’importance de la jeune école allemande ; je ne songe pas à nier l’influence bienfaisante que la Scène libre a exercée, depuis quatre ans, sur le développement littéraire de l’Allemagne ; je reconnais volontiers que ce groupe compte parmi ses membres des hommes déjà remarquables, qu’il constitue peut-être ou probablement le noyau de la littérature de demain, qu’il a déjà produit des œuvres de valeur et qu’il en produira sans doute encore, ou, ce qui serait plus exact, que ses membres actuels en produiront, lorsque les mieux doués d’entre eux auront conquis leur indépendance. Il n’en est pas moins vrai qu’au moment où MM. Brahm et Schlenther ont ouvert leur jeune théâtre à M. Hauptmann et ont acclamé ses premières pièces, le groupe de la Scène libre était une coterie, organisée pour la défense d’un certain nombre d’idées, d’intérêts et de partis pris communs, et pour l’attaque des positions littéraires détenues par les maîtres de la génération précédente. Il n’en est déjà plus tout à fait de même aujourd’hui, où, après quelques victoires, la désagrégation paraît commencer. Mais c’était bien le cas en 1889, le soir d’octobre où l’on se querella à la représentation d’Avant l’aurore. Or, en tous temps et partout, les coteries produisent une littérature spéciale, dont les caractères ne varient pas beaucoup selon la diversité des latitudes.

Elles ont, d’abord, des programmes, qui se ressemblent tous. Leurs rédacteurs commencent invariablement par se proclamer « modernes », par annoncer qu’ils se proposent d’embrasser toutes les manifestations de la vie moderne. Ensuite, ils déclarent que leur but est la vérité. Sur ces deux points, le programme de la Scène libre, tel que nous le lisions dans le premier numéro de la revue, ne manque point à la règle : « Le droit de l’art nouveau, y peut-on trouver, est un mot : Vérité ; et Vérité dans tous les domaines que nous abordons. » Aussitôt après, d’ailleurs, selon la pente naturelle aussi de toutes les coteries, le sens large de ce mot magique se trouve rétréci, car on s’empresse de nous apprendre qu’il ne s’agit point ici de la « vérité objective, qui échappe aux combattans, mais de ces vérités individuelles, puisées librement dans une conviction profonde, et librement exprimées. » Allez jusqu’au bout du document, vous verrez qu’il continue à se préciser : on nous met en garde contre les formules, mais pour proclamer ensuite que c’est sur le terrain du naturalisme que l’art nouveau a posé ses fondemens. En sorte qu’il n’est point difficile de comprendre que, malgré la déclaration en sens inverse, l’espèce de vérité qu’on va poursuivre ne sera vraie qu’à condition qu’elle rentre dans une formule arrêtée d’avance, et que cette formule est celle du naturalisme. Nous voulons bien chercher la vérité, mais nous sommes sûrs de la posséder d’avance. Elle est à nous. En dehors d’elle, que nous détenons, dont nous sommes les prêtres, les soldats, les gardiens, il n’y a que mensonge et convention. Encore une fois, toutes les coteries littéraires partent du même principe et le déforment, dans l’application, de la même manière, par suite des mêmes partis pris. Ce n’est point là leur seul défaut : qu’elles adoptent la doctrine de l’art pour l’art, ou la doctrine inverse qui met l’art au service des idées, elles affectent de posséder le monopole de l’art comme celui de la vérité ; et, de même qu’elles déforment la vérité de parti pris, elles déforment l’art en artifices, à cause des limites qu’elles lui imposent, à cause des esthétiques préconçues où elles le veulent enfermer. Par haine de certaines conventions, elles tombent dans d’autres, qui ne valent pas mieux. Elles affichent le culte de l’indépendance pour la mieux renier : l’indépendance qu’elles demandent à leurs adeptes est une indépendance particulière, comme leur art, comme leur vérité. Elles blâment Procuste qui ne voulait accueillir que des hôtes de même taille, mais elles imitent ses procédés : car elles sont intransigeantes et vaniteuses, de la cruelle intransigeance, de l’inconsciente vanité propres aux sectaires de toutes sortes, qu’ils croient prononcer leurs arrêts au nom du Dieu qu’ils ont fabriqué sur la mesure de leur âme ou de la Vérité qu’ils ont adaptée à la mesure de leur intelligence.

Hélas ! ces traits fâcheux se reconnaissent dans l’œuvre de M. Hauptmann !

Me trouvant l’été dernier en Allemagne, je causais de lui avec un des écrivains de la jeune école. Je le comparais à un autre écrivain, indépendant, celui-là, qui se trace un large chemin en dehors de toute coterie, — M. Hermann Sudermann, — pour lequel je ne cachais pas ma préférence. Mon interlocuteur s’étonna, car Sudermann est à peu près au ban de la Scène libre ; et il finit par me dire :

— Hauptmann a plus de réalisation artistique.

Je crois bien que mon compagnon confondait l’art avec l’artifice : car c’est précisément l’artifice où M. Hauptmann me parait exceller. N’est-ce pas de l’artifice, ce soin minutieux qu’il prend des détails matériels de la mise en scène ? Et même de l’artifice qui, parfois, confine à la puérilité. C’est ainsi qu’il marquera que les membres de la famille Scholtz, dans la Fête de la paix, « doivent avoir autant que possible une ressemblance de fam²lle » ; qu’un des élèves du professeur Crampton est un Viennois ; que l’expression des yeux de la jeune Adélaïde, dans la Peau de loutre, « trahit une perversité précoce » : qu’un autre des personnages de la même pièce « dans la figure « quelque chose de méphistophélique, » et que Berger, dans Hannele Mattern, est un « capitaine de la réserve, à n’en pas douter. » On trouvera peut-être que c’est beaucoup exiger des acteurs qu’une telle précision de physionomie ; mais cela passera pour de la « réalisation artistique ». — N’est-ce pas de l’artifice aussi, cette reproduction continuelle des particularités du dialecte qu’est censé parler chaque personnage, ou de celles de la langue de la conversation, plus différente de la langue écrite en Allemagne qu’en France ? On se heurte à une abondance d’interjections, d’exclamations, de mots inutiles, qui par moment rendent le dialogue insupportable. Et quelques-unes de ces notations sont d’une flagrante inutilité : on sait, par exemple, que les Berlinois prononcent le g dur comme j. Eh bien, chaque fois que M. Hauptmann met en scène un Berlinois, il écrira jehen au lieu de gehen, comme s’il faisait une belle découverte. Artifice, artifice et prétention : défauts de coterie. Et, soit dit en passant, nous serions tenté de reprocher à M. Jean Thorel, dans ses traductions si intelligentes et si consciencieuses, de leur avoir quelquefois cherché des équivalens français.


Il y a quelque chose de plus grave, ou du moins quelque chose qui serait plus grave si M. Hauptmann n’était pas assez jeune pour avoir encore le temps de conquérir sa véritable originalité : c’est que les données de ses pièces, comme aussi les caractères de ses personnages, ne lui sont pas fournis par une simple et directe observation de la vie. Il les emprunte soit à ses lectures, soit à ses partis pris.

L’influence qu’Ibsen et Zola ont exercée sur lui a été si despotique, que son œuvre, telle qu’elle se présente à nous à présent, semble un succédané de celle de ces deux maîtres. J’ai déjà noté, en passant, quelques analogies. Mais il y en a d’autres. Il y a, d’abord, toute la conception générale de la vie, d’où résulte le choix des sujets et des caractères. Et à ce point de vue, l’écrivain allemand rétrécit beaucoup le champ déjà circonscrit du romancier français et du dramaturge Scandinave. A Zola, il emprunte ses ivrognes, à Ibsen, ses détraqués, à tous les deux, leurs notions littéraires de l’hérédité. Mais tandis que Ibsen et Zola accordent encore une certaine place à des êtres à peu près sains, M. Hauptmann ne met guère en scène que des buveurs ou des fous. Pas une de ses pièces où l’ivrognerie n’ait un rôle ; pas une où la folie ne menace ou n’éclate. Et l’on nous dira que c’est de l’observation vraie, qu’il contemple le monde sans parti pris, que son regard ne va pas de lui-même, guidé par un instinct particulier, se fixer sur les exemplaires les plus dégradés de la race, en glissant sur les autres qu’il n’aperçoit pas ! Comme on nous dira qu’il est impartial dans ses vues sociales ; qu’Avant l’aurore et les Tisserands ne sont pas des pièces tendancieuses ; que les représentans de la société établie, l’ingénieur Hoffmann, vil, débauché, sans scrupules, l’égoïste fabricant Dreissiger, et son abominable employé Pfeifer, l’ouvrier parvenu et féroce, donnent une idée juste de ce que sont les classes dirigeantes ! On est en droit d’exiger d’une œuvre à hautes prétentions et à visées sociales qu’elle nous représente avec exactitude et équité le monde qu’elle prétend décrire. Eh bien, de quelque côté que je prenne celle de M. Gerhart Hauptmann, je n’y vois la réalité que déformée ou rétrécie. Il a, au fond de son esprit, des thèses arrêtées : il s’obstine à ne pas les avouer, en sorte qu’elles n’en faussent que davantage sa vision des choses.

Ce n’est pas seulement leur conception générale de la vie que M. Hauptmann a empruntée à ses deux maîtres : il leur emprunte encore, à l’occasion, des caractères. Il y a un air de famille entre l’ingénieur Hoffmann, d’Avant l’aurore, et le consul Bernik des Soutiens de la société ; la foule presque anonyme des Tisserands ressemble d’une façon frappante à celle de Germinal ; la masse des ivrognes et des fous qui s’agitent dans tout le répertoire ont presque tous des airs déjà connus : nous les avons rencontrés dans l’Assommoir, dans la Bête humaine, dans la Terre, dans le Canard sauvage, ou sinon eux, du moins leurs pères, ou des êtres pareils, vus à travers les mêmes lunettes sinon par les mêmes yeux. Quelquefois, il y a presque confusion : ainsi, en la pauvre Käthe Bockerat, on croirait vraiment reconnaître cette malheureuse Félicia Rosmer, dont Ibsen nous a si bien montré l’âme, dans Rosmersholm. Et pourtant, Käthe Bockerat est une des meilleures créations de M. Hauptmann, elle rentre dans un groupe de personnages qu’il excelle à décrire, le seul qui, malgré quelques traits étrangers, lui appartienne, en somme, bien en propre : celui des petites femmes dévouées, tendres, niaises et charmantes. Il en a crayonné quelques-unes avec une justesse de touche saisissante, et aussi avec une émotion communicative. Assurément, c’est assez peu de chose pour un écrivain en qui l’on veut absolument saluer un réformateur. Mais c’est quelque chose ! Quand je pense à la galerie de ses personnages, que je viens de fréquenter avec assiduité, je les vois tous disparaître, sauf les femmes : non pas les femmes « nouveau jeu », oh ! certes pas ! Celles-ci, — Mlle Anna Mahr pourrait l’attester, — n’ont pas à se louer de leur peintre ; mais les autres, les petites femmes à la vieille mode allemande. qui n’ont pas la moindre prétention, qui s’habillent mal, ne soignent pas leurs mains gâtées par les soins du ménage, n’ont jamais ouvert un livre dangereux, qui marquent leur linge, raccommodent les bas de toute la famille, excepté peut-être les leurs pour lesquels elles n’ont jamais de temps et qu’elles portent avec des trous, qui font des confitures à tous les fruits et des conserves de tous les légumes, qui « cuisent » elles-mêmes des plats plus ou moins compliqués qu’elles apportent de la cuisine à leur mari avec des gestes extasiés. Pauvres êtres de bonté, de sacrifice, d’abnégation, qui n’ont qu’un cœur pour aimer, et n’en sont que plus gauches ; qui se donnent au premier signe, avec une passivité qui serait presque animale si un dévouement profond ne la relevait pas ; qui se réjouissent trop d’un baiser et en concluent tout de suite qu’on les aime, et qui s’assomment fatalement en tombant du haut de leurs illusions. Il faut lire les jolies scènes d’Avant l’aurore où Hélène tend ses lèvres au bon socialiste Loth, qui ne se fait pas faute d’en profiter, celles du Collègue Crampton où la petite Gertrude se laisse poursuivre par son fiancé, celles des Ames solitaires où la pauvre Kathe se débat maladroitement pour retenir et reconquérir son mari. Pas un mot qui ne soit d’une absolue insignifiance ou d’une incommensurable niaiserie ; et malgré cela, ou à cause, l’impression est complète ; les petites femmes se détachent en plein relief, s’imposent d’abord à notre attention, puis à notre sympathie et à notre pitié : elles grandissent, elles atteignent peu à peu à d’autres proportions, leur douleur les ennoblit ; elles nous disent, en leur langage simple, quasi puéril et cependant touchant, à travers leurs larmes qui s’expliquent mal, de combien peu de prix est l’effort de notre intelligence, et que, si nous valons un peu, ce n’est jamais que par le sentiment. Humble leçon peut-être, mais d’autant mieux venue qu’elle est plus inespérée, qu’on l’attendait moins au terme de cette œuvre bruyante, inégale, prétentieuse, et qui doit ce qu’elle a de meilleur à des facultés de compréhension et de pitié qui, dans la suite, pourraient, en se développant, nous valoir de belles surprises.

Peut-être nous trouvera-t-on sévère : la faute en est aux amis de M. Hauptmann, qui l’ont trop prôné, qui lui ont fait un succès disproportionné à ses qualités. Car il faut les reconnaître, après avoir marqué ses défauts. M. Hauptmann en possède une, en tout cas, qui peut, à la rigueur, tenir lieu de toutes les autres : le don de vie. Malgré la part d’imitation que nous avons relevée dans son œuvre, malgré le parti pris qui trop souvent déforme ses observations, malgré beaucoup d’artifices dans ses arrangemens scéniques, les personnages qu’il a créés sont vivans et bien vivans. Il les a vus, il les montre ; et on les voit. On peut discuter, comme nous l’avons fait, leur origine, leur signification, leur portée : ils n’en sont pas moins dressés devant nous, ils ont leur place dans la galerie des êtres que nous connaissons bien, si même nous ne les aimons guère ou si nous les dédaignons un peu. C’est là, j’imagine, ce que mon ami appelait de la « réalisation artistique ». Or, s’il en faut rabattre du second terme de cette expression un peu obscure, le premier subsiste tout entier. Il signifie aussi quelque chose de plus rare, et de plus précieux. Les artistes abondent, dans notre littérature actuelle : il y en a autant que de virtuoses dans les conservatoires. Les créateurs sont moins nombreux, et peut-être bien que M. Hauptmann, en prenant rang parmi eux, a choisi la bonne part. Pourvu seulement qu’il ne gâte pas et ne laisse pas gâter le don suprême qu’il a reçu de la nature ! Il nous semble être, en ce moment, à un tournant de sa vie littéraire, devant deux chemins, entre lesquels il a hésité : en suivant le premier, — le plus facile, à coup sûr, — il retrouverait à chaque œuvre nouvelle ses succès de coterie, jusqu’au jour où une coterie nouvelle renverserait la sienne, au nom des mêmes doctrines et des mêmes principes. Pour entrer dans le second, il aurait à se dépouiller de ses partis pris d’école, à secouer les influences qui pèsent sur sa personnalité et en gênent le développement, à conquérir cette indépendance d’esprit qui, avec le don de vie qu’il possède, est la condition du vrai talent. Espérons qu’il saura choisir. Espérons-le sans trop y compter ; car les coteries sont le plus souvent mortelles à leurs élus : et il y a des chances pour que M. Hauptmann, à force de l’entendre répéter, ait fini par croire qu’il est dès maintenant un grand écrivain ; ce qui le dispenserait de le devenir.


ÉDOUARD ROD.

  1. Promethidenloos, eine Dichtung von G. Hauptmann. Berlin, 1885.
  2. Au-delà du bien et du mal, drame en trois actes. Stuttgart, 1893.