La Jeunesse de Lavoisier

La bibliothèque libre.
La jeunesse de Lavoisier
Edouard Grimaux

Revue des Deux Mondes tome 84, 1887


LA
JEUNESSE DE LAVOISIER

Papiers de famille, Manuscrits et Correspondance, communiqués par M. E.de ChaieHea.


I. — LES ORIGINES, LES PREMIERS TRAVAUX.

La famille de Lavoisier est originaire de Villers-Cotterets. Antoine Lavoisier, mort en 1620, était un simple postillon, chevaucheur des écuries du roi ; son fils fut maître de poste, et ses descendans s’élevèrent peu à peu dans la hiérarchie sociale. L’un d’eux occupait, à la fin du XVIIe siècle, les fonctions de procureur au bailliage de Villers-Cotterets ; marié, en 1705, à Jeanne Waroquier, fille d’un notaire de Pierrefonds, il envoya son fils Jean-Antoine faire ses études à la Faculté de droit et y prendre le titre d’avocat.

Jean-Antoine, né en 1713, succéda, en 1741, à son oncle Waroquier, procureur au parlement de Paris, et vint habiter, au cul-de-sac Pecquet, qui s’ouvrait sur la rue des Blancs-Manteaux, la maison où se trouvait l’étude du vieux procureur. L’année suivante[1], il épousait Mlle Emilie Punctis, fille de Clément Punctis, avocat, secrétaire du vice-amiral de France, et de Marie-Thérèse Frère. Le 26 août 1743 naquit celui qui devait immortaliser le nom de Lavoisier ; baptisé le même jour à l’église Saint-Merry, l’enfant eut pour marraine sa grand’mère, Mme Punctis, et pour parrain son grand-oncle, messire Laurent Waroquier, prêtre, procureur et receveur du collège de Beauvais ; de ce dernier, il reçut le prénom de Laurent en même temps qu’on lui donnait celui d’Antoine, qui, depuis deux siècles, était porté par les aînés de la famille[2]. Les premières années de Lavoisier s’écoulèrent dans la maison du cul-de-sac Pecquet. Cette impasse, transformée depuis en passage par le percement de la rue de Rambuteau, n’était pas alors la ruelle obscure que nous connaissons aujourd’hui. Tout entourée de vastes espaces découverts, elle était limitée par les jardins de l’hôtel de La Trémouille, de l’hôtel de Mesme et du couvent des religieux de La Merci. Lavoisier avait deux ans quand naquit sa sœur, Marie-Marguerite-Émilie, mais le bonheur ne devait pas habiter longtemps sous le toit de Jean-Antoine Lavoisier ; en 1748, il perdit sa jeune femme, et, resté veuf avec deux enfans en bas-âge, il abandonna sa maison et vint demeurer avec sa belle-mère, Mme  Punctis, qui, frappée d’un double deuil, venait aussi de perdre son mari. Mme  Punctis habitait alors rue du Four-Saint-Eustache[3]avec une seconde fille, Constance, alors âgée de vingt-deux ans. Mlle  Constance Punctis se dévoua entièrement à la tâche d’élever les enfans de sa sœur ; grâce à sa chaude et intelligente affection, les orphelins n’eurent pas à souffrir de l’abandon où les avait jetés la mort de leur mère ; tout porte à croire que Mlle  Punctis refusa de se marier pour ne pas abandonner les devoirs qu’elle s’était imposés.

Lavoisier père était en mesure de donner une éducation complète à son fils et de ne rien négliger pour son instruction ; de son côté, il avait peu de fortune, en dehors des bénéfices de sa charge de procureur, mais la famille Punctis était riche : le père de Mac Punctis, Christophe Frère, laissa en mourant, en 1754, une fortune de 137,000 livres, partagée entre trois héritiers. Aussi Antoine-Laurent fut-il envoyé au collège Mazarin, dont il suivit les cours en qualité d’externe[4]. Il fut élevé au sein d’une famille d’honnêtes gens, où se développèrent les sentimens de loyauté, de justice, d’amour du travail dont sa vie devait être un perpétuel exemple.

Gai, affectueux, comme le montrent ses lettres de jeunesse, plein d’ardeur pour l’étude, il eut de nombreux succès et obtint, en 1760, le second prix de discours français, au concours général, dans la classe de rhétorique[5]. A ce moment, la maison de Mme  Punctis était de nouveau attristée par un deuil cruel : la sœur de Lavoisier, Marie-Marguerite-Émilie, venait de mourir, à peine âgée de quinze ans ; dès lors, toutes les affections se concentrèrent sur Antoine-Laurent, tous les rêves d’avenir se réunirent sur ce jeune homme dont le cœur aimant, la vive intelligence, les succès de collège, devaient consoler de leurs douleurs les trois êtres qui ne vivaient que pour lui.

Comme la plupart des hommes de science, Lavoisier eut d’abord l’amour des lettres, et rêva la gloire de l’écrivain. Il ébaucha un drame en prose dont la Nouvelle Héloïse était le sujet, mais en écrivit seulement les premières scènes. En même temps, il s’occupait des sujets de prix proposés par des académies de province, et dont les doctrines, objet de ses méditations, semblent l’avoir guidé dans sa carrière. « La droiture du cœur est aussi nécessaire dans la recherche de la vérité que la justesse de l’esprit, » tel était le sujet d’éloquence mis au concours par l’académie d’Amiens, tandis que celle de Besançon demandait : « Si le désir de perpétuer son nom et ses actions dans la mémoire des hommes est conforme à la nature et à la raison. »

Cette période d’essais littéraires fut de courte durée ; dès son année de philosophie, il avait pris le goût des sciences. Au sortir du collège, il suivit les cours de la Faculté de droit, et se fit recevoir avocat au parlement[6]; mais, à la même époque, il se constituait ce fonds solide et étendu d’instruction qui lui permit d’être éminent dans toutes les branches des sciences où le conduisit son génie. Il étudiait les mathématiques et l’astronomie avec le savant abbé de La Caille, qui, après avoir passé quatre ans au cap de Bonne-Espérance pour mesurer l’arc du méridien, déterminer la longueur du pendule et dresser un catalogue d’étoiles, avait installé un petit observatoire au collège Mazarin ; il apprenait la botanique avec Bernard de Jussieu et l’accompagnait dans ses herborisations ; Guettard lui enseignait la minéralogie et la géologie ; enfin, il suivait, au Jardin du roi, les cours de Rouelle, et s’exerçait dans son laboratoire aux manipulations de la chimie. Rouelle était alors dans tout l’éclat de sa renommée ; professeur plein de verve et de passion, il exposait les faits de la science dans un langage précis, en dehors des théories obscures et infécondes dont tant de savans se plaisaient à les envelopper ; sa réputation était immense : des auditeurs de tout âge accouraient de toutes les parties de l’Europe aux cours du Jardin du roi ; parmi eux, l’enthousiaste Diderot. Quoique les leçons de Rouelle n’aient jamais été imprimées, elles étaient dans les mains de tous les chimistes ; ses élèves rédigeaient avec soin les notes recueillies au cours ; l’un de ces rédacteurs était Diderot, dont le manuscrit, multiplié par la copie, répandait les doctrines de Rouelle[7]. Si celui-ci marqua peu par ses travaux originaux, il eut néanmoins une grande influence sur les progrès de la chimie, ses disciples furent les chimistes les plus éminens de la fin du XVIIIe siècle : Macquer, Bucquet, Bayen, Darcet et Lavoisier. Celui-ci, au sortir des leçons de Rouelle, les revoyait dans une des copies de la rédaction de Diderot et méditait sur les sujets qu’il venait d’entendre ; déjà il jetait sur le papier de courtes réflexions, où il exposait ses premières vues sur la nature des corps et des élémens. Enfin, ne négligeant aucune des branches des sciences, il étudiait aussi l’anatomie et acquérait, sur la structure du corps humain, les connaissances qui devaient lui permettre de devenir plus tard le rénovateur de la physiologie comme il le fut de la chimie.

Au milieu de ces études variées, il cherchait sa voie ; d’abord, à vingt ans, il semble se vouer surtout à l’étude des mathématiques, en même temps qu’il est attiré par la météorologie ; dès ce moment, il commence, dans sa maison de la rue du Four-Saint-Eustache, des observations barométriques qu’il devait poursuivre toute sa vie avec la plus grande régularité, les relevant plusieurs fois par jour, et les continuant même dans ses voyages d’affaires ; pour établir des comparaisons nécessaires, il chargeait alors sa chère tante Punctis ou son cousin Augez de Villers des observations à Paris, pendant qu’il les poursuivait en Normandie ou dans les Vosges. Se proposant de découvrir les lois qui président aux mouvemens de l’atmosphère, il avait compris qu’il fallait un nombre considérable d’observations, poursuivies pendant plusieurs années, et faites dans des lieux différens ; dès 1767, il avait un correspondant à Strasbourg. Plus tard, quand il eut acquis la fortune et la réputation, il fit construire à ses frais plusieurs baromètres et, après les avoir rigoureusement comparés, les adressa à divers savans avec lesquels il entretenait une correspondance active : à Montmorency, c’était le père Cotte, de l’Oratoire, connu par ses travaux de météorologie ; à Rochefort, Charles Romme, professeur de navigation, dont les travaux sur la construction des vaisseaux reçurent les récompenses de l’Académie[8] ; à Lorient, le commandant de la marine Thévenard ; à Brest, M. Blondeau, professeur d’hydrographie ; enfin, à Alep et à Bagdad, M. de Beauchamp, vicaire-général de Babylone ; et de 1770 à 1788, Hatton La Gainière, fourrier des logis de la reine, qui habitait Fresnay-le-Vicomte, dans le Maine, lui envoyait l’état des pluies tombées dans l’année. Malheureusement le travail d’ensemble dans lequel il devait tirer les conclusions des observations relevées pendant plus de trente ans n’a jamais été fait ; c’est une des œuvres de Lavoisier dont la mort a empêché la réalisation.

Les occupations si multipliées de sa jeunesse, son incroyable ardeur au travail, ne lui permettaient guère de remplir ses devoirs de société ; aussi, pour s’y soustraire, eut-il, à dix-neuf ans, l’idée d’invoquer des raisons de santé ; il se mit pendant quelques mois au régime exclusif du lait[9]. Ses amis, du reste, le croyaient malade ; l’un d’eux, M. de Troncq, lui envoyait du gruau et lui écrivait en 1763 : « Votre santé, mon aimable mathématicien, est comme celle de tous les gens de lettres dont l’esprit est plus fort que le corps ; aussi ménagés vos études et croiés qu’une année de plus sur la terre vaut mieux que cent dans la mémoire des hommes. »

À cette heure de la vingtième année, Lavoisier vivait heureux, en compagnie des hommes les plus distingués de son temps, qui, de ses maîtres, devenaient ses amis, entouré des affections de la famille dans cette maison de la rue du Four-Saint-Eustache, où l’on ne recevait que quelques intimes, car la grand’mère, Mme Punctis, aimait la solitude et la tranquillité. Parmi ces intimes se trouvait le naturaliste Guettard, dont l’influence semble avoir déterminé la vocation du jeune Lavoisier, que séduisait en même temps la gloire de Buffon. Guettard s’était d’abord fait connaître comme botaniste, et était entré à ce titre à l’Académie en 1743 ; puis, abandonnant en partie cette étude, il s’était adonné à la géologie et à la minéralogie, et, le premier, avait eu l’idée d’établir des cartes minéralogiques indiquant, par des caractères spéciaux, la nature du sol, les mines et les carrières. Il avait fait dans ce dessein de nombreux voyages en France et à l’étranger ; mais, sentant que la vie d’un homme était insuffisante pour mener à bonne fin la tâche qu’il s’était proposée, il voulut s’adjoindre un collaborateur jeune et actif qui pût continuer son œuvre, et s’adressa à Lavoisier, qui avait alors vingt ans. Dès 1763, celui-ci, même avant d’avoir terminé ses études de droit, fut le collaborateur de Guettard ; pendant trois ans, il parcourut la Brie, le Vexin, le Soissonnais, une partie de la Champagne et les environs immédiats de Paris, relevant les coupes de terrains, recueillant des échantillons, continuant ses observations barométriques. Chaque année, il passait ses vacances à Villers-Cotterets, chez sa tante Prévost ou sa tante Lavoisier[10]; mais il n’y restait pas inactif : il étudiait la forêt de Villers-Cotterets et poussait jusqu’à Lagny, Chaumont, La Ferté-Milon et Château-Thierry ; une autre fois, il visita la Beauce, alla jusqu’à Orléans, Moulins et même jusqu’à Thouars, dans le Poitou. De toutes ces excursions, il rapportait de nombreux cahiers d’observations de minéralogie, de géologie et même de botanique, sur lesquels il jetait ses vues personnelles sur les coquilles fossiles, les terres, les charbons de terre, etc… Son premier travail original date de cette période ; ce sont des recherches sur les différentes espèces de gypse, exécutées en 1766 et présentées à l’Académie dans la séance du 27 février 1765, qui inaugurent la longue série de mémoires dont il devait, pendant trente années, enrichir les recueils de l’Académie. Il examina les nombreuses variétés de gypse (pierre à plâtre), détermina leur solubilité dans l’eau, et fut le premier à expliquer la cause de la prise du plâtre, en montrant que le gypse, par l’action de la chaleur, perd une certaine quantité d’eau qu’il reprend pendant le gâchage, ce qui est la cause de sa solidification. Les qualités maîtresses de son esprit apparaissent déjà dans ce travail d’un jeune homme de vingt et un ans : il n’avance que les faits de l’expérience, et se garde de toute hypothèse prématurée. Après avoir constaté que le plâtre très fortement calciné ne peut plus s’unir à l’eau, il ajoute : « Je pourrais hasarder ici quelques conjectures ; peut-être même parviendrais-je à les rendre probables, mais je les regarde comme déplacées dans un mémoire de chimie, où l’on ne doit marcher que l’expérience à la main. »

Après ce travail, il fut quelque temps détourné des recherches de chimie par des études d’un autre genre. L’Académie, sur la demande du lieutenant de police Sartines, qui offrait une récompense de 2,000 livres, avait proposé en 1766, comme sujet de prix à décerner l’année suivante : Le meilleur moyen d’éclairer, pendant la nuit, les rues d’une grande ville, en combinant ensemble la clarté, la facilité du service et l’économie. Lavoisier résolut de concourir ; dans son mémoire très détaillé, il étudia successivement les lanternes simples à chandelle et à huile, les lanternes à réverbère elliptiques et hyperboliques, la nature des différens combustibles, la forme des mèches, etc., et termina par des expériences relatives à l’intensité de la lumière, comparée à la consommation. Pour rendre sa vue plus sensible aux faibles différences d’intensité lumineuse, il eut la volonté de s’enfermer pendant six semaines dans une chambre tendue de noir, sans voir un seul instant la lumière du jour. Telles étaient déjà sa puissance de travail, sa volonté tenace dans la poursuite de la vérité, sa précision dans la recherche scientifique. « L’unique objet que je me propose, dit-il, étant de concourir au bien de mes concitoyens, le terme fixé par l’Académie ne sera pas celui de leur être utile. » Enfin, dans ses calculs sur le prix de revient de l’éclairage de Paris, le jeune savant déploie déjà les qualités d’ordre et de méthode qui le placeront au premier rang des financiers et des économistes.

L’Académie partagea le prix de 2,000 livres entre trois fabricans, Bailly, Bourgeois et Leroy, qui avaient surtout fait des essais publics avec des lanternes de diverses formes ; mais elle distingua spécialement le mémoire de Lavoisier, dont l’épigraphe était un hémistiche de Virgile : Signabit viam flammis, et, sur le rapport élogieux des membres de la commission, résolut de décerner à l’auteur une médaille d’or donnée par le roi. Elle lui fut remise dans la séance du 20 août 1766, et les journaux signalèrent au public ce jeune savant qui méritait les récompenses de l’Académie avant d’avoir accompli sa vingt-troisième année[11]. Quoique de nombreuses occupations eussent semblé le détourner plus tard des questions de l’éclairage, Lavoisier faisait encore des expériences, en 1767, pour les réverbères de la rue des Prouvaires ; en 1783, il proposait un nouveau mode d’éclairage des salles de spectacle.

A peine avait-il été récompensé par l’Académie, que Lavoisier, dont la jeunesse, comme l’âge mûr, ne connut pas une heure inoccupée, reprenait l’œuvre à laquelle Guettard l’avait associé ; ce même mois d’avril, il parcourait de nouveau les environs de Paris, déterminant le relief du sol à Corbeil, Arpajon, Rueil, etc., et, à la fin de l’année, recommençait ses excursions géologiques dans la Brie. Entre temps, il lisait, étudiait, et notait les réflexions que lui suggéraient ses lectures. Ainsi, à propos de deux mémoires parus dans les volumes de l’académie de Berlin, il se demande ce qu’est la matière du feu, de quelle nature sont les élémens ; d’abord il s’imagine que l’air n’est que de l’eau réduite en vapeur, ou plutôt de l’eau combinée à la matière du feu ; puis, au même instant, il modifie cette première conception ; il rend une existence propre à l’air atmosphérique, qui contient en dissolution le fluide igné et de l’eau ; déjà il médite sur les grands problèmes dont il lui est réservé de donner la solution. Sa grand’mère, Mme  Punctis, étant morte au commencement de l’année 1766[12], Lavoisier père, pour simplifier les formalités de la succession, décida de faire émanciper son fils, dont la majorité légale n’avait lieu qu’à l’âge de vingt-cinq ans, et l’acte d’émancipation fut passé le 7 février[13].


II. — LE VOYAGE AVEC GUETTARD, L’ATLAS MINÉRALOGIQUE DE LA FRANCE.

Guettard, ayant fait adopter par le ministre Berlin son projet d’atlas minéralogique de la France, reçut, en 1767, la mission officielle de visiter la Lorraine et l’Alsace. Il pensa naturellement à se faire accompagner par son jeune collaborateur, qui, depuis plusieurs années, avait déjà fait ses preuves auprès de lui, et pour lequel Guettard, resté célibataire, avait conçu une affection paternelle.

Guettard n’était pas, au dire de son biographe Condorcet, d’une humeur accommodante ; brusque et emporté, il ne supportait pas la contradiction. Très pieux, absolument dévoué aux jésuites, chez qui il avait fait son éducation et qu’on venait de chasser, leur expulsion était pour lui un sujet constant de discussions passionnées dans lesquelles il ne ménageait pas à son adversaire les expressions les plus désobligeantes. Dans la vie ordinaire, il était d’une franchise brutale : « Vous ne me devez rien, disait-il à un de ses nouveaux confrères de l’Académie, qui le remerciait ; si je n’avais pas cru qu’il fût juste de vous donner ma voix, vous ne l’auriez pas eue, car je ne vous aime pas. » — « Peu d’hommes, dit Condorcet, ont eu plus de querelles. » Il n’avait rien des manières des gens du monde ; mais, sous des dehors désagréables, il possédait un fonds d’honnêteté absolue ; rude pour les hommes au pouvoir, il était plein de bienveillance et de bonté pour ses inférieurs, dont il savait facilement se faire aimer[14]. Tel était le compagnon de voyage avec lequel Lavoisier n’eut jamais que d’excellens rapports, et dont il disait, en 1783, en écrivant à Malesherbes : « M. de Condorcet se propose de travailler cet hiver à l’éloge de M. Guettard. On y verra partout l’homme de bien, l’homme sensible, l’observateur de la nature, un homme enfin qui mérite votre estime et votre amitié. »

Le voyage fut décidé pour le mois de juin 1767 ; il devait se faire à cheval, à cause du mauvais état des chemins. Lavoisier fit ses préparatifs de départ en réunissant les instrumens nécessaires à ses observations : trois thermomètres, un baromètre et un aréomètre d’argent, construit sur ses indications et destiné à la détermination de la densité des eaux potables ou minérales, enfin une petite boite de réactifs, le tout confié aux soins du domestique Joseph, qui accompagnait les voyageurs. On se mit en route le 14 juin, à trois heures de l’après-midi ; avant de partir, Lavoisier avait fait une dernière observation barométrique ; il confiait le soin de relever chaque jour les indications du baromètre à son ami Augez de Villers[15]. Son père, sa tante, tout inquiets d’un voyage qui doit conduire l’enfant bien-aimé dans les montagnes des Vosges et même en Suisse, lui font mille recommandations. « Désormais au logis attristé de la rue du Four, on guettera le facteur à chaque poste comme le Messie, » écrira plus tard Mlle  Punctis.

Lavoisier était heureux de ce voyage en compagnie du cher docteur, l’excellent M. Guettard, dont la gaîté abrège les longueurs du chemin, escorté de Joseph, qui a la mission de veiller sur lui. Il est jeune, bien portant, curieux de voir des pays nouveaux, avide de science ; il a un aimable compagnon, un serviteur dévoué, un bon cheval, cinquante louis dans sa poche, et il prévoit qu’il va récolter une moisson de faits intéressans, Mais sa joie est obscurcie par les émotions de la séparation ; il a trouvé les siens tellement attristés, son père si profondément ému de cette séparation qui doit durer plus de trois mois, que le soir même, à Brie-Comte-Robert, il écrit pour les rassurer, leur dire que tous les voyageurs sont en joye et en santé, sans oublier d’indiquer, comme il le fera à chaque lettre, que les chevaux se portent bien et mangent de fort bon appétit. C’est, dès lors, un échange continuel de lettres entre Lavoisier, son père et sa tante, une correspondance intime où éclate à chaque phrase la tendresse qui les unissait si étroitement. À peine le jeune voyageur a-t-il quitté Paris depuis huit jours qu’il ressent déjà le regret de la maison paternelle ; il lui semble qu’il est absent depuis des mois ; sa pensée est toujours auprès de son père et de Mlle  Punctis. Il lui faut, pour se résigner, faire appel à toute sa force de volonté, se représenter combien le voyage sera agréable, et surtout, comme il dit, qu’on y fera de bonne besogne.

Les voyageurs s’arrêtent à Chaumont, en Bassigny, à Langres, et arrivent le 28 juin à Bourbonne-les-Bains. Tant qu’ils sont en pays connu de Lavoisier père et de Mlle  Punctis, qu’ils reçoivent l’hospitalité chez des amis de M. Guettard ou de la famille Lavoisier, les habitans de la rue du Four sont assez rassurés ; mais leurs inquiétudes redoublent au moment où les voyageurs vont pénétrer dans des régions nouvelles et entreprendre des excursions dans les montagnes des Vosges. Le père ne peut s’habituer à l’absence de son fils, et Mlle  Punctis sent toutes ses alarmes s’augmenter ; tout est pour elle un sujet d’effroi : « Je commence à vous perdre de vue et m’en alarme, écrit-elle le 26 juin. Je crains pour vous la chaleur qui commence vivement, je crains les armes que vous avez sur vous, quoiqu’elles peuvent vous être d’une grande utilité pour les bêtes et gens, et je crains les mines ; mon cœur n’est soulagé qu’en vous engageant, par notre tendre amitié, à user encore de plus de prudence, s’il est possible, que vous ne vous étiez promis. » Puis, comme dans toutes ses lettres, qui commencent par un vous cérémonieux, arrive le tutoiement familier : « Notre crainte est que tu ne reçoives pas toutes les lettres que nous t’écrivons, et ton père propose, si tu juges convenable, pour qu’on y fasse plus d’attention à la poste, de mettre à M. Lavoisier, envoyé par le roy dans les Vosges . Nous espérons aujourd’huy recevoir de tes nouvelles ; il nous en faut souvent pour soutenir ton absence. Nous attendons le facteur comme le Messie. Tu sais nos conventions ; cela nous suffit, mais ne nous néglige pas, car notre situation seroit à plaindre ; c’est notre soutien… Porte-toi bien, mon cher enfant, ménage-toi, pense un peu à moi seulement pour te conserver, et crois à la tendresse sincère de ta meilleure amie. » C’est surtout l’excursion projetée aux mines de Sainte-Marie qui épouvante tant Mlle  Punctis ; elle y revient sans cesse : « La crainte de Sainte-Marie-aux-Mines m’obsède ; que je serai tranquille lorsque vous serez de retour de ces mines qui sont toutes mes inquiétudes ! » Et un autre jour, elle écrit : « en nous donnant souvent de tes nouvelles, c’est autant de preuves de tendresse que tu nous donnes ; nous en avons besoin plus que jamais. Plus tu t’éloignes, plus mes inquiétudes redoublent, surtout à l’approche de Sainte-Marie-aux-Mines. Conservez-vous pour un père et une tante qui ne vivent que pour vous. » Et puis ce mot charmant : « Une lettre n’est pas arrivée que nous attendons déjà la suivante. » Lavoisier père n’est pas moins pressant et moins tendre : « Faites en sorte de nous donner plus souvent de vos nouvelles, un mot de votre main qui annonce que vous êtes en bonne santé, la date du jour et du lieu où vous écrivez. Nous n’en voulons pas davantage. Vous sçavez combien nous vous aimons et par conséquent combien nous sommes inquiets quand nous sommes plusieurs jours sans recevoir de vos nouvelles. »

Malgré sa bonne volonté, le jeune homme ne pouvait toujours satisfaire aux désirs de son père ; les communications postales étaient rares et difficiles, souvent les voyageurs devaient séjourner dans de petites villes qui n’avaient pas de bureaux de poste ou n’expédiaient qu’un courrier par semaine. Plus d’une fois, il fallut envoyer des exprès porter les lettres à la ville voisine ; et combien elles mettaient de temps à parvenir à leurs destinataires : un mois de Paris à Strasbourg ! On le comprend facilement en apprenant qu’aux environs de Bourbonne-les-Bains une chaise de poste attelée de quatre chevaux parcourait en une heure la distance d’une lieue.

Si Lavoisier, malgré l’intérêt du voyage, regrettait la maison paternelle, Mlle  Punctis ne manquait pas de le faire revivre dans ce milieu aimé en le tenant au courant de tout ce qui arrivait aux familiers du logis, lui parlant de sa chatte qui a un beau chaton, des maçons qui ont réparé les écuries, du brelan que l’on continue à jouer, mais sans intérêt, depuis qu’il n’y a plus pour l’égayer ni Lavoisier, ni M. Guettard, le cher docteur. Toute la vie de Mlle  Punctis est concentrée dans sa tendresse pour son neveu ; elle a toutes les joies et toutes les souffrances d’une mère ; elle et son beau-frère n’arrivent à supporter les tristesses de la séparation qu’en s’occupant sans cesse de l’absent, en travaillant à lui être agréable. Aidés du cousin de Villers, ils rangent à nouveau sa bibliothèque, ils mettent en place les nombreux volumes qu’il a achetés à Strasbourg, ils déballent les caisses d’échantillons de minéralogie qu’il envoie fréquemment. A chaque instant, ils ont à remplir les commissions qu’il leur confie : aujourd’hui, l’envoi de grains et de demi-grains pour charger l’aréomètre ; un autre jour des thermomètres pour remplacer les siens hors de service. Quand son père devra le rejoindre à Bourbonne-les-Bains, il faudra lui apporter un habit de drap vert ou gris avec un petit galon d’or ; et Mlle  Punctis de se mettre en mouvement, de choisir l’étoffe la plus solide, de consulter le tailleur, qui dit que le drap gris n’est plus de mode : on fera un habit vert dont le drap est magnifique. Mais où se montre toute la sollicitude de Lavoisier père, empressé de contenter les moindres désirs de son fils, c’est à propos des poissons rouges que désire Mme  de Brioncourt, chez qui les voyageurs avaient été aimablement reçus. Lavoisier recommande alors à son père de se procurer des poissons rouges au Palais-Royal, par l’intermédiaire de Marianne, la gouvernante de M. Guettard[16], et de les lui apporter à Bourbonne. Pour le coup, le père témoigne sa surprise ; mais que saurait-il refuser ? « Il faudra, écrit-il, que nous tenions le vase qui les contiendra à la main, et encore n’est-il pas du tout certain que nous les portions en vie. Voilà une vilaine commission et bien embarrassante pour des voyageurs. J’oublierai l’embarras et les peines quand je ferai réflexion que je vais vous rejoindre et vous embrasser. » Les lettres du voyageur ne respirent pas moins de tendresse ; plein d’affection pour son père et sa tante, de paroles amicales pour les familiers de la maison, M. de Chavigny, M. de La Fleutrie, il n’oublie pas les serviteurs et Jeannette et Comtois, et la femme du domestique Joseph. Toute cette correspondance intime jette un jour précieux sur ces intérieurs bourgeois du XVIIIe siècle, où règnent les plus pures vertus de famille.

Lavoisier a laissé le journal détaillé de son voyage ; on peut le suivre jour par jour, heure par heure, et se rendre compte de sa régularité au travail. Chaque matin, avant le départ, entre cinq et six heures, il relève les indications du baromètre et du thermomètre, il répète ses observations plusieurs fois dans la journée, et en fait une dernière le soir, à quelque heure qu’on arrive au gîte de la nuit. Sur son chemin, il observe tout : la nature du sol, le relief du terrain, la végétation, et souvent l’écriture heurtée de ses notes indique qu’il les a prises sans descendre de cheval. Il visite les mines, les manufactures, ici une fabrique d’acier, là un atelier de blanchiment de toiles ; quand il ne peut parcourir une localité, il interroge ceux qui la connaissent, principalement les carriers, les maçons, et apprend d’eux où se trouvent les pierres de taille, les moellons, la chaux, le plâtre qu’ils emploient. Dans les villes qu’il traverse, il voit les cabinets des amateurs d’histoire naturelle, en fait un inventaire rapide. A chaque localité où il s’arrête, il prend la température et la densité non-seulement des eaux minérales, mais encore des eaux potables : l’eau de la Seine à Troyes, l’eau du Rhin à Bâle. Il ne séjourne pas dans une auberge sans examiner l’eau qu’on lui sert ; il ne néglige rien, et signale à Troyes les manuscrits les plus précieux de la bibliothèque des oratoriens. Chaque soir, il complète son journal de voyage, fait sa correspondance, et n’oublie pas d’inscrire les dépenses de son voyage.

Lavoisier devait, en outre, collectionner des échantillons de roches et de minéraux, destinés au cabinet du ministre d’état Bertin, sous les auspices duquel il accomplissait le voyage ; mais ce n’était pas sans difficulté qu’il pouvait se procurer des ouvriers, faire fabriquer les caisses et les expédier. Pendant cette excursion, il fit dix-neuf envois au ministre, sans compter la collection particulière qu’il réunissait pour lui-même.

L’itinéraire des voyageurs, après les avoir conduits à Provins, Troyes, Chaumont, Langres, les amena le 26 juin à Bourbonne-les-Bains ; de là ils passèrent successivement à Vesoul, Villersexel, Lure, Ronchamps, où ils visitèrent une mine de houille ; à Luxeuil, et enfin à Giromagny, où ils s’arrêtèrent plusieurs jours pour aller à Bussang et gravir le ballon d’Alsace. Fatigués d’abord par les grandes chaleurs, ils eurent à subir ensuite des pluies et des orages presque continuels. Les Vosges intéressèrent vivement Lavoisier : « Je n’ay jamais rien vu qui m’ait tant frappé en histoire naturelle ; nous avons vu des choses admirables. La personne qui est à la tête des mines est extrêmement honnête et fort instruite : nous avons été comblés de politesses ; nous avons dîné et soupé chez lui ; nous nous sommes trouvés sept personnes à table, tous Parisiens, à l’exception de M. Guettard. Je suis prodigieusement occupé, » ajoute-t-il. C’est qu’en effet Guettard et Lavoisier s’étaient tracé un journal de route, et ils se trouvaient en retard sur leurs prévisions par des circonstances inattendues, comme une excursion à une mine aux environs de Lure, un accident arrivé au domestique Joseph.

Après avoir vu Belfort, Montbéliard et Altkirk, ils arrivèrent à Bâle le 25 juillet, et descendirent à l’hôtel de la Couronne. Le séjour de Bâle fut plein d’intérêt ; Bâle renfermait, en effet, un grand nombre d’hommes distingués, Daniel Bernouilli, Dassonne, Raillard, Bruchner, qui, estimant grandement les travaux de Guettard, lui firent, ainsi qu’à son jeune compagnon, le meilleur accueil et leur ouvrirent leurs riches cabinets d’histoire naturelle. Lavoisier n’oubliait pas de marquer dans ses lettres l’impression que lui fit la ville, la beauté du Rhin qui y coule avec une rapidité prodigieuse, et les sentimens qu’il éprouva à Déniant, où il alla saluer le tombeau de Maupertuis[17]. Les observations barométriques faillirent être interrompues par un accident : le baromètre fut cassé, et Bâle ne renfermait aucun ouvrier capable de le réparer ; heureusement qu’un habitant, M. Jacques Bavière, Aux trois pots rouges, en possédait un qu’il voulut bien céder. Après Bâle, les naturalistes visitèrent Mulhouse, Thann, Gerardmer, ou ils gravirent la cime la plus élevée des Vosges, accompagnés d’un peintre qu’ils avaient engagé pour dessiner une vue panoramique des montagnes, et qu’ils gardèrent jusqu’à Colmar, après s’être ainsi formé une collection importante de dessins. A Sainte-Marie, les mines étaient inondées ; ils n’y purent descendre. Que d’alarmes se serait épargnées Mlle  Punctis, si cet événement lui avait été connu ! A Strasbourg, où ils arrivèrent le 3 septembre, Lavoisier eut la joie de trouver les thermomètres envoyés par son père ; il y fit la connaissance d’hommes éminens, entre autres de deux chimistes, Spielmann, l’auteur renommé des Instituts de chimie, et Erhmann, qui devait être plus tard un des admirateurs des grandes découvertes de Lavoisier. Celui-ci avait la plus grande hâte d’arriver à Strasbourg, pour y trouver un M. Brakenof que l’abbé Chappe d’Hauteroche avait chargé de relever les observations barométriques pour les comparer à celles que Lavoisier faisait de son côté. Enfin notre jeune savant eut le plaisir de trouver chez le libraire Kœnig un grand choix de livres de chimie, publiés en Allemagne et inconnus à Paris ; il en acheta pour 500 livres, en écrivant à son père qu’il craignait bien que la somme ne fût un peu considérable, mais certain que celui-ci ne trouverait rien à reprendre dans les dépenses de son fils.

Pendant quelque temps, les voyageurs eurent à souffrir de la chaleur en Alsace, surtout à Thann. Après Strasbourg, les pluies vinrent de nouveau les contrarier ; ils firent leur voyage de retour par Saverne, Phalsbourg, Baccarat, Remiremont, Plombières, Épinal, Luxeuil, Mirecourt et Nancy, dans l’intention de gagner vers le 6 octobre Bourbonne-les-Bains, où Lavoisier père devait venir à leur rencontre. Plus d’une fois ils durent s’arrêter dans de pauvres villages, où à peine purent-ils trouver un logement ; ainsi Lavoisier écrit de Caumont : « Nous sommes logés ici dans le plus villain cabaret que nous ayons vu dans toute notre route ; nous sommes logés dans une espèce de grenier mal fermé, où nous sommes empestés par une provision d’oignons qu’on y a mis pour sécher ; nous n’avons que de méchans lits de plume épais de deux doigts ; on a couru tout le village pour y trouver deux couvertures… Ce n’est pas la première fois que nous avons éprouvé le même sort, mais nulle part nous n’avons été si mal. »

Cependant Lavoisier père se mettait en route pour Bourbonne-les-Bains, au-devant de son fils, qui se hâtait de son côté, dans l’impatience de l’embrasser, et lui écrivait le 28 septembre : « Je vois se rapprocher le moment qui doit nous réunir ; nous avons encore gagné un jour sur notre route ; ainsy nous arriverons à Bourbonne le 7 du mois d’octobre ; nous y arriverons vers les une heure de l’après-midy, au plus tard. » Aussitôt le père, qui reçoit cette lettre à Chaumont, s’empresse de partir ; il lui faut se presser, s’il veut être au rendez-vous. À Langres, ses amis ne peuvent le retenir qu’une heure ; il doit repartir sans retard pour être à Bourbonne le soir même. Le voyage ne lui fut pas facile : à Montigny, les chevaux manquent ; en vain on veut le retenir pour la nuit, il insiste. On ramasse des chevaux dans la campagne, on attelle la chaise de poste et l’on repart par une pluie torrentielle. À peine si l’on fait une lieue par heure. La nuit surprend l’impatient voyageur dans les bois où, pour se désennuyer, il cherche s’il ne verra pas quelques loups ; enfin il arrive à Bourbonne, chez son ami, M. Robert, où il accueille avec joie le souper qu’on lui offre. Le lendemain, dès six heures, il est debout : c’est le jour même qu’il verra son fils. Que les heures lui paraissent longues ! À chaque instant, il interroge sa montre ; il s’habille, il déjeune, il fait des visites : il n’est encore que dix heures ! Il suppute les distances ; le fils chéri doit être à cinq ou six lieues. Quelque diligence qu’il fasse, il ne peut arriver avant une heure. Pour tromper l’ennui de l’attente, il écrit longuement à sa belle-sœur, Mlle  Punctis, pour lui raconter tous les détails du voyage. Une heure sonne, les voyageurs ne paraissent pas encore ; on se décide à dîner sans plus attendre ; le père, distrait, à toujours les yeux tournés vers la place. Au moment où l’on sort de table, il aperçoit son fils qui précède Guettard ; il se précipite au-devant de lui. Le jeune homme saute à bas de son cheval, le père et le fils s’embrassent tendrement, et tous deux reviennent lentement à la maison, où un nouveau dîner est servi ; et, pendant trois heures d’intimes conversations, ils s’accablent de questions. Mais le travail du jour n’est pas terminé ; il faut étiqueter et emballer de nouveaux échantillons pour M. Bertin, besogne à laquelle le père se met avec joie, tandis que le fils travaille à l’analyse des eaux de Bourbonne ou s’occupe de mettre au courant les notes de son journal. Le lendemain, on repart par des chemins détestables, où la chaise de poste enfonce dans la terre glaise jusqu’au moyeu ; à peine si quatre chevaux peuvent la traîner. À Chaumont, on se sépare de nouveau ; le père est obligé de se rendre à Villers-Cotterets, tandis que Guettard et son collaborateur se dirigent sur Paris, après avoir laissé en chemin le domestique Joseph, qu’ils chargent de garder le cheval de Lavoisier, blessé par la maladresse d’un maréchal-ferrant. Le 19 octobre, jour où Punctis comptait les minutes à son tour, ils arrivaient à une heure à Champigny et le soir à Paris. Après les instans consacrés aux épanchemens de famille, Lavoisier, fidèle au plan de conduite qu’il s’était tracé, ne manqua pas, avant de prendre le repos nécessaire après une si longue journée de route, de faire, à onze heures et demie, une dernière observation barométrique. Mlle  Punctis ne jouit pas longtemps de la présence de son neveu ; deux jours après, il partait pour Villers-Cotterets, où son père était déjà rendu, et où il était ardemment désiré par ses autres parens. Pendant son séjour à Villers-Cotterets, il ne perdit pas un instant, et augmenta la somme de ses observations météorologiques et géologiques. Enfin il rentra à Paris avec son père dans le milieu du mois de novembre : la famille était reconstituée. Il rapportait de son voyage une masse considérable de documens qu’il s’occupa de mettre en ordre ; il réunit ses nombreuses analyses d’eaux dans un mémoire étendu, qui ne fut pas imprimé de son vivant[18], en même temps qu’il travaillait avec Guettard à utiliser leurs observations communes pour dresser l’atlas minéralogique de la France. En 1770, seize cartes étaient gravées. Guettard, rendant compte à l’Académie de l’état d’avancement de l’atlas minéralogique, s’applaudissait du concours précieux que lui avait prêté son collaborateur[19]. Celui-ci, du reste, malgré ses travaux ultérieurs, ne négligea pas cette œuvre et en poursuivit constamment la réalisation ; en 1772, il signalait au ministre Bertin la difficulté de suivre le plan primitif, d’après lequel l’atlas devait contenir deux cent trente cartes. Suivant un devis qu’il demandait à l’ingénieur-géographe Dupain-Triel, la gravure seule aurait coûté 85,000 livres, et comme on projetait de faire en même temps un atlas géographique extrêmement exact, il s’ensuivait que, les indications minéralogiques devant avoir la même exactitude, il était nécessaire de relever les fouilles, les carrières, les mines, au quart de cercle et à la planchette. Tel qu’il était projeté, l’atlas ne pouvait être établi qu’avec une dépense de 50,000 louis et au bout de soixante à quatre-vingts ans. Lavoisier proposa donc à Bertin de borner l’atlas minéralogique à vingt-huit cartes, de la dimension de celles de Cassini ; dans ces conditions, la publication serait terminée au bout de cinq ans, avec une dépense totale de 45.000 livres. Il avait, à cet effet, réuni une société de capitalistes qui offraient de faire toutes les dépenses moyennant une subvention de 18,000 livres, payable en quatre ans[20]. Déjà il avait préparé la réalisation du projet et adressait un appel aux naturalistes dans une lettre[21]où, plein de déférence pour Guettard, et avec une modestie et une réserve qui ne se sont jamais démenties, il disait : « Vous avez en la bonté d’annoncer au public les soins que M. Guettard venait de donner pour compléter, autant que possible, l’atlas minéralogique de la France, et vous m’avez même attribué plus de part que je n’en mérite à cet ouvrage. » En outre, il faisait imprimer une sorte de questionnaire, tiré à sept cent cinquante exemplaires, et envoyé aux naturalistes et aux ingénieurs habitant les régions sur lesquelles on n’avait encore que des renseignemens incomplets ; de plus, il s’associait avec Dupain-Triel et faisait dresser à ses frais une carte d’ensemble de la France minéralogique[22].

Un autre que lui devait recueillir l’honneur de cette publication. Malgré l’accueil favorable fait à son projet par Bertin, le manque de fonds en empêcha d’abord l’adoption, puis des intérêts particuliers vinrent s’y opposer. Guettard se retira, et un nouveau collaborateur sut se faire imposer par le pouvoir. C’était le chimiste Monnet, ancien concurrent de Lavoisier à l’Académie des Sciences, où il ne devait jamais parvenir. Nommé inspecteur-général des mines en 1774, Monnet fit divers voyages pour compléter certaines cartes, et gardant le plan primitif, ajoutant de nouvelles cartes à celles qui étaient déjà gravées, ayant en main tous les documens remis par Guettard et Lavoisier, il publia, en 1780, un atlas minéralogique incomplet, en laissant sur le titre le nom de Guettard[23], mais en s’attribuant la plus grande part du travail. Il cita, il est vrai, Lavoisier comme l’auteur des seize premières cartes, mais il utilisa sans son aveu et sans le nommer les matériaux préparés pour le reste du travail, et négligea d’indiquer que les coupes placées en marge de chaque carte étaient le résultat des nivellemens faits au baromètre par Lavoisier. Celui-ci en fut vivement froissé : « On ne rappelle ces détails, dit-il dans une note, que pour faire sentir avec combien d’impudence s’est conduit M. Monnet en s’emparant des planches qui appartiennent au roy, et sur lesquelles MM. Guettard et Lavoisier ont des droits avant lui, ou pour ainsi dire sur lesquelles il n’en a aucun. » Il trouva toujours en Monnet un adversaire obstiné qui, en 1778, attaquait encore les doctrines nouvelles en publiant une soi-disant Démonstration de la fausseté des principes des nouveaux chimistes[24].

Lavoisier s’intéressa toute sa vie aux recherches géologiques. En 1767, il rédigeait des instructions pour un voyageur qui accompagnait le gouverneur de Saint-Domingue ; en 1771, il s’occupait du classement du cabinet d’histoire naturelle de Bertin ; et la même année, il invitait Borda et Pingré à faire des observations d’histoire naturelle dans les pays où ils séjourneraient pendant le voyage que ces deux savans devaient faire sur la frégate la Flore, en vue d’examiner les meilleurs moyens de déterminer les longitudes[25]. Plus tard, à l’assemblée provinciale de l’Orléanais, il poursuivait encore le projet de l’établissement de l’atlas minéralogique.

D’autres travaux de la jeunesse de Lavoisier ne furent publiés que longtemps après : une note sur une espèce de stéatite[26], sur une mine de charbon de terre[27], en collaboration avec Guettard, et enfin un long mémoire de géologie qui parut seulement en 1789 dans les Mémoires de l’Académie[28]


III. — L’ENTRÉE DE LAVOISIER A L’ACADÉMIE ET AUX FERMES-GÉNÉRALES.

Les amis que Lavoisier comptait à l’Académie attendaient avec impatience le moment de l’introduire dans leur compagnie. Dès 1766, lors de la nomination de Cadet, ils l’avaient fait mettre sur la liste des candidats avec Monnet, Sage, Baume, de Machy, Jars et Valmont de Bomare[29]. Pendant le voyage des Vosges, l’astronome Maraldi, ainsi que Duhamel du Monceau, entretenaient souvent Lavoisier père des bonnes dispositions de l’Académie ; aussi, quand le chimiste Baron mourut, au commencement de 1768[30], le jeune savant avait des chances sérieuses de succès ; mais il se trouvait en présence d’un concurrent redoutable, le métallurgiste Gabriel Jars. Jars, attaché au service des mines, avait d’abord dirigé l’exploitation des mines de plomb argentifère de Poullaouen en Bretagne, les mines de houille d’Ingrande en Anjou, puis, chargé de diverses missions par le gouvernement, il avait visité les mines de Saxe, d’Autriche, de Carinthie, de Bohême, du Harz, de Suède, de Norvège, les manufactures de Hollande et celles d’Angleterre, d’où il rapporta les procédés, encore inconnus en France, de la fabrication du minium[31]. Jars avait trente-six ans ; il était soutenu par Buffon, trésorier de l’Académie, et par le ministre Saint-Florentin, qui désirait vivement que l’Académie reconnût les services importuns rendus à l’état par le savant ingénieur.

L’Académie, d’après le règlement de 1699, modifié en 1716, était composée de membres de diverses catégories, jouissant de droits inégaux : douze honoraires, choisis parmi les grands seigneurs, et qui seuls pouvaient être présidons ou vice-présidens ; dix-huit pensionnaires ; douze associés et douze adjoints répartis en géomètres, astronomes, mécaniciens, chimistes et botanistes ; de plus, elle comptait des associés libres, des associés étrangers[32], des pensionnaires vétérans et des associés vétérans. Les honoraires et les pensionnaires avaient seuls voix délibérative dans les élections ou dans les affaires intéressant l’Académie. Les deux associés de la classe dans laquelle se présentait une vacance étaient cependant appelés à dresser avec les trois pensionnaires la liste des candidats. La position des adjoints, du reste, était encore plus subalterne ; pendant les séances, ils s’asseyaient sur des banquettes placées derrière les fauteuil des associés, mais avaient le droit de se mettre à côté de ceux-ci, si quelque place était libre[33].

Lors de la vacance produite par la mort de Baron, la liste des candidats fut dressée par les pensionnaires chimistes La Condamine, Bourdelin et Malouin, et les adjoints Rouelle et Macquer. Les votans comprenaient, comme honoraires, les ministres Maurepas, Bertin, de Saint-Florentin et de Machaut, le maréchal duc de Richelieu, le comte de Maillebois, Malesherbes, le cardinal de Luynes, Paulmy d’Argenson, Trudaine et le marquis de Courtanvaux. Les pensionnaires étaient : les géomètres Mairan, Fontaine, d’Alembert ; les astronomes Cassini de Thury, Le Monnier, Maraldi ; les mécaniciens Nollet, Vaucanson, de Montigny ; les anatomistes Morand, d’Aubenton, Hérissant ; les botanistes Bernard de Jussieu, Duhamel du Monceau, Guettard, Le Monnier, médecin de la cour ; les chimistes La Condamine, Bourdelin, Malouin, le secrétaire perpétuel Grandjean de Fouchy et le trésorier Buffon[34].

L’élection eut lieu le 18 mai 1768. Lalande raconte qu’il contribua à la nomination de Lavoisier par cette considération qu’un jeune homme qui avoit du savoir, de l’esprit, de l’activité, et que la fortune dispensait d’embrasser une autre profession, serait très naturellement très utile aux sciences[35]. Les amis de Lavoisier furent en majorité. Il fut présenté en première ligne ou, comme on disait alors, il eut les premières voix, Jars eut les secondes ; mais le choix appartenait au roi, l’Académie n’ayant que le droit de présentation. Le ministre Saint-Florentin décida que Jars serait nommé à la place laissée vacante par la mort de Baron ; et ne voulant pas blesser le sentiment de la majorité des académiciens, il créa provisoirement une nouvelle place d’adjoint chimiste, donnée à Lavoisier. Il fut convenu, en outre, que, lors d’une prochaine vacance parmi les adjoints chimistes, il n’y aurait pas lieu de procéder à une nouvelle élection[36]. Cette vacance ne tarda pas à se produire : un an après environ, Jars mourait subitement, au cours d’un voyage en Auvergne, le 20 août 1769.

La nomination de Lavoisier à l’Académie fut une grande joie pour ses amis et sa famille. Son père, qui venait d’être gravement malade, et dont l’état de santé avait, durant tout l’hiver, vivement inquiété les siens, en vit sa convalescence égayée ; de tous les côtés arrivaient les félicitations. Un parent, Augez de La Voye, lui écrivait ces paroles prophétiques : « Quels progrès doit produire la maturité d’une jeunesse si utilement employée ! » L’heureuse tante Punctis avait aussi sa part de complimens : « Je vois la joie briller dans vos yeux, lui écrit M. de La Voye, en apprenant que ce cher neveu, l’objet de toutes vos complaisances, est nommé à l’Académie des Sciences. Quelle satisfaction que dans un âge si tendre, où les autres jeunes gens ne songent qu’à leur plaisir, ce cher enfant ait fait de si grands progrès dans les sciences, qu’il obtienne une place que l’on n’obtient ordinairement, après beaucoup de peine, qu’à plus de cinquante ans[37]… » L’Académie se réunissait deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, de trois heures à cinq heures. Ce fut à la séance du 1er juin 1768 que Lavoisier vint siéger pour la première fois ; sa puissance de travail, l’universalité de ses connaissances, le firent aussitôt charger de nombreux rapports : sur l’aréomètre de Cartier, la théorie des couleurs, les lanternes de Dufourny, les soufflets à chute d’eau, etc. ; et, pendant vingt-cinq ans, il fut un des membres les plus actifs de cette Académie, à laquelle il donna la primeur de ses grandes découvertes, et dont il devait plus tard défendre avec une ardeur indomptable les droits et l’existence.

Au commencement de 1769, il s’occupa d’une question qui intéressait vivement les Parisiens. L’ingénieur Deparcieux, préoccupé de fournir à Paris de l’eau potable de bonne qualité, avait longtemps cherché le moyen de dériver les sources voisines et, après des études approfondies, avait proposé d’y amener les eaux de l’Yvette, qui prend sa source près de Lonjumeau et se jette dans l’Orge. Le projet fut accueilli avec enthousiasme par les Parisiens, mais Deparcieux mourut en 1768, et, peu de temps après, un carme déchaussé, le père Félibien de Saint-Norbert, attaqua vivement son projet. Lavoisier en prit la défense, en s’adressant non aux hommes de science, mais surtout au public et aux administrateurs de la ville. Il fit insérer au Mercure de France le mémoire qu’il avait lu à l’Académie le 15 juillet, et où il démontrait l’inanité des critiques du père Félibien. L’Académie le chargea alors d’examiner le travail de M. d’Auxerois, qui sollicitait le privilège de l’établissement d’une pompe à feu pour élever et distribuer les eaux de la Seine. Lavoisier lui présenta, l’année suivante, un long mémoire où il étudiait en détail les frais d’établissement des pompes à feu[38]. Ainsi aucun sujet ne lui était étranger ; il touchait à toutes les questions avec la même clarté de vue, la même précision de raisonnement. Ses travaux ne furent pas sans influence sur les décisions de l’administration, qui se prononça pour l’exécution des plans de Deparcieux[39]. Les recherches scientifiques de Lavoisier furent interrompues à ce moment par les devoirs que lui imposaient ses fonctions dans la ferme générale, où il était entré en mars 1768, peu de jours après sa nomination à l’Académie. Désireux de se consacrer à la science, et sentant qu’une grande fortune lui en faciliterait les moyens et lui assurerait l’indépendance, il cherchait les moyens de faire fructifier par son travail la fortune personnelle qu’il tenait de sa mère. Sur le conseil d’un ami de la famille, M. de La Galaizière[40], il entra dans les fermes à titre d’adjoint du fermier-général Baudon, qui lui céda un tiers de son intérêt dans le bail d’Alaterre. Les collègues de Lavoisier à l’Académie ne virent pas d’un œil favorable cette détermination ; ils craignirent que ses nouvelles fonctions ne l’éloignassent de la science ; l’un d’eux, le géomètre Fontaine, aux observations de ses confrères, répondit : « Tant mieux ! les dîners qu’il nous donnera seront meilleurs[41]. »

Les fonctions de Lavoisier l’obligeaient à des tournées d’inspection ; l’année même de sa nomination, il parcourut la Picardie ; mais, tout en remplissant les devoirs d’adjoint, il n’oubliait aucun de ses devoirs de savant. Durant ce voyage, comme lors de tous ceux qu’il fit pour les fermes, il poursuivait avec une régularité absolue ses travaux ; chaque jour il faisait des observations barométriques, prenait des notes de minéralogie et de géologie, en même temps qu’il augmentait la somme de ses connaissances en visitant les principales manufactures des provinces qu’il parcourait. Deux jours après avoir lu à l’Académie son mémoire sur les eaux de l’Yvette, il commençait une nouvelle tournée d’inspection, qui dura du 18 juillet 1769 au 7 janvier 1770, pour visiter les lignes des postes de douaniers et inspecter les manufactures de tabac. Il séjourna successivement à Châlons-sur-Marne, Charleville, Épernay, Soissons, Lille, Reims, d’où il adressa à Macquer l’observation d’une aurore boréale. Placé sous les ordres du fermier-général Paulze, il entretenait avec celui-ci une volumineuse correspondance, toute relative aux affaires de la ferme. Rentré à Paris au commencement de 1770, il fit quelques rapports à l’Académie et lui fut son important mémoire sur l’attaque du verre par l’eau. Peu après, il fut chargé de se rendre au Havre et à Dieppe, afin d’expérimenter un instrument présenté par Cassini, et destiné à mesurer les hauteurs et à déterminer la latitude ; ces expériences, dans lesquelles il eut comme collaborateur Fourray, professeur d’hydrographie au Havre, l’occupèrent tout le mois d’avril[42].

Il repartit en tournée le 9 août, en compagnie des fermiers-généraux Jacques Delahante, de Parseval et de Bouilhac fils. Ce n’était certes pas un voyage d’agrément. J. Delahante, qui ne connaissait que les affaires de la ferme, lisait à ses collègues, en attendant le dîner, soit un mémoire sur l’état actuel de la régie du tabac en France et en Lorraine, soit un travail sur l’établissement de pompes à feu dans les salines de la Franche-Comté ; puis c’étaient des conférences sur la manufacture de Dunkerque, sur celle de Gravelines, et plusieurs mémoires que Lavoisier devait rédiger et soumettre à ses compagnons sur la culture du tabac, en réponse aux questions posées par Paulze, qui était chargé de ce département. Les fermiers-généraux parcoururent toute la région du nord : Lille, Dunkerque, Gravelines, Boulogne. Lavoisier, dans ses journaux de voyage, à ses notes de fermier-général et à ses observations scientifiques, joint ses impressions de voyageur ; la description des vieilles églises qu’il visite, le récit d’une excursion au champ de bataille de Fontenoy, tout est sujet de satisfaction pour son ardente curiosité[43]… Au bout de quinze jours, ses compagnons retournèrent à Paris ; il continua seul son voyage d’inspection, qui le mena de nouveau à Reims, à Soissons, dans le Clermontois, et ne se termina qu’au mois de février 1771.

À ce moment, enfin, il put reprendre ses travaux de laboratoire. Diverses questions l’occupèrent alors ; outre les rapports que lui confia l’Académie, il entreprit des expériences sur l’emploi de l’alcool dans l’analyse des eaux pour la précipitation fractionnée des sels, l’action de l’eau sur le mercure ; il analysa diverses eaux et s’attacha surtout à l’eau de mer ; poursuivant la réalisation de l’atlas minéralogique, il opéra des nivellemens dans Paris et aux environs, détermina la hauteur des clochers, des moulins, au-dessus du niveau de la Seine, au pont Royal ; il se proposait, en même temps, de répéter l’expérience qu’il avait faite, en 1770, sur l’attaque du verre par l’eau ; d’en entreprendre de nouvelles sur le nitre, sur l’indigo ; de rechercher les causes de la variation du baromètre ; de refaire les tables de correction de ses aréomètres ; de compléter son mémoire de 1766 sur l’éclairage, etc.[44].

IV. — LE MARIAGE DE LAVOISIER.

Les fonctions de Lavoisier l’avaient mis en relations avec le fermier-général Paulze, qui sut promptement apprécier le mérite de son jeune collègue, et, peu de temps après, fut heureux de lui donner sa fille en mariage.

Jacques Paulze, avocat au parlement, était entré dans les fermes comme adjoint, puis avait été nommé, en 1768, titulaire, par le contrôleur des finances Laverdy, en remplacement de Daugny, démissionnaire[45]. Financier habile et probe, il tint souvent tête à l’abbé Terray dans les questions d’affaires ; intelligent et instruit, il fut directeur de la compagnie des Indes ; c’est lui qui réunit et fournit à l’abbé Raynal, son commensal, les documens qui servirent à écrire la célèbre Histoire philosophique des Deux-Indes. Il avait épousé, en 1752, à Montbrison, Mlle Claudine Thoynet, fille d’une sœur de l’abbé Terray, alors simple conseiller-clerc au parlement. Il était resté veuf, quelques années après, avec trois fils, Balthazar, Christian et Joseph-Marie, et une fille, Marie-Anne-Pierrette, née en 1758[46]. Mlle Paulze n’avait pas treize ans quand Terray, devenu contrôleur-général, cédant aux instances de la baronne de La Garde, qui avait une grande influence sur lui, se mit en tête de marier sa petite-nièce à un comte d’Amerval, gentilhomme âgé et sans état, frère de Mme de La Garde. Paulze ne craignit pas, au risque de compromettre sa fortune, de résister aux volontés de son oncle, le tout-puissant contrôleur des finances, dont il dépendait comme fermier-général. Après une première réponse dilatoire, il lui écrivit la lettre suivante, qui fait honneur à son caractère :

« Lorsque vous m’avés parlé, mon cher oncle, du mariage de ma fille, je n’ai regardé ce projet que comme fort éloigné, et j’ai dû penser qu’il seroit assorti par l’âge, le caractère, la fortune et les autres convenances ; je ne trouve aucun de ces avantages. M. d’Amerval a cinquante ans, ma fille n’en a que treize ; il n’a pas 1,500 francs de rente, et ma fille, sans être riche, dès ce moment peut en apporter le double à son mari ; son caractère ne vous est pas connu, mais il ne peut convenir à ma fille, ni à vous, ni à moi ; j’ai encore là-dessus des renseignemens certains. Ma fille a pour lui une aversion décidée ; je ne lui ferai certainement pas violence. »

De son côté, Mme  de La Garde s’efforçait de gagner la jeune fille et de triompher de son opposition, en faisant briller à ses yeux la prochaine sortie du couvent et l’éclat d’une présentation à la cour ; mais Mlle  Paulze avait la plus grande répugnance pour M. d’Amerval, fol d’ailleurs, agreste et dur, une espèce d’ogre, disent les mémoires du temps[47]. Aussi Terray fut d’abord vivement irrité contre Paulze, et lui témoigna son mécontentement en le menaçant de lui retirer la direction du département du tabac. Michel Bouret, alors fermier-général, prit avec chaleur la défense d’un collègue dont l’activité et l’intelligence étaient si nécessaires à la compagnie : « Je suis fâché, dit-il à Terray, qu’il vous ait déplu, mais sa conduite vous plaira aux fermes, et ses talens vous mettront en état de faire un bon bail ; il est le seul homme en état de rétablir l’ordre dans différentes parties des fermes[48]. » Le contrôleur-général, cédant aux instances de Bouret, laissa son neveu à la tête de son département ; mais il n’en persistait pas moins dans ses projets de mariage. Paulze, redoutant de nouvelles sollicitations, se résolut à marier sa fille le plus tôt possible, pour la soustraire aux poursuites de d’Amerval, et songea à l’unir à Lavoisier. Le mariage fut décidé au mois de novembre 1771. Tous les amis et les parens de Paulze lui adressèrent les plus chaudes félicitations ; Trudaine de Montigny le complimente de son choix ; Mme  Caze, sœur de Mme  Paulze, et par conséquent nièce de l’abbé Terray, écrit à Paulze en faisant allusion aux projets du contrôleur-général : « Quel bonheur pour ma nièce d’avoir échappé au danger qui l’a environnée et d’être aujourd’hui au moment d’un établissement où elle trouve avec vous tous les avantages et les augures du plus parfait bonheur. Elle est si formée, si raisonnable, que je ne doute point qu’elle ne fasse le bonheur de son mary. »

Devant cette décision, toute la famille se demanda quelle conduite tiendrait l’abbé Terray, dont les volontés étaient dédaignées ; assisterait-il au mariage de sa petite-nièce, alors qu’il était brouillé avec son frère aîné, M. Terray de Rozières, procureur-général à la cour des aides, qui offrait son hôtel, l’hôtel d’Aumont, pour la signature du contrat, la maison de Paulze étant trop petite ? Que fera l’abbé ? s’écrivaient tous ses parens. L’abbé accepta la situation sans récriminer et rendit ses bonnes grâces à Paulze ; non-seulement il promit d’assister à la signature du contrat, mais il voulut que le mariage fût célébré à la chapelle du contrôle-général, rue Neuve-des-Petits-Champs[49]. Le contrat fut passé, le 4 décembre 1771, par Me Duclos-Dufresnoy, notaire de l’abbé Terray. Lavoisier était alors âgé de vingt-huit ans ; sa fiancée en avait quatorze : tous deux avaient perdu leur mère en bas-âge, mais Lavoisier, plus heureux que Mlle  Paulze, élevée au couvent, avait eu l’affection maternelle de la chère tante Punctis. Lavoisier était grand[50]; il avait les cheveux châtains et les yeux gris, la bouche petite, un aimable sourire, un regard d’une grande douceur. Mlle  Paulze était de taille moyenne[51]; elle avait les yeux bleus très vifs, les cheveux bruns, qui, dans ses portraits, sont recouverts, à la mode du temps, d’une perruque blonde fort disgracieuse, la bouche petite, un teint d’une grande fraîcheur.

L’assistance était nombreuse à la signature du contrat, dans les salons de l’hôtel d’Aumont ; plus de deux cents personnes étaient présentes, gentilshommes, savans, hommes d’état, fermiers-généraux, dames de la cour, de la finance ou de la bourgeoisie : M. Bertin, ministre-secrétaire d’état ; M. de Trudaine, intendant des finances, M. de Sartine, lieutenant-général de police ; M. Demars, conseiller de la chambre des comptes ; haut et puissant Jacques-Joseph-Marie Terray, chevalier, ministre d’état, contrôleur-général des finances ; Terray de Rozières ; Montigny, maître des requêtes ; des fermiers-généraux : Bouret, Douet, Grimod de la Reynière, Danger, Faventines, Puissant, Gigaut de Crisenoy, Delahante, Didelot, etc. ; l’Académie était représentée par d’Alembert, Cassini de Thury, Bernard de Jussieu[52]. Parmi les dames se trouvaient Mme  la duchesse de Mortemart, la marquise d’Asfeld, la comtesse d’Amer val, Mme  de Chavigny, Mme  de Rozières, etc. ; c’était toute une compagnie choisie d’hommes distingués et de femmes élégantes. Le notaire, trouvant sans doute Mlle  Punctis et Mme  Lalaure[53]de trop mince condition, ne les a pas énumérées dans la liste des témoins ; mais Mlle  Punctis, qui assurait à son neveu 50,000 livres au jour de son décès, réclama comme donataire l’honneur de signer le contrat avant tous les témoins, quelque haut placés qu’ils fussent, et apposa sa signature immédiatement après les jeunes époux et les pères ; de même pour Mme  Lalaure, qui assurait dès à présent à son petit-neveu une part dans sa succession. Paulze n’avait pas à ce moment une grande fortune ; les premières années de sa gestion comme fermier-général lui avaient laissé un déficit plutôt qu’un bénéfice ; aussi ne donnait-il à sa fille qu’une dot de 80,000 livres, sur lesquelles 21,000 étaient payées comptant ; le reste devait être versé dans l’espace de six années. On ne peut accuser Lavoisier d’avoir fait un mariage d’argent : il était beaucoup plus riche que Mlle  Paulze. Du côté maternel, il possédait plus de 170,000 livres ; son père lui donnait en le mariant 250,000 livres en avances d’hoiries ; mais il avait emprunté près de 1 million pour faire les fonds d’avance de la ferme-générale ; il y était alors intéressé pour la moitié d’une charge et y avait placé 780,000 livres. Après le paiement des intérêts des sommes empruntées, sa place d’adjoint à la ferme devait lui rapporter environ 20,000 livres.

Le mariage fut célébré le 16 décembre 1771, à la chapelle de l’hôtel du contrôle-général des finances, rue Neuve-des-Petits-Champs, par le curé de la paroisse de Saint-Roch. Les témoins de Lavoisier étaient deux parens éloignés : M. Hurzon, chevalier, intendant de la marine de Provence, et le fermier-général Jacques Delahante, écuyer, secrétaire du roi ; du côté de Mlle  Paulze, ses deux grands oncles maternels, le ministre Terray et son frère Terray de Rozières. Les jeunes époux allèrent habiter une maison de la rue Neuve-des-Bons-Enfans avec Lavoisier père et Punctis, jusqu’au jour où Lavoisier, nommé régisseur des poudres, demeura à l’Arsenal.

On peut dire qu’ici se termine la jeunesse de Lavoisier, la première période de sa vie, où les recherches scientifiques les plus diverses l’occupèrent ; bientôt il va trouver sa voie, et commencer, dans les premiers jours de 1773, ses recherches sur les fluides élastiques, qui l’amèneront peu à peu à ses grandes découvertes de la combustion et de la respiration.


ÉDOUARD GRIMAUX.


  1. 14 juin 1742.
  2. Registre des actes de la paroisse de Saint-Merry pour l’année 1743 : « Le lundi 20 août 1743 a été baptisé Antoine-Laurent, né de ce jour, fils de M. Jean-Antoine Lavoisier, procureur au parlement, et de Mlle Emilie Punctis, son épouse, de cette paroisse, cul-de-sac Pocquet, le parrain M. Laurent Waroquier, prêtre et procureur du collège de Beauvois, y demeurant ; la marraine dame Marie-Thérèse Frère, épouse du sieur Clément Punctis, rue Saint-Louis, paroisse Saint-Gervais ; ont signé ; Frère, — Punctis, — Waroquier, — Lavoisier. »
  3. Aujourd’hui rue de Vauvilliers.
  4. Le collège Mazarin ou collège des Quatre-Nations avait été fondé par disposition testamentaire de Mazarin en faveur de trente jeunes gens nobles, originaires des provinces réunies à la France par les traités de Munster et des Pyrénées. Il ouvrait en même temps ses portes aux externes, et était, de tous les collèges de Paris, celui qui était le plus fréquenté, à cause de l’organisation de ses cours de sciences. (Recherches historiques sur le collège des Quatre-Nations, par M. A. Franklin, 1862)
  5. Voir l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1880, p. 480.
  6. Il fut reçu bachelier en droit le 6 septembre 1763 et licencié le 20 juillet 1764. (Registres de l’ancienne Faculté de droit.)
  7. Voyez la Revue scientifique de 1884, t. XXIV, p. 99 et 184.
  8. Il était le frère cadet de Gilbert Romme, qui, d’abord professeur de mathématiques, devint membre de la Convention et fut exécuté après l’insurrection de prairial an III.
  9. Note manuscrite de Mme Lavoisier.
  10. Mme  Sulpice Waroquier, mariée à Antoine-Louis Prévost, procureur au bailliage de Villers-Cotterets, était sœur de Jeanne Waroquier, grand’mère de Lavoisier. — Quant à Mme  Lavoisier de Villers-Cotterets, c’était également une grand’tante : elle était la femme de Nicolas-Hyacinthe Lavoisier, frère d’Antoine, grand-père d’Antoine-Laurent.
  11. « Le public a vu avec plaisir cette distinction si flatteuse pour un jeune auteur, et dont il n’y avait pas eu d’exemple à l’Académie des Sciences. » (Journal des Sçavans de septembre 1766.)
  12. Le 12 Janvier 1766.
  13. Les témoins furent : Clément Augez de Villers, cousin issu de germain maternel ; Louis Fauvel, ancien gouverneur des pages de la chambre de H. le duc d’Orléans, régent du royaume, cousin paternel ; Nicolas Frère, bourgeois de Paris, cousin au troisième degré maternel.
  14. Dans les papiers de Guettard, qu’il avait légués à Lavoisier, se trouve la minute d’une lettre qu’il adressait à une dame et qui justifie le jugement de Condorcet : « Vous ne devez pas être surprise de ce que je suis résolu de me retirer des sociétés, mais plutôt de ce que j’ai osé y rester si longtemps, ayant aussi peu de goût et de talens que j’ai. Comment peut s’y présenter un homme qui n’a pas un grand chapeau comme Janot ou Blaise,.. qui n’a pas un catogan ou une petite queue de rat ou de souris, qui n’a pas un péquin à filets brodés devant pour habit, une veste d’un basin le plus fin, une culotte d’un basin semblable ou d’une sorte de coton le mieux filé, un caleçon de la plus belle toile de Hollande ? Comment ose-t-il se montrer sans des bas de fils à brins moins gros qu’un cheveu ? N’est-ce pas un audacieux s’il se montre sans souliers mignons et qui laissent voir le cou-de-pied et sans des boucles dignes du harnois de Bucéphale ? De quel terme peut-on se servir pour le désigner s’il n’a pas une chemise d’une toile aussi fine que la mousseline, et si elle n’est pas ornée de manchettes et de sabot d’un point d’Alençon ou de Flandre le plus recherché ? Ah ! madame, quel homme que cet homme ; c’est un monstre dans la société ! D’où vient-il ? C’est au moins un Hottentot, un Taïtien. Que faire d’un semblable sauvage ? Derrière, derrière, qu’il n’offusque du moins pas les gens, ou plutôt qu’il reste dans son antre : il n’est pas fait pour vivre avec les humains. — Si encore cet ours mal léché avait des talens, mais il n’en a pas le plus petit : il ne joue pas au trictrac ni aux échecs ; il ne sait pas le piquet, encore moins l’ouiste. Que faire de cet animal ? S’il parle, ce n’est pas de pompons, d’ajustemens et de frisures, de robes, de grecques, de chemises, de rubans à la Malbrough ; il ne sçait pas les nouvelles, il ne lit pas même le journal du jour. Derrière, derrière, un tel fagot ! il fait peur ! — Ce portrait est celui d’un homme que je connais bien ; je m’y reconnais ; en conséquence, j’avais depuis longtemps l’intention de me retirer des sociétés, je l’exécute pour vous en débarrasser. Que peut-il faire de mieux ? rien, sans doute ; laissez-le tranquille. »
  15. Clément Augez, de Villers était petit-fils de Claude Augez, écuyer du roi, et de Marguerite Frère, sœur de la grand’mère de Lavoisier.
  16. Guettard était attaché au duc d’Orléans comme conservateur de son cabinet d’histoire naturelle, et habitait le Palais Royal.
  17. « Nous avons été voir à deux lieues de la ville le tombeau d’un homme célèbre qui, après avoir mesuré la terre sur le pôle, après avoir rempli la France et la Prusse de sa réputation, est venu mourir dans un coin ignoré de l’univers. » (Lettre de Lavoisier.)
  18. Œuvres complètes, t. III, 1864.
  19. Journal de physique de l’abbé Rozier, 1775.
  20. Note autographe de Lavoisier.
  21. Elle fut publiée, en août 1772, dans les Observations de physique de l’abbé Rozier.
  22. Lavoisier, fidèle à ses amitiés, fit, en 1793, un rapport au bureau de consultation sur les travaux de Dupain-Triel, et demanda pour lui le maximum des récompenses nationales.
  23. Atlas descriptif, et minéralogique de la France, rédigé par ordre du roi par MM. Guettard et Monnet. — Publié par M. Monnet, d’après ses nouveaux travaux, in-folio, 1780.
  24. Monnet, ennemi de la révolution, perdit son emploi ; il mourut à Paris en 1817.
  25. Lettre de Lavoisier à Borda, du 5 octobre 1771. — La Flore, commandée par le lieutenant de vaisseau de Verdun, appareilla de Brest le 29 octobre 1771 et y rentra le 8 octobre 1772.
  26. OEuvres complètes, t. I, p. 238.
  27. OEuvres complètes, t. II, p. 241.
  28. Observations générales sur les couches modernes horizontales qui ont été déposées par la mer et sur les conséquences qu’on peut tirer de leurs dispositions relativement à l’ancienneté du globe terrestre.
  29. L’élection de Cadet eut lieu le 23 avril 1766 ; il remplaçait comme adjoint chimiste Macquer, promu à la place d’associé. (Archives de l’Académie des Sciences.)
  30. Baron, mort à l’âge de cinquante-trois ans, était connu par de bonnes recherches sur le borax, sur le chlorure de potassium ; il avait donné, en 1745, une nouvelle édition annotée de la Chimie de Lemery.
  31. Éloge de Jars, par de Fouchy, secrétaire perpétuel de l’Académie. (Mémoires de l’Académie pour 1769.)
  32. Les associés étrangers comprenaient, en 1769, Morgagni, Daniel Bernouilli, Van Swieten, Haller, Euler, Linné, etc. Comme associés ordinaires, il y avait de La Lande, Bezout, Tenon, Tillot, Rouelle, Macquer ; parmi les adjoints, le comte de Lauraguais, le docteur Portal, le botaniste Adanson, l’abbé Bossut, l’abbé Chappe d’Auteroche, Bailly, etc.
  33. Sur l’organisation de l’ancienne Académie des Sciences, voir E. Maindron, l’Académie des Sciences, 1 vol. in-8o.
  34. Le plus ancien membre de l’Académie était de Mairan, qui en faisait partie depuis cinquante ans, et avait été secrétaire perpétuel : Bernard de Jussieu, Duhamel du Monceau, qui soutenaient Lavoisier, étaient de l’Académie, le premier depuis quarante-trois ans, le second depuis quarante ans.
  35. Notice sur Lavoisier, par Lalande.
  36. Archives de l’Académie des Sciences, année 1768.
  37. Voici une jolie lettre de Mlle  Julie Augez de La Voye à Mlle  Punctis : « Bonjour, ma chère cousine, comment vous portez-vous ? Que j’ai de plaisir à m’entretenir avec vous ; je ne puis vous exprimer le plaisir que la nomination de mon cher cousin m’a fait ; je ne suis si c’était amitié ou connaissance qui me l’avait toujours fait penser. Vous allez dire que je fais bien la connaisseuse pour une petite provinciale. Si vous saviez, ma chère cousine, je m’en tiens une fois plus droite ; il semble que ce soit moi qui ai eu tous les suffrages de ces messieurs. Moi qui ne suis que sa cousine, je juge par là du plaisir que cela vous a fait, vous qui l’aimiez tant et qui étiez à portée de voir combien il mérite les suffrages… » Mlle  Julie de La Voye épousa M. Romand, qui fut, pendant la Révolution, payeur-général de l’armée de l’Ouest.
  38. OEuvres complètes, t. III, p. 208 et 227.
  39. L’état des finances de la ville ne permit pas de réaliser le plan de Deparcieux, dont un arrêt du conseil avait confié l’exécution à Péronnet et à Chezy : le devis s’élevait, en effet, à 8 millions. La question ne fut reprise qu’en 1786, époque à laquelle un ancien capitaine d’artillerie, M. de Fer de La Nouerre, proposa un plan un peu différent et plus économique ; les travaux, commencés en 1788, furent suspendus l’année suivante et définitivement arrêtés par les événemens de la révolution. (Belgrand, les Anciennes eaux de Paris, p. 305 et suiv.)
  40. M. de La Galaizière, intendant de Lorraine, eut le titre de chancelier de Pologne, quand Louis XV donna la Lorraine à son beau-père Stanislas Leczinski.
  41. Notice biographique rédigée par Mme  Lavoisier (manuscrit inédit).
  42. OEuvres complètes, t. IV, p. 55.
  43. Le 25 août, il lut à la séance publique de l’académie d’Amiens un mémoire sur l’histoire minéralogique de la France et particulièrement de la Picardie. (Journal économique, 1771.)
  44. Registre des expériences, mémoires et rapports que je me propose de faire pour l’Académie, commencé le 11 mai 1771. (Note autographe de Lavoisier.)
  45. C’est Daugny qui fit élever l’hôtel qui sert aujourd’hui de mairie au IXe arrondissement, rue Drouot.
  46. Baptisée, le 20 janvier 1758, à la paroisse de Saint-André de la ville et bailliage de Montbrison.
  47. Mémoires de l’abbé Terray, ou plutôt sur l’abbé Terray, p. 102. Ce pamphlet est de 1776.
  48. Correspondance de Paulze.
  49. Lettres de Caze et de Terray de Rozières à Paulze.
  50. 5 pieds 4 pouces, 1m, 72.
  51. Elle avait 5 pieds, 1m, 62.
  52. Guettard voyageait alors en Italie ; il avait envoyé de Rome ses félicitations à son jeune ami.
  53. Marie-Marguerite Frère, mariée à Nicolas Lalaure, avocat au parlement et censeur royal on jurisprudence, était grand’tante de Lavoisier.