La Jeunesse de Mozart/01

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La Jeunesse de Mozart
Revue des Deux Mondes5e période, tome 20 (p. 543-580).
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LA JEUNESSE DE MOZART[1]

LES PREMIÈRES LEÇONS (1756-1762)


I. — LES ORIGINES

La jolie ville de Salzbourg était certes, vers l’an de grâce 1756, une des plus « musicantes » qui fussent au monde. Jour et nuit, sur les deux rives de son torrent, et depuis les sommets vénérables de ses trois montagnes jusqu’aux ruelles étroites et sombres qui tournaient entre ses hautes maisons, son air, tiède, mou, toujours saturé d’eau, était également saturé de musique.

Musique dans les églises, dans les quinze églises de la vieille ville et les dix d’au-delà du pont. Pas une journée ne se passait sans que plusieurs au moins de ces belles églises, élégantes et parées comme des salons, célébrassent solennellement quelque office chanté, une neuvaine, des vêpres suivies de litanies, la fête d’un saint patron ou un anniversaire. Celles surtout qui dépendaient d’un couvent, — et c’était le plus grand nombre, — se piquaient de posséder une maîtrise parfaite : sujet constant de rivalité entre les bénédictins de Saint-Pierre et les cordeliers de Notre-Dame, entre les augustins de Mülln et les théatins de Saint-Gaëtan. Et, par-dessus ces petites maîtrises, s’en dressait une énorme, celle de la cathédrale, avec ses six orgues, ses deux maîtres de chapelle, ses castrats, son école d’enfans de chœur, son orchestre et sa fanfare : une incomparable assemblée de plus de cent artistes de choix, chantant et jouant à toute heure du jour.

Musique à la Résidence du prince-archevêque, dans les palais seigneuriaux, dans les maisons des bourgeois et des artisans. La Résidence avait un théâtre où, certains soirs, on donnait l’opéra ou la comédie, tandis que, d’autres soirs, les représentations étaient remplacées par une « musique de cour » dans la Salle des Chevaliers ou la Salle d’Audience, avec les programmes les plus variés. Trois « maîtres de concert, » chacun pendant une semaine à tour de rôle, étaient chargés de la préparation et de l’exécution de ces programmes, comme aussi de ceux des « musiques de table : » car, suivant l’usage des princes allemands, l’archevêque de Salzbourg dînait en musique. Le dîner avait lieu à une heure, tantôt en grande pompe dans la Salle Impériale, « sous timbales et trompettes, » c’est-à-dire avec des sonneries annonçant les entrées, tantôt, plus intime, dans l’Ante-Camera ou dans une des pièces de l’appartement privé ; mais presque toujours la musique y tenait sa place. Là encore, d’ailleurs, une diversité de programmes infinie, d’après l’importance des repas et la qualité des convives : longues « cassations » précédées et suivies d’une marche, airs de chant, de violon, ou de flûte, petits « divertissemens » pour deux hautbois, deux bassons, et deux cors ; le 28 décembre, c’était la chapelle des enfans de chœur qui venait chanter, durant tout le dîner, en commémoration des Saints-Innocens. Et lorsque l’archevêque voyageait, lorsqu’il allait chasser ou se reposer dans un de ses châteaux, à Hellbrunn, à Clessheim, à Tittmoning, lorsqu’il se rendait en visite à Munich ou à Vienne, rarement il manquait à emmener quelques-uns de ses trompettes et de ses musiciens. Quant aux familles princières, — particulièrement nombreuses dans une ville où chaque nouvel archevêque avait soin de mander et d’installer ses parens, — aucune, en vérité, n’entretenait dans sa maison de ville une « chapelle » à demeure, comme faisaient à Vienne les Hildburghausen et les Esterhazy, mais sans cesse chacune d’elles, les Firmian, les Zeil, les Arco, les deux dynasties des Lodron, organisaient des séances musicales, des « académies, » des « musiques de table, » avec le concours d’artistes locaux ou étrangers. Et il n’y avait pas dans Salzbourg une maison, riche ni pauvre, depuis le palais du prince-archevêque jusqu’aux arrière-boutiques des marchands de la Rue-aux-Grains, où la musique ne fût l’amusement, le repos, la consolation de toute la vie. Partout on pouvait être assuré de trouver, dans le coin préféré de la « chambre habitée, » un clavecin, une épinette, une positive, ne fût-ce qu’une cithare, un ou plusieurs de ces instrumens de toute forme et de toute nature qui remplissent aujourd’hui la plus grande salle, et l’une des plus riches, du délicieux musée de Salzbourg. Qu’on les voie réunis là, muets désormais pour la plupart, mais si propres, si intacts, conservés avec un soin si pieux à travers deux siècles bientôt ! Aucun d’eux n’est un instrument de luxe, sauf peut-être un charmant petit virginal avec un paysage peint au-dessus des touches : mais d’autant plus ils évoquent pour nous toute l’existence familière dont ils ont été confidens ou témoins ; d’autant plus ils nous gardent un écho de l’âme de leurs anciens maîtres, qui fut simple, bourgeoise, et honnête comme eux.

Musique à l’Université, où les bénédictins avaient, eux aussi, un théâtre, et où toutes les cérémonies scolaires s’accompagnaient d’intermèdes chantés. Musique dans les débits de vin et les brasseries, au Vaisseau Doré, à l’Éléphant Noir, à l’Etoile d’Or. Musique à l’intérieur, ou, — si la pluie daignait s’arrêter quelque temps, — devant les fenêtres, de la « Caffeterie » que venait d’ouvrir (1753), sur la Place du Marché, Andréas Steiger, suivant la mode nouvelle des cafés viennois. Mais surtout, et souvent même malgré la pluie, musique sur les places et les carrefours, à chaque coin des rues. Vers onze heures, le soir, quand les paisibles bourgeois de la Rue-aux-Grains s’apprêtaient enfin à se mettre au lit, après être allés avec des voisins boire un verre de vin blanc et chanter quelques joyeux canons à la Cave de Saint-Pierre, voici qu’ils entendaient accorder des violons, en bas, sous leurs fenêtres : vite les fenêtres s’ouvraient, vingt têtes apparaissaient, en bonnets de nuit ; et l’on écoutait la sérénade jouée là par un quatuor à cordes avec un hautbois et deux cors, une belle sérénade en quatre ou cinq parties, dont on apprenait ensuite qu’elle venait d’être expressément composée par M. l’organiste Adlgasser, ou par M. le maître de chapelle Eberlin, pour célébrer l’anniversaire de naissance ou la fête d’une des demoiselles de l’épicier Zezi ou du marchand de fers Robinig, sur la commande d’un frère, d’un fiancé, ou encore d’un admirateur qui avait défendu que l’on dît son nom.

Tout, au reste, dans cette ville imprégnée de musique, les tours, les escaliers, les portes, tout chantait. Sur la Place de la Résidence, en 1703, l’archevêque Jean-Ernest, pour rappeler d’heureuses spéculations faites par lui avec la Compagnie hollandaise des Indes Orientales, avait installé un grand carillon à la manière de ceux des Pays-Bas, le célèbre Glockenspiel) qui jouait ses airs deux fois par jour, après l’Ave Maria. Puis, quand le Glockenspiel avait fini de jouer, un orgue mécanique lui répondait, du haut de la forteresse. C’était, ce « Taureau de Salzbourg, » un véritable chef-d’œuvre d’invention et d’art. Longtemps, depuis deux siècles et demi, il avait joué le même air, un vieux chant d’un contrepoint ingénu : mais l’archevêque régnant, Sigismond de Schrattenbach, avait décidé de joindre à ce chant d’autres morceaux d’un goût plus moderne, qu’il avait commandés aux sieurs Jean-Ernest Eberlin et Léopold Mozart, les deux compositeurs les plus estimés de la ville. Les morceaux s’annonçaient par un accord, un majestueux « cri d’orgue, » qui donnait le ton : après quoi se déroulaient, suivant le mois de l’année, la Chasse ou le Minuetto Pastorello de M. Mozart, ou encore, — un régal pour les « dilettanti » salzbourgeois, — la charmante Berceuse de M. Eberlin. Dans la Salle des Carabiniers, à la Résidence, il y avait un balcon de cuivre doré dont chaque pilier, au toucher, faisait entendre une note de la gamine. Et dans maint logement, surtout chez les pauvres gens des faubourgs et de la campagne, aux portes des chambres était accroché un petit glockenspiel, avec cinq boules de métal qui, au mouvement de la porte, frappaient sur des fils et animaient la chambre d’un léger carillon.


Ainsi, sous le gouvernement paternel d’un prince bon et sage, la ville tout entière ne vivait que de musique. Rêveuse, indolente, pleine à la fois de la sensibilité allemande et de la langueur italienne, elle n’avait pas, — ou, plus exactement, elle n’avait plus, — de talent pour les autres arts : mais d’autant plus à cet art-là elle avait donné tout son cœur. Et le goût qu’elle y apportait n’était, il faut l’avouer, ni aussi pur que celui des Italiens ni aussi élevé que celui des véritables Allemands ; mais c’était un goût très original, sur lequel des siècles avaient passé sans le modifier, et dont une partie, — hélas ! la mauvaise partie, — semble bien s’être maintenue jusqu’à notre temps. Aujourd’hui encore, s’il n’y a guère d’endroit où, l’été surtout, on entende plus de musique qu’à Salzbourg, il n’y en a pas où, en revanche, on entende moins de bonne musique. Les innombrables chefs d’orchestre des restaurans et des brasseries de la ville ne soupçonnent pas, dirait-on, que les étrangers pour qui ils jouent soient capables d’écouter volontiers une ouverture de Mozart ou l’andante d’une symphonie de Haydn, au lieu de leurs valses, polkas, et pots-pourris d’opérettes. Ils se représentent probablement tous les goûts musicaux d’après le goût de leurs compatriotes ; et le fait est que celui-ci, dès le XVIIIe siècle, s’accommodait mal du genre « sérieux. » Non seulement il subissait sans plaisir l’oratorio, la fugue, tout l’art sévère des maîtres de l’Allemagne du Nord : l’opéra même l’ennuyait, avec ses grands airs et ses grands sentimens. L’humeur paresseuse des habitans de Salzbourg les portait, de nature, à redouter tout effort, et l’effort de la pensée plus que tous les autres. De telle sorte qu’ils s’étaient acquis, en Allemagne, une légendaire réputation d’inintelligence. Un vieux proverbe distinguait trois degrés du sot : l’imbécile, le crétin, et le Salzbourgeois. Mais la réputation était imméritée, le proverbe mentait, et, au fond, personne n’accusait les habitans de Salzbourg d’être tout à fait des sots. On voulait dire simplement qu’ils avaient un esprit superficiel, étroit, fermé aux questions difficiles de la politique ou des sciences : après quoi chacun s’empressait d’ajouter qu’ils n’avaient pas leurs pareils pour la verve comique. Hanswurst, Jean Saucisse, le pitre traditionnel des farces viennoises, était, par tradition, un Salzbourgeois. L’entrain, la drôlerie, l’invention imprévue : trois choses où, de tout temps, les Salzbourgeois (comme les Tyroliens en général) avaient excellé. Et il y en avait une quatrième encore où, de l’avis des meilleurs juges, pas une autre population allemande ne les égalait : c’était, — sur le petit terrain d’art qui, seul, leur était accessible, — le sûr et délicat instinct de la beauté. « L’esprit des habitans de Salzbourg, écrivait le fameux esthéticien Schubart, est extraordinairement doué pour la farce. Leurs chansons populaires sont si burlesques et si piquantes qu’on ne peut les entendre sans un rire qui secoue tout le cœur : et, avec cela, presque toujours des mélodies merveilleusement belles. »

Oui, de tout temps, ces compatriotes de Hanswurst avaient uni à leur goguenardise un très vif besoin de beauté. C’est de quoi leur ville, morte depuis cent ans, continue aujourd’hui à nous porter témoignage, dans ses églises, ses palais, ses fontaines, dans tout ce qu’elle a gardé de sa vie passée. Dès le moyen âge et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, tous les styles, en parvenant à Salzbourg, s’étaient atténués, avaient perdu un peu de leur force ou de leur grandeur, mais pour prendre en échange une grâce élégante et fine, une grâce toute locale, qu’on retrouve exactement la même à travers les âges. Car peut-être n’existe-t-il pas de ville où les monumens des diverses époques aient entre eux un air aussi frappant de parenté intime. Chapelles gothiques, — chère petite chapelle de Sainte-Marguerite, comme mon cœur frémit doucement à son souvenir ! — portes et palais de la Renaissance, églises rococo, ce sont toujours de très petites œuvres, trop petites même et d’un art trop facile, mais plus harmonieuses, plus discrètes, en un mot plus jolies, que les modèles étrangers qui les ont inspirées[2] : de façon que le léger chœur gothique de Notre-Dame s’arrange le mieux du monde de son ornementation italienne, et que nul n’est choqué de voir un vieux portail roman sous le porche baroque de l’église Saint-Pierre. Joli, tout à Salzbourg devenait joli, les retables de bois peint et les pierres tombales, les poêles, les cages, les sonnettes, les cibles du tir à l’arc. La rudesse allemande et l’emphase italienne, en s’y mêlant, se tempéraient l’une par l’autre, pour produire un style propre, d’un agrément à la fois plus simple et plus mesuré. Mélange qui n’allait point, d’ailleurs, sans de graves dommages pour les plus précieuses vertus foncières de l’âme des deux races, et certes l’art de Salzbourg, avec tout son charme, restait bien pauvre en comparaison de celui de Vérone ou d’Augsbourg. Mais que naquît, par miracle, un homme d’un génie assez fort pour résister à l’action amoindrissante du goût salzbourgeois, un homme capable de penser, ou de sentir, ou d’observer plus profondément que l’ordinaire des gens de son pays : et l’on conçoit quelle incomparable école de beauté ce goût naturel de son pays devait être pour lui.

Un tel miracle s’était manifesté déjà, une première fois, vers la fin du XVe siècle ; non pas en vérité à Salzbourg, mais dans une bourgade tyrolienne des environs. Il y avait eu là un obscur paysan nommé Michel Pacher, ouvrier sculpteur et peintre, qui, sous la seule influence de son génie personnel et de l’atmosphère artistique de sa petite patrie, s’était élevé au rang des plus hauts maîtres de l’art de son temps. L’immense retable qu’en 1481 il a signé de son nom dans l’église abbatiale de Saint-Wolfgang, tout près de Salzbourg, est, — du moins dans celles de ses parties qu’il a peintes et sculptées lui-même, — une de ces œuvres très rares qui donnent à la fois l’impression d’une grande puissance et d’une grâce parfaite. Œuvre allemande ? italienne ? Ni l’Italie ni l’Allemagne, en tout cas, n’en ont d’autre semblable à lui comparer. Vainement on chercherait dans tout l’art de ces deux races des figures qui, aussi vivantes, soient en même temps aussi belles : je veux dire vivantes d’une vie tout humaine, au point qu’on croirait entendre le battement de leurs cœurs, et cependant pures, et nobles, et saintes, avec, jusque dans les plis de leurs manteaux d’or, un reflet mystérieux de leur divinité. Et si la critique italienne n’a évidemment aucun droit sur une œuvre née en terre allemande, signée d’un nom allemand, la critique allemande, de son côté, se trompe à coup sûr lorsque, après avoir célébré le retable de Saint-Wolfgang, elle en fait honneur au génie de l’Allemagne. L’Allemagne, au temps où travaillait Pacher, ne manquait pas de peintres, ni surtout de sculpteurs ; elle en avait à Nuremberg, à Augsbourg, à Würzbourg, à Cologne, et un Veit Stoss, un Riemenschneider, sans parler d’un Dürer, sont assurément des maîtres dont elle fait bien de s’enorgueillir. Mais qui, donc parmi ces maîtres a su, comme le paysan tyrolien, mettre dans l’expression de son rêve un mélange harmonieux d’élégance et de simplicité ? Qui d’entre eux a su, comme lui, agencer en vue d’un effet d’ensemble jusqu’aux moindres détails de ses formes et de ses mouvemens, sans jamais leur rien ôter de leur vivant réalisme ? Non, quelque riche et varié que fût l’ancien génie de l’Allemagne, il n’aurait pas suffi à produire le peintre-sculpteur de Bruneck si celui-ci n’avait pas en outre respiré, de naissance, une atmosphère artistique privilégiée, où toujours à l’émotion allemande quelque chose était venu se joindre de la beauté italienne. C’est de l’art tyrolien, c’est de l’art de Salzbourg, qu’est sortie l’œuvre artistique de Michel Pacher, si haut qu’elle nous apparaisse maintenant au-dessus de lui. Et, aussi bien, est-ce pour Salzbourg même que cet homme admirable a sculpté un de ses chefs-d’œuvre : la Vierge de bois peint qui, depuis plus de quatre cents ans, trône sur le maître-autel de l’église Notre-Dame. Chaque siècle, en témoignage de sa pieuse affection pour elle, l’a revêtue, tour à tour, d’ornemens nouveaux[3] : mais elle, la blonde jeune mère, toujours elle sourit à son enfant d’un sourire merveilleux, légère, délicate, toute parfumée de douceur céleste, émouvante et belle comme un chant de Mozart.

Cependant l’œuvre de Pacher n’avait été qu’une exception, dans l’histoire de l’art de Salzbourg ; et celui-ci, après elle, était vite retombé à son aimable médiocrité ordinaire. De plus en plus, même, ainsi que je l’ai dit, les Salzbourgeois s’étaient accoutumés à ne pratiquer en personne d’autre art que la musique, confiant la décoration de leur ville à des artistes étrangers, allemands ou italiens, à qui ils imposaient seulement, et avec un succès dont on ne peut trop s’étonner, leur goût particulier de mesure et de gentillesse. Vers le milieu du XVIIIe siècle, il n’y avait pas jusqu’à leurs musiciens qui ne fussent, pour la plupart, d’origine étrangère. Mais eux aussi, ces musiciens, à peine avaient-ils pris pied dans la ville enchantée, au sortir de leur Saxe ou de leur Calabre, qu’aussitôt leur style changeait, devenait plus coulant et plus mélodieux, s’imprégnait d’un charme indéfinissable de claire poésie. C’était absolument l’aventure qui venait d’arriver au maître de chapelle souabe Jean-Ernest Eberlin, en attendant qu’elle arrivât, quelques années plus tard, à un homme d’une valeur et d’une importance bien supérieures encore : Michel Haydn, le frère cadet de l’auteur des Saisons. Les quelques compositions de ces deux maîtres salzbourgeois qui nous sont aujourd’hui connues nous offrent un exemple nouveau de l’étrange influence exercée par les traditions et le goût séculaires de Salzbourg sur le tempérament artistique de ses habitans. Qu’on lise, par exemple, dans le second cahier du recueil Alte Klaviermusik, publié par M. Ferdinand Roitzsch (chez Peters à Leipzig), les Prélude et Fugue en mi mineur de J. -E. Eberlin[4] : toute la disposition extérieure reste encore celle du vieux Bach ; et pourtant comme la pensée apparaît plus frôle ! l’expression plus tendre ! comme les sujets et leur contrepoint ont à la fois un caractère plus superficiel et une allure plus chantante ! Ou bien que l’on compare les lieds, les litanies, le Quintette à cordes en ut majeur de Michel Haydn, avec les œuvres équivalentes de son frère Joseph, né au même village, instruit à la même école : autant Joseph est toujours serré, minutieux, épris de fines nuances spirituelles ou pathétiques, autant, chez son frère, la mélodie jaillit et s’écoule librement, une mélodie souvent peu profonde, sans doute, mais si pure, mais si fraîche, mais presque toujours si belle dans sa simplicité !

Et une aventure semblable n’aurait pas manqué d’arriver aussi au « compositeur de cour » Léopold Mozart, si cet homme excellent avait possédé ne fût-ce que l’ombre d’un don naturel pour l’art dont il avait fait l’occupation de sa vie. Mais jamais âme de musicien ne fut plus irrémédiablement stérile que celle-là. Ni l’étude, ni la pratique, ni l’expansion d’un cœur tendre et pieux, rien n’était parvenu à détremper l’aridité foncière de cette âme, pour en faire sourdre le plus mince filet de création musicale. Je ne crois pas que, dans toute l’œuvre de Léopold Mozart, — et elle est considérable[5], — on puisse découvrir non seulement une idée personnelle, mais un trait spontané, une modulation piquante, une trace quelconque d’émotion ou de fantaisie. On dirait l’œuvre d’un de ces automates qui étaient alors très en vogue dans l’Europe entière, mais nulle part peut-être autant qu’à Salzbourg : d’un automate à qui un savant mécanisme aurait permis d’exposer tour à tour plusieurs thèmes différens, de les varier et de les développer, de leur appliquer, avec une correction parfaite, toutes les règles de l’harmonie et du contrepoint. Toutes les règles sont appliquées, petites et grandes, les coutumes du pays et celles du temps. Dans les messes, soli et chœurs se relaient toujours de la même façon, aux endroits d’usage, avec des chœurs fugues à la fin du Gloria et du Credo. Les symphonies, les sonates, sont de véritables « canons » de ces deux genres, nous fournissant presque un catalogue complet des nombreuses menues conventions de toute sorte qui, peu à peu, étaient venues s’y adjoindre aux lois fondamentales. Conventions qui, du reste, n’avaient aucun caractère obligatoire, pourvu seulement qu’on n’y dérogeât qu’avec discrétion : et l’œuvre du fils de Léopold Mozart nous montre qu’on pouvait, au contraire, les respecter toutes sans que l’originalité ni la beauté y perdissent rien. Mais les sonates, les symphonies, les messes du compositeur de cour salzbourgeois étaient aussi incapables de beauté ou d’originalité qu’en sont incapables les exemples d’une grammaire latine. C’était une musique muette, une musique morte. Propre, savante, élégante, pas une fois on n’y découvre la présence d’un homme. Et, à ceux qui parlent d’hérédité à propos des deux Mozart, je recommanderai une étude plus instructive encore. Sur un cahier dont le contenu se trouve reproduit dans le livre de Nissen, Léopold Mozart a transcrit, au fur et à mesure, avec l’indication des dates, les morceaux qu’il composait pour son fils lorsque celui-ci commençait à apprendre le clavecin. On voit là une longue série de pièces diverses, marches, scherzos, rondos, surtout des menuets[6] : et on joue cette série avec une somnolence mêlée d’un peu de pitié, — car on songe au pauvre petit garçon à qui la musique se révélait sous une forme aussi vide, aussi sèche, aussi dépourvue de lumière et d’accent, — quand, tout à coup, on se sent réveillé par une aimable surprise. Rompant la monotonie glacée des pièces précédentes, voici que la quinzième pièce, un menuet en fa majeur, se met tout à coup à vivre, à chanter ! Son ordonnance, pourtant, est la même tout à fait que celle des autres menuets qu’on vient de parcourir : même longueur, mêmes rythmes, même façon d’accoupler les deux voix : mais c’est comme si, dans une même langue, on entendait brusquement des vers, après une suite de mots alignés au hasard. On se reporte à l’endroit où Léopold Mozart a noté la date des divers morceaux. Et on lit : « Le numéro 13, notre Wolfgangerl l’a appris le 4 février 1761, et le numéro 14, le 6 février ; le numéro 15, il l’a composé en janvier 1762. » Ce chant d’oiseau, dans ce désert, c’est la première œuvre du petit Mozart ! D’emblée, l’enfant a deviné la musique : et le plus étonnant est qu’il n’en ait pas été empêché par le sang paternel qu’il avait dans les veines.


La musique, au reste, n’avait été qu’un pis-aller dans la carrière de Léopold Mozart. Il l’avait étudiée dans sa jeunesse, à Augsbourg, où il était né. Un chanoine de l’église Saint-Pierre de cette ville, son parrain, l’avait fait admettre dans la maîtrise de la célèbre abbaye bénédictine de Saint-Ulrich, en même temps qu’il lui faisait donner une excellente éducation littéraire : espérant sans doute que son protégé pourrait entrer dans les ordres, ou, à défaut de vocation, devenir organiste. Mais le jeune homme ne s’était senti de vocation ni pour la prêtrise, ni pour la musique, de telle sorte qu’on s’était arrêté à l’idée d’en faire un homme de loi. On l’avait donc, en 1737, envoyé à l’Université bénédictine de Salzbourg, où, pendant deux ans, il avait eu à suivre d’abord les cours de « logique. » Il était studieux, rangé, réfléchi, avec une pointe innée de pédantisme : ses maîtres, pendant ces deux années, paraissent n’avoir eu qu’à se louer de lui. Et cependant, dès le mois de septembre 1739, le Protocole de l’Université de Salzbourg déclare que « Jean-Georges Mozardt (c’étaient là ses véritables prénoms) s’est rendu indigne du titre d’étudiant par son peu d’assiduité aux leçons de physique. » L’année suivante, en 1740, l’ex-étudiant est valet de chambre du comte de Turn-et-Taxis, président du consistoire de la cathédrale. En 1741, il compose, pour le carême, la musique d’un oratorio, le Christ enseveli, sur un poème du P. Marianus Wimmer. Et, deux ans après, en 1743, l’archevêque Léopold Firmian le reçoit dans sa « chapelle[7]. » C’est ainsi que, d’étape en étape, nous le voyons arriver à la musique, ou plutôt y revenir : mais pourquoi ces tâtonnemens ? pourquoi ce retour à une profession naguère dédaignée ? Lui-même nous l’explique, je crois, dans une lettre écrite de Milan, le 21 novembre 1772, à sa femme, qui était restée à Salzbourg. Il se félicite, dans cette lettre, de « l’heureuse pensée qu’il a eue de se marier, » vingt-cinq ans auparavant ; et il ajoute : « Cette pensée, nous l’avions, tous les deux, depuis déjà bien des années ; mais les bonnes choses demandent du temps. » Bien des années avant son mariage, qui avait eu lieu en 1747, le jeune étudiant s’était épris d’une jeune fille sans fortune ; et, comme il était sans fortune, lui aussi, il avait renoncé à ses beaux projets universitaires pour se mettre en quête d’un métier plus immédiat et plus sûr. Or, quel autre métier que la musique aurait-il pu trouver, — à moins d’entrer en religion, — dans une ville qui ne vivait tout entière que de musique et de piété ? Il avait donc mis à profit ses anciennes études musicales d’Augsbourg pour composer un oratorio, ainsi que de petits morceaux de musique de chambre ; et puis, probablement à la suite de ces essais, d’influens protecteurs lui avaient procuré des leçons. La musique, naguère dédaignée, l’avait repris de force ; et, dès ce jour-là, il s’était livré à elle avec sa conscience et son application ordinaires, actif, sérieux, méthodique, toujours empressé à vouloir s’instruire : si bien qu’on comprend que l’archevêque ait été heureux d’attacher à son service, en qualité de musicien, un homme qui joignait à sa science musicale toutes les vertus d’un bon serviteur.

Le fait est que, au moment où commence notre récit, c’est-à-dire dans les premiers jours de janvier de l’année 1756, Léopold Mozart était un des membres les plus notables de la chapelle archiépiscopale de Salzbourg, avec les titres de « maître de concert, violoniste, chef d’orchestre, et compositeur de Cour. » Ces fonctions diverses, en vérité, lui étaient payées assez maigrement, mais il donnait en outre de nombreuses leçons, — car on n’avait point tardé à reconnaître en lui un merveilleux professeur ; — et ses compositions, qu’il vendait pour la plupart en copies manuscrites suivant l’usage du temps, n’étaient pas non plus sans lui rapporter un petit profit. Une publication berlinoise de 1757, les Contributions historico-critiques à l’étude de la musique, nous a laissé une liste des principales de ces compositions, liste qui, certainement, doit avoir été rédigée, sinon par Léopold Mozart lui-même, du moins sur des notes envoyées par lui. La voici, avec les quelques indications biographiques qui raccompagnaient :


M. Léopold Mozart, de la ville impériale d’Augsbourg, est (à Salzbourg) violoniste et directeur de l’orchestre. Il compose pour l’église et pour la chambre. Né le 14 décembre 1719, il est entré au service des princes-archevêques en 1743, peu de temps après avoir achevé ses études de philosophie et de droit. Il s’est fait connaître dans tous les genres de composition, mais n’a encore rien fait imprimer ; il a cependant, en l’année 1740, gravé lui-même sur cuivre six trios, surtout pour s’exercer dans l’art de la gravure. En février 1756, il a publié son École du violon. Parmi les œuvres manuscrites les plus connues de M. Mozart, on remarque principalement : beaucoup d’œuvres d’église, en contrepoint et autres ; puis un grand nombre de symphonies, les unes à quatre parties seulement, les autres avec tous les instrumens ordinaires ; en outre, plus de trente grandes sérénades, avec des soli pour divers instrumens. Il a, de plus, composé nombre de concertes, en particulier pour la flûte traversière, le hautbois, le basson, le cor de chasse, la trompette, etc. ; d’innombrables trios et divertissemens pour divers instrumens ; aussi douze oratorios et une foule de choses de théâtre, ainsi que des pantomimes, et, notamment, certaines pièces de circonstance telles que : une musique militaire, avec trompettes, timbales, tambours et fifres, joints aux instrumens ordinaires ; une musique turque ; une musique pour un clavecin d’acier ; enfin une Course de traîneaux, avec sonnettes de traîneaux. Pour ne point parler de marches, de morceaux appelés « musiques de nuit, » ni de plusieurs centaines de menuets, danses d’opéra, et autres petites pièces analogues.


Et, bien que personne, assurément, n’ait jamais pu prendre plaisir à aucun de ces « innombrables » ouvrages, je dois ajouter qu’ils avaient procuré à leur auteur, dans sa nouvelle patrie et dans toute l’Allemagne, une très enviable considération, à la fois auprès du public et des musiciens. Le public aime assez, dans tous les arts, les hommes d’une nullité régulière, discrète, et de tout repos, tandis que les artistes, de leur côté, sont prêts d’avance à louer un confrère qu’ils savent incapable de jamais les gêner. Les compositions de Léopold Mozart, coûtant, les unes, « un maxdor, » d’autres « un ducat, » d’autres « un thaler, » avaient autant et peut-être plus d’acheteurs que n’allaient en avoir, plus tard, celles de son fils. La plus célèbre société musicale de l’Allemagne songeait à l’admettre au nombre de ses « membres correspondans. » Et son École du violon, surtout, qui se trouvait alors sous presse chez un imprimeur d’Augsbourg, allait être aussitôt accueillie avec une faveur extraordinaire[8].

Faveur qui, par hasard, se trouvait justifiée : car la méthode de violon du maître de concert salzbourgeois était, dans son genre, un véritable chef-d’œuvre. J’aurai à m’en occuper plus en détail tout à l’heure, pour y chercher les principes généraux qui ont constitué la première éducation musicale de Wolfgang Mozart : mais, à ne juger même le livre que sur sa forme, sur son plan, sa distribution, et son style, rarement on a écrit, avant ou après Léopold Mozart, une « méthode » plus claire, mieux ordonnée dans toutes ses parties, plus simple et en même temps plus complète, plus plaisante à lire et plus instructive. Évidemment inspirée de l’ouvrage capital de Philippe-Emmanuel Bach, Essai sur la vraie manière de jouer du clavecin, qui avait paru à Berlin en 1753, et, d’ailleurs, fort au-dessous de son modèle pour l’originalité et la portée de sa doctrine, elle le dépassait de beaucoup au double point de vue de l’agrément littéraire et de l’utilité pratique. Léopold Mozart y avait mis toute son âme, qui était, comme je l’ai dit, celle d’un parfait professeur. Après avoir longuement travaillé à l’écrire, il en avait encore surveillé l’impression avec un soin minutieux : infatigable à corriger jusqu’aux moindres fautes d’orthographe ou de ponctuation, et tantôt substituant à un mot un autre mot plus précis, tantôt améliorant un exemple ou un exercice[9]. Il avait mis en tête du volume une longue dédicace, où, avec mille éloges de l’archevêque régnant, il suppliait celui-ci de daigner continuer sa protection à l’auteur, à sa famille, et à tout le « chœur musical » de Salzbourg. Et, pour orner le volume, il avait fait graver sur cuivre quatre belles planches, qui ont dû, plus tard, j’imagine, amuser maintes fois le petit Wolfgang pendant qu’il apprenait le violon dans l’ouvrage de son père. Deux d’entre elles représentaient un jeune garçon en perruque poudrée qui, dans l’une, tenait bien, dans l’autre tenait mal son violon ; et le dessinateur lui avait prêté, pour cette dernière circonstance, un sourire satisfait qui aurait peut-être été plus de mise dans la première. La planche suivante ne montrait plus que deux mains, dont l’une tenait bien l’archet, et l’autre le tenait mal : mais des mains charmantes, fines, légères, avec un rebord de manchette élégamment retroussé. Des œuvres d’art, aussi, ces planches de la méthode : et cependant si nettes, si parfaitement appropriées à leur destination, que chacun, en les voyant, comprenait de suite en quoi consistait au juste la façon convenable de manier le violon ; heureux temps, en vérité, où tout ce que l’on faisait était bon et beau ! Enfin la quatrième planche servait de frontispice : dans le cadre d’un gracieux rinceau entrelacé de fleurs, elle montrait la solide et imposante figure de l’auteur de l’ouvrage, debout, vu de face, et jouant du violon, ou plutôt enseignant, une fois de plus, la manière d’en jouer[10]. Autour de lui étaient épars des feuillets de musique, mais épars en un désordre qui devait avoir été patiemment étudié ; car c’est suivant la hiérarchie traditionnelle des genres qu’on lisait tour à tour sur chacun de ces feuillets, depuis le plus en vue jusqu’au plus caché : Sinfonia, Missa, Offert(orium), Fuge, Diverti(menti), Pastorello, March. Puis, sous le portrait, cette phrase de la Rhétorique de Cicéron : Convenit igitur in gestu nec venustatem conspicuam nec turpitudinem esse, ne mit histriones aut operarii videamur esse. Et le choix de cette épigraphe constituait, à lui seul, presque un second portrait.

Léopold Mozart était né professeur. Il avait une intelligence vigoureuse et souple, mais un peu bornée, indifférente à tout ce qui n’était pas susceptible d’être appris et enseigné. Nul goût de rêve, nulle curiosité artistique ou philosophique. Son sens même de la réalité paraît avoir toujours été plutôt celui d’un professeur que d’un homme ayant une observation personnelle. On a beaucoup vanté son esprit pratique, et, en effet, ses lettres sont pleines de sages conseils, de projets ingénieux : on oublie seulement que, à l’usage, neuf fois sur dix, ses projets se sont trouvés échouer et ses conseils rester inutiles. Il appartenait à l’espèce nombreuse de ces gens qui, ignorant la vie, se figurent qu’elle ne demande qu’à se laisser diriger par de bonnes raisons. Avec cela, un très haut sentiment, non de sa valeur propre, mais, en quelque façon, de sa dignité sociale de bourgeois lettré. De tout temps il avait tenu à « n’être pris ni pour un histrion ni pour un manœuvre. » Choqué des manières communes et de la mauvaise éducation de ses collègues de la chapelle archiépiscopale, il évitait soigneusement leur familiarité : jamais il n’allait avec eux, entre deux offices, bavarder et rire devant un verre de vin, à la Cave de Saint-Pierre ; et s’il ne rougissait pas précisément de ses parens, — son père et son frère, qui étaient de modestes ouvriers relieurs, — il n’aimait pas trop à penser à eux. Mais ce n’étaient là, — comme aussi son pédantisme, son affectation de misanthropie, — que de menus travers, et qu’il n’y avait personne qui ne lui pardonnât : car on avait vite fait de découvrir, sous eux, un trésor précieux d’innocence, de droiture, d’honneur, de simple et touchante bonté. En vain le petit maître de concert essayait de jouer à l’esprit fort, ou de se donner l’apparence solennelle qu’on voit dans son portrait ; aux premiers mots qu’il disait, comme aux premières pages de son livre, se révélait clairement le brave homme qu’il était : un homme pieux, modeste, charitable, un vrai chrétien. De telle sorte que tout le monde l’aimait, dans la ville, depuis les prélats de la cour jusqu’à ces musiciens de la chapelle princière, Italiens ou Allemands, dont le manque de tenue le désolait, mais qui, en revanche, le savaient toujours prêt à leur venir en aide. Ses élèves l’adoraient, touchés de l’admirable don qu’il avait, ce professeur sans pareil, de s’intéresser de tout son cœur aux progrès de chacun d’eux. Et chez lui, dans sa famille, dans la maison où il demeurait, pas une âme qui n’éprouvât pour lui le sentiment qui, plus tard, allait faire dire à son fils : « Tout de suite après Dieu vient Monsieur Papa ! »


Il s’était marié le 21 novembre 1747, à vingt-huit ans, avec la jeune fille qu’il aimait « depuis bien des années. » C’était une demoiselle Anne-Marie Bertel, plus jeune que lui d’un an environ. Elle était fille du régisseur d’un château que possédaient les archevêques de Salzbourg à Saint-Gilgen, au bord d’un ravissant petit lac, et en face de cette magnifique abbaye de Saint-Wolfgang où, deux siècles et demi auparavant, Michel Pacher avait su réaliser, une fois déjà, tout l’idéal d’art du génie tyrolien. Léopold Mozart avait-il connu sa fiancée à Salzbourg, — elle y avait des parens et devait y faire de fréquens séjours ; — ou bien était-ce durant une promenade à Saint-Wolfgang qu’il l’avait d’abord rencontrée ? Nous ne savons malheureusement rien de Mme Mozart avant son mariage ; et, après son mariage même, nous ne savons d’elle que fort peu de chose. Sauf quelques fragmens de lettres tout à fait insignifians, nous n’avons à son sujet que deux documens directs, qui, d’ailleurs, tous les deux, à première vue, ne seraient point pour nous donner d’elle une idée très favorable. L’un de ces documens est son portrait, au Mozarteum de Salzbourg : il représente une bourgeoise endimanchée qui entr’ouvre niaisement la bouche pour sourire, toute fière de ses boucles d’oreilles en diamant, — ou en strass ? — et de la rangée de grosses perles qu’elle s’est mise au cou. Et l’autre document consiste en un distique écrit par Mme Mozart, le 12 août 1750, sur l’album de l’établissement de bains de Gastein :


Dem Hœchsten ach ! ich danchk vor das was ich gefunden
Von diesem edlen Baad in fünf-und-neunzig Stunden !


ce qui signifie : « Ah ! je remercie le Très-Haut de tout ce que j’ai trouvé (de profit) dans ces nobles bains, en quatre-vingt-quinze heures ! » Les vers sont incontestablement ridicules, et le portrait assez déplaisant. Mais il y a là une preuve nouvelle de la nécessité, pour l’historien, de n’interroger qu’avec méfiance les documens les plus authentiques : car tout porte à penser, d’autre part, que Mme Mozart n’a pas été le moins du monde la sotte prétentieuse qu’elle ne pourrait manquer de nous apparaître, si nous en croyions les deux seuls témoignages immédiats qui nous soient restés d’elle. C’était, au contraire, une charmante femme, simple et douce, très suffisamment intelligente pour le rôle qu’elle avait à jouer, et, j’imagine, supérieure sous plus d’un rapport à son mari, qui du reste la respectait autant qu’il l’aimait, se rendant compte, sans doute, de l’action salutaire qu’elle avait sur lui. À un grand fonds de bon sens elle joignait une lumière intérieure, un don naturel de gaîté et de rêverie, qui ont toujours fait défaut à Léopold Mozart. Les lettres écrites par celui-ci pendant ceux de ses voyages où elle l’accompagnait ont un ton tout particulier d’expansion souriante et familière : écrites par le mari, on devine que c’est lu femme qui les a dictées. Peut-être a-t-elle également contribué à entretenir, chez un homme que son tour d’esprit semblait prédisposer plutôt aux idées voltairiennes, cette ardente piété qui est pour nous, aujourd’hui, un des traits les plus touchans de son caractère. Et il ne paraît pas non plus qu’elle ait été laide : son mari et elle, après leur mariage, ayant eu la réputation d’être « le jeune couple le plus beau » de la ville entière. Son portrait du Mozarteum est celui d’une femme déjà vieille, qui n’a point l’habitude de poser devant un peintre, ni de s’encombrer de bijoux français : usée, malade, le cœur plein de soucis pour l’avenir de son mari et de ses enfans (le portrait a été peint vers 1775), elle sourit du sourire emprunté des vieilles paysannes qu’on a enfin décidées à venir chez le photographe[11] ; mais, à la regarder avec plus de soin, on s’aperçoit que, sous sa laideur même, elle conserve encore le charme de fort beaux yeux bleus, clairs, brillans, profonds, tout pareils à ceux qui vont illuminer bientôt, dans la plupart des portraits, le pauvre visage grêlé et jauni de son fils. Oui ; et il n’y a pas jusqu’aux vers de l’album de Gastein qui, avec la maladresse comique de leur forme, n’attestent, chez la mère de Mozart, un certain élan spontané d’enthousiasme, l’effort d’une âme ignorante pour exprimer une émotion généreuse et belle : ils parlent plus au cœur, tels qu’ils sont, que toutes les citations latines de Léopold Mozart.


Ce couple parfaitement assorti habitait, en 1756, un appartement au troisième étage de la maison de l’épicier Laurent Hagenauer, dans la Rue-aux-Grains, la rue la plus commerçante et la plus cossue de Salzbourg. Ils s’étaient installés là dès après leur mariage ; et, tout de suite, ils s’y étaient liés d’une très vive amitié avec les propriétaires de la maison, excellentes gens qui ne cessaient point de vouloir témoigner au maître de concert leur admiration respectueuse pour ses talens, méconnus, croyaient-ils. Du reste, l’appartement lui-même, un peu bas de plafond, était bien situé, vaste, commode, sans compter qu’il avait cette apparence bourgeoise qui plaisait en toutes choses à Léopold Mozart. Il se composait de cinq pièces, dont trois donnaient sur la cour intérieure, tandis que les deux autres, beaucoup plus claires et plus gaies, avaient vue sur la rue : et celle-ci s’échancrait, en cet endroit, pour former la petite place carrée du Marché-au-Poisson, avec une fontaine surmontée d’une belle Vierge de pierre à l’un de ses coins. C’était dans les deux pièces du devant qu’avaient lieu les leçons, les séances de musique, les visites de cérémonie ; mais la vie de famille se passait, de préférence, dans les trois pièces du fond, à qui leur obscurité même donnait un caractère plus intime et plus recueilli. Là étaient la salle à manger, la chambre à coucher, la cuisine, séparée par le palier du reste des chambres. Là Mme Mozart, avec l’aide d’une jeune servante, vaquait aux soins du ménage, autant du moins que le lui permettait sa santé, que six couches successives avaient fort ébranlée, et que fatiguait encore, à présent, une nouvelle grossesse.

Hélas ! des six enfans qu’elle avait eus, cinq étaient morts presque en naissant. Seule restait vivante une petite fille de quatre ans, nommée Marie-Anne ou Marianne, comme sa mère : une gentille enfant chez qui s’annonçait déjà l’esprit studieux, sérieux, pondéré, de Léopold Mozart. Mais ce n’était toujours qu’une fille ; et l’on conçoit avec quelle impatience anxieuse ses parens attendaient l’enfant qui allait leur naître. Pèlerinages à la Vierge de Playn, messes et offrandes à l’Enfant miraculeux de l’église de Lorette, neuvaines à Notre-Dame : par tous les moyens on implorait du ciel que cet enfant pût être un garçon, un solide garçon en état de vivre, pour honorer, à son tour, le nom de Mozart. Et plus d’une fois sans doute, durant les premières semaines de l’année 1756, le maître de concert, avec tout son mépris des « superstitions, » dut gravir sur ses deux genoux, un cierge à la main, les marches de marbre de la Scala Santa de Saint-Gaëtan.


L’enfant naquit le 27 janvier 1756, vers huit heures du soir. C’était un garçon, bien petit, à la vérité, et d’apparence bien fragile ; mais, à force de soins, et avec l’aide de Dieu, on pouvait espérer de le garder en vie. Il fut baptisé le lendemain matin, à la cathédrale, sur les vénérables fonts de bronze qui, transportés seulement du côté de l’épître vers celui de l’évangile, servent aujourd’hui encore au baptême des petits Salzbourgeois. Il eut pour parrain un riche négociant du voisinage, Jean-Gottlieb (ou Théophile) Bergmaier, qui donna à l’enfant son prénom de Théophile. On lui donna encore, suivant la coutume, le nom du patron de son jour de naissance, Jean-Chrysostome. Et j’imagine que ce fut la mère qui voulut que, en outre, son fils reçût le prénom de Wolfgang, en souvenir du saint abbé que, dans son enfance, elle était souvent allée prier devant le retable de Michel Pacher, sur l’autre rive du beau lac où elle était née. Wolfgang, toujours désormais les parens allaient appeler leur enfant de ce prénom, le seul qu’ils lui avaient eux-mêmes choisi.

Jean-Chrysostome-Wolfgang-Théophile (ou Gottlieb, ou encore plus tard, à l’italienne, Amadeo) Mozart fut ensuite ramené dans sa chambre natale, auprès du lit de sa mère, qui, épuisée, malade, en grand danger de mort, avait pourtant tenu à le nourrir elle-même. Je le vois là, couché presque au ras du sol dans son berceau, une petite auge de bois avec quatre longues cornes. Je le vois qui sourit aux anges, ses yeux bleus ouverts, trop grands ouverts, parmi les rides d’un petit visage rond, pâle comme la cire. Et si doux, si tranquille, et, mon Dieu ! si frêle ! Un oiseau chante, dans une cage, au bord de la fenêtre ; peut-être un bouvreuil, ou un pinson, ou un canari : il n’y a pas dans toute la ville un seul logement où ne chante un oiseau. Et parfois la mère, elle aussi, essaie de chanter. Elle sait toute sorte de chansons plus jolies l’une que l’autre, des berceuses et des romances, surtout des couplets comiques en patois, avec des refrains si vifs, si légers, que c’est comme si toute la chambre en devenait plus claire. Ou bien c’est monsieur le maître de concert qui daigne un instant s’interrompre de ses graves travaux (il corrige les dernières épreuves de son École du violon) pour venir amuser l’héritier de son nom. Il le prend dans ses bras, le conduit à la fenêtre, lui fait voir, au loin, la grosse tour neuve de l’église de l’Université, avec ses aiguilles d’or sur son cadran bleu. « Ah ! lui dit-il (car il aime les beaux discours), puisses-tu ne pas manquer ta vie, comme ton père ! Puisses-tu devenir un homme utile à la chose publique, un magistrat, un médecin, un professeur, honor et decus reipublicæ ! » Après quoi, il s’en retourne aux épreuves de son livre : et la mère regarde tendrement le petit visage ridé qui repose, au pied de son lit. « Ah ! murmure-t-elle, si seulement, à défaut de ces dons magnifiques, — que c’est peut-être péché à de pauvres gens de notre espèce de souhaiter pour leur fils, — si seulement tu pouvais un jour devenir, comme ton père, un grand musicien ! »


II. — LE MIRACLE

Le petit Wolfgang avait un peu plus de quatre ans lorsque son père reconnut, sans aucun doute possible, qu’un miracle s’était produit dans sa maison. L’enfant que lui avait envoyé le ciel se trouvait être un prodige, une exception étrange et (jamais Léopold Mozart ne devait cesser de l’entendre ainsi) providentielle aux lois ordinaires de la nature humaine. Ce n’était pas seulement qu’il laissât voir des aptitudes musicales tout à fait surprenantes chez un enfant de cet âge, mémoire, agilité des doigts, sentiment infaillible du rythme et de l’harmonie ; non, sous tout cela son père découvrait quelque chose de plus profond encore, et de plus mystérieux : quelque chose comme une présence vivante du génie même de la musique au fond de l’âme ingénue du petit garçon.

De tout temps, d’ailleurs, l’enfant avait montré déjà un tempérament singulier. Nerveux, impressionnable, toujours prêt à éclater de rire ou à fondre en larmes, il apportait aux moindres choses une passion d’autant plus étrange qu’elle contrastait plus avec la placidité habituelle de son entourage. « M’aimes-tu ? » demandait-il vingt fois par jour à sa mère, à sa sœur, aux rares personnes qu’il avait admises à la faveur de son amitié ; et quand, par plaisanterie, on tardait à lui répondre, il baissait ses grands yeux bleus et se mettait à pleurer. Lui avait-on appris un nouveau jeu ? il en oubliait de manger et de boire. Il éprouvait un besoin constant d’émotion, une sorte de hâte maladive de vivre et d’aimer, qui souvent, durant ces premières années, avait fait frémir d’inquiétude le cœur de ses parens. Mais, Dieu merci, les mois, les années avaient passé sans qu’il fût une seule fois sérieusement malade. Il grandissait, prenait des forces, se développait ; il serait même devenu un gentil enfant, si la grosseur de sa tête sur un corps trop court et trop mince, n’avait eu longtemps quelque chose de disproportionné. Et jamais enfant n’avait ouvert sur la vie un plus beau regard, plus pur, plus franc, plus illuminé de confiance naïve et de curiosité.

Aussi bien toute la vie, à Salzbourg, semblait-elle vraiment faite exprès pour amuser un enfant. C’était d’abord, sans parler des mille spectacles de la rue, le spectacle quotidien et sans cesse varié de la cour archiépiscopale, réceptions publiques au palais, parades ou carrousels sur la Place de la Résidence, promenades du bon archevêque à travers sa ville, parfois à pied ou porté dans sa chaise, avec une parole affectueuse pour chaque passant, parfois dans un admirable carrosse tout sculpté et doré. C’étaient, presque tous les jours, les magnifiques cérémonies de la cathédrale, des processions où figuraient tous les corps de métier avec leurs insignes, des offices où le prince, servi par cinq prélats et entouré d’un innombrable clergé, bénissait la foule dans des nuages d’encens. Le cœur du bambin s’y pénétrait, pour toujours, de cette piété à la fois intime et somptueuse qu’il allait exprimer bientôt en des chants immortels : mais, à ce moment, sans doute, ses yeux ravis y trouvaient leur compte autant que son cœur. Ils trouvaient également leur compte aux fêtes de l’Hôtel de Ville où, indépendamment des grandes redoutes du Carnaval, l’usage était que chaque couple de nouveaux mariés vînt danser le menuet au sortir de l’église. Et les représentations en plein air du Manège d’Eté ! Acrobates, danseurs de corde, montreurs d’ours, comédiens ambulans, prenaient possession tour à tour de ce cirque sans pareil ; et les trois longues rangées de galeries, creusées à même dans le roc du Mœnchsberg, souvent ne suffisaient pas à contenir la masse des curieux. Mais il y avait, aux portes de la ville, un endroit bien plus merveilleux encore, et que le petit Wolfgang Mozart a dû aimer entre tous, car nous savons que la profonde impression qu’il en a ressentie ne s’est jamais effacée de son souvenir : c’était le château d’Hellbrunn avec son jardin, un véritable jardin des Mille et une Nuits. Ah ! ce jardin d’Hellbrunn, les plus graves bourgeois redevenaient enfans dès qu’ils y entraient ! On s’asseyait sur des tabourets de pierre, autour d’une table : et voilà que, des tabourets, de la table, de chaque coin du sol, jaillissaient des jets d’eau ! On s’arrêtait devant une belle porte en rocaille, aux deux côtés de laquelle étaient sculptées des têtes de cerfs : et soudain la porte se transformait en une fontaine, et l’eau coulait de la bouche des cerfs, de leurs cornes ; et, de toutes parts, à l’entour, surgissait une muraille d’eau, de telle sorte que les imprudens visiteurs n’avaient le choix qu’entre la douche et le bain. Ailleurs, l’eau soulevait une couronne, se diaprait des nuances de l’arc-en-ciel, imitait, dans une grotte, le chant des oiseaux. Et tout cela n’était rien en comparaison du nouveau prodige que venait enfin d’achever (1752), après des années, de patient travail, un paysan des salines de Dürrenberg, Laurent Rosenegger : un théâtre mécanique où cent vingt petites figures, avec des mouvemens d’un naturel et d’une variété extraordinaires, marchaient, travaillaient, se querellaient, dansaient. Des maçons construisaient un palais, une réduction du Palais-Neuf de la Place de la Résidence ; un ours, tenu en laisse, gambadait tristement ; une méchante vieille femme allait et venait, se démenait, arrêtait les passans pour leur exposer ses griefs. Tout à coup, du haut de la tour, retentissait le « cri d’orgue » du « Taureau de Salzbourg ; » et un orgue mécanique, caché derrière le théâtre, commençait à jouer doucement, à l’imitation de celui de la forteresse. « Ecoute, petit Wolfgang, reconnais-tu ce bel air ? »

Oui, certes, " l’enfant reconnaissait l’Écho, ou le Concert, de M. Eberlin ! Il reconnaissait toute musique qu’il avait une fois entendue, les refrains du Glockenspiel et les chœurs fugues de la cathédrale, et c’était plaisir de l’entendre fredonner tout cela, d’une voix fluette et légère comme lui, en suppléant par de grands mouvemens de la tête et des bras à ce que son chant ne pouvait pas dire. A trois ans, comme sa sœur (alors âgée de sept ans) commençait à apprendre le clavecin, il se mit résolument à en jouer aussi. De ses petits doigts il cherchait des accords, tapotait, avec des variantes de sa fantaisie, toute sorte d’airs qu’il venait d’entendre. Mais il n’en restait pas moins, jusque-là, un enfant, toujours avide de courir, de jouer, de s’amuser avec d’autres enfans. Et ce n’est qu’un an plus tard qu’un changement complet s’opéra en lui, qui étonna les siens au point de leur faire l’effet d’une faveur toute spéciale de la Providence.


Dans le courant de l’année 1760, Léopold Mozart, frappé de la justesse de son oreille et des précoces aptitudes qu’il découvrait chez lui, lui avait offert en plaisantant de lui enseigner la musique. L’enfant avait accepté l’offre : et quelques mois lui avaient suffi pour être déjà en état de déchiffrer, à livre ouvert, les petits morceaux composés par le père à l’usage de ses deux élèves. Mais voici que, peu à peu, sous l’invasion d’une curiosité nouvelle, tout ce qui l’avait auparavant passionné lui devint indifférent. Il ne voulait plus ni courir, ni sauter, ni aller voir la parade des gardes sur la Place du Palais. Jouer, il le voulait bien, mais à la condition que la musique eût une part dans les jeux : on devait tourner autour de la chambre en chantant des marches, contrefaire un orchestre, ou la grand’messe de la cathédrale. La musique avait pris entièrement possession de cette petite âme de feu : l’enfant ne s’amusait plus, ne s’émouvait plus, ne vivait plus que d’elle. Il en était si absorbé que, lorsqu’il était assis à son clavecin, la moindre interruption le faisait pleurer. Son visage même avait changé : à l’expression espiègle des premières années s’était substituée une mine si sérieuse, si recueillie, que les étrangers, qui en ignoraient la cause, soupçonnaient le petit Mozart d’être stupide, ou encore de couver quelque maladie. Il n’était point malade, cependant, et, bien loin d’être stupide, il avait déjà l’esprit singulièrement vif, alerte, et pénétrant, qu’il devait faire voir ensuite dans ses lettres : mais, avec l’ardeur impétueuse qui lui était naturelle, il s’était absolument enivré de musique. Et non point de la musique sous sa forme de science, ni, non plus, sous la forme matérielle de ces tours de force où se plaisent d’ordinaire les enfans prodiges. Il commençait à avoir dès lors cette haine et ce mépris de la virtuosité qu’il devait garder durant toute sa vie, et qui allait plus tard, au grand chagrin de son père, le conduire à délaisser tour à tour le violon, l’orgue, et jusqu’au piano. Les leçons, les exercices, il les subissait, mais sans y trouver jamais un réel plaisir. L’unique chose dont il avait passionnément besoin, dès son enfance, dès l’âge de quatre ans, c’était de composer, de créer lui-même de la musique, d’épancher au dehors la source mystérieuse de beauté qui coulait dans son cœur.


Un jour, — raconte Schachtner[12] dans une lettre adressée en 1792 à Marianne Mozart, — après l’office du jeudi, comme je montais chez vous en compagnie de monsieur votre père, voilà que nous voyons le petit Wolfgang (il avait alors quatre ans) tout occupé à écrire quelque chose.

PAPA. Que fais-tu là ? — WOLF. Un concerto pour le clavecin ; je vais avoir bientôt achevé la première partie ! — PAPA. Fais voir ! — WOLF. Mais je n’ai pas encore tout à fait achevé I — PAPA. Fais voir tout de même ! Cela doit être quelque chose de joli !

Et son papa lui prit le papier, et me montra un brouillis de notes de musique, dont la plupart étaient écrites sur des taches d’encre toutes frottées et étendues. (Car le petit Wolfgang, par inexpérience, plongeait toujours sa plume jusqu’au fond de l’encrier, d’où résultait à chaque fois un gros pâté : mais lui, résolument, il étendait le pâté avec le plat de la main, pour le sécher, et écrivait par-dessus.) Nous commençâmes donc par rire de cet apparent galimatias ; mais votre papa porta ensuite son attention sur la chose essentielle, sur les notes, sur la manière de composer. Et longtemps il se tint tout raide, en contemplation devant la feuille de papier : après quoi je vis des larmes, larmes d’émerveillement et de joie, tomber de ses yeux. « Voyez donc, monsieur Schachtner, me dit-il, comme tout est justement et régulièrement posé ! Par malheur, il n’y a rien à en faire, car le morceau est si difficile que personne ne serait en état de le jouer. » Ce qu’ayant entendu, le petit Wolfgang : « Mais, papa, aussi est-ce un concerto : il faut qu’on étudie beaucoup pour arriver à le jouer ! Tiens, voici comment ça doit aller ! » Et il se mit à jouer, mais ce fut tout juste si nous pûmes deviner ce qu’il avait eu en tête.


C’était cela, ce besoin et ce pouvoir instinctifs de création musicale, qui, bien plus que les progrès de l’enfant sur le clavecin, émerveillaient Léopold Mozart, lui semblaient une manifestation miraculeuse de la grâce divine. Cela, et autre chose encore, que nous entrevoyons dès les premiers essais du petit Mozart : un certain élément poétique, comme un parfum pur et voluptueux, un charme qui restera sans doute à jamais indéfinissable, mais que personne ne peut s’empêcher de subir, pour peu que l’on entre dans l’intimité du génie de Mozart. Celui-ci, au cours de sa besogneuse et misérable carrière, s’est mainte fois vu forcé de produire des œuvres hâtives, superficielles, d’un travail banal et de faible portée : il n’en a pas produit une seule qui n’ait ce charme fluide, aérien, ailé, cette grâce si sensuelle, mais en même temps si naturelle et si simple, qu’on ne saurait vraiment la comparer qu’au parfum d’une fleur ou qu’au chant d’un oiseau. Un chant d’oiseau, tel était déjà, je l’ai dit, le premier menuet de Wolfgang Mozart, composé à six ans, en janvier 1762 ; tels devaient être ces airs qu’il improvisait du matin au soir, assis sur un haut escabeau devant le clavecin paternel, tandis que ses parens, et le trompette Schachtner, et le bon épicier Hagenauer avec tous les siens, écoutaient, ébahis et ravis, debout près de la porte dans la chambre voisine : car l’enfant n’aimait pas qu’on l’entendît jouer, et, au premier éloge qu’on lui faisait, courait se cacher en pleurant dans les jupes de sa mère.

Et nous aussi, en vérité, nous serions fort en peine de découvrir d’où ont pu lui venir ces dons prodigieux. Il ne les tenait pas, à coup sûr, de son père, le musicien le plus prosaïque et le plus stérile qui fût au monde, ni non plus de la lignée de maçons et relieurs augsbourgeois dont était sorti Léopold Mozart : à moins de supposer que, par eux, il ait ressenti l’influence de ce sang souabe qui a donné à l’Allemagne quelques-uns de ses poètes les plus mélodieux[13]. La vérité est même que, de son père, il ne tenait absolument rien : si l’on omet un certain nombre d’idées, de sentimens, de menues habitudes, que l’éducation paternelle ne pouvait manquer de déposer en lui, il n’y a pas un trait du caractère de Léopold Mozart (ni de celui de sa sœur Marianne, image vivante du père) qui se retrouve chez lui. A sa mère, en revanche, il a dû beaucoup ; il lui a dû sa gaîté, sa rêverie, son perpétuel état d’enthousiasme, peut-être aussi le germe de sa poésie. Et bien davantage encore il a dû à Salzbourg, sa ville natale, au flot léger de musique dont elle était baignée, à cette atmosphère limpide de grâce et de douceur que, depuis des siècles, on y respirait. Pour différens qu’aient été ses rêves de ceux qui amusaient le cœur indolent et facile de ses compatriotes, c’est dans la langue musicale de Salzbourg que, toute sa vie, il les a exprimés. Mais, quand on a établi ces filiations diverses, le mystère n’en subsiste pas moins tout entier. On continue toujours à se demander d’où a pu venir à Wolfgang Mozart le singulier pouvoir qu’il a eu, dès l’enfance, de saisir la signification profonde de la musique, et, à mesure que les genres et les styles de son temps lui étaient révélés, de les transfigurer aussitôt en les animant d’une beauté plus parfaite. Son biographe Otto Jahn lui-même, homme éminemment positif, le type du philologue allemand, laisse voir à chaque page sa stupéfaction de la « maturité, » de la « sûreté, » de « l’infaillible perfection » des premières œuvres de l’enfant-prodige. Le génie ! dira-t-on : oui, mais, soit qu’on l’attribue à une Providence ou à un enchaînement continu de hasards, quel mystère, en vérité, quel miracle c’est là !


Léopold Mozart, lui, était absolument convaincu du caractère surnaturel des dons qu’il découvrait chez son fils. Et, avec son goût ordinaire pour les grands projets savamment combinés, il avait aussitôt fondé sur cette conviction un double plan de conduite, qui devait avoir pour objet, d’une part, de reconnaître le miracle, en le faisant fructifier aussi pleinement que possible, et, d’autre part, de le proclamer, de le produire devant le monde, tant pour l’édification de celui-ci que pour le profit matériel de l’enfant et de sa famille. Il voulait que, par une éducation méthodique de tous les instans, le petit Wolfgang ornât et développât le génie extraordinaire qu’il portait en lui, afin de devenir vraiment un musicien sans pareil ; et il voulait en outre que tous les hommes pussent voir, entendre, toucher au doigt, un gage aussi évident de la grâce divine. De telle sorte que, dès 1762, il renonça décidément à la composition (ce qui prouve bien encore qu’elle ne lui tenait pas très à cœur), il renonça à toutes ses autres leçons, pour ne plus s’occuper que d’instruire ses deux enfans : car Marianne, piquée d’émulation, s’était mise, de son côté, à étudier assidûment la musique, et, — grâce surtout aux leçons de son frère, comme elle l’a ensuite elle-même affirmé, — commençait à faire de sérieux progrès. Ce fut également alors. sans aucun doute, que l’auteur de l’École du violon eut pour la première fois l’idée de recueillir les élémens d’un livre où il raconterait en grand détail, presque jour par jour, les phases successives du miracle dont il était témoin ; et bien que malheureusement, faute de temps, il n’ait jamais écrit le livre en question, dont ses lettres nous prouvent qu’il nourrissait encore le projet cinq ou six ans plus tard, nous n’en devons pas moins à ce projet de posséder aujourd’hui, dans le précieux cahier dont j’ai parlé tout à l’heure, la copie des premiers morceaux appris par Mozart, puis des premiers morceaux composés par lui. Mais, d’ailleurs, Léopold Mozart, pour étaler aux yeux de tous le génie de son fils, n’allait point tarder à imaginer un autre moyen, plus direct, plus pratique, et d’un effet moins durable, peut-être, mais infiniment plus sûr et plus lucratif : une série de voyages, de séjours dans les principales résidences princières et les grandes villes de l’Europe. Cette éducation continue et ces exhibitions, en elles va se résumer, désormais, toute l’histoire de l’enfance de Wolfgang Mozart.


III. — L’EDUCATION

Le maître de concert salzbourgeois aurait été bien surpris, sans doute, si on lui avait dit qu’un des traits les plus « miraculeux » de la destinée de son fils était que, avec les dons qu’il avait reçus en naissant, il eût trouvé près de lui, pour l’instruire, un professeur comme celui qu’il eut. Et cependant la chose est certaine. Dans ce qui fait aujourd’hui pour nous la profonde et impérissable beauté de l’œuvre de Mozart, une grande part revient à l’éducation paternelle : à l’éducation, ou plutôt à la discipline, à la façon dont son père a sans cesse contenu, réglé, dirigé son génie. Un homme fort intelligent, et qui a vécu longtemps dans la familiarité des Mozart, le trompette Schachtner, nous affirme que, si Mozart n’avait pas eu « l’incomparable éducation que lui ont donnée ses parens, il aurait risqué de devenir le pire des mauvais sujets, tant il avait l’âme ardente, impressionnable, toujours prête à s’abandonner sans réserve à tout ce qui l’attirait. » Mais combien cette « incomparable éducation » lui a été plus utile encore au point de vue de son art ! Combien, sans elle, — ayant, ainsi qu’il les avait, la tête toujours pleine de musique et le cœur de passion, — Mozart aurait risqué de devenir un génial improvisateur, comme son compatriote Wœlffl, comme François Schubert, un de ces hommes qui laissent, après eux, un souvenir charmant et une œuvre morte ! La discipline de son père l’a sauvé de ce danger. Pendant près de vingt ans (en fait, jusqu’au second départ pour Paris, en 1777), Léopold Mozart n’a pas cessé d’enseigner à son fils la patience, la réflexion, la méfiance de soi-même, toutes les vertus artistiques qu’il avait déjà célébrées dans son École du violon. « L’excès de hâte, y disait-il, c’est la plus grosse faute dans l’étude du violon ; et les maîtres sont enclins à la commettre aussi bien que les élèves. Les premiers, souvent, n’ont pas la patience d’attendre, pour passer à un morceau nouveau, que leur élève ait complètement, appris à jouer le morceau précédent ; ou bien ils se laissent séduire par l’élève, qui croit qu’il aura tout fait quand il sera parvenu, en peu de temps, à gratter sur son instrument une couple de menuets. Et ce sont aussi les parens qui souhaitent de pouvoir entendre bientôt quelques petites danses ainsi massacrées, et qui s’émerveillent alors du bon emploi de leur argent. Mais comme les uns et les autres se trompent en cela ! » Et ailleurs, pour s’excuser d’avoir composé tous ses exercices de triolets dans le seul ton d’ut majeur : « Ne vaut-il pas mieux que d’abord l’élève se rende bien maître d’un seul ton, plutôt que de jouer dans divers tons sans en avoir étudié complètement un seul ? » Ces deux citations suffisent à indiquer l’esprit du livre tout entier : un enseignement toujours prudent, sévère, ordonné, le mieux fait du monde pour affermir et diriger un jeune talent.

Encore n’était-ce pas seulement les débutans que Léopold Mozart mettait en garde contre le vain et funeste désir de briller : il condamnait ce désir chez les artistes même les plus habiles, impitoyable à railler les virtuoses de leurs retards, de leurs trémolos, de leurs cadences, de vingt autres « effets » obtenus au détriment de la mesure et de l’expression. Il allait jusqu’à soutenir, — et vraiment avec beaucoup de verve, — la supériorité du violoniste d’orchestre sur le joueur de soli. « Ceux-là se trompent fort, ajoutait-il, qui croient que les bons violonistes d’orchestre se rencontrent davantage que les bons solistes. Et, si l’on veut savoir ce que c’est qu’un orchestre composé de brillans solistes, qu’on le demande à ceux de messieurs les compositeurs qui, pour leur malheur, ont eu à faire exécuter leurs ouvrages dans ces conditions ! »

Un bon musicien, d’après Léopold Mozart, devait être avant tout un bon chrétien et un honnête homme : et il devait être aussi un bon humaniste, autant du moins que c’était nécessaire pour qu’il pût sentir et comprendre les lois d’une beauté patiemment élaborée par la suite des âges. « Ce que savent le grammairien et le rhétoricien, écrivait-il dans sa méthode, un violoniste doit aussi le savoir, mais surtout un compositeur, faute de quoi il risque de rester toujours la cinquième roue d’un carrosse. Un grand génie naturel peut, en vérité, suppléer sur bien des points au manque de science : mais que penser d’un homme qui est incapable d’écrire correctement six mots dans sa langue maternelle, et qui, malgré cela, entend qu’on le tienne pour un savant compositeur ? » Si bien que, en même temps qu’il donnait à son fils la solide éducation morale et religieuse dont parle Schachtner, il mettait tous ses soins à lui former l’esprit. Il lui enseignait les mathématiques, fondement de la science musicale, la grammaire et la littérature allemandes, et, déjà, des notions élémentaires de latin et d’italien : car il considérait la première de ces deux langues comme une condition indispensable de toute sérieuse culture intellectuelle, tandis que l’autre, au temps où il vivait, devenait de plus en plus la grande langue musicale de toute l’Europe. Et l’enfant se résignait docilement à ces études diverses, quelque ennui qu’il eût toujours à devoir s’interrompre de sa chère musique. Parfois même l’une d’elles, à son tour, le passionnait brusquement, à tel point qu’on le voyait, par exemple, pendant des journées, remplir déchiffres non seulement tous les papiers qu’il pouvait trouver, mais, « une craie en main » en remplir les tables, les bancs, les murs, les planchers des chambres : » après quoi, fort heureusement, un nouveau menuet qui lui était venu en tête lui faisait oublier jusqu’à l’existence de l’arithmétique.

Quant à la doctrine proprement musicale que Mozart à apprise de son père, nous aurons mieux l’occasion de la connaître au fur et à mesure que lui-même se trouvera amené à en faire usage, soit comme exécutant soit comme compositeur. Il faut ajouter du reste que, à ce point de vue, l’influence des leçons paternelles a été sur lui tout à fait passagère. Bientôt d’autres maîtres allaient s’offrir à lui qui, directement ou par l’exemple de leurs œuvres, allaient lui enseigner une science plus vivante ; et l’on peut bien dire que, grâce à eux, dès l’âge de douze ans, il allait savoir plus de musique, infiniment plus, que n’en savait, à quarante-cinq ans, le digne auteur de l’Ecole du violon. Celui-ci, passée l’étude des premiers rudimens, a toujours été pour son fils moins un véritable professeur qu’une sorte de tuteur, un guide, un directeur de conscience. Avec un très délicat sentiment de son infériorité, et devinant peut-être par quelle phase de transformation radicale passait alors la musique, il a permis au petit Wolfgang de faire un libre choix entre les styles différens qu’il rencontrait autour de lui, sauf seulement à lui rappeler, en toute circonstance, les précieux principes moraux dont il l’avait nourri. Mais, au-dessus du détail de la doctrine musicale, il y a encore un autre principe, non moins essentiel, et de non moins haute portée, que Léopold Mozart a enseigné à son fils, ou plutôt qu’il a pour toujours implanté au plus profond de l’âme de l’enfant : c’est, en effet, de lui qu’est certainement venue à Mozart la façon qu’il a toujours eue de comprendre le rôle, l’objet, les devoirs de la musique.


La musique, pour le maître de concert salzbourgeois, était proprement un langage, un ensemble de signes destinés à traduire tous les modes et toutes les nuances des émotions humaines. L’expression y passait de droit avant tout le reste ; la nouveauté des idées, la science des harmonies et des contrepoints, et jusqu’au plaisir de l’oreille, tout cela, dans une bonne musique, était tenu de se subordonner à l’expression, et de la servir. Rien n’était plus méprisable, au jugement de Léopold Mozart, qu’une musique n’ayant pour elle que d’être savante, sinon peut-être une musique de pur agrément, qui charmait les oreilles sans toucher le cœur. Une telle façon de comprendre la musique était du reste, on le sait, exactement aussi vieille que la musique même. En tout temps, depuis les Egyptiens et les Grecs jusqu’à cette crise générale de bouleversement et de confusion qu’a été, dans tous les arts, la révolution romantique de la première moitié du XIXe siècle, les hommes se sont accordés à penser que la musique avait surtout pour tâche d’exprimer et de faire revivre les sentimens intérieurs, de même que la tâche de la peinture était de représenter aux yeux les formes et les couleurs des objets visibles. Mais le fait est que, durant le XVIe et le XVIIe siècle, le développement universel du contrepoint avait un peu relâché, dans le détail, le lien entre les signes musicaux et les sentimens qu’ils devaient traduire. Expressive, la musique de Haendel et de Bach l’était, certes, autant que le plain-chant ou que le trésor des chansons populaires ; mais elle l’était moins exclusivement, d’une expression moins minutieuse, moins suivie, presque moins littérale. L’émotion s’y trouvait, pour ainsi dire, exprimée en bloc, pleinement et profondément, mais sans la variété de ses nuances intimes. Et je ne serais pas éloigné de croire, même, que peu de motifs aient contribué plus que celui-là à produire, au début du XVIIIe siècle, la soudaine réaction du goût musical : compositeurs et public ayant enfin ressenti l’impérieux besoin d’une musique qui les touchât de plus près et leur « parlât » davantage, fût-ce même au sacrifice de beaucoup de science et d’un peu de beauté. L’œuvre entière de Philippe-Emmanuel Bach, en tout cas, était déjà un effort pour simplifier et assouplir la grande langue musicale des générations précédentes, de façon à en accroître le pouvoir expressif : et, pareillement, c’est avant tout sur l’expression que reposait l’admirable méthode de piano de ce maître, — cet Essai sur la véritable manière de jouer du clavecin, qui, comme je l’ai dit, publié en 1753, a sans doute servi de modèle à l’Ecole du violon de Léopold Mozart. « La musique, écrivait Emmanuel Bach, a naturellement pour but d’émouvoir les cœurs ; or, un musicien ne peut toucher d’autres cœurs qu’en traduisant des émotions que, d’abord, il éprouve lui-même. » Ou encore : « En quoi consiste une bonne exécution ? Uniquement dans l’aptitude à faire ressentir, par ceux qui l’écoutent, la vraie signification émotionnelle d’une idée musicale. » Et, plus tard, dans une Esquisse autobiographique de 1773, il allait trouver la saisissante formule que voici, pour résumer la réforme artistique dont il avait été à la fois le théoricien et l’initiateur : « Ma préoccupation dominante a été de rendre le jeu du clavecin aussi chantant que possible (sangbar zu spielen), et d’écrire une musique qui permît cela. »

D’écrire une musique où tout pût chanter, d’animer d’émotion et de poésie non seulement les idées principales, mais jusqu’aux modulations, aux passages, jusqu’aux figures même de l’accompagnement, de créer enfin cette véritable « mélodie infinie » dont, plus encore que les drames de Wagner, les dernières œuvres de Mozart nous offrent l’exemple, c’était un art trop difficile pour qu’on eût à l’attendre du compositeur du Minuetto pastorello : il faut bien reconnaître que l’expression est à peine moins absente que la beauté, dans toute la pauvre musique qu’il nous a laissée. Mais, impuissant à la produire lui-même, il savait cependant en apprécier la nécessité. A ses yeux comme à ceux de Ph.-Em. Bach, la recherche de l’expression était le premier devoir de tout musicien. Sans cesse, d’un bout à l’autre de son Ecole du violon, il conseillait aux jeunes violonistes de se préoccuper, par-dessus tout, de la « signification émotionnelle » du morceau qu’ils avaient à jouer. « Ayez bien soin, leur disait-il, de chercher d’abord le sentiment qui a inspiré l’auteur du morceau, ne serait-ce que pour en déduire le rythme de votre jeu ! Ce rythme, le caractère intime du morceau pourra, seul, vous le faire deviner. Je n’ignore pas qu’on trouve, en tête des morceaux, des indications de mouvement, comme Allegro, Adagio, etc. : mais tous ces mouvemens ont leurs degrés, qu’aucune formule ne pourrait vous indiquer… Et il y a, dans toute pièce mélodique, au moins un endroit où l’on reconnaît à coup sûr de quelle nature sont les sentimens que l’auteur a voulu traduire. A vous de le découvrir… et ensuite de vous pénétrer vous-mêmes de ces sentimens… Mais encore est-ce à la condition que le compositeur, de son côté, soit un homme de sens, et qui réussisse à choisir, pour chaque passion, des mélodies qui y correspondent. »

Ainsi le petit Mozart, dès le berceau, — et bien avant que les opéras français et les préfaces de Gluck eussent donné à ce principe la publicité que l’on sait, — fut instruit à considérer toute « passion, » ou plutôt toute nuance des sentimens humains, comme pouvant être traduite par une « mélodie correspondante. » C’était alors, plus que jamais peut-être, l’opinion commune. Et l’on entend assez que le mot « mélodie » désignait ici, outre les lignes des chants, l’ensemble tout entier de leur mise en valeur. Il n’y avait pas, en effet, un seul des élémens de la composition musicale, depuis les rythmes et les tonalités jusqu’aux timbres, jusqu’aux diverses espèces de cadences et de trilles, qui, pour les musiciens, n’eût une signification et un rôle propres. Tel ton, telle modulation, tel instrument de l’orchestre, étaient réservés à l’expression de tel ou tel sentiment : si bien que, la plus grande part de ce vocabulaire expressif s’étant aujourd’hui perdue, la musique du XVIIIe siècle nous est à peu près aussi difficile à comprendre que ces fresques des vieux maîtres florentins ou siennois où nous ne percevons plus que des restes de couleur, et de vagues contours à demi effacés. Mozart, lui, a pu connaître ce vocabulaire dans toute sa richesse ; et, toute sa vie, il a continué à en faire usage, sauf à y introduire sans cesse nombre de changemens et d’améliorations. Il en a fait, en vérité, un usage plus libre et moins apparent que celui qu’en a fait l’auteur d’Iphigénie en Tauride, et avec une autre manière de concevoir l’objet et la portée de l’expression musicale, et toujours en poète, c’est-à-dire en homme qui, d’instinct, modifie tout ensemble les sentimens et leurs signes, pour les revêtir d’une beauté supérieure. Mais, toute sa vie, il a continué à penser que l’unique fin de son art était de traduire les nuances des « passions. » Toute sa vie il s’est préoccupé, avant tout, de ressentir profondément les émotions qu’il voulait exprimer, de même qu’un peintre s’inquiète avant tout de bien voir la figure ou le site qu’il veut peindre ; toute sa vie, il a regardé la musique comme un langage, et disposant de signes dont chacun répondait à un sens précis, de même que les mots dans le langage des écrivains, ou que les couleurs dans celui des peintres. Et, certainement, c’étaient là des vérités esthétiques que son génie de musicien aurait bientôt suffi à lui révéler : mais le mérite et l’honneur de les lui avoir apprises n’en reviennent pas moins à Léopold Mozart.

Celui-ci a dû, d’ailleurs, apprendre à son fils un autre principe encore, qui faisait également partie des croyances communes à tous les musiciens du XVIIIe siècle. Ses contemporains et lui étaient si pénétrés du caractère expressif de la musique, que, volontiers, ils la supposaient capable de tout exprimer. Non seulement ils l’employaient à traduire des sentimens, ce qui était sa seule destination naturelle ; souvent aussi ils la chargeaient de raconter ou de peindre. Venue, je crois, des Flandres (qui ont toujours été pour l’art allemand, en musique comme en peinture, une école de réalisme), la coutume de la musique narrative et descriptive s’était répandue à travers l’Allemagne, pendant les deux siècles précédens, en même temps que l’on s’y relâchait de l’expression sentimentale ; et contre cette fâcheuse coutume la réaction du XVIIIe siècle avait été impuissante. Les meilleurs musiciens du temps persistaient à suivre l’exemple du vénérable Kuhnau, qui, en 1700, avait mis en sonates l’Ancien Testament. Ou bien on écrivait des « chasses, « des « tempêtes, » des « réveils des oiseaux. » Et personne ne se livrait plus complaisamment à cette profanation de la musique que le sévère auteur de l’Ecole du violon. Le catalogue de son œuvre mentionne, entre autres choses, une « symphonie pastorale, » une « musique de soldats, » une « musique turque » et une autre « chinoise, » une « musique de paysans, représentant une noce, » toutes choses dont nous pouvons imaginer le programme d’après celui qu’il nous a laissé lui-même de l’une de ses compositions dont il était le plus fier, sa Course des Traîneaux, achevée le 29 décembre 1755, quelques jours avant la naissance de Wolfgang Mozart :


LA COURSE DE TRAINEAUX MUSICALE

Le morceau débute par une intrada, formée d’un aimable andante et d’un magnifique allegro. Puis vient une intrada avec trompettes et timbales, que suit la course, avec des sonnettes de traîneaux jointes à tous les autres instrumens. Cela fini, on entend les chevaux s’ébrouer… Après quoi, les trompettes et timbales font encore une intrada, et la course recommence. Ensuite, pendant un moment, tout se tait : mais bientôt la compagnie descend des traîneaux pour se rendre dans la salle de bal. On entend alors un adagio, qui représente la façon dont les dames grelottent de froid. Et puis le bal s’ouvre, avec un menuet et un trio. On cherche à se réchauffer de plus en plus par des allemandes. Enfin vient le départ : toute la compagnie, sous une intrada de trompettes et de timbales, remonte en traîneau et s’en retourne chez soi.


Comment admettre que l’auteur applaudi de cette Course de Traîneaux, ayant à faire l’éducation musicale de son fils, ait négligé de lui apprendre le moyen de « représenter » des « dames grelottant de froid, » ou « des chevaux qui s’ébrouent ? » Et cela, si l’on songe, surtout, qu’au même moment, des hommes d’une bien autre valeur que Léopold Mozart, un Joseph Haydn, un Gluck, un Dittersdorf, s’accordaient à tenir un tel emploi de leur art pour la chose la plus naturelle du monde, et la plus légitime ? Mais, sans doute, le maître de concert de Salzbourg avait raison quand il croyait à la nature miraculeuse et providentielle du génie de son fils : car c’est chose certaine que celui-ci, seul des musiciens de son temps (hélas ! de tous les temps), a constamment refusé de rabaisser la musique à un tel emploi. En vain on chercherait dans toute son œuvre l’équivalent de la Création de Haydn, des Symphonies sur les Métamorphoses d’Ovide de Dittersdorf, de la Bataille de Vittoria de Beethoven, voire même de sa Symphonie pastorale. Ou que si l’on y trouve parfois des morceaux en forme de « chasse » ou alla turca, c’est que ces termes avaient fini par prendre, en musique, un sens tout général, un peu comme les mots de « gothique » et de « roman » en architecture, ou comme ce dernier mot en littérature. Quelques rythmes d’accompagnement, çà et là, « imitant » une fuite, ou les battemens d’un cœur : à cela s’est bornée, chez Mozart, la musique « descriptive[14]. » Ses plaisanteries mêmes, lorsqu’il en a fait, sont toujours restées d’ordre musical : consistant, par exemple, dans l’exagération bouffonne de certains sentimens, ou encore en des fautes commises à dessein. Dès l’enfance, l’instinct profond de beauté qu’il portait en lui l’a préservé contre tout ce que pouvaient lui offrir de faux ou de dangereux les leçons paternelles ; et l’on comprend le plaisir mêlé de stupeur que devait éprouver Léopold Mozart à découvrir, d’heure en heure, que son élève non seulement semblait connaître d’avance la musique qu’il lui enseignait, mais qu’au fur et à mesure il l’allégeait et la purifiait, avec une sûreté, un goût, un discernement prodigieux.


Aussi l’excellent père se confirmait-il de plus en plus dans son projet d’entreprendre une grande série de voyages, afin de révéler aux hommes cette preuve éclatante de la grâce d’en haut : à tous les hommes en général, mais particulièrement aux empereurs, rois, et princes, comme ayant à la fois le plus de loisirs pour s’intéresser à de tels miracles, et les meilleurs moyens d’en témoigner leur satisfaction. Dès le mois de janvier 1762, il conduisit ses deux enfans à Munich, qui était la résidence princière la plus proche de Salzbourg ; voyage dont nous savons seulement qu’il dura trois semaines, et que, à Munich, le petit Wolfgang eut l’honneur de jouer devant le prince-électeur. En revanche, huit lettres de Léopold Mozart à son propriétaire et ami Laurent Hagenauer nous renseignent très abondamment sur le séjour que fit ensuite toute la famille à Vienne, du milieu de septembre 1762 jusqu’au commencement de l’année suivante ; et tous les biographes ont volontiers insisté sur ce premier séjour de l’enfant prodige à Vienne, nous racontant par le menu ses tours de force musicaux et ses traits d’esprit. Je vais devoir les raconter, à mon tour ; mais je le ferai le plus brièvement possible, et presque à regret, car, de tous les voyages de Mozart, celui-là, avec l’excursion à Munich qui l’a précédé, est le seul qui n’ait vraiment pour nous qu’un intérêt tout anecdotique. L’enfant, alors, était encore trop un enfant pour tirer profit des hommes ou des œuvres qu’il trouvait sur sa route ; tandis qu’on peut bien affirmer que, depuis son arrivée à Paris, en novembre 1763, il n’y a pas si petit événement de sa vie, voyage, rencontre, audition ou lecture nouvelle, dont sa musique n’ait gardé quelque trace ; — et c’est même, soit dit en passant, ce mélange singulier d’une personnalité immuable avec une constante impressionnabilité aux influences extérieures, c’est ce qui donne un attrait tout spécial à l’étude chronologique de sa vie et de ses ouvrages. Mais, à Vienne, durant ce premier séjour, il n’a rien fait que d’aller jouer tous les soirs, de salon en salon, les agréables niaiseries que lui avait enseignées son père. L’histoire de ce séjour ne nous apprend, sur lui, rien qui mérite de nous arrêter ; à moins qu’on ne veuille y voir une preuve de plus du caractère surnaturel de sa vocation, en admirant qu’un pareil surmenage, aussi inepte et aussi fastidieux, n’ait réussi ni à corrompre la pureté ingénue de sa petite âme, ni à tarir pour toujours la source de beauté qui, tout récemment, en avait jailli.

Et le fait est que cette source s’est, tout au moins, trouvée interrompue pendant plus d’un an. Du 16 juillet 1762 au 14 octobre 1763, nous ne voyons pas que l’enfant ait écrit une seule note, alors que nous possédons, au contraire, toute une série de morceaux qu’il a composés dans les six mois précédens, de janvier à juillet 1762 : quatre menuets, un menuet avec trio, un court allegro en si bémol majeur. Œuvres bien curieuses, en vérité, et bien touchantes, ces morceaux où, pour la première fois, s’entr’ouvre à nous le cœur du poète de la Flûte enchantée ! J’ai dit plus haut à quel point le menuet de janvier 1762, fait exactement sur le modèle des secs et inutiles menuets du père, en différait déjà par la fraîcheur, l’expression, la grâce « chantante » de la mélodie. Mais ce n’est pas tout ; on découvre encore, dans ce menuet, de même que dans la plupart des pièces qui le suivent, un autre des traits les plus originaux du génie de Mozart : son habileté à unir entre elles toutes les phrases d’un morceau, à les faire directement sortir l’une de l’autre. Chacun de ces menuets de 1762 n’est déjà tout entier qu’un même « discours, » le développement suivi et varié d’une même pensée. Au lieu de juxtaposer plusieurs idées distinctes, et conçues d’abord séparément, — ainsi que faisaient son père et jusqu’aux plus grands musiciens du temps, — Mozart, dès le début, s’est évidemment représenté toute œuvre musicale comme un organisme ayant une vie propre, comme un corps dont tous les membres devaient être formés de la même chair, arrosés du même sang. C’est ce principe artistique qui, renforcé et approfondi avec les années, l’a plus tard amené non seulement à marquer d’une empreinte commune tous les morceaux d’une sonate, d’une symphonie, ou d’un opéra, mais à concevoir d’ensemble des séries entières : si bien que ses six Quatuors à Haydn, notamment, ou ses trois symphonies de 1788, forment en somme moins des collections d’œuvres différentes qu’un unique quatuor, une symphonie unique, où chacun des morceaux apporte un élément particulier à l’harmonieuse et vivante unité totale. Et déjà cet instinct opère avec tant de force, dans les premiers essais musicaux du petit Wolfgang, que, pour citer un exemple au hasard, le menuet et le trio du menuet avec trio en sol majeur ne sont, d’un bout à l’autre, que la répétition d’un seul motif rythmique en des tons différens.

Un besoin profond d’unité, d’ordre, d’équilibre, et, d’autre part, le don du chant, de ce « jeu chantant » que demandait Philippe-Emmanuel Bach, ce sont les deux principales des qualités natives que nous révèlent ces morceaux, où d’ailleurs se devinent toujours l’âme et la main ignorantes d’un enfant. Nulle affectation de savoir ni de nouveauté : de petites idées, simples, innocentes, et traitées avec tout juste le degré de science qui pouvait convenir à les utiliser. Mais pourtant quel sûr et rapide progrès nous découvrons là, d’un morceau à l’autre ! Les idées s’étendent, acquièrent plus d’aisance et de fermeté ; les rythmes deviennent plus souples ; le contrepoint même commence à s’animer, cessant d’être la machine inerte et monotone que traînaient lourdement à leur suite les piètres mélodies de Léopold Mozart ; et déjà le sixième morceau (un menuet du 16 juillet 1762) présente, dans son expression et sa forme, une maturité suffisante pour qu’à Paris, deux ans plus tard, Mozart le juge digne de figurer dans sa première sonate imprimée. Oui, nous sentons que ces gentils menuets ont été toute la vie et tout le bonheur de l’enfant, à Salzbourg, pendant les premiers mois de l’année 1762. Chacun d’eux conserve pour nous la trace de quelque nouveau rêve, d’un but atteint ou d’un obstacle franchi, d’une étape décisive dans la course la plus passionnée que, peut-être, un artiste ait jamais tentée à la poursuite de la beauté parfaite. Et d’autant plus nous regrettons que la nécessité de se préparer au voyage de Vienne, et ensuite à celui de Paris, ait durant plus d’un an arrêté le petit Wolfgang dans ce libre et joyeux travail de création artistique, pour faire de lui ce que nous allons maintenant le voir devenir, un « phénomène », un objet de curiosité banale et un peu dégradante, quelque chose d’analogue à un faiseur de tours ou à un chien savant.


T. DE WYZEWA.

  1. Des innombrables ouvrages que l’on a écrits depuis cent ans sur Mozart, deux seulement ont une véritable valeur historique : la grande biographie d’Otto Jahn (1856-59, revue et remaniée par M. Deiters en 1892), et le Catalogue chronologique et thématique des œuvres de Mozart, publié en, 1862 par Ludwig Kœchel. Encore ces deux ouvrages eux-mêmes, malgré tout leur mérite, ont-ils de graves défauts qui rendent impossible de se fier pleinement à eux. Le catalogue de Kœchel, patiente et consciencieuse compilation d’un géologue qui évidemment ne savait pas la musique, est si rempli d’erreurs que, sauf pour les œuvres dont la date nous est fournie par Mozart lui-même ou son père, il n’y a peut-être pas une seule œuvre de Mozart qu’il place à sa date véritable. Et quant au livre de Jahn, c’est à coup sûr un monument littéraire d’une force et d’une grandeur incomparables : mais on y devine toujours trop le professeur de philologie, plus attentif à la lettre qu’à l’esprit des sujets traités ; biographie et critique y manquent également de vie, froides, sèches, abstraites, comme dans un manuel ou un dictionnaire. De telle sorte que, ayant entrepris à mon tour d’étudier la formation du génie de Mozart, j’ai dû recourir sans cesse aux sources originales : aux lettres de Mozart et de ses parens, aux partitions, à tous les documens contemporains que j’ai pu trouver. Les collections publiques et privées de Salzbourg, en particulier, m’ont été infiniment précieuses ; à l’exception toutefois du Mozarteum, où une foule de lettres et d’autographes musicaux dorment dans des tiroirs, sans que l’administration se décide soit à les publier elle-même soit à permettre que personne en prenne connaissance. Et je tiens, au contraire, à remercier ici MM. Peter et Haupolter, le directeur et le conservateur du Musée Carolino-Augusteum, pour l’obligeance infinie qu’ils ont mise non seulement à m’ouvrir les trésors de la galerie et des archives confiées à leur soin, mais encore à m’éclairer de leur science personnelle sur le détail de la vie et des mœurs salzbourgeoises au XVIIIe siècle.
  2. Seule fait exception la cathédrale, pesante fantaisie d’un évoque italianisant : et encore est-ce surtout son contraste avec les autres monumens de la ville qui nous la fait paraître énorme et disproportionnée.
  3. L’enfant qu’elle tient sur ses genoux, notamment, ne date que d’une trentaine d’années, et celui qu’il a remplacé datait, lui-même, du XVIIIe siècle.
  4. Je me suis efforcé, autant que possible, de ne citer que des œuvres qui se trouvent aujourd’hui à la portée du lecteur. La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Pierre, à Salzbourg, est très riche en compositions manuscrites d’Eberlin. Quant à Michel Haydn, j’aurai plus tard l’occasion d’insister davantage sur l’œuvre de ce grand homme, le véritable maître de Wolfgang Mozart.
  5. On pourra se faire une idée très suffisamment exacte de la musique de Léopold Mozart en étudiant sa symphonie en sol majeur, qui se trouve publiée, par erreur, dans les éditions Peters et Litolff, à la suite du recueil des symphonies de son fils. La cathédrale de Salzbourg et la Bibliothèque Royale de Munich possèdent un grand nombre de ses compositions.
  6. Quelques-unes de ces pièces sont d’Agrell, de Fischer, de Wagenseil, et d’autres mauvais compositeurs du temps ; mais la plupart sont bien de Léopold Mozart.
  7. Coïncidence curieuse : ce n’est qu’après son entrée au service de l’archevêque Léopold que le père de Mozart a, lui-même, substitué à ses prénoms de Jean-Georges celui de Léopold.
  8. Le titre complet de la première édition était : Essai d’une École approfondie du violon.
  9. On a conservé quelques-unes des lettres qu’il a échangées à ce sujet avec son imprimeur.
  10. Un grand tableau du Mozarteum reproduit le même portrait : mais le modèle, au lieu de jouer du violon, tient à la main un exemplaire du livre.
  11. Le nouveau catalogue du Mozarteum, qui du reste est tout rempli d’erreurs, nous présente ce portrait (de format carré) comme le « pendant » du portrait ovale de Léopold Mozart, peint vers 1756.
  12. Schachtner était un trompette de la chapelle archiépiscopale, grand ami des Mozart.
  13. Il y avait eu à Augsbourg, au début du XVIIe siècle, un assez bon peintre nommé Antoine Mozart : mais il ne figurait sûrement pas, en tout cas, parmi les ascendans directs de Léopold Mozart. J’ai trouvé, par hasard, un curieux dessin de ce maître, avec l’inscription autographe : Anthoni Mosshart zu Augspurg, 1610. Le nom primitif de la famille doit donc avoir été « Mosshart. »
  14. On trouve cependant quelques effets d’imitation dans ses premiers essais dramatiques, mais très simples, très courts, et déjà, relevés d’une signification expressive.