La Jeunesse du Grand Frédéric, la prison

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La Jeunesse du Grand Frédéric, la prison
Revue des Deux Mondes3e période, tome 102 (p. 550-596).
LA
JEUNESSE DU GRAND FREDERIC

LA PRISON

I. Koser, Friedrich der Grosse aïs Kronprinz. Stuttgart, 1886. — II. Beitrag zur Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, welcher einen merkwürdigen Briefwechsel über den ehemaligen Aufenthalt des gedachten Königs zu Cüstrin enthält. Berlin, 1788. — III. Informatio ex actis, dans Preuss, Friedrichs des Grossen Jugend. — IV. Vollständige Protocolle des köpenicker Kriegsgerichts über Kronprinz Friedrich, etc. — V. Dépêches de Guy Dickens, ministre d’Angleterre, dans Raumer, 1er vol. de la 3e partie des Beiträge zur neueren Geschichte aus dem britischen und französischen Beichsarchive. — VI. Correspondance politique (Prusse) année 1730, aux archives du Ministère des affaires étrangères de France.


I

Depuis cinq ans environ, la famille royale de Prusse était troublée par des querelles violentes. Le roi Frédéric-Guillaume avait pris en aversion son fils Frédéric. Il lui avait d’abord déplu que cet enfant eût d’autres façons que les siennes, qu’il fût délicat, incapable de supporter la fatigue ; qu’il n’aimât ni la table, ni le vin, ni le tabac, ni la chasse, ni la grosse gaîté, ni la compagnie des militaires. « Je voudrais savoir, avait-il dit un jour, ce qui se passe dans cette petite tête. Je vois bien qu’il ne pense pas comme moi, dass er nicht se denkt wie Ich, » et il avait adressé au prince, devant une nombreuse assistance, un discours accompagné de petites tapes sur la joue, qui devinrent de plus en plus fortes et finirent par ressembler à des soufflets. Le prince royal avait douze ans quand se produisit en public ce premier témoignage du désaccord entre son père et lui. Impatient de toute contradiction, persuadé que sa façon de voir et de faire, meine Verfassung, comme il disait, était la seule qui convînt au gouvernement de la Prusse, Frédéric-Guillaume en vint vite à penser que c’était un grand malheur d’avoir un héritier comme celui-là.

Une affaire de famille, compliquée de politique et d’intrigues, acheva de l’exaspérer. La reine de Prusse était fille de George Ier, électeur de Hanovre et roi d’Angleterre ; elle désirait passionnément marier sa fille aînée, Wilhelmine, au petit-fils de ce prince, le duc de Glocester, et son fils Frédéric à la princesse Amélie, sœur du duc de Glocester. Frédéric-Guillaume désirait aussi ce double mariage, mais il ne voulait pas se lier à l’Angleterre ; il faisait des réserves, des conditions, hésitait, se défiait, se fâchait, et se démenait dans le tumulte de pensées où il se précipitait chaque fois qu’il avait à prendre un parti dans les affaires générales. La cour de Vienne, servie par ses agens et par des traîtres qu’elle payait dans l’entourage du roi, contrecarrait la reine ; celle-ci négociait secrètement avec l’Angleterre et avec la France, alliées alors et qui souhaitaient toutes deux le double mariage. Elle compromettait dans ses manœuvres son fils et sa fille. Le prince royal, à quatorze ans, avait sa politique opposée à celle de son père ; il était en relations d’intime confidence avec les ministres étrangers ; un de ceux-ci s’offrait à lui former « un parti, » et l’enfant se prêtait à ce petit complot. Il cherchait la popularité, affectait de dédaigner ceux que son père honorait de ses faveurs, de plaindre ceux qu’il frappait de sa disgrâce. À ce prince héritier, si jeune qu’il fût, l’attente de l’héritage paraissait longue.

Le roi ne savait pas le détail de ces intrigues, mais il sentait dans sa maison un air d’indiscipline et de rébellion. Fritz ne résistait pas ouvertement, mais il marquait son opposition par toute sa tenue, par la lèvre qui se tait, le regard qui se dérobe. Il exagérait les défauts qu’il savait être les plus désagréables au roi ; les qualités qui étaient en lui, semblables à celles de son père, et que son père eût aimées avec toute la tendresse dont il était capable, il les cachait soigneusement. Du futur Frédéric, il ne laissait paraître que le liseur, le pfilosophe, comme il s’appelait lui-même, l’ami et l’admirateur des Français, le dilettante qui, au milieu d’une chasse, s’échappait pour aller à l’écart jouer de la flûte. Un malentendu redoutable grandissait entre ces deux êtres. Le roi perdit toute retenue et toute décence ; il cria, tempêta ; après les injures vinrent les coups. Des scènes d’odieuse brutalité se succédèrent : des officiers, des domestiques virent le prince royal battu à coups de poing, à coups de pied, saisi à la gorge, empoigné par les cheveux, terrassé et piétiné. Ils entendirent le père reprocher au fils l’humiliation même dont il l’accablait et l’exciter, par des bravades, à la révolte. « Ah ! si mon père m’avait traité comme cela ! criait-il en frappant. Mais toi, cela ne te fait rien ! À toi, tout est égal ! »

Alors, Frédéric résolut de s’enfuir. Il rêvait de courir à cheval ou en poste, au bruit du fouet et des grelots ; de laisser derrière lui des lieues et des lieues d’Allemagne, d’arriver à la frontière de France, de séjourner sur cette terre, qui était la patrie de son esprit, et d’aller se réfugier chez ses parens d’Angleterre. Ce n’était pas sa fiancée qui l’attirait[1] ; il ne la connaissait pas et n’était pas un rêveur d’amour. Si la princesse Amélie se présentait quelquefois à son esprit, c’était pour ajouter une couleur romanesque à son entreprise, car il y avait du romanesque, même très juvénile, dans les projets du prince. Mais c’est de liberté qu’il avait soif, liberté d’aller, de venir, de se lever, de se coucher, de lire, de songer, d’écrire, de jouer de la flûte, de vivre enfin selon sa nature.

Pendant l’hiver de 1729, il eut les premiers pourparlers positifs, au sujet de la fuite préméditée, avec un page du roi nommé Keith. Celui-ci espionnait le père pour le compte du fils, et, si l’on en croit Wilhelmine, rendait à Frédéric d’autres mauvais offices ; il était « le ministre de ses débauches. » Keith entra sans résistance dans les plans du prince ; il lui fit commander une voiture à Leipzig, par l’intermédiaire d’un lieutenant von Spaen ; mais au commencement de 1730 se produisit dans la famille une accalmie. Le roi, après avoir été sur le point de faire la guerre à l’Angleterre, s’était réconcilié avec elle. La négociation du double mariage avait été reprise entre les deux cours et paraissait réussir. Le prince royal espéra un moment qu’il épouserait la princesse Amélie et que la dot de sa femme serait le gouvernement du Hanovre. Ce mariage l’émanciperait et le libérerait. Malheureusement ces espérances s’évanouirent. La négociation traîna, se compliqua, s’embrouilla, et Frédéric revint aux projets de fuite. Keith n’était plus auprès de lui ; le roi, qui lui trouvait des allures suspectes, l’avait envoyé dans un régiment à Wesel. Le prince royal chercha donc un autre complice, qu’il trouva tout de suite : ce fut le lieutenant von Katte, du régiment des gendarmes.

Katte avait de quoi plaire au prince. Il aimait les mathématiques, la mécanique et la musique ; il savait dessiner et peindre ; il était grand liseur, jouait de la flûte, écrivait bien le français ; il aimait à parler et à disserter. De son siècle, de ce siècle où Frédéric-Guillaume était un étranger et un revenant, il avait la morale libre, l’irréligion, la « sensibilité ; » avec cela, une pointe de paradoxe. Fataliste et ambitieux, il se croyait appelé à une destinée très haute. Il était fils d’un général, petit-fils d’un maréchal et ami du prince royal ; cette amitié lui ouvrait l’avenir. Il avait pour le prince ce sentiment de respect tendre, et d’affection à la fois mystique et intéressée, que les héritiers des couronnes inspirent à ceux qu’ils désignent pour être les serviteurs de leur choix. Il goûtait la grâce du prince royal, le charme de son esprit et de sa personne. Les malheurs de Frédéric l’émouvaient ; il était touché de l’infortune de Wilhelmine, cette sœur chérie de Frédéric, à qui le roi faisait aussi la vie dure. Il avait copié un portrait de la princesse, dont il aurait été, si elle l’avait permis, le très humble serviteur et chevalier. Au prince royal, il n’avait rien à refuser, pas même le péril de sa vie.

Les deux amis se trouvèrent ensemble, au mois de juin, au camp de Mühlberg, où le roi de Prusse s’était rendu sur l’invitation de l’électeur de Saxe, roi de Pologne, pour assister à une de ces fêtes militaires et pantagruéliques, à une de ces débauches de royauté en liesse, que le roi Auguste proposait à l’étonnement du monde. Là, devant l’Allemagne assemblée, sous les yeux des ministres de toutes les cours d’Europe, Frédéric sentit plus vivement que jamais l’humiliation de sa vie ; les honneurs qui étaient rendus à sa qualité de prince contrastaient avec sa misère d’enfant haï, insulté et battu. Dans des entretiens secrets, qu’il dérobait aux surveillans et aux espions dont son père l’entourait, il fit part à Katte de sa résolution de s’évader. Katte, effrayé d’une si prompte exécution, fit des remontrances au prince, mais celui-ci ne voulait rien entendre. Il demanda un jour au comte Hoym, ministre de l’électeur de Saxe, des chevaux de poste pour deux jeunes officiers qui voulaient faire incognito un voyage à Leipzig. La ruse était naïve, car tout le monde avait le pressentiment des projets du prince royal. Hoym entendit bien ce que signifiait cet incognito et refusa les chevaux. Katte lui-même l’avait prié de faire des difficultés. Pourtant, il se pliait au désir du prince, auquel il procura une carte de la route entre Leipzig et Francfort-sur-le-Mein, achetée dans un bureau de poste. Ces menées ne passèrent pas inaperçues. Le colonel Rochow, le gardien du prince, le témoin quotidien de ses souffrances et de sa colère, eut des soupçons dont il fit part au lieutenant, qui nia toute intention mauvaise. Frédéric se décida enfin à retarder l’exécution de son projet et à la préparer. Il savait que son père allait bientôt faire un voyage à Anspach pour y voir sa fille cadette, récemment mariée au prince de ce pays. De là, Frédéric-Guillaume devait rendre visite aux principales cours de l’Allemagne occidentale. Le prince pensa que l’occasion désirée se présenterait au cours de cette excursion. Au camp de Mühlberg se trouvait un diplomate anglais, le capitaine Guy Dickens, qui était sur le point de se rendre à Londres pour y porter des propositions du roi de Prusse relatives à l’affaire des mariages, qui n’était pas encore tout à fait rompue. Frédéric, habitué à traiter avec les ministres étrangers, informa le capitaine de ses intentions : il s’échapperait pendant le voyage d’Anspach, irait à Paris passer six ou huit semaines, et de là en Angleterre. Il ajoutait, avec la suffisance d’un jeune conspirateur, que « toutes ses mesures étaient prises, et qu’il comptait que la cour de Londres faisait le nécessaire en France, pour qu’il y trouvât aide et protection. » Katte, qui était au courant de ces pourparlers, offrait de se rendre à Anspach, où il se tiendrait aux portes de la ville, avec des chevaux, ou bien de s’habiller en postillon et de suivre ainsi le prince, — ce qui était une folie pure, — jusqu’à ce que l’heure propice se rencontrât.

Cependant le camp de Mühlberg fut levé ; le roi, le prince et Katte rentrèrent à Berlin. Frédéric attendit avec impatience le retour de Guy Dickens, qui arriva le 9 juillet, apportant, en même temps que de nouvelles propositions de sa cour au sujet des mariages, une réponse aux confidences de Frédéric.

Sa majesté britannique donnait à son altesse les assurances les plus fortes de sa compassion et de son désir sincère de la tirer d’un si triste état, mais elle ne croyait pas que la situation où les affaires de l’Europe se trouvaient, dans ce moment critique, fût propre à l’exécution du dessein de son altesse. Elle lui conseillait donc de différer un peu, et d’attendre au moins les suites de la négociation des mariages. Le temps manquait d’ailleurs pour s’informer de l’accueil que la France réserverait au prince, s’il se retirait dans ce pays-là… Cette réponse était écrite dans une sorte d’instruction officielle ; la cour d’Angleterre traitait donc Frédéric comme un souverain ; il semblait qu’elle accréditât son envoyé auprès du fils, en même temps qu’auprès du père. Guy Dickens était chargé en outre d’offrir une douceur au prince : il lui proposerait de payer ses dettes, mais en échange de la promesse de ne pas s’évader.

Le soir même de son arrivée à Berlin, Guy Dickens reçut la visite de Katte, qui le mena sous le portail du château, où le prince vint les rejoindre. L’envoyé fit sa commission : Frédéric accepta l’offre de payer ses dettes, et même, comme il avait une présence d’esprit remarquable, il demanda 15,000 thalers, alors qu’il n’en devait que 7,000. Il ne s’engagea point à renoncer à son projet ; il promit seulement de ne pas s’enfuir de Potsdam, si son père l’y laissait, au lieu de le prendre avec lui dans le voyage. Pendant cette conversation de nuit, Katte faisait le guet. Tout cela était très romanesque, mais d’une imprudence enfantine.

Deux ou trois jours après, le roi partait pour Potsdam. Le prince apprenait que son père, après beaucoup d’hésitations, avait décidé de l’emmener avec lui à Anspach. Le 14 juillet, veille du départ, il mandait Katte à Potsdam. Celui-ci vint le soir sans permission, bien entendu, et il fallut prier l’officier qui était de garde à la porte de ne pas signaler son passage. Katte trouva le prince dans le parc. Pendant deux heures, ils causèrent. Frédéric redit ses raisons de fuir ; il venait encore d’être maltraité à Potsdam, et si rudement, qu’il finissait par craindre pour sa vie. Katte lui fit quelques objections, mais promit de le suivre. Seulement, il ne pouvait partir immédiatement ; il devait attendre la permission, qu’il avait sollicitée, d’aller en recrutement. Il conseilla donc au prince de remettre sa fuite à la fin du voyage : le roi devait rentrer dans ses états par Wesel ; de là, il serait facile de gagner la Hollande. Ainsi, les deux complices établissaient leur projet sur une hypothèse, puisqu’il n’était pas sûr que Katte obtînt le congé demandé. Ils n’avaient rien arrêté de précis, lorsqu’ils se séparèrent, après que minuit avait sonné. Ils avaient convenu de correspondre, — ce qui était une nouvelle imprudence, — par l’intermédiaire d’un cousin de Katte, le Rittmeister Katte, qui se trouvait en tournée de recrutement à Erlangen, à portée d’Anspach.

Le lendemain, 15 juillet, le prince, avant de partir, écrivait à Katte pour lui confirmer sa résolution de s’enfuir au début du voyage. Il lui donnait rendez-vous à Cannstatt, sans savoir même si le lieutenant pourrait s’y trouver en même temps que lui. Le page qui porta cette lettre remit à Katte quelques objets dont le prince ne voulait pas se séparer, parmi lesquels se trouvaient ses musicalia. Katte avait déjà entre les mains les bijoux de Frédéric et les insignes de l’ordre de l’Aigle blanc de Pologne, dont les diamans avaient été vendus et remplacés par de fausses pierres. Le prince lui avait confié l’argent du voyage, environ 3,000 thalers.

La première nuit fut passée à Meuselwitz, chez le comte de Seckendorf, général autrichien, et grand ami de Frédéric-Guillaume, auprès duquel il représentait sans qualité officielle, à titre de persona grata, la cour de Vienne ; personnage équivoque, adversaire cauteleux et puissant de la reine et du prince et de Wilhelmine, et dont les menées avaient efficacement contribué à la rupture des mariages[2]. Le roi demeura deux jours chez Seckendorf, qu’il emmena avec lui, le 18 au matin. Le 21, il arrivait chez son gendre, le margrave d’Anspach, pour y demeurer toute une semaine. Le 23, à minuit, une lettre de Katte était apportée au prince par le cousin, le Rittmeister, Mauvaise nouvelle : la permission du voyage a été refusée au lieutenant. Le prince brûle la lettre et répond à Katte de se tenir tranquille jusqu’à ce qu’il ait reçu de nouveaux ordres. Mais il veut s’assurer un autre complice, et tout de suite propose l’affaire au Rittmeister ; mais celui-ci se récuse, et même il avertit le colonel Rochow, sans lui rien révéler d’ailleurs, de ne pas perdre de vue un moment « son haut subordonné. » A qui donc s’adresser ? Parmi les pages du roi se trouve un frère cadet de Keith, l’ami qui est à Wesel. Le prince s’ouvre à lui, lui glisse des billets dans la main, et l’entretient à la dérobée : « Est-ce qu’on peut trouver partout des chevaux ? — En quelques endroits il en reste ; en d’autres, non. — Est-ce que tu es toujours obligé de rester auprès de la voiture du roi ? Peux-tu être une demi-heure en arrière ou en avant ? — Je dois toujours rester près de la voiture, car le roi, lorsqu’il descend, demande après tous ceux qui appartiennent à la voiture. — Commande-moi des chevaux. — Où Son Altesse veut-elle aller ? — Où crois-tu que j’irai ? — Je n’en sais rien. — Si une fois je m’en vais, je ne reviendrai plus. »

Se croyant assuré d’un compagnon, Frédéric écrit à Katte, le 29 juillet, qu’il a encore été maltraité pour avoir laissé tomber un couteau. Il lui commande d’aller à La Haye et d’y chercher le comte d’Alberville, un nom de roman, sous lequel il se cachera. Dans cette lettre en était incluse une autre, que Katte devait laisser pour qu’elle lût lue ; le prince y déduisait, dans une sorte de manifeste, les raisons de sa fuite. Au même moment, il écrivait à Keith de quitter Wesel et de se rendre en Hollande.

D’Anspach, le roi prit la route du Wurtemberg. La cour ducale l’attendait à Ludwigsbourg. Arrivé là, Frédéric, qui se parait pour la fuite comme pour une aventure d’amour, se fait faire un manteau rouge. Quelques jours avant, il avait commandé à Keith de s’acheter un manteau bleu. Le 4 août, au matin, en quittant Ludwigsbourg, il met son beau manteau neuf : « Voilà, lui dit Rochow, un vêtement qui ne plaira pas au roi. « Il répond qu’il a mis le manteau à cause du froid (qui n’expliquait pas la couleur), et il le retire. L’heure marquée par lui approchait. Ce même jour, près de Heilbronn, le cortège des voitures quittait la vallée du Neckar et prenait la direction de Mannheim, où l’électeur palatin attendait le roi de Prusse. Le prince, qui avait des cartes, et s’informait, comme par curiosité, des étapes, croyait que l’on coucherait à Sinsheim, et c’est de là qu’il avait résolu de s’évader. Mais, par hasard, le roi voulut s’arrêter à Steinsfurth, où le coucher fut organisé dans des granges : le prince était logé en face du roi. « Nous ne sommes plus loin de Mannheim, dit le roi en se couchant. En partant d’ici à cinq heures, nous aurons mille fois le temps d’arriver. » Le prince, qui avait donné ses ordres à Keith, pensait qu’il serait déjà loin à cette heure-là.

A deux heures et demie, il s’habillait. Son valet de chambre, Gummersbach, homme de confiance de Rochow, s’étonne. Le prince lui dit : — « Mais je veux me lever. Qu’est-ce que cela te regarde ? » — Il met le manteau rouge. Gummersbach fait des observations : — « Je veux le mettre, » réplique le prince, qui ajoute qu’il va chez le roi, et sort, malgré que le valet lui dise : — « Le roi ne se fera éveiller que pour le départ à cinq heures. » — Il se tient alors devant la grange, mais Gummersbach envoie un chasseur appeler le colonel. Rochow, qui s’est couché tout habillé, arrive à la minute ; il trouve le prince près de sa voiture, attendant : — « Bonjour, Votre Altesse ! » — Le prince rend le bonjour, quitte la voiture et rentre dans la grange. Rochow se promène devant la porte avec Gummersbach. A trois heures, Keith, qui est en retard, arrive avec des chevaux : — a Voyez donc, dit Gummersbach au colonel, ce que c’est que ces chevaux-là. Je garderai le prince. » — Rochow va vers Keith, lui souhaite le bonjour, et lui demande ce qu’il veut faire avec ces chevaux : — « Ce sont, répond Keith, les chevaux des pages. » — « Allez-vous-en au diable avec vos chevaux ! » s’écrie le colonel. — Le général Buddenbrock et le colonel Waldow[3], avertis aussi, sont venus rejoindre Rochow. Seckendorf, qui ne devait dormir que d’un œil, apparaît dans la rue. Le prince était ressorti, et le jour éclairait son manteau rouge : — « Excellence, dit Rochow à l’Autrichien, comment trouvez-vous l’accoutrement de Son Altesse ? » — Le prince ôte son manteau, et, de désespoir, entre chez son père, qui n’était pas encore levé. — « Votre voiture, lui dit le roi, est plus lourde que la mienne. Vous irez devant ; autrement, vous arriveriez en retard. » — Le prince sort pendant que son père s’habille, va boire son thé, traîne autant qu’il peut, si bien que le roi, qui le croit en route déjà, part avant lui. Arrivé à Heidelberg, il est étonné de ne pas trouver le prince : — « Où est mon fils ? Il doit marcher terriblement vite. Ils ne seront pourtant pas assez fous pour entrer à Mannheim avant que je n’arrive. » — A huit heures, le roi est à Mannheim : pas de prince encore. Le roi s’inquiète ; il s’imagine que Frédéric est parvenu à s’échapper. Pour le calmer, l’électeur palatin envoie son écuyer sur la route de Heidelberg. Enfin, les retardataires arrivent à dix heures et demie.

Il était évident que le prince ne pourrait s’échapper, mais la résolution où il était de tout risquer plutôt que d’abandonner le beau rêve, l’aveuglait. Il donna encore une fois à Keith l’ordre de commander les chevaux ; mais le page avait eu, le matin, une belle peur en recevant l’ironique bonjour de Rochow. Il connaissait le roi et sentit sa tête branler sur ses épaules. Le 6 août, qui était un dimanche, à l’issue du service divin, il se jeta aux pieds de son maître et lui avoua tout le complot.

Le roi maîtrisa la tempête qui se levait en lui, et résolut de dissimuler jusqu’à ce qu’il fût arrivé dans sa ville de Wesel, mais il appela Rochow près d’une fenêtre : — « Fritz a voulu déserter, lui dit-il ; je m’étonne qu’on ne m’en ait rien dit. Vous, Rochow, vous serez responsable sur votre tête, votre cou et votre collet si vous ne me le livrez à Wesel, vivant ou mort. Je n’ai pas le temps d’en dire plus ici. Et comme il se peut que je ne trouve pas le moyen de parler seul avec Buddenbrock et avec Waldow, vous leur direz cela en mon nom et leur commanderez qu’ils soient responsables envers moi. » — Rochow, qui avait eu la générosité de taire l’histoire de la veille, se contenta de répondre : — « Il ne peut nous échapper ; il ne nous aurait pas échappé. J’ai pris mes précautions. Le prince a un fidèle serviteur à qui on peut se fier. » — Sur quoi on se mit à table. Le roi, qui savait si mal se contraindre et qui aimait à hurler ses colères, devait endurer des tourmens d’enfer. La vue de l’intendant, du commandant et d’officiers français de Landau, qui étaient venus à Mannheim, l’inquiéta. Il crut qu’ils venaient au-devant du prince pour lui faire escorte. Le soir, à Darmstadt, où l’on coucha, il ne put se tenir de dire à son fils : — « Cela m’étonne de vous voir ici. Je vous croyais à Paris déjà. » — Frédéric répondit hardiment par un mensonge : — « Si je l’avais voulu, je serais certainement en France ! » — Une fois encore, ignorant qu’il avait été trahi, il passait un billet à Keith : — « Cela prend une mauvaise tournure. Fais que nous puissions nous en aller. »

Le matin du 8 août, on arrivait à Francfort, d’où l’on devait descendre le Mein. Le roi visita tous les monumens en deux heures, sans être accompagné par le prince : il l’avait fait conduire directement au bateau, qui devait transporter le cortège royal à Bonn. Il grillait d’impatience de rentrer chez lui, mais il avait promis sa visite à l’électeur de Cologne, qui l’attendait. Il arriva donc, le 10, à Bonn. Avant de descendre, il commanda aux officiers du prince de le bien surveiller et de le ramener au bateau mort ou vif. Frédéric entendit ces ordres et d’autres paroles dures sans sourciller ; mais, au fond, il commençait à se troubler, se sentant déjà prisonnier. Il eut alors une habileté de sa façon. Il devina que tout était découvert et que Seckendorf était au courant. Il résolut donc de se donner auprès de lui, son ennemi, le mérite d’une confidence, et d’intéresser ainsi à sa cause la générosité d’un homme si paissant auprès de son père :

« J’ai eu, lui dit-il, la ferme intention de m’enfuir. Un prince de dix-huit ans ne peut supporter plus longtemps d’être traité par le roi et battu comme je l’ai été dans le camp de Saxe. En dépit de toute surveillance (il répétait et complétait son mensonge), j’aurais pu m’enfuir si je n’avais pas été retenu par mon amour pour la reine et pour ma sœur. Je ne renonce pas à ma résolution. Si le roi ne cesse de me frapper, je la mettrai à exécution coûte que coûte. Du péril de ma vie, je ne m’inquiète pas. Je regretterais seulement que des officiers, qui ont eu connaissance de la chose, fussent exposés à des malheurs quand ils n’ont commis aucune faute, mais se sont laissé entraîner par moi. Si le roi veut bien me promettre le pardon pour eux, je déclarerai tout clairement. Sinon, on peut me couper la tête, je ne trahirai personne. » Il ajouta que la reine ne savait rien de ses projets, mais qu’il était en peine de Katte ; il espérait pourtant que celui-ci se serait sauvé après avoir détruit leur correspondance secrète. Il termina en demandant à Seckendorf ses bons offices auprès du roi : — « Vous ne pouvez me témoigner une plus grande amitié, et je vous serai reconnaissant toute ma vie de me tirer de ce labyrinthe. »

Seckendorf dut l’écouter d’un air de compassion respectueuse, où il dissimulait à la fois son plaisir de voir ce fier jeune homme réduit à se réclamer de lui, et le peu de gré qu’il lui savait de cette confidence forcée. Le lendemain, à Mors, il parla au roi en termes généraux du repentir du prince. Le roi répondit qu’il préférerait grâce à justice, si son fils lui faisait des aveux à cœur ouvert, ce dont il doutait fort ; mais il apprit bientôt que le lieutenant Keith avait quitté Wesel. Depuis quelques jours déjà, il savait que Katte avait envoyé un message à Frédéric pendant le voyage. Il vit la corrélation des deux faits avec la tentative de fuite. Pressé de mettre le prince en lieu sûr, il l’envoya en avant à Wesel.

Lui-même y arriva, le 12, à huit heures et demie du soir. Aussitôt, il manda le prince à la Commandatur et lui fit subir un interrogatoire. Le prince avoua qu’il avait voulu passer en France et ajouta ce mensonge qu’il avait donné rendez-vous à Strasbourg, à Katte et à Keith. On conte que le roi, mécontent des réponses, entra dans une fureur telle que le général von der Mosel, se jetant entre le père et le fils, offrit sa poitrine au premier, qui avait mis l’épée à la main. Mais Frédéric-Guillaume, je pense, était abattu, atterré autant qu’irrité. Il est impossible qu’il n’ait pas pensé en ce moment que les violences commises sur la personne de son fils déposeraient contre lui-même dans le procès d’opinion qui allait s’engager devant l’Europe. L’acte officiel de l’interrogatoire du 12 août dit qu’il somma le prince « de la façon la plus sérieuse d’honorer, comme il devait, Dieu et son seigneur et père, et d’avouer, sur son devoir et sa conscience, toutes les circonstances de la désertion projetée. » Avant de livrer son fils à la justice, Frédéric-Guillaume dut parler de ce ton de juge et s’en tenir là. Le prince prit dès lors la manière qu’il va garder, mêlant des mensonges à la vérité avec un sang-froid extraordinaire, fier, insolent même, mais rusé toujours et ne poussant jamais rien à l’extrême. Il est très-possible qu’il ait répondu à son père en lui reprochant ses violences et ses désespérantes paroles « qu’il ne devait s’en prendre qu’à lui seul de ce qui était arrivé. »

Frédéric fut ensuite conduit dans une chambre et gardé par des sentinelles, baïonnette au canon. Le lendemain, il fut interrogé par le colonel Derschau sur des questions préparées par le roi. Il répondit par un roman. Il voulait, dit-il, aller incognito à Landau, Strasbourg et Paris, prendre du service, passer en Italie, se distinguer par des actions d’éclat et obtenir ainsi la grâce de sa majesté ; mais, au même moment, le roi, qui a envoyé l’ordre de poursuivre Keith, apprend que celui-ci est allé, non pas à Strasbourg, mais à La Haye. Le prince est donc convaincu de mensonge. Le roi le lui fait dire et, de plus en plus, il se trouble ; il va jusqu’à croire à une conspiration contre sa vie. Le prince fut informé de ces soupçons terribles ou les devina. Il écrivit alors une de ses lettres à circonlocutions serviles, par lesquelles il avait coutume de corriger ses accès de fierté.

« Mon cher papa, je prends encore une fois la liberté d’écrire à mon cher papa, pour lui demander en toute soumission de lever mon arrêt, assurant que tout ce que j’ai dit ou fait dire à mon cher papa est vrai. Quant aux soupçons qui sont contre moi, le temps montrera qu’ils ne sont pas fondés, et j’assure que je n’ai pas eu la mauvaise intention que l’on pense. J’implore de mon cher papa sa grâce, et je demeure, ma vie durant, avec le respect le plus soumis, son fils très dévoué. »

Le roi, pour toute réponse, remit le prince aux mains du général Buddenbrock, avec ordre de le conduire à travers l’Allemagne, à la forteresse de Spandau. L’escorte devait éviter les territoires de Hesse et de Hanovre, pays suspects, où le prince trouverait peut-être des complices. En cas d’une surprise ou d’une tentative d’enlèvement, Buddenbrock. « fera que les autres ne le reçoivent que mort. »

Le prince fut emmené de Wesel en grand secret. Jusqu’à Halle, on marcha jour et nuit, ne s’arrêtant qu’en pleine campagne, là « où l’on peut voir autour de soi, dans les endroits sans haies ni buissons ; » on mangeait dans la voiture. Le roi, le même jour, se mit en route. Une preuve (il me le semble au moins) de son hésitation, de son trouble, d’une sorte d’angoisse et de recul devant le fait auquel il donnait in petto des proportions monstrueuses, c’est qu’il ne se rendit pas droit à Berlin. Il mit une semaine au voyage, et n’arriva que le 26 août au château royal.


II

La terreur régnait à Berlin depuis qu’on y avait reçu les nouvelles de Wesel. Le roi, le jour même de l’arrestation, avait écrit à Mme de Kamken, l’une des dames de la reine : « Ma chère madame de Kamken, j’ai, hélas ! le malheur (leider das Unglück) que mon fils a voulu déserter avec le page Keith. Je l’ai fait arrêter. J’ai écrit à ma femme. C’est à vous de faire que, bien qu’elle se désole une paire de jours, elle ne tombe pas malade. « Je suis votre ami dévoué,

« FR. -GUILLAUME. »


La lettre à la reine est perdue ; celle que Wilhelmine a mise dans ses mémoires est certainement fausse. Frédéric-Guillaume, au moment où il prenait des précautions pour atténuer le coup qui allait être porté à sa femme, ne lui aurait pas écrit qu’il était résolu à faire mourir son fils. Il est probable, comme le disent les ministres d’Angleterre et de France, qu’après avoir raconté les faits, et l’interrogatoire du prince, et la façon dont celui-ci s’y était comporté, il annonçait à la reine l’arrestation et l’ordre qu’il avait donné de conduire Fritz dans une forteresse. Nous n’avons pas le droit de penser qu’aucun sentiment humain ne se mêlait à la fureur du roi. Il y a dans le billet à Mme de Kamken de la sensibilité étrange, mais qui est de la sensibilité.

De Wesel encore, le roi avait envoyé l’ordre d’arrêter Katte. Celui-ci était demeuré très tranquille à Berlin, pensant que le prince avait renoncé à son projet, puisque lui, l’indispensable compagnon, n’avait pu le rejoindre. Il était allé passer la journée du 15 août à la campagne, par permission du feld-maréchal Natzmer, chef du régiment des gendarmes. Il fut arrêté le lendemain matin.

La reine et Wilhelmine passèrent des journées terribles en attendant le retour. Inquiètes sur le sort du prince, le souvenir de leurs intrigues devait les faire trembler pour elles-mêmes. La scène de l’arrivée fut épouvantable : « Nous accourûmes tous pour lui baiser la main, écrit Wilhelmine, mais à peine m’eut-il envisagée que la colère et la rage s’emparèrent de son cœur. Il devint tout noir ; ses yeux étincelaient de fureur, et l’écume lui sortait de la bouche : Infâme canaille, me dit-il, oses-tu te montrer encore devant moi ? Va tenir compagnie à ton coquin de frère. » Et il frappa si fort que la princesse tomba par terre ; il voulut la piétiner ; la reine, ses frères, ses sœurs, les dames se rangèrent autour d’elle. Il la laissa, mais, pendant que la reine se tordait les mains et courait éperdue, que les frères et sœurs dont le plus jeune avait quatre ans pleuraient à genoux, il vomissait des injures contre sa fille. Au même moment, Katte traversait la place du château, entre quatre gendarmes. Comme il levait la tête, il aperçut Wilhelmine, qu’on avait assise sur une chaise dans l’embrasure d’une fenêtre : il la salua.

En présence du roi, qui se jeta sur lui et le roua de coups, Katte, qui n’avait montré aucune émotion le jour de l’arrestation, garda son calme. Il avoua le projet formé au camp de Saxe, les conversations avec le prince et les négociations avec Guy Dickens, les entrevues avant le départ pour Anspach. Il ajoutait, pour sa défense, les conseils qu’il avait donnés au prince de renoncer au dessein ; il faisait remarquer que, comme il avait l’argent entre les mains, Son Altesse ne pouvait s’enfuir, insinuant ainsi qu’il l’aurait retenue au dernier moment. Ces aveux ne suffisaient pas à Frédéric-Guillaume, qui cherchait des preuves d’intentions plus criminelles. Il voulut faire mettre Katte à la torture, mais il renonça, sur la vive opposition qui lui fut faite, à cette barbarie. Enfin, le 20 septembre, dans un dernier interrogatoire, à la demande : — « Convient-il que, s’il avait pu, il se serait échappé ? » — Katte répondit : « Si le prince était parti, je l’aurais suivi, mais j’ai toujours cru qu’il ne partirait pas. » Il disait vrai, sans doute. Il est probable qu’il avait appris avec plaisir que la permission de voyager lui était refusée. Il crut que le prince allait revenir, et qu’il reprendrait avec lui cette vie cachée d’amitié et de confidence, qui les aiderait tous les deux à attendre l’avènement. Mais il avait avoué qu’il aurait, au besoin, suivi le prince. Le même jour, son valet déposa que, deux jours environ avant l’arrestation, sur l’ordre de son maître, il avait recouvert de papier les galons d’argent d’un habit gris fait pour le prince.

Sur cet aveu et cette déclaration, l’instruction conclut, en ce qui concernait Katte, que, jusqu’au dernier moment, il avait voulu déserter.

L’instruction se poursuivait en même temps contre le principal accusé. Le roi avait décidé que son fils serait conduit non plus à Spandau, mais à Cüstrin. Il ordonna qu’il fût interrogé avant d’arriver à cette forteresse, à Mittenwalde, par une commission composée des généraux Grumbkow et Glasenapp, du colonel von Sydow, des auditeurs Mylius et Gerbett. A en croire les bruits qui coururent, il fut très insolent. Il aurait refusé à Grumbkow, qu’il considérait comme son ennemi personnel, de lui remettre son épée, ajoutant qu’il la pouvait aller prendre dans la chambre à côté, sur une table. Il se serait amusé à faire sa déposition avec une telle vitesse de paroles, que la plume de Grumbkow ne pouvait le suivre. A la question : pourquoi il avait voulu s’évader ? il aurait répondu : « Vous devez le savoir mieux que personne, et être plus capable d’en rendre raison à votre maître. » A une objection de Grumbkow sur une de ses réponses, il aurait répliqué : « Écrivez donc, puisque vous n’êtes pas ici pour autre chose. » Ce sont là des propos inventés, car Grumbkow ne conduisait pas l’interrogatoire, mais il est certain que le prince se montra très « railleur et très gai, lustig und fröhlich, » et qu’il voulut avoir l’air de diriger les débats. Il fit inscrire au protocole qu’il avait tout dit, sans réticences et sans attendre les questions. Il avait en effet demandé plusieurs fois aux commissaires : « Est-ce tout ? Voulez-vous encore savoir quelque chose ? » Il ne daigna pas implorer pour lui grâce ni clémence, mais il intercéda pour Katte, disant que le malheureux avait été séduit par lui.

Deux jours après, le prince était écroué à la forteresse de Cüstrin. Le général von Lepell, gouverneur de la place, avait reçu les ordres du roi : « Tenez-vous bien en garde, car il est très rusé, et il aura cent inventions pour se tirer de là. »

Ce fut la prison, dans toute son horreur. Tenu au secret, dans une absolue solitude, le prince s’ennuyait. Il essaya d’une « invention, » et demanda la permission de communier. Il n’en avait certainement pas la moindre envie et voulait seulement se distraire, en même temps que flatter le roi. Le roi répondit : « Il n’est pas encore temps ; il faut d’abord que le conseil de guerre ait fini : après, il sera temps. » Ces mots avaient peut-être un sous-entendu terrible. Le roi commande ensuite qu’il ne soit laissé au prisonnier ni plume ni encre ; le prince ne sortira jamais de la chambre : un laquais lui apportera son dîner et son souper ; le dîner coûtera six groschen et le souper quatre. Il lui fait enlever sa flûte et défend qu’on lui en procure une autre.

Cependant les commissaires préparaient un second interrogatoire, et l’auditeur général Mylius dressait une liste de questions. À cette procédure de juristes, le roi ajouta un supplément de sa façon, cinq questions inusitées en justice. Mylius hésitait à les introduire ; il voulait être couvert par un ordre du roi contre toute responsabilité ultérieure. « J’ai dicté moi-même ces articles à mon secrétaire, écrivit le roi. Je vous commande d’exécuter mes ordres sous ma responsabilité. » Le grand interrogatoire eut lieu, le 16 septembre. Le prince avait fini avec les cent soixante-dix-huit premières questions, qui portaient sur le projet de fuite, sur les négociations relatives au mariage et sur les événemens des dernières années. Vinrent les questions du roi.

D. Que mérite-t-il, et à quelle peine s’attend-il ? — R. Je me soumets à la grâce et à la volonté du roi.

D. Que mérite un homme qui brise son honneur et complote une désertion ? — R. Je ne crois pas avoir manqué à l’honneur.

D. Mérite-t-il de devenir roi ? — R. Je ne puis être mon propre juge.

D. Veut-il qu’on lui fasse cadeau de la vie ou non ? — R. Je me soumets à la grâce du roi et à sa volonté.

D. Comme il s’est rendu incapable par le bris de son honneur de succéder au trône, veut-il, pour conserver sa vie, abdiquer sa succession et y renoncer, de façon que cette renonciation soit confirmée de tout l’empire romain ? — R. Je ne tiens pas tant à la vie, mais Sa Majesté Royale n’usera pas envers moi de tant de rigueur.

Questions redoutables, qui laissaient voir l’état d’esprit et les intentions du suprême juge, le roi. Réponses étonnantes, — après la fatigue de cet interrogatoire, — d’un accusé de dix-huit ans, admirables par la précision des paroles qui disent tout exactement ce qu’elles veulent dire, et par cette façon de dignité, qui sait ne rien compromettre. Le prince avait habilement glissé dans la première partie de l’interrogatoire des expressions de regret, et plaidé la circonstance atténuante de sa jeunesse. A la fin, troublé peut-être par les dernières questions, et ne voulant pas laisser partir les commissaires sur ce « je ne tiens pas à la vie, » il fit une déclaration dont il demanda l’insertion à la suite du protocole. « Il reconnaissait qu’en tout, pour tout, sur tous les points, il avait eu tort ; que ce qui lui faisait le plus de peine, c’était le chagrin qu’éprouvait Sa Majesté ; il priait Sa Majesté de croire que son intention n’avait jamais été criminelle ; qu’il n’avait pas cherché à faire la moindre peine à Sa Majesté Royale ; qu’il se soumettait en tout à la grâce et à la volonté du roi ; que Sa Majesté pouvait faire de lui ce qui lui semblerait bon ; qu’il lui demandait pardon. »

En recevant le protocole, le roi déchira l’annexe où était la demande de grâce. Il rendit la prison plus rigoureuse, comme pour se venger de l’habileté et du sang-froid de son fils. Il envoya au général gouverneur une instruction « sur la manière dont le prisonnier prince Frédéric doit être surveillé, de façon qu’il ne puisse déserter de la prison, » avertissant ledit général, dans l’intitulé même de la pièce, qu’il le faisait responsable, sur sa tête, de l’exécution de ses ordres : « Doit la porte (de la chambre) où se tient le prisonnier prince Frédéric, être bien fermée jour et nuit, et deux grands verrous y être suspendus ; les clefs, le général Lepell les aura en sa garde. Tous les matins, à huit heures, on ouvrira, et alors deux officiers entreront pour savoir si tout est bien ; un chauffeur du poste apportera à l’arrêté, dem Arrestanten, un bassin et un verre d’eau pour se nettoyer, et il enlèvera de la chambre les malpropretés ; tout cela ne devra pas durer plus d’un demi-quart d’heure ; alors les officiers sortiront et tout sera fermé solidement. A midi, on lui apportera à manger, et, tout de suite, la porte sera fermée. Le soir, à six heures, on ouvrira encore, et on lui apportera quelque chose à manger. Les plats et les assiettes sales (du dîner) seront emportés, et, tout de suite, tout fermé. Le matin, en apportant l’eau, les plats et les assiettes de la veille au soir seront emportés. Ainsi, trois fois par jour, la porte sera ouverte, et chaque fois, elle ne restera pas ouverte plus de quatre minutes, et, chaque fois, deux capitaines assisteront à l’ouverture et à la fermeture. En ce qui regarde les sentinelles, vous en mettrez autant qu’il sera nécessaire, car vous êtes pour cela responsable. Les capitaines qui feront ouvrir et fermer les portes ne devront pas, sous peine de la plus grande disgrâce, parler au prisonnier. S’il leur demande quelque chose, ce qui se passe ici et là, ce qu’il y a de nouveau dans le monde, ils ne répondront rien, et ceci est mon ordre strict, et ils doivent s’y conformer et être responsables sur leur tête. »

Les geôliers (le roi avait adjoint au général Lepell un colonel) méditèrent l’ordre du roi et trouvèrent qu’il n’avait pas tout prévu : « Le très gracieux ordre de Votre Majesté est bien arrivé, mais, comme en vertu dudit, personne ne peut demeurer plus de quatre minutes auprès du haut Arrestant, et ne peut être présent, pendant qu’il mange, nous devons demander en toute soumission : 1° s’il faut lui laisser couteau et fourchette et pour combien de temps ; 2° combien de bougies par jour doivent lui être données. » Le roi répond : « Pas de couteau, ni de fourchette. Faites couper auparavant son manger. « Il oublie de parler des bougies, mais quelques jours plus tard, recevant les comptes « de la subsistance de son Altesse Royale, » qui montaient pour quatre semaines, y compris le blanchissage, le logement et la nourriture en ville du laquais, et les verrous mis à la porte, à 32 thaler 3 groschen et 3 pfennig, il les approuva et les régla, mais ordonna qu’à l’avenir les bougies fussent remplacées par des chandelles.

Ce redoublement de rigueurs inquiéta le prince. « Il me semble, dit-il un jour aux deux capitaines de service, que je suis encore plus sévèrement gardé. « Il voulut revoir des visages, parler et entendre parler. Le tour de la communion n’ayant pas réussi, il demanda à être entendu de nouveau par la commission. Le roi, après avoir hésité quelques jours, renvoya les commissaires à Cüstrin, mais il chargea Grumbkow de dire au prince des duretés : « Si ce coquin demande des nouvelles de moi, de ma femme, de mes enfans, vous lui direz que personne ne pense plus à lui, que ma femme ne veut plus entendre parler de lui, que Wilhelmine est encoffrée à Berlin et sera bientôt envoyée à la campagne… »

Les instructeurs virent tout de suite que le prince n’avait rien à leur dire. Comme il avait commencé par rappeler que, d’après le dernier interrogatoire, le choix lui était laissé entre la renonciation à la couronne et la mort ou la prison perpétuelle, ils lui firent observer que, de prison perpétuelle, il n’avait pas été question. « Alors, répliqua-t-il, toutes mes réflexions n’ont plus de raison d’être. Une longue prison me paraissait une chose intolérable. Si je dois perdre la vie, je prie qu’on me le donne à entendre en temps utile. Quant à la renonciation, si je croyais recouvrer par là les bonnes grâces du roi, je me soumettrais à sa volonté. Je puis assurer aussi que le roi fera de moi ce qu’il voudra, comme il voudra ; je ne l’en aimerai pas moins. Le respect et l’amour pour lui demeureront toujours dans mon cœur. » Évidemment, il voulait se faire rassurer. Les commissaires lui ayant donné de bonnes paroles, il se crut déjà hors d’affaire, et leur confia deux désirs qu’il avait : « Je prends la liberté de prier Sa Majesté de me faire porter de nouveau mon habit uniforme et de me permettre de lire des livres bons et utiles. » Puis, Grumbkow ayant fait la cruelle commission du roi : « Si la reine aussi, dit-il, a détourné de moi sa grâce, je prie le roi de faire que la grâce et l’amour de ma mère me soient rendus. »

Le prisonnier s’était donc donné le plaisir d’une conversation ; il avait trouvé, par la même occasion, le moyen de flatter son père au point le plus sensible, en redemandant cet uniforme que, naguère encore, il appelait mon « suaire. » Il espérait le toucher par la promesse d’une soumission, qui serait allée jusqu’à la renonciation au trône. Il savait enfin que le roi lui reprochait de n’aimer que la reine : prier son père de le réconcilier avec sa mère, c’était une « invention » fort jolie.

Le roi répondit : « D’un si mauvais officier, je ne veux pas dans mon armée, à plus forte raison dans mon régiment. »

Quelles sont les dispositions intimes de Frédéric-Guillaume ? Il est en proie à des pensées sinistres et commet des actes atroces. L’instruction a révélé une petite intrigue amoureuse de Frédéric avec Elisabeth Ritter, fille d’un Cantor de Potsdam. Un soir, en flânant dans les rues avec le lieutenant Ingersleben, le prince a attiré cette jeune fille hors de la maison. Il l’a visitée plusieurs fois, en l’absence de son père ; il a joué des duos de clavier et de flûte avec elle, et lui a donné quelques ducats et une robe bleue. Le roi, dès qu’il apprend cette histoire, envoie chez Elisabeth Ritter une sage-femme et un chirurgien, qui la trouvent innocente. Il n’en signe pas moins les deux ordres suivans : « Sa Royale Majesté ordonne au conseiller de cour Klinte de faire fouetter demain la fille du Cantor, qui est ici en état d’arrestation, et de la faire transporter ensuite dans « la filerie » de la prison de Spandau. Elle sera d’abord fouettée devant la maison de ville, ensuite devant la maison de son père, puis à tous les coins de la ville. » — « Au gouvernement de Spandau. Sa Majesté ordonne, par la présente, au gouverneur de Spandau, que la fille du Cantor de Potsdam, qui va être envoyée à Spandau, y soit reçue dans la filerie pour l’éternité. » Les ministres étrangers qui transmettent à leur cour des nouvelles comme celles-là se demandent s’ils seront crus.

Tout ce qui, de près ou de loin, a touché à Frédéric ou l’a intéressé, éprouve la fureur du roi. Un des interrogatoires de Katte a révélé l’existence de la bibliothèque secrète[4], si chère au prince, qui avait donné des ordres pour qu’elle fût transportée, après sa fuite, en Angleterre. Le roi fait appeler le bibliothécaire, qui était un pauvre diable de marguillier, l’interroge une heure et demie, lui demande entre autres choses s’il y a des livres d’athéisme, et combien le prince le payait par semaine. Quand l’homme lui a répondu « 20 sols, » le roi éprouve un moment de satisfaction : « Ce n’est pourtant pas trop, » dit-il. Il se fait mener ensuite au local qui contenait les armoires à livres, ouvre quelques volumes, puis ordonne d’effacer le F couronné sur la reliure, et d’encaisser le tout. Le chargement fut expédié à Hambourg au résident de Prusse, avec ordre de le vendre « pour le mieux, » sans dire la provenance. Le résident dressa un catalogue, où il inscrivit les livres dans le désordre où ils étaient, et, parmi eux, le catalogue même que Frédéric en avait dressé.

En même temps, l’ancien précepteur Duhan était exilé à Memel ; les serviteurs du prince étaient congédiés ; ses voitures et ses chevaux étaient vendus. Le régiment dont il était colonel depuis trois ans était donné à son frère Guillaume. On eût dit que la succession du prince royal était ouverte.

Tous ceux qui approchaient le roi redoutaient qu’elle ne le fût en effet. Le ministre de Hollande, Ginckel, qui était en grand crédit auprès de lui, l’a observé pendant la crise. Un jour, au commencement de septembre, il est à la parade auprès du roi, qu’il revoyait pour la première fois depuis l’événement. Le roi lui dit d’abord des choses indifférentes, puis, tout à coup, avec la fureur allumée dans les yeux : « Vous savez ce qui se passe, » et, dans un flot de malédictions et de jurons, il nomme les complices du prince, la France, l’Angleterre et Guy Dickens. Il invite Ginckel à revenir le soir pour lui en dire davantage. Les choses que le Hollandais a entendues ce soir-là, à la tabagie, il n’ose pas les redire. Il n’aurait pas cru qu’il fût « possible à un humain de former des desseins aussi exécrables, aussi impies, » que ceux dont il a eu la confidence : « Si le roi de Prusse persiste dans ses sentimens, ce qu’il finit espérer que Dieu ne permettra pas, nous verrons les scènes les plus impies et les plus sanglantes qui se soient passées depuis le commencement du monde. » Cette nuit-là, Ginckel n’a pu dormir, poursuivi par la vision du roi proférant contre toute sa famille les plus épouvantables menaces, le regard en désordre, et la bouche bavant l’écume. Frédéric-Guillaume croyait plus que jamais qu’un grand complot avait été organisé contre sa vie.

Pendant tout le mois de septembre, sa colère monte. Il passe des nuits horribles, tourmenté par des fantômes. Puis il paraît s’adoucir un peu, à mesure que l’instruction prouve, malgré qu’il en ait, l’exagération de ses soupçons ; mais cela même l’exaspère aussi. A la fin d’octobre, dans une séance de la tabagie, il avait accompagné des plus grosses injures le nom de son fils. Ginckel essaya d’intervenir : « Le prince, dit-il, a fait un coup de jeunesse ; il est toujours le fils et le sang de Votre Majesté. » — « Pour le sang, répondit le roi… » Mais il était si furieux qu’il ne pouvait parler ; il montra du doigt son bras, comme pour dire que ce sang, il fallait le tirer.

Frédéric-Guillaume ne croyait avoir rien à se reprocher. « Que Dieu épargne à tous les honnêtes gens, écrivait-il au prince d’Anhalt, les enfans dénaturés ! C’est un grand chagrin. Pourtant, j’ai devant Dieu et devant le monde une conscience pure. Avertissemens, châtimens, bonté, grâce, j’ai tout essayé : rien n’y a fait. » De la grâce et bonté dont il parle, nous ne connaissons d’autres preuves que quelques retours passagers de tendresse, interrompant la grêle des injures et des coups. Dans l’interrogatoire auquel il soumettait sa conscience, il était partial pour lui-même. Il se représentait son labeur, sa peine, sa vie rude, et la comparait à celle de ce liseur de livres et de ce joueur de flûte. Il pensait à son armée, à son trésor amassé écu par écu, et pour qui ? pour ce damoiseau, qui préférait un « roquelaure » à l’uniforme des grenadiers, et s’endettait à payer des livres, de la musique et des filles. L’avenir qu’il préparait à sa Prusse et qu’il regardait de loin, comme Moïse regarda la terre promise, sans espoir d’y entrer ; cet avenir qu’il montrait et prescrivait, tout jeune roi encore, à ses successeurs, il le voyait s’évanouir dans la fainéantise de ce rimeur et de ce philosophe.

Alors devant Dieu, il se croyait justifié de ses rigueurs. Il ne se rend pas compte, dans l’étroitesse de son esprit et le fanatisme de sa volonté d’autocrate, qu’un être peut être fait autrement que lui, et que son fils a le droit de ne pas lui ressembler trait pour trait. Il ne voit pas que, pour commander après lui son armée, employer son trésor, continuer sa Prusse, il faut des qualités qu’il n’a pas. Les qualités de son fils, il commence à les voir en partie, mais elles achèvent de l’irriter, par l’effet d’un sentiment qu’il ne s’avoue point. Il admire que ce « coquin » se défende avec tant d’impudence et d’habileté. Il enrage que cette « canaille, » ce « vaurien » ait, comme il dit, plus d’esprit qu’un autre. Il est jaloux, et sa jalousie renforce sa haine, qu’elle enlaidit. Son successeur est pour lui un « rival redoutable ; » s’il le laisse échapper de ses mains, Dieu sait ce qu’il est capable d’oser, avec ses amis du dedans et du dehors, avec la France et avec l’Angleterre. Au grief des relations occultes avec l’étranger, le roi s’attachait avec acharnement ; il le grossissait, afin de compliquer d’une trahison le projet de fuite du prince.

Les ministres étrangers rapportent que Grumbkow et Seckendorf attisent la colère du roi. Ils vont jusqu’à dire que Grumbkow, ce ministre du roi, qui s’est vendu à l’Autriche, veut se débarrasser du prince, dont il redoute la vengeance, mais ces habiles et pervers personnages n’étaient pas sanguinaires, et n’avaient point l’audace du vrai crime. Ils étaient d’ailleurs assez avisés pour comprendre qu’il n’était point si facile de trouver le moyen de la mort en cette affaire. Ils prévoyaient que Frédéric sortirait vivant du péril, où ils avaient contribué à le conduire. Déjà, ils pensaient au lendemain ; ils allaient jusqu’à se préparer un rôle de conciliateurs et d’instrumens de grâce. Grumbkow se félicitait de n’avoir pas été du voyage où le prince avait été arrêté. Seckendorf prétend même s’employer à calmer le roi et à réfuter, un à un, ses argumens. Deux fois, pendant la crise, il se rend dans ses terres, en homme désintéressé, inoffensif.

Personne n’a conseillé au roi de faire mourir son fils. L’idée lui est venue certainement à l’esprit, et revenue avec obstination. Don Carlos d’Espagne et Alexis de Russie ont passé sans doute dans sa cervelle en désordre, parmi les fantômes nocturnes, mais sa conscience, après tout, valait mieux que celle de Philippe d’Espagne et du tsar Pierre. Puis, il était obligé plus qu’eux de compter avec l’opinion du monde. Il se préoccupait de ce que dirait l’Europe, de ce qu’elle disait déjà. Un de ses griefs contre Frédéric et sa coterie était « qu’on faisait tout le possible pour le représenter au monde comme un tyran. »

Dans toute l’Europe, en effet, il « n’était bruit que des cruautés du roi de Prusse. » Les États-généraux, la Suède, la Saxe, ont écrit en faveur du prince royal des lettres d’intercession. Le roi de Suède supplie Frédéric-Guillaume, placé entre ses devoirs de roi et ses devoirs de père, d’écouter son cœur paternel. « Votre famille, vos peuples, les protestans, toute l’Europe, attendent cette décision de votre naturelle bonté et vous conjurent de la prendre. » De Londres, le résident de Prusse, Degenfeld, mande « que la cour est consternée ; » que « tous les bons protestans de la nation sont troublés et profondément attendris ; chacun attend de la sensibilité de Sa Majesté qu’elle donne libre cours à son cœur paternel… et qu’elle rende sa grâce et faveur au prince, pour la consolation de la religion protestante. »

Le roi, il est vrai, reçoit mal ces démarches. Le ministre de Suède, qui a, depuis la fin d’août, la lettre de son maître, n’a pas osé la remettre aux mains de Frédéric-Guillaume. Il la fait parvenir à son adresse seulement un mois après. Le roi écrit en marge un seul mot : Reponatur, c’est-à-dire, à classer.

Ginckel, plus hardi et mieux en cour, s’est acquitté de la commission des « Hautes-Puissances. » — « Oui, a répondu le roi, je sais bien que tout le monde veut me faire passer pour un brutal, et que le prisonnier a voulu colporter cela dans toute l’Europe. » Il feint donc d’être insensible à toutes ces rumeurs comme à toutes les prières, et fait dire par ses ministres qu’il n’admet pas « que qui que ce soit se mêle de ses affaires domestiques. » Cependant, il est troublé. Il pense à faire une déclaration publique, et prépare un manifeste aux puissances. Enfin, il n’était pas aussi maître qu’il disait, de décider seul en cette affaire domestique. Il n’était pas seulement roi, il était électeur de Brandebourg. Frédéric n’était pas seulement l’héritier de la couronne royale de Prusse : il était l’héritier d’un électorat de l’empire. La cour impériale, il est vrai, ne se pressait pas d’agir. A la fin d’octobre seulement, elle faisait demander au roi s’il lui serait agréable qu’elle s’entremît entre lui et son fils, mais elle ne pouvait pas, et Frédéric-Guillaume le savait bien, se désintéresser du sort « d’un membre si éminent de l’empire. »

Toutes ces considérations extérieures, s’ajoutant aux scrupules de sa conscience, prémunissaient Frédéric-Guillaume contre les résolutions extrêmes. Il ne faut d’ailleurs pas juger de ses intentions vraies par ses propos : les violens se soulagent par des paroles violentes. Je n’oserais pas dire qu’il ne souhaitait pas, par moment, que son fils mourût dans sa prison, mais il était incapable de l’y faire empoisonner ou étrangler. Restait à procéder contre lui par voie de justice. Mais devant quel tribunal ? La qualité de membre de l’empire suivrait l’accusé et compliquerait le procès. Le roi pouvait-il espérer d’ailleurs qu’un tribunal prussien condamnerait à mort le prince royal de Prusse ? Il me semble qu’il a vu, après les premières fureurs, l’impossibilité d’une condamnation capitale et d’une exécution.

L’idée à laquelle il s’est arrêté le plus longtemps, c’est de déposséder son fils de la couronne. Il le traite comme un déshérité. Il a donné le régiment de Frédéric à Guillaume. Il appelle son fils aîné, non plus le Kronprinz, mais « le fils du roi de Prusse, Frédéric, » ou « le prince Frédéric. » Mais alors pourquoi n’a-t-il pas accepté la proposition que Frédéric a faite à la commission, la seconde fois qu’il a été entendu par elle, de renoncer à ses droits ? Pourquoi s’est-il contenté de répondre qu’il ne voulait pas le reprendre comme officier dans son armée ? Sans doute, parce qu’il ne croit pas à la sincérité du prince, et parce qu’il redoute les troubles qui bouleverseraient l’État après sa mort. Il sentait bien que Frédéric n’abdiquerait pas son titre d’héritier sans restriction mentale, et que le cadet, Guillaume, aurait affaire à forte partie. Un pareil acte, d’ailleurs, n’eût été valable qu’après la confirmation solennelle qu’il aurait fallu demander à l’empire. C’était une procédure à suivre, très lente. C’était soumettre, sous les yeux de l’Europe, cette histoire de famille au jugement des princes et de l’empereur. Qui sait ce qui adviendrait ? Les malveillans ne manquaient pas parmi ces princes, et Frédéric-Guillaume voyait bien que c’était lui qui serait jugé.

Au vrai, il n’y avait qu’une solution, la mort, et cette solution était impossible. Que faire donc ? Car il fallait bien faire quelque chose.

Dès le premier jour, Frédéric-Guillaume avait qualifié de désertion l’acte de son fils. Le colonel Frédéric a voulu déserter : il est donc justiciable d’un conseil de guerre. Le roi parle d’un conseil de guerre, quand le prince demande la communion à Cüstrin. Le 21 septembre, il ordonne formellement la mise en jugement du déserteur. Un mois après, il constitue le conseil sous la présidence du lieutenant-général von Schulenbourg, et lui défère en même temps les complices du prince : Keith, qui a réellement déserté ; Katte qui a prémédité la désertion avec commencement d’exécution ; le lieutenant von Spaen, qui a commandé la voiture à Leipzig en décembre 1729 ; le lieutenant von Ingersleben, qui a connu le projet de Frédéric (car il accompagnait Katte dans la visite de nuit faite à Potsdam, la veille du départ du roi) ; en outre, il a favorisé les amours du prince avec la fille du Cantor. Le conseil, composé de trois généraux-majors, de trois colonels, de trois lieutenans-colonels, de trois majors, de trois capitaines, siégera le 25 octobre à Köpenick. Chaque groupe aura une voix, et le président une.

Quel jugement le roi attendait-il du conseil, en ce qui concernait son fils ? Il avait vu peu à peu, au cours de l’instruction, l’accusation s’atténuer et fondre dans ses mains. Elle n’avait découvert ni la promesse écrite donnée par Frédéric d’épouser la princesse Amélie, ni les intrigues avec les ministres des puissances. Les relations avec l’étranger se réduisaient à une demande d’asile en Angleterre, qui avait été repoussée ; le roi lui-même était obligé d’en convenir : « Il est certain, écrit-il au prince d’Anhalt, que l’Angleterre a tout su, mais qu’elle a déconseillé la désertion. » Le prince avait déclaré qu’il voulait se retirer en France, et Katte lui avait conseillé de s’arrêter en Alsace, chez le comte de Rottenbourg, ancien ministre de France à Berlin ; mais, d’une intrigue politique avec la France, d’une complicité de celle-ci, il n’y avait pas trace.

Restait donc la désertion simple, mais l’accusé ne convenait pas de ce crime. Il avait voulu fuir, parce qu’il était maltraité ; il était un fils qui se dérobait aux mauvais traitemens de son père ; il ne sortait pas de là. « Ce petit coquin, disait le roi, est d’une habileté et d’une opiniâtreté invincible à se défendre, supposant toujours à dire qu’il eût voulu déserter. » Le roi finissait par craindre de ne rien trouver dans « ce procès de sorcières. » Il allait jusqu’à traiter parfois l’affaire « d’escapade, » puis, le moment d’après, ne jurait que « par potences et par roues. » Il ne pouvait se résigner à laisser dire que toute sa rigueur s’acharnait sur un « tour de jeunesse. » Il promettait à Degenfeld de faire la preuve qu’il s’agissait d’une chose projetée depuis un an et jour, et bien et dûment préméditée. » Il surveillait la rédaction de l’extrait des actes de l’instruction, préparée par l’auditeur général Mylius, et qu’il avait dessein de publier (qu’il ne publiera pas d’ailleurs). Le jour où il nomme le conseil de guerre, il se fait lire cette pièce. Il ordonne d’effacer le titre d’altesse partout où il est donné au prince. Il se plaint de la rédaction et commande « sérieusement » à Mylius de faire ressortir plus fortement que « Sa Majesté n’a pas sans cause fait ce qu’elle a fait… autrement, pour dix qui donneraient raison au roi, il y en aurait dix qui donneraient raison au prince. » Il veut que ce document soit, non pas un simple extrait, mais un manifeste très détaillé, « afin que les gens ne croient pas que le roi a refusé du pain à son fils, et que le prince a été contraint par la nécessité à faire ce qu’il a fait, tandis que le roi a eu ses motifs pour ne rien laisser à la disposition du prince au-delà de ses besoins. » Si je ne me trompe, il trahit par ces paroles une sorte d’inquiétude d’être condamné par le public ; il était presque résigné à se contenter de prouver qu’il avait eu de bonnes raisons d’être sévère.

Ceux qui observent de près Frédéric-Guillaume dans ces dernières journées, pensent qu’il en est arrivé à ne plus savoir ce qu’il veut. Il me paraît bien qu’il ne pensait plus ni à une condamnation capitale, ni même à la renonciation de Frédéric à la couronne paternelle.


III

Pendant deux jours, les 25 et 26 octobre, le conseil de guerre entendit la lecture des actes de l’instruction. Le 27, les capitaines, les majors, les lieutenans-colonels, les colonels, les généraux-majors délibérèrent séparément leur vote.

En ce qui concerne Keith, les juges sont unanimes. Keith a quitté honteusement son drapeau et déserté : il sera donc cité trois fois par l’appel du tambour. S’il ne comparaît pas, son épée sera brisée et son effigie pendue au gibet.

En ce qui concerne Ingersleben et Spaen, ils ne s’accordent pas sur le degré de la peine, mais concluent à une peine légère.

En ce qui concerne le lieutenant Katte, les capitaines, attendu que la première proposition de fuite a été faite au dit lieutenant par son altesse, mais que le prince ne serait pas allé aussi loin dans son projet si Katte ne l’y avait confirmé, s’il ne lui avait fait différentes propositions, procuré la route de poste, offert de s’habiller en postillon, afin de pouvoir s’enfuir avec lui, et commandé enfin un habit gris à galons d’argent ; attendu que Katte a reconnu lui-même qu’il aurait suivi le prince, si celui-ci était sorti du pays ; qu’au lieu de révéler le dessein au colonel Rochow, comme c’était son devoir, il a trompé par ses assurances ledit colonel ; mais, considérant qu’il en est resté aux mauvais projets et propos, qu’il ne peut donc être puni de la peine établie pour l’acte accompli, et qu’enfin il n’est pas à présumer que les projets concertés entre lui et le prince aient pu jamais venir à exécution, — conformément aux devoirs de leur solennel serment, condamnent Katte à l’arrêt de forteresse pour le temps de sa vie.

Les majors articulent et numérotent les chefs d’accusation et n’omettent aucun détail, ni l’argent négocié pour « l’échapade, » ni la bourse, pleine de louis d’or, préparée pour la désertion, — — car ils prononcent ce mot évité par les capitaines, — ni le dépôt chez l’accusé des pretiosa et des lettres du prince. Ils relèvent les griefs omis par les capitaines, à savoir : les relations avec les ministres étrangers et l’intrigue avec Guy Dickens. Ils reprochent surtout à l’accusé d’avoir invoqué pour sa défense le mauvais traitement que le prince royal recevait de son père ; car il n’appartient pas à un officier et à un vassal de s’immiscer dans les affaires entre père et fils, entre roi et successeur. En conséquence, ils déclarent que, bien que la désertion n’ait pas été effectuée, il résulte clairement des points énumérés que Katte mérite d’être porté de vie à trépas par l’épée.

Les lieutenans-colonels, attendu que cet homme, — dieser Mensch, — aurait dû tout faire pour détourner le prince royal des projets irréfléchis conçus par ce jeune seigneur ; attendu que, si l’acte avait été accompli, il eût été la cause du plus grand trouble pour sa majesté, et que d’autres mauvaises suites en auraient pu être la conséquence, concluent que Katte doit perdre la vie par l’épée, pour servir d’exemple ; mais, considérant l’inexécution du méchant dessein, et la déclaration faite par le prince royal que, si la peine de mort est appliquée à l’accusé, son altesse n’aura, de toute sa vie, la conscience tranquille, ils prient sa majesté de vouloir bien, dans sa grâce, atténuer la peine.

Les colonels opinent aussi pour la mort, mais prient sa majesté de vouloir bien réfléchir, dans sa grâce et miséricorde, que cette entreprise, si bien méditée, n’a pourtant sorti aucun effet ; qu’il y a, dans tout cela, beaucoup de jeunesse et que l’accusé témoigne un très grand et cordial repentir. Ils prient donc sa majesté de bien vouloir commuer la peine de mort en celle de l’arrêt de forteresse à perpétuité. — Les généraux, après avoir, par deux fois, rappelé que Katte, à son témoignage et à celui du prince royal, a entravé par des difficultés la fuite projetée, concluent, après avoir mûrement réfléchi et pesé les choses, que Katte a mérité la peine de l’arrêt de forteresse à perpétuité. En ce qui concerne le prince, les capitaines déclarent, d’abord, qu’alors même qu’ils seraient en état de le juger comme officier, ils ne pourraient regarder comme une vraie absence, — Absentirung, — un projet de fuite non réalisé : le prince leur paraît assez puni par la destitution de sa charge de colonel et par le rigoureux arrêt à Cüstrin. Puis, considérant que le chef principal d’accusation est la désobéissance à la volonté paternelle, ils se récusent. Comme ce sont choses qui se sont passées entre père et fils, comme le prince royal s’est humilié devant sa majesté et soumis en toute chose à sa volonté ; comme il ne demande rien que sa grâce et promet de faire tout ce que sa majesté exige et commande, ils ne peuvent, en leur qualité de vassaux et sujets, prononcer sur le fils et la famille de leur roi.

Les majors, après avoir chargé Katte, sans la complaisance et complicité duquel le dessein serait resté matière à discours, font pour le prince la distinction dont ils ont refusé le bénéfice à Katte, entre l’intention et l’acte ; ils concluent aussi que l’affaire est entre père et fils ; ils rappellent la soumission et les promesses du prince et se déclarent incompétens ; c’est à la puissance paternelle et à l’autorité royale de punir ; un jugement de justice usurperait sur cette puissance et autorité ; aucun officier, vassal et sujet, n’a qualité pour juger sur le fils de son roi, et un tel jugement ne serait pas valable.

Les lieutenans-colonels énumèrent longuement les griefs contre le prince, mais l’en déchargent en partie sur les très méchans hommes qui l’ont conseillé ; ils rappellent son repentir, ses promesses, la rigueur de son arrêt, et, attendu qu’ils ne trouvent ni lois, ni édits, ni coutumes applicables à la circonstance, déclarent ne pouvoir faire autre chose, sur leur serment, devoir et conscience, que de remettre le prince à la très haute et paternelle grâce de sa majesté.

Les colonels, après avoir protesté qu’ils ont pesé une chose si délicate, conformément au solennel serment qu’ils ont prêté à sa majesté et à toute sa maison, se croient obligés, en leur science et conscience, comme fidèles et dévoués vassaux, comme juges responsables non-seulement devant le monde, mais devant le sévère tribunal de Dieu, à représenter en toute obéissance, soumission et humilité, qu’ils se sentent beaucoup trop faibles et petits pour juger sur la personne de l’altesse royale du prince royal. Ils considèrent que la retraite, — Retirade, — projetée est une affaire d’État et de famille, entre un grand roi et son fils ; que c’est un acte relevant de la puissance paternelle, où aucun conseil de guerre ou juge laïque ne doit avoir l’audace de s’immiscer. Ils terminent sur le repentir, la soumission, les promesses du prince, qui s’est jeté aux pieds de sa majesté, son grand et juste roi, qui est aussi le plus gracieux et le plus hautement doux des rois.

Les généraux, après mûr examen des actes, ont trouvé, non-seulement d’eux-mêmes, mais par les aveux et soumission de son altesse, que le prince a offensé sa majesté ; mais ils y voient aussi qu’il implore en toute humilité la grâce du roi son père. En leur qualité d’officiers et de fidèles et obéissans vassaux, en vertu de leur devoir inné, du serment qu’ils ont prêté au roi et à toute sa maison royale et qu’ils tiendront jusque dans la mort, ils concluent, dans leur petit entendement et après consciencieux examen, qu’un officier et vassal manquerait à l’obligation de ses devoirs, s’il se croyait autorisé à prononcer en pareille affaire une sentence légale.

Restait le votum du président. En rapprochant les vota, le général trouva, en ce qui concernait Keith, l’unanimité pour la peine de mort ; en ce qui concernait le prince, l’unanimité pour l’incompétence du conseil ; en ce qui concernait Ingersleben, une voix pour l’arrêt de deux mois en sus de la peine déjà subie ; une, pour l’arrêt de six mois avec déduction du temps de prison préventive ; deux, pour l’arrêt de six mois pleins ; une, pour l’arrêt de trois mois ; en ce qui concernait Spaen, l’unanimité pour la cassation ; trois voix pour l’arrêt de deux ans ; une, pour l’arrêt de six ans ; une, pour l’arrêt indéfini ; une pour l’arrêt de trois ans ; en ce qui concernait Katte, deux voix pour l’arrêt perpétuel ; trois, pour la mort.

Le général-président conclut à la peine de mort pour Keith et à l’incompétence en ce qui concernait le prince ; pour Ingersleben, il joignit sa voix à celle qui proposait l’arrêt de six mois, avec déduction de la peine subie ; pour Spaen, il vota la cassation et l’arrêt de trois ans.

La vie de Katte était dans ses mains : il la sauvait, s’il votait pour l’arrêt à perpétuité. Cette partie de son votum est aussi étendue que les autres articles réunis. Il y expose que, si Katte a donné de mauvais conseils au prince et lui a promis à plusieurs reprises son aide pour la fuite, il n’en est pas venu à l’effet ; qu’il n’y a eu ni lieu ni jour fixé, et qu’ainsi a manqué la condition d’une exécution du projet certaine et infaillible. Attendu qu’en son bon sens il ne peut s’empêcher de penser que, même pour les plus grands crimes, il y a une différence entre la perpétration et la préparation, selon sa science et conscience, et le solennel serment de juge qu’il a prêté, il ne peut se résoudre à conclure à la peine de mort et se rallie à celle de la prison perpétuelle.

En conséquence fut rendu le jugement par lequel le conseil de guerre remettait le prince royal à la très haute et paternelle grâce de sa majesté ; condamnait Katte à l’éternel arrêt de forteresse ; Keith a l’exécution en effigie, après les citations coutumières ; Spaen à la cassation de sa charge et à trois ans de forteresse ; Ingersleben à six mois de forteresse, avec déduction de l’arrêt déjà subi.

Ce jugement a été rendu par de braves gens, et qui étaient habiles. Sur eux pesait la terreur répandue dans la cour et dans l’armée, l’obscure volonté du roi, le sentiment qu’en jugeant le fils et ses complices, ils jugeaient aussi le père, c’est-à-dire leur maître, et cela devant le royaume, devant l’Allemagne, devant l’Europe. Absoudre le fils, c’était condamner le père ; mais condamner le fils, quelle injustice ! Il est trop clair que le prince a eu des raisons de fuir. L’accusé que les juges avaient devant eux, ce n’était pas un colonel Frédéric coupable d’une tentative de désertion, c’était un fils battu, outragé, déshonoré par son père. Ce fils est un prince, un prince royal, le Kronprinz de Prusse. Distinguer entre les deux qualités de Kronprinz et de colonel était impossible. La première, qui contenait la seconde, dominait et dépassait le conseil de guerre.

De nos jours, dans les monarchies limitées et discutées, la personne des princes demeure privilégiée ; même dans notre république, les héritiers des droits à une couronne brisée, dont les diamants ont été criés aux enchères, sont mis hors du droit commun, et soumis, comme êtres exceptionnels, à des lois d’exception. Il y a, pour eux, quand ils tombent sous le coup de ces lois, un régime particulier de prison, et un logis dans une tour du vieux palais de saint Louis. Comment des Prussiens, il y a un siècle et demi, sujets d’une royauté naissante, qui était la raison d’être de la patrie, ou plutôt toute la patrie, ne se seraient-ils pas sentis trop petits, trop « faibles, » trop « impuissans, » comme disent les juges de Köpenick, pour juger l’héritier de la couronne ? Il fallait donc que le conseil renvoyât le fils à son père : ce qu’il a fait, mais avec toute sorte de précautions.

Les juges ont pesé leurs mots, un à un. Ils accordent, sans chicaner un détail, le grief de préméditation de la fuite avec actes préparatoires, mais ils cherchent et trouvent, pour désigner l’acte incriminé, des mots qui le diminuent, l’atténuent, le font évanouir : Retirade, Echapade, Absentirung. Ils relèvent entre tous le grief de désobéissance au père et roi, pour le renvoyer au père et roi, comme au seul juge compétent. De ce jugement même, ils préjugent adroitement, délicatement, forçant la grâce par l’étalage de la soumission et du repentir du coupable. Dans le libellé du jugement, ils rendent au prince ses honneurs, le titre d’altesse, que le roi a biffé, la qualité de Kronprinz, dont il l’a dépouillé. Ils font entendre au roi que leur devoir inné de fidélité s’adresse non-seulement à sa personne, mais à toute sa maison. Ils s’excusent, en sous-entendus, de ne point faire ce qu’ils supposent sa volonté, sur leur dévoûment même, leur respect profond, leur religieuse fidélité, et ils se retirent, après un salut d’officiers au roi chef de guerre, après un agenouillement de vassaux devant le roi suzerain.

Quant au principal complice, Katte, tout le monde, à l’avance, le croyait perdu. Il ne pourra, écrivait le ministre de France, « se dispenser de perdre la tête. » Sans nul doute, cette opinion a pesé sur les juges, et peut-être ont-ils voulu, sans se l’avouer, faire en quelque point la volonté du roi. D’ailleurs, Katte était très coupable. Il est bien, lui, un officier qui a voulu déserter. Par obéissance au maître futur, il s’est mis en révolte contre le maître présent. Il est certain qu’il a « fortifié » le prince dans son dessein, qu’un refus de concours eût fait abandonner ; certain, que son ambition trouvait son compte dans son dévoûment chevaleresque au prince. En stricte justice, il est passible de la peine de mort ; mais la stricte justice, quelle injustice ! Les circonstances atténuantes abondent au procès : celle-ci d’abord, que le prince, le principal accusé après tout, est renvoyé indemne ; cette autre, que l’exécution n’a pas suivi l’intention, enfin le « beaucoup de jeunesse » qu’il y avait dans tout cela.

Le lieutenant-général Schulenbourg, qui est honnête homme, très religieux, et qui, à, soixante-dix ans, ne redoute plus rien des hommes et n’espère plus rien d’eux, a mis dans l’urne le suffrage de Minerve. Grâce à lui, les juges de Köpenick ont bien jugé.


IV

Au reçu du jugement, le roi écrivit ce billet, où il y a deux mots illisibles :

Votum Regiis (sic). « Ils doivent juger selon le droit, et, non pas épousseter avec un plumeau, et comme Katte a bien,.. le conseil de guerre devra se réunir de nouveau, et… juger autrement… »

Quelques jours après, il commentait cet ordre en accusant les juges d’intentions viles : « Je croyais avoir choisi des gens d’honneur, qui n’oublieraient pas leur devoir, qui n’adoreraient pas le soleil levant, et ne consulteraient que leur conscience et l’honneur de leur roi. » Il appelait le jugement « une infidélité commise envers lui, » et dont la cause était que ces gens-là « regardaient déjà vers l’avenir. » Ces gens-là, il les connaissait mieux à présent, et il se promettait de ne pas manquer l’occasion « d’anéantir ceux qui tenaient pour ses enfans contre lui. » Enfin il se sentait condamne par cette indulgence : « Ils ont voulu faire passer le projet du prince et de ses courtisans pour un jeu d’enfant qui ne méritait pas une telle punition. »

Le billet du roi fut envoyé au général président, qui écrivit au dos : « 5. livre Moïse, chap. XVIII ; v. 8 à 12. — 2. livre de Samuel, chap. XVIII, v. 10 à 12 ; — 2. livre Chron., XIX, v. 5, 6, 7. »

Or l’Écriture dit, au passage cité du livre de Samuel :

« 10. Et un homme ayant vu cela, le rapporta à Joab et lui dit : Voici, j’ai vu Absalon pendu à un chêne. 11. Et Joab répondit à celui qui lui disait ces nouvelles : Quoi ! tu l’as vu ? Et pourquoi ne l’as-tu pas tué en le jetant par terre ? Et c’eût été à moi de te donner dix pièces d’argent et un baudrier. 12. Mais cet homme-là dit à Joab : Quand je compterais dans ma main mille pièces d’argent, je ne mettrais pas ma main sur le fils du roi, car nous avons entendu que le roi t’a fait ce commandement, et à Abiscaï et à ltiaï, en disant : Prenez garde chacun au jeune homme Absalon. »

L’Écriture dit, au passage cité des Chroniques :

« 5. Et il établit des juges dans le pays, par toutes les villes fortes de Juda, de ville en ville. 6. Et il dit aux juges : Regardez à ce que vous ferez, car vous n’exercez pas la justice de la part d’un homme, mais vous l’exercez de la part de l’Éternel, lequel est au milieu de vous en jugement. 7. Maintenant donc, que la crainte de l’Éternel soit sur vous ; prenez garde à faire votre devoir, car il n’y a pas d’iniquité dans l’Éternel notre Dieu, ni d’acception de personne, ni de réception de présens. »

A l’endroit cité du Deutéronome, l’Écriture dit :

« 8. Pendant six jours tu mangeras du pain sans levain, et, au septième jour, qui est l’assemblée solennelle à l’Éternel ton Dieu, tu ne feras aucune œuvre. 9. Tu te compteras sept semaines : tu commenceras à compter ces sept semaines depuis que tu auras commencé à mettre la faucille dans la moisson. Puis tu feras la fête solennelle des semaines à l’honneur de l’Éternel ton Dieu, en présentant l’offrande volontaire de ta main, que tu donneras selon que l’Éternel ton Dieu t’aura béni. « 10. Et tu te réjouiras en la présence de ton Dieu, toi, ton fils, ta fille, ton serviteur, ta servante et le lévite qui est dans tes portes, l’étranger, l’orphelin et la veuve qui sont parmi toi, au lieu que l’Éternel ton Dieu aura choisi pour y faire habiter son nom. »

Ainsi l’Écriture défendait, au livre de Samuel, de « porter la main sur le fils du roi ; » elle ordonnait, dans les Chroniques, de ne pas juger « de la part d’un homme. » Elle voulait que celui qui avait mis la faucille dans la moisson, en enfermant son fils dans le cachot de Cüstrin sept semaines auparavant, célébrât la fête des semaines en l’honneur de l’Éternel et se réjouit, en la présence de Dieu, avec son fils et sa fille. Les juges, qui avaient pensé ainsi leur jugement en Dieu et en l’Écriture, ne pouvaient le modifier sur un billet du roi. Le conseil de guerre se réunit une seconde fois, le 31 octobre, et se rallia au suffrage qu’exprima son président en ces termes : a Après avoir encore une fois mûrement pesé et bien réfléchi si la sentence prononcée peut demeurer entière, je me trouve convaincu, dans ma conscience, que ce que j’ai voté selon ma meilleure science et conscience, et selon le solennel jugement déjuge que j’ai prêté, doit demeurer. Le changer serait contre ma conscience, et n’est pas en mon pouvoir. »

Alors, le roi jugea à son tour. Il se déclara satisfait du jugement en ce qui concernait les lieutenans Spnen et Ingersleben ; il pardonna même tout à fait au dernier, en considération du long arrêt qu’il avait subi. « En ce qui concerne le lieutenant Katte et son crime, et la sentence portée par le conseil de guerre, Sa Majesté, il est vrai, n’est pas habituée à aggraver les arrêts des conseils de guerre ; bien plutôt les adoucit-elle d’ordinaire ; mais ce Katte n’est pas seulement un officier au service dans mon armée, il est des gendarmes de la garde. Et si, dans toute l’armée, tous mes officiers doivent m’être fidèles, à plus forte raison doit-il en être ainsi des officiers de régimens comme ceux-là, qui ont ce privilège d’être attachés immédiatement à la très haute personne de Sa Majesté Royale et à sa royale maison… Comme donc ce Katte a comploté une désertion avec le soleil de demain et qu’il a intrigué avec des ministres et envoyés étrangers,.. Sa Majesté ne sait pas quelles mauvaises raisons ont empêché le conseil de guerre de le condamner à mort. De cette façon, Sa Majesté ne pourra plus se fier à aucun officier ni serviteur qui sont aujourd’hui en serment et devoir ; car les choses qui sont arrivées une fois dans le monde peuvent arriver souvent encore, et ceux qui feraient la même chose, prenant prétexte de ce qui s’est passé pour Katte, qui se serait tiré d’affaire si facilement et si bien, croiraient qu’il en adviendrait de même pour eux. Sa Royale Majesté, qui est allée aussi à l’école pendant sa jeunesse, y a appris le dicton latin : Fiat justifia et pereat mundus ! Elle veut donc, de par le droit, que Katte, quoiqu’il ait mérité, conformément aux lois, à cause du crime commis de lèse-majesté, d’être tenaillé avec des pinces ardentes et pendu, soit porté de vie à trépas, en considération de sa famille, par l’épée. En annonçant la sentence à Katte, le conseil lui dira que cela fait de la peine à Sa Majesté, mais qu’il vaut mieux qu’il meure et que la justice ne s’en aille pas du monde ! »

Ordre terrible, puisqu’il a donné la mort, terrible par ce ton si sérieux, si familier et si solennel. Mais ce juge aussi doit être jugé à son tour. En droit, il a raison, mais ne devait-il pas rentrer en lui-même, s’avouer qu’il avait été coupable envers le prince, et considérer que celui-ci avait été l’instigateur du crime de Katte ? En équité, devant Dieu, il devait une réparation de ses torts envers son fils, et des torts de son fils envers Katte, et cette réparation, c’eût été la clémence ; mais, justement, ce qui était la vraie circonstance atténuante en faveur de Katte, à savoir que l’initiative venait du prince, aggravait le crime aux yeux du roi.

Ce n’est plus le juge impartial qui parle de complot tramé avec le soleil de demain, c’est Frédéric-Guillaume, avec ses passions, son inquiétude et sa jalousie. Il se représente ce qui se passera au lever de ce soleil : les portes de la forteresse s’ouvriront pour Katte, et le roi Frédéric, deuxième du nom, et Katte, son favori, se moqueront de lui quand il sera couché dans la tombe. En attendant, le monde croira que « ce projet du prince et de ses courtisans n’était qu’un jeu d’enfant. » Si le procès se termine sur le jugement du conseil de guerre, c’est le roi qui l’a perdu. Les raisons de discipline publique et d’honneur militaire qu’il donne dans ses considérans sont graves et justes ; il les dit sincèrement, mais il se trompe s’il croit qu’il n’en a pas d’autres, plus secrètes, de celles qui agitent les bas-fonds des consciences et les déterminent. Il voulait à la fois se venger et se justifier : pour cela il fallait, non pas le plumeau, mais le glaive. Il avait encore une autre intention terrible, que nous allons découvrir.


V

Le 2 novembre, Katte fut amené devant le conseil de guerre. Tenu au secret rigoureux, surveillé comme une proie, il avait hésité, pendant ces longues semaines, entre la crainte et l’espoir.

Lorsque les juges lui lurent leur jugement et celui du roi, il fit bonne contenance : — « Je me résigne, dit-il, à la volonté de la Providence et du roi. Je n’ai commis aucune mauvaise action, et, si je meurs, c’est pour une bonne cause ! » — Il essaya pourtant de défendre sa vie. Il écrivit à son grand-père, le feld-maréchal d’Alvensleben, pour le prier d’intercéder auprès du roi. Du crédit de son père, il n’espérait plus rien. Le général Katte, en effet, avait adressé au roi, après l’arrestation de son fils, une lettre suppliante, mais n’avait obtenu d’autre réponse que celle-ci : — « Son fils est une canaille ; le mien aussi ; nous n’y pouvons rien ni l’un ni l’autre. » — Le vieux feld-maréchal serait peut-être plus heureux. Katte le pria de faire parvenir au roi une supplique toute brûlante de la passion de vivre : — « L’erreur de ma jeunesse, ma faiblesse, mon étourderie, mon esprit qui ne songeait pas à mal, mon cœur rempli d’amour et de pitié, la vaine illusion de ma jeunesse qui ne cachait pas de mauvais desseins, demandent en toute humilité grâce, miséricorde, compassion, pitié, clémence. » — Il se recommandait de Dieu, roi et maître des maîtres, qui fait passer la miséricorde avant le droit et ramène par sa bonté l’égaré dans le droit chemin. Il citait les exemples d’illustres repentis : — « Saül, disait-il, n’a pas tant désobéi, David n’a pas eu tant soif du mal qu’ils ont eu ensuite de sincérité dans leur conversion. »

La lettre est touchante, même dans son style maniéré : « On épargne un arbre desséché quand il reste l’espoir de le voir reprendre. Pourquoi mon arbre, qui montre déjà de nouveaux bourgeons de nouvelle soumission et fidélité, ne trouverait-il pas grâce devant Votre Majesté ? Pourquoi doit-il tomber encore dans sa fleur ? »

En transmettant au roi cet appel désespéré, Alvensleben y joignit ses supplications. Il espérait que son très gracieux seigneur « écouterait les prières et les larmes d’un très vieil homme. » Toutes les peines, il les acceptait pour son petit-fils. Il demandait seulement « la vie de l’infortuné pour qu’il pût bien connaître sa faute, s’en repentir au fond du cœur et ainsi sauver son âme. » — « Le Dieu tout-puissant rendra avec abondance, disait-il, à Votre Royale Majesté ce qu’elle aura, dans sa grâce très haute, accordé à un vieillard consterné. « Il rappelait le sacrifice de sa vie si souvent offert à l’empire, la fidélité avec laquelle il avait servi sa royale majesté et les périls que le père de l’infortuné avait courus si souvent au service de ladite majesté et de sa maison royale : — « Je garde en toute soumission la confiance que Votre Royale Majesté, puisque cette poignée de sang ne peut plus la servir, daignera nous la rendre sur notre prière et nos larmes, et ne voudra pas que je porte ma tête grise dans la tombe avec un pareil chagrin. »

Le roi répondit qu’il était peiné dans son cœur du malheur qui frappait le lieutenant Katte, puisque celui-ci tenait de si près au feld-maréchal. Mais il rappelait les considérans de la condamnation prononcée par lui : — « Je ne suis pas en état de pardonner, » concluait-il. — Il défendait toute intercession nouvelle : — « De cette affaire personne ne peut se mêler, si je ne lui en ai donné l’ordre. » — Toute la grâce qu’il pouvait faire, il l’avait faite déjà : — « Cet homme aurait bien mérité d’être déchiré par les tenailles rougies. Cependant, en considération de M. le général feld-maréchal et de M. le lieutenant-général Katte, j’ai adouci la peine en ordonnant que, pour l’exemple et l’avertissement des autres, il ait la tête coupée. Je suis votre bien affectionné roi. »

Le 3 novembre, Frédéric-Guillaume informait le général Lepell que Katte allait être mené à Cüstrin pour y être justicié. L’exécution serait faite sous les fenêtres du prince — « S’il ne se trouve pas là une place suffisante, vous en choisirez une autre de façon que le prince puisse bien voir. » — Le même jour, le major Schack, du régiment des gendarmes, se présentait avec une escorte de trente gendarmes devant la prison ; il entrait dans la chambre de Katte : — « J’ai l’ordre de Sa Majesté, lui dit-il, d’être présent à votre exécution. Deux fois, j’ai voulu refuser, mais il me faut obéir. Dieu sait ce qu’il m’en coûte ! Fasse le ciel que le cœur du roi change et qu’au dernier moment j’aie la joie de vous annoncer votre grâce ! » — « Vous êtes trop bon, répondit Katte. Je suis content de mon sort. Je meurs pour un seigneur que j’aime, et j’ai la consolation de lui donner par ma mort la plus grande preuve de dévoûment. »

Dans la voiture qui l’emporta, prirent place le commandant Schack, un sous-officier et le révérend Millier, aumônier du régiment des gendarmes. Dès que le cortège fut sorti de la ville, le pasteur entonna des cantiques, parmi lesquels celui-ci : — « Loin de mon cœur les pensées ! » — Arrivé à l’endroit où l’on devait passer la nuit, Katte exprima le désir d’écrire à son père ; on la laissa seul, mais lorsque le major rentra, il le trouva allant et venant : — « C’est trop difficile, dit-il. Je suis si troublé que je ne trouve pas le commencement. » — Il écrivit pourtant et une belle lettre sincère.

Il allait enfin au fond de lui-même. Il rappelait la peine que son père s’était donnée pour son éducation, dans l’espoir que sa vieillesse serait consolée par les succès de son fils. Lui-même, il avait cru s’élever dans le monde. — « Comme je croyais à mon bonheur, à ma fortune ; comme j’étais rempli de la certitude de ma grandeur ! Vain espoir ! quel néant que les pensées des hommes ! Comme elle finit tristement, la scène de ma vie ! Comme mon état présent est différent de celui que je portais dans mon esprit ! Je dois, au lieu du chemin de l’honneur et de la gloire, prendre celui de la honte et de la mort infâme ! » — Mais ce chemin, c’était Dieu qui l’avait choisi pour lui : les chemins de Dieu ne sont pas ceux de la foule et les chemins des hommes ne sont pas ceux de Dieu ! « La maudite ambition qui se glisse dans le cœur dès l’enfance » l’aurait perdu en l’éloignant de Dieu à tout jamais. — « Comprenez bien, mon père, et croyez bien que c’est Dieu qui dispose de moi, Dieu sans la volonté duquel rien n’arrive, pas même la chute d’un moineau sur la terre ! .. Plus le genre de mort est amer et rude, plus agréable et plus douce, l’espérance du salut ! Qu’est-ce que la honte et le déshonneur de cette mort en comparaison de la splendeur future ? Consolez-vous, mon père ! Dieu vous a donné d’autres fils auxquels il accordera peut-être plus de bonheur sur cette terre et qui vous donneront, mon père, la joie que vous avez espérée vainement de moi, ce que je vous souhaite du fond de mon âme ! Je vous remercie avec un filial respect du fidèle amour paternel que vous m’avez témoigné depuis mon enfance jusqu’à ce jour. Que Dieu le tout-puissant vous rende au centuple cet amour que vous m’avez donné ! Qu’il vous garde jusque dans une longue vieillesse ! Qu’il vous nourrisse en bonheur, qu’il vous abreuve de la grâce de son esprit ! »

Il ajouta quelques mots pour la femme de son père, qu’il avait aimée comme si elle était sa mère, et pour ses frères et ses sœurs, s’excusant de ne point leur exprimer tout son cœur : « Je suis aux portes de la mort ! Je dois penser à y entrer avec une âme purifiée et sanctifiée. Je n’ai pas de temps à perdre ! « Il voulait pourtant recopier sa lettre, qu’il avait écrite sur une feuille volante, mais le pasteur lui dit que son temps était trop précieux. Il soupa et reprit avec le pasteur l’entretien spirituel. Sa piété s’y exaltant, il se faisait croire qu’il allait à l’échafaud avec joie et que, s’il lui était permis de choisir entre la vie et la mort, il prendrait la mort, car jamais il ne se retrouverait aussi bien préparé qu’il l’était alors. A dix heures, il se mit au lit et dormit d’un ferme sommeil.

Le lendemain, pendant la route, il se défendit d’avoir jamais été un athée. A la vérité, il avait quelquefois soutenu la thèse de l’athéisme, mais pour faire briller son esprit, parce qu’il avait remarqué que, dans les vives causeries de société, cela paraissait charmant. On logea encore en route, car ce voyage vers la mort, qui aurait pu s’achever en un jour, se faisait, par ordre, avec une lenteur désespérante. Le soir, Katte fut tranquille, et but avec plaisir son café, qui était sa nourriture favorite.

Le 5 novembre, vers midi, on était en vue de Cüstrin. Comme l’escorte arrivait au pont de l’Oder, la pluie, qui n’avait pas cessé de tomber, s’arrêta ; un rayon de soleil parut : « Voilà un bon signe, dit-il ; ici commence à luire pour moi le soleil de la grâce. » Voulait-il parler seulement de la grâce divine ? Mais déjà le colonel Reichmann est là, pour recevoir livraison du prisonnier, à la porte de la forteresse. Il le prend par la main et le mène dans une chambre, au-dessus de la porte d’entrée ; deux lits y avaient été préparés, l’un pour Katte, l’autre pour le pasteur. Schack apprit alors du colonel que l’exécution était pour le lendemain à sept heures. Aussitôt, il se rendit auprès de Katte, et lui dit avec un tremblement de cœur : « Votre fin est plus proche peut-être que vous ne le croyez. » Sans trembler, Katte répliqua : « Quand ? » Et, sur la réponse du major : « Tant mieux ; plus vite ce sera, plus je serai content. »

Des âmes charitables s’employèrent à rendre plus douce cette dernière journée. Le général Lepell envoya un repas avec de la bière et du vin. Le président de la chambre des domaines, Münchow, en envoya un second, avec du vin de Hongrie. Katte fit honneur aux deux repas. Le révérend Müller manda auprès de lui son collègue, l’aumônier de la garnison de Cüstrin, dont il réclama l’assistance. L’entretien pieux recommença. La nuit était venue ; à huit heures, Schack et d’autres officiers entrèrent dans la chambre, et ils prièrent et chantèrent avec les pasteurs et avec Katte. Une heure après, sur l’invitation des deux prêtres, qui voulaient rester seuls avec le condamné, ils se retirèrent.

C’est peut-être dans cette dernière soirée que Katte écrivit quelques lignes pour le prince. Il lui disait qu’il sortirait du monde sans rejeter sur lui la cause de sa mort ; que Dieu l’avait mené par un rude chemin, pour le réveiller et l’exciter au vrai repentir ; que la vraie cause de son malheur était son ambition et le mépris de Dieu. Il priait le prince de ne point concevoir de colère contre le roi, puisque sa mort était un acte de la seule justice de Dieu ; de se soumettre à la majesté royale de son père, qui était son seigneur et roi. Il l’adjurait, par les blessures du Christ, d’être obéissant envers cette majesté, et de se souvenir des promesses divines du quatrième commandement. Il espérait que son malheur apprendrait au prince le néant des desseins que Dieu n’a pas consentis, car le prince voulait combler Katte de bienfaits et de grandeur, et voilà où avaient mené ces beaux projets ! Que le prince rentre donc en lui-même et donne son cœur à Dieu.

Parmi ces conseils et ces exhortations à la piété envers le roi et envers Dieu, Katte glissait sa justification personnelle : il prenait le prince à témoin qu’il l’avait une fois adjuré de se soumettre à la majesté de son père, en lui citant l’exemple d’Absalon, et qu’il lui avait fait de vives représentations dans le camp de Saxe, et lors de la visite nocturne à Potsdam. Pourquoi ces lignes pour sa défense, qui sous-entendent des reproches à l’adresse du prince ? Il me semble que, sans se l’avouer, le malheureux avait gardé quelque espoir. Un contre-ordre arriverait peut-être. Peut-être ce testament passerait-il sous les yeux du roi, et le roi serait-il touché, en rencontrant, dans ces effusions de piété, cette protestation discrète.

Les heures passaient. A onze heures, Schack, qui ne pouvait dormir, rentra dans la chambre. Plus troublé que Katte, il avait besoin de se réconforter à son courage. Jusqu’à une heure, il pria et chanta avec lui. Il crut voir alors à la couleur du visage du prisonnier que la chair et le sang livraient bataille à la volonté. Sur la prière du pasteur, Katte consentit à se mettre au lit vers trois heures, s’endormit et fut réveillé deux heures après, en entendant relever les sentinelles. A la même heure, le colonel Reichmann et un capitaine entraient dans la chambre du prince et l’éveillaient. Frédéric ignorait le jugement du conseil, la sentence du roi, et que son ami eût passé la nuit si près de lui. Nous ne savons pas bien comment il a vécu dans sa prison. On disait à Berlin qu’il était tombé malade, qu’il « menaçait ruine, » et que les desseins de Grumbkow et de Seckendorf, consentis par le roi, allaient s’accomplir. Grumbkow prétendait, au contraire, que le prince était très gai et bien portant ; que, s’il restait au lit, c’était pour éviter la peine de se déshabiller ; qu’il était toujours aussi impertinent : quand on lui a dit que sa dépense était réduite à 8 groschen, il a répondu qu’affamé pour affamé, il aimait autant l’être à Custrin qu’à Potsdam. Il est probable qu’entre ces témoignages contradictoires, celui de Grumbkow est le vrai. Frédéric ne se croyait pas menacé de mort et il ne pouvait, à son habitude, se retenir des plaisanteries dangereuses. Il souffrait surtout de l’ennui, mais des amis, malgré la défense du roi, lui firent passer des livres, et Frédéric trouvait délicieux les livres, même lus dans un cachot, à la lueur d’une chandelle. Il avait aussi une plume et de l’encre à sa disposition et le moyen de communiquer avec le dehors, car il adressait à sa sœur, le 1er novembre, la lettre suivante :


« Ma chère sœur,

« L’on va m’hérétiser après le conseil de guerre qui va se tenir à présent ; car il n’en faut pas davantage pour passer pour hérétique que de n’être pas conforme en toute chose au sentiment du maître. Vous pouvez donc juger sans peine de la jolie façon dont on m’accommodera. Pour moi, je ne m’embarrasse guère des anathèmes qui seront prononcés contre moi, pourvu que je sache que mon aimable sœur s’inscrit en faux là contre. Quel plaisir pour moi que ni verrous ni grilles ne m’empêchent de vous témoigner ma parfaite amitié ! Oui, ma chère sœur, il se trouve encore d’honnêtes gens dans ce siècle quasi corrompu, qui me prêtent les moyens nécessaires pour vous témoigner mes soumissions. Oui, ma chère sœur, pourvu que je sache que vous soyez heureuse, la prison me deviendra un séjour de félicité et de contentement. Chi ha tempo ha vita ! Consolons-nous avec cela. Je souhaiterais du fond du cœur n’avoir pas besoin d’interprète pour vous parler, et que nous revissions ces heureux jours où votre principe et ma principessa se baiseront, ou, pour parler plus net, où j’aurai le plaisir de vous entretenir moi-même et que rien ne peut diminuer mon amitié pour vous. Adieu.

« LE PRISONNIER. » Chi ha tempo ha vita. C’était le secret de la patience de Frédéric. Il avait gardé en effet son impertinence, sa façon un peu précieuse de plaisanter, son sourire à la mode de France, mais d’une lèvre plus raide que la nôtre. Or ce furent des choses terriblement sérieuses que lui dirent, en l’éveillant, le colonel et le capitaine. « Seigneur Jésus, s’écria-t-il, prenez-moi plutôt ma vie ! » Pendant deux heures, il gémit, pleura, se tordit les mains. Il envoya vers Katte pour lui demander son pardon. Il implora un sursis de l’exécution : une estafette aurait vite fait de courir à Wüsterhausen, où était le roi, pour y porter, en échange de la grâce de Katte, sa renonciation à la couronne, son consentement à la prison perpétuelle pour lui-même, et même l’offre de sa vie, s’il la fallait à sa majesté. Mais les visages de ceux qui l’écoutaient disaient qu’il priait et pleurait en vain.

Cependant Katte avait reçu la communion. A Schack, revenu auprès de lui, il avait dit ses dernières volontés : il laissait ses vêtemens à l’ordonnance du major, qui l’avait assisté, pendant la dernière nuit, lui avait fait son café et s’apprêtait à le servir sur l’échafaud ; sa bible, à un caporal qui avait dévotement chanté avec lui le cantique : « Loin de mon cœur, les pensées ! » A sept heures, l’escorte des trente gendarmes était prête. « Il est temps ? demanda le condamné. — Oui. »

La porte s’ouvrit. Katte alla se placer au milieu des gendarmes, entre deux prêtres qui priaient. Il marchait librement, très calme, le chapeau sous le bras. Parti de la porte de la forteresse, qui fait face à la ville, il contourna le bâtiment pour se rendre dans une cour longue, comprise entre le corps de logis et le rempart baigné par l’Oder. Frédéric était enfermé dans une des chambres qui donnaient sur le fleuve. Par ordre du roi, les deux officiers l’avaient conduit à la fenêtre. Dès qu’il aperçut Katte, qui levait vers lui son regard, il lui envoya un baiser : « Mon cher Katte, cria-t-il, je vous demande mille pardons ! » Katte fit la révérence et répondit que le prince n’avait rien à se faire pardonner. Arrivé au cercle formé par des hommes de la garnison, il entendit sans émotion lecture de sa sentence. Il appela près de lui les officiers des gendarmes, et leur dit adieu ainsi qu’à toute l’assemblée. Il reçut dévotement la bénédiction des prêtres, ôta sa perruque qu’il tendit à l’ordonnance de Schack, et mit sur sa tête un bonnet blanc ; il se fit enlever son habit et ouvrit largement le col de sa chemise, tranquille toujours, comme un homme qui bravement « se prépare à une affaire sérieuse. » Alors il s’agenouilla, le visage tourné vers le prince, sur le tas de sable qui avait été préparé là. « Seigneur Jésus ! » dit-il. Mais l’ordonnance lui voulait bander les yeux ; il l’écarta de la main, et reprit : « Seigneur Jésus ! » Le coup d’épée interrompit sa prière.

Le prince royal s’était évanoui sous le dernier regard de la victime.


VI

Du lieu de l’exécution, le pasteur Müller se rendit tout droit auprès de Frédéric, qui crut voir entrer la mort. Müller essaya de lui parler, mais le voyant si faible et dans l’épouvante, il le laissa. Frédéric se remit à la fenêtre, le regard appelé toujours vers le tas de sable, où le corps de Katte avait été laissé, recouvert d’un drap noir. A deux heures seulement, des bourgeois apportèrent un cercueil, où ils y déposèrent la dépouille, qu’ils conduisirent au cimetière des officiers. Le prince les regarda taire. Müller revint alors auprès de lui, et l’entretien dura jusqu’à cinq heures. A sept heures, il fut encore rappelé par Frédéric.

Le roi avait prescrit à Müller sa tâche dans une lettre qu’il lui avait fait tenir à Berlin, le 3 novembre :

« Je ne vous connais pas, mais j’ai entendu beaucoup de bien de vous, et que vous êtes un pieux et probe ministre et serviteur de la parole de Dieu. Comme vous allez à Cüstrin à l’occasion de l’exécution du lieutenant Katte, je vous commande de monter, après l’exécution, chez le prince royal, de raisonner avec lui, et de lui représenter que celui qui abandonne Dieu, Dieu l’abandonne ; et, si Dieu l’abandonne et lui retire sa bénédiction, l’homme ne tait plus rien de bien, il ne fait plus que le mal.

« Qu’il rentre en lui-même ; qu’il demande pardon à Dieu de tout cœur, pour le grave péché qu’il a commis, et pour avoir séduit des hommes, dont un a dû le payer par son corps et sa vie. Si vous trouvez le prince abattu, vous devez l’amener à tomber à genoux avec vous, et aussi les officiers qui sont avec lui, et à demander pardon à Dieu, avec des cœurs pleurant. Mais vous agirez de la bonne manière et avec prudence, car c’est une tête pleine de ruses, et vous prendrez bien garde si tout se passe avec un vrai repentir et un cœur brisé. Vous devez aussi lui représenter de la bonne manière dans quelle erreur il est plongé, en croyant qu’un tel est prédestiné de telle façon, cet autre de telle autre, de sorte que celui qui serait prédestiné au mal ne pourrait que taire le mal, pendant que celui qui serait prédestiné au bien ne ferait que le bien, et que rien ne pourrait être changé[5] « Comme donc j’espère que la circonstance présente et l’exécution, toute fraîche dans son esprit, lui aura touché et amolli le cœur, je vous fais une affaire de conscience de faire tout l’humainement possible, de bien représenter au prince royal tous les passages de l’Écriture sur la grâce, de le convaincre et de démontrer clairement vos paroles, et, comme c’est une tête ingénieuse, de répondre à chacune de ses objections clairement, mais pertinemment et à fond. Vous l’amènerez sur ce discours d’une bonne manière, sans qu’il s’en aperçoive. Si vous trouvez que le prince royal est content de votre conversation, et qu’il accueille vos bonnes doctrines, et que cela lui va au cœur, vous resterez à Cüstrin, et tous les jours vous monterez chez le prince et vous pénétrerez par votre parole jusque dans sa conscience, de façon qu’il rentre en lui-même et se convertisse de cœur à Dieu. Si vous ne trouvez pas d’accès, vous vous en irez et vous m’écrirez, et, si je vais à Berlin, vous viendrez me parler. Mais, si vous trouvez un cœur brisé, vous me devez l’écrire et rester là. »

Il faut rapprocher cette lettre de l’ordre donné, le même jour, au général Lepell au sujet de l’exécution de Katte. Lorsqu’il a écrit ces deux documens, le roi avait pris enfin son parti. Il ne pense plus à déshériter son fils : il lui rend le titre de prince royal, qu’il évitait auparavant de lui donner. Après tant d’hésitations, il a choisi le supplice qu’il infligera au rebelle : il a condamné Frédéric à l’émotion d’un spectacle terrible, composé lui-même tout le drame, et prévu jusqu’au dernier détail.

Dans l’ordre au général, il a réglé l’exécution, le lieu où elle s’accomplira, la tenue des gendarmes, qui seront à pied (pour ne pas cacher le condamné, qui doit être vu des fenêtres) ; le moment où sera lue la sentence ; il a nommé le magistrat qui fera la lecture. « Aussitôt le jugement de mort lu, doit le pasteur dire une prière, et l’exécuteur couper la tête. » Il a dit comment le corps sera exposé, jusqu’à quelle heure, et dans quel cimetière le cercueil sera porté par des bourgeois « d’une tenue décente, hübsche Bürger. » Il a désigné les officiers qui se rendront auprès du prince avant l’exécution, pour « lui commander en mon nom de la regarder avec eux, » et qui, tout de suite après, iront chercher le pasteur des gendarmes : « Celui-ci doit, avec le prince, parler, raisonner et prier. »

Dans la lettre au pasteur, le roi lui donne la matière de ses paroles et de ses raisonnemens, et jusqu’au ton des prières. Sur la terreur de l’exécution encore « toute fraîche, » il veut que l’on verse la parole de Dieu et l’exhortation au repentir. Si son fils est capable d’être touché, il le sera sans doute à ce moment-là. Aux raisons qui ont décidé le roi à condamner le malheureux Katte, il faut ajouter l’espoir de remuer jusqu’au fond l’âme de Frédéric. Le roi s’est représenté le coup de théâtre du prêtre entrant dans ! a cellule, avant que le bourreau eût achevé d’essuyer son épée.

Müller obéit de point en point aux ordres du roi. Dans ce premier jour d’entrevue, il remit à Frédéric le testament de Katte, pour aviver encore son émotion, pour « briser » et faire « pleurer » son cœur. Le prince, au milieu des larmes et des sanglots, reconnut que tout ce qu’avait écrit son malheureux ami était vrai. Il protesta hautement que, quant à lui, depuis le commencement, il avait eu un vrai repentir au cœur. Il ajouta, faisant allusion à ses demandes répétées de grâce et de pardon, que le roi n’avait pas dû les connaître, puisqu’il avait fait faire cette exécution sous les yeux d’un fils, qui s’était repenti de son péché et s’était soumis, comme il se soumettait encore, à toute sa volonté.

La nuit fut mauvaise pour le prisonnier. Il n’avait pas mangé de toute la journée, et il était très faible. Les trois personnes, qui se relevèrent auprès de son lit, l’entendirent délirer. En s’éveillant, il dit : « Le roi s’imagine qu’il m’a pris Katte ; mais je le vois toujours devant mes yeux. » Il reçut le médecin, auquel il déclara qu’il était bien portant ; il lui demanda pourtant de lui prescrire une poudre qu’il avait coutume de prendre ; déjà il se réconciliait avec la vie. Au pasteur, il témoigna un repentir plus vil encore que la veille. Son péché, dit-il, lui apparaissait encore plus grand. Il regrettait l’effronterie qu’il avait montrée au cours de son interrogatoire devant la commission. Si seulement, dès le début, un homme lui avait parlé avec sensibilité, sans dures menaces, son esprit ne serait pas allé aux extrémités qu’il regrette à présent ! Il remerciait Dieu et son père de l’humiliation qu’ils lui avaient infligée, et se soumettait à la volonté royale et paternelle de sa majesté.

Frédéric, à qui Müller avait dû, dès la veille, reprocher son hérésie, mit de lui-même le discours sur la grâce et la fatalité. Il exposa sa doctrine et provoqua son interlocuteur à la contredire. Müller cite ce passage de saint Pierre : « Le Seigneur Jésus a racheté ceux qui étaient effectivement damnés. » Le prince se montre surpris : il n’avait jamais vu, dit-il, ce passage de l’Écriture, qui lui paraissait prouver, en effet, que l’intention de Dieu est de sauver même les plus méchans des hommes. Müller invoque en outre des témoignages de saint Paul, non moins concluans. Le prince essaie de se défendre par des comparaisons : « L’arrangement des rouages d’une montre ne détermine-t-il pas le mouvement des roues ? » — « Sans doute, répond le pasteur, mais ces roues n’ont pas une volonté pour résister. » — « La force du feu contre le bois n’est-elle pas nécessairement d’une seule sorte et d’un effet unique ? » — « Oui ; mais, si l’on trempe auparavant dans l’eau une partie du bois, la force du feu ne sera plus unique. » Müller prend ensuite l’offensive : « Deux hommes sont tombés dans le fossé du château : à chacun, on jette une corde. On les avertit qu’ils n’ont qu’à la prendre, et que, par ce moyen, ils seront sauvés. Il y en a un qui ne veut pas prendre la corde ; s’il n’est pas sauvé, c’est par sa faute. »

Pendant que le pasteur et lui discutaient en propos puérils la primordiale et obscure question de notre liberté, le prince ménageait habilement sa retraite. Il savait que le roi ne lui pardonnerait pas son entêtement dans l’hérésie. Il n’était pas encore rassuré sur son sort. De temps en temps, il se mettait à la fenêtre et regardait le tas de sable, qu’on avait laissé, et qu’il pria le gouverneur de faire enlever. A la fin, il confessa son erreur. « Il n’y a donc point de fatalité, dit-il, et seul je suis cause de la mort de Katte et de mon malheur. » Müller l’assura qu’il était sur le vrai chemin, et qu’il n’avait plus qu’à se laisser conduire par Dieu au vrai repentir. Alors le prince : « De tout mon cœur, si seulement il y a encore grâce pour moi, et si je n’ai de compte à rendre qu’à Dieu seul ! » Le pasteur continuait à ne parler que de Dieu : « Dieu vous a fait sentir sa colère pour vous forcer à crier vers sa grâce ! » Mais Frédéric savait fort bien qu’avec Dieu il s’arrangerait toujours : « Je le crois aussi, reprit-il, mais je crains de ne pas rentrer en grâce, de ma vie, auprès du roi. »

C’est du roi qu’il voulait obtenir le pardon de ses péchés. Chaque fois que Müller parlait grâce de Dieu, Frédéric répondait grâce du roi. Il craignait que le pasteur ne lui cachât un horrible secret ; il hésitait à lui poser la question précise, qui lui montait aux lèvres. Il tournait tout autour et cherchait à faire comprendre au prêtre son anxiété. A la fin, comme Müller s’obstinait dans les propos théologiques, il se risque : « Ne dois-je pas conclure de votre visite que vous voulez me préparer à la mort, moi aussi ? » Müller a compris enfin ; il se récrie et se donne toute la peine du monde pour retirer cette idée de l’esprit du prince : « Si et combien de temps Votre Altesse doit demeurer ici, cela dépend de Votre Altesse. » Frédéric, un peu rassuré, se met en prière. Plus calme, il demande au pasteur de rester encore auprès de lui, de coucher au château, s’il est possible, afin qu’il puisse le voir aussi souvent qu’il voudra et s’entretenir avec lui pour son édification. Müller obtint la permission de demeurer au château, dans un appartement au-dessus de la chambre du prince, qui n’avait qu’à frapper pour qu’il descendît.

Le brave homme croyait à la sincérité du repentir de Frédéric et de sa conversion. Il affirma au roi, devant Dieu, qu’il n’avait pas découvert en lui la plus petite trace de fausseté. Il le suppliait en même temps de « faire bientôt briller un regard de sa grâce royale, » car il craignait que le prince, « par la crainte et attente des choses qui lui pourraient advenir, et par l’effet d’une tristesse persistante et croissante, ne tombât dans une dangereuse maladie d’esprit. » Le quatrième jour, il reçut et lut avec joie la réponse.

Le roi lui commandait de rester encore à Cüstrin, et d’adjurer le prince de rentrer en lui-même, et de confesser tous les péchés qu’il avait commis envers Dieu, envers le roi, envers lui-même et son honneur, car « emprunter de l’argent quand on sait qu’on ne pourra pas le payer, et vouloir déserter, cela ne vient pas d’un honnête homme, mais des enfers, des enfans du diable, ainsi point des enfans de Dieu. »

« Vous m’avez, sur votre conscience et devant Dieu, ajoutait-il, assuré que le prince, à Cüstrin, s’est converti à Dieu, que mille et mille fois il demande pardon à son roi, seigneur et père, de tout ce qu’il a fait, et qu’il a souffrance de cœur de ne s’être pas soumis de bon gré à la volonté de son père. Si donc vous trouvez le prince disposé à promettre cela fermement devant Dieu ; s’il est vrai que son cœur souffre de ses péchés ; si c’est sa vraie intention de s’améliorer sûrement et de la façon que je viens de dire, vous pourrez lui signifier en mon nom qu’à la vérité je ne puis encore lui pardonner tout à fait, mais que cependant, par une grâce qu’il ne mérite pas, je lèverai son arrêt, et je lui donnerai de nouveau des gens qui veilleront sur sa conduite.

« C’est toute la ville qui sera sa prison. Il n’en pourra pas sortir. Je lui donnerai, du matin jusqu’au soir, des occupations auprès de la chambre de guerre et des domaines, et du gouvernement. Il travaillera dans les choses économiques, recevra les comptes, lira les actes et fera des extraits. Mais, avant que cela n’arrive, je lui ferai faire le serment d’agir en toute obéissance, conformément à ma volonté et de faire en toute chose ce qui convient et appartient à un fidèle serviteur, sujet et fils. Mais s’il revire et se cabre de nouveau, il perdra la succession à la couronne et à l’électorat, et même, selon les circonstances, la vie… Je vous avertis de représenter au prince en mon nom que je le connaissais bien. Croit-il que je ne le connaissais pas ? Il devrait être convaincu que je connaissais bien son méchant cœur.

« Si ce cœur n’est pas plié et changé, s’il demeure dans l’ancien état, s’il a l’intention d’abjurer ce serment, il se contentera de le murmurer, il ne l’exprimera pas d’une voix haute. Dites-lui donc en mon nom que je lui conseille, comme fidèle ami, de jurer haut et clair, et de se croire obligé à tenir son serment textuellement. Ici, nous n’entendons rien aux réserves mentales. Nous ne comprenons que ce qui est écrit. S’il veut violer et briser ce serment, il n’aura plus d’excuse. Qu’il y pense bien. Qu’il contraigne et change son mauvais cœur par l’assistance divine ; car il s’agit d’une chose importante et grave.

« Que Dieu le Très Haut donne sa bénédiction ! Et, comme souvent, par des conduites merveilleuses, des chemins miraculeux, des pas amers, il conduit les hommes dans le royaume du Christ, qu’il ramène à sa communion ce fils inconsidéré ! qu’il prosterne son cœur impie ! qu’il l’amollisse et le change ! qu’il l’arrache des grilles de Satan ! qu’ainsi le veuille le tout-puissant Dieu et Père, en considération de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de ses souffrances et de sa mort… Amen… »

Cette fois c’était bien la grâce, enveloppée dans un prêche véhément. Dès qu’il eut reçu la lettre, Müller se rendit chez le prince. Il le trouva lisant la Bible et plongé dans les profondeurs d’une méditation. Frédéric ne vit point sans doute sur la mine de Müller que celui-ci avait du nouveau à lui dire ; autrement, il n’aurait pas commencé par faire au révérend un discours sur les mérites de notre Sauveur et la dette qu’à cause de sa mort nous avons contractée envers lui. Müller le laissa dire ; il prit même occasion de cette effusion de piété, pour le presser de confirmer ses promesses d’amendement par un serment qui enlèverait au roi toute méfiance et mauvaise volonté. Le prince ne voyait pas où il en voulait venir, ni comment le roi lui rendrait sa grâce contre un serment. Le pasteur s’ouvrit enfin, et parla, cette fois, au nom du roi, comme il en avait l’ordre, a Est-ce possible ? » s’écria le prince, dont les yeux se remplirent de larmes. Müller tira la lettre de sa poche et la lui mit dans les mains. Frédéric la lut, et vit enfin qu’il était sauvé.

Il commença par exprimer sa reconnaissance envers son père ; puis il expliqua qu’il savait très bien ce que c’était qu’un serment, qu’il n’y fallait pas faire de réserve mentale, qu’il fallait, au contraire, le prêter dans le sens et esprit de celui qui l’avait prescrit. Certainement, il jurerait à haute et intelligible voix. Pour prouver qu’il prenait la chose au sérieux et voulait s’engager à fond, il exprima l’espérance que le roi ne prescrirait par la formule rien qui ne fût « paternel et acceptable ; » il priait sa majesté de lui communiquer à l’avance ladite formule « afin qu’il ne précipitât rien, et pût se préparer en conscience, avec une suffisante réflexion, à bien prononcer et bien observer tous les points du serment. » Le bon Müller transmit cette prière au roi et la lui recommanda.

Il ne restait plus qu’à régler les formalités dernières de la mise en liberté du prince royal. Le roi les concerta avec Seckendort et avec Grumbkow. Seckendorf se donnait l’air empressé d’un sauveur. Pour achever le succès de son intrigue, il voulait faire croire que le prince devait son salut uniquement à l’intercession de l’empereur. Il n’en était rien. Frédéric-Guillaume a certainement pris son parti de lui-même. Les représentations venues de l’étranger n’auraient pas suffi à le déterminer. Quand il apprend par son ministre à Londres le sévère jugement de l’Angleterre sur l’exécution de Ratte, il répond : « Quand même il y aurait cent mille Katte comme cela, je leur ferais couper la tête à tous ensemble… Tant que Dieu me laissera vivre, je me soutiendrai comme seigneur despotique, als Herr despotique souteniren würde… Les Anglais devraient savoir que je ne tolérerai jamais de co-régent à côté de moi. » L’empereur même aurait été très mal venu à vouloir jouer ce rôle. Au reste, il n’y prétendit pas, et son intervention fut discrète. Seckendorf avait bien envoyé à sa cour, dès le 2 octobre, le modèle d’une lettre à écrire par l’empereur en faveur du prince, mais il ne voulait rien presser. Il a eu la satisfaction de s’entendre supplier par son ennemie vaincue, la reine, qui lui a dit que l’empereur seul pouvait sauver son fils ; il a répondu qu’il lui était impossible de se mêler des affaires de la maison royale, tant que le roi ne l’y autoriserait pas, sa majesté n’ayant pas besoin d’un secours étranger « pour se procurer son repos domestique. »

Quand il eut reçu la lettre impériale, il écrivit à Vienne qu’il la garderait jusqu’au moment où il serait sûr que le roi voulait pardonner. Il attendit en effet la permission du roi pour lui remettre la missive autographe de son souverain. Il est vrai que le roi déclara ensuite que son fils devait son pardon à l’empereur : « Pour le pardon du prince royal, écrit-il à son ministre à Vienne, nous avons considéré surtout l’intercession en sa faveur de Sa Majesté Impériale Romaine. » Mais il écrivit aussi à son ministre à Saint-Pétersbourg : « Pour le pardon du prince royal, nous avons considéré surtout l’intercession en sa faveur de Sa Majesté Impériale Russe. » Le grand Frédéric sauvé par le père de Marie-Thérèse, c’est donc une histoire à reléguer dans les légendes ; mais il convenait au roi de Prusse, très irrité alors contre la France et l’Angleterre et ramené à sa ferveur impérialiste, de faire croire à son fils qu’il devrait à l’Autriche sa liberté et la conservation de ses droits à la couronne.

Il avait donc prié Seckendorf de régler lui-même les conditions de la grâce et de l’élargissement du prince. C’est Seckendorf qui lui avait proposé d’exiger le serment solennel, puis de mettre le prince en demi-liberté dans la ville de Cüstrin, en l’obligeant à travailler à la Chambre des domaines. Il avait demandé, en outre, à être envoyé à Cüstrin avec les commissaires désignés pour recevoir le serment. Il pensait que nul ne serait mieux qualifié pour faire savoir au prince « que l’empereur, en véritable ami de Sa Majesté Royale, avait intercédé pour lui. » Mais Frédéric-Guillaume ne permit pas qu’un étranger parût dire le dernier mot d’une si grande affaire. C’est Grumbkow qu’il envoya, avec cinq autres généraux, à Cüstrin, où ils arrivèrent le 15 novembre.

Le lendemain, Grumbkow eut un long entretien avec le prince. Ce qui s’y passa, nous ne le savons point. Grumbkow était homme à dire juste ce qu’il fallait, à pleurer et à rire avec le prince, à le consoler et à le conseiller, à lui donner tort sur certains points et raison sur d’autres. Il lui a certainement promis son aide et son dévoûment pour l’avenir. Le prince était homme à tout comprendre, même les sous-entendus les plus subtils. Ces deux hommes avaient besoin l’un de l’autre, et leur conscience à tous les deux était docile aux mouvemens de leur intérêt ; ils s’entendirent. Pour témoigner sa reconnaissance envers ce nouvel allié, le prince lui fit don, avec larmes et sanglots, du testament de Katte. Ce testament, il semble bien pourtant qu’il aurait dû le garder jusqu’à la mort.

Le 17 novembre, le prince prêta le serment « d’obéir strictement aux ordres du roi, de faire en toutes choses ce qui appartient et convient à un fidèle serviteur, sujet et fils. » Il souscrivait à l’avance, au cas où il retomberait dans les anciens erremens, à la perte de ses droits héréditaires. Il fut alors mis en liberté, avec la ville pour prison. Le général gouverneur lui rendit son épée, mais sans le porte-épée d’officier, car la grâce du roi n’allait pas jusqu’à réintégrer son fils dans l’armée. Les postes ne devaient pas sortir pour lui présenter les armes ; il était défendu aux militaires de le saluer. Frédéric, sensible à ces marques d’indignité, adressa tout de suite à son père la prière de lui rendre sa qualité de soldat. Le roi lui répondit qu’un déserteur avait perdu le droit de porter l’uniforme, et il ajouta : « Il n’est pas nécessaire que tous les hommes fassent le même métier ; tel doit travailler à devenir soldat ; tel autre s’appliquer à l’érudition et à d’autres choses semblables. »

Puis il lui faisait entendre des paroles sérieuses et vraiment royales. Il fallait maintenant, disait-il, que le prince « apprît, en mettant la main aux affaires, qu’aucun État ne subsiste sans l’économie et une bonne constitution. Le bien d’un pays exige que le souverain lui-même soit bon économe et administrateur ; autrement le pays demeure à la disposition de favorites et de premiers ministres, qui en tirent leur profit et mettent tout en confusion… Il faut que le prince royal voie, par les exemples qui ne manquent pas, que la plupart des princes tiennent misérablement la maison, et que, même en ayant les plus beaux pays du monde, ils ne savent pas s’en servir, mais, au contraire, font des dettes et se ruinent. »


Ainsi finit la prison du prince royal de Prusse. Dans la lutte qui s’est engagée entre le père et le fils, tous les deux ont eu des torts graves ; le père, en refusant à son fils le droit de vivre selon sa nature, et en étouffant dans cette jeune âme, par son odieuse brutalité, toute disposition à la piété filiale ; le fils, en trompant son père, en intriguant contre lui, en ne l’aimant point, en provoquant sa colère par toute la conduite de sa vie. Tous les deux ont souffert : le père a été torturé par l’inquiétude, par l’incertitude de la décision et par la fureur ; le fils, par la vue du sang de Katte, et par la crainte de mourir ; mais ni l’un ni l’autre n’a droit à être plaint. Leurs souffrances ne sont pas de celles qui émeuvent ; ils y gardent tous les deux, chacun à sa façon, un sang-froid surhumain, le père en arrangeant le drame, le fils en jouant son rôle comme il l’a joué. Le jeune homme a pleuré, sans doute, et crié, et il s’est tordu les mains, et il a demandé la mort au Seigneur Jésus, mais, le lendemain, il a commandé une poudre à son médecin : il a discuté avec une parfaite liberté, comme s’il y prenait un intérêt réel, la question de savoir si le Christ est mort pour tous les hommes ou seulement pour des élus. A travers la théologie et la métaphysique, il a glissé adroitement la préoccupation de son propre sort, interrogé le pasteur, insinué son repentir et les paroles les plus propres à fléchir le roi, sachant bien qu’elles seraient redites. Il n’a pas hésité à signer le pacte de réconciliation que lui offrait Grumbkow, et, comme gage de son amitié, il a remis à ce Grumbkow, un des auteurs de la catastrophe, les dernières lignes écrites par la victime. Bientôt nous entendrons dire que son altesse royale est « gaie comme un pinson. » Plus tard, Frédéric accusera Katte d’avoir été maladroit. Ce jeune homme est prêt pour les hasards et périls de la vie de prince ; il est prêt pour la politique.

Dans une lettre où il rend compte au prince d’Anhalt de la façon dont il a « réglé la mauvaise affaire de Cüstrin, » Frédéric-Guillaume dit, en parlant de son fils : « S’il devient un honnête homme, ce sera un bonheur pour lui, mais j’en doute fort. »


ERNEST LAVISSE.

  1. A l’insu de son père, Frédéric s’était engagé à plusieurs reprises à n’épouser que la princesse Amélie.
  2. La négociation avait été rompue avant le départ pour Anspach.
  3. Le roi avait chargé ses officiers de surveiller le prince. Buddenbrock et Waldow devaient toujours être dans la voiture du prince avec Rochow.
  4. Le prince avait composé cette bibliothèque avec l’aide de Duhan, son ancien précepteur. Il l’avait logée dans une maison auprès du château, à Berlin.
  5. Frédéric-Guillaume avait horreur de cette doctrine. Voyez, dans la Revue du 1er octobre dernier, le Père du Grand Frédéric.